TRAVAUX DE LA COMMISSION - AUDITION DES REPRÉSENTANTS DES MINISTÈRES CHARGÉS DE L'ÉDUCATION NATIONALE ET DU BUDGET
Présidence de M. Jean Arthuis, président
Séance du mardi 18 novembre 2008
Ordre du jour
Audition de M. Jean Picq, président de la 3 ème Chambre de la Cour des comptes, de M. Jean-Louis Nembrini, directeur général de l'enseignement scolaire, M. Daniel Vitry, directeur de l'évaluation de la prospective et de la performance au ministère de l'éducation nationale, et de M. Guillaume Gaubert, sous-directeur à la direction du budget au ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique, pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes sur l'école maternelle 5 ( * ) .
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La séance est ouverte à 10 heures.
M. Jean Arthuis, président - M. le Président, Mesdames, Messieurs, mes chers collègues, si vous le voulez bien, nous allons ouvrir cette séance pour suite à donner à une enquête que nous avons confiée à la Cour des comptes sur l'école maternelle. L'importance de l'école maternelle et les problématiques liées à l'accueil des jeunes enfants ont fait l'objet de récents rapports, notamment d'un groupe de travail constitué au sein de la commission des affaires culturelles du Sénat, groupe qui a été animé par nos collègues Monique Papon et Pierre Martin. Je voudrais que l'on excuse Monique Papon, puisque, en sa qualité de vice-présidente du Sénat, elle est retenue en cet instant même par une réunion du Bureau du Sénat. Je remercie Pierre Martin de sa présence parmi nous ce matin ; il va arriver.
L'approche de la commission des finances est un peu différente de celle de la commission des affaires culturelles. Il n'appartient pas à notre commission de juger de la pertinence des programmes et des méthodes d'enseignement, ce qui est la compétence de la commission des affaires culturelles. En revanche, notre commission est légitime à s'intéresser à l'organisation de l'école maternelle, à l'allocation de ses moyens et à ses résultats. Or c'est justement le manque de lisibilité de l'école maternelle dans le nouveau cadre de la loi organique relative aux lois de finances qui a conduit notre commission des finances à confier à la Cour des comptes une enquête sur les modalités de pilotage, de gestion et d'évaluation de ce secteur de l'enseignement scolaire. Un développement particulier a également été demandé sur la scolarisation des enfants âgés de 2 ans, étant donné les nombreuses questions que celle-ci soulève. Au final, les conclusions de la Cour des comptes font apparaître la nécessité d'établir rapidement un état des lieux complet sur les modalités de gestion et les effets de la scolarisation préélémentaire, soulignant que les données disponibles en la matière sont, je cite, « entachées de lacunes et d'incertitude » et qu'elles empêchent de se prononcer sur l'optimisation des moyens qui lui sont consacrés. Je rappelle que le montant global alloué à l'enseignement préélémentaire s'élève à plus de 12 milliards d'euros. Ceci concerne la part consacrée par l'État à l'école préélémentaire ; il faudrait donc y ajouter les moyens mis à la disposition des écoles préélémentaires ou des classes préélémentaires par les municipalités.
L'importance du sujet que nous allons aborder a conduit la commission des finances à ouvrir cette audition au public et à la presse. Avant de laisser la parole aux rapporteurs spéciaux, je remercie de leur présence M. Jean Picq, président de la troisième chambre de la Cour des comptes, M. Pascal Duchadeuil, qui est président de section, MM. Jean Cadet, conseiller maître, et Jean Montarnal, conseiller référendaire, qui ont conduit cette enquête. Je remercie M. Jean-Louis Nembrini, directeur général de l'enseignement scolaire, qui représente le ministre Xavier Darcos, dont la présence ce matin était annoncée mais qui est bloqué par un problème d'avion à Bordeaux. Je remercie également M. Daniel Vitry, directeur de l'évaluation, de la prospective et de la performance au ministère de l'Education nationale, M. Guillaume Gaubert, sous-directeur à la direction du budget, en charge notamment des questions relatives à l'enseignement scolaire.
M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles - M. le président, je voudrais simplement remercier la commission des finances d'avoir tenu à associer la commission des affaires culturelles à cette réunion. Je voudrais aussi vous dire que la commission des affaires culturelles attache beaucoup d'importance à la scolarisation des jeunes enfants et s'est saisie de cette question, puis, récemment, notre collègue Madame Monique Papon, le Vice présidente du Sénat, et M. Pierre Martin ont présenté à notre commission les conclusions d'un travail, d'un rapport qu'ils ont fait, qui porte sur l'accueil des jeunes enfants et sur une politique globale de l'accueil des jeunes enfants qui, pour partie, peut concerner les crèches, pour partie, concerner la préscolarisation, avec un débat, une réflexion à avoir sur l'âge auquel les jeunes enfants entrent dans l'école maternelle et à quel âge ils peuvent véritablement en tirer un profit. Donc, l'approche qui est la vôtre vient compléter les réflexions qui sont les nôtres, et je peux vous garantir que nous saurons extrêmement attentifs, à la commission des affaires culturelles, aux conclusions que vous allez maintenant présenter.
M. Jean Arthuis, président - Peut-être auriez-vous pu citer, parmi les modes d'accueil des jeunes enfants, outre les crèches, éventuellement les regroupements d'assistantes maternelles, qui constituent des alternatives très larges et à mon avis financièrement soutenables par la collectivité publique.
Si vous le voulez bien, je propose que nos collègues Gérard Longuet et Thierry Foucaud, qui sont co-rapporteurs spéciaux de la mission « Enseignement scolaire », interviennent maintenant à titre liminaire. Ensuite, je donnerai la parole à la Cour des Comptes, et c'est à ce moment-là que nous entendrons le ministre ou son représentant.
M. Gérard Longuet, sénateur, rapporteur spécial - Merci M. le Président, merci Messieurs les présidents de nous donner l'opportunité d'évoquer au sein de la commission des finances les aspects budgétaires de l'enseignement préélémentaire dans notre pays, sachant qu'il est extrêmement difficile de les séparer de la mission et de la vocation de cet enseignement. Donc, nous aurons à coeur, Thierry Foucaud et moi-même, d'être au plus près des réalités financières dans le cadre de la LOLF, et nous essaierons de ne pas faire déborder Jacques Legendre sur les compétences de la commission des affaires culturelles.
Deuxième remarque, nous sommes dans une réunion de commission qui est publique. Je m'efforcerai cependant de garder l'esprit de liberté qui m'anime lorsque je m'exprime en commission. L'intérêt du travail en commission, c'est de pouvoir parler le plus directement, le plus librement, et peut-être parfois de façon la plus dérangeante, mais c'est sans doute la seule façon de faire avancer le débat démocratique. Si nous avons une langue de bois pour la raison que la commission serait publique, je crois que nous trahirions la qualité des échanges parlementaires, où l'on peut à la fois être plus consensuel en commission que l'on ne l'est en séance et parfois aussi plus conflictuel que l'on peut l'être avec telle ou telle idée dominante commune ou banale.
M. Jean Arthuis, président - Qu'il soit clair que c'est tout l'intérêt de ces auditions.
M. Gérard Longuet, sénateur, rapporteur spécial - C'est tout l'intérêt mais j'ai pu mesurer, à titre personnel, que ce n'est pas un exercice facile de trouver une juste ton que chacun puisse comprendre.
M. Jean Arthuis, président - Et chacun se souvient que c'est dans cette salle que le ministre Xavier Darcos a eu l'occasion de s'exprimer au début du mois de juillet dans une audition publique organisée par la commission des finances. Il répondait à une question précisément sur l'école maternelle, et ses propos ont sans doute été mal interprétés.
M. Gérard Longuet, sénateur, rapporteur spécial - Non, ils ne sont pas mal interprétés. Je crois qu'il faut savoir parler librement et que chacun accepte la liberté de l'autre. Je n'en dirai pas plus à cet instant.
Je voudrais revenir sur l'approche de la Commission des Finances sur l'enseignement préélémentaire. D'abord, une première observation qui est spectaculaire. Je regardais les résultats du taux de scolarisation des enfants de moins de 3 ans dans le département de Seine-Maritime, que représente mon collègue Thierry Foucaud, et dans le département de la Meuse, que je représente. C'est intéressant parce que ce sont des départements assez différents. En Seine-Maritime, l'écart est de 16 %, d'après le rapport, et en Meuse, c'est un peu plus de 38 %, mais ces écarts, pour spectaculaires qu'ils soient, ne restituent pas la fourchette la plus complète. Pour la fourchette la plus complète - je parle des départements métropolitains -, nous allons de 2,5 % jusqu'à 70 %. Donc, on est dans un rapport de 1 à 35 sur le taux de scolarisation des enfants de 2 à 3 ans en préélémentaire dans notre pays. Et le plus surprenant, c'est que cette diversité de taux ne recoupe pas nécessairement des diversités sociologiques affirmées. Par exemple, le département de la Haute-Loire de mon collègue Adrien Gouteyron a un taux de scolarisation des enfants de moins de 3 ans de l'ordre de 70 %, ce qui est spectaculaire par rapport à la population d'enfants âgés de 2 ans et au taux de scolarisation à 2 ans. Je crois que j'ai raison, mais je me suis posé la question parce que les écarts sont spectaculaires.
Si je reprends l'exemple de la Haute-Loire, nous avons en effet presque 1 700 enfants de plus de 2 ans et de moins de 3 ans scolarisés sur un total de 2 722 ; on arrive bien au rapport de 61. Il est vrai que le privé a, ce rapport, d'une part significative, mais ce n'est pas un critère que j'ai retenu. J'ai retenu simplement le critère de taux de scolarisation des moins de 3 ans, et les variations sont spectaculaires. Des départements qui ont un pouvoir d'achat relativement élevé, comme la Haute-Savoie, peuvent avoir un taux dérisoire, des départements industriels comme le Nord ont un taux très élevé, mais un département extrêmement urbanisé comme la Seine-Saint-Denis a un taux extrêmement faible. La diversité de ces chiffres ne peut qu'interpeller, pour prendre un terme convenu, l'ensemble des parlementaires représentant cette diversité française singulière qui apparaît avec force, qui est le taux de scolarisation des enfants de 2 à 3 ans.
M. le président, comme je ne voudrais pas être trop long, je voudrais insister, en qualité de rapporteur spécial, sur trois types d'interrogation, cette diversité ayant été posée, trois types d'interrogation qui sont liées à la vocation de la commission des finances, c'est-à-dire de rester au plus près des chiffres. Le premier type d'interrogation qui est liée à la LOLF, c'est que la LOLF nous ayant habitués aux projets annuels de performance (PAP) et ce qui en est le corollaire, les rapports annuels de performance (RAP). Les projets, ce sont les objectifs que l'on s'assigne ; les rapports de performance, ce sont la constatation de la réalisation de ces projets. Force est de reconnaître que, sur un budget qui représente près de 20 % de l'enseignement scolaire, ces PAP et ces RAP ne sont que très peu renseignés ; ils ne sont pratiquement pas renseignés, ce qui montre bien que nous allons, dans la scolarisation préélémentaire ou dans l'accueil des enfants préélémentaire, dans un certain désordre.
Ce qui amène un deuxième questionnement au titre de l'enseignement scolaire, budget dont j'ai la charge avec Thierry Foucaud, c'est-à-dire de se poser la limite entre ce qui est politique de la famille, voire politique de la ville, et politique scolaire. De ce point de vue, on a le sentiment, M. le président, que ce budget de l'enseignement scolaire prend en charge manifestement des dépenses qui devraient relever de la politique de la famille ou de la politique de la ville entendue au sens large, c'est-à-dire de la socialisation des jeunes, et en particulier sur les territoires où cette socialisation n'est peut-être pas aussi facile que dans d'autres territoires. Or on s'aperçoit, de ce point de vue, que la politique de socialisation, qui est au coeur de la politique de la ville et qui militerait, on peut l'imaginer, pour des taux de scolarisation plus élevés, laisse apparaître la réalité totalement inverse. C'est-à-dire que nous avons des taux de scolarisation en préélémentaire qui sont d'autant plus élevés que les départements et les structures sociales sont de type traditionnel, rural, de petites villes ou de petites communes, alors que, au contraire, dans des départements où l'on a le sentiment que l'école a un rôle fédérateur, l'école préélémentaire, manifestement, n'est pas mobilisée pour toute une série de raisons. Vous avez évoqué, M. le président, l'accueil des enfants, le regroupement d'assistantes maternelles. On a vraiment le sentiment que les lignes de partage ne sont pas claires à l'initiative des parents, à l'initiative des élus. Je crois que c'est une responsabilité partagée. Les parents, les élus se servent de l'école préélémentaire comme un point d'appui pour renforcer leurs effectifs, démarche d'élus, comme un soutien pour obtenir des formes d'accueil de leurs enfants - lorsque les fratries sont larges, c'est d'autant plus vrai.
Le troisième type de questionnement d'ordre toujours budgétaire - et vous avez évoqué, M. le président, l'intervention de M. Darcos en juillet dernier -, c'est : « quels enseignants et quel personnel de soutien pour l'accueil préélémentaire ? ». Ce questionnement relève naturellement de la commission des affaires culturelles, et je ne voudrais pas empiéter sur le terrain des collègues présidés et rassemblés par Jacques Legendre, mais on ne peut pas ne pas s'interroger sur le niveau de qualification. Le tout milite pour l'unité des corps d'enseignants en apparence, et en tous les cas, c'est la demande des organisations syndicales. On peut cependant se poser la question de savoir s'il n'y a pas à la fois des vocations, des talents ou des qualifications qui mériteraient d'être mieux distingués selon que l'enseignant va vers le préélémentaire ou va vers le scolaire au sens large. Je rappelle, sans ouvrir le débat de fond, qu'il y a dans notre pays la question de savoir s'il n'y a pas, au fond, deux formes d'accueil préscolaire des enfants. La conception nordique où l'école obligatoire commence plus tard ; on cite toujours l'exemple de la Finlande en oubliant de rappeler que les jeunes Finlandais sont accueillis dans des structures collectives bien avant l'obligation scolaire, qui est à 7 ans dans ce pays, mais par des formes qui sont plus adaptées, sans doute, et qui sont plus distinctes de la forme scolaire. Alors que, souvent, le préscolaire dans notre pays - mais on parle à ce moment-là d'enfants plus âgés que les cas que j'évoquais tout à l'heure - s'oriente et s'organise autour d'une forme de préapprentissage de l'enseignement scolaire. Se pose, à ce moment-là, la question du type d'enseignants les plus adaptés à cette vocation
Voilà, M. le président, mes chers collègues, les trois groupes de questions qui se posent à nous. Je voudrais remercier les conseillers de la Cour des comptes, le président Picq et ses assistants qui ont conduit un travail tout à fait remarquable et tout à fait passionnant, qui aura sans doute le mérite de contribuer à dépassionner ce sujet en montrant qu'après tout, une certaine plasticité de l'organisation de l'enseignement préélémentaire en France serait plutôt un avantage pour permettre de coller à la réalité de la diversité sociologique constatée et, peut-être aussi, pour répondre à des demandes très différenciées des collectivités locales, les mêmes collectivités locales répondant à des demandes différenciées des parents qui n'ont pas tous les mêmes attentes au regard de cet enseignement qui, pour être général et organisé, n'en est pas pour autant obligatoire. Je vous rappelle d'ailleurs que l'enseignement n'est pas obligatoire - c'est l'instruction qui l'est - et que chacun a la faculté d'y pourvoir comme il l'entend, même si l'Etat a heureusement pris, depuis Jules Ferry, la décision d'offrir un système général ouvert à tous. Que Jules Ferry, grand sénateur vosgien, soit remercié à cet effet.
M. Jean Arthuis, président - La parole est maintenant à Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud, sénateur, rapporteur spécial - Merci M. le président. J'aurais simplement nombre de questions à poser, que je souhaitais poser au ministre ce matin. Je voulais également remercier la Cour des comptes, après mon collègue Gérard Longuet, pour son rapport précieux et précis. Sur ces questions de l'école de la scolarisation des enfants à partir de 2 ans, certes, il y a des questions financières, mais je crois que l'on rentre véritablement dans la question humaine. Je pense personnellement que l'école maternelle n'est pas un mode de garde - je ne vais pas réengager un certain nombre de polémiques qui ont existé -, mais, à mon avis, de l'avis de beaucoup de gens, d'ailleurs, elle a une fonction pédagogique et, en même temps, elle est déterminante pour la construction d'un parcours scolaire réussi. D'ailleurs, à cet effet, il y a des chiffres qui sont publiés soit par l'INSEE, soit par d'autres. Un enfant qui rentre à 2 ans à l'école a plus de chances, dans le cadre des évaluations au moment du CP. Je crois que « ce plus de chances » est de l'ordre de 10 %.
À mon avis, la scolarité avant 3 ans, même s'il y a contradiction au niveau des sciences de l'éducation - je veux regarder les choses un peu plus précisément dans la mesure où je suis co-rapporteur depuis trois semaines - est un débat contradictoire. C'est peut-être aussi pour cela que, en plus de cette richesse apportée par la Cour des Comptes, dans ce débat, pour nous éclairer pour débattre réellement, il faudrait interviewer, débattre avec les parents d'élèves, les organisations syndicales, les enseignants. Je disais à tout le monde que la scolarité avant 3 ans est un gage de réussite pour préparer le CP, et la loi actuelle prévoit d'étendre la scolarisation des enfants de moins de 3 ans.
Je souhaitais ce matin poser des questions, notamment sur le rôle et la place de l'école maternelle dans notre système scolaire, et dans le processus de réduction des inégalités sociales. La Cour des Comptes met en évidence, dans son enquête, l'accumulation des rapports et études témoignant du débat récurrent sur l'efficacité de l'enseignement préélémentaire, notamment de la scolarisation des enfants âgés de 2 ans, et aussi sur l'impact sur la réussite ultérieure des enfants qui en bénéficient. On oppose souvent un modèle français de l'enseignement préélémentaire, qui affirmerait la vocation scolaire de l'école maternelle, et un modèle scandinave ou germanique qui ferait de l'école maternelle un lieu d'accueil. D'ailleurs, la commission des affaires Culturelles, sur cette question, dans son récent rapport sur l'accueil des jeunes enfants, parle quant à elle d'exception française. La Cour des comptes, en revanche, tant à relativiser cette opposition. Je souhaitais savoir ce matin quelle était l'appréciation du ministère de l'Education Nationale à ce sujet.
Enfin, on pourrait aussi poser la question de la disparité géographique des enfants âgés de moins de 3 ans, des enfants âgés de 2 ans. On pourrait peut-être rappeler que cette disparité territoriale existe depuis l'origine, mais elle se caractérise notamment par des taux de scolarisation élevés, par exemple en Haute-Loire, dans le Finistère ou dans le Nord, et plus faibles dans d'autres départements. Ce qui me surprend - et c'est également ce qu'a souligné la commission des affaires culturelles, c'est que la scolarisation des enfants de 2 ans n'a pas permis à un rééquilibrage en faveur des zones défavorisées, alors même que la loi de 2005 sur l'avenir de l'école prévoit une priorité pour l'accueil des enfants de 2 ans dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé. Je comprends cela parce que, par exemple, la question du sommeil l'après-midi a été posée. On sait que l'enfant se construit et construit son intelligence pendant le sommeil. Donc, il est important de faire dormir l'après-midi des enfants de 2 ans, et je pense que cela doit se construire dans un projet pédagogique. La question de la scolarisation à deux ans de l'enfant, notamment dans des questions défavorisées, est forcément posée pour que l'enfant puisse se construire correctement, mais aussi pour que la famille puisse rentrer dans l'école - c'était une directive de l'Education nationale - pour qu'il y ait ce rapport enseignant-parents pour la construction de l'enfant. Je parlais des zones défavorisées mais on pourrait parler des zones urbaines, rurales ou de montagne.
Par rapport à tout cela, on constate, selon les données de la Cour des comptes, que le taux de scolarisation des enfants de 2 ans est par exemple de 5 % seulement en Seine-Saint-Denis contre une moyenne nationale de 21 % en 2007-2008. Là aussi, je souhaitais que le ministère de l'Education nationale puisse nous apporter des éléments d'explication à ce sujet.
J'en ai fini en ce qui me concerne par rapport aux questions que je souhaitais poser ce matin, M. le président.
M. Jean Arthuis, président - Je vous remercie, Thierry Foucaud. Un bon débat doit, dans toute la mesure du possible, prendre appui sur des considérations et des données aussi factuelles et objectives que possible. C'est pour cela que Gérard Longuet, qui, à l'époque, était l'unique rapporteur spécial des crédits de la mission enseignement scolaire, a souhaité demander à la Cour des comptes de procéder à une enquête sur l'école maternelle. M. le président Picq, je me tourne vers vous. Voulez-vous bien nous faire part des principales conclusions de vos travaux ?
M. Jean Picq, président de la troisième chambre de la Cour des Comptes - Merci M. le président, Messieurs les présidents, Messieurs les rapporteurs spéciaux. D'abord, nous vous remercions de nous avoir confié cette enquête. Nous n'avions pas investi ce champ du secteur éducatif et nous avons donc beaucoup appris. Nous vous remercions plus encore des compliments que vous adressez à ce travail que vous avez bien voulu qualifier de précieux et de précis. Précis, je l'espère, c'est notre éthique. Précieux, je le souhaite, dans la mesure où ce sujet est en effet un sujet dont l'importance sociale, humaine, éducative n'échappe à personne. Dans ce propos que vous me demandez de tenir de manière introductive à ce débat, je dirai un mot sur la méthode et quelques mots sur le rapport lui-même, si vous le permettez.
Sur la méthode, nous avons travaillé à partir de cinq académies (Aix-Marseille, Créteil, Lille, Nantes et Reims) et dans ces académies, dans 17 inspections académiques. C'est beaucoup mais, en même temps, je rappelle que nous parlons là de 2,5 millions d'enfants qui sont dans 68.000 classes, 17.000 écoles, avec un peu moins de 100.000 professeurs des écoles, 88.000 dans le public, le reste dans le secteur privé, 12 milliards d'euros de dépenses. Il y a 10 ans, l'inspecteur général Jean Ferrier avait remis un rapport qui, déjà, soulignait que nous connaissions mal l'école maternelle. Je dirais que la principale conclusion du rapport de la Cour, c'est que nous continuons à mal la connaître, et il faut en prendre la mesure pour essayer d'identifier ce qui mériterait d'être mieux connu. C'est dans cet esprit que nous avons travaillé.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître de la part d'un magistrat de la Cour des Comptes, il faut se méfier des chiffres quand il s'agit de la vie et, a fortiori, de la vie des tout-petits. Mais ces chiffres révèlent quelque chose que vous n'avez pas manqué de soulever. Je dirais simplement qu'ils renvoient à 18.000 pratiques locales dont nous sommes loin d'avoir fait le tour. D'ailleurs, il faudrait un travail scientifique permettant, comme l'ont relevé les rapporteurs spéciaux, de comprendre le comportement des parents, le comportement des directeurs d'école, des maires, confrontés à des situations d'une extrême diversité. Et rien ne serait plus dangereux, à notre sens, que de vouloir, à partir d'une situation très diverse, tirer des conclusions définitives et, osons le mot, dogmatiques. Nous sommes devant un problème difficile à apprécier, et, comme vous l'avez vu dans le travail que nous vous avons remis, qui fait l'écho des nombreux et multiples rapports d'experts. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les experts eux-mêmes invitent les magistrats que nous sommes à la plus grande humilité, tant leurs positions sont parfois divergentes.
J'en viens maintenant au fond du rapport, M. le président, si vous le permettez. Un mot un peu long sur ce que nous avons dit sur les missions. Ce rapport comporte trois parties, les missions, la gestion, l'évaluation, et une quatrième partie revient sur la question de la scolarisation à 2 ans. Sur les missions, nous relevons d'entrée de jeu ce qui a déjà été dit, c'est-à-dire que l'école maternelle occupe une position paradoxale, puisqu'elle est entre deux missions : accueillir des enfants pour répondre à une demande sociale et les préparer à leur scolarité obligatoire ultérieure. D'une certaine manière, « école maternelle » est une forme d'oxymore. L'école éduque, le mot « maternelle » renvoie aux soins, à l'attention, à la tendresse. D'ailleurs, le rapport rappelle de manière intéressante, je trouve, parce qu'elle nous éclaire sur ce que l'histoire nous dit de ce sujet, que, sur cette école, les positions ont varié pratiquement tous les 20 ans depuis l'époque où Jules Ferry transformait les fameuses « salles d'asile » en écoles maternelles pour faire en sorte que, dans les milieux populaires, dans un programme détaillé, avec la leçon de choses, le dessin, les jeux, la leçon de morale, la « socialisation » commence. Dans les années 1890 et jusqu'à la première guerre mondiale, à l'initiative d'une femme, Pauline Kergomard, première inspectrice générale des écoles maternelles, on a remis en cause cette éducation éducative et on a insisté pour que les méthodes des institutrices imitent, je cite, « les procédures de la mère intelligente et dévouée ». Et le ministère de l'Instruction Publique, à l'époque, a réorienté ses directives à la lumière de cette conception. Et puis, dans les années 20, on est revenu à la conception de l'école préparant l'instruction. Dans les années 60, l'école s'est ouverte à toutes les couches sociales, au moment où les études sur la psychologie de l'enfant se diffusaient dans le grand public, et on a insisté sur une pédagogie fondée sur le jeu et l'expression. Et les circulaires du ministère ont orienté le contenu vers cela. Au cours des années 80, les travaux en sciences de l'éducation ont mis en évidence les effets bénéfiques d'une scolarisation précoce, et alors, on a beaucoup insisté sur le caractère compensateur de l'école maternelle au regard des inégalités culturelles et sociales. Et, depuis la fin des années 90, c'est la question de l'hétérogénéité des publics qui a été posée, avec la question centrale de la maîtrise du langage, compétence estimée évidemment essentielle pour la réussite des élèves après.
Les circulaires les plus récentes insistent résolument sur cette conception de l'école maternelle comme préparant à la scolarité ultérieure. Cette approche scolaire, vous l'avez évoqué, se distingue de celle des pays scandinaves et germaniques qui privilégient, au sein des jardins d'enfants, une fonction d'accueil et d'épanouissement personnel, mais il est frappant que, de l'avis même de l'OCDE - vous l'avez dit, M. le sénateur, nous l'avons dit dans notre rapport -, l'opposition paraît moins tranchée qu'il n'y paraît, car on apprend sans doute dans les jardins scandinaves, de même qu'on accueille et qu'on socialise dans les écoles maternelles françaises. Il reste que l'affirmation de la vocation scolaire de l'école maternelle a conduit à mettre au second plan l'aspect lieu d'accueil de la petite enfance, avec les conséquences qui ont touché la scolarisation à 2 ans, devenue récemment sujet de débat public. Il faut rappeler en effet que l'accueil en école maternelle n'est pas une obligation, puisque l'obligation scolaire en France est fixée à l'âge de 6 ans, mais que l'institution scolaire doit répondre favorablement à toute demande d'inscription concernant les enfants de 3 à 5 ans. Et, à ce jour, tous les enfants de 3 à 5 ans, qui ont fait l'objet d'une demande d'inscription, sont accueillis au sein des écoles maternelles publiques ou privées, ce qui tend à prouver que la faculté est perçue comme une obligation, en tout cas comme une sérieuse incitation.
C'est sans doute ce constat qui a conduit récemment le ministre de l'Education Nationale à dire ici même que l'école commence à 3 ans. En revanche, les enfants âgés de 2 ans ne sont accueillis que dans la limite des places disponibles, notion qui laisse évidemment une grande latitude aux décideurs locaux. Au demeurant, ni le ministère ni les inspections académiques ne détiennent de données qui permettent de mesurer le degré d'attractivité de la scolarisation à 2 ans auprès des familles, l'institution scolaire n'ayant aucun retour des demandes d'inscription formulées par les familles auprès des maires. Donc, là, il y a une zone d'ignorance. Quant à l'orientation actuelle du ministère, que le directeur général de l'enseignement scolaire confirmera sans doute, qui vise au resserrement de la scolarisation à l'âge de 2 ans sur les zones difficiles, elle a abouti évidemment à ce que le taux de scolarisation des enfants de 2 ans diminue, puisqu'il était de 35,3 % en 2000 et qu'il est aujourd'hui inférieur à 21 %. Simplement, nous notons - et cela a été rappelé par les rapporteurs spéciaux de manière paradoxale - que le resserrement de la scolarisation à 2 ans dans des zones d'éducation prioritaire ne connaît pas toujours un succès auprès des familles, notamment d'origine étrangère. Vous avez cité le cas de la Seine-Saint-Denis ; nous citons également, dans le rapport, la situation du département du Nord, où le recteur d'académie essaie précisément de réorienter les enfants de 2 ans dans les zones où l'on souhaiterait les accueillir, car ce n'est pas aujourd'hui le cas.
Ce dispositif ne concerne - j'insiste parce que ceci relativise le débat - que 6 % des écoliers de maternelle et a fait l'objet de nombreuses études sur lesquelles la Cour se garderait bien de s'engager, sauf pour constater, comme l'a rappelé le rapporteur spécial, qu'en général, elles montrent à court terme un effet positif pour les enfants de milieux défavorisés, dont les effets semblent ensuite s'estomper au fil de la scolarité. Et, comme vous l'avez sans doute noté, nous le citons également, le professeur Bentolila, dans un rapport de décembre 2007, a, pour sa part, proposé que l'on se désengage de cette scolarisation à 2 ans progressivement, la vocation de l'école maternelle, disait-il, étant d'éduquer et non de prendre soin et de rendre obligatoire la scolarisation à 3 ans. En tout état de cause, comme je le disais en commençant, une étude fine du comportement des familles serait sans doute nécessaire avant de porter quelque conclusion que ce soit. En tout cas, c'est sur ce point que je conclurai ce premier mot. La situation qui aboutit à ce qu'il y ait une baisse globale du taux de l'accueil en école maternelle pour l'ensemble des classes d'âge de 2 à 5 ans, qui est passé de 84,9 % en 2000 à 80,5 % en 2007, contraint les pouvoirs publics à une réflexion sur l'effet de cette politique sur la politique générale d'accueil des jeunes enfants.
Un mot, maintenant, si vous voulez bien, sur la gestion et sur l'évaluation. En ce qui concerne la gestion, il est très difficile de percevoir ce que représente l'école maternelle en tant que politique publique. En fait, et le ministère, je crois, le confirmera, l'enjeu réel réside dans les relations existant entre les directeurs d'écoles et les maires. C'est une situation qui s'explique pour des raisons historiques mais qui ne justifie pas, cependant, nous semble-t-il, qu'il y ait si peu de place pour l'enseignement préélémentaire. Dans les procédures ministérielles et académiques, nous avons constaté l'absence d'homogénéité des procédures d'allocation des moyens d'enseignement, l'absence de normes générales définissant les capacités d'accueil des écoles maternelles et l'absence de définition concernant l'accueil des enfants de 2 ans dans ce que l'on appelle les « places disponibles ». Et, du même coup, il y a un foisonnement hétérogène de pratiques locales où la question de la scolarisation à 2 ans constitue une sorte de variable d'ajustement, comme le montrent les maires qui privilégient les inscriptions des enfants pour ne pas investir dans les crèches ou, au contraire, ceux qui, pour optimiser leur structure de garde collective, préfèrent limiter l'accès en école maternelle.
De même, il apparaît, semble-t-il, que, dans les académies où la concurrence entre le secteur public et le secteur privé joue, il y a un élément de dynamisme particulier en faveur de la scolarisation à 2 ans. Nous n'avons pas constaté de dérives en ce qui concerne le respect des enveloppes budgétaires. Nous constatons simplement que cette gestion très diverse, très plastique, comme le disait le sénateur Longuet, conduit à des situations très disparates dont nous n'avons pas une bonne et totale compréhension. Si une telle variété peut s'expliquer par un souci d'adaptation aux réalités locales, elle peut aussi créer de réelles inégalités qu'une analyse plus fine que celle que nous avons menée révélerait sans doute.
Un mot sur le coût global de l'école maternelle. Il s'élève en effet à 12 milliards d'euros, dont 6 milliards à la charge de l'Etat, 3 milliards à la charge des collectivités territoriales et 0,7 milliard à celle des ménages, les données concernant les collectivités locales méritant sans doute d'être actualisées puisqu'elles remontent, sauf erreur de ma part, à il y a plus de 7 ans. Comme nous le relevons aussi en nous appuyant sur les données de la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, le coût moyen par enfant est trois fois moins élevé en école maternelle qu'en crèche (4.680 euros contre 16.500), ce qui s'explique notamment par les différences de taux d'encadrement entre ces deux modes d'accueil des jeunes enfants (un adulte pour 8 enfants en crèche, un instituteur et un ATSEM pour 25 ou 26 enfants en école maternelle).
L'enquête n'a pas fait apparaître de difficultés, au contraire, pour que les postes soient pourvus ; ils sont souvent même largement convoités par les enseignants. En termes de comparaison internationale, il n'est pas apparu non plus que le niveau de qualification demandé aux enseignants français pour être recruté diffère de celui exigé dans les autres pays : une formation universitaire et/ou professionnelle d'une durée de trois à quatre ans est en effet requise, y compris dans les pays dotés de jardins d'enfants. En revanche, la France n'a pas prévu de formation spécialisée pour les enseignants destinés à l'école maternelle, et l'OCDE a souligné en 2007, dans une enquête qui s'appelle « Petite enfance, grands défis », que, dans ce domaine de la pédagogie, une spécialisation serait nécessaire. Le professeur Bentolila, dans son rapport de 2007, a également plaidé pour la mise en place d'un module obligatoire de 50 heures spécialisées.
Enfin, sur l'évaluation, les éléments qui permettraient d'apprécier l'efficacité et l'efficience de l'école, de notre point de vue, sont très limités. Conséquence de la grève administrative des directeurs d'école entamée à la rentrée 2000, il y a beaucoup de carences statistiques en ce qui concerne le recensement des enfants. De même pour le décompte des enseignants, les données ministérielles ne sont connues que depuis 2006. Nous avons constaté que certaines académies constituent des groupes de travail pour évaluer les pratiques pédagogiques, mais c'est depuis peu de temps ; et en tout cas, il n'existe pas d'évaluation nationale desdites pratiques, de même qu'il n'existe pas d'analyse sur ce qui pourrait être les effets de l'absence de spécialisation dans la formation des professeurs des écoles. Enfin, comme l'a relevé au début de cette séance le rapporteur spécial, la mise en oeuvre de la LOLF n'a pas conduit le ministère de l'éducation nationale à prévoir des indicateurs permettant de mesurer la performance de cet enseignement.
Par ailleurs, pour ce qui est de l'évaluation des compétences acquises par les enfants, dans le rapport, nous citons la réponse de la direction générale de l'enseignement scolaire qui rappelle qu'il n'y a pas de supports écrits et qui en souligne les difficultés. Il est difficile pour la Cour de se prononcer dès lors sur l'efficience de cette école dans les parcours scolaires ultérieurs, alors même que la dernière année de maternelle, la grande section, est intégrée dans le cycle des apprentissages fondamentaux par rapport au socle commun de connaissances et de compétences. L'un des axes d'action essentiels, nous semble-t-il, devrait être maintenant de disposer d'un appareil statistique et de démarche d'évaluation qui permettrait d'aller au-delà de ce constat que nous venons de reprendre.
Pour conclure, M. le président, je dirais que nous avons été très frappés par le balancement de l'histoire entre les différentes conceptions de l'école. Nous pensons que ces évolutions ne se sont pas faites de manière discontinue et qu'il n'est pas évident qu'une conception chasse l'autre ; il y a sans doute un phénomène de fertilisation entre les deux. Il est donc naturel que cette question soit l'objet d'un débat, notamment entre ceux qui tirent du côté d'une orientation résolument scolaire et ceux qui tirent du côté du développement psychique et personnel de l'enfant. Il nous semble que ce que disait dans son enquête l'OCDE au terme de son étude invite à la prudence et, au fond, à une certaine humilité, que j'évoquais d'entrée de jeu. Les experts de l'OCDE disent ceci, je cite : « Il ne serait pas raisonnable d'attendre des programmes en faveur de la petite enfance, même les meilleurs, qu'ils garantissent la réussite personnelle ou l'égalité sociale. Même si la petite enfance est une étape importante du cycle de vie, un bon départ peut être rapidement affaibli par une éducation primaire médiocre, une situation familiale défavorable, une communauté qui connaît des troubles ou un préjudice social sur le marché du travail. ». Cette conclusion n'est pas faite pour refuser le débat mais pour situer ce sujet dans ce long continuum de l'enseignement auquel notre communauté est confrontée, comme toutes les autres. Je vous remercie.
M. Jean Arthuis, président - Merci, M. le président, de nous avoir ainsi fait part des principaux enseignements de votre enquête sur l'école maternelle. Le ministère a été mis en cause, en quelque sorte. S'agissant de la vocation donnée à l'école maternelle - on pourra faire une distinction entre les âges des enfants accueillis -, s'agissant de la gestion et des objectifs poursuivis, des indicateurs et de l'évaluation, il est apparu que nous étions encore dans une sorte d'approximation et de flou.
En l'absence du ministre, je donne la parole à M. Jean-Louis Nembrini, qui est directeur général de l'enseignement scolaire. Peut-être que M. Daniel Vitry voudra ajouter son point de vue, puisqu'il est en charge de l'évaluation de la prospective et de la performance.
M. Jean-Louis Nembrini, directeur général de l'enseignement scolaire - Merci, M. le président, Messieurs les rapporteurs spéciaux, Mesdames et Messieurs les sénateurs. Je vous remercie, M. le président, d'avoir rappelé que M. le ministre de l'Education nationale, ici même, au mois de juillet dernier, a précisé ce qu'il attendait de l'école maternelle, c'est-à-dire une véritable école qui institue l'égalité des chances dans ce pays et soit une véritable propédeutique aux apprentissages fondamentaux à partir du cours préparatoire. Car ce qu'il faudrait peut-être ajouter à tout ce que nous avons échangé depuis ce matin, c'est que l'objectif d'une bonne école maternelle, c'est de favoriser l'accès de tous les élèves, au sortir de l'école primaire, aux savoirs fondamentaux. C'est aussi un engagement très fort du ministre de l'Education nationale sur ce sujet, puisque M. le ministre s'est engagé. J'ai, au premier rang de l'administration, la charge de cette mission, de faire chuter le taux d'élèves en échec à la sortie de l'école primaire, qui est aujourd'hui d'environ 15 %, à un taux de 5 %, et ceci en trois ou quatre ans.
Je crois que nous devons situer notre propos dans ces objectifs généraux. Ce faisant, il en découle l'idée que l'école maternelle est un oxymore, M. le président, mais est avant toute une école. D'ailleurs, le fait que les maîtres dans notre pays soient les mêmes pour l'école maternelle que pour l'école primaire indique bien, et ceci depuis le début, que nous sommes bien dans la tradition républicaine de l'école maternelle. Le fait que les maîtres soient les mêmes indique bien que l'objectif est d'abord un objectif d'accès aux connaissances de base. Bien entendu, il ne s'agit pas de nier ce qui fait la spécificité de l'école maternelle française, c'est à dire ajouter à ces objectifs cognitifs un objectif de socialisation et un objectif de construction de l'égalité des chances.
Je reviendrai sur la question de la scolarisation à 2 ans, mais ce dont nous sommes persuadés aujourd'hui, une chose que les chercheurs nous permettent de dire, c'est que la scolarisation précoce, en réalité, ne profite pas véritablement aux publics les plus défavorisés, à une exception. Tous les rapports nous incitent à la modestie, comme vous avez bien voulu le dire, et nous sommes, sur ce sujet, très modestes. Cependant, l'exception, c'est que ce sont les élèves qui ne maîtrisent pas la langue française, lorsqu'ils rentrent à l'école maternelle, qui profitent le plus d'une scolarité précoce. Raison de plus pouvoir faire de cette école, l'école de l'apprentissage du langage oral préparatoire aux apprentissages de la langue française qui surdéterminent tous les autres apprentissages par la suite. Voilà le fond de la question.
A partir de quel âge peut-on entrer dans une école qui permette à l'enfant qui est présent de se comporter comme un écolier, c'est-à-dire de pouvoir participer à une vie de groupe, de pouvoir se rendre compte qu'il apprend un certain nombre de choses ? La question est posée. Nous considérons qu'avant l'âge de 3 ans, il est difficile qu'un enfant puisse entrer dans ce processus. Cela ne signifie pas, encore une fois, que les aspects de socialisation dont je parlais tout à l'heure, de vie collective, d'apprentissages fondamentaux de base soient ignorés. C'est un élément essentiel de la réforme de l'école primaire que le ministre a voulue. Pourquoi sommes-nous revenus, à la demande de Xavier Darcos, sur les programmes de l'école primaire au moment même où nous avons simplifié les programmes de l'école primaire ? Tout simplement parce que le ministre a souhaité que, dès l'âge de 3 ans jusqu'à l'âge de 6 ans, s'établisse une véritable progression dans les apprentissages et dans la maîtrise, notamment, de la langue orale. Ce qui caractérise les nouveaux programmes, c'est qu'ils sont dans la filiation républicaine. Vous avez cité, M. le président, Madame Pauline Kergomard ; c'est vrai qu'il y a eu un moment d'approche un peu différente. Mais la grande tradition républicaine depuis Jules Ferry, malgré tout, c'est que l'école primaire est une école. Je crois que nous pouvons le dire et le réaffirmer. Une école où l'on est écolier, c'est-à-dire une école où l'on apprend. Vous allez me dire « une école où on devrait pouvoir évaluer les savoirs ». Je vais y revenir également.
Si le ministre a souhaité que nous reprenions ces programmes, c'est justement pour que l'on établisse plus clairement une progression dans les apprentissages, de façon, très précisément, à l'issue de l'école élémentaire, d'être en mesure, puisque nous ne l'avons pas fait, puisque l'institution scolaire ne l'a pas fait depuis un siècle qui existe cette école maternelle, de pouvoir enfin évaluer les effets. Et cette question de l'évaluation des acquis de l'école maternelle est urgente, il faut y répondre rapidement. D'ailleurs, les maîtres eux-mêmes pallient, d'une certaine façon, les insuffisances d'une évaluation collective en mettant en place eux-mêmes des systèmes d'évaluation, car ils veulent savoir ce qu'ils ont apporté, ce que l'école maternelle a apporté aux élèves.
En mettant en place ces progressions sur l'apprentissage du langage oral, quelles que soient les difficultés, et comme nous ne pouvons pas évaluer à travers des exercices écrits, il faut trouver des modalités d'évaluation tout à fait spécifiques. Cependant, en établissant une progression, nous allons être capables de produire une évaluation, ce sur quoi la direction générale de l'enseignement scolaire travaille actuellement. A brève échéance, il y aura des propositions dans ce domaine. D'ailleurs, cela correspond à l'institution d'une évaluation solide des acquis fondamentaux en français et en mathématiques au CE1 dès cette année et au CM2 dès cette année également, en référence au nouveau programme. Donc, ceci constitue un tout.
Quant à la question de cette scolarisation à 2 ans, je ne vais pas moi-même conclure alors même que les plus éminents spécialistes... Vous avez cité à plusieurs reprises le Professeur Bentolila, auquel le ministre a demandé un rapport avant de produire sa réforme, M. le ministre m'avait demandé de présider une commission de réflexion sur l'école maternelle, d'où sont sortis les textes récents. Beaucoup de ces spécialistes disent bien que les acquisitions, s'il y en a, sont fugaces et qu'en tout cas, à l'entrée en sixième, on ne relève plus aucune différence entre les élèves qui sont rentrés à 2 ans et ceux qui sont rentrés à 3 ans à l'école maternelle. Je ne vais pas rentrer non plus dans les querelles des spécialistes, des pédopsychiatres, etc. qui, pour certains, sont extrêmement réservés - et c'est un euphémisme - sur la possibilité pour un enfant d'être véritablement socialisé à l'âge de 2 ans, d'abord parce que vivre en groupe n'est pas facile à l'âge de deux ans, et certains parlent même de traumatismes pour ces enfants. Donc, je n'entre pas dans ces considérations. En tant que responsable de l'institution scolaire qui a à mettre en place une école qui doit permettre aux élèves d'acquérir des savoirs, et notamment maîtriser la langue française, je dis en conscience qu'il me semble que le service que l'on peut attendre pour l'accueil des élèves de moins de 3 ans relève beaucoup moins de l'école que d'autres structures. Parfois, on oppose - et cela a été fait ce matin aussi, et dans le rapport de la Cour des Comptes, on peut le lire également - les structures des crèches et l'école. Si je peux me permettre, je crois que les services rendus sont de nature totalement différente, c'est évident. Je pense qu'entre les deux, il doit y avoir une voie moyenne, qui a été explorée par un rapport récent de la commission des affaires culturelles du Sénat. Je crois que c'est une voie intéressante. Je précise que l'école n'offre - d'ailleurs, c'est pourquoi les coûts ne peuvent pas être véritablement comparés par rapport aux crèches - pas du tout les mêmes services, elle n'est pas ouverte aux mêmes heures, elle n'a pas le même taux d'encadrement. Bref, ce n'est pas du tout comparable au service que peuvent apporter les crèches.
On a parlé également du comparatif entre le système dit finlandais d'une école dans laquelle on rentre tardivement et le système d'une école française qui, par tradition, commence très tôt - et on fait remonter ceux-ci au XIX e siècle. Je crois effectivement que les choses sont beaucoup moins tranchées qu'il y paraît. Cependant, je crois qu'il ne faudrait pas que la France perde ce qui fait sa caractéristique, à savoir une école maternelle d'une très haute qualité, d'abord parce qu'elle a toujours été régie par des programmes. Il y a eu une attention pédagogique très particulière aux enseignements, et cela n'a rien à voir avec des accueils qui peuvent être organisés dans d'autres structures, même si, en comparant les objectifs, on pourrait ne pas avoir à introduire d'opposition tranchée entre les systèmes. Cependant, la France scolarise 100 % d'élèves à l'âge de 3 ans, avec des objectifs qui, décennie après décennie, se sont affirmés, et je crois que nous arrivons à quelque chose de très clair avec la réforme mise en place à compter de la rentrée scolaire. Ne perdons pas cet objectif, cette école maternelle qui réussit bien.
M. le président, vous avez bien voulu rappeler que la dernière année d'école maternelle est la première année du cycle des apprentissages fondamentaux. Ceci est capital. D'ailleurs, dans la nouvelle organisation du temps scolaire, il y a les fameuses deux heures d'aide et de soutien, que tous les maîtres doivent aux élèves en plus des 24 heures d'enseignement pour tous. Ne perdons pas de vue que ces deux heures, si elles ne sont pas du soutien, existent également à l'école maternelle. Justement, c'est peut-être là que leur utilité sera la plus immédiate et la plus perceptible en termes de résultat. Ces deux heures sont vouées à l'apprentissage personnalisé du langage. Et, encore une fois, je crois que ceci est essentiel. Quand on parle des programmes et quand on constate que les textes récents, les contenus sont plus importants, si l'on en fait une lecture, ne perdons pas de plus de vue que, sans maîtrise de la langue commune, il n'y a pas de socialisation possible. Autrement dit, cet effort sur la langue, c'est l'effort pour une école maternelle qui construit véritablement l'égalité des chances.
Je terminerai par la question la plus difficile que M. le rapporteur spécial a posée au début, c'est-à-dire la différence dans l'accueil des enfants de 2 à 3 ans sur les territoires français. Oui, il y a de très grande différence, d'abord parce que la scolarisation des élèves de 2 à 3 ans n'a jamais été considérée comme un objectif à atteindre à 100 %. La loi de 2005, la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école a réservé la scolarisation des enfants de 2 à 3 ans aux zones d'éducation prioritaire, aux secteurs les plus difficiles. Mais il y a également des différences qui sont liées à la présence ou non du privé, qui sont liées aux traditions. Quand on compare l'académie de Lille et l'académie de Créteil qui, à bien des égards, peuvent être comparées, on voit bien qu'il y a des différences très importantes dans la manière dont la population s'adresse à l'institution scolaire. A 3 ans, le problème est résolu, tout le monde met son enfant à l'école, entre 2 et 3 ans, il y a de vraies différences. Paradoxalement, ce sont les classes sociales les plus favorisées qui mettent le plus volontiers leur enfant à l'école à 2 ans, comme si, peut-être, elles se sentaient plus aptes à en tirer les bénéfices, à en capitaliser les bénéfices. Ceci est à observer de très près.
Et puis, on a évoqué également les différences très fortes de politique locale. M. le président, vous avez parlé de 18 000 pratiques locales. Je crois qu'effectivement il y a des approches très différentes des municipalités sur ce sujet, on le sait bien. Vous l'avez rappelé, je ne vais pas y revenir.
Donc, si je résumais mon intervention - et je suis prêt à répondre, bien sûr, à d'autres questions -, oui, l'école maternelle est une école qui réussit, qui scolarise 100 % des élèves à partir de l'âge de trois ans, et c'est justement en se fondant sur ces réussites qu'il faut lui fixer des objectifs - c'est le but des nouveaux programmes -mais aussi qu'il faut en évaluer la performance et là, je suis tout à fait d'accord, que je considère aussi que c'est le devoir de l'Education nationale eu égard aux moyens que l'on a, si l'on se consacre à cette école, de mettre en place un véritable système d'évaluation qui permette de mesurer l'efficacité de cette école. Je vous remercie.
M. Jean Arthuis, président - M. le directeur général, merci. M. Vitry, peut-être quelques mots.
M. Daniel Vitry, directeur de l'évaluation et de la prospective - Merci M. le président. Juste quelques mots de précision, si vous permettez. Tous les chiffres que vous avez cités sont naturellement justes. Du reste, beaucoup proviennent de la direction de l'évaluation et de la prospective. Ils sont justes et, au fond, ils soulignent une extraordinaire diversité entre les départements, et si l'on avait le temps, on regarderait entre les régions, entre les académies. Entre les départements, tout à l'heure, vous avez souligné que l'écart pouvait être de 1 à 35 ; à l'intérieur d'une même académie, il est, en gros, de 1 à 15 ou 20 dans certains cas. Si on descend à un niveau plus fin que le niveau du département, il est clair que l'on trouverait des écarts qui seraient encore plus grands. Qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie que l'on manque d'études sur l'explication du comportement des familles dans l'utilisation ou la non-utilisation de l'école pour mettre leurs enfants de 2 à 3 ans. Il y a mille et une explications qu'il faudrait retenir, autrement dit, mille et une variables explicatives dont il faudrait rechercher la pertinence. Il y a, à l'évidence, la composition de la famille : une famille monoparentale ou une famille où le père et la mère sont là et, en plus, hébergent les grands-parents qui sont encore en très bonne activité physique, n'a pas le même comportement qu'une famille monoparentale qui vit dans des conditions difficiles.
Le revenu. Pourquoi est-ce que l'Education nationale n'a pas fait ces études ? Pour une raison extrêmement simple. C'est que ces données ne nous sont pas accessibles. Il n'y a que l'INSEE qui pourrait faire une étude de ce type, il n'y a que l'INSEE qui pourrait se lancer dans une étude du comportement des familles à l'égard des enfants de 2 à 3 ans, pour voir si le revenu est une variable explicative, si la composition de la famille est une variable explicative, si le ramassage scolaire, avec son incertitude dans sa définition, est une variable explicative. L'INSEE peut avoir accès à des données qu'évidemment nous n'avons pas dans notre escarcelle. C'est vraiment dommage parce que voilà une dépense environ, de 5.000 euros par tête d'enfant, si je puis dire, pour laquelle nous avons peu d'explications. Si nous regardons la dépense pour l'achat d'une voiture ou les vacances, nous avons beaucoup plus de variables explicatives et beaucoup plus d'études, mais il est vrai qu'à ce moment-là, les enjeux économiques sont considérables.
Donc, c'est plus une explication du manque d'études que nous avons. Je voudrais rassurer le président Picq. La mise en place de la base élèves va faire que le taux d'erreur sur le décompte des enfants, qui était beaucoup trop grand, va pratiquement disparaître à l'epsilon qui est inéliminable. Je vous remercie, M. le président.
M. Jean Arthuis, président - Merci. Je crois que M. Longuet voudrait vous interroger sur un point particulier.
M. Gérard Longuet, sénateur, rapporteur spécial - Oui, M. le directeur général, uniquement sur un chiffre que vous avez évoqué. Vous avez indiqué, ce qui est vrai, que tous les enfants de 3 ans, dont les parents demandent la scolarisation, peuvent l'être. Mais tous les enfants de plus de trois ans ne sont pas scolarisés. Quel est le pourcentage des enfants de 3 à 6 ans qui sont effectivement scolarisés ?
M. Jean-Louis Nembrini, directeur Général de l'Enseignement Scolaire - Il y a très peu d'enfants qui ne sont pas scolarisés au-delà de 3 ans. Cela dépend des académies. En Guyane, il y a quelques efforts à faire, mais ailleurs, la scolarisation est véritablement installée. C'est moins de 1 %.
M. Jean Arthuis, président - Est-ce qu'il n'y a pas un tassement du taux de scolarisation des moins de trois ans ? J'observe que, dans mon département, il y a 10 ans, on scolarisait à 70 % des enfants de deux ans ; aujourd'hui, on est autour de 32 à 33 %. Est-ce que cette tendance est générale ?
M. Daniel Vitry, directeur de l'évaluation et de la prospective - A l'heure actuelle, en 2007, on est à 20-21 %.en 2000 ans, on était du côté de 35 %, et ce taux de 35 % était à peu près constant, à epsilon près, depuis 10 ans. Si vous voulez, on a eu 10 ans de constance du côté de 35 %, et depuis 2001, cela chute à peu près linéairement jusqu'à atteindre 21 % à l'heure actuelle.
M. Jean Arthuis, président - Merci. Du point de vue du budget, est-ce qu'un enfant en maternelle coûte aussi cher qu'un étudiant à l'université ?
M. Guillaume Gaubert, sous-directeur, direction du Budget - Il y a deux éléments sur lesquels je peux éventuellement réagir à ce stade, en étant plutôt représentant d'un ministre chargé des comptes publics que du budget lui-même. C'est que, dans ce débat sur la préscolarisation ou sur les alternatives à la préscolarisation, en réalité, la solution la moins coûteuse, c'est la préscolarisation par rapport à toutes celles que vous avez évoquées. C'est-à-dire d'accueillir un enfant à l'école, c'est plutôt moins coûteux qu'en crèche, évidemment, et c'est moins coûteux aussi que l'accueil par des assistantes maternelles ou des assistants maternels. Cependant, je suis d'accord avec ce que disait M. Nembrini tout à l'heure, ce n'est pas tout à fait le même service qui est offert. La différence de coût s'explique par des différences de taux d'encadrement et des différences d'amplitude horaire.
M. Gérard Longuet, sénateur, rapporteur spécial - Mais est-ce que la scolarisation exclut l'assistante maternelle ? Pour les familles dont les mamans travaillent, l'assistante maternelle intervient bien souvent avant l'école, quelquefois à l'heure du repas et après l'école.
M. Guillaume Gaubert, sous-directeur, Direction du Budget - C'est la deuxième chose qui est frappante. C'est en réalité le manque d'information de nature globale que nous avons à la fois sur l'offre de garde, tous modes de garde confondus. En réalité, nous n'arrivons pas très bien à suivre les parcours, comme vous venez de l'indiquer, de l'école jusqu'à la maison et de la maison jusqu'à l'école. Nous n'arrive pas non plus à très bien interpréter ou à appréhender des différences territoriales à la fois dans l'offre - il y a des différences territoriales qui peuvent être très grandes - et dans les demandes des parents.
M. Jean Arthuis, président - Merci M. Gaubert. Nous allons maintenant devoir faire bref, malheureusement, puisque nous avons une autre audition pour suite à donner qui devait commencer à 11 heures 30. La parole, si vous le voulez bien, est à Pierre Martin, qui est le co-rapporteur de ce rapport que j'ai évoqué dans mon propos préliminaire. Vous avez, M. Martin, avec Mme Papon, publié un rapport précisément sur l'école maternelle. Nous serions heureux de vous entendre.
M. Pierre Martin, sénateur, commission des affaires culturelles - M. le président, je vous remercie de me donner la parole. J'ai eu l'impression, en écoutant les uns et les autres, que l'on était en train d'évoquer notre rapport, de le résumer, en quelque sorte, car ce qui a été dit, tant dans les observations que dans les données, se trouve dans le rapport. Il est vrai que le problème qui est posé, c'est l'histoire de l'âge de l'enfant, 2 ans, 3 ans, 4 ans. Il est vrai aussi que, dans les statistiques, on est étonné car il y a deux choses à prendre en compte. Il y a l'utilité de cette école maternelle telle qu'on la concevait pour les enfants de moins de trois ans et son efficacité.
Sur l'efficacité, permettez que l'on puisse douter, puisqu'il apparaît, semble-t-il, qu'hormis les enfants des milieux favorisés et les enfants étrangers, cela n'apporte pas grand-chose, autour de 1,5 % d'efficacité supplémentaire au niveau des résultats. Il est bon de le signaler. Et puis, je dois dire que cela correspond aussi à la perception qu'ont les uns et les autres de cette école, tel qu'on le disait encore, pour les enfants de moins de 3 ans. Lorsque vous évoquez les parents, que vont-ils vous dire ? C'est très utile, et c'est d'autant plus utile que c'est aussi gratuit. Cela compte. Alors, bien entendu, on peut s'appuyer sur ces données. Mais nous avons voulu aller plus loin, car il y a quelque chose qui nous paraît bien plus important : c'est l'intérêt de l'enfant, en quoi cette école peut être véritablement efficace pour l'enfant. On se rend compte que, si l'on s'appuie sur cette efficacité, il faut commencer l'école maternelle à 3 ans. Tous ceux que nous avons auditionnés convergent vers cet âge : l'école maternelle de 3 à 6 ans.
Je poserai simplement une question au niveau de l'Education Nationale. Les enfants sont plus ou moins précoces, ont plus ou moins de maturité. Il y a toujours le problème de l'enfant de 5 ans qui pourrait faire un cours préparatoire et qui, normalement, n'est pas forcément autorisé à le faire. Quelques mois peuvent, selon les âges, conduire à des différences monumentales entre les enfants. Il serait peut-être judicieux qu'au niveau de l'Education nationale, cet élément soit pris en compte. Mais, pour le reste, la proposition que nous faisons, c'est que, pour les enfants de 2 à 3 ans, il semblerait qu'il n'y ait pas de solution optimale qui soit proposée; et il conviendrait d'inventer cette solution, parce que, de 2 à 3 ans, les enfants dépendent en partie de la branche famille, dépendent peut-être aussi de l'Education nationale, car il ne faut pas retirer du circuit l'Education nationale. Il semblerait que, pour ces enfants-là, afin que l'approche soit la plus judicieuse possible, on puisse, pour ceux qui poseraient problème, examiner leur maturité par une commission à laquelle des représentants de l'Education nationale participeraient, afin de donner le plus de chances possibles à l'enfant, car c'est dans cet objectif que notre rapport a été conçu, dans l'intérêt de l'enfant. Les parents sont au coeur du débat aussi. Certes, la gratuité est un élément qui compte, mais il y a aussi l'efficacité du système. Comment conjuguer tout cela ?
Le moment est venu, me semble-t-il, que tous les partenaires se réunissent pour savoir comment tenir compte de tout ce qui a été avancé aujourd'hui, pour que, demain, la prise en charge des enfants de 2 à 3 ans soit meilleure et pensée de façon à ce que les enfants puissent bénéficier au mieux, ensuite, de la scolarisation élémentaire. Voilà ce qui a été dit dans notre commission, d'autant que, sur le territoire, beaucoup d'efforts sont réalisés, mais les situations sont différenciées. Dans les milieux ruraux se pose le problème du transport. Transporter des enfants de 2 ans, au-delà de la fatigue représente un risque et un coût. C'est un vrai problème. C'est la raison pour laquelle j'appelle, si j'ose dire, tous les partenaires que je viens d'évoquer à se réunir pour essayer d'être novateurs et de trouver les solutions qui, demain, amélioreront le système existant, car ce système a pour intérêt, pour l'instant, de faire face à l'évolution de notre société, c'est-à-dire aux ménages dans lesquels les deux parents travaillent, ou, malheureusement, quand c'est monoparental, quand le parent travaille. Ce sont de vrais problèmes, on ne peut pas s'exonérer d'y penser, on ne peut pas non plus oublier que tout cela est fait pour l'enfant - je ne vais pas dire uniquement pour lui mais grandement pour lui.
M. Jean Arthuis, président - Merci cher collègues. Je vais donner la parole à tous ceux qui ont souhaité s'exprimer.
M. Philippe Dallier, sénateur, commission des finances - Merci M. le président. Je ne sais pas si la scolarisation avant trois ans est bonne, moins bonne ou pas bonne du tout. Mais, en tous les cas, il me semble que l'on se pose au moins deux questions, et on a l'air d'avoir un peu de mal à y répondre.
Sur la première, comment estimer la demande des parents, on nous parle de l'INSEE, on nous dit que l'on n'a pas de moyens aujourd'hui pour le faire. Il y a un moyen très simple : vous interrogez les maires qui vont vous dire quelle est la liste d'attente pour la scolarisation. Tous les maires de France et de Navarre peuvent vous donner, le mois de septembre, le nombre de gamins qui restent sans place, alors que les parents, avant 3 ans révolus au mois de décembre, ont malgré tout fait une demande. Pour avoir une idée juste, si vous voulez savoir le nombre de parents intéressés, vous dites que l'école à 2 ans est une obligation, et à ce moment-là, vous verrez les demandes arriver. Cela me semble assez facile à estimer.
Second point. On s'interroge sur les disparités d'un département à l'autre sur ce taux de scolarisation. On parlait de la Seine-Saint-Denis avec un taux de scolarisation très faible de 5 %, alors que, dans ce département qui est le mien, on peut penser que la scolarisation précoce peut avoir des effets bénéfiques. On dit que 5 %, c'est très peu. Pourquoi ? Je vais vous donner la réponse. En Seine-Saint-Denis, pour les crèches, alors qu'il y a 24 places au niveau national pour 100 enfants de moins de 3 ans, le taux en Seine-Saint-Denis et de 10 places pour 100 enfants de moins de 3 ans. 5 % d'enfants de moins de 3 ans scolarisés alors qu'il y en a beaucoup plus ailleurs. La réponse est simple. Les collectivités locales et notamment les communes qui sont en charge de cela n'ont pas la capacité financière de l'assumer. C'est un élément très important qu'il faut prendre en considération. Parce que, bien évidemment, l'Education nationale peut toujours dire qu'elle s'engage à mettre à disposition des enseignants, mais il ne faut pas oublier que c'est bien la commune qui construit les locaux, qui les entretient, et que c'est bien la commune qui met les ATSEM à disposition. Donc, c'est un élément fondamental.
Lorsque vous parlez des pratiques au-delà de 3 ans, on sait bien que, lorsque les communes sont riches, il peut y avoir une ATSEM par classe, et pourquoi pas deux pour trois classes. Dans les collectivités locales qui ne le sont pas, il y a une ATSEM pour deux classes. C'est également quelque chose de très important, parce qu'il y a une inégalité forte dès le départ. Et cela se poursuit dans le primaire, parce qu'on sait bien que les collectivités riches mettent des moyens de fonctionnement, en termes de pédagogie, qui vont bien au-delà de ce que certaines collectivités locales peuvent faire. Donc, c'est bien la République qui doit s'interroger là-dessus, parce qu'en matière d'égalité des chances, il y a là de très grandes disparités.
M. Jean Arthuis, président - Merci. Au fond, là où il y a une poussée démographique, il est probable que l'on n'a pas toujours les capacités d'accueil, alors que là où l'on subit un reflux démographique, il y a des capacités d'accueil et il peut se faire que les élus soient tentés, pour maintenir les écoles, de susciter une préscolarisation précoce. Donc, il faudrait aussi tenir compte des tendances démographiques des différents départements. Il y a certainement une corrélation.
M. Michel Charasse, sénateur, commission des finances - Très vite, Président, parce que je crois que l'on a peu de temps. Je voudrais d'abord faire une remarque de portée générale et d'expérience. Dans un domaine qui touche l'Education nationale, ne nous faisons pas d'illusions, l'opacité est une source d'économies. Parce que plus l'on a des chiffres précis, plus les revendications sont pressantes et chères. Par conséquent, je pense qu'il ne faut pas, dans la période actuelle, trop accélérer.
Quelques observations très vite, Président. Premièrement, je rappelle que les inscriptions sont faites par les maires - c'est la loi Jules Ferry - et que, s'ils ont délégué cette compétence aux directeurs d'école, ils ne peuvent la déléguer qu'à la condition que le directeur d'école leur fasse signer, le jour de la rentrée, la liste complète des élèves inscrits. Par conséquent, je ne comprends pas comment la grève administrative peut pénaliser le service statistique de l'Education Nationale ; il suffit aux inspecteurs d'académie de demander aux maires de procéder aux inscriptions eux-mêmes. J'ajoute que je le fais dans ma propre commune depuis 31 ans ; on passe à la mairie, on vient faire inscrire l'enfant (primaire et maternelle), et ainsi, je n'ai pas de problème d'échange entre communes, si vous voyez ce que je veux dire.
Deuxièmement, en ce qui concerne les enfants, les petits en particulier, on les admet dans la limite des places disponibles lorsqu'on a une école maternelle. J'applique cette règle d'une façon très simple : je regarde la capacité de mon établissement par rapport aux règles de sécurité fixées par la commission de sécurité. A l'école maternelle de ma commune, j'ai 92 places, je prends 92 enfants. Etant donné que, d'une année sur l'autre, nous avons des fluctuations d'effectifs formidables, on ne peut pas demander aux communes, surtout dans la période actuelle, de construire des écoles dont une partie sera vide un an sur deux. Par conséquent, on essaie de calibrer au mieux, ce qui ne remet pas en cause de ce qu'a dit Philippe Dallier pour son propre département ; mais souvent, il faut bien dire aussi que, dans un certain nombre de secteurs urbains, en particulier, les communes arbitrent entre le sport, l'école maternelle, le culturel, etc. Je n'insiste pas.
Je ne reviens pas sur l'affaire du transport scolaire. Dans les zones où semi-rurales, c'est le problème. On ne peut quand même pas faire partir le transport scolaire qui amène les enfants de 2 ans sans avoir, dans le car, un accompagnateur. De l'enfant au bord d'un chemin creux, à la sortie de l'école, et que les parents ne sont pas là pour l'attendre, est-ce qu'on fait attendre l'autobus, tous les élèves, le chauffeur de car ? L'accompagnateur doit être là. C'est très compliqué. C'est une des raisons pour lesquelles le système n'a pas la même portée pour les gens qui habitent hors des bourgs. Je souhaiterais - mais je n'aurai sans doute pas la réponse aujourd'hui - demander au responsable de l'Education Nationale ce qu'il pense des propositions des enseignants en ce qui concerne le soutien à l'école maternelle. Je n'ai aucun enseignant qui habite ma commune, ils habitent ailleurs. On a proposé le soutien tous les jours le mardi de 8 heures à 8 heures 30 pour les tout-petits, de 13 heures à 13 heures 30, après la cantine, et de 16 heures 30 à 17 heures 30. C'est une situation qui dispense les enseignants de venir le mercredi. Mais est-ce que vous pensez qu'il est conforme à l'intérêt d'enfants tout petits de commencer à 8 heures du matin pour finir à 5 heures 30 de l'après-midi ? Et je précise que je n'ai pas de problèmes de transport scolaire. Par conséquent, je vous signale que j'ai pris un arrêté interdisant l'utilisation des locaux scolaires à ces heures-là.
M. Jean Arthuis, président - Merci Michel Charasse. La parole est à Adrien Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron, sénateur, commission des finances - Je pourrais faire quelques remarques aussi concrètes et précises que celle que vient de faire Michel Charasse comme maire, mais je vais me contenter de considérations très générales, puisque mon département a été cité. Effectivement, on peut s'interroger sur les raisons d'un taux de scolarisation aussi élevé, mais je signale simplement à notre commission que le fait que nous soyons, le Finistère et nous, très proches l'un de l'autre mérite peut-être une petite réflexion. J'ai en mémoire une étude d'Edgar Morin, un peu ancienne maintenant, qui s'appelle « La métamorphose de Plodémet ». A partir d'une commune bretonne, Edgar Morin montre comment la scolarisation a permis la promotion des gens et comment, dans cette petite commune, on a eu des recteurs, des inspecteurs de ceci, de cela. Ce n'est pas un hasard si ces deux départements sont, ou étaient, des départements ruraux. Je crois que dans la tête des gens, chez moi, il y a l'idée - et on ne la sortira pas facilement - qu'il faut aller à l'école le plus tôt possible si l'on veut arriver à s'en sortir. Je ne sais pas si c'est vrai ou si c'est faux.
J'ai bien entendu ce qu'a dit Pierre Martin. Cela m'amène à poser deux questions à M. le directeur général. J'ai bien entendu ce qu'il a dit de la conception que se font le ministre et l'administration de l'Education Nationale de l'école maternelle : une préscolarisation, une préparation à la scolarité élémentaire. Je fais simplement remarquer que la pratique est très différente, me semble-t-il, selon que l'école maternelle est constituée en tant que telle, qu'elle a sa direction propre, ses enseignants propres, « spécialisés » ou selon qu'il s'agit d'une scolarisation en école d'une classe ou de plusieurs classes qui sont situées dans une école élémentaire. Il est évident que les pratiques ne sont pas du tout les mêmes, parce que les relations entre les enseignants sont telles que les pratiques des uns influent sur les pratiques des autres.
Ma dernière question est celle-ci, M. le directeur général. Sur la scolarisation de 2 à 3 ans, on dit que l'on ne sait pas, il y en a même qui disent que c'est dangereux, que les effets peuvent être contre-productifs. Mais alors, est-ce qu'on est assuré... question qui est peut-être naïve, parce que vous nous dites : « La préscolarisation à 2 ans, réservons-la aux zones défavorisées. ». Est-ce qu'on est assuré, dans ces zones défavorisées, que la préscolarisation est une bonne chose, que les effets en sont bénéfiques ? Est que c'est avéré, est-ce que c'est clair, est-ce que les études le montrent ?
M. Jean Arthuis, président - Merci Adrien Gouteyron. La parole est maintenant à Madame Blandin.
Madame Blandin, sénatrice, commission des affaires culturelles - M. le Président, vous avez, tout au début, évoqué des données entachées de lacunes et d'incertitude. Je peux dire que cette audition nous a renforcés dans la conviction que vous aviez initialement donnée ; on n'a pas appris grand-chose sur les chiffres, les finalités, les effets, etc. Que fait l'Etat ? L'Education n'a-t-elle pas possibilité de recourir aux services de l'INSEE ou des mairies, comme cela a été évoqué par mes collègues ?
M. Jean Arthuis, président - Il y avait une grève administrative.
Madame Blandin, sénatrice, commission des affaires culturelles - La grève administrative oblige à contourner, et il y a d'autres moyens. On sent bien l'intention de la majorité de réduire cet accueil précoce des enfants. Je précise que ce n'est pas notre avis, d'autant plus que cela nous semble masquer quelque chose de grave. Les jardins d'enfants, solution plus coûteuse que la scolarisation à 2 ans, représentent un transfert de coût supplémentaire pour les collectivités locales. Ma question très précise est de savoir si vous êtes prêts à garantir le droit réel de l'accueil à 3 ans. Parce qu'aujourd'hui, un enfant qui est né en novembre ne verra son autorisation de rentrée scolaire, dans énormément de sites, qu'à 3 ans et 11 mois, c'est-à-dire pratiquement à 4 ans. Je parle de toute la France
M. Jean Arthuis, président - Merci Madame Blandin. La parole est maintenant à Madame Cartron, qui est la dernière intervenante parmi les sénateurs.
Madame Françoise Cartron, sénatrice, commission des affaires culturelles - J'essaierai de ne pas être longue. On l'a dit, l'essentiel, c'est de considérer l'enfant. La question que l'on se pose est de savoir si c'est bénéfique, voire même si ce n'est pas préjudiciable. J'ai lu, dans le rapport de M. Martin, qu'il y a trois chiffres. Lorsque l'enfant entre l'école maternelle à 2 ans, il a 88 % de chances de parvenir en sixième sans redoublement. J'en déduis que ce n'est donc pas un handicap d'entrée à 2 ans. Lorsqu'il entra à 3 ans, il a identiquement les mêmes chances ; et lorsqu'il entre à 4 ans, il n'en a plus que 70 %. C'est donc, si je prends 4 ans et 2 ans, que l'entrée à l'école maternelle à 2 ans n'a pas constitué un handicap, puisqu'il a 88 % de chances d'arriver sans redoublement en sixième. Alors, que cela ne se prolonge pas au-delà, comme cela a été dit dans le rapport de la Cour des Comptes, il y a des phénomènes autres qui interviennent, et l'on ne peut pas en tirer, je pense, une conclusion par rapport aux bienfaits ou aux méfaits de la scolarisation à 2 ans.
Je crois aussi qu'il a été souligné que le coût à l'école maternelle est trois fois moins cher que le coût dans une autre structure. Dans ce qui est préconisé, les jardins d'éveil, nous passons à un encadrement qui se rapproche plus de l'encadrement crèche que de l'encadrement école. Donc, nous nous orientons vers une solution plus coûteuse et pour des bienfaits qui ne sont pas évidents. Une solution plus coûteuse dont on nous a pas dit aujourd'hui si elle était portée par l'Etat ou par la collectivité locale.
Le troisième point que je voudrais évoquer, qui est juste et qui est souvent dans le rapport, c'est la formation des personnels. Il y a une vingtaine d'années ou peut-être plus - ma mémoire me fait défaut -, il y avait une formation spécifique pour les écoles maternelles ; il y avait même un corps d'inspection spécialisé d'inspectrices des écoles maternelles. Et avec cette formation et ce corps d'inspection des écoles maternelles, nous avions un personnel qui avait cette formation adaptée avec cette compétence reconnue, et il y a eu de grandes inspectrices d'école maternelle qui ont oeuvré pour cela. Je crois que, plutôt que de s'interroger sur la question de savoir s'il faut changer de personnel, remettons en place au sein de l'Education Nationale des modules de formation spécialisée, et, à mon avis, nous répondrons à cette difficulté qui est posée. Il est très rare qu'il y ait des enfants d'exactement 2 ans, il faut être né au mois de septembre. En général, ce sont des enfants de 2 ans et demi qui sont nés entre janvier et mars. Donc, ils ont 3 ans dans l'année. Et je crois que c'est dans cette année-là que se met en place le langage, en particulier dans les zones défavorisées où rien ne fonctionne mieux qu'une structure où l'enfant est en contact avec d'autres enfants, avec des adultes qui lui parlent une langue ; il comprend à quoi sert le langage à communiquer, et c'est comme cela que les choses se mettent en place.
M. Jean Arthuis, président - Merci chers collègues. Nous allons partir avec beaucoup de frustration parce que nous n'aurons pas le temps d'obtenir une réponse à chacune des questions qui ont été posées ce matin, compte tenu du fait que nous avons un engagement avec une autre audition pour suite à donner. Donc, Messieurs, si vous pouvez répondre en synthétisant votre propos, chacun y trouvera matière. Je crois que l'on a bien compris ce matin qu'il y avait une vraie attente pour l'accueil des jeunes enfants, la garde des jeunes enfants. Ceci n'est pas forcément la responsabilité de l'Education Nationale. On a compris que l'école pouvait commencer à 3 ans, et si l'école ne commence qu'à 3 ans, il faut que nous trouvions des formes appropriées pour répondre à l'attente des familles lorsque les enfants ont moins de 3 ans. Globalement, nous avons à faire en sorte que nous laissions à nos enfants autres choses que l'accumulation de dettes. En comprimant les déficits publics, nous léguerons à nos enfants un patrimoine sans doute encore plus prometteur.
M. Jean-Louis Nembrini, directeur général de l'enseignement scolaire - Merci M. le président. Je vais essayer d'être extrêmement rapide en répondant à ces questions. Pour les inscriptions, la grève des directeurs d'école nous a laissé dans une certaine incertitude. Les choses vont être réglées par la mise en place de la base élèves qui s'installe désormais très rapidement. Je crois que nous n'aurons plus d'incertitude sur le sujet.
M. Michel Charasse, sénateur, commission des finances - C'est toujours le maire qui inscrit.
M. Jean-Louis Nembrini, directeur général de l'enseignement scolaire - Bien sûr. M. le sénateur, organiser le soutien scolaire à midi ou le soir n'est pas une obligation fixée par l'institution scolaire. Il y a la possibilité d'organiser la classe aussi le mercredi matin.
M. Michel Charasse, sénateur, commission des finances - (Début d'intervention hors micro) L'inspection académique ne dit rien parce qu'elle a la trouille. Je dirais même plus, je la moucharde et je la balance.
M. Jean-Louis Nembrini, directeur général de l'enseignement scolaire - C'est noté, M. le sénateur.
Je crois, M. le sénateur Gouteyron, que l'idée que l'on se fait de l'école, c'est absolument essentiel. Dans l'ouest de France, l'académie de Rennes est l'académie de toutes les réussites. On y réussit très bien. En France, l'excellence de l'école maternelle a réussi à persuader tous les Français qu'à 3 ans, l'école est vraiment indispensable, et tous les Français répondent en mettant leur enfant à l'école à cet âge-là pour entrer dans ce processus d'apprentissage, d'égalité des chances que vous avez souligné. Nous y tenons vraiment beaucoup à travers la maîtrise de la langue française. Oui, la garantie de l'accueil des élèves à 3 ans, c'est ce que veut faire, ce que doit faire le ministère de l'Education nationale. Ce que j'ai dit des contenus indispensables pour accéder au cours préparatoire rend obligatoire cet accueil dès l'âge de 3 ans.
Je crois qu'il est important, effectivement, de former les personnels pour enseigner à l'école maternelle. En effet, il y a plusieurs possibilités pour former ces maîtres. Dans le cadre de la masterisation, cette nécessité sera prise en compte. Quant au corps d'inspection, le débat est ouvert. Faut-il un corps d'inspection spécifique qui, peut-être, apprécierait l'école maternelle sans prendre en compte la généralité de l'école primaire, ou faut-il un corps d'inspection qui suive les objectifs de trois ans jusqu'à la fin de la scolarité à l'école primaire ? Nous sommes plutôt sur cette position, mais il faut encadrer, de toute façon, les maîtres de l'école maternelle.
M. Jean Arthuis, président - Merci M. le directeur général. Je me tourne vers le président Picq. Avez-vous des commentaires en cette fin d'audition, M. le président ? Je voudrais à nouveau vous remercier au nom de la commission des finances pour la qualité de cette enquête.
M. Jean Picq, président de la troisième chambre de la Cour des Comptes - Deux choses m'ont frappé. Premièrement, on a entendu des femmes « maires », je pense que l'on n'a pas entendu de directrice d'école et d'institutrice, mais ces voix-là diraient aussi beaucoup de la situation de l'école maternelle. Je voulais relever ce point pour montrer la limite de notre travail. Nous avons fait un travail de Paris, et c'est un travail d'hommes.
Deuxièmement, je pense qu'il faut à la fois prendre la mesure de cette question de l'âge et en même temps la relativiser. L'école maternelle, c'est 2,3 millions d'enfants de 3 ans, et de ceux-là, il faut aussi en parler, dans la mesure où ce qui est en cause, c'est le continuum, la perspective qui va au-delà de la grande section. De ce point de vue-là, l'articulation entre la grande section et le socle commun me paraît être, du point de vue de l'évaluation dont on nous dit qu'elle va être mise en place - et nous nous en réjouissons - un aspect essentiel. Je m'en tiendrai à cela en me réjouissant simplement que ce travail modeste qui a été le nôtre permette un débat qui, lui, à l'évidence, a de beaux jours devants lui.
M. Jean Arthuis, président - Merci M. le président. Je me tourne vers Gérard Longuet qui rendra compte de cette discussion pour suite à donner, sous la forme d' un rapport d'information que la commission des finances , d'ores et déjà, l'autorise à publier . Mesdames et Messieurs, je vous remercie.
* 5 La demande, le 10 octobre 2007, d'une enquête auprès de la Cour des comptes a été prise à l'initiative de M. Gérard Longuet. Suite au renouvellement sénatorial intervenu le 21 septembre 2008, le bureau de la commission a ensuite désigné deux rapporteurs spéciaux pour la mission « Enseignement scolaire », MM. Gérard Longuet et Thierry Foucaud.