2. En France
Après une année 2005 particulièrement décevante, l'économie française a connu un rebond au cours du premier semestre 2006 qui lui permettra de croître à un rythme supérieur à 2 % cette année.
La croissance de l'économie en 2005 (1,2 %) a en effet été particulièrement décevante. Tout d'abord parce qu'elle brise la reprise amorcée en 2004 empêchant l'économie française de rattraper une partie de son retard de production accumulé depuis 2001. Si le dynamisme interne a été satisfaisant (2,2%), bien qu'inférieur à celui de 2004 (2,8 %), il n'en va pas de même de la contribution extérieure. Redevenu déficitaire en 2004 pour la première fois depuis 1991, le solde extérieur s'est encore aggravé en 2005, amputant la croissance annuelle de 1 point de PIB. Décevant également car le rebond inscrit dans les enquêtes de conjoncture n'a pas eu lieu au second semestre 2005. Celui-ci s'est produit au cours du premier semestre 2006 : profitant de la dépréciation de l'euro vis-à-vis du dollar, les carnets de commandes étrangers se sont remplis et, favorisée par le bas niveau des taux d'intérêt, une spirale vertueuse d'augmentation des investissements productifs et des créations d'emplois s'est enclenchée. L'économie française devrait croître en 2006 de 2,3 % en moyenne annuelle (2,8 % en glissement). En 2007, la mise en place d'une « pseudo » TVA sociale en Allemagne renforcera la politique de désinflation compétitive menée outre-Rhin depuis le début des années 2000. Cette politique non coopérative sera la principale responsable du ralentissement de la croissance dans l'hexagone (2,2 % en moyenne annuelle et 2,0 % en glissement annuel). Elle devrait toutefois permettre la poursuite de la baisse du chômage qui devrait s'établir à 8,2 % fin 2007. Bien entendu des risques existent qui pourraient conduire à une rechute en 2007. Pour l'essentiel, ils sont relatifs à l'environnement international : crise pétrolière majeure, surréaction de la politique monétaire, récession aux Etats-Unis. Un scénario de dynamique interne plus noir est également envisageable (effondrement du prix de l'immobilier, enclenchement d'une spirale inflationniste...). Il suppose un enchaînement d'évolutions très négatives qui pour l'heure ne transparaissent ni dans les enquêtes de conjoncture ni dans les statistiques fournies par l'INSEE.
Encadré 1 - Immobilier: la France dans le sillage des Etats-unis? |
Après une phase de croissance soutenue pendant près de 10 ans, le marché immobilier français a montré depuis 2005 des signes de tassement, tant en matière de prix que d'activité. Ce mouvement s'est accentué depuis le début de l'année 2006, alimentant des craintes, pour certaines injustifiées. Certes, les ajustements en cours devraient se poursuivre, mais leurs conséquences sur la croissance seraient relativement limitées.
Le ralentissement de la croissance des prix immobiliers est en cours en France, mais il est relativement récent et surtout modeste pour l'instant par rapport à ce qu'on observe aux Etats-Unis, où les prix reculent désormais. Depuis le pic de la fin 2004 à 15,9 %, la croissance des prix a très progressivement ralenti pour atteindre 12,5 % au deuxième trimestre 2006. Ces premiers signes de ralentissement sont le reflet du déséquilibre qui apparaît progressivement entre l'offre et la demande de logements. L'arrêt de la baisse des taux et l'épuisement progressif des possibilités d'allongement des durées de crédit ont freiné l'extension de la solvabilité des ménages. Il en a résulté un tassement de la demande qui, couplé avec l'arrivée sur le marché de nouveaux logements mis en chantier auparavant, a occasionné un freinage des prix. Ainsi, selon l'enquête dans la construction immobilière, la demande de logements neufs à acheter ralentit depuis la mi-2005, entraînant avec elle un fort gonflement des stocks (graphique). Ces derniers sont presque revenus à leur niveau de 1990, ce qui pourrait bien amplifier le ralentissement des prix dans les prochains mois.
La forte progression de l'offre de logements neufs, qui faisait suite à la croissance élevée des prix, devrait toutefois continuer de se tasser, même si elle reste encore sur des rythmes élevés. Les permis de construire accordés ont en effet ralenti depuis le printemps 2004, mouvement qui préfigurait le ralentissement des mises en chantier depuis l'automne 2004 et celui de l'investissement logement depuis 2005. Le taux de croissance de l'investissement en logement est ainsi passé de 4,9 % au premier trimestre 2005 à 2,4 % au deuxième trimestre 2006 sur un an.
Enquête trimestrielle dans la construction immobilière en France
Soldes d'opinion
Source : INSEE
Le tassement de la demande n'est toutefois pas encore visible dans les statistiques d'encours de crédits des ménages français, disponibles jusqu'au premier trimestre 2006, contrairement à ce qu'on observe déjà en Espagne ou aux Etats-Unis. L'encours de dette hypothécaire a continué de progresser à un rythme proche de 15 % sur un an. Il est vrai que les taux hypothécaires n'ont augmenté que de 0,3 point depuis le creux de la fin 2005 à 3,5 %. Ils apparaissent faibles au regard des taux auxquels se refinancent les banques mais aussi des taux rémunérant les actifs les moins risqués (l'OAT à 10 ans atteignait 4 % en juillet 2006). En effet, les banques ont continué d'assouplir les critères d'attribution des prêts au logement pour faire face à la concurrence. Pour cela, elles ont diminué leurs marges sur les crédits et continué d'augmenter la durée des prêts consentis.
Le taux d'endettement des ménages français reste toutefois relativement modéré (autour de 65 % du revenu), même si son augmentation est nette sur les dernières années (plus de 10 points depuis 2000). En comparaison, le taux d'endettement des ménages américains atteignait 130 % de leur revenu au deuxième trimestre 2006. La situation financière des ménages françaises n'apparaît donc pas aussi dégradée que dans d'autres pays, tant en terme d'endettement que de charge financière. De plus, la hausse des taux ne pèse pratiquement que sur les nouveaux ménages qui s'endettent et ne conduit pas à une réévaluation des charges financières des ménages déjà endettés, la part des prêts ayant été contractés à taux fixes étant majoritaire.
Dans notre scénario, le tassement du marché immobilier français se ferait graduellement, avec un impact plus modéré sur la croissance qu'aux Etats-Unis. D'abord, les ménages y sont globalement moins endettés qu'outre-Atlantique. Ensuite, leur endettement est moins gagé sur la valorisation du patrimoine immobilier, du fait de l'absence de mécanisme de recharge hypothécaire.
Le déséquilibre, apparu initialement entre l'offre et la demande, devrait être amplifié par l'arrivée sur le marché de logements neufs, conduisant à la poursuite du ralentissement des prix et peut-être même à leur baisse. Cette dernière n'aurait en soi rien de dramatique. En effet, à partir du moment où les taux d'intérêt cesseront d'augmenter, les facteurs de stabilisation des prix apparaîtront d'eux-mêmes. La baisse des prix rendra solvables de nouveaux ménages, ce qui encouragera l'achat, conduira à la contraction de l'offre excédentaire et in fine à une remontée des prix. Or, le resserrement monétaire dans la zone euro devrait prochainement prendre fin et surtout les taux longs, qui servent de principale référence aux taux hypothécaire en France, devraient rester à de faibles niveaux. A moins d'un dérapage inflationniste inattendu, qui entraînerait une hausse des taux longs, l'environnement financier resterait donc relativement favorable. De ce fait, l'hypothèse d'un effondrement durable et profond du marché immobilier parait, en l'Etat actuel des choses, infondée.
Quels canaux de transmission d'un marché à l'autre?
Si aux Etats-Unis, le retournement du marché immobilier est avéré, il n'est qu'embryonnaire en France pour l'instant. Le scénario américain est-il amené à se transmettre tel quel à la zone euro, et en particulier en France ? A priori , la réponse est non. Une telle contagion n'est pas mécanique, parce que les marchés immobiliers sont des marchés avant tout locaux, où les acteurs sont essentiellement nationaux. Mais, les mêmes causes produisant les mêmes effets, la relative synchronisation des marchés immobiliers proviendrait d'évolutions relativement similaires des politiques monétaires. Si l'évolution des taux directeurs a été différenciée (avec un resserrement nettement plus précoce aux Etats-Unis), celle des taux longs a été beaucoup plus proche. En effet, ces derniers sont très corrélés entre pays et pourraient constituer un canal de transmission de la crise immobilière d'une zone à l'autre. Si leur légère remontée depuis la mi-2005 aux Etats-Unis et depuis la fin 2005 dans la zone euro a fini par freiner la frénésie immobilière, leur maintien à un bas niveau apparaît au contraire aujourd'hui un amortisseur des ajustements à l'oeuvre actuellement.
Le retournement enclenché aux Etats-Unis pourrait-il se propager en Europe via un autre canal ? En cas de krach immobilier outre-Atlantique couplé à une hausse du taux de défaut des ménages, une transmission à l'Europe n'est pas à exclure, du fait de l'émergence de structures nouvelles de couverture de risque, par le biais de la titrisation. La titrisation, qui consiste pour les établissements initialement prêteurs à vendre leurs créances à des institutions qui prennent alors en charge le risque, permet aux banques de réaliser des prêts immobiliers sans que cela ne pèse sur leurs ratios prudentiels. Cette stratégie s'est beaucoup développée depuis le milieu des années 1990. La caractéristique de ce marché de couverture du risque est d'être globalisée. Une hausse du taux de défaut aux Etats-Unis, si elle survenait, pourrait alors avoir des incidences sur la distribution du crédit en Europe via ce marché.
En effet, les investisseurs détenant des créances titrisées, échaudés par leurs déconvenues aux Etats-Unis, pourraient exiger des primes de risque plus élevées, ce qui se traduirait par une hausse des taux aux ménages européens et par un ralentissement de la croissance des crédits accordés en Europe. Encore ne s'agirait-il ici que d'un rationnement du crédit et non pas d'un effondrement du système financier. Cependant, un tel scénario n'est pas à l'ordre du jour aux Etats-Unis et ce risque apparaît donc très faible aujourd'hui.