TROISIÈME TABLE RONDE : LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION ET LES SCIENTIFIQUES
M. Claude BIRRAUX
Mesdames, messieurs, je vous prie de bien vouloir regagner vos places. Nous allons aborder cette troisième table ronde sur « Le principe de précaution et les scientifiques ». Le premier intervenant est M. Michel Caboche, directeur de recherche à l'INRA, membre de l'Académie des sciences et par ailleurs membre du Conseil scientifique de l'Office parlementaire.
A. M. MICHEL CABOCHE, DIRECTEUR DE RECHERCHE À L'INRA, ACADÉMIE DES SCIENCES
Merci, Monsieur le Président. Ma présentation portera essentiellement sur les OGM, issus, comme vous le savez, du fait que l'ensemble du règne vivant a pour support de l'information génétique l'ADN ; de plus, l'ensemble du règne vivant a le même code génétique, à quelques petites nuances près, qui permettent de transférer éventuellement un gène d'une espèce dans une autre et d'obtenir de cette manière des organismes transgéniques. On sait le faire depuis 1983 pour les plantes, ce n'est donc pas si nouveau ; néanmoins, a lieu dans notre pays un intense débat au sujet des risques que présente la culture de ces OGM : nombreux sont ceux qui pensent qu'en introduisant un gène d'une espèce dans une autre, on a dénaturé la plante qui, dès lors, doit avoir des défauts à trouver. Avec un certain acharnement, beaucoup de travaux visent à démontrer que ces OGM sont effectivement dangereux. Dangereux pour l'environnement par exemple, en devenant des plantes invasives, qui vont envahir la planète. Dangereux pour le consommateur : des substances toxiques nouvelles vont être fabriquées par ces plantes et être dangereuses pour la santé et l'alimentation. Dangereux pour l'agriculteur parce qu'il est dans un système de production où il va passer sous le contrôle d'une multinationale, Monsanto, la firme démoniaque que vous connaissez.
Les plantes OGM ont fait l'objet d'une procédure légale de mise en culture et d'essais à partir de 1986. La Commission de génie biomoléculaire (CGB) a effectué ce travail d'examen des dossiers déposés pendant de nombreuses années et transmettait ses recommandations aux tutelles, ce qui permettait aux ministères de l'Agriculture et de l'Environnement de prendre des décisions de mise en culture. Je pense intéressant de noter que, dès le début, dès 1990, on faisait déjà des travaux d'évaluation des risques associés à l'usage de ces OGM. Par exemple, dès 1995, on faisait des travaux sur les colzas à l'INRA visant à regarder si les gènes de résistance aux herbicides des colzas transgéniques pouvaient « passer » dans des espèces apparentées au colza et se disperser dans l'environnement. Nous n'avons donc pas attendu la mise en place du principe de précaution pour nous préoccuper par avance des risques encourus avec ces OGM. En 2007, il y avait encore en France 22 000 hectares de maïs transgéniques dont la culture était validée par la CGB jusqu'à ce que tout cela soit remis en question.
Le principe de précaution a été invoqué par les organisations anti-OGM pour contester d'abord les conditions dans lesquelles les autorisations de culture étaient données par la CGB, en particulier par une remise en question de la valeur du test de toxicologie. Les organisations anti-OGM ont ensuite exigé un moratoire sur les OGM au niveau européen et, en parallèle à ces revendications, de nombreuses opérations de destruction d'essais OGM ont été organisées en toute impunité.
Voici une diapositive illustrant cette situation. Ces destructions d'OGM ont davantage un caractère symbolique qu'elles ne sont volontairement destinées à détruire une plante dangereuse. En effet, on peut constater que, dans ces opérations, les faucheurs volontaires ne prennent pas beaucoup de précaution pour leur santé : s'ils considéraient ces OGM comme véritablement dangereux, ils prendraient gants, capes de protection, etc. mais ce n'est absolument pas le cas, ce qui montre qu'il s'agit davantage d'une démonstration de leur inutilité sociale que l'on veut faire plus que d'une préoccupation réelle des risques qu'ils sont censés causer.
Cet exemple d'essai en champ, qui se trouve maintenant à l'écran, a été réalisé avec des collègues de mon Institut dans le cadre du programme Génoplante. Il avait pour but de mettre au point une technique permettant de réduire les besoins des maïs en fertilisants, qui requièrent une grosse quantité d'azote pour pousser : l'objectif était de tester par transgénèse une nouvelle stratégie de réduction des besoins en éléments nutritifs, en azote en particulier. L'essai, mené par un étudiant en thèse, a été détruit deux années consécutives.
Vous devez savoir que, dans le même ordre d'idées, d'autres destructions ont très récemment eu lieu dans notre Institut. A Colmar on a fait des essais sur la vigne, dans le but de bloquer une maladie que l'on ne sait actuellement pas contrer, le court-noué, en utilisant une technique de transfert de gènes. Cet essai a été détruit par une nouvelle catégorie d'individus de notre société, qui sont ce que j'appellerais des justiciers écologistes. Ils font justice eux-mêmes mais n'attendent pas que la justice de notre pays agisse en leur nom.
Le Grenelle de l'Environnement a été conçu pour avancer sur les questions relatives à l'environnement, mais ce processus a été bloqué par l'exigence des organisations anti-OGM de décréter un moratoire sur la culture des OGM, avant même d'engager toute discussion. Le président Sarkozy a cédé à cette pression et a invoqué le principe de précaution pour souhaiter que la culture des « OGM pesticides » soit suspendue en attendant les conclusions d'une expertise, qui sera conduite par une nouvelle instance. Il est intéressant d'analyser le terme d'OGM pesticide : il sous-entend que des plantes sont devenues semblables à des produits chimiques mis au point pour lutter contre les insectes. Si tel est l'objectif de cette expression, il va malheureusement falloir appeler pesticides toutes les plantes car elles fabriquent un arsenal de substances dirigées contre les pathogènes qui peuvent les attaquer. La caféine provoque des cassures chromosomiques, la solanine est une substance très toxique présente dans les tubercules de pomme de terre, le psoralène, l'acide chlorogénique sont des molécules présentes dans certaines plantes, Toutes les plantes de notre environnement (y compris les plantes cultivées, n'en soyez pas surpris) contiennent des substances dangereuses et nous devrions donc suspendre leur culture puisqu'elles ont des caractéristiques « pesticides ». Avec l'adoption du moratoire, le travail des experts de la CGB, pourtant reconnu de qualité excellente par la communauté scientifique, a été remis en cause puisque l'on va constituer un Comité de préfiguration de la Haute autorité sur les OGM qui va, au fond, prendre le relais de la CGB « pour faire mieux ».
Vous connaissez la suite : le prétexte de la découverte de faits nouveaux au sujet de la culture du MON 810 est utilisé par le président de la Haute autorité, le sénateur Le Grand, pour affirmer que l'usage du MON 810 soulève des doutes sérieux et justifier la décision du gouvernement d'activer la clause de sauvegarde interdisant la culture de ce maïs, selon le souhait du Président de la République. Cette décision est prise malgré l'absence de preuves scientifiques, anciennes ou nouvelles, de la dangerosité du MON 810 ; en effet, aucun de ces « faits nouveaux » répertoriés ne révélait un danger avéré susceptible de poser un problème de danger, de sécurité alimentaire ou d'environnement. Nous sommes donc dans la situation où le recours au principe de précaution aboutit tout simplement à l'interdiction, au blocage. L'attitude souhaitable aurait dû être le recours à l'expérimentation si l'examen des dossiers le justifie. Mais comment évaluer un risque lié à la culture/l'emploi d'un OGM si les essais sur cet OGM sont interdits ?
Comment sortir de cette situation ? Je pense qu'il faut mettre des garde-fous dans l'application du principe de précaution, comme cela a déjà été mentionné à plusieurs reprises ce matin. Il faudrait remettre en première place l'analyse scientifique de la situation et garder en mémoire l'affirmation de Jean Bernard, « Ce qui n'est pas scientifique n'est pas éthique », qui veut dire que le progrès des connaissances est un meilleur facteur d'identification et de réduction des dangers qui nous menacent que le recours aux interdictions et moratoires. Appuyons-nous donc sur l'expertise scientifique pour contrer ces dangers, si nous voulons être efficaces. Cette considération doit se concrétiser dans la loi et constituer une barrière à l'arbitraire. Pour conclure, je formulerais les recommandations suivantes concernant cette procédure d'évaluation des OGM :
• En premier lieu, anticiper les dangers liés
à la culture d'OGM nouveaux, dangers dont l'existence n'est pas
établie mais cependant plausible selon des critères
scientifiques, et susceptibles aussi d'avoir des répercussions
importantes ;
• dans un second temps, mettre en oeuvre des
études validant ou non l'existence de ces dangers, ce qui implique par
exemple la possibilité de réaliser l'expérimentation en
champs si celle-ci s'avère nécessaire ;
• troisièmement, inclure dans la
procédure des dossiers d'agrément l'analyse comparée des
dangers et des bienfaits découlant d'une technologie nouvelle
susceptible de remplacer une technologie déjà en usage. Cette
analyse comparée des bénéfices et des risques me semble
vraiment très importante ;
• quatrièmement, donner les agréments
portant sur la mise en culture des OGM en prenant en compte, en
définitive, les seuls dangers qui sont avérés et, comme
cela a déjà été mentionné ce matin,
établir une proportionnalité entre la
sévérité des dangers et des contraintes de
l'agrément ;
• cinquièmement, il me semble fondamental
d'inclure une procédure de suivi des cultures agréées qui
permette de déceler des impacts négatifs non anticipés de
cette culture, procédure qui doit permettre de revoir les termes de
l'agrément, y compris son annulation le cas échéant si des
faits nouveaux le justifient.
Voilà en quelques mots ce que je voulais dire sur ce dossier OGM.
M. Claude BIRRAUX
Merci, M. Caboche. M. le Professeur Tubiana, membre de l'Académie nationale de médecine et de l'Académie des sciences.