2. Tenir compte des effets extérieurs des politiques économiques et budgétaires sur la situation financière de la zone et de l'Union européenne plus globalement

Cette supervision n'a toujours pas réagi non plus aux critiques portant sur son incapacité à prendre en compte les effets externes des politiques, pourtant insoutenables, choisis par certains pays pour apprécier la position financière de chaque État.

Dans les conditions énoncées par Robert Mundell pour qu'une zone monétaire soit viable, figure celle que des transferts budgétaires puissent intervenir pour surmonter des chocs asymétriques subis par un État (ou un groupe d'États). En bref, un principe de solidarité financière est posé.

Celui-ci n'est pas inclus dans le dispositif de l'union monétaire. Il faudrait, à tout le moins, que l'État subissant le choc puisse recourir à l'instrument budgétaire pour le contrecarrer .

L'Union européenne fonctionne à rebours de ce schéma , ce qui est d'autant plus insatisfaisant que, du fait de l'hétérogénéité des choix de politique économique et fiscale qui la fragilisent, elle recèle en son fonctionnement pratique, l' occasion de multiples chocs asymétriques .

C'est ainsi qu'on peut analyser les effets sur les partenaires des choix individuels non-coopératifs effectués par certains États :

- la désinflation compétitive exerce un choc asymétrique continu sur les partenaires commerciaux et financiers ;

- les politiques inflationnistes entretiennent un choc monétaire asymétrique via une hausse des taux d'intérêt réels (et du taux de change de l'euro) sur les partenaires qui ne profitent pas de l'atténuation exercée par l'inflation sur le niveau réel des taux d'intérêt ;

- la concurrence fiscale engendre des chocs asymétriques sur le niveau des richesses et des recettes publiques.

Dans le même temps, les marges de manoeuvre budgétaires sont réduites .


• Le PSC exerce une discipline rigoureuse et uniforme ;


• Il n'y a pas de mécanisme de solidarité financière organisé entre les États. Les Traités européens voient même avec une certaine défaveur les mécanismes de solidarité financière entre États-membres.

L'article 103 du Traité sur les Communautés européennes (soit l'article 125 du Traité de Lisbonne) interdit à l'Union européenne ou à un État, hors projet spécifique, de répondre des engagements souverains d'un autre État ou de les prendre à leur charge.

Article 125

(ex-article 103 TCE)

L'Union ne répond pas des engagements des administrations centrales, des autorités régionales ou locales, des autres autorités publiques ou d'autres organismes ou entreprises publics d'un État membre, ni les prend à sa charge, sans préjudice des garanties financières mutuelles pour la réalisation en commun d'un projet spécifique. Un État membre ne répond pas des engagements des administrations centrales, des autorités régionales ou locales, des autres priorités publiques ou d'autres organismes ou entreprises publics d'un autre État membre, ni ne les prend à sa charge, sans préjudice des garanties financières mutuelles pour la réalisation en commun d'un projet spécifique.

[...]

Mais, d'un autre côté, l'article 122, sous des réserves très strictes, mais toujours sujettes à interprétation, laisse ouverte la possibilité d'une solidarité financière dès lors qu'elle émane de l'Union .

Article 122

(ex-article 100 TCE)

1 - Sans préjudice des autres procédures prévues par les traités, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut décider, dans un esprit de solidarité entre les États membres, des mesures appropriées à la situation économique, en particulier si de graves difficultés surviennent dans l'approvisionnement en certains produits, notamment dans le domaine de l'énergie.

2 - Lorsqu'un État membre connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, en raison de catastrophes naturelles ou d'événements exceptionnels échappant à son contrôle, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière de l'Union à l'État membre concerné. Le président du Conseil informe le Parlement européen de la décision prise.

Si les traités ne l'instituent en rien, ils n'interdisent ainsi pas que l'Union crée un fonds de solidarité européen sur le modèle du fonds monétaire international.

Cette possibilité n'a été que modestement utilisée. Dans le cadre budgétaire européen - dont la dimension est structurellement trop modeste pour servir de cadre aux transferts budgétaires que tout budget national réalise - quelques mécanismes peuvent être considérés comme constituant un embryon de solidarité financière face à des chocs asymétriques : les fonds budgétés dans le cadre de l'objectif de cohésion (pour faire face aux chocs structurel et conjoncturel de l'adhésion), les fonds d'adaptation à la mondialisation, les fonds d'action sociale...

Mais, outre leur modicité, ils ne peuvent être vus comme s'inscrivant dans le cadre d'une solidarité entre États-membres bien ordonnée et destinée à répondre aux chocs asymétriques.

Sur ces deux points, il serait utile de disposer d'une analyse des effets redistributifs du budget européen permettant de comparer le sens et l'ampleur de la redistribution avec les effets des stratégies nationales non-coopératives sur les différents États .

Quant à la question de la solidarité, on s'apercevait sans doute qu'elle néglige par trop les enjeux d'une correction des chocs asymétriques entre États-membres et particulièrement quand ces chocs résultent des politiques non-coopératives des partenaires, qui se sont multipliées dans l'espace européen.

Dans cette dernière perspective, les problèmes posés par la concurrence fiscale en Europe sont particulièrement emblématiques de la négligence des effets asymétriques des politiques antagonistes qui prévaut dans l'exercice de supervision financière des États telle qu'elle fonctionne institutionnellement.


• De fait, la concurrence fiscale est insuffisamment encadrée .

Formellement, la concurrence fiscale est un processus par lequel un pays manie ses prélèvements obligatoires pour gagner en compétitivité ou/et en attractivité sur ses voisins.

En la supposant efficace, cette concurrence se traduit par une perte de recettes publiques pour les autres pays qui, s'ils ne modifient pas leurs préférences collectives (le niveau de leurs dépenses publiques) voient leurs déficits augmenter.

Les pays qui subissent la concurrence fiscale se voient triplement pénalisés :

- par une perte de revenu national en lien avec l'inflexion de l'activité économique qui découle de leur moindre compétitivité ou/et de leur perte d'attractivité ;

- par une perte de ressources publiques qui accroît leur besoin de financement (ou réduit leur capacité à financer les biens publics qu'ils souhaitent produire) ;

- par un alourdissement de leurs dépenses publiques résultant de l'augmentation de leur dette publique (s'ils ont opté pour le maintien du niveau de l'intervention publique) et des charges d'intérêt qui l'accompagne.

Le pays à l'origine de la concurrence fiscale en tire principalement le bénéfice d'une croissance plus forte. Selon le degré d'efficacité de la concurrence fiscale, celle-ci compense ou non la réduction des taux d'imposition. Sous cet angle, trois scénarios sont envisageables : une dégradation du besoin de financement public, une stabilité ex post ou une amélioration.

La concurrence fiscale s'est manifestée par une réduction des taux de prélèvement sur les assiettes les plus mobiles .

Le taux d'imposition des sociétés a baissé dans tous les pays de la zone euro entre 2000 et 2007. En moyenne 38 ( * ) , la baisse a avoisiné 5 points de taux.

TAUX DE L'IMPÔT SUR LES BÉNÉFICES DES SOCIÉTÉS

ÉVOLUTION ENTRE 2000 ET 2007

Note de lecture : les diamants correspondent à la situation en 2000, les barres à celle en 2007.

Source : OCDE. Zone euro.

Les baisses les plus importantes sont intervenues en Allemagne, en Irlande et en Grèce (autour de 10 points). Si les évolutions observées doivent être appréciées en fonction de situations de départ contrastées, elles doivent aussi être mises en perspective avec l'augmentation de la part des profits dans la valeur ajoutée, en Europe globalement mais aussi dans ses différenciations nationales exposées dans le précédent chapitre.

En bref, c'est le facteur qui a connu la plus forte hausse de sa rémunération qui a également « profité » de la plus forte baisse de son imposition marginale, du moins tel qu'appréhendé au niveau des sociétés .

Mais, les taux marginaux de l'impôt sur le revenu ont également été abaissés plus faiblement (d'à peu près 2 points pour la zone euro) et les réductions du taux marginal ont été d'une particulière ampleur en Irlande et aux Pays-Bas, ce qui laisse à penser qu'au moins dans ces pays, les revenus financiers ont également bénéficié d'une réduction des prélèvements opérés sur eux.

IMPÔT MARGINAL SUR LE REVENU DES PARTICULIERS

ÉVOLUTION ENTRE 2000 ET 2007

Note de lecture : les diamants correspondent à la situation en 2000, les barres à celle en 2007.

Source : OCDE. Zone euro.

Mais le graphique ne prend pas en compte les plans de réduction en cours à la date de données récapitulées.

En revanche, les impôts indirects ont enregistré une hausse nette de leurs taux et notamment la TVA.

TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE* - ÉVOLUTION ENTRE 2000 ET 2007

* Le taux normal de TVA a diminué d'un point au Portugal en juillet 2008
Note de lecture : les diamants correspondent à la situation en 2000, les barres à celle en 2007.

Source : OCDE. Zone euro.

Les taux de TVA ont notamment augmenté en Allemagne, en Grèce, aux Pays-Bas et au Portugal.

La concurrence fiscale a engendré une accentuation de la dispersion des taux appliqués aux assiettes les plus mobiles. En particulier, les taux de l'impôt sur les sociétés sont plus différenciés en 2007 qu'en 2000 .

Cette observation qui confirme l'existence d'une concurrence fiscale particulièrement aiguë dans ce domaine montre aussi que tous les pays ne sont pas également impliqués dans ce processus.

On retrouve ici sans doute l' asymétrie des pays face à la concurrence fiscale , les petits pays étant mieux à même de s'y exercer car mieux placés dans l'arbitrage entre réduction du taux et déport des assiettes.

Cependant, il faut aussi considérer les procédés par lesquels s'exerce la concurrence fiscale entre grands pays tels que les réarrangements des différents éléments de la fiscalité indirecte.

Comme pour toutes les questions relatives aux effets externes des choix nationaux dans l'Union européenne, la concurrence fiscale est à la fois un problème économique et un problème politique.

De ces deux points de vue, elle n'est pas cohérente avec les priorités affichées par l'Union européenne.

Du point de vue économique , la concurrence fiscale :

- réduit les capacités de financement des biens publics qu'entend promouvoir l'Europe ;

- favorise un découplage entre croissance réelle et croissance financière dont les effets peuvent être particulièrement déséquilibrants comme le montre la crise en cours ;

- altère les capacités de répondre à des chocs, elle-même en constituant d'ailleurs un.

Du point de vue politique , elle est contraire aux principes de solidarité existant entre les États-membres. Dans les circonstances actuelles où certains pays de l'Union européenne, qui y ont amplement recouru, se tournent vers leurs partenaires pour surmonter la crise de leurs régimes de croissance, on mesure mieux ses effets de dissolution du lien européen.

*

Il convient de renforcer le réalisme économique de la surveillance des positions financières des États en prenant dûment en compte l'analyse de la soutenabilité des régimes de croissance sous-jacents à chaque situation nationale et en prévenant les effets externes des politiques économiques non-coopératives sur les situations budgétaires des partenaires.

* 38 Moyenne arithmétique non pondérée.

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