C. DÉVELOPPEMENTS POLITIQUES EN AFGHANISTAN ET AU PAKISTAN
Organisé à la veille de la Conférence des donateurs de Paris du 12 juin dernier, le débat autour de la proposition de recommandation de la commission politique visait à prendre note des derniers événements survenus en Afghanistan et au Pakistan, en vue de préconiser un changement de la stratégie européenne dans la région. Celle-ci devrait se focaliser sur trois priorités : maintien de l'ordre, instauration de l'État de droit et lutte antidrogue. En effet, alors que l'opinion publique occidentale s'avère de plus en plus hostile à l'envoi de troupes en Afghanistan, la situation intérieure du pays demeure, près de sept ans après la chute du régime des talibans, relativement délicate tant elle conjugue insécurité, absence de réelles infrastructures étatiques, corruption et intensification de la production de pavot. A ce titre, l'aide internationale à la reconstruction politique et économique semble ne pas avoir eu les effets escomptés, ainsi que l'a souligné M. Jean-Guy Branger (Charente-Maritime - UMP) :
« La lecture de l'excellent rapport de la commission politique n'est pas sans soulever quelques interrogations quant à l'efficacité de l'action internationale en Afghanistan depuis 2001.
Initialement conçue par ses promoteurs comme une opération de lutte contre le terrorisme de masse, l'intervention alliée de l'automne 2001 a, dès le départ, mésestimé la complexité du pays, usant en de trop nombreuses occasions d'une forme de sous-traitance de l'offensive laissée aux chefs de guerre locaux, pas toujours en phase avec nos objectifs militaires.
Cette délégation de compétence a eu trois effets. D'abord, nous avons laissé s'installer sur les ruines du régime taliban des petites mafias locales implicitement légitimées par l'appui qu'elles ont pu nous apporter. Ensuite, nous n'avons pas su non plus éradiquer totalement le mouvement taliban, comme le démontrent nos difficultés actuelles dans le pays. Enfin, nous n'avons jamais arrêté Oussama Ben Laden et l'état-major d'Al Qaida, pourtant localisés dans le pays ou la région.
Cet état des lieux ne serait pas complet si l'on négligeait la délicate question de la guerre en Irak, dont les effets sont notables en Afghanistan, tant le regain d'activité taliban coïncide avec la radicalisation de la situation à Bagdad.
Ces difficultés militaires pourraient être relativisées par de réels progrès en matière civile. Là encore, la déception est grande. Je ne cesse de m'interroger sur les quatre ans qui ont séparé l'accord de Bonn de décembre 2001 sur la situation locale et sa traduction concrète au sein du Pacte pour l'Afghanistan, adopté en février 2006.
Sans remettre en question les lenteurs inhérentes à toutes les transitions politiques, l'engagement de la communauté internationale en faveur de la construction d'un État viable en Afghanistan aurait dû être plus soutenu qu'il ne l'a été. Comme le souligne le rapport, aucun progrès tangible n'est enregistré quant à l'administration du pays ou la mise en place d'une police unifiée sur tout le territoire. Le cadre fourni par le pacte est intéressant, mais il est malheureusement trop tardif, tant le pays est sous le joug de féodalités malheureusement confirmées dans l'immédiat après-guerre.
La réunion à Paris, le 12 juin prochain, d'une conférence de donateurs apparaît de fait comme une nouvelle étape dans notre action à destination de l'Afghanistan. Elle doit être le signe d'une véritable ambition civile pour ce pays à côté du renforcement de l'aide militaire décidé ces derniers mois. L'aide accordée doit l'être dans le cadre d'une véritable stratégie de développement, à rebours de tout saupoudrage.
Rappelons qu'il n'y a toujours pas d'électricité dans certains quartiers de Kaboul, que le monde rural, soit 70 % de la population, ne bénéficie pas d'un dixième de l'aide internationale et que la réhabilitation des grands réseaux d'irrigation n'apparaît pas à l'ordre du jour. Aucune région ne doit être privilégiée par rapport à une autre. L'exemple de la province du Warkak, où l'aide par habitant est la plus faible, est significative. Cette région, jusqu'alors calme, a, faute de financements, basculé dans la violence l'année dernière.
L'aide accordée doit également être incarnée. Je regrette le choix du Président Karzaï d'écarter la candidature de Lord Ashdown, dont l'expérience en Bosnie aurait été utile au poste de haut responsable de l'action internationale, représentant à la fois l'ONU, l'Union européenne et l'OTAN. Gageons que le candidat retenu, M. Kai Eide, saura répondre aux exigences de la fonction et privilégiera la construction d'un véritable appareil d'État afghan, seule apte à mieux répartir l'aide internationale. Celle-ci ne doit plus passer par des structures ad hoc créées autour des projets financés, générant ainsi une véritable administration parallèle mais fragmentée, qui vide l'administration d'État naissante de toute capacité d'expertise.
« Le nuage est sombre, mais ce qui en tombe est de l'eau pure » dit le proverbe afghan. Les difficultés semblent se concentrer au-dessus de l'Afghanistan. Une rationalisation de notre aide tant civile que militaire, comme l'assignation d'objectifs ambitieux et concrets, devraient néanmoins être des motifs d'espoir pour ce pays qui en manque cruellement. »
Le rapport de la commission politique souligne, à ce sujet, l'absence de réactivité européenne dans le déblocage de fonds en raison de procédures lourdes et complexes. Invitée à participer au débat, Mme Karin Kortmann, Secrétaire d'État parlementaire auprès du ministre allemand de la coopération et du développement économique, a préféré, pour sa part, relever l'absence de modèle unique pour la reconstruction du pays, le soutien financier pouvant être opéré dans plusieurs secteurs : énergie, eau, petites et moyennes entreprises. A ce volet économique, il convient d'ajouter une dimension civile au travers de programmes de construction d'écoles. L'urgence de l'aide à apporter incite à accélérer la transmission des fonds, la ministre allemande soulignant à cet égard le décalage constaté entre la lenteur de la coopération civile et la rapidité de la coopération militaire. Une meilleure coordination entre civils et militaires s'avère, à cet égard, être une priorité. De façon générale et à la lumière de l'expérience allemande, un rééquilibrage de l'aide accordée aux diverses provinces est également nécessaire, l'essentiel des aides semblant se concentrer sur Kaboul et les provinces du Nord.
La recommandation telle qu'adoptée par l'Assemblée insiste sur la nécessité d'une plus grande fermeté européenne dans la région, tant sur le plan militaire que politique. La responsabilisation du gouvernement afghan apparaît à cet égard comme une priorité, notamment en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants. Une véritable alternative économique doit ainsi être de mise en vue de détourner la culture du pavot du marché de la drogue, la piste pharmaceutique devant notamment être approfondie.
Le Pakistan, très peu abordé par les intervenants au cours du débat en séance, doit faire l'objet d'efforts particuliers en faveur de la promotion du droit et de la société civile, notamment au sein des zones tribales. L'Assemblée a souhaité, à ce titre, que toute action européenne dans le pays réponde aux objectifs fixés dans le Document sur la stratégie de l'Union Européenne 2007-2013 pour le Pakistan. Les élections de février 2008 ont, à cet égard, souligné la volonté des Pakistanais de limiter la participation des militaires à l'exercice du pouvoir et de condamner tout militantisme religieux à la tête de l'État. Les défis n'en demeurent pas moins nombreux dans un contexte de crise alimentaire et pétrolière aux conséquences sociales indéniables. La question du développement économique et social demeure centrale pour l'avenir du Pakistan, tant celui-ci représente la réponse à toute tentation théocratique. La recommandation relève à ce sujet l'assouplissement de la position des islamistes radicaux aux Pakistan, disposés selon la commission politique, à renoncer à la violence en échange d'une moindre pression militaire dans les zones tribales. Cet embryon de coopération entre le gouvernement central et lesdits mouvements n'est pas sans conséquence pour l'Afghanistan, tant il permettrait de distendre le lien entre les organisations talibanes de part et d'autre de la frontière.
La mise en oeuvre d'une réelle dynamique régionale apparaît indispensable à l'Assemblée. Elle invite à ce titre le Pakistan et l'Afghanistan à se rapprocher de l'Iran en vue de bénéficier de la connaissance approfondie qu'a Téhéran de la culture et de la société de la région. Cette volonté de s'appuyer sur l'Iran en vue de stabiliser la zone peut apparaître assez singulière dans un contexte international assez délicat pour la République islamique. Elle tranche, en tout cas, avec le point de vue américain sur la question, quitte à brouiller la position occidentale.