2. Les conséquences de l'inflation normative de l'État

Bien que l'État procède rarement à des transferts de compétences par voie réglementaire, force est de constater que l'inflation normative de l'État, qui pourrait être qualifiée, pour certains ministères, « d'incontinence réglementaire », entraîne des conséquences budgétaires non négligeables pour les collectivités territoriales. Deux cas de figure doivent cependant être distingués.

a) Les modifications réglementaires des règles d'exercice d'une compétence transférée

L'article L. 1641-2 du CGCT prévoit que « toute charge nouvelle incombant aux collectivités territoriales du fait de la modification par l'État, par voie réglementaire, des règles relatives à l'exercice d'une compétence transférée, est compensée dans les conditions prévues à l'article L. 1614-1 », c'est-à-dire dans les conditions prévues par la loi.

Bien qu'une norme réglementaire concerne, dans 80 % des cas, les collectivités territoriales, celles-ci ne peuvent souvent invoquer les dispositions de l'article précité, l'État considérant qu'il ne s'agit pas d'une modification des conditions d'exercice d'une compétence transférée.

Par ailleurs, les associations nationales d'élus ont relevé que, dans les cas où les dispositions de l'article L. 1641-2 du CGCT s'appliquent, le montant de la compensation, fixé en loi de finances, peut ne pas correspondre au coût qui sera réellement supporté par les collectivités territoriales, sur plusieurs années, par la modification d'exercice liée à la norme réglementaire.

b) L'activité normative des administrations d'État

L'activité normative des administrations d'État peut conduire à des charges supplémentaires pour les collectivités territoriales, sur lesquelles ces dernières ne disposent d'aucun pouvoir de décision. Ce constat est particulièrement prégnant dans le domaine social, si l'on se réfère au nombre et à la portée des textes proposés à l'avis de la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN).

La commission consultative d'évaluation des normes

Créée par l'article 97 de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative, la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) est une émanation du Comité des finances locales (CFL), au même titre que la CCEC.

Cette instance est obligatoirement consultée sur deux types de textes :

- les mesures réglementaires créant ou modifiant des normes à caractère obligatoire concernant les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics ;

- les propositions de textes communautaires ayant un impact technique et financier sur les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics.

La CCEC peut également être consultée par le Gouvernement sur les projets de loi ou d'amendement concernant les collectivités territoriales et leurs établissements.

Les textes entrant dans le champ de compétence de la CCEN font l'objet d'un avis de celle-ci sur l'impact financier de ces normes pour les collectivités territoriales et leurs établissements. L'impact financier est considéré de manière large puisqu'il tient compte, dans un cadre pluriannuel, des coûts directs et des coûts indirects qu'auront à supporter les collectivités territoriales et leurs établissements. En outre, l'évaluation de l'impact financier porte à la fois sur les augmentations des charges imposées par une réglementation et sur les économies susceptibles d'être réalisées, par exemple, par la suppression ou la simplification d'une réglementation ou d'une procédure.

Le bilan de l'activité de la CCEN, depuis sa création, souligne son efficacité. En effet, en mai 2010, la Commission a examiné 229 projets de textes règlementaires générant un coût avoisinant 1,036 milliard d'euros pour les collectivités territoriales et a permis de réaliser 365 millions d'économies. Surtout, cette commission a permis de réaliser 528 millions d'euros de recettes potentielles pour les collectivités territoriales, principalement au titre du décret relatif à la taxe pour la collecte, le transport, le stockage et le traitement des eaux pluviales, dont l'établissement demeure facultatif.

Selon le rapport d'activité de la CCEN au titre de l'année 2008, 28 % des textes (soit 19 textes) ont été soumis à cette instance par le ministère en charge du travail. Douze d'entre eux l'ont été en application de la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs. Peuvent ainsi être cités :

- le coût de la mise en place des mesures d'accompagnement social personnalisé (MASP) ;

La loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs institue une mesure d'accompagnement social personnalisé (MASP), destinée aux personnes dont les difficultés à gérer leurs ressources menacent leur santé ou sécurité et dont la gestion est confiée aux départements.

La MASP mobilise deux catégories d'actions , régies par les articles L. 271-1 à L. 271-8 du Code de l'action sociale et des familles :

- une aide à la gestion des prestations sociales , destinée à éviter l'aggravation immédiate de la situation du bénéficiaire ;

- un accompagnement social personnalisé , plus large, visant à aider les personnes à retrouver une autonomie dans la gestion de leurs ressources.

Cependant, seules les prestations expressément listées par l'article D. 271-2 du Code de l'action sociale et des familles, peuvent faire l'objet d'une telle mesure. Sont notamment concernées : l'aide personnalisée au logement (APL), la prestation de compensation du handicap (PCH), la part du revenu de solidarité active (RSA) égale à la différence entre le montant forfaitaire mentionné et les ressources du foyer ou encore les allocations familiales.

La mise en oeuvre de la MASP s'opère par deux moyens :

- la voie conventionnelle (article L. 271-1 du Code de l'action sociale et des familles) : l'objectif est de responsabiliser le majeur qui perçoit des prestations sociales. Le contrat, conclu pour une durée déterminée de six mois à deux ans, comporte des obligations réciproques entre les parties que sont le président du conseil général, au nom du département, et l'intéressé. Ainsi, le département propose l'ouverture des mesures en faveur de l'insertion sociale du majeur concerné, lui permettant d'atteindre l'autonomie dans sa gestion financière. Quant au majeur vulnérable, il peut confier à la gestion du département tout ou partie des prestations sociales qu'il perçoit, en les affectant prioritairement au paiement du loyer et des charges locatives en cours ;

- la contrainte (article L. 271-5 du Code de l'action sociale et des familles), lorsque l'intéressé refuse de signer le contrat ou qu'il n'en respecte pas les clauses.

Si ces dispositifs ne permettent pas à leur bénéficiaire de surmonter ses difficultés, le président du conseil général transmet au procureur de la République un rapport motivé, comprenant une évaluation de la situation sociale et pécuniaire du majeur ainsi qu'un bilan des actions personnalisées menées en sa faveur. Le procureur de la République peut ensuite saisir le juge des tutelles d'une demande d'ouverture d'une mesure judiciaire de protection (sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle) ou d'une mesure d'accompagnement judiciaire.

Dans un contexte budgétaire contraint pour les départements, le financement de la MASP, à la charge des conseils généraux, soulève d'importantes difficultés financières, d'autant plus préoccupantes que le recours à la MASP ne cesse de s'accroître, le nombre de personnes en situation de grande vulnérabilité connaissant une croissance soutenue, compte tenu de la conjoncture économique actuelle.

- le projet de décret supprimant la compétence de l'État en matière de protection des jeunes majeurs : bien que ce dernier n'ait pas été pris, suite à l'avis défavorable de la CCEN, la quasi-disparition des crédits du budget de l'État pour le financement de cette politique s'est traduite par un transfert, de facto , de son coût sur le budget des départements.

Un autre exemple concerne les mesures relatives à la fonction publique. Un décret du 14 janvier 2010 19 ( * ) augmente de deux points le taux de la contribution applicable au traitement indiciaire et à l'éventuelle nouvelle bonification indiciaire (NBI) versés aux personnels de l'État détachés, qui passe ainsi de 60,14 % à 62,14 %. Cette augmentation se traduit par un surcoût de plusieurs dizaines de milliers d'euros sur les dépenses de personnel des collectivités territoriales, mais ne donne lieu à aucune compensation financière de la part de l'État. Pourtant, ce relèvement du taux des pensions civiles fait suite à une succession d'augmentations intervenues depuis 2007 : relèvement de la contribution de 33 % à 39,50 % au 1 er janvier 2007, puis à 50 % au 1 er janvier 2008 et à 60,14 % au 1 er janvier 2009, ce qui se traduit, pour un département moyen, par une charge cumulée de plusieurs millions d'euros.

Les associations nationales d'élus ont également pointé les conséquences budgétaires nées de l'application de l'ensemble des normes définies par la loi du 11 février 2005 20 ( * ) . Par exemple, dans certains départements, les travaux d'accessibilité des points d'arrêt de transports scolaires peut représenter jusqu'à 100 % du budget départemental, alors que les conseils généraux ont mis en place des dispositifs de substitution, avec des transports à la demande, qui donnent entière satisfaction aux usagers qui y ont recours.


* 19 Décret n° 2010-53 du 14 janvier 2010 portant fixation du taux de contribution employeur due pour la couverture des charges de pension des fonctionnaires de l'État.

* 20 Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

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