M. Jean-Marc MONTEIL, chargé de mission auprès du Premier ministre
Sur le premier point, je crois qu'il y a un contresens, par rapport à ce que l'on a pu faire et dire. Lutter contre le classement de Shanghai ou avoir une position défensive à son endroit, ce n'est pas créer de grands ensembles de 160 000 étudiants dans une université. Je crois aussi que c'est ingouvernable. Il y en a quelques-unes dans le monde, mais elles sont décomposées en ensembles de dimension inférieure. L'université de Californie est considérable, mais sous la Californie il y a Berkeley, San Diego, Davis...
Je crois que ce qui est important dans l'histoire des pôles de recherche et d'enseignement supérieur, c'est qu'en France, il y a une caractéristique importante : on a une centaine d'établissements d'enseignement supérieur, hors écoles d'ingénieurs. C'est assez considérable.
À Bordeaux, il y a quatre universités : il y a une fac de lettres, une fac de sciences, une fac de médecine, une fac de droit. On a découpé les universités. Il y avait deux universités et on en a fait quatre, pour des raisons contraires à celles d'aujourd'hui et on a fait de la délocalisation multiple. Il ne s'agit pas de créer de grands ensembles ingouvernables. Il s'agit de faire en sorte qu'il y ait des structures de coopération qui permettent des mutualisations minimales sur des espaces.
Vous prenez Paris et vous vous demandez où est la bibliothèque accessible à tout le monde et repérable. Elle n'existe pas. Vous regardez ce qui se passe sur les grands sites universitaires géographiques : vous avez autant de dispositifs d'accès pour les étudiants que vous avez d'universités. Quand vous commencez à mutualiser un certain nombre de choses, vous augmentez la probabilité de satisfaire un certain nombre de besoins et d'exigences du monde étudiant. Cela vaut aussi pour la recherche.
Je vais prendre un exemple simple : quand vous avez trois universités dans une même ville et dans lesquelles vous avez trois fois de la physique dans chacune des universités, vous pouvez vous poser la question de savoir s'il ne serait pas utile d'avoir une petite coopération et d'avoir une seule faculté des sciences plutôt que d'en avoir trois. Quand vous cumulez l'effectif de chacune de ces facultés des sciences, vous n'arrivez pas à atteindre la démographie qui existait il y a dix ans dans les mêmes UFR. C'est un vrai sujet. La question n'est pas la taille, mais la coopération possible entre des établissements pour optimiser un certain nombre de situations qui sont invariantes pour tous les établissements. Quand on regarde les services communs interuniversitaires, c'étaient des structures de coopération : la médecine préventive, les services université-culture. Aujourd'hui, il faut regarder à la fois dans l'espace formation, dans l'espace recherche, la pluridisciplinarité. On disait que l'on se spécialise beaucoup plus tard aux États-Unis. On a tendance à se spécialiser dès la fin de la classe de troisième. C'est un vrai sujet. L'intérêt, pour avoir une ouverture pluridisciplinaire, regarder un même objet sous des points de vue différents, c'est de créer des coopérations qui sont susceptibles d'exister grâce aux disciplines différentes qui sont sur un site. Faciliter une coopération mais une coopération opérationnelle. Vous pouvez avoir ensuite un certain nombre d'opérations qui sont réalisées parce que les sites locaux ont considéré que c'était pertinent.
Strasbourg a créé seule une université de 47 ou 48 000 étudiants. À mes yeux, on est à la limite maximale de ce que l'on peut faire. On en avait d'autres. Nanterre était à ce niveau, Nantes était très élevée parce qu'il n'y en avait qu'une. Il y a des démographies relativement importantes. Au-delà d'un certain seuil, les choses deviennent plus compliquées. C'est un chapeau. L'université de Californie est un chapeau et en dessous il y a les établissements autonomes. Ce n'est pas la peine de créer de grands dispositifs si en dessous vous créez des structures filialisées et les articles dérogatoires au dispositif général. J'ai le sentiment qu'il y a une mauvaise interprétation de ce qui est en train d'essayer de se faire. J'ajoute quelque chose qui est important et qui est passé inaperçu aux yeux du grand public : on a annoncé il y a peu de temps que le CNRS était le premier organisme mondial de production scientifique. Personne ne s'est levé pour dire que le CNRS n'existait pas au sens d'organisme mondial de production scientifique, puisqu'il est une mixité avec tous les établissements universitaires et les écoles. Personne n'a pensé à dire que cela représentait autour de 70 % de la production scientifique française, mais tout le monde a trouvé cela normal. Le CNRS est le premier organisme du monde. On est dans une situation de mixité. Il est important sur un site universitaire - les collègues qui sont dans cette salle le savent - dans le domaine scientifique vous avez des endroits où les publications... À Saint-Martin-d'Hères, est-ce que c'est l'université de Grenoble ? Est-ce que le laboratoire CNRS, unité mixte 6 024 à Aubière, est l'université de Clermont-Ferrand ? Personne ne sait ce qu'est Aubière. À Stanford ou Berkeley ou dans les grandes bases de connaissances, on ne sait pas que cela existe et dans cette salle non plus. Pourtant il y a une unité mixte qui signe dans ce sens. C'est une publication CNRS, ce n'est pas une publication de l'une des deux universités. Cet exemple est important. Il est utile d'avoir une intégrale sur un site pour donner à voir l'université de Bordeaux, par exemple. Ensuite il y a I, II, III, IV. L'étudiant qui est à Stanford, se demande : je vais à Bordeaux I, Bordeaux II ? Non, je vais à l'université de Bordeaux et sous l'université de Bordeaux, j'ai quatre établissements autonomes. J'ai un chapeau coopératif qui peut être un pôle de recherche et d'enseignement supérieur.
Quant à l'équité, ce que vous avez dit est très vrai. Mais les universités à plusieurs vitesses on n'est pas en train de les créer, elles existent. Le problème n'est pas tellement les différences qui sont susceptibles d'exister mais d'optimiser la qualité de ce qui se fait dans chacun des dispositifs au bénéfice même des étudiants. Vous avez raison quand vous parlez de la mobilité à l'intérieur de l'espace national, la culture de la mobilité est un vrai sujet dans notre pays, mais bien sûr que c'est un problème de moyens. La mobilité pour accéder à des études à Paris, la question est comment je me loge. C'est une question fondamentale.
M. Jean-Léonce DUPONT, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement supérieur à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
Nous allons en rester là pour cette première table ronde et je voudrais remercier l'ensemble des intervenants.