b) La signature de la France toujours très recherchée
Les risques associés à une dette publique excessive sont biens connus. L'augmentation de la dette s'accompagne tout d'abord de l'accroissement de sa charge, qui réduit les marges de manoeuvre futures de la politique budgétaire et sa capacité à exercer une influence contracyclique à court terme.
En second lieu, l'abondance de titres souverains peut conduire à une éviction de l'investissement privé, dans la mesure où les emprunteurs publics et privés sont en concurrence sur le marché des fonds prêtables. Ceci conduit à une hausse des taux d'intérêt , lorsque l'augmentation de l'offre de titres publics se solde par une baisse des prix et oblige les Etats à offrir une rémunération supérieure pour attirer de nouveaux prêteurs. Cette hausse peut, au demeurant s'accentuer si les emprunteurs viennent à douter de la capacité de l'Etat à payer ses échéances futures, ce qui conduit à une augmentation de la prime de risque.
Selon la Cour des comptes, la dette publique pourrait atteindre 79,7 % du PIB en 2009 et 86 % en 2010 38 ( * ) . Par ricochet, la charge d'intérêts, qui s'élevait à 2,8 % du PIB en 2008, pourrait atteindre 3,7 % en 2012 si la dette atteignait 90 % de la richesse nationale 39 ( * ) .
Les niveaux atteints par l'endettement, sous l'effet du financement des mesures de relance, posent aujourd'hui clairement la question d'un éventuel « emballement » de la dette et de la soutenabilité à moyen terme de nos finances publiques.
Pour reprendre la définition de l'INSEE 40 ( * ) , « la soutenabilité correspond à la situation d'un Etat dont la solvabilité est assurée sans qu'il ait particulièrement besoin d'ajuster sa politique budgétaire dans l'avenir ». L'absence de soutenabilité des finances publiques est donc diagnostiquée lorsque le respect de la contrainte budgétaire intertemporelle n'est plus possible sans ajustement conséquent sur les recettes ou les dépenses .
Pour la Cour des comptes, un tel scénario ne constitue pas une vue de l'esprit, et l'emballement de la dette publique doit être considéré comme « envisageable » . Ainsi, sur le fondement d'une dette égale à 80 % du PIB en 2009 et d'un écart de 1,5 point entre le taux d'intérêt et le taux de croissance, un creusement du déficit primaire de 0,1 point 41 ( * ) par an conduirait à un niveau d'endettement de 100 % du PIB en 2018. Le service de la dette atteindrait 4 % du PIB 42 ( * ) et absorberait l'équivalent du produit de la TVA, soit 20 % des prélèvements obligatoires.
A moindre échéance, le rapport du Gouvernement préparatoire au débat d'orientation des finances publiques fait état d'une évolution de la charge d'intérêt comprise, de 2009 à 2012, entre 5 % et 7 % en moyenne annuelle et en volume , soit une charge de la dette oscillant entre 50 et 53 milliards d'euros en 2012 ( cf . graphique).
Dans ces conditions, on peut légitimement se demander à partir de quel niveau d'endettement la crédibilité de la signature française serait entamée , entraînant une augmentation de la prime de risque à servir aux investisseurs et par conséquent de la charge d'intérêts à faire supporter aux contribuables.
A ce stade, les trois agences de notation ( Fitch Ratings , Moody's et Standard & Poor's ) attribuent une note AAA, soit le niveau le plus élevé, à la dette publique française. Selon l'Agence France Trésor, la perspective attachée à cette notation est stable chez les trois agences, en dépit de la hausse de l'endettement public résultant des mesures de soutien à l'économie et au secteur financier. Ces mesures sont en effet perçues comme nécessaires pour amortir les effets de la crise et préserver la solidité du secteur financier français, et ne sont pas considérées par les agences comme une source d'inquiétude à court terme . Néanmoins, celles-ci porteront une attention soutenue aux modalités de la sortie de crise , tant pour la France que pour les autres Etats, ainsi qu'aux actions entreprises pour rétablir l'équilibre de leurs finances publiques.
Standard & Poor's estime que la dette publique française pourrait atteindre jusqu'à un niveau de 91 % du PIB en 2015, contre 82 % pour l'Allemagne et 100 % pour le Royaume-Uni, dont la notation AAA est désormais « sous perspective négative » . Il faut toutefois noter qu'à l'exception de l'Irlande, du Royaume-Uni et de l'Espagne 43 ( * ) , les déficits français anticipés sont les plus élevés de l'échantillon de quinze pays retenus par l'agence.
Pour Fitch , la question cruciale résidera dans la capacité des Etats proportionnellement les plus endettés - dont la France - à s'engager sur la voie du désendettement après la crise. A cet égard, l'agence observe que la France témoigne d'une tradition d'augmentation de la dette publique suivie de stabilisation plutôt que de décrue.
Enfin, selon un classement des 18 Etats notés AAA, fondé sur les indicateurs financiers et la capacité d'ajustement des Etats, Moody's place la France dans le groupe des plus « résistants » , au même titre que l'Allemagne, le Canada et les pays scandinaves. L'agence estime en particulier que la France dispose d'une très bonne capacité d'ajustement économique (4 ème sur 18) , compte tenu de la diversification de son économie (1 ère ), de la faible volatilité de celle-ci (2 ème ) et de son leadership industriel (2 ème ) mesuré par la taille cumulée, rapportée au PIB, des entreprises françaises parmi les 500 plus importantes. Les scores français sont, en revanche, en retrait sur les critères de la compétitivité globale (13 ème ) et de l'innovation (13 ème ), ce qui mérite réflexion, au coeur du débat sur les « dépenses d'avenir ».
Quelques simulations chiffrées permettent de faire ressortir l'importance des enjeux liés à la préservation de la qualité de la signature française . S'agissant de la dette à court terme , la comparaison des résultats des adjudications de bons du Trésor en France, Italie et Allemagne au cours du premier semestre de 2009 fait apparaître des écarts significatifs avec l'Italie 44 ( * ) , de l'ordre de + 24 points de base pour les bons à 3 mois et à 6 mois italiens et de + 32 points de base pour les bons à 12 mois. En appliquant ces écarts aux prévisions d'émissions en volume pour l'ensemble de l'année 2009, la charge budgétaire de la dette à court terme augmenterait de l'ordre de 600 millions d'euros si la France devait servir le même taux d'intérêt que l'Italie.
Concernant la dette à long terme , l'indicateur de spreads au sein de la zone euro calculé par l'Agence France Trésor fait apparaître que l'Allemagne et la France se financent à moyen et long terme respectivement à - 60 points de base et - 38 points de base sous la moyenne de la zone euro. L'Italie se finance, quant à elle, 47 points de base au-dessus de cette moyenne 45 ( * ) .
En multipliant ces écarts de taux par le volume d'émissions de dette à moyen et long terme prévu pour 2009, soit 155 milliards d'euros, la charge d'intérêts en année pleine associée à ces émissions augmenterait de l'ordre d'1,3 milliard d'euros si la France se finançait aux taux italiens et diminuerait de l'ordre de 350 millions d'euros sur la base des taux allemands 46 ( * ) .
* 38 Ces estimations incluent la dette résultant des émissions de la Société de financement de l'économie française, dont l'inclusion dans le périmètre de la dette publique au sens de Maastricht fait encore débat entre Eurostat et l'INSEE d'une part, et le Gouvernement d'autre part.
* 39 A taux d'intérêt moyen constant.
* 40 La dette publique en France : la tendance des vingt dernières années est-elle soutenable ? INSEE
* 41 Lié, par exemple, au poids croissant des dépenses de vieillissement.
* 42 Sur la base d'un taux d'intérêt à 4 %..
* 43 Soit les trois pays dont la notation est « sous pression ».
* 44 Les écarts sont pratiquement insignifiants avec l'Allemagne : pour les bons à 3 mois, les taux allemands ressortent en moyenne à + 0,7 point de base ; pour ceux à 6 mois et à 12 mois, l'écart est de l'ordre de - 3 à - 4 points de base.
* 45 Par rapport à la France, l'écart ressort donc à - 22 points de base pour l'Allemagne et à + 85 points de base pour l'Italie.
* 46 Ces chiffres ont toutefois un caractère essentiellement illustratif dans la mesure où ils ne s'appuient pas sur les modalités précises de calcul de la charge budgétaire qu'il est très délicat de décliner dans le cadre d'un tel exercice de simulation.