II. INTERVENTION DES GRANDS TÉMOINS
Christian LURSON, directeur des ressources humaines de SODEXHO France
SODEXHO emploie 30.000 personnes en France. Nous recrutons environ 3.000 personnes par an pour faire face à la croissance. Une politique sociale de l'entreprise ne se décrète pas. Elle s'organise. Il faut savoir en prendre les moyens. SODEXHO a toujours privilégié l'emploi des jeunes. Nous avons donc quelque expérience sur le sujet. C'est aussi de la responsabilité de l'entreprise d'aller au contact, et notamment de l'Education nationale. C'est de la responsabilité de l'entreprise d'expliquer aux étudiants ce qu'est une entreprise et ce que sont ses métiers. Pour ce faire, nous avons créé, au sein de la direction des ressources humaines, un poste de responsable des relations écoles dont la mission est double : expliquer quels sont nos métiers et créer des partenariats avec des établissements d'enseignement afin d'accueillir des jeunes en stage, en alternance ou dans le cadre d'un premier emploi.
Par ailleurs, SODEXHO a signé une convention avec l'Education nationale. Nous accueillons des professeurs en stage pour leur montrer le monde de l'entreprise. C'est une passerelle de construire des ponts avec les écoles.
Ensuite, le jeune doit être en capacité d'exprimer un projet professionnel à un moment dans sa vie. En face, l'entreprise fait une promesse et doit tenir son engagement, notamment au moment de l'embauche. Pour cela, l'entreprise doit se donner les moyens pour suivre les jeunes durant les premiers mois de vie active. Ainsi, nous avons mis en place un dispositif de tutorat. Nous avons formé 300 personnes dans l'entreprise au tutorat pour accompagner les gens entrant dans l'entreprise et les personnes en période de professionnalisation.
Enfin, pendant la période d'emploi, il existe deux dispositifs : la VAE et le droit individuel à la formation. Ces deux dispositifs sont des dispositifs privilégiés. Somme toute, l'apprentissage est, à mon sens, le moyen privilégié pour réunir le monde de l'éducation et de l'entreprise. Nous sommes pour notre part fervents partisans et acteurs dans le domaine de l'apprentissage dans notre entreprise. C'est le moyen pour permettre au jeune de confronter ses connaissances à la réalité de l'entreprise.
Charlotte DUDA, directeur des ressources humaines de Stream International, présidente de l'Association nationale des directeurs et cadres de la fonction personnel (ANDCP)
Il est très difficile de généraliser sur les jeunes ou sur l'entreprise. Les jeunes représentent des réalités très différentes. Ainsi, il faut examiner les filières de diplômes individuellement. En effet, les situations sont très différentes. De même, les entreprises diffèrent beaucoup entre elles. Ainsi, la SODEXHO n'a rien à voir avec une entreprise artisanale.
Le taux de chômage des jeunes est particulièrement perturbant. Mais nous sommes dans un entre-deux qui risque de se renverser. En effet, avec le papy-boom, la donne risque de changer « brutalement ». Les jeunes fantasment parfois des évolutions professionnelles qui n'ont pas grand-chose à voir avec ce que peuvent proposer les entreprises. C'est donc aux entreprises d'aller vers les écoles le plus tôt possible. C'est pourquoi nous proposons d'engager des réflexions sur l'animation des bassins d'emploi. Il est nécessaire de créer des coopérations et des ponts entre les univers. Nous préconisons des stages non seulement pour les étudiants, mais également pour les enseignants. Si ces stages peuvent être reconnus comme du temps professionnel et compter pour les points retraite (au moins partiellement), cela nous semblerait véritablement formidable. Il faut créer des ponts entre les divers univers. Je suis DRH depuis 15 ans. J'ai passé la moitié de ma carrière dans le secteur social, dans le domaine de la réinsertion. Or depuis 15 ans, personne n'est venu frapper à ma porte pour me proposer d'insérer qui que ce soit. Il y a donc des liens à bâtir entre les différents univers.
Par ailleurs, l'inégalité des jeunes devant le chômage soulève la question des discriminations. Heureusement, nous sommes dans un monde économique marqué par un fort développement des emplois de service, pour lesquels la référence du diplôme n'est plus suffisante. Nous avons évoqué les habiletés, les tests, l'importance du comportemental, etc. Il serait donc souhaitable que des passerelles soient jetées entre les ANPE et les universités ainsi que les centres de formation pour transposer les savoir-faire acquis tout au long de la vie professionnelle dans un wording présentant ces savoir-faire.
Il faudrait qu'à chaque diplôme soient précisés les savoir-faire acquis. Je suis catastrophée d'entendre certains dire que les étudiants d'histoire ne savent rien faire et qu'ils n'ont pas de chance d'avoir choisi une filière bouchée. A mon sens, il n'y a pas de filière bouchée. Un jeune étudiant en histoire sait faire des recherches, ce qui est précieux. Il sait rédiger des notes de synthèse. Il sait tirer des conclusions. Il sait identifier des tendances. Il a donc des savoir-faire, qui sont précieux. Cependant, l'entreprise est dans une préoccupation de court terme. Elle a besoin de le rendre opérationnel le plus vite possible tout en cherchant à le fidéliser. Or la fidélisation entre en concurrence avec les jeunes diplômés dans leur entrée dans l'entreprise. C'est pourquoi les formations en alternance fonctionnent si bien et sont si bien adaptées. Par exemple, l'exemple des étudiants de médecine pourrait être étendu à d'autres filières universitaires, ce qui permettrait de réaliser une alternance plus grande entre les études et l'imprégnation dans la vie professionnelle et la vie des entreprises. Il est clair en tout cas que le souci de fidélisation de l'entreprise contribue à privilégier des emplois de début de carrière de jeunes qui ont des cursus universitaires. En effet, nous réalisons en France des orientations qui interviennent beaucoup trop tôt pour être en adéquation avec le marché et avec le goût des uns et des autres. Il est clair que dans nos entreprises, certains bacs+5 ont étudié la biologie, la géographie, etc. Ils débutent au bas des métiers de l'entreprise pour, très vite, évoluer dans des filières de management. Or ces jeunes sont en concurrence avec les jeunes sortant de l'université.
Mansour ZOBERI, directeur de la politique de la ville, de la solidarité et de l'égalité des chances à la direction des ressources humaines de Casino
Le Groupe Casino a trois métiers : la distribution, la restauration et la logistique. Il compte 106.000 salariés en France et 209.000 dans le monde. Nous comptons 75.000 CDI au sein du Groupe Casino. Par ailleurs, le Groupe a embauché 2.000 jeunes en 2005. Nous avions l'année dernière 664 stagiaires dans le Groupe. En outre, nous comptions un grand nombre d'apprentis. L'originalité du Groupe est d'avoir mis en oeuvre une politique de l'insertion depuis 12 ans. En effet, la moitié de notre parc de supermarchés est située dans un site ou dans une zone urbaine sensible.
Sur les 2.000 jeunes qui entrent dans l'entreprise, il y avait en 2005 environ 800 agents de maîtrise, dont 109 personnes d'origine étrangère ou issues de minorités visibles. 10 % de nos apprentis sont également issus de minorités visibles. Cette politique se traduit par un certain nombre d'engagements. Nous avons d'ailleurs conclu un partenariat avec l'Etat sur ces questions. Nous avons également pris des engagements dans une charte édictée en 2001. Nous y écrivons notre engagement de promouvoir l'égalité des chances en luttant contre toutes les discriminations, y compris contre les handicapés. Plutôt que le CV anonyme, nous cherchons à prendre en compte l'aptitude et le comportemental. Ainsi, dans les derniers projets de Casino, nous avons annoncé clairement que nous favorisons l'emploi local et l'emploi des publics prioritaires, et notamment parmi les employés (par une méthode de recrutement par simulation).
Parallèlement à ces engagements sur les publics prioritaires, nous avons également un objectif d'emploi pour les jeunes diplômés. Nous recrutons notamment beaucoup à bac+2. Cela permet de faire fonctionner « l'ascenseur social ». Ainsi, le directeur général de la filière Cafétéria Casino est autodidacte. La progression dans la carrière est égale pour tous. En effet, nous avons mis en place un outil permettant de le constater. Cet outil permet de mesurer la diversité à travers une étude des patronymes (qui a été autorisée par la CNIL). Le diagnostic auquel nous avons abouti (que nous partageons avec l'ensemble des syndicats) est qu'une fois dans l'emploi, il n'y a aucune discrimination dans l'évolution de carrière.
Cette politique est issue d'années de travail, de « micro-actions », de l'accumulation de dispositifs divers (CDI, CDD, contrat de professionnalisation, alternance, etc.). Par ailleurs, nous sommes signataires de la charte d'apprentissage. Nous sommes également, comme 250 autres entreprises, signataires de la charte de la diversité.
Jean-Claude BOURRELIER, président-directeur général de Bricorama
J'aurais souhaité quitter le plus tard possible le monde de l'éducation comme la plupart des auditeurs réunis dans cette salle. Malheureusement, la société n'était pas aussi riche qu'aujourd'hui et des choix étaient faits entre ceux qui avaient droit aux études et ceux qui avaient le devoir de travailler. La société ne « cocoonait » pas ses enfants autant qu'aujourd'hui. Les mondes sont différents.
Je suis entré en apprentissage à 14 ans. Ma famille était pauvre. Mon père était malade. J'ai quitté l'école dans la douleur : le choix du métier n'avait pas tellement d'importance, puisqu'il fallait que je gagne ma vie. L'apprentissage a été une des années les plus difficiles de ma vie. C'est pourquoi je me réjouis des évolutions de l'apprentissage. Mais je garde un tel sentiment d'injustice par rapport à ceux qui allaient à l'école que je me suis battu pendant des années pour que les droits sociaux de ceux qui ont été obligés de travailler jeunes soient les mêmes que ceux qui ont eu la chance de bénéficier d'études longues. J'ai eu des discussions avec Martine Aubry sur la nécessité de l'adaptation des droits des apprentis. Mais la ministre est restée sourde à cette revendication. A mon sens, il aurait fallu établir les mêmes droits à la retraite après 40 ans de travail, quel que soit l'âge que l'on a atteint par la personne entrant en retraite. Je me demande d'ailleurs si une personne qui a travaillé pendant quarante ans dans un métier manuel n'a pas plus droit à sa retraite que celui qui a commencé à travailler dans un poste de responsabilité. Malheureusement, la gauche est restée sourde à cette demande, qui a été mise en oeuvre par la droite. Cela a été une avancée.
Je souhaiterais aller encore plus loin. Il faut que les mêmes droits sociaux soient accordés aux personnes entrées en apprentissage qu'aux personnes ayant fait des études longues. Nous pourrons alors avoir un sentiment de justice. Il faut que la société cesse de distinguer ses enfants en fonction de leur origine sociale. C'est une nécessité. Il faut décloisonner la société. Pour ce faire, les enseignants ne devraient plus être recrutés à la sortie de leurs études. Ils devraient en effet être recrutés après un parcours professionnel. Ceux qui réussissent le mieux dans l'enseignement ont des qualités intellectuelles certaines, puisqu'ils réussissent les concours qu'ils passent. Mais ils n'ont pas forcément les qualités professionnelles nécessaires. Il faudrait que la sélection des enseignants soit moins discriminatoire et qu'elle soit opérée après une expérience professionnelle. Ainsi, les enseignants cesseraient de dispenser à nos enfants des vérités qui n'en sont pas. Ils enseigneraient sans doute que, dans la vie, il faut s'adapter. Il faut que les enseignants cessent de dire que les étudiants n'ont que des droits et pas de devoirs. Vis-à-vis d'une société, on a autant de droits que de devoirs.
Chez Bricorama, nous avons un cadre s'occupant des relations avec les Chinois. Avant les Chinois étaient à notre service. La situation est en train d'évoluer. Dans la mesure où de moins en moins de produits sont manufacturés en France, les Chinois se trouvent de plus en plus en situation de force par rapport à nos pays. Nous devons à présent nous adapter. Nous créerons un bureau en Chine. Nous recruterons trois Chinois, ainsi qu'un stagiaire sortant de l'école qui souhaite faire sa première expérience en Chine. Pour recruter cette personne, nous avons lancé une offre d'emploi sur Internet. La personne la plus adaptée au poste ira en Chine.