3. L'impossibilité de « gager » une dépense par une économie
De l'emploi du singulier dans les termes de l'article 40 de la Constitution résulte l'impossibilité de compenser la création ou l'aggravation d'une charge publique 25 ( * ) .
a) Les compensations en recettes ou en charges ne sont pas possibles
Il existe deux moyens - l'un comme l'autre inopérants - de « gager » une création ou une aggravation de charge. Le premier consiste à compenser cette création ou aggravation par une recette supplémentaire . A par exemple été déclaré irrecevable un amendement compensant, au moyen d'une « taxe responsabilité-sociabilité canine », les coûts engendrés par la mise en oeuvre de campagnes nationales de sensibilisation et de formation aux relations de l'homme et du chien.
Le second moyen revient à gager la charge nouvelle sur la diminution d'une autre charge, soit explicitement , en prévoyant la diminution d'une dépense à due concurrence, soit implicitement , en précisant que la charge nouvelle est assumée par l'opérateur « à enveloppe constante ». En effet, le fait d'assumer une nouvelle dépense à budget global inchangé obligera l'opérateur concerné à réduire d'autres dépenses préexistantes, ce qui revient bien à gager la première sur les secondes. Ce cas est illustré par l'irrecevabilité dont a été frappé un amendement instituant une aide à l'achat ou à la location de véhicules électriques neufs, alors même que l'amendement précisait que cette aide serait servie par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie « dans la limite de son budget ».
On observera enfin que ne serait pas davantage recevable un amendement gageant une création ou aggravation de charge sur des diminutions de dépenses futures , en faisant valoir, par exemple, que les coûts liés à l'instauration d'un nouveau dispositif seraient plus que compensés par les « économies » qu'il permettrait de réaliser à terme.
b) L'exception des redéploiements en loi de finances
La règle de non-compensation d'une charge publique connaît une exception notable en matière de lois de finances, s'agissant exclusivement de leurs dispositions intéressant les crédits des missions .
En application de l'article 47 26 ( * ) de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), il est en effet possible de modifier le montant et la répartition des crédits au sein des différents programmes d'une même mission, sous réserve de ne pas augmenter le montant global de cette dernière. Ces dispositions permettent donc, en pratique, de gager l'augmentation de la dotation d'un programme budgétaire sur la diminution, à due concurrence, d'un autre programme au sein de la même mission . Elles permettent également de créer un ou plusieurs programmes dotés de crédits ainsi redéployés.
Il en résulte que, pour être recevable au sens de l'article 40 de la Constitution, un amendement portant sur les crédits d'une mission doit présenter un solde nul (augmentation de dépense gagée à due concurrence) ou négatif (réalisation d'une économie). Il doit également préciser, dans son objet, sur quelles actions des différents programmes portent les modifications proposées. Ce degré de précision permet en effet de s'assurer de l'effectivité du gage proposé.
On rappellera enfin que les redéploiements de crédits entre missions différentes, l'augmentation nette des crédits d'une mission ou les amendements ayant pour objet de créer une mission 27 ( * ) demeurent irrecevables.
Les redéploiements en projet de loi de financement de la sécurité sociale Le IV de l'article L.O. 111-7-1 du code de la sécurité sociale, introduit par la loi organique n° 2005-881 du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS), autorise également certains redéploiements en matière de loi de financement de la sécurité sociale, s'agissant spécifiquement de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM). Il dispose, en effet, que « au sens de l'article 40 de la Constitution, la charge s'entend, s'agissant des amendements aux projets de loi de financement de la sécurité sociale s'appliquant aux objectifs de dépenses, de chaque objectif de dépenses par branche ou de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie ». Ceci permet ainsi aux membres du Parlement de proposer des redéploiements entre les sous-objectifs de l'ONDAM, dès lors que le montant global de ce dernier n'est pas majoré. Il convient toutefois, comme l'avait souligné le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2005-519 DC du 29 juillet 2005 sur la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (considérant n° 26), de combiner ces dispositions avec celles de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale, qui dispose que la liste des sous-objectifs est définie par le gouvernement. En pratique, il résulte de ces dispositions l'impossibilité de créer un sous-objectif par amendement parlementaire, et ce quand bien même le montant global de l'ONDAM ne serait pas augmenté. |
c) La possibilité de gager les propositions de loi constitutives d'une charge publique
L'article 40 de la Constitution précise que les « propositions et amendements » formulés par les membres du Parlement ne sauraient avoir pour conséquence de créer et d'aggraver une charge publique. Ses dispositions concernent donc non seulement les amendements, mais également les propositions de loi déposées par les députés et les sénateurs.
Une lecture rigoureuse, pour ne pas dire « rigoriste », de l'article 40 aboutirait donc, en principe, à refuser le dépôt des propositions de loi créant ou aggravant une charge publique. Toutefois, et selon une pratique constante et commune aux deux assemblées du Parlement , de telles propositions de loi sont admises, à la condition d'être assorties d'une compensation en recettes , signalant que le dispositif proposé comporte des incidences financières.
Cette exception à la règle de non-compensation des charges publiques témoigne à nouveau du fait que le principe constitutionnel de recevabilité financière peut faire l'objet d'une lecture la plus favorable possible à l'initiative parlementaire.
* 25 La décision du Conseil constitutionnel n° 85-203 DC du 28 décembre 1985 dispose en effet que l'article 40 « fait obstacle à toute initiative se traduisant par l'aggravation d'une charge, fût-elle compensée par la diminution d'une autre charge ou par une augmentation des ressources publiques ».
* 26 Dans sa décision relative à la LOLF, le Conseil constitutionnel précise que l'article 47 de la LOLF s'applique :
- aux amendements aux articles de la seconde partie de la loi de finances de l'année, qui respectivement fixent « pour le budget général, par mission, le montant des autorisations d'engagement et des crédits de paiement » et « par budget annexe et par compte spécial, le montant des autorisations d'engagement et des crédits de paiement ouverts ou des découverts autorisés » ;
- aux amendements s'appliquant aux modifications des mêmes articles par les lois de finances rectificatives ;
- aux amendements aux dispositions analogues figurant dans les lois visées à l'article 45 de la Constitution, c'est-à-dire des lois spéciales autorisant le gouvernement à continuer à percevoir les impôts existants jusqu'au vote de la loi de finances de l'année ;
- aux amendements destinés à rectifier les ajustements de crédits opérés en loi de règlement.
* 27 En application de l'article 7 de la LOLF.