D. DES SANCTIONS MIEUX PROPORTIONNÉES À LA GRAVITÉ DES FAUTES

Enfin, le groupe de travail s'est prononcé en faveur d'une refonte des sanctions applicables en matière électorale.

Les réformes qu'il propose permettraient :

- de généraliser les sanctions financières , qui deviendraient ainsi un substitut au rejet pur et simple des comptes de campagne entachés par des irrégularités formelles ;

- d'étendre le bénéfice de la « bonne foi » aux candidats aux élections législatives ;

- de mettre en place une vision nouvelle de la « bonne foi » laissant davantage de place à l'intention des candidats.

1. La généralisation des sanctions financières

En premier lieu, la majorité des membres du groupe de travail a jugé nécessaire de permettre au juge, pour tous les types d'élections , de recourir à des sanctions financières (qui se traduiraient par une diminution du montant du remboursement public versé au candidat).

Dans l'esprit de vos rapporteurs, cette réforme ne doit pas avoir pour conséquence d'interdire au juge de prononcer le rejet de certains comptes. A l'inverse, les sanctions financières devraient permettre d'apporter une réponse proportionnée aux atteintes purement formelles à la législation sur les comptes de campagne (par exemple, des paiements directs portant sur des montants limités et justifiés par une impossibilité matérielle de faire appel au mandataire financier, l'absence de rares pièces justificatives, etc.) ; elles ne devraient en aucun cas avoir pour effet d'exonérer les candidats ayant commis des fautes importantes du rejet de leur compte.

La modulation du remboursement public pourrait ainsi permettre de sanctionner les atteintes non-intentionnelles à la législation sur les comptes de campagne et d'éviter au juge d'avoir à prononcer le rejet des comptes de candidats ayant commis des fautes vénielles.

Proposition n° 32 :

Généraliser la possibilité, pour le juge, de moduler le remboursement public afin de sanctionner financièrement les atteintes non-intentionnelles à la législation sur les comptes de campagne.

2. Étendre le bénéfice de la « bonne foi » aux candidats aux élections législatives

Par ailleurs, le groupe de travail estime que le bénéfice de la « bonne foi » doit être étendu aux candidats aux élections législatives.

Vos rapporteurs estiment à cet égard que, non contente d'être injuste, l'inéligibilité automatique des candidats aux élections législatives pourrait également être inconstitutionnelle , comme le laisse à penser la lecture de la décision du Conseil constitutionnel sur l'article L. 7 du code électoral (qui sanctionnait d'une privation automatique des droits civiques de cinq ans les personnes dépositaires de l'autorité publique ayant commis certaines infractions pénales), aux termes de laquelle les peines « attachée[s] de plein droit à certaines condamnations » sont contraires au principe constitutionnel d'individualisation des peines 80 ( * ) .

Proposition n° 33 :

Permettre aux candidats aux élections législatives de bénéficier de la « bonne foi ».

Cette réforme, qui fait l'objet d'un consensus unanime, doit être mise en oeuvre sans délai . Vos rapporteurs notent d'ailleurs avec satisfaction qu'elle est prévue par le projet de loi organique relatif à l'élection des députés, qui sera examiné prochainement par la Haute Assemblée ; ils appellent la commission des lois, ainsi que le Sénat, à soutenir cette initiative.

3. Remettre la notion d'intentionnalité au centre de la « bonne foi »
a) La « bonne foi » comme une « absence d'intention frauduleuse »

En outre, vos rapporteurs se sont prononcés en faveur de la mise en place d'une vision moins formelle de la « bonne foi », cette notion devant, à leurs yeux, être fondée sur l'intention du candidat .

Ils constatent, à cet égard, que l'approche rigoureuse et objective de la « bonne foi » que le juge électoral a mise en place est très éloignée de la vision qu'en avait le législateur, comme l'atteste le rapport de notre ancien collègue Christian Bonnet sur la loi du 10 avril 1996.

Ce rapport précise en effet que l'institution de la « bonne foi » visait à faire en sorte qu'une « irrégularité de pure forme qui n'a en rien influencé le choix des électeurs » ne vienne pas mettre en danger le mandat de ceux qui ont été démocratiquement élus. Il s'agissait donc de résoudre les problèmes posés par le formalisme excessif des règles relatives au financement des campagnes électorales.

Toujours selon Christian Bonnet, « cette formule revient en quelque sorte à rétablir une présomption de bonne foi là où l'ambiguïté ou le silence des textes a pu dans certains cas faire peser sur les candidats une présomption inverse » : l'idée que la « bonne foi » devait être la règle et l'inéligibilité, l'exception , était donc bien présente dans l'esprit du législateur.

Il semble donc nécessaire de clarifier les dispositions du code électoral afin de réaffirmer l'intention initiale du législateur.

Toutefois, vos rapporteurs ne sont pas ralliés à la définition de la « bonne foi » proposée par le rapport Mazeaud , qui voulait que celle-ci soit « établie par l'absence de volonté délibérée de fraude, de manquement grave aux règles de financement des campagnes électorales et d'altération de la sincérité du scrutin ».

En effet, les critères proposés par Pierre Mazeaud sont cumulatifs, si bien que nul ne pourrait être condamné si le manquement qu'il a commis n'a pas été à la fois intentionnel, grave et décisif pour l'issue du scrutin. Or, s'il est logique que l'inéligibilité, sanction lourde et avec une forte composante morale, soit réservée aux cas où la faute est à la fois intentionnelle et grave, il ne serait pas juste qu'elle ne soit pas prononcée dans les cas où cette faute a été sans impact sur la sincérité du scrutin.

Plus profondément, vos rapporteurs considèrent que la lourdeur de la sanction ne doit pas être corrélée à l'issue du scrutin : l'inéligibilité doit en effet être prononcée en fonction de la gravité des fautes commises, et non des résultats de l'élection. À cet égard, ils rappellent que la sanction logique d'une altération de la sincérité du scrutin est l'annulation de l'élection : ainsi, s'il apparaît que les résultats du scrutin ont été faussés, quelle qu'en soit la raison, il appartient au juge d'annuler l'élection et de provoquer l'organisation d'un nouveau scrutin. Symétriquement, confronté à un candidat de mauvaise foi, le juge doit pouvoir prononcer son inéligibilité même si les fautes qu'il a délibérément commises n'ont pas modifié le choix des électeurs.

Proposition n° 34 :

Ne pas conditionner le prononcé de la sanction d'inéligibilité à l'existence d'une atteinte à la sincérité du scrutin.

Dès lors, vos rapporteurs estiment que le législateur doit donner une définition de la « bonne foi » qui soit à la fois plus explicite et plus efficace, et qui permette au juge de sanctionner ceux qui ont eu l'intention de ne pas respecter la loi. A l'unanimité, ils ont souhaité que la « bonne foi » soit définie comme une « absence d'intention frauduleuse » .

Cette définition devrait être explicitement reprise par le code électoral (qui ne donne actuellement aucune définition de la « bonne foi »).

Proposition n° 35 :

Définir, dans le code électoral, la « bonne foi » comme une « absence d'intention frauduleuse ».

b) Mieux sanctionner les atteintes délibérées aux règles sur le financement des campagnes électorales

La mise en place d'une vision de la « bonne foi » plus favorable aux candidats implique de mieux sanctionner les cas où la « mauvaise foi » est reconnue par le juge.

A titre liminaire, vos rapporteurs rappellent que le fait que l'inéligibilité ne couvre qu'un seul mandat découle non pas de la loi, mais de la jurisprudence : cette vision restrictive de l'inéligibilité résulte en effet d'une décision du Conseil d'Etat de 1992 81 ( * ) , qui est venue combler le silence de la loi.

Dans ce cadre, la majorité des membres du groupe de travail a estimé que la sanction d'inéligibilité ne devait plus, à l'avenir, concerner que la catégorie d'élection dans le cadre de laquelle le manquement a été commis, mais devait être étendue à tous les types d'élections .

En effet, si la « bonne foi » vient exonérer les candidats ayant commis une faute sans intention frauduleuse, seuls les manquements réalisés de manière délibérée seront désormais punis par une sanction d'inéligibilité. Ce changement de logique implique de renforcer la portée des sanctions prévues et de punir plus durement les candidats dont le juge estimera qu'ils sont de mauvaise foi .

Cette proposition est cohérente avec les positions prises, dans le passé, par le Sénat . En effet, l'extension de la portée de la sanction d'inéligibilité dans le cas où une vision plus libérale de la « bonne foi » serait mise en place avait été envisagée par la Haute Assemblée dès les années 1990. Dans un rapport de 1992 sur une proposition de loi présentée par le président Jacques Larché, M. Christian Bonnet affirmait ainsi que « l'évolution jurisprudentielle conduirait peut-être les juges à limiter le prononcé de l'inéligibilité aux seuls cas où la mauvaise foi ou l'intention frauduleuse serait établie. Dans ces conditions, et compte tenu du caractère inexcusable de la mauvaise foi ou de la fraude en matière électorale, cette situation nécessiterait peut-être qu'à terme, l'inéligibilité correspondante soit étendue à tous les mandats électifs ».

Parallèlement, vos rapporteurs se sont interrogés sur la nature que devait revêtir cette extension de la portée de la sanction d'inéligibilité : doit-elle être une faculté confiée au juge, qui pourrait décider d'une telle sanction en cas de faute extrêmement grave et particulièrement caractérisée, ou être automatique ? Soucieux de favoriser l'individualisation des peines et d'assurer une meilleure proportionnalité des sanctions, le groupe de travail a souhaité, dans sa majorité, que la responsabilité de fixer la portée de l'inéligibilité soit confiée au juge , seul capable d'apprécier la gravité des fautes commises et le degré d'intentionnalité du candidat, et donc de moduler la sanction en fonction des circonstances de l'espèce.

Proposition n° 36 :

Permettre au juge d'étendre la portée de la sanction d'inéligibilité à tous les types d'élections.

Le groupe de travail est toutefois conscient que cette innovation n'aura que peu d'impact pratique si la durée de l'inéligibilité est maintenue à un an : en effet, notre calendrier électoral prévoit habituellement une distance de plus d'un an entre les différents types d'élections. La réforme que vos rapporteurs préconisent resterait donc platonique si l'inéligibilité restait, dans tous les cas, fixée à un an : pour prendre un exemple concret, un candidat déclaré inéligible à toutes les élections lors des élections cantonales de mars 2011 pourrait, malgré tout, se présenter aux législatives de juin 2012 et aux municipales de mars 2014.

À une courte majorité, le groupe de travail a donc estimé que le juge devait pouvoir moduler la durée couverte par la sanction d'inéligibilité en fonction de la gravité de la faute commise .

Cette possibilité de modulation devrait toutefois être encadrée par le législateur : votre groupe de travail propose donc qu'elle soit soumise à un plafond de durée de cinq ans .

Cette durée, qui ne semble pas excessive, permettrait au juge électoral de sanctionner durement les cas les plus graves en appliquant aux candidats en cause une inéligibilité couvrant l'intégralité d'un cycle électoral .

Proposition n° 37 :

Permettre au juge électoral de moduler la durée couverte par la sanction d'inéligibilité, dans la limite d'un « plafond » de cinq ans.

4. Mieux sanctionner les autres atteintes à la législation électorale

Pour redonner sa cohérence à l'échelle globale des sanctions , vos rapporteurs ont également estimé que les sanctions prévues pour des atteintes à la législation électorale, hors législation sur les comptes de campagne, devaient être revues.

À ce titre, le groupe de travail a jugé qu'il n'était pas normal qu'une infraction aux règles relatives au financement des campagnes électorales soit punie par une inéligibilité (cette sanction étant la plus dure qui se puisse concevoir en droit électoral), alors que la fraude électorale n'est sanctionnée que par l'annulation de l'élection -et ce, dans les seuls cas où l'écart de voix entre les deux candidats arrivés en tête est assez faible pour que le juge estime que la fraude a faussé les résultats du scrutin.

Il serait donc logique que la fraude soit, elle aussi, punie par une sanction d'inéligibilité ; cette sanction serait conforme à la philosophie retenue par le groupe de travail, puisque la fraude ne peut pas être involontaire et qu'elle suppose la mauvaise foi.

Proposition n° 38 :

Sanctionner les fraudes électorales par une inéligibilité.

De la même manière, vos rapporteurs ont constaté lors de l'audition de M. Thomas Andrieux, alors secrétaire général de la commission pour la transparence financière de la vie politique, que certaines infractions à la législation sur les déclarations de patrimoine n'étaient pas sanctionnées . Rappelons que les déclarations patrimoniales 82 ( * ) doivent être souscrites par la plupart des élus locaux détenteurs d'une fonction exécutive au début et à la fin de leur mandat et qu'elles sont ensuite contrôlées par la CTFVP, qui est chargée notamment de transmettre au parquet les dossiers pour lesquels elle constate des variations de patrimoine inexpliquées.

Or, dans ses rapports publics successifs, la CTFVP a souligné que si une inéligibilité est prévue à l'encontre des élus qui n'ont pas déposé leur déclaration de situation patrimoniale, aucune sanction n'est applicable à ceux qui ont souscrit une déclaration de patrimoine mensongère . Par conséquent, elle propose que « le fait de lui communiquer sciemment des informations erronées ou relatant des faits matériellement inexacts » soit puni de deux ans d'emprisonnement, de 30 000 euros d'amende et, le cas échéant, de peines complémentaires (interdiction des droits civiques, civils et de famille, et interdiction d'exercer une fonction publique ou une activité de nature professionnelle ou sociale) 83 ( * ) .

Le groupe de travail s'est, sur le fond, associé à ce souhait : il a ainsi estimé que des sanctions pénales devaient être appliquées à ceux qui, de manière délibérée, souscrivent des déclarations de patrimoine mensongères. Une réflexion devra être menée par le Parlement pour déterminer le quantum de peine applicable à cette infraction.

Proposition n° 39 :

Prévoir des sanctions pénales en cas de souscription d'une déclaration de patrimoine mensongère.

5. La question de la composition de la CNCCFP

Le rapport du groupe de travail présidé par Pierre Mazeaud proposait également de modifier la composition de la CNCCFP pour y faire entrer deux anciens parlementaires, l'un de la majorité, et l'autre de l'opposition : en effet, selon ce rapport, ces parlementaires pourraient faire bénéficier la commission (qui est, actuellement, composée exclusivement de magistrats) de leur expérience pratique, et donc lui permettre d'être plus pragmatique dans sa mission de contrôle des comptes de campagne.

La composition de la CNCCFP

La commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, qui a le statut d'une autorité administrative indépendante, est composée de neuf membres qui sont nommés pour cinq ans renouvelables par décret du Premier ministre.

Les neuf membres sont tous des hauts magistrats :

- trois sont nommés sur proposition du vice-président du Conseil d'État ;

- trois sont nommés sur proposition du Premier président de la Cour de cassation ;

- trois sont nommés sur proposition du Premier président de la Cour des comptes.

Cet argument n'a pas convaincu les membres du groupe de travail : la majorité d'entre eux a ainsi estimé que la Commission devait rester une entité essentiellement technique , et que l'entrée en son sein d'anciens parlementaires risquerait de « politiser » l'image de la CNCCFP et donc de nuire à la sérénité de ses travaux.

Proposition n° 40 :

Ne pas modifier la composition de la CNCCFP, qui doit rester composée exclusivement de magistrats.


* 80 Décision n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010.

* 81 CE, Ass., 22 octobre 1992, « Panizzoli » (req. n° 132315).

* 82 Celles-ci sont prévues par le titre premier de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique.

* 83 Quatorzième rapport de la commission, publié au Journal officiel du 1 er décembre 2009.

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