5. Les comportements individuels
La prise alimentaire et l'activité physique sont deux comportements fondamentaux dans l'équilibre ou le déséquilibre de notre balance énergétique.
Notre comportement alimentaire est déterminé par la mise à disposition de nourriture et notre envie de manger. Par conséquent, le nombre de calories ingéré par jour peut varier de zéro à plusieurs milliers.
De même, les variations interindividuelles en matière d'activité physique sont très importantes.
a) Le déterminisme des comportements individuels
On a tendance à associer comportements individuels et préférences de chacun : par exemple telle personne est spontanément active et choisira des activités qui lui permettent de bouger alors que telle autre préfèrera des activités plus sédentaires.
Pour autant, nos comportements sont loin d'être tous des actes décidés par le libre arbitre dans la mesure où ils sont la résultante de contraintes (temporelles, financières), de notre éducation, de notre culture, du poids des habitudes et sont largement influencés par des facteurs psychoaffectifs (humeur, émotions, anxiété, stress), par notre environnement immédiat (notre niche écologique) et plus globalement par la société dans laquelle nous vivons ( voir infra ).
b) Les comportements favorisant le développement de l'obésité
Comme il a été indiqué en introduction de ce chapitre, les causes de l'obésité sont multiples et varient en fonction des individus. Par conséquent, il n'est pas possible d'attribuer le développement de l'obésité à un comportement particulier.
Néanmoins, les recherches scientifiques montrent que certains comportements, associés souvent à une prédisposition génétique, peuvent favoriser le développement de l'obésité.
(1) La sédentarité
Plusieurs facteurs expliquent que la sédentarité puisse encourager le développement de l'obésité.
D'abord, la sédentarité réduit automatiquement notre dépense énergétique. Le nombre de calories ingérées doit donc être adapté en conséquence pour éviter la prise de poids.
En outre, la sédentarité a des conséquences délétères pour notre métabolisme. En effet, l'un des effets métaboliques majeurs de l'activité physique pratiquée sur une base régulière est l'augmentation de l'oxydation des lipides. A contrario, la sédentarité réduit notre capacité à utiliser les substrats lipidiques vis-à-vis des glucides et conduit à un stockage plus important des graisses.
(2) Le temps passé devant un écran
Non seulement la sédentarité favorise le développement de l'obésité, mais certaines activités sédentaires paraissent plus responsables que d'autres.
Ainsi, plusieurs études ont montré une corrélation linéaire entre le temps passé par des enfants devant la télévision et le risque de développer de l'obésité. Un tel lien n'a pas été retrouvé avec la lecture.
Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer ce lien. Outre l'absence de dépense énergétique propre à toute activité sédentaire, il semblerait que la télévision favorise les prises alimentaires « inconscientes », contribuant indirectement à une augmentation de la prise alimentaire.
A cet égard, une étude américaine sur les individus ayant réussi à perdre du poids pendant plus d'un an a montré que ces derniers regardaient 1/3 de moins la télévision que ceux qui n'ont jamais réussi à atteindre ce résultat.
(3) La consommation de boissons sucrées
Plusieurs études (essentiellement américaines) suggèrent que la consommation de boissons sucrées constitue un facteur de risque en matière de développement de l'obésité.
Selon une étude de George Bray publiée en 2010, aux Etats-Unis, le sucre ajouté sous forme de fructose (réalisé à partir du sirop de maïs) représente 318 calories quotidiennes en moyenne pour chaque Américain de plus de deux ans, soit 16 % de l'apport calorique total. Chez certains individus, les calories absorbées par la consommation de boissons sucrées peuvent représenter jusqu'à 25 % de l'apport journalier énergétique total.
Par ailleurs, 2/3 de la consommation de fructose aux Etats-Unis concernent les boissons sucrées.
Or, plusieurs études ont montré que notre organisme était beaucoup moins capable de quantifier les calories ingérées sous forme liquide que celles sous forme solide. La consommation de boissons sucrées a donc un double inconvénient : non seulement elle ajoute des calories que les individus ne mangeraient pas, mais en outre, l'effet de satiété est limité.
Des études longitudinales sur les adolescents ont révélé que la quantité de boissons sucrées ingérées par ces derniers permettait de prédire à la fois leur indice de masse corporelle au moment de leur entrée dans l'étude, mais également son évolution au cours de l'étude.
En France, la consommation de boissons sucrées a augmenté de 4,5 % par an en moyenne de 1960 à 2000.
(4) Le grignotage
Le grignotage n'est pas un repas et doit être distingué des collations que certains individus (en particulier les enfants) prennent en dehors des trois repas traditionnels, comme le goûter vers 16h, par exemple.
En effet, le grignotage n'est pas un acte déclenché par la faim (associée physiologiquement à une légère hypoglycémie), mais plutôt un acte social ou déclenché par une émotion comme le stress ou l'ennui.
Le grignotage a deux effets pervers.
D'abord, il n'est pas pris en compte par l'organisme dans la régulation homéostatique et contribue ainsi à déséquilibrer la balance énergétique puisqu'il est rarement compensé par une consommation moindre au repas suivant.
En outre, les lipides ingérés lors d'un grignotage sont plus facilement stockés que s'ils avaient été absorbés au cours d'un repas.
En effet, l'insulinémie est plus haute dans une situation dans laquelle l'individu n'a pas faim que lorsqu'il a faim. La prise alimentaire va provoquer une sécrétion d'insuline, mais celle-ci sera d'autant plus élevée que l'insulinémie était haute avant l'action de grignotage.
Concrètement, la même quantité de glucides de la même tartine sera plus vite utilisée et les lipides plus vite mis en réserve (et en plus grande quantité) lorsque cette tartine est grignotée que lorsqu'elle est consommée au petit déjeuner, après une période de jeûne.
En outre, les aliments consommés lors d'un grignotage sont essentiellement des éléments palatables, donc à forte densité énergétique.
En France, la part en volume des confiseries et du chocolat dans l'alimentation est passée de 3 % en 1960 à 4,7 % en 2001.
(5) Les troubles du comportement alimentaire
Les troubles du comportement alimentaire sont caractérisés par des perturbations physiologiques ou psychologiques de l'appétit ou de la consommation alimentaire. Les plus connus sont la boulimie et l'anorexie mentale.
Certains troubles du comportement alimentaire entraînent souvent le développement d'une obésité morbide (IMC = 40).
(a) L'hyperphagie boulimique
Elle consiste à manger en quantité déraisonnable et hors de contrôle de façon assez fréquente. Les prises alimentaires sont particulièrement rapides et ont lieu sans sensation de faim.
Contrairement à la boulimie, dont la définition est précise et où l'individu se fait vomir pour "évacuer" la prise alimentaire, il n'y a pas de phénomènes de compensation, ce qui contribue à la prise de poids.
(b) La restriction cognitive
La restriction cognitive peut être à l'origine du développement de troubles du comportement alimentaire.
Elle est généralement associée à une stratégie de perte de poids . Dans cet objectif, les individus s'imposent souvent des limites rigides pour réguler leurs prises alimentaires, déterminées par des règles et des croyances concernant les aliments et quantités permis.
L'application de ces règles alimentaires conduit à un comportement alimentaire en décalage avec les systèmes physiologiques de régulation de la prise alimentaire. La faim, les appétits spécifiques et le rassasiement ne sont plus pris en compte et ne guident plus les prises alimentaires. L'individu lutte contre ses envies de manger et doit leur opposer différentes stratégies afin de ne pas y céder. La restriction cognitive développe donc des frustrations et des obsessions alimentaires.
Quand, pour une raison variable (telle que l'exposition à des aliments interdits ou encore des variations psychologiques), la limite est transgressée, l'individu perd le contrôle de son comportement alimentaire, ce qui entraîne des accès hyperphagiques, des compulsions ou des crises boulimiques. S'instaure alors un cercle vicieux dans lequel les phases de grandes restrictions vont succéder à des phases de désinhibition.
Comme font remarquer Gérard Apfeldorfer et Jean-Philippe Zermati, membres fondateurs du groupe de réflexion sur l'obésité et le surpoids : « le couple frustration-culpabilité est un dérégulateur puissant des mécanismes de régulation. La lutte permanente du sujet contre ses envies de manger provoque une frustration gonflant comme une vague qui viendra ensuite éclater dans une compulsion d'autant plus bruyante que la frustration aura été longue et péniblement vécue. Le rattrapage calorique n'est pas proportionnel au déficit dû à la restriction préalable. À l'opposé, la culpabilité conduit le mangeur restreint à tenter de surcompenser ses écarts alimentaires par une privation exagérée, sans rapport avec la régulation physiologique exigée par l'organisme, mais davantage proportionnelle à l'intensité de la culpabilité ressentie.
Le trouble du réconfort dénature profondément la relation affective du mangeur avec sa nourriture. On considère habituellement que les individus obèses mangent en excès parce qu'ils viennent puiser dans les aliments une forme de réconfort. Il se pourrait, au contraire, que l'anomalie ne réside pas dans le fait de chercher à se réconforter en mangeant, mais dans l'incapacité à y parvenir. Des travaux ont pu démontrer chez l'animal, aussi bien que chez l'humain, que les prises alimentaires constituaient une réponse ordinaire au stress.
La restriction cognitive empêche que la prise alimentaire soit réconfortante dans la mesure où le mangeur ne peut penser du bien d'aliments qu'il juge néfaste au contrôle de son poids, voire à son état de santé. Il est donc conduit à poursuivre vainement sa consommation à la recherche d'un réconfort qu'il pressent sans jamais pouvoir l'obtenir. »
Les régimes amaigrissants, notamment ceux qui laissent espérer une perte de poids importante et rapide, ont une responsabilité non négligeable dans le développement de la restriction cognitive.
Cette théorie permet également de mieux comprendre l'échec à long terme des régimes amaigrissants.
Janet Polivy définit ainsi la pratique des régimes comme « le fait de remplacer un comportement alimentaire régulé par des critères internes, par des comportements alimentaires planifiés et déterminés selon des critères cognitifs, ou des comportements alimentaires modelés sur des régimes définis, ou encore une restriction alimentaire globale. »
(6) La réduction du temps de sommeil
Au cours des 40 dernières années, la durée de sommeil a été réduite de 1h30 mn. Une enquête réalisée en France en 2009 sur ce sujet a montré qu'un tiers des gens dorment 6h ou moins par nuit.
Une autre enquête effectuée en 2004 avait évalué le besoin en sommeil des adolescents à 9h. En réalité, 80 % des adolescents dorment 8h ou moins.
Or, plusieurs études ont montré qu'une restriction répétée du sommeil avait des conséquences métaboliques.
A court terme, la tolérance au glucose diminue et le fonctionnement des cellules â est altéré. En outre, on observe une réduction du taux de leptine anorexigène et une augmentation de celui de la ghréline (orexigène).
Depuis 1999, plus de 60 études épidémiologiques ont montré une relation entre le manque de sommeil et l'obésité et ou le diabète.
Au niveau de la population, on peut imaginer que la diminution générale des temps de sommeil puisse entraîner une augmentation de la prévalence de l'obésité. Même si cette hypothèse reste encore à être démontrée, certaines études suggèrent que les personnes en surpoids pourraient être particulièrement sensibles à un risque d'altération métabolique en cas de restriction du sommeil.