II. LA RÉFORME DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES : UN ESSAI À TRANSFORMER
A. UNE RÉPARTITION DES COMPÉTENCES SUR DE BONS RAILS
1. Une remise à plat pragmatique de l'articulation entre la clause générale et la logique des blocs de compétences
La loi du 16 décembre 2010 relative à la réforme des collectivités territoriales aborde fort opportunément la dialectique clause générale / logique des blocs sous un nouvel angle. Refusant de céder au dogmatisme et au manichéisme, elle donne enfin vie à la logique des blocs sans tordre le cou à une clause générale dont l'abandon aurait probablement, comme on l'a vu plus haut, été une grave erreur.
La loi de décembre 2010 opère une distinction, inédite dans notre droit, selon le niveau de collectivités territoriales concerné :
- les compétences des communes restent soumises à la clause générale ;
- les compétences des départements et régions seront, à compter de 2015, déterminées selon la logique des blocs, les conseils généraux et conseils régionaux étant alors appelés à régler, par leurs délibérations, les affaires de leur collectivité dans les domaines que la loi lui attribuera .
Cette spécialisation des départements et régions est cependant envisagée avec pragmatisme :
- d'une part, elle ne leur interdira pas d'intervenir dans tout objet d'intérêt local (départemental ou régional, selon la collectivité) pour lequel la loi n'aura donné compétence à aucune autre personne publique . On retrouve là les traits (conditions et limites) de la clause générale de compétences, ce qui tend à démontrer que, pour ces deux catégories de collectivités, la réforme de 2010 n'est pas aussi révolutionnaire et scandaleuse que d'aucuns l'ont prétendu. On retrouve également là une reprise fidèle de la Charte de l'autonomie locale, dans l'un de ses stipulations précitées : « Les collectivités locales ont, dans le cadre de la loi, toute latitude pour exercer leur initiative pour toute question qui n'est pas exclue de leur compétence ou attribuée à une autre autorité » ;
- d'autre part, des délégations de compétences entre collectivités territoriales, ou d'une collectivité vers un EPCI, peuvent être prévues par convention. Cette faculté permettra d'adapter aux circonstances locales le schéma de distribution des compétences décidé par la loi ; elle traduit le souci du législateur de 2010 d'éviter toute systématisation dans la mise en oeuvre de ses décisions.
Encore faut-il, pour que cette faculté de délégation donne les meilleurs résultats, que les collectivités dialoguent entre elles pour trouver la répartition optimale de leurs compétences. C'est précisément le deuxième point positif de la réforme de 2010 que d'avoir recherché à encourager et à faciliter ce dialogue.
2. La recherche d'un dialogue entre collectivités territoriales pour une distribution optimale de leurs rôles respectifs
La réforme de 2010 a mis l'accent sur la recherche du dialogue entre la région et les départements, et ce par deux innovations.
a) Le schéma d'organisation des compétences
La loi invite les présidents de conseil régional et des conseils généraux à adopter un projet de schéma d'organisation des compétences et de mutualisation des services (la consultation de la métropole constituée sur le territoire de la région est alors de droit).
Ce schéma prévoit les délégations de compétences entre la région et les départements, l'organisation des interventions financières de la région et des départements et les conditions d'organisation et de mutualisation des services.
Approuvé par délibérations concordantes des parties, il porte au moins sur le développement économique, la formation professionnelle, la construction et l'entretien des collèges et des lycées, les transports, les infrastructures, voiries et réseaux, l'aménagement des territoires ruraux et les actions environnementales.
Il peut également concerner toute compétence exclusive ou partagée de la région et des départements.
Il reste à déterminer les conditions d'élaboration de ce schéma de compétences, dont la traduction ne sera pas un exercice facile. A cette fin, le Président de la République a chargé, dès la validation de la loi par le Conseil constitutionnel (et avant même sa promulgation), l'ancien ministre Jean-Jacques de PERETTI de proposer des procédures opérationnelles de concertation pour faire émerger les priorités territoriales, ainsi que deux ou trois modèles de schéma type. Les premières conclusions de cette mission sont attendues pour le 15 mars.
b) La création du conseiller territorial
L'adoption du schéma d'organisation des compétences n'est pas une obligation, même si l'absence d'un tel schéma aura des conséquences, comme on va le voir, sur les conditions d'intervention financière des collectivités.
Elle n'en est pas moins souhaitable, dans un souci évident de coordination. Siégeant à la fois à la région et dans l'un des départements, le conseiller territorial facilitera cette adoption et, plus généralement, contribuera à un dialogue serein et efficace entre les collectivités de ces deux niveaux.
3. La rationalisation des interventions financières des collectivités territoriales
Le troisième apport fondamental de la réforme de 2010 consiste à mettre de l'ordre dans les interventions financières des collectivités, qu'elles prennent la forme de financements ou de subventions.
a) L'encadrement des financements croisés
Sur ce point, la principale innovation de la loi de 2010 réside dans l'exigence, à compter du 1 er janvier 2012, d'une participation financière minimale de la collectivité (ou du groupement) maître d'ouvrage d'une opération d'investissement .
Cette participation minimale est en principe de 20 % du montant total des financements apportés au projet par les personnes publiques. Elle présente un double intérêt :
- éviter les saupoudrages de la part d'une même collectivité qui pourrait être tentée, pour voir son nom associé à de nombreux projets, d'éparpiller ses efforts financiers et de consacrer ainsi à chaque opération des sommes proches du symbolique pour une efficacité globale fort réduite ;
- prévenir la multiplication des intervenants sur un même projet et, par voie de conséquence, faciliter par le citoyen l'identification des autorités responsables : d'une part, le seuil minimal de 20 % garantit mathématiquement qu'il n'y aura pas plus de cinq personnes publiques ; d'autre part, il implique un effort conséquent de nature à conduire les collectivités et groupements à s'abstenir d'intervenir sur des opérations dont l'utilité directe n'est pas, pour eux, manifeste (ce qui devrait notamment réduire de manière drastique les participations financières à des fins exclusivement « publicitaires »).
Des dérogations à cette participation minimale sont cependant prévues :
- tout d'abord, elle ne concerne ni les opérations figurant dans les contrats de projet État-région, ni celles dont la maîtrise d'ouvrage relève de l'État ou de ses établissements publics. Il s'agit là d'une entorse de taille, dès lors qu'on considère que l'État porte une part de responsabilité dans l'enchevêtrement des interventions locales par sa tendance à frapper parfois à un peu trop de portes dans sa quête de financements ;
- elle ne s'applique pas non plus aux investissements engagés dans la cadre du programme national de rénovation urbaine ;
- enfin, la participation peut, pour certaines opérations, être inférieure à 20 % sur autorisation du représentant de l'État. Cette faculté concerne les travaux visant à rénover des monuments protégés au titre du Code du patrimoine ; elle concerne également les projets d'investissement destinés à réparer les dégâts causés par des calamités publiques.
b) L'encadrement des subventions
A défaut d'adoption du schéma d'organisation des compétences entre région et départements, sera interdit, à compter du 1 er janvier 2015, le cumul de subventions (de fonctionnement ou d'investissement) provenant d'un département et de la région.
Cette interdiction ne concernera cependant pas les projets portés par une commune dont la population est inférieure à 3.500 habitants ou un EPCI à fiscalité propre dont la population est inférieure à 50 000 habitants. Elle ne s'appliquera pas non plus aux subventions (de fonctionnement) accordées dans les domaines de la culture, du sport et du tourisme.