B. DÉBAT

De la salle - Sur les questions de gouvernance, l'Afrique et le Moyen-Orient ne sont pas évoqués. Pourquoi ? Je crois par ailleurs qu'en supprimant les armes, nous pouvons réduire sensiblement les problèmes que connaissent ces régions.

Dominique ROUSSET - Nous aborderons peut-être le cas de ces régions cet après-midi, quand nous évoquerons les nouvelles formes de régulation.

Frédéric TIBERGHIEN - Votre question est pertinente, mais le temps manque pour traiter tous les sujets. Nous n'avons pas évoqué le développement de phénomènes susceptibles de détruire le marché et la communauté internationale : corruption galopante, blanchiment de l'argent sale avec l'augmentation des places off-shore, trafics illégaux, commerce libre des armements, violation du droit de propriété intellectuelle et contrefaçon... Ce monde illicite s'est développé avec la montée en puissance du marché et le recul des Etats et de la régulation mondiale. De fait, les entreprises ont intérêt à demander des Etats forts, capables de traiter ces questions.

Sur les questions de désarmement, il faut noter que c'est une coalition d'ONG, et non les Etats, qui a fait voter le traité de 1998 sur l'interdiction des mines antipersonnel, relayé par le gouvernement canadien, contre l'avis de la France. Les ONG se sont emparées du sujet dans une perspective de développement durable, contre cette forme d'élimination à retardement des enfants. La consultation de la société n'est donc pas vaine. Alors que les Nations Unies émettent des propositions pour organiser la traçabilité des armes, de la même manière que les aliments, de nombreux acteurs y sont opposés. Le drame de l'Afrique réside pourtant dans le très faible coût des armes. La question de la sécurité, et donc de la circulation des armes, doit être réglée pour que ces régions de développent.

Le directeur marketing de Zend, une société de nouvelles technologies - A mon avis, ceux qui gouverneront le monde de demain ne seront ni l'Etat, ni les entreprises, mais les personnes porteuses de l'intérêt général. Je souhaite par ailleurs témoigner du dynamisme de l'Etat français dans le domaine du logiciel libre. Zend en est un des leaders mondiaux. Son siège se situe dans la Silicon Valley, son labo de R&D en Israël, et elle possède une filiale en France. Or la France est essentielle pour Zend, parce que le gouvernement a opéré des choix en faveur du logiciel libre le positionnant comme leader, y compris vis-à-vis du monde privé.

Par exemple, lors d'une journée de l'innovation de France Télécom, une personne de la DGME, avec qui je travaille, avait beaucoup surpris les responsables en parlant du dynamisme de l'Etat français dans ce domaine. La DGME joue un rôle primordial vis-à-vis du privé, non pas sur les moyens qu'elle préconise, mais sur le but, transversal. Or les personnes porteuses de modernité ne dominent pas nécessairement la hiérarchie, mais ont un important impact transversal. Aussi, comment valoriser la notion d'intérêt général, dans le public et le privé ? Elle me semble un concept très moderne, puisque dans la Silicon Valley par exemple, les entreprises se focalisent sur le social networking : dans ce cadre, les personnes souhaitent communiquer entre elles et se rendre utiles. Aussi, si l'Etat s'inspire des entreprises dans ses moyens, l'entreprise pourrait, réciproquement, s'inspirer du but de l'Etat : l'intérêt général.

Frédéric TIBERGHIEN - L'intérêt général est porté par tous les acteurs aujourd'hui, y compris les entreprises, notamment dans le domaine de la formation. Il doit cependant être défini par le politique et le débat démocratique.

Le directeur marketing de Zend, une société de nouvelles technologies - La responsabilité sociétale de l'entreprise est plus moderne que sa responsabilité sociale, et ces concepts doivent être distingués. Bien définir la RSE serait un moyen de valoriser l'intérêt général.

Frank MORDACQ - L'intérêt général est heureusement partagé par beaucoup d'autres acteurs que l'Etat. Le rôle de l'Etat est cependant particulier, puisqu'il est le garant de cet intérêt général. Il définit ainsi parfois des réformes auxquelles s'oppose une partie de la population, puisque les choix sont politiques et démocratiques. Plutôt que le logiciel libre, nous souhaitons favoriser l'interopérabilité, et développer des systèmes d'information entre administrations et usagers. Nous devons également garantir la sécurité et l'accessibilité de tous les Français, notamment les plus défavorisés.

Un avocat - Dans un livre très intéressant, Le nouveau mur de l'argent, François Morin, professeur d'économie à Toulouse, évoque des chiffres utiles à notre débat. Le volume mondial des transactions sur biens et services s'élève à 32 teradollars (mille milliards de dollars) par an, tandis que celui des flux financiers représente 36 milliards. De son côté, le total annuel des engagements sur les marchés dérivés s'élève à 600 milliards de dollars, soit 20 années de production réelle mondiale. La question que nous devons nous poser n'est-elle pas : « Etats ou entreprise », plutôt qu' « Etat ou entreprises » ? L'Etat-nation est-il encore le bon niveau d'intervention pour répondre à cette nouvelle donne, ou faut-il en créer un nouveau ?

Jacques LESOURNE - Ces statistiques peuvent prêter à confusions, notamment entre le revenu et le total du patrimoine. La mondialisation est facilitée par l'extraordinaire développement des communications. Or les activités illicites savent profiter de ces opportunités et de la lenteur des Etats à coopérer efficacement entre eux. Une police internationale est nécessaire. Les initiatives du tissu interstitiel, par exemple des entreprises, résultent de la difficulté des Etats à répondre aux besoins.

Frédéric TIBERGHIEN - L'avenir appartient à des coalitions d'acteurs (entreprises, Etats, ONG, syndicats) pour résoudre ces questions, mais notre Etat n'a pas l'habitude de ces démarches. L'Europe doit être motrice en ce sens. Nous affichons les plus grandes exigences environnementales et supportons le coût du travail le plus élevé, en raison de notre protection sociale la plus développée au monde. Le défi est de retrouver un Etat audacieux sur le plan international, sachant sortir de sa tour d'ivoire. La parole de la France est attendue sur ces sujets.

Hugues de JOUVENEL - Le marché mondial des drogues est aussi important que celui des hydrocarbures. L'imbrication du licite et de l'illicite est très forte. Cette imbrication joue un rôle déterminant dans le hiatus entre la sphère financière et la sphère réelle. Je suis moins optimiste que certains intervenants : il me semble qu'il n'existe aucune volonté réelle de combattre les problèmes actuels.

Dominique ROUSSET - Nous aurons l'occasion de revenir sur ce sujet cet après-midi, de manière plus élargie. Je remercie nos intervenants.

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