2. L'épidémiologie
Sur le plan étymologique, l'épidémiologie est la discipline (logos) qui étudie l'influence de divers facteurs sur (epi-) des populations (demos=cité). Elle est issue des démarches de santé publique pour combattre les épidémies et les affections d'origine infectieuse au 19 e siècle. Mais la reconnaissance de l'influence du milieu sur la santé des individus remonte à l'origine de la médecine.
Schématiquement, l'épidémiologie remplit trois fonctions.
a) L'épidémiologie descriptive
D'abord, elle mesure la fréquence d'une pathologie à travers la collecte de données . C'est ce qu'on appelle l'épidémiologie descriptive.
En France, la mesure de la prévalence de l'obésité fait l'objet de deux types d'études :
- des études reposant sur des données autodéclarées, telles celles organisées tous les trois ans par les laboratoires Roche et l'INSERM à travers ObEpi. Elles ont l'avantage de ne pas être trop coûteuses et de pouvoir donc être réalisées à des intervalles réguliers. L'étude ObEpi est ainsi menée tous les trois ans, ce qui permet d'avoir un suivi rapproché de l'évolution de la prévalence de l'obésité. L'inconvénient majeur de ce type d'étude est la fiabilité relative des données recueillies. En effet, l'autodéclaration conduit les individus à surestimer leur taille (en particulier chez les hommes) et à sous-estimer leur poids (en particulier chez les femmes), et ce d'autant plus que la taille est petite et le poids important ;
- des études reposant sur des données mesurées par les enquêteurs et basées sur un échantillon représentatif de la population. L'étude nationale nutrition santé obéit à ces critères. Elle a l'avantage de donner des résultats fiables. En revanche, les coûts impliqués par ce genre d'études limitent leur périodicité.
Le choix du type d'étude épidémiologique à conduire résulte donc d'un arbitrage à faire entre la fréquence des indicateurs et leur précision.
b) L'épidémiologie analytique
Au-delà des statistiques concernant une pathologie dans une population donnée, l'épidémiologie dispose d'outils permettant d'étudier l'étiologie ou les facteurs de risque en relation avec la probabilité de développer une maladie.
C'est l'objet de l'épidémiologie analytique qui compare toujours des groupes en fonction de la question posée. On distingue globalement deux types d'approches :
- Les études de cas-témoins : elles sont basées sur la comparaison de deux groupes, le premier, constitué des « cas » (individus atteints de la maladie étudiée, ceux exposés à un risque, les porteurs d'une mutation) ; l'autre (le groupe des « témoins »), est choisi de telle manière qu'il soit comparable au premier pour toutes les caractéristiques (par exemple âge, sexe, poids), à l'exception de celle qui est étudiée, mais il peut aussi correspondre à la population générale sans critère de sélection.
La comparaison permet de rechercher une différence entre « cas » et « témoins » pour un paramètre donné (proportion des personnes diabétiques chez les personnes obèses comparée à la proportion de diabétiques dans la population générale), puis de tester la signification statistique. La comparaison peut être construite de différentes façons, mais in fine il s'agit d'obtenir une mesure de comparaison permettant d'exprimer le risque relatif de développer une maladie si une condition est satisfaite (une personne obèse s'expose à un risque trois fois plus important d'être diabétique qu'une personne non obèse).
- Les études de cohortes : une cohorte consiste à suivre pendant plusieurs années ou plusieurs décennies une population de sujets, sains ou malades, afin d'étudier sur le long terme de nombreux déterminants de la santé et leurs interactions avec les facteurs génétiques et environnementaux.
Le groupe d'individus étudiés est constitué au départ (on dit que les individus sont recrutés), puis les observations d'événements (développement de la maladie) sont enregistrées au fur et à mesure de leur occurrence. De façon générale les études de cohortes concernent un grand nombre d'individus et sont plus puissantes, les témoins (ceux qui ne développent pas la maladie) étant internes. En effet, il est toujours difficile de s'assurer que le groupe témoins ne comporte aucun biais. Mais l'étude de cohortes est plus longue et comporte aussi des difficultés liées à la compliance, c'est à dire qu'elle repose sur la bonne volonté des participants à répondre à des questionnaires, à se présenter aux consultations, à subir les examens prévus, etc.
En France, plusieurs cohortes existent visant, notamment, à mieux comprendre les déterminants de l'obésité, mais également à établir une relation entre l'obésité et ses conséquences en matière de risques pour d'autres maladies.
Ainsi, la cohorte EDEN (Etude des déterminants pré et post natals du développement de la santé de l'enfant) porte sur 2 000 femmes enceintes recrutées entre 2003 et 2006. Elle prend en compte une multitude de facteurs tels que le poids de naissance, l'état de santé de la mère, sa nutrition, l'environnement social et psychoaffectif dans lequel elle évolue, les éventuels toxiques et allergènes auxquels elle est exposée, les incidents survenus au cours de la grossesse ou encore le choix d'un allaitement au sein. L'objectif est de pondérer chacun de ces facteurs pour savoir quel rôle il joue dans le développement ultérieur de l'enfant.
La cohorte EDEN a déjà permis de distinguer plusieurs facteurs associés à la vitesse de croissance précoce des enfants tels que la corpulence et la taille des parents ; le tabagisme ou encore le mode d'alimentation du nouveau-né.
De même, la cohorte Elfe (Etude longitudinale sur l'enfant) est une étude longitudinale de 20 000 enfants en France nés en 2009 et qui seront suivis pendant 20 ans, de la naissance jusqu'à l'âge adulte.
Les objectifs de cette cohorte sont les suivants :
- suivre l'évolution du cadre de vie de l'enfant et ses conséquences sur son développement physique et mental ;
- étudier les interactions entre ce cadre de vie et le parcours scolaire de l'enfant ;
- mesurer les conséquences d'éventuels problèmes survenus au cours de la grossesse, sur le développement de l'enfant ainsi que les conséquences de l'état de santé de l'enfant à sa naissance ;
- observer les pratiques alimentaires et leurs effets sur la croissance (surpoids, obésité) ;
- évaluer les expositions de l'enfant aux pollutions environnementales et l'association avec la survenue de pathologies ;
- mesurer l'incidence et la prévalence des pathologies de l'enfant à différents âges.
La cohorte Nutrinet lancée en 2009 vise à mieux évaluer les relations entre la nutrition et la santé et de comprendre les déterminants des comportements alimentaires. Elle étudiera, sur un large groupe de personnes vivant en France :
- les comportements alimentaires et leurs déterminants en fonction de l'âge, du sexe, des conditions socio-économiques, du lieu de résidence, etc ;
- les relations entre les apports alimentaires, l'activité physique, l'état nutritionnel et la santé . Tous les grands problèmes de santé seront étudiés, entre autre l'obésité, l'hypertension artérielle, le diabète, les dyslipidémies, les maladies cardiovasculaires, les cancers, etc.
Le but de cette étude est d' identifier des facteurs de risque ou de protection liés à la nutrition pour ces maladies, étape indispensable pour établir des recommandations nutritionnelles permettant de prévenir le risque de maladies et d'améliorer la qualité de la santé de la population actuelle et des générations futures.
Cette cohorte présente l'originalité d'effectuer son recrutement par Internet, l'objectif étant d'arriver à sélectionner 500.000 individus.
Au niveau européen , la cohorte EPIC (the European Prospective Investigation of Cancer and Nutrition) a touché 10 pays et 519 977 individus.
A l'origine, l'objectif de l'étude était de mieux connaître le type de régime et de mode de vie permettant de réduire le risque de cancer. Puis la question a été élargie à d'autres types de maladie.
L'avantage de cette cohorte a résidé dans la très grande diversité de la population et du régime alimentaire suivi. Ainsi, la consommation de fibres et de fruits et légumes varie d'un facteur 5 entre les pays méditerranéens et les pays nordiques.
Cette étude a montré les niveaux différents de risque selon la répartition de la masse graisseuse et a mis en évidence la responsabilité de l'obésité abdominale dans le développement de certaines pathologies.
Elle a également permis de définir un seuil au-delà duquel l'adiposité viscérale constitue un facteur de risque (à savoir un tour de taille de 102 cm pour les hommes et de 88 cm pour les femmes).
c) L'épidémiologie évaluative
Enfin, l'épidémiologie évaluative a pour but de mesurer les actions de santé sur le risque de survenue d'une maladie ou encore sur les conséquences d'une maladie. Les cohortes utilisées sont plus petites mais elles permettent de tester les mesures.
d) Vers une épidémiologie moléculaire
L'épidémiologie a profité des progrès technologiques réalisés en biologie moléculaire pour améliorer son efficacité.
Longtemps, l'épidémiologie analytique a reposé sur un modèle d'individus traités comme des boîtes noires. Elle corrélait une situation d'exposition ou un facteur de risque à l'apparition d'une pathologie plusieurs décennies plus tard. Le degré d'exposition restait évalué de façon approximative et il faisait abstraction des diverses voies d'exposition ainsi que des effets biologiques produits. Le point de focalisation restait l'enregistrement de l'état pathologique en fonction du degré d'exposition.
Le développement des biobanques et des biomarqueurs a fait naître une nouvelle épidémiologie, l'épidémiologie moléculaire, qui met en relation des données recueillies avec la recherche des causes d'une maladie sur le plan moléculaire.
Les études se focalisent de plus en plus sur la recherche et la validation de marqueurs de susceptibilité. Les résultats de l'épidémiologie moléculaire sont particulièrement importants dans la mesure où ils fournissent les indicateurs relatifs à l'exposition au risque et permettent d'améliorer les stratégies de dépistage et d'apprécier l'efficacité des mesures de prévention.
Biobanques et biomarqueurs Les marqueurs biologiques (ou biomarqueurs) sont des paramètres biologiques mesurables et faciles à évaluer qui servent d'indices pour la santé et pour les évaluations concernant la physiologie, comme le risque de maladie, les troubles psychiatriques, l'exposition de l'environnement et ses effets, le diagnostic de maladie, les processus du métabolisme etc. Par biobanques , on entend des collections de matériel biologique, tels que l'ADN, le tissu, les cellules et le sang, et les données correspondant à chaque échantillon (sous la forme de rapports médicaux, d'informations sur l'environnement et le mode de vie et le suivi des données, par exemple). |