M. Philippe AGHION, professeur d'économie à Harvard (par téléphone)
Je voulais aborder quatre points. D'abord, le critère d'évaluation de Shanghai a été critiqué pour mélanger les pommes et les poires. On mélangeait des indices de citation d'articles, les prix Nobel ou des médailles Fields. C'est mélanger des choses qui ne sont pas vraiment comparables pour faire un indice agrégé. Ce sont des indices qui donnent un certain poids à la taille, qui favorisent les gros établissements et les sciences dures, comme cela a été très bien expliqué auparavant. J'ai fait plusieurs études sur l'enseignement supérieur. Comme je n'aurai pas le temps de parler longtemps, ceux qui sont intéressés peuvent regarder dans Bruegel : j'avais fait un document « Why reform Europe's universities » avec quelques collègues. J'ai un article qui est paru dans Economic policy , une revue d'économie sur les déterminants du succès universitaire. Shanghai n'est pas le seul critère. On pourrait considérer, par exemple, un critère qui repose sur les publications et les citations des publications. On pourrait considérer un autre critère qui est celui des brevets qui émanent des universités, ou un autre critère qui est la contribution à la croissance du pays ou de la région. J'ai fait des études utilisant les quatre indicateurs. Les conclusions auxquelles on arrive sont les mêmes que l'on utilise un indicateur ou l'autre. Peut-être que le classement changerait un peu, mais quand on arrive à des conclusions de politique économique, que l'on prenne n'importe lequel de ces quatre indicateurs, cela vous donne une bonne idée des universités qui ont une bonne ou une moins bonne performance. Si vous vous intéressez à ce qui détermine le classement en termes de n'importe lequel de ces indicateurs, on trouve de manière invariable qu'il y a trois éléments essentiels. Ces indicateurs varient de façon co-monotone et ils ont les mêmes déterminants, qui sont les moyens. Sans argent, on n'y arrive pas. La deuxième chose est l'autonomie budgétaire et l'autonomie dans la décision d'embaucher, la détermination des salaires, des professeurs, des programmes. C'est très important.
Le troisième pilier est la concurrence pour les bourses, une AMR, une MSF aux États-Unis, une Open research council en Europe et qu'une partie des financements de l'université provienne du recours à la concurrence pour avoir des bourses. Ces trois éléments sont les clés de la réussite. C'est vrai, quelle que soit la mesure de succès que l'on utilise. Des moyens, de l'autonomie, de l'autonomie bien comprise. Je suis assez critique d'une autonomie où le président a tous les pouvoirs. Je suis très en faveur d'un président qui soit contrôlé par un Conseil d'administration, comme on le fait pour les entreprises. Les Canadiens l'ont fait pour les entreprises publiques. Ils ont mis en place des Boards of trustees publics, des gens de la région, mais il y a quand même un contrôle, des gens qui se réunissent chaque année et qui disent « alors, le budget, les publications », parce que sinon, vous tombez dans le danger qu'un président médiocre nomme des professeurs médiocres qui élisent eux-mêmes un président médiocre. On voulait éviter un cercle vicieux de ce genre. Une autonomie bien conçue et un aspect concurrence. Ce sont des éléments très importants pour s'assurer que l'on va avoir de bonnes performances de recherche, quelle que soit la manière dont c'est mesuré.
Le troisième élément, ce sont les classements eux-mêmes et tout dépend si on veut être dans les 50 premiers de Shanghai, dans les 100 premiers ou dans les 200 premiers. Si vous regardez les 100 premiers, vous avez les États-Unis à 100, l'Angleterre à 86 mais également la Suisse. Vous n'avez pas beaucoup d'autres pays, un peu la Finlande. Dans les 100, vous avez également la Suède, le Danemark, les Scandinaves, un peu moins l'Allemagne et la Hollande. Si vous vous référez aux 100 premiers de Shanghai, vous avez des systèmes plus privés comme l'Angleterre ou les États-Unis et des systèmes plus publics comme la Suède, où l'on ne paye pas de droits d'inscription et où la sélection se fait une fois dans l'université. C'est intéressant car il y a des modèles sociaux différents qui peuvent tous deux conduire à de bonnes performances dans les 100 premiers de Shanghai. Dans les deux cas, vous avez des moyens pour l'université, vous avez de l'autonomie et une concurrence pour les bourses. Je crois qu'il est très intéressant de savoir que différents systèmes sociaux peuvent conduire à de très bons classements de Shanghai parce qu'ils ont ces trois éléments.
Si on regarde dans les Shanghai top 50, là c'est surtout l'Angleterre, la Suisse et les États-Unis qui sont dans les 50 premiers. Les Scandinaves veulent améliorer leur système pour passer de très bons dans les 100 premiers à une présence parmi les 50 premiers. Nous sommes très loin derrière et comme je le dis à chaque fois, heureusement qu'il y a l'Italie pour nous donner un bon visage. Les Italiens sont toujours pires que nous, un peu nous en pire. C'est donc toujours bien de les avoir comme bonne conscience pour nous.
En France, il y a de bons établissements et avec des regroupements intelligents, on pourrait faire beaucoup mieux dans ces classements. Là, on peut revenir à la réforme du grand emprunt qui peut permettre très rapidement d'améliorer la situation chez nous.
La quatrième remarque que je voulais faire : les critères de Shanghai sont des critères de recherche. On peut penser à d'autres critères d'excellence qui sont notamment l'insertion professionnelle. On peut se dire que l'on considère que de bons critères de réussite d'une université, c'est l'aptitude à préparer les gens à une vie professionnelle. Là, on peut se demander quels en sont les déterminants. Je pense que ce serait bien d'avoir aussi de bons indicateurs d'insertion et d'introduire dans le système français une culture du placement des étudiants, de se soucier du placement des étudiants, de leur avenir. Souvent, les gens se plaignent que l'université ne se soucie pas de leur devenir. Je pense qu'il y a une bonne raison à cela, c'est qu'il n'y a pas les moyens. On ne peut pas demander à des professeurs mal payés, qui partagent leur bureau à quatre personnes, comme je l'ai vu à Besançon, qui sont dans des conditions lamentables, à des professeurs qui sont aussi mal lotis, mal payés, de s'occuper du placement des étudiants. Aux États-Unis, on le fait parce qu'on dispose de très bons moyens. Chacun a son bureau. Nous avons un secrétariat, toute une infrastructure et une charge de cours qui n'est pas excessive, qui nous permet de passer beaucoup de temps à donner des coups de téléphone et à conseiller les étudiants et à nous occuper de leur insertion. Je pense que l'une des premières clés de l'insertion, ce sont les moyens. En France, on dépense en moyenne 8 000 euros par an par étudiant, alors qu'aux États-Unis on dépense en moyenne 36 000 euros par an par étudiant. C'est une énorme différence et je crois qu'on ne peut pas sérieusement s'occuper d'insertion professionnelle tant que les moyens n'auront pas été considérablement augmentés.
Il y a eu aussi d'autres idées qui ont été émises pour le premier et le second cycle : c'était de retarder la spécialisation. Aux États-Unis, on se spécialise plus tard. Les gens choisissent plusieurs disciplines au début et après ils choisissent un major , une spécialisation. La spécialisation se fait progressivement. Cela réduit le taux d'échecs. Cela veut dire qu'on peut réaliser qu'on n'est pas aussi bon qu'on le pensait dans ce que l'on voulait faire au départ ou bien on découvre qu'il y a d'autres matières que l'on préfère. Il y a eu des comparaisons inter-pays qui montrent que les pays qui se spécialisent un peu plus tard ont tendance à former des gens plus adaptés ou adaptables sur le marché du travail. Là, il y a une réflexion à mener qui est très importante à mon avis. Il y a un autre aspect qui a été soulevé : on prépare les grandes écoles au lycée, ce qui fait que l'un des gros problèmes est que le premier cycle universitaire voit très peu des gens brillants qui préparent les grandes écoles. J'aimerais que l'on évolue, mais cela prendra du temps et ce sera une révolution culturelle qui se fera petit à petit. J'aimerais que, petit à petit, les classes préparatoires se déplacent des lycées vers les universités, que l'on prépare les grandes écoles dans l'université et que les grandes écoles fassent partie d'ensembles universitaires, un peu comme on prépare la Kennedy school, la Law school à Harvard, dans une université. Je sais que c'est quelque chose qui prendra du temps parce qu'il faut préserver ce qui existe et qui marche bien, mais je pense qu'il faut quand même songer à une évolution qui ferait que, de plus en plus dans les universités, au niveau du premier cycle, on verrait les étudiants excellents qui, pour le moment, passent le premier cycle au lycée.
Il y a un certain nombre de révolutions à faire, certainement dans la gouvernance des universités pour améliorer les performances de recherche. Il faudrait également réfléchir à une manière de transformer le premier et le second cycle universitaire, de façon à réduire l'échec.
M. Jean-Léonce DUPONT, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement supérieur à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
Je voudrais, peut-être pas au nom des Italiens mais au nom de la salle, vous remercier pour la qualité de la synthèse. Je vais passer la parole à M. Benoît Legait. On disait que, quels que soient les systèmes d'évaluation, on arrivait pratiquement toujours aux mêmes résultats. Je sais que vous initiez une démarche et nous allons vous écouter.