TRAVAUX DE LA COMMISSION - AUDITION POUR SUITE A DONNER À L'ENQUÊTE RÉALISÉE PAR LA COUR DES COMPTES EN APPLICATION DE L'ARTICLE 58-2° DE LA LOLF, SUR LES ENGAGEMENTS DU CNES DANS LES PROGRAMMES DE L'AGENCE SPATIALE EUROPÉENNE
Présidence de M. Jean Arthuis, président
puis
de M. Yann Gaillard, vice-président
Séance du mercredi 18 février 2009
(La séance est ouverte à 10 heures 05)
Monsieur Jean ARTHUIS, président - Nous voici réunis pour effacer les inquiétudes qu'éprouvait jusqu'à ce matin notre collègue Christian Gaudin, en sa qualité de rapporteur spécial sur la mission recherche et enseignement supérieur.
Son inquiétude était liée au fait que la dette du Centre national d'études spatiales (CNES) à l'égard de l'Agence spatiale européenne (ASE) n'avait cessé de se creuser. De fait, cette dette est passée de 165 millions d'euros à la fin de l'année 2005, à 334 millions fin 2007, ce qui devient significatif par rapport aux quelque 685 millions d'euros que verse, chaque année, le CNES à l'Agence spatiale européenne.
Or, le creusement de cette dette pose plusieurs problèmes aux yeux de notre rapporteur spécial. D'abord, un problème de sincérité budgétaire : les montants affichés en projet de loi de Finances correspondent-ils réellement aux engagements de la France dans le domaine spatial ? Et d'autre part, le creusement d'une telle dette ne risque-t-il pas d'obérer la capacité d'action de notre pays ?
Et puis, outre ce problème de sincérité budgétaire, peut se poser un problème politique. En effet, la dette du CNES à l'égard de l'ASE est-elle compatible avec le rôle de leader européen dans le domaine spatial, rôle que la France entend assumer, comme l'a rappelé Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, pendant le semestre de présidence française de l'Union Européenne ?
Et c'est pour répondre à ces questions que la commission des finances, à l'initiative du rapporteur spécial Christian Gaudin, a demandé une enquête à la Cour des Comptes sur ce projet, conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 58 de la loi organique sur les lois de Finances (LOLF). Ces travaux d'enquête lui ont été remis au mois de juillet 2008, mais en raison du renouvellement du Sénat, qui est intervenu au mois de septembre, et puis de la phase finale des négociations de la Conférence ministérielle de La Haye, il n'a pas été possible d'organiser plus tôt cette audition.
Ce matin, nous aurons le plaisir d'entendre, pour la Cour des Comptes, Monsieur Alain Hespel, président de la deuxième chambre, Monsieur Michel Camoin, président de section, Monsieur Jean-Luc Vivet, conseiller-maître, et Monsieur Jacques Bousquet, rapporteur.
Pour le Centre national d'études spatiales, Monsieur Yannick d'Escatha, président, Monsieur Stéphane Janichewski, directeur général délégué, Monsieur Pierre Trefouret, directeur des affaires publiques, Monsieur Bruno Tomelleri, de la direction financière.
Pour le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, Monsieur Philippe Gillet, directeur du cabinet de madame la ministre, et Monsieur Edouard de Pirey, conseiller sciences, technologie et espace.
Pour le ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique, Monsieur Julien Lagubeau, conseiller technique du ministre, et Monsieur Rodolphe Gintz, sous-directeur de la direction du budget.
Enfin, pour l'Agence spatiale européenne, Monsieur Jean-Jacques Dordain, directeur général.
A l'issue de la présentation générale de la Cour des Comptes, le président du CNES sera invité à nous faire part de ses remarques, avant que ne s'instaure le débat que le rapporteur spécial et le rapporteur pour avis ouvriront. Et sans attendre, je donne la parole à Monsieur Alain Hespel, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes.
Monsieur Alain HESPEL, président de la deuxième chambre de la Cour des Comptes - Merci, Monsieur le Président.
Je me bornerai à vous indiquer que le rapport dit 58-2, qui vous a été adressé en juillet dernier, est le fruit d'un contrôle du CNES qui a été mené tout au long de l'année 2007-2008.
La présentation qui va vous en être faite maintenant par Michel Camoin, président de section à la deuxième chambre de la Cour, a été actualisée pour tenir compte de l'après juillet 2008, c'est-à-dire de la réunion ministérielle de La Haye. Il va de soi que cette actualisation est purement factuelle, et n'a pas fait l'objet d'une procédure contradictoire.
Enfin, par ailleurs, dans le corps même du rapport, il y a des passages qui sont marqués au coin historique de l'avant La Haye, puisqu'il est fait mention de plusieurs hypothèses qui se révèlent être maintenant devenues l'histoire.
Ce préambule achevé, je laisse la parole, si vous le voulez bien, à Michel Camoin.
Monsieur Michel CAMOIN, président de section à la deuxième chambre de la Cour des Comptes - Merci, Monsieur le Président.
Messieurs, Mesdames, nous avons décidé de faire une présentation avec des supports PowerPoint. Je vais essayer de tâcher de passer assez rapidement, pour qu'on arrive le plus rapidement possible au débat. La présentation suit, à peu près, le déroulement du rapport qui a été fait.
Donc, juste sur le titre, une ou deux petites remarques. « Les engagements du CNES dans les programmes de l'Agence spatiale européenne (ASE) » : c'est exactement le libellé qui avait été demandé par le Président à la Cour des comptes. Si on voulait être un peu plus précis juridiquement, il s'agit des engagements de la France. Le CNES, en tant que tel, n'a pas d'engagements vis-à-vis de l'ASE, mais c'est vrai que c'est le CNES qui porte ensuite financièrement la contribution de la France à l'ASE.
Alors, pour commencer, quelques chiffres, pour rappeler les ordres de grandeur. Quand on parle de spatial en France, donc, la France occupe actuellement la deuxième place mondiale, après les Etats-Unis. Le montant consacré, au sens large, à l'espace en France, est de 29 euros par habitant et par an. Ça correspond à un montant annuel de 1,8 milliard, ce qui nous place, ramené par habitant et dans l'absolu, devant l'Allemagne (16 euros) et le Royaume-Uni (6 euros). J'ai dit : « au sens large ». C'est-à-dire que ce 1,8 milliard comprend le programme national du CNES, dit programme multilatéral (700 millions) et le programme ASE (685 millions), mais, également, les dépenses du ministère de la Défense dans le domaine spatial (300 millions). C'est essentiellement Hélios II, Syracuse III, etc.
Et puis, il existe d'autres dotations qui circulent très indirectement, celle d'EUMETSAT et celle de Galileo, qui est conduite par l'Union Européenne, et que l'on peut évaluer, à peu près, à 100 millions par an (elle s'élevait à 100 millions par an en 2008).
Il existe un contrat de plan passé entre l'Etat et le CNES, qui couvre la période 2005-2010. On est donc en plein dans la seconde moitié de l'exécution de ce contrat de plan. Ce contrat de plan définit une stratégie. Nous avons retenu les deux termes qui sont dans la convention, « ambitieuse » et « européenne ». C'est une difficulté d'être à la fois ambitieux et européen : « européen », ça suppose de mutualiser, « ambitieux », ça suppose d'être leader. C'est une des difficultés qu'ont à gérer la France et le CNES.
Ensuite, quand on parle du spatial, conventionnellement, on répartit cela en trois domaines : l'accès à l'espace (c'est-à-dire les lanceurs), les utilisations de l'espace, comme c'est marqué en dessous, qui elles-mêmes comprennent des sous domaines : le grand public, le développement durable, les sciences spatiales et la préparation de l'avenir. Et puis, il y a le domaine défense et sécurité. J'en parle plutôt pour mémoire, puisque l'ASE étant une institution non militaire, c'est un secteur qui est pratiquement absent de l'ASE, mais qui existe dans la nomenclature CNES.
Le cadrage financier qui était prévu dans le contrat de plan était de 685 millions d'euros courants par an sur la période, sans aucune réévaluation, ce qui signifie une érosion progressive du pouvoir d'achat correspondant à la subvention ASE. Le budget national, lui, était de 681,4 millions aux conditions économiques 2004. Alors, lui, il était indexé sur la période avec une clé de 1,5 %. Quand on lit l'annexe au contrat, on s'aperçoit que les chiffres qu'il y a derrière ce cadrage financier prévoient une extinction de la dette à fin 2010, dette qui était à 165 millions fin 2005, et 334 fin 2007.
En ce qui concerne ce qui est financé par les délégations et par la France dans les programmes ASE, on rappelle d'abord qu'il y a une distinction à faire entre les programmes obligatoires, pour lesquels les contributions se mesurent au pro rata des PNB nationaux, et les programmes facultatifs. Il existe une règle, qu'on appelle la règle des 120 %, qui est que, quand les pays membres s'engagent pour 100, il peut y avoir, sans nouvelle décision, une augmentation jusqu'à 120 %. Ça pose notamment des problèmes en comptabilité publique, de savoir si l'engagement doit être considéré d'emblée de 120 %. Pour le moment, ce n'est pas le cas. Le chiffre que je vous donne ensuite, les engagements de la France sur la période 2008-2015, avant La Haye, étaient, en 2007, de 2,357 milliards, et il y avait donc une dette en plus de 334 millions. Les 2,357 milliards, vis-à-vis de la règle des 120 %, s'entendaient à 100 %, comme tous les engagements, et, s'il y avait des dépassements, c'était uniquement des dépassements déjà constatés. Ce n'est pas 100 %, ce n'est pas 120 %, c'est 100 %, plus les dépassements constatés en 2007.
En ce qui concerne la répartition de l'effort français à l'intérieur des programmes ASE, à titre uniquement informatif, sur la période 2005-2010, l'accès à l'espace, c'est-à-dire les lanceurs, très naturellement, représente presque la moitié de l'effort. C'est dû à la position de la France notamment dans le programme Ariane, et l'engagement sur le centre spatial de Guyane. Pour le développement durable (le développement durable, c'est essentiellement tout ce qui est tourné vers la terre, l'observation, etc.) : 12 %. Pour les sciences spatiales et la préparation de l'avenir (les sciences spatiales sont plutôt ce qui est tourné vers l'extérieur, vers l'univers, les sciences de l'univers, etc.) : 28 %. Et le grand public : 13 % (le grand public, c'est, essentiellement, les télécommunications, la télévision directe, etc.).
Nous nous sommes, évidemment, compte tenu de la question posée par le sénat, intéressés aux instruments de gestion qu'avait mis en place le CNES pour suivre le financement et le développement des programmes de l'ASE, et donc nous abordons ce qu'on appelle le PMT ASE, c'est-à-dire le Plan à Moyen Terme de l'Agence spatiale européenne. Nous nous sommes fait fournir ces documents, et l'essentiel de ce qui va suivre est basé sur le dernier exemplaire connu au moment de la rédaction du rapport, c'est-à-dire décembre 2007.
Depuis 2004, le CNES établit deux Plans à Moyen Terme, l'un consacré aux programmes ASE, et l'autre aux programmes nationaux, qu'on appelle, encore une fois, multilatéraux, parce que, très souvent, ils engagent plusieurs partenaires autour du CNES, et des partenaires souvent internationaux.
En ce qui concerne le PMT ASE pour 2007, la vision à moyen terme allait jusqu'à 2015, et on voyait bien dans le PMT 2007, comme dans les PMT précédents, que tous avaient, à peu près, la même caractéristique : ils prévoyaient l'extinction de la dette ASE fin 2010. On aurait d'ailleurs été surpris qu'il en soit autrement, puisque c'était l'engagement du contrat de plan. Et donc, la Cour s'est intéressée à la fiabilité du PMT ASE. De ce point de vue-là, nous avons regardé deux choses. Nous avons regardé le fait que, d'une part, les chiffres, fournis par l'ASE, que nous a retransmis le CNES, pour les années à venir, les projections qui sont faites sur l'exécution des programmes par l'ASE, n'étaient pas exactement celles qu'on retrouvait dans le PMT ASE. Donc, c'est la première question qu'on s'est posée. Et la deuxième question, on s'est rendu compte qu'il y avait quelques artifices qui permettaient d'aboutir à un équilibre en 2010. Quand je dis un équilibre, c'est-à-dire qu'on passait avec une extinction complète de la dette, au 31 décembre 2010.
La première chose, avant de passer à la fiche suivante, pour les différences qu'il peut y avoir entre les chiffres ASE et les chiffres CNES, on s'est rendu compte de deux choses. Primo, même s'il y avait des différences qui pouvaient être sensibles sur tel ou tel programme, si on raisonnait en masse pondérée, l'écart était vraiment négligeable : 0,4 ou 0,5 %, au total, d'écart en plus ou en moins par rapport aux prévisions, pour les mêmes années, de l'ASE. Donc, au total, ça ne pouvait pas fausser nettement la fiabilité. Et puis surtout, on a remarqué, en reprenant les séries historiques (à chaque année nouvelle, on peut regarder, par exemple en 2004, ce qui a été prévu pour 2007), que les prévisions du CNES étaient plutôt meilleures que celles de l'ASE. Et donc, d'une certaine façon, leur retraitement aboutissait plutôt à fiabiliser le PMT plutôt qu'à le fragiliser. Ça, c'est pour la discordance entre les chiffres ASE et les chiffres CNES.
D'autre part, les retraitements d'opportunités : on passe à la fiche suivante. On en a repéré plusieurs. Les premières, ce sont ce qu'on appelle des minorations de charges : report au-delà de 2010 de paiements relatifs à des prestations déjà écoulées. Il s'agit essentiellement du programme européen European garanteed access to space (EGAS), qui est un financement qui fait l'objet d'un contrat passé entre l'exploitant, qui est Ariane Espace, et l'ASE, et qui a pour but, comme son nom l'indique, de financer des investissements nécessaires à l'indépendance de l'Europe en matière de lanceurs. Donc là, on voyait une différence entre les prévisions CNES et l'ASE, de 100 millions. Tous ces montants (il s'agit essentiellement du premier plan EGAS) étaient déjà constatés dans les comptes dans les bilans au 31 décembre 2007. Donc, en gros, le raisonnement qu'on fait, c'est que ce sont des montants qui avaient déjà été engagés, et même dépensés.
Le terme « report de paiement » est tout de même un petit peu ambigu. Le CNES, en revanche, et l'ASE n'avaient pas appelé ces fonds, et donc, en trésorerie, il n'y a pas de problème ; ce sont des fonds qui, normalement, ne devraient être appelés qu'en 2011. Mais, vous voyez bien que c'est un montant qui correspond à des prestations déjà passées.
D'autre part, il y a des provisions d'appel de fonds qui ont été ignorées. Il y a une première approche un peu grossière, mais, malgré tout, elle permet de se fixer les idées. On regardait l'évolution des appels de fonds déjà enregistrés dans les années récentes, et celles qui étaient prévues pour les années courantes et les années prochaines. On avait quelque chose d'assez étrange : on avait un phénomène de cuvette. On voyait que, sur la période 2008-2010, c'est-à-dire sur la période où devait d'un seul coup s'éteindre la dette ASE, les montants moyens que devaient charger l'ASE au CNES étaient de 560 millions par an, alors que, sur la période précédente de 2003-2007, ils avaient été de 740 millions par an. D'autre part, on voyait dans le plan à l'époque (on était toujours avant La Haye) qu'ils devaient remonter à 685 millions. Donc, même si ça ne prouvait rien, ça attirait l'attention et ça faisait dire qu'il y avait peut-être quelque chose d'un petit peu artificiel.
D'autre part, lorsque nous avons interrogé le CNES sur cette question, il nous disait que (et ça, c'est un vrai sujet), d'une certaine façon, il y avait une trésorerie sur des programmes auxquels participait la France qui était inemployée, pour l'instant, par le CNES, et que, finalement, ce qui était demandé, ce n'était pas tellement un financement sous forme d'emprunt, mais c'était de restituer à la France la partie de trésorerie sur les programmes pour lesquels il y avait de la trésorerie inemployée. Alors ça, c'est un vrai problème. C'est un problème difficile. La France a essayé de plaider, je crois, à différents conseils de l'ASE, une révision de cette façon, qui est parfaitement orthodoxe pour l'ASE : l'ASE considère qu'il n'y a qu'une seule trésorerie, et la règle du jeu observée par l'ASE actuellement est la règle orthodoxe suivant les règles de l'ASE. Je rappellerai simplement (je parle sous le contrôle de Jacques Bousquet) qu'une autre agence internationale, devant le même problème, c'est-à-dire plusieurs pays qui ont des programmes internationaux pour lesquels les contributions ne sont pas seulement homothétiques (il y en a dans lesquels la France est plus en avant, et dans lesquels d'autres pays sont plus en avant), pratique cette mise nationale des trésoreries. Par exemple, pour la France, ça a permis de faire bénéficier du programme A-400M. Ça, il est bien évident que c'est une revendication du CNES vis-à-vis de l'ASE, qui, pour le moment, malheureusement, n'a pas reçu le soutien des autres délégations. Mais je pense que Messieurs Dordain et d'Escatha nous en diront plus sur cette question épineuse. Il est vrai que, si on changeait la règle du jeu, il est probable qu'automatiquement (on n'en sait rien, parce qu'on n'a pas accès, évidemment, à la trésorerie de tous les programmes) se dégonflerait la dette apparente du CNES.
Pour ce qui est des charges non prises en compte dans le PMT 2007, nous en avons repéré. Les précédentes ont été minorées. Celles-ci sont carrément non prises en compte. Il y avait des charges qui étaient avérées. On avait un total de 117 millions que le CNES nous avait spontanément indiqués comme étant des montants, qui, probablement, devraient être financés sur la période 2008-2010, mais qui ne figuraient pas dans le plan, essentiellement sur Ariane 5, GalileoSat, etc. Il y a sept ou huit programmes qui figurent dans le rapport.
Et il y avait, d'autre part, des charges quasi certaines qui n'avaient pas été placées à l'intérieur du PMT pour des raisons un peu historiques. Il s'agissait de la participation à l'ISS, le loyer et l'eau courante de la station internationale, qui, à l'époque, étaient estimés à 72 millions par an pour la période, pour les exercices 2009 et 2010, que le CNES pensait pouvoir raisonnablement ramener, à l'époque, à 65 millions par an. Mais ça, ça ne figurait pas dans le PMT ASE. Il est évident que si ça avait figuré, ça aurait probablement rendu difficile l'équilibrage apparent du PMT ASE. L'autre raison qui avait été donnée, c'est qu'au moment où avaient été faits les premiers plans PMT ASE, il existait un doute sur l'horizon pendant lequel serait utilisé l'ISS, et donc, par prudence, à l'époque, on n'avait pas considéré que cette charge était certaine. Au moment où nous avons enquêté, il apparaissait que cette charge devenait infiniment probable ; elle ne figurait pas dans le PMT.
Donc, au total, en ce qui concerne la question que posait le sénat (la résorption de la dette ASE) : après avoir fait cet audit du PMT ASE, qui était le seul document sur lequel nous pouvions travailler, puisque nous n'avions pas un accès direct, évidemment, à l'ASE, première conclusion : le PMT ASE reposait sur une extinction totale de la dette par une réduction équivalente de la trésorerie de l'ASE. Je vous rappelle que, pour la trésorerie de l'ASE (ce sont des chiffres qu'a bien voulu nous donner Monsieur Dordain), à l'époque où on a fait l'enquête, on avait, pour 2007, une trésorerie moyenne, puisqu'il y a trois campagnes de contributions par an, de + 1,2 milliard d'euros. Et, en gros, ça correspondait, à peu près, à quatre fois les dépenses. Donc, objectivement, on a un ratio de trésorerie, quand même, qui est étonnamment élevé. C'est donc la première conclusion qui s'est avérée.
Deuxième conclusion : nous pensions qu'il était, à l'époque, avant La Haye, improbable que le CNES soit en mesure d'apurer sa dette vis-à-vis de l'ASE, sachant qu'il y avait un certain nombre de reports de paiement. Et à l'époque, nous estimions que le socle incompressible, la partie qui, raisonnablement, ne passait pas, était de l'ordre de 250 millions. C'est-à-dire que, s'il n'y avait pas eu La Haye, il nous semblait que, tel qu'on était parti, de toute façon, on ne descendrait pas au 31 décembre 2010 en dessous de 250 millions. Mais c'est maintenant de l'histoire, comme vous le savez.
En ce qui concerne les charges liées au Conseil ministériel de La Haye, à l'époque, nous pensions que le rapport serait examiné en septembre par le Sénat, et donc avant le Conseil ministériel. Donc, nous avions essayé de faire cette réduction. Nous avons pris deux séries d'hypothèses : une référence au précédent Conseil, celui de Berlin, en nous disant (et tout le monde nous disait la même chose) : « de toute façon, les nouveaux engagements ne seront pas plus petits que ceux de Berlin ». Donc, on a repris ceux de Berlin, et on a regardé ce que ça donnait. Et puis, d'autre part, nous avons regardé aussi les premiers scénarios qui s'échangeaient entre le CNES et le budget, à l'époque. Il y avait les hypothèses hautes et les hypothèses basses, et ils nous donnaient aussi des ordres de grandeur sur lesquels on travaillait à l'époque. Donc, vous trouvez tout cela dans la dernière partie du rapport, qui, encore une fois, par définition, a mal vieilli, puisque, depuis, il y a eu, quand même, la conférence de La Haye, qui a remis les comptes à l'heure.
Et le nouveau PMT ASE, comme le disait le président Hespel, qui n'a pas été du tout audité, permet de recadrer les hypothèses. Il y a le lancement, comme il était prévu, de nouveaux programmes, et l'apurement de la dette est reporté de fin 2010 à fin 2015.
Alors, en ce qui concerne le montant des nouveaux engagements souscrits par la France, ils s'élèvent, sur une période très longue, à 2,233 milliards. Le nouveau PMT ASE, que le CNES a établi juste après La Haye, pour pouvoir le présenter à son conseil d'administration de décembre, lui, se limite à l'horizon 2018. C'est pour cela qu'on ne trouve pas 2,233 milliards, mais on ne trouve que 1,872 milliard, c'est-à-dire ce qui est compris dans la tranche 2009-2018. Les principaux programmes qu'on y voit et qui ont été décidés par l'ASE concernent la météorologie (le satellite MTG), le programme GMES, qui sera, éventuellement, également proposé à l'Union Européenne, l'exploitation de l'ISS, le programme Exomars II (je le cite pour mémoire) : c'est un programme important pour l'ASE, mais la France a modéré, largement, sa participation, et puis, bien sûr, Ariane. La totalité des nouveaux engagements, tous pays confondus, est de 10,36 milliards. La part française de ces programmes, varie, bien évidemment. Comme je vous l'ai dit, elle est beaucoup plus forte pour Ariane que pour Exomars, c'est évident, mais, en moyenne, elle s'établit à 23 %, la part allemande s'établissant en moyenne à 26 %. Ce petit calcul mental, vous le voyez bien, ça rappelle quand même la hiérarchie des pays en matière spatiale. La France, dont le PNB ne représente que 17,1 ou 17,2 %, participe à hauteur de 23 %, programmes facultatifs et obligatoires confondus. L'Allemagne, avec le poids des programmes obligatoires, qui lui pèse à plus de 30 %, n'est, au total, qu'à 26 %. Par rapport à certaines déclarations, ça remet un petit peu les échelles en place.
En ce qui concerne la dette, nous avons cette petite satisfaction d'amour-propre qui est que, depuis 2005, nous avons émis des doutes sur le fait que l'apurement de la dette, d'ici 2010, était envisageable. Et effectivement, à fin 2010, au lieu de 0, c'est 484. Evidemment, ça comprend les frais des nouveaux engagements de La Haye. Le point final actuel de l'extinction de la dette : on a une croissance jusqu'en 2013, puis une extinction, plus tard, dans deux ans. Alors, on ne voudrait pas être des oiseaux de mauvais augure, mais ça rappelle étrangement celle qu'on avait dans le Plan précédent. Simplement, ce que l'on remarque, c'est que le sommet monte encore plus haut. Mais, malgré tout, nous mettons un bémol à cette remarque plutôt pessimiste. C'est qu'à la différence du Plan 2005-2010, qui avait pris compte uniquement des effets du Conseil de Berlin, mais avait fait l'impasse complète sur le Conseil de La Haye, là, dans les nouvelles estimations que nous a transmises le CNES, que nous n'avons pas éditées, on nous dit qu'ont été chiffrées les deux prochaines Ministérielles : une qu'on estime peut-être devoir venir entre 2011 et 2012, et une autre vers 2016, l'idée étant d'ailleurs qu'au lieu d'un rythme triennal, qui n'est pas inscrit dans le marbre, il vaudrait mieux un rythme quadriennal, plus espacé.
On s'aperçoit donc qu'on a un tableau qui est cohérent, équilibré, qui prévoit une dette de 2015, mais avec, en attendant jusqu'en 2013, une dette qui continue à augmenter. La seule remarque que nous pouvons faire à ce stade, c'est qu'il y a deux hypothèses fortes sur lesquelles repose, malgré tout, cette construction du PMT de décembre 2008. C'est, d'une part, le chiffrage des deux prochaines Ministérielles. Quand on regarde, nous voyons une anomalie : ça a été dimensionné, à peu près, dans la taille de Berlin et de La Haye. Mais, cela dit, nous n'avons pas de boule de cristal.
Et puis, d'autre part (là, peut-être, le Budget s'exprimera sur le sujet) : le montant de la subvention de l'Etat au titre de l'ASE. Toute cette hypothèse suppose qu'il y ait bien, sur toute la durée du futur plan, qui devrait couvrir 2011-2015, 770 millions d'euros aux conditions économiques de 2011. Pourquoi 770 millions ? C'est tout bêtement les 685 millions de 2004 qui avaient été gelés, qu'on dégèle (donc, ils font 770). A ce moment-là, on les maintient aux conditions économiques pour maintenir le pouvoir d'achat. Il est évident que, si ces deux hypothèses se révélaient exactes (encore une fois, nous ne voudrions pas être des oiseaux de mauvais augure), à ce moment-là, effectivement, le dernier PMT ASE présenté par le CNES, qui prévoit une extinction de la dette en 2015, pourrait, effectivement, réussir.
Voilà, j'en ai fini. Merci de votre attention.
Monsieur Yann GAILLARD, vice-président de la commission des finances, sénateur de l'Aube (UMP) - Monsieur Gillet, souhaitez-vous répondre aux observations de la Cour des comptes ?
Monsieur Philippe GILLET, directeur de cabinet du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche - Monsieur Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs,
Tout d'abord, je tenais à vous remercier, Monsieur le Président, d'avoir décalé aujourd'hui cette audition, initialement prévue avant la ministérielle de l'ASE l'année dernière.
Avant de revenir sur les remarques de la Cour des comptes, je voudrais, si vous le voulez bien, replacer l'ensemble des engagements du CNES dans les programmes de l'Agence spatiale européenne dans le contexte plus global de la politique française en matière spatiale.
Tout d'abord, il me semble important de rappeler que les programmes européens représentent environ un tiers de notre engagement pour le spatial, ce qui a été mentionné tout à l'heure. Le reste, c'est un tiers pour les programmes militaires et un tiers pour les programmes que l'on appelle multilatéraux, c'est-à-dire organisés directement par le CNES avec ses partenaires internationaux, surtout allemands, italiens, russes, américains, indiens, ou d'autres pays. Cet équilibre est une spécificité française qui nous permet d'asseoir une réelle position européenne et internationale sur des bases solides, fondées sur l'autonomie et la collaboration fructueuse. Cet équilibre nous a permis de construire une industrie spatiale française puissante présente sur l'ensemble de la chaîne de valeur, depuis les lanceurs jusqu'à l'exploitation des données des satellites, qu'ils soient orientés vers la Terre ou vers l'extérieur de la Terre.
Si l'espace et la conquête spatiale ont toujours été un moteur important d'innovation et de progrès, l'espace est aussi aujourd'hui indispensable à notre vie quotidienne. C'est là tout l'esprit de la politique menée par la Ministre Valérie Pécresse, c'est-à-dire développer l'espace au service des citoyens, créer de nouvelles applications spatiales qui correspondent à l'ensemble des besoins des Européens.
Bien sûr, l'exploit technologique, la recherche de nouvelles solutions innovantes, l'exploration spatiale sont encore d'intérêt majeur, et c'est la spécialité de l'Agence spatiale européenne, qui a su fédérer les ambitions spatiales des Etats européens autour de grands projets comme Ariane ou les satellites météo.
Mais Madame la ministre a voulu renforcer le volet « espace des services », en particulier à l'occasion de la présidence française de l'Union Européenne, au deuxième semestre de l'année 2008. Elle y a été particulièrement aidée par votre groupe parlementaire, pour l'espace, qui a organisé un colloque qui s'appelait fort justement « l'Espace au service des citoyens européens ». Cela s'est passé au mois de juin 2008.
La stratégie de la ministre s'est ensuite organisée autour de trois temps forts, qui ont été rappelés tout à l'heure par le Président :
- une réunion informelle des ministres européens chargés de l'espace, la première du genre dans l'histoire de l'Europe spatiale ; c'était un grand succès,
- un Conseil Espace, c'est-à-dire une réunion formelle du Conseil compétitivité et du Conseil de l'Agence spatiale européenne,
- et enfin, la réunion au niveau ministériel du Conseil de l'Agence.
La réunion informelle des ministres européens chargés de l'espace, à Kourou, de juillet dernier, a été l'occasion de montrer à tous nos partenaires de l'Union et de l'Agence spatiale européenne, et que la qualité de la coopération européenne dans les programmes spatiaux était une réalité. Cela a aussi été l'occasion d'illustrer, à nouveau, pour la ministre, que l'espace est vraiment une opportunité au service de la science (premier point), au service de l'économie (deuxième point), et puis, bien sûr, des politiques. Ainsi, c'est une véritable envie commune d'espace qui s'est révélée à Kourou. Une envie de nouvelles prouesses technologiques, bien sûr, une envie de nouvelles applications spatiales pour la vie quotidienne de nos concitoyens, Français, bien sûr, mais Européens, aussi.
Cette envie s'est ensuite traduite lors des deux autres temps forts du deuxième semestre 2008. Le Conseil espace tout d'abord, où une résolution a été adoptée sous le titre « Faire progresser la politique spatiale européenne ». La Ministérielle de l'Agence spatiale européenne ensuite, avec un engagement sans précédent de plus de 10 milliards d'euros de la part des Etats membres, dont 2,3 milliards d'euros pour notre pays.
Le Conseil espace a, de son côté, ouvert la voie pour la création, à terme, d'une ligne budgétaire spécifique pour l'espace, au sein du budget communautaire. C'est une avancée majeure pour développer de nouveaux programmes qui ne sont plus directement promus par la technologie, mais bien par les services qu'ils peuvent générer, à l'image de Galileo, de la navigation par satellite européenne, et de GMES, que vous avez évoqué tout à l'heure, l'observation de la Terre, pour lesquels le rôle de l'Union Européenne a été renforcé. C'est d'ailleurs le titre d'« acteur global » de la politique spatiale européenne que les ministres ont choisi de donner à l'Union au cours de cette réunion historique.
La suite, vous la connaissez : c'est la ministérielle de La Haye, avec ses nouveaux programmes, aussi bien dans le domaine des lanceurs, avec la préparation du futur d'Ariane 5, que dans le domaine des applications spatiales, avec les satellites de télécommunication, de navigation et d'observation de la Terre, ou encore dans le domaine de la recherche, avec un programme scientifique obligatoire en augmentation de 3,5 % par an.
Au final, ce sont plus de 2,3 milliards d'euros que la France a choisi de souscrire à La Haye, pour lancer de nouveaux programmes ou poursuivre les programmes existants.
Cet effort sans précédent bénéficiera directement dans les prochaines années à l'industrie française. Clairement, cet élan pour le spatial s'inscrit dans une politique de relance, en misant sur nos domaines d'excellence, sur des activités à fort contenu technologique. Et les retombées de ces programmes pour l'économie nationale dépassent largement les seules applications spatiales. Il suffit de voir l'évolution des technologies solaires ou des programmes informatiques embarqués.
La France a donc investi fortement dans les programmes de l'ASE, et ses partenaires européens lui sont reconnaissants : sans notre participation, beaucoup d'autres Etats ne pourraient mener leur propre politique, du fait-même qu'ils ont besoin de notre industrie, quelque part, pour que le projet spatial complet puisse voir le jour. Donc, avec le principe du retour géographique, nous devons financer, dès que la compétence industrielle est en partie française.
Ce principe du juste retour, que l'Agence a déjà assoupli ces dernières années, est souvent considéré comme un handicap. Il l'est en effet pour notre industrie d'un certain côté, mais il est aussi une formidable motivation pour les Etats à investir à l'ASE, car chacun sait que l'euro qui y est investi se retrouvera dans son industrie nationale.
Voilà, Mesdames et Messieurs, les grands axes de la politique française en matière spatiale. Vous l'aurez compris, il ne s'agit donc pas de baisser l'effort d'investissement de notre pays auprès de l'Agence spatiale européenne. Bien au contraire.
La question de la dette (qui a été longuement exposée tout à l'heure) auprès de l'Agence, quant à elle, trouve son origine dans la politique mise en place pour le retour en vol d'Ariane 5, notamment avec des programmes de développement complémentaires et le programme que vous avez évoqué tout à l'heure, dit « EGAS », de subvention d'exploitation à Arianespace à partir de 2003. Cette question renvoie donc d'abord à la question de la filière lanceurs en Europe et à son modèle économique. Deux réponses ont aujourd'hui été apportées à cette question. D'une part, la signature d'un contrat d'achat, par Arianespace, d'un nouveau lot de lanceurs, que l'on appelle dans le jargon le lot « PB », dans des conditions économiques qui permettent un équilibre financier d'Arianespace sans subvention, conformément au souhait du Président de la République, présenté lors de son discours sur la politique spatiale, prononcé à Kourou en février dernier. D'autre part, le lancement d'une mission, récemment confiée à Yannick d'Escatha, Bernard Bigot, administrateur général du CEA, et Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement, pour définir la position française sur l'avenir des lanceurs européens et leurs conditions d'exploitation commerciales dans un contexte mondial rapidement changeant.
Outre cette question importante des lanceurs, la question de la dette de la France auprès de l'ASE sera traitée par la saine gestion, entre l'Etat et son opérateur, le CNES, et la mise en place des moyens nécessaires aux ambitions françaises en matière spatiale, en donnant une perspective long terme de la subvention à l'Agence spatiale européenne, fondée sur des hypothèses raisonnées et réalistes. C'est un souhait commun.
C'est le choix du Gouvernement qui a été mis en oeuvre, lors de la Ministérielle de La Haye. Tout d'abord, une gestion rapprochée des engagements et des positions de la représentation française aux différents Conseils de l'Agence est assurée par le biais de réunions préparatoires systématiques et la rédaction de « jaunes », documents de position validées au niveau interministériel. C'est le ministère chargé de l'espace, le ministère que je représente, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui organise cette concertation. Pour la Ministérielle de La Haye, les réunions préparatoires ont même été plus régulières, avec un contact au cabinet de la ministre hebdomadaire et un calage interministériel régulier. Pour ce qui concerne la chronique des prochaines subventions à l'Agence, le choix que nous avons fait est de respecter, tout d'abord, le contrat Etat-CNES 2005-2010. Ainsi, la subvention prévue en loi de Finances initiale pour 2009 est égale à 685 millions d'euros, comme cela a été mentionné, et programmée pour un même montant en 2010. En 2011, la subvention de l'Agence spatiale européenne, programmée dans le cadre du budget triennal voté par le Parlement, a été fixée à 770 millions d'euros. C'est donc une augmentation substantielle qui permettra de rembourser la dette de la France à l'Agence, dans un délai raisonnable, tout en assurant un niveau d'investissement important pour l'industrie spatiale française dans la durée.
Ainsi, avec des hypothèses de croissance de la subvention de l'ordre de l'inflation, et avec des hypothèses que l'on peut considérer comme raisonnables pour les deux prochaines Ministérielles, mais qui prennent bien en compte le développement de la prochaine version d'Ariane 5, la dette de la France auprès de l'Agence est remboursée en 2015.
La différence avec le contrat 2005-2010, c'est que nous avons pris totalement en compte toutes les Ministérielles à venir, conformément aux recommandations de la Cour, tout comme l'ensemble des marges pour aléa. Ce n'était effectivement pas le cas dans le contrat précédent, qui prenait en compte la Ministérielle de 2005 pour référence, mais pas celle de 2008. Or, si la France n'avait engagé aucun programme nouveau à La Haye en novembre dernier, elle aurait remboursé sa dette dès février 2011.
Charge maintenant au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche de travailler dans les prochains mois avec le CNES et les autres ministères concernés (défense, affaires étrangères et budget, notamment) pour construire un nouveau contrat qui devra être signé au début de l'année prochaine, et qui pourra servir de référence pour les prochains projets de loi de finances.
Voilà, Mesdames et Messieurs, les fondements des dernières décisions de l'Etat en matière spatiale. Elles permettront de renforcer l'excellence de notre industrie et de maintenir son avance sur ses concurrents. Elles permettront aussi d'assurer la soutenabilité de nos programmes pour les finances publiques. Elles ont enfin permis de renforcer la position de leader de la France dans la politique spatiale européenne, politique qui a vocation à être portée aussi bien par l'Agence spatiale européenne que par l'Union européenne.
Je vous remercie.
Monsieur Yann GAILLARD, vice-président de la commission des finances, sénateur de l'Aube (UMP) - Merci, Monsieur le directeur. Si j'ai bien compris, la dette sera remboursée en 2015.
Monsieur le président du CNES, vous avez la parole.
Monsieur Yannick d'ESCATHA, président du CNES - Merci, Monsieur le président.
Donc, je crois que je vais peut-être simplement reprendre deux ou trois points de la présentation de la Cour, puisque la présentation de la Cour est parfaitement exacte, parfaitement appuyée, parfaitement argumentée. Je vais donc simplement faire quelques commentaires, peut-être pour vous éclairer sur cette question des calendriers de paiement, que nous voyons dans le PMT de l'ASE, qui est pour nous un outil de gestion de projets. A partir de là, les engagements qui sont pris sont traduits en annuités de paiement. Ces chiffres sont suivis, de façon quotidienne, avec l'ASE. C'est-à-dire que les équipes travaillent ensemble. Nous travaillons tous sur les mêmes bases de données, et aussi sur les mêmes informations en provenance de l'industrie, puisque pour nous, pour les paiements, on va être liés au degré d'avancement des programmes.
Nous traduisons donc dans l'outil de gestion de projets ces informations, au mieux que nous pouvons, et lorsque des retards deviennent quasiment sûrs, nous les enregistrons dans nos échéanciers de paiement. Ce sont le plus souvent des retards, parce que, comme dans beaucoup de secteurs, on met au départ des calendriers très ambitieux, et la réalité, en général, c'est plutôt un étalement.
L'ASE pourra expliquer ce qu'elle fait, elle, mais pour d'emblée expliquer les différences, les calendriers que publie l'ASE et que la Cour a utilisés, ce sont des calendriers des appels de fonds. C'est-à-dire que c'est l'argent (les programmations valent tant) des appels de fonds auprès des Etats membres pour couvrir les engagements. Et effectivement, je crois qu'on s'approche, au fur et à mesure que le temps passe, les chiffres évidemment convergent, parce qu'ils convergent sur la réalité, je dirais, de l'année, et les chiffres réalisés sont évidemment identiques. Et d'ailleurs, comme la Cour l'a fait remarquer il y a un instant, nos chiffres à nous s'avèrent, en général, plus proches de la réalité, plus fiables. Simplement parce que l'on fait la gestion de projets proche de la réalité, alors que pour l'ASE c'est un calendrier, je dirais, des appels de fonds. D'où, d'ailleurs, la trésorerie.
Alors, ce que je peux peut-être dire là-dessus, Monsieur le président, (là, j'étais sur la méthode) je peux peut-être signaler que ces chiffres, en gros, ils évoluent tous les six mois, en tout cas pour nous. Il est prévu que nous révisions notre PMT ASE, que nous soumettons à notre comité d'audit et au conseil d'administration, tous les six mois. Nous passons en effet cet exercice de reprévision (c'est dans notre procédure) tous les six mois. Et évidemment, en six mois, les chiffres changent. Les chiffres aujourd'hui sont autres que ceux sur lesquels nous avons travaillé avec la Cour à l'époque. On avait pris les meilleurs chiffres, c'est-à-dire ceux de fin 2007. Au passage, au jour d'aujourd'hui, je signale à la Cour (mais c'est sous réserve de vérification), que l'ASE vient de sortir les chiffres de février 2009) et il faut qu'on se plonge dedans, qu'on décortique en détail, mais un premier regard que nous avons fait récemment nous montre que les chiffres, effectivement, que donne l'ASE sont un peu plus bas que ceux que nous avons pris dans les prévisions antérieures, ce qui fait que les calculs que nous faisons aujourd'hui (je peux donner les chiffres, évidemment, à la commission, si vous le souhaitez, Monsieur le président) montreraient que, de fait, on serait quasiment à l'extinction de la dette à fin 2010, puisque moi, je trouve - 3 millions d'euros fin 2010, et l'ASE trouve un chiffre voisin qui est plutôt, lui, positif. Et bien sûr sans tenir compte de La Haye ! Evidemment, le contrat pluriannuel, c'est un point très important que la Cour a soulevé. C'est que le contrat 2005-2010 ne parlait pas du Conseil ministériel de La Haye. En appliquant les règles du contrat, on serait donc pratiquement à un équilibre fin 2010.
Ensuite, je vais faire deux ou trois petits commentaires, par exemple sur « EGAS », ou sur l'ISS, ou sur La Haye, ou sur un certain nombre d'aléas dont la Cour a parlé. En fait, la règle que nous avons prise, c'est que nous n'enregistrons que les décisions. C'est-à-dire : prenons la station spatiale internationale. Dans les programmes qui avaient été décidés à la Ministérielle de Berlin, celle qui est prise en compte par le contrat (donc décembre 2005), le programme station spatiale internationale avait été décidé, voté jusqu'à mi-2008, et pas au-delà. Et donc nous, nous avons mis les annuités prévues jusqu'à mi-2008, et pas au-delà. D'ailleurs, quels chiffres aurions-nous pris ? Ils auraient pu être beaucoup plus ou beaucoup moins élevés selon les négociations et décisions futures. Et évidemment la Cour a tout à fait raison de dire : « mais après mi-2008, la station reste encore là, d'une façon ou d'une autre ». Mais la règle est que tant que le programme n'a pas été voté, décidé par les ministres, on fait une note dans laquelle on écrit : « attention à la station spatiale internationale, le programme qui est voté, et donc le fonctionnement de la station n'est prévu que jusqu'à mi-2008 ». On met donc un warning disant : « attention, ce point-là est à prendre en compte ».
Mais c'est pareil pour La Haye, Monsieur le président. Il était évident qu'il y aurait un Conseil ministériel, qui aurait peut-être eu lieu fin 2008 ou au début de 2009 ; il était évident qu'il y en aurait un, il est évident que la France y aurait souscrit quelque chose. Mais ces décisions n'étant pas connues et pas prises, rien n'était pris en compte, dans le document contractuel. Il n'y a donc pas de reporting possible sur quelque chose que ne figurait pas dans les engagements, dans les prévisions, et qui n'était pas décidé. Donc, on ne faisait pas de reporting sur ces choses-là, même si on savait qu'elles allaient exister et que ceci était tracé et « figurait dans les annexes », comme on dit en comptabilité. Donc j'insiste, c'était bien tracé, c'était bien écrit, mais il n'y avait pas de reporting sur des chiffres qui n'étaient pas décidés et donc pas connus.
Alors, par exemple, sur « EGAS », je dirais que c'est la même chose. La Cour l'a effectivement indiqué, ayant tracé les fonds d'EGAS dans la comptabilité d'Arianespace, la Cour les a considérés comme étant, matériellement, en quelque sorte, consommés ; enfin, je ne vais pas parler pour la Cour. Mais la Cour dit bien qu'en fait, tout dépend de ce qu'on appelle un report. L'ASE n'avait pas appelé ces fonds, qui étaient normalement appelés en 2011. Effectivement, nous, nous les avons mis en 2011, parce qu'on suit les paiements, et pas les engagements. Donc, on les met à la date où, effectivement, ils vont être appelés.
Ensuite, tous les chiffres, on l'a vu, ont évolué d'une fois sur l'autre. C'est pareil, d'ailleurs, pour les risques et les aléas. Le contrat dit bien que ce cadrage... C'est le cadrage des 685 millions d'euros, l'enveloppe des 685 millions d'euros courants par an de 2004 à 2009, alors que le contrat va jusqu'en 2010, on rentrait dans ce qui était 685 millions d'euros sur la période 2004-2009, la marge restant pour couvrir les aléas et les décisions de lancement de nouveaux programmes au Conseil ministériel de fin 2005 ; il était bien clair qu'on ne traitait que le Conseil de fin 2005, et pas celui de fin 2008, la fameuse marge pour aléas que la Cour avait déterminée est suivie continûment. C'est ce que nous faisons dans notre tableau des risques, dans lequel nous identifiions ce qui pouvait évoluer, pour suivre cette marge, qui devait aboutir, en gros, à 0, fin 2010, comme ça a été rappelé à plusieurs reprises (on vient de dire que c'est probablement ce qui va se passer). Ces risques, ou ils disparaissent (ça a été le cas pour un certain nombre d'entre eux ; ils ont disparu), ou, dans d'autres cas, ils ont été avérés, ils ont été inscrits. Ils ont été inscrits, d'ailleurs pour la même valeur que celle qui est dans le rapport de la Cour.
Voilà, Monsieur le président, en substance, les seuls commentaires, qui sont plus des commentaires de méthode, que je souhaitais faire sur le rapport de la Cour. Evidemment, je reste à votre disposition pour répondre à toutes les questions.
Monsieur Yann GAILLARD, vice-président de la commission des finances, sénateur de l'Aube (UMP) - Merci beaucoup, Monsieur le président. Ce que je constate, c'est qu'effectivement, il y a une différence de méthode. En somme, le fond de votre discours, c'est que ce qui est probable n'est pas avéré. Mais je pense que le mieux, c'est que notre rapporteur spécial s'attache à l'ensemble de ces considérations.
Monsieur Christian GAUDIN, rapporteur spécial - Merci, Monsieur le président.
Mesdames et Messieurs, mes chers collègues. Je voudrais d'abord remercier la Cour des Comptes pour la grande qualité de ces travaux, qui éclairent le Parlement et permettent d'aborder cet important sujet de l'évolution de la dette du CNES à l'égard de la France.
Alors, ma première question était à l'attention des représentants du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et du ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique. Monsieur Gillet, directeur de cabinet, a, en partie, répondu à cette question. Monsieur le président d'Escatha a également apporté des précisions sur le sujet. Je voudrais, sans trop m'appesantir, mais c'est quand même le sujet central, interroger les représentants du ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique, pour avoir confirmation de ce processus d'apurement, et pour arriver, bien sûr, à un remboursement en 2015, et notamment nous parler, de façon plus précise, du prochain contrat Etat-CNES sur ce sujet.
Monsieur Julien LAGUBEAU, conseiller technique auprès du ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique - Pour répondre, au nom du ministère du budget, à vos interrogations, sur le contrat Etat-CNES, dont le travail commence à peine, ce qui est certain, et c'est la première année qu'on fait ce genre de choses, c'est que les dotations de l'Etat au CNES sont connues pour les trois prochaines années. Elles sont, en 2009, dans la loi de Finances, et en 2010 et en 2011, elles sont dans le budget triennal défini par le Sénat et l'Assemblée nationale. La somme sous-jacente qui est prévue dans le budget pour 2011, c'est bien 770 millions d'euros. Après 2011, rien n'est prévu juridiquement. Mais l'équation d'un remboursement en 2015, c'est une équation qui est basée sur deux choses. Elle est basée sur, côté dépenses, des hypothèses raisonnables et raisonnées, élaborées par rapport aux précédents contrats, qui intègrent toutes les Ministérielles, avec des chiffres raisonnés, et côté recettes, sur 770 millions que verserait l'Etat au CNES et qui évolueraient au cours de l'inflation.
On n'est pas là pour parler du budget 2012, 2013 et 2014, mais ce que je peux vous dire, c'est que c'est une hypothèse très raisonnable. L'effort financier est prévu en 2011, et nous l'avons d'ores et déjà intégré dans le budget 2011.
Monsieur Yann GAILLARD, vice-président de la commission des finances, sénateur de l'Aube (UMP) - Avez-vous d'autres questions ?
Monsieur Christian GAUDIN, rapporteur spécial - Oui, Monsieur le Président. Je souhaiterais profiter de la présence de Monsieur le directeur général de l'Agence spatiale européenne. D'une part, l'enquête de la Cour des comptes nous apprend que le CNES comptait réduire sa dette à l'égard de l'ASE en diminuant la trésorerie de cette agence, ce qui sous-entend qu'elle aurait une trésorerie appréciable. Je souhaiterais savoir si Monsieur Dordain pouvait nous apporter des précisions sur le sujet, et s'il considère que le niveau de trésorerie de l'Agence est optimal. C'est une première question.
D'autre part, et plus fondamentalement, je souhaiterais savoir comment l'Agence spatiale européenne concilie le retour, à l'euro près, des sommes que lui versent les Etats en retour vers des industries nationales, avec l'optimisation de son budget.
Pour ma part, et sans négliger la nécessité d'impliquer toutes les nations dans le projet spatial européen, j'ai peur que l'Agence n'illustre ainsi, à son corps défendant, cette Europe des égoïsmes nationaux, qui divise elle-même sa compétitivité dans le monde, face à la concurrence scientifique des pays continents.
Alors, Monsieur le directeur général, qu'en pensez-vous, vous qui avez à maintenir ce difficile équilibre entre les intérêts des nations qui vous ont mandaté ?
Monsieur Yann GAILLARD, vice-président de la commission des finances, sénateur de l'Aube (UMP) - Monsieur Dordain, nous vous écoutons.
Monsieur Jean-Jacques DORDAIN, directeur général de l'Agence spatiale européenne - Monsieur le Président, merci de me donner la parole. Je vais répondre à vos questions, simplement, je ferais quelques remarques préliminaires par rapport à ce qui a été dit, parce que je ne souhaiterais pas qu'un certain nombre d'éléments précédents restent gravés dans le marbre sans commentaire.
Premièrement, l'ASE n'est ni civile, ni militaire. Vous ne trouverez ni l'adjectif « civil », ni l'adjectif « militaire » dans la convention de l'ASE. Le seul qualificatif, c'est « fins pacifiques » : la mission de l'ASE s'exerce à des fins exclusivement pacifiques. Je le dis, parce que si on dit que l'ASE n'est pas militaire, elle n'est pas civile non plus.
La deuxième chose que je voudrais rectifier, c'est qu'on pouvait aller à 120 % des budgets facultatifs sans décision : ce n'est pas vrai. Il faut une décision. Je n'ai pas le droit d'utiliser 120 % des budgets sans la décision des Etats membres. Par contre, un Etat membre peut quitter un programme facultatif quand nous avons atteint 120 %, ce qui est tout à fait différent. Mais je n'ai pas le droit d'utiliser les budgets au-delà de 100 % sans que les Etats ne m'y autorisent. Je voulais préciser ça pour ne pas donner l'impression que le directeur général était libre d'utiliser l'argent des contribuables sans que les Etats membres ne l'y autorisent.
Je voudrais confirmer ce qu'a dit aussi Yannick d'Escatha : sans La Haye, avec nos nouveaux chiffres, non seulement la France aurait remboursé la dette en 2010, mais en plus, il y aurait eu un peu d'argent disponible.
Ceci étant dit, oui, la trésorerie n'est pas le problème le plus important de l'ASE. Nous avons, effectivement, une trésorerie qui est élevée. Mais elle est élevée pour, au moins, deux raisons.
Il n'y a qu'une seule trésorerie, comme l'a dit le représentant de la Cour des Comptes. Cette trésorerie est liée à des appels de fonds dont la base est les votes des différents budgets. Je voudrais dire qu'il n'y a pas qu'un budget à l'ASE. Donc, il y a une seule trésorerie, mais il y a 80 budgets, puisqu'il y a un budget par programme. Et nous faisons voter ces budgets un par un, chaque programme étant constitué de contributions différentes. Jusqu'à un passé très récent, il n'y avait strictement aucune flexibilité entre les programmes. Chaque programme était étanche ; on ne pouvait pas utiliser un euro d'un programme pour payer un euro d'un autre programme.
Cette absence de flexibilité pose un certain nombre de problèmes, d'autant plus que nous ne gérons pas des budgets : nous gérons des contrats industriels. Donc, les paiements sont liés, non pas à des calendriers, mais à des étapes contractuelles concrètes. Ces étapes contractuelles étant, bien entendu, liées à des fournitures, il peut y avoir des glissements. Si bien que, dans nos prévisions budgétaires annuelles, sur 80 budgets, nous prenons un certain nombre de marges, budget par budget, et non pas sur l'ensemble pour pouvoir faire face aux paiements que nous pensons avoir, étant bien entendu qu'un certain nombre de paiements, sur un certain nombre de programmes, n'auront pas lieu dans l'année, parce que les étapes industrielles ne seront pas achevées dans l'année calendaire. Mais je ne peux pas faire autrement que d'avoir l'argent, au cas où l'étape calendaire serait franchie. Ça, c'est la première raison pour avoir une trésorerie confortable.
La deuxième raison, c'est qu'en fonction des Etats membres, il y a des Etats membres qui préfèrent verser de l'argent à l'ASE quand ils ont de l'argent, et, j'allais dire, ça va, ça vient. Je vais citer un pays, la Belgique, qui est le pays de ma mère (c'est la raison pour laquelle je peux me permettre de citer la Belgique), qui quelquefois, est en dette...
Monsieur Jean-Pierre PLANCADE, sénateur de la Haute-Garonne (Rassemblement démocratique et social européen) - Vous nous expliquez que vous êtes aussi banquier ?
Monsieur Jean-Jacques DORDAIN, directeur général de l'Agence spatiale européenne - Non ; moi, je ne suis pas banquier. Mais un certain nombre de pays préfèrent payer leurs engagements à l'ASE en avance. C'est peut-être un lieu plus sûr qu'une banque. D'autres pays, au contraire, dont la Belgique, ont eu des périodes avec dette (donc, la dette de la France n'est pas quelque chose d'original dans le système de l'ASE : il y a d'autres pays qui ont recours aux dettes). La Belgique s'est trouvée dans des situations de dette, et, en ce moment, elle se trouve plutôt dans une situation de surplus. Donc, la trésorerie est faite d'éléments budgétaires, et d'éléments liés aux versements des différents Etats membres (donc, dix-huit Etats membres).
Nous avons effectivement une trésorerie élevée. C'est ce qui nous permet, je voudrais insister là-dessus, de faire en sorte que la dette de la France ne m'empêche pas de faire face aux échéances dont j'ai besoin pendant l'exécution d'un budget.
Donc, pour parler de la dette de la France (et après, je répondrai à la question sur les retours), à l'époque où la dette de la France a été initiée, je suis passé de la direction des lanceurs à la direction générale, et donc, je suis bien placé pour savoir que cette dette était nécessaire. Sans la dette de la France, Ariane aurait aujourd'hui disparu de la carte. C'est grâce à cette dette qu'on a pu remettre en vol, en 2003 et 2004, Ariane, et faire en sorte qu'aujourd'hui, Ariane, est redevenue la reine du marché commercial. Cette dette n'est donc pas une faute budgétaire, c'était nécessaire pour remettre Ariane en vol. C'était une dette nécessaire.
Deuxièmement...
Monsieur Yann GAILLARD, vice-président de la commission des finances, sénateur de l'Aube (UMP) - ... une dette vertueuse.
Monsieur Jean-Jacques DORDAIN, directeur général de l'Agence spatiale européenne - Oui ; j'ose dire qu'elle était vertueuse, d'un point de vue programmatique.
Deuxièmement, cette dette, je suis sûr que la France la remboursera, puisque je suis dans un système de traité international : chaque programme est un traité international, et le directeur général est sûr que, de toute façon, il retrouvera les euros à un moment donné.
Troisièmement, cette dette a un niveau aujourd'hui tel qu'elle ne m'empêche pas de travailler, et, qui plus est, ne m'oblige pas à faire des emprunts ; je n'ai jamais emprunté de l'argent à cause de cette dette. Donc, voilà la situation en ce qui concerne la dette.
Je voudrais, en plus, dire que la France est un bon actionnaire de l'ASE, puisqu'au premier appel annuel de contribution que je fais, elle me paie non seulement ce que je lui demande lors du premier appel, mais, en plus, le solde de la dette au 31 décembre précédent. Donc, la dette est couverte en début d'année, et ce n'est qu'à partir de l'été que la dette réapparaît. Mais, pendant plus de six mois, la dette n'existe pas, grâce au versement de la France.
Je ne suis pas là pour défendre la France : je défends tous les Etats membres avec le même amour. Mais je veux simplement dire que, pour l'instant, je peux travailler avec la dette.
Une dernière chose sur la dette : heureusement qu'au cours du dernier Conseil ministériel 2008, la France a mis sa priorité sur de nouveaux engagements aux services des ambitions de l'Europe spatiale, plutôt que de mettre la priorité sur le remboursement de la dette. Donc, voilà ce que je voulais dire sur la dette.
Maintenant, vous m'avez posé une question sur les retours et les égoïsmes nationaux. D'abord, dire que les égoïsmes nationaux sont un frein à la compétitivité européenne, je voudrais tout de même dire que ce n'est pas le cas de l'ASE. On est très fiers de la compétitivité de l'industrie spatiale européenne. Avec des investissements des gouvernements européens dix fois inférieurs à ceux des Etats-Unis, l'industrie européenne a plus de 50 % du marché commercial des services de lancement, et a plus de 40 % du marché commercial des satellites de télécommunication. Le retour géographique, c'est effectivement une contrainte (je vais y revenir) mais je ne voudrais pas donner l'impression que c'est à cause du retour géographique que l'industrie spatiale européenne n'est pas compétitive : elle est compétitive. Ceci dit, c'est vrai que la règle du retour est une règle importante à l'ASE, à laquelle tous les Etats membres tiennent. Je peux vous dire que même les Etats membres qui ont été violemment, un moment, contre le retour (et là, je citerai les Britanniques), quand on leur dit qu'ils sont en sous retour, je peux vous assurer qu'ils sont les premiers à venir se plaindre sur le fait qu'ils soient en sous retour.
A l'ASE, nous faisons de la recherche et du développement. C'est-à-dire que nous créons des capacités industrielles et des capacités technologiques. Et nous utilisons l'argent des contribuables nationaux. Nous ne délivrons pas de service, à l'ASE ; nous développons des produits. Et ce qu'on me demande, à moi, de faire, c'est que, quand je développe un produit, je fasse attention à là où je développe des capacités industrielles et technologiques. Ça, c'est la règle du retour.
Je ne me battrai jamais contre la règle du retour. C'est une règle plutôt juste, dans le cas de coopération internationale. Qui plus est, quand je coopère avec les Etats-Unis, même si on m'autorisait à transférer de l'argent aux Etats-Unis, moi, directeur général de l'ASE, je ne serais pas partisan qu'on transfère des deniers venant des contribuables européens à l'extérieur des frontières de l'Europe. Je peux vous dire qu'en ce moment, je suis en train d'approvisionner la constellation Galileo. Je me bats pour que ce soit l'industrie européenne qui développe la constellation Galileo, et même s'il n'y a pas de retour géographique attaché à l'argent de la Commission européenne. Et même sans retour géographique, je crois qu'il est de bonne politique d'essayer de faire en sorte de développer les capacités européennes. Mais ce n'est donc pas la règle du retour qui est en jeu ; ce qui est en jeu, c'est la façon dont on gère ces retours.
Et là, je me suis battu pour que les retours soient calculés, de plus en plus, de façon globale. Et j'ai obtenu en 2005 quelque chose de très important : les Etats membres m'ont autorisé à diminuer les contraintes sur le calcul du retour programme par programme pour donner la priorité au retour global. Donc, cette flexibilité que j'ai obtenue programme par programme me permet de faire des compétitions entre les industriels européens et me permet de servir la compétitivité de l'industrie européenne. Donc, oui, le retour est une contrainte, mais c'est une contrainte qui nous oblige à gérer correctement les deniers de chaque Etat membre. Et, globalement, sur l'ensemble des programmes de l'ASE, les Etats membres sont assurés de retrouver 94 % des euros qu'ils ont confiés à l'ASE.
Monsieur Yann GAILLARD, vice-président de la commission des finances, sénateur de l'Aube (UMP) - Merci, Monsieur le directeur général.
Je constate, au poste modeste qui est le mien ici, c'est-à-dire, de metteur en scène de cet échange, qu'à la question principale qu'on se posait, qui est une question financière et non politique, de savoir si la dette de la France obérait les capacités d'influence de la France dans le domaine spatial, vous venez de dire que non. Nous venons donc d'enregistrer cela, et c'est quelque chose d'important, même si les magistrats de la Cour, qui ont tout à fait raison de définir très précisément le problème, doivent considérer que la vérité ne s'arrête pas à cette situation.
Cela dit, Monsieur le rapporteur spécial a d'autres questions à poser, et peut-être que Monsieur le rapporteur pour avis le fera ensuite.
Monsieur Christian GAUDIN, rapporteur spécial - Merci, Monsieur le président.
J'ai une dernière question, qui devrait rejoindre, je pense, certaines préoccupations de mon collègue Jean-Pierre Plancade, rapporteur pour avis.
J'aimerais savoir si, au vu des règles de fonctionnement de l'ASE, le CNES et les ministères considèrent que la programmation issue de la conférence de La Haye est compatible avec le leadership de l'industrie française en Europe.
Pour remarque, la part de l'Allemagne (26 %) est supérieure à celle de la France (23 %). Avec la règle au retour géographique, l'industrie allemande devrait donc recevoir davantage de fonds que l'industrie française au cours des prochaines années.
Dès lors, pourriez-vous nous préciser (ma question s'adresse autant à l'ASE qu'au CNES et aux ministères) en quels domaines la France doit-elle être impliquée ? S'agit-il de priorités stratégiques et industrielles ?
Monsieur Jean-Pierre PLANCADE, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, sénateur de la Haute-Garonne (Rassemblement démocratique et social européen) - Monsieur le président, derrière la question de Monsieur Christian Gaudin s'en profile une autre, et je m'adresse au directeur général de l'ASE, au CNES et aux ministères.
Moi qui suis toulousain (Monsieur Gaudin vient de l'évoquer), quand je regarde les chiffres qui viennent d'être énoncés sur la participation des uns et des autres, et quand j'observe l'Allemagne, je ne peux pas m'empêcher de faire un rapprochement avec Airbus, même s'il ne s'agit pas du même sujet. Car quand je regarde comment a évolué la politique industrielle d'Airbus, je m'aperçois qu'en fait, le gouvernement français dit : « on ne fait pas de politique, la politique ne se mêle pas des affaires industrielles », et, effectivement, notre gouvernement ne s'en mêle pas pour des raisons de déontologie. Les Allemands disent : « on ne s'en mêle pas » mais ils le font quand même. Et on voit ensuite le décalage dans les structures et dans la recherche ainsi que les conséquences industrielles.
Donc, je voudrais savoir si l'on est un peu dans le même cas de figure. J'aimerais que l'on me réponde très sincèrement sur ce point, qui dépassera la question des difficultés de gestion que je comprends par ailleurs, Monsieur le directeur général.
Enfin, la dernière question que vient de poser Monsieur Gaudin, que je complète un peu, me paraît aussi importante. Je rejoins la remarque que vous faisiez sur l'état de la dette, Monsieur le directeur général.
Monsieur Edouard de PIREY, conseiller sciences, technologie et espace au ministère de l'enseignement et de la recherche - Si vous le voulez bien, Monsieur le président, je rappellerai les propos de la ministre à l'issue de la Ministérielle de La Haye. D'une part, effectivement, en termes de politique industrielle, la politique spatiale française est clairement une politique industrielle. Monsieur Gillet a introduit de cette manière son propos, à savoir que c'est grâce à cette politique spatiale française que l'on crée un vrai corpus industriel français qui est de très grande qualité (Monsieur Dordain l'a dit aussi), qui permet ensuite de générer un certain nombre de contrats industriels. Une industrie vraiment compétitive au niveau international et au niveau européen ; l'industrie française n'a vraiment pas à rougir de ses compétences.
En ce qui concerne la Ministérielle de La Haye directement, les industriels ont été nombreux à faire part de leur satisfaction à l'issue des négociations, et ils en ont fait part directement à la ministre, de même qu'au CNES, je crois que c'est une mesure assez importante dans le succès de La Haye.
Enfin, vous avez parlé des 23 % français, que vous avez comparés aux 26 % allemands. Je crois qu'il ne faut pas en rester à ces chiffres, et il faut bien regarder quels sont les programmes qui ont été investis. Les nouveaux programmes ont principalement concerné la station spatiale internationale, qui est une priorité, comme vous le savez, pour les Allemands, mais qui est moins importante pour les Français, pour l'industrie française d'une part, et pour la vision politique d'autre part.
En revanche, si vous revenez à la Conférence ministérielle de Paris, qui a été un point très important pour le programme Ariane (on en a parlé déjà longuement ce matin), la France était entre 50 et 60 % des contributions à cette Ministérielle de Paris, en 2003.
La prochaine Conférence sera, très probablement, aussi, une Conférence très orientée sur les lanceurs, du fait qu'à La Haye nous avons engagé des programmes sur la préparation du futur d'Ariane 5. Il est probable qu'à la prochaine Ministérielle, on décide le développement complet du futur d'Ariane 5 : là, ce seront des montants bien supérieurs pour la participation française, et on aura de nouveau une balance plus forte côté français.
Maintenant, si vous regardez le flux financier annuel, il est toujours favorable à la France, non seulement globalement pour le spatial (2 milliards en France ; un peu plus d'1 milliard en Allemagne), mais aussi au niveau de l'agence, nous sommes proches de 700 millions d'euros, et les Allemands sont plutôt proches de 600 millions d'euros.
On ne cherche pas nécessairement à mettre plus d'argent que nos voisins, mais on cherche, effectivement, à garder une position importante dans ce secteur, encore une fois, pour soutenir l'industrie spatiale française, qui est très compétitive, et qui gagne, par ailleurs, des contrats commerciaux sur différents marchés, qu'ils soient européens ou internationaux.
Monsieur Philippe ADNOT, sénateur de l'Aube (non inscrit) - Si on a des participations financières supérieures, comment se fait-il que la part de l'Allemagne dans les programmes s'élève à 26 % contre 23 % pour la France ?
Monsieur Edouard de PIREY, conseiller sciences, technologie et espace au ministère de l'enseignement et de la recherche - 23 % des programmes qui ont été décidés à La Haye. Il s'avère que les programmes qu'on décide à chaque Ministérielle dépassent très largement les trois années qui suivent la Ministérielle prochaine. C'est-à-dire que nous avons, en gros, des queues de crédit pour les programmes particulièrement importants. Les programmes qui ont été décidés dans les ministérielles précédentes continuent à peser assez lourdement sur notre engagement financier annuel auprès de l'agence, mais ces programmes n'étaient pas à l'agenda de la ministérielle de La Haye.
Monsieur Yann GAILLARD, vice-drésident de la commission des finances, sénateur de l'Aube (UMP) - Il y a beaucoup de mystère dans cette affaire.
Monsieur Jean-Jacques DORDAIN, directeur général de l'Agence spatiale européenne - Non, il n'y a aucun mystère. Tout est clair et transparent. Ce qu'a dit le représentant du ministère, c'est que, effectivement, au dernier Conseil de La Haye, la contribution des Allemands aux nouveaux programmes décidés à La Haye était supérieure à celle de la France. Mais l'activité de l'Agence spatiale européenne ne repose pas simplement sur le Conseil de La Haye. Je dirais même que dans les trois prochaines années, en termes de paiement, ce qui va être des activités liées aux décisions de La Haye, va être minoritaire par rapport aux activités qui proviennent de la décision de la ministérielle de 2005 et encore de la ministérielle de 2003. Un programme spatial, ça dure 7 à 8 ans, et les ministérielles, on en a une tous les trois ans. Donc dans l'ensemble des activités de l'Agence spatiale européenne, aujourd'hui, la France a encore un niveau d'activité supérieur à celui de l'Allemagne. Ça, c'est le premier point.
Deuxième point, ce n'est pas la France qui a diminué, c'est l'Allemagne qui a augmenté. C'est plutôt une bonne nouvelle. Je ne voudrais pas prendre comme une mauvaise nouvelle le fait que l'Allemagne augmente son intérêt et sa contribution aux activités spatiales. Ce n'est pas la France qui a diminué. Donc je ne pense pas que l'industrie française soit à risques. Tout simplement, Allemagne a décidé que l'espace était suffisamment intéressant pour qu'elle augmente sa contribution à l'ASE (il faut dire que la France fait beaucoup de choses en dehors de l'ASE). Je pense donc que tout ceci n'est qu'une bonne nouvelle et que la France est encore un pays leader à l'Agence spatiale européenne.
Dernière chose, la comparaison avec l'Airbus n'est pas totalement pertinente, parce qu'Airbus est d'abord sur le marché commercial. Airbus est une société industrielle qui gère ses activités. A l'ASE, comme je l'ai rappelé tout à l'heure, nous avons des règles industrielles. J'allais dire : « nous avons la chance d'avoir des règles ». C'est très confortable...
Monsieur Jean-Pierre PLANCADE, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, sénateur de la Haute-Garonne (Rassemblement démocratique et social européen) - Monsieur le directeur général, je ne sais pas si la comparaison que j'ai faite est pertinente. Moi, je constate les faits. Quels sont les faits par exemple concernant Airbus ? Je n'ai pas dit que ça s'appliquait immédiatement aux rapports entre le CNES et l'ASE mais j'énonce simplement une vérité qui a d'ailleurs posé question à l'encadrement d'Airbus. Je dis qu'aujourd'hui, il y a parfois des implications politiques très fortes de la part de l'Allemagne. Je ne peux que louer ceci naturellement, parce que je suis un Européen profondément convaincu, mais je constate qu'en fait avec cette pression politique, on assiste à un transfert de technologies qui va bénéficier à l'Allemagne au détriment de la France.
Vous voyez bien qu'ici, il y a une interrogation qui a été formulée par Monsieur Gaudin ainsi que par Monsieur Adnot ; je ne l'ai pas réitérée pour éviter une répétition. Aujourd'hui, je voulais insister sur ce comportement politique et vous n'avez d'ailleurs pas non plus répondu à la question commune que nous avions formulée, Monsieur Gaudin et moi-même : pensez-vous qu'avec les choix qui sont faits aujourd'hui par le CNES, on est tout à fait dans la stratégie générale que développe la France en matière spatiale ?
Vous nous avez fait un grand discours sur la politique de la France, et je vous en félicite, mais vous ne nous avez pas dit s'il fallait vraiment changer le tir, ou si on était véritablement dans cette logique-là. Voilà, je réitère ma question. Mon souci, Monsieur le directeur général, c'est de vérifier que les retombées industrielles soient équitables. Que cette équité soit respectée, c'était ça le sens de ma question, ce n'était pas autre chose.
Monsieur Yannick d'ESCATHA, président du CNES - Monsieur le président, je voudrais dire quelques mots sur la question que Monsieur Gaudin et Monsieur Plancade ont soulevée. Sur les programmes, quand nous avons, et ça fait partie de votre question, préparé la Ministérielle de La Haye, nous avons vraiment travaillé en termes de sélection des programmes stratégiques pour la France dans les cinq segments stratégiques : l'accès à l'espace, tout ce qui est développement durable, tout ce qui est grand public, télécoms, etc., tout ce qui est sciences et tout ce qui est sécurité et défense. Nous avons donc travaillé sur ces lignes-là et nous avons fait notre choix de programmes, évidemment, en relation très étroite avec l'industrie, et avec, bien sûr, les communautés d'utilisateurs, et avec les communautés scientifiques.
Ensuite, ce qu'il a fallu, c'est que ces choix puissent s'intégrer dans un ensemble européen, puisqu'on n'est pas unilatéral, là-dedans, on essaie de marier nos priorités avec celles des autres, pour faire, globalement, une mission spatiale qui soit aussi cohérente, performante que possible et qui associe les priorités des différents pays.
Je pense que ça a été l'un des mérites du Conseil ministériel de La Haye, ce qu'effectivement, les deux grands, que sont la France et l'Allemagne, ont réussi chacun... Je pense que c'est probablement exceptionnel. Je ne sais pas si le directeur général de l'ASE le partage, mais moi, je n'ai pas vécu beaucoup de Conseils ministériels (c'était le troisième), et il m'a paru assez exceptionnel, parce qu'il n'y a pas eu de négociations dites « marchands de tapis », il n'y a même pas eu de tensions. Il y a eu la volonté d'arriver à régler au mieux l'intérêt des deux partis, pour que chacun, effectivement, vienne (un peu dans l'idée des plans de relance : en ceci l'Allemagne a mis beaucoup d'argent aussi, parce qu'effectivement, ils avaient eu un supplément de crédit très récemment au titre du plan de relance en Allemagne) faire ce qui est sa politique, sans écraser ou sans déséquilibrer le couple.
Je vais juste donner un exemple. On avait prévu de faire un satellite de météo qui s'appelle MTG (Météo Troisième Génération) qui est fondamental, et dans lequel France et Allemagne ont tous les deux des intérêts importants et des capacités importantes. Il y a donc deux consortiums qui sont concurrents : un emmené par un Français, TAS, l'autre emmené par un Allemand. On avait donc prévu de se mettre tous les deux à 35 %, de façon à laisser une compétition tout à fait « fair » s'opérer et donc de ne pas intervenir, de ne pas biaiser la compétition. Les Allemands, venant avec beaucoup plus d'argent, ont annoncé qu'ils allaient mettre 42 % dans MTG, ce qui évidemment nous posait un problème. Au passage, on était prêt à monter à 42 % s'il l'avait fallu. C'est intéressant, parce que ça veut bien dire que la priorité a bien été donnée, je dirais, au choix des programmes et à leur importance stratégique. Au bout de l'histoire et après de multiples négociations dans tous les sens, on est redescendu tous les deux à 34 %, avec le reste se mettant sur d'autres programmes, en plein accord. Donc ça s'est fait dans un esprit, je dirais, extrêmement positif, qui était : « il faut absolument qu'on arrive à s'entendre, et que l'initiative de l'un ne casse pas l'autre ». Et, au passage, qu'on n'écrabouille pas d'autres pays. On avait un souci avec l'Italie qui ne pouvait pas suivre parce qu'elle avait très peu d'argent cette fois-ci, compte tenu de ses problèmes internes, et donc, là, on a aussi essayé de préserver la position de l'Italie.
Je vous raconte tout ça, parce que c'est comme ça que nous vivons, en Européens, je dirais, à l'ASE. Deuxième élément que je voulais dire, c'est que, quand on a fait les comptes (alors, bien sûr, il y avait des enveloppes budgétaires, etc.), on avait même la possibilité de ressources additionnelles, si ça avait été nécessaire, pour des questions stratégiques. On voit bien qu'au bout du compte, dans la Ministérielle de La Haye, on a mis beaucoup plus d'argent que dans la Ministérielle précédente qui était à Berlin en 2005. Donc, il y a vraiment a eu un effort considérable.
Si je peux me permettre encore - si vous me donnez la parole encore deux, trois minutes - je voudrais passer à une autre question dans le droit fil de ce que la Cour disait. En fait, les questions que vous vous posiez et cette gestion, je dirais, des ressources, avec la dette, tout ça a été réglé évidemment par l'apport de ressources nouvelles : augmentation de 685 à 770 millions d'euros à partir de 2011. Il y a au moins eu des scénarios, et on voit que, les scénarios, ils allaient jusqu'en 2020, pour vérifier qu'on ne recommencerait pas la situation dans laquelle on se trouvait. C'est-à-dire qu'on provisionnait les Ministérielles à venir tous les trois ans, ou trois ans et demi, ce qui est effectivement une fréquence trop rapprochée ; je suis effectivement d'accord avec ce qui a été dit.
En gros, on a essayé d'établir une espèce de scénario de régime de croisière, et de vérifier que les ressources pouvaient être soutenables, pour prendre un mot à la mode.
Effectivement, c'est bien ce scénario-là qui nous a aussi permis de valider le niveau de 770 millions d'euros à partir de 2011. Le 770, il n'est pas venu comme ça en disant : « tiens, on va mettre 770 ». Il a été vérifié que c'était le bon niveau qui permettait effectivement d'avoir la mise en oeuvre de la volonté politique dans le domaine spatial de la France, en particulier de son leadership. Je rappelle que le leadership... On l'a très bien vu sur les premiers slides de la Cour, puisqu'on a vu que la France (là, on parle des budgets de l'ASE, mais il y a aussi les autres budgets), au total, l'effort spatial de la France, il est un peu en dessous de 2 milliards d'euros par an et l'effort spatial de l'Allemagne, il est un peu au dessus de 1 milliard d'euros par an. Donc si vous voulez, je crois qu'il n'y a pas de question du tout sur le leadership de la France et de la volonté de la France de le maintenir.
Dernier point. Je pense que l'on a fait, avec le rapport de la Cour, un progrès en matière de méthode. On va continuer, effectivement, à faire de la gestion de projet, parce que c'est notre métier, dans lequel on va continuer à suivre les projets, tels qu'ils sont décidés, tels qu'ils sont budgétés, avec des vrais chiffres, avec des vrais engagements, en suivant les aléas, en les inscrivant lorsqu'ils deviennent avérés on va continuer à faire le métier. Mais, on va maintenant, dans le prochain contrat pluriannuel, on va effectivement intégrer les perspectives de ces Ministérielles de façon à les provisionner, ce qui est, en France, un progrès méthodologique très important.
Je vous remercie.
Monsieur Yann GAILLARD, vice-président de la commission des finances, sénateur de l'Aube (UMP) - Merci infiniment. Je trouve que cette réunion est tout à fait passionnante, parce qu'on a vu vraiment comment la négociation se nouait entre des scientifiques, et c'est vrai qu'on est toujours dans une compétition commerciale et industrielle, mais entre scientifiques, ça se joue peut-être un peu différemment. C'est ce que je retiens de cet échange de vues tout à fait passionnant, et qui fera, bien entendu, l'objet d'une publication.
Une dernière question mes chers collègues ?
Monsieur Philippe ADNOT, sénateur de l'Aube (non inscrit) - Très brièvement, est-ce que vous pouvez nous rappeler : combien de pays regroupe l'ASE, c'est combien de pays ? Quel est son budget global ?
Et puis tout à l'heure, il y a quelque chose que je n'ai pas très bien compris. Vous avez dit : « c'est grâce à la dette de la France qu'on a pu réussir Ariane ». Alors, j'en profite pour féliciter le CNES de la réussite brillante du dernier tir, et des progrès qui ont été faits pour Ariane, parce que vous avez trouvé beaucoup de solutions aux problèmes qui se posaient. Est-ce que c'est parce que, au lieu de donner l'argent, le CNES a plus concentré sur Ariane, ou est-ce que c'est l'ASE qui a apporté plus d'argent pour réussir Ariane, et du coup, ça a fait une dette ? Je n'ai pas bien compris ce « mystère ».
Monsieur Jean-Jacques DORDAIN, directeur général de l'Agence spatiale européenne - Je suis navré d'être à l'origine de certains mystères.
L'Agence spatiale européenne aujourd'hui, c'est dix-huit Etats membres. Les dix-huit Etats membres sont assez faciles à définir ; c'est l'Union Européenne des quinze, avant élargissement. Nous avons deux Etats membres qui ne font pas partie de l'Union européenne, la Suisse et la Norvège, et nous venons de voir le premier pays de l'élargissement de l'Union qui vient de rejoindre l'ASE, c'est la République tchèque. La République tchèque est le premier des Etats membres de l'élargissement de l'Union à se joindre à l'ASE.
Ceci dit, le nombre des Etats membres de l'ASE va, assez rapidement, s'homogénéiser avec les Etats membres de l'Union. Nous sommes déjà en train de négocier avec la Roumanie et la Hongrie, pour une accession à l'Agence spatiale européenne, et je pense que c'est une question de temps pour que les autres pays de l'Union se joignent à l'ASE, étant donné, d'ailleurs, que ces pays travaillent déjà pour des activités spatiales au travers de l'Union et de la contribution de l'Union à l'espace. Nous avons un peu de retard par rapport aux Etats membres de l'Union. Ceci dit, je voudrais quand même rappeler que plus de 90 % du budget de l'ASE vient de six Etats membres, et que je ne pense pas que l'augmentation du nombre des Etats membres va changer cette donne. L'industrie spatiale, elle est essentiellement concentrée dans six pays : la France, bien entendu, d'abord, l'Allemagne, l'Italie, le Royaume-Uni, la Belgique et l'Espagne. C'est une des particularités de l'ASE, et le caractère facultatif de ces programmes fait que, encore une fois, tous les Etats membres sont égaux, sauf qu'il y en a six qui donnent plus de 90 % du budget. Donc, le budget de l'ASE, c'est de l'ordre de 3 milliards d'euros par an, à l'heure actuelle. La part de la France, aujourd'hui, est de l'ordre de 25 à 26 %, globalement.
Ceci étant rappelé, le « mystère ». Le 12 décembre 2002, il y a eu deux événements ce jour-là : l'après-midi, j'ai été nommé directeur général de l'ASE, et le soir, Ariane 5 s'est cassé la figure. Je ne crois pas qu'il y ait de relation de cause à effet, au moins, j'ose l'espérer. Je peux donc dire que le 12 décembre 2002 a été une journée chargée.
Et donc, Ariane 5, c'est dramatique, parce que c'était la version actuelle qui a eu un échec lors de son premier vol. Je peux vous dire qu'à l'époque, on a passé quelque temps très difficiles parce qu'on se demandait si, et comment, on allait remettre sur pied Ariane 5, non seulement techniquement, mais commercialement, parce que le marché est assez fragile, et un échec retentissant comme celui-là pouvait mettre à mal l'avenir d'Ariane 5. Et donc, il a fallu qu'en moins de six mois (l'accident s'est passé le 12 décembre 2002 et le Conseil ministériel a eu lieu en mai 2003), les Etats membres de l'ASE soient capables de trouver pratiquement 2 milliards d'euros pour remettre totalement sur pieds la filière Ariane. Et bien entendu, ça a été l'effort de tous les Etats membres. Si la France n'avait pas montré l'exemple, les autres Etats membres n'y seraient pas venus, et je dois dire qu'il a fallu que la France, en quelques mois, trouve les ressources nécessaires pour faire face à cette demande, puisque la France couvrait 50 % de cette facture. On a arrêté un certain nombre de programmes, mais on ne pouvait pas régler ce problème uniquement en arrêtant des programmes. Donc, il a fallu de l'argent supplémentaire, et de façon rapide. C'est la raison pour laquelle il y a eu dette. Mais, encore une fois, comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est une dette qui a permis de sauver Ariane, et je pense qu'aujourd'hui, tout le monde doit se féliciter de ce que la France a décidé à ce moment-là.
Monsieur Yann GAILLARD, vice-président de la commission des finances, sénateur de l'Aube (UMP) - Felix culpa, comme on dit : heureuse faute. Je ne pense pas que d'autres collègues veuillent intervenir, à l'issue de cette réunion qui, à partir du document de la Cour des comptes, a permis d'aller au-delà. Je remercie infiniment les magistrats de la Cour d'avoir fait ce travail. Très probablement, quelque part, ça a permis d'élucider quelques questions importantes.
Et, pour terminer par la formule consacrée, j'invite les membres de la commission des finances présents à autoriser la publication des travaux du rapporteur spécial et de la Cour des comptes sous la forme d'un rapport d'information. Pas d'objections ? Il en est ainsi décidé .
Merci infiniment.
(La séance est levée à 11 heures 50)