2. Des stratégies à sommes nulles et potentiellement très négatives
Comme nous l'avions déjà relevé dans notre précédent rapport, les stratégies de désinflation compétitive et celles qui négligent la stabilité des prix posent des problèmes aux pays qui ne les empruntent pas sans être réellement favorables à ceux qui les adoptent.
a) Des stratégies sans gains réels
Force est de constater que les performances de croissance des pays qui ont accumulé des excédents extérieurs, hormis l'Irlande, n'ont pas été supérieures à celles des autres pays, malgré l'effet favorable de leurs résultats commerciaux .
Alors qu'ils ont été en quelque sorte « tirés » par l'extérieur, ils n'en ont pas profité pour réaliser des performances économiques supérieures. Malgré un écart de contribution de leurs commerces extérieurs respectifs de 1 point de PIB par an, à la faveur de l'Allemagne, le Portugal a connu une croissance plus forte que celle-ci.
En réalité, il semble exister un arbitrage entre dynamique du commerce extérieur et dynamique de la demande interne, l'une et l'autre étant souvent plus exclusives que complémentaires . Tel semble être le cas pour l'Autriche, l'Allemagne et les Pays-Bas s'agissant de pays ayant connu de forts excédents commerciaux. Inversement, ce sont souvent les pays où la croissance de la demande interne a été particulièrement soutenue - l'Espagne et la Grèce - qui ont subi les pires déficits commerciaux. Mais, cette corrélation négative n'est pas universelle et elle est plus ou moins nette. Cependant, on ne recense pas de pays (hors l'Irlande) où une forte progression de la demande interne ait correspondu avec une accumulation d'excédents extérieurs.
Toutefois, le coût en demande domestique des performances commerciales est plus ou moins élevé . Il apparaît particulièrement fort pour l'Allemagne et un peu moins pour l'Autriche. La Suède fait exception mais des variations de son taux de change peuvent expliquer celle-ci s'agissant d'un pays qui n'appartient pas à la zone euro. On a relevé plus haut que les évolutions différenciées des salaires en France et en Allemagne se traduisaient par des profils très contrastés de la demande des ménages dans les deux pays.
Selon une estimation 17 ( * ) , ces divergences ont eu une contrepartie, une « perte » de PIB en Allemagne de 1,6 point de PIB par an au cours de la période 1999-2007. Cet effet négatif dépasse légèrement l'impact positif pour le PIB de la désinflation compétitive allemande qui est évalué dans la même note à 1,5 point de PIB par an. Celui-ci cumule les effets de la rigueur salariale sur la contribution du commerce extérieur à la croissance en Allemagne et le différentiel d'investissement entre les deux pays qui est ainsi entièrement attribué - ce qui peut paraître excessif - à une plus grande profitabilité des entreprises en Allemagne .
Dans le sens contraire, la relation entre dynamisme de la demande intérieure et accumulation de déficits extérieurs ne ressort comme vraiment très élevée que pour l'Espagne et, à un moindre degré, la Grèce.
Ce constat conduit à distinguer dans les pays de déficits extérieurs deux situations .
Sachant que la plupart des pays ont perdu en compétitivité par rapport à l'Allemagne, on peut distinguer les pays pour lesquels la perte de compétitivité-coût a été particulièrement drastique du fait de leurs évolutions salariales qui ont accentué les effets de la divergence salariale des pays dans lesquels une diminution des coûts salariaux unitaires est intervenue. Une très importante dégradation de leur commerce extérieur est intervenue provenant de la combinaison de pertes de parts de marché et d'un écart de croissance avec leurs principaux partenaires européens.
Pour un autre groupe de pays, le déficit extérieur s'est creusé dans de moindres proportions. La modération salariale y a limité les effets de la baisse des coûts salariaux unitaires 18 ( * ) des pays qui ont accumulé des excédents.
Une donnée essentielle doit être soulignée : l'existence d'un différentiel de croissance économique en faveur de la France au cours de cette période.
CROISSANCE EN VOLUME EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE - ENTRE 1999 ET 2008 (en %)
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
Moyenne |
|
Allemagne |
1,9 |
3,5 |
1,4 |
0 |
- 0,2 |
0,7 |
0,9 |
3,2 |
2,6 |
1,4 |
1,5 |
France |
3,2 |
4,1 |
1,8 |
1,1 |
1,1 |
2,2 |
1,9 |
2,4 |
2,1 |
0,9 |
2,1 |
Pour les dix dernières années, l' écart de croissance entre les pays atteint en moyenne annuelle 0,6 point si bien qu'au total les richesses créées en France au cours de cette période ont été plus élevées qu'en Allemagne de 6 % environ.
On doit certes nuancer cette comparaison en relevant que l'avantage de croissance de la France s'est inversé en fin de période et en considérant que les deux pays n'ont pas le même potentiel de croissance, celui de la France étant généralement décrit comme supérieur de l'ordre de 0,4 point.
Certains commentaires voient dans le sursaut de croissance observé en Allemagne une sorte de consécration de la stratégie économique du pays, la désinflation compétitive développant finalement, certes moyennant des délais, ses bénéfices. On renvoie sur ce point au précédent rapport consacré par votre délégation à la coordination des politiques économiques en Europe 19 ( * ) qui s'attachait à monter les limites intrinsèques d'un tel modèle et ses conséquences sur les équilibres européens.
* 17 Flash Economic Natixis n° 422 - 2007.
* 18 Et, plus globalement des coûts de production unitaires.
* 19 Ainsi qu'à l'article très éclairant de Jérôme Creel et Jacques Le Cacheux : « La nouvelle désinflation compétitive européenne », in Revue de l'OFCE n° 98. Juillet 2006.