B. DE PAR LES STIGMATISATIONS QU'ELLE INDUIT
L'obésité est très mal vue dans de nombreux pays industrialisés, à la fois parce qu'elle est perçue comme étant peu souhaitable sur le plan de l'aspect physique et à cause des failles de caractère qu'elle est censée indiquer.
La stigmatisation 13 ( * ) consiste à discréditer un individu désigné comme anormal ou déviant au vu de sa différence avec d'autres individus considérés comme normaux. Cette désignation justifie alors pour l'ensemble de la communauté toutes sortes de discriminations négatives, voire d'exclusion, des sujets ainsi stigmatisés.
Ces derniers n'ont pas le pouvoir de protester contre le sort qui leur est réservé puisqu'ils sont disqualifiés. Ils n'en ont également pas le désir, plus soucieux d'afficher leur adhésion à la pensée dominante de leur communauté sociale pour s'en faire accepter que d'encourir le risque d'aggraver leur marginalisation en manifestant leur désaccord. Peu à peu, ils en viennent à souscrire eux-mêmes aux préjugés négatifs qui les concernent.
Les personnes obèses se construisent ainsi en fonction de ces rejets en développant une dépréciation personnelle altérant l'image de soi et légitimant ces jugements négatifs.
Dans certains cas, la mise à l'écart a commencé tôt dans la vie de l'individu. Souvent, elle induit ou majore les troubles du comportement alimentaire de l'individu.
Les discriminations dont sont victimes les personnes obèses ont un véritable impact sur leur trajectoire sociale dans la mesure où elles influencent négativement leur accès à l'enseignement supérieur et à l'emploi, leurs revenus et leur mobilité professionnelle.
L'obésité ralentirait même la mobilité intergénérationnelle et augmenterait la fréquence de la mobilité intergénérationnelle descendante. En effet, celle-ci est influencée par trois facteurs qui n'ont pas les mêmes conséquences selon le sexe considéré : le niveau d'éducation, l'activité professionnelle et le mariage.
Pour les hommes, l'éducation et l'activité professionnelle ont un rôle plus important, alors que le mariage reste plus déterminant pour les femmes. C'est ainsi que les femmes minces font plus fréquemment des mariages ascendants (elles épousent des hommes de statut social plus élevé qu'elles) et qu'à l'inverse, les femmes obèses réalisent plus souvent des mariages descendants. Sous la pression du modèle d'esthétique de minceur, le mariage apparaît comme une véritable « gare de triage » selon les propos de Jean-Pierre Poulain, orientant les femmes minces vers le haut de la société et les femmes obèses vers le bas.
L'association entre obésité et statut socio-économique fonctionne donc dans deux sens : le statut socio-économique influence la prévalence de l'obésité ; à l'inverse, l'obésité va influencer la mobilité sociale et in fine , le statut socio-économique.
* 13 Ce paragraphe s'inspire largement des travaux réalisés sur cette question par Gérard Apfeldorfer, Michelle Le Barzic, Jean-Pierre Poulain et Jean-Philippe Zermati.