III. DÉBATS

Jean-Claude LEWANDOWSKI

Merci pour ce témoignage. Chacun de nos grands témoins s'est exprimé et a proposé des solutions pour faciliter l'accès des jeunes diplômés à l'emploi, pour encourager leur insertion et pour qu'ils aient une image différente de l'entreprise. Nous allons maintenant donner la parole à nos grands questionneurs pour qu'ils puissent interroger les grands témoins. Il s'agit de François Fayol, secrétaire général de la CFDT-Cadres, Daniel Lamar, directeur général de l'AFIJ (Association pour Faciliter l'Insertion professionnelle des Jeunes), Sophie Talneau, auteur d'un récent ouvrage intitulé « On vous rappellera » , et enfin Olivier Vial, président du syndicat étudiant UNI.

Daniel LAMAR, directeur général de l'AFIJ (Association pour Faciliter l'Insertion professionnelle des Jeunes)

Je souhaite revenir sur quelques éléments qui n'ont pas été pris en compte lors du débat. L'association que je préside assure le suivi de 250.000 jeunes par an à la recherche d'un emploi. Depuis le début de la discussion, nous évoquons le taux de 22 % ou 23 % de jeunes à la recherche d'un emploi durant les deux ans qui suivent leur fin d'études. Ce chiffre est contestable et doit être revu à la hausse pour donner une image fidèle de la réalité. En effet, seulement un jeune sur quatre sortant de l'enseignement supérieur s'inscrit à l'ANPE, qui est chargée de publier les statistiques sur le chômage. De plus, les intervenants, dans leur ensemble, ont salué le niveau d'étude obtenu par les classes les plus jeunes de notre société. Cependant, ce niveau ne prend pas en compte le nombre important d'étudiants en situation d'échec universitaire qui touche tous les cycles de formation, et qui met en péril leurs chances d'accéder à un emploi.

En outre, les intervenants ont peu abordé la thématique des discriminations sociales, sexistes, raciales ou liées à un handicap, et qui touchent de nombreux jeunes. Il n'y a pas d'égalité des chances en matière de recherche d'emploi. Au contraire, il existe de fortes disparités entre un étudiant issu d'une grande école, qui peut passer plusieurs mois à chercher un emploi afin de trouver le meilleur salaire, et le reste des jeunes diplômés. Par ailleurs, au sujet de la problématique de l'orientation, je crois que l'important n'est pas de déterminer quel est l'organe qui serait le mieux à même de la mettre en oeuvre (service public, privé ou structures associatives), mais bien de savoir si l'on est capable de la mettre en oeuvre. En effet, nous ne savons pas à l'heure actuelle si un type de formation en particulier permet de déboucher sur un métier spécifique. Par exemple, nous ignorons quel parcours ont suivi les jeunes qui sont devenus responsables des ressources humaines ou experts-comptables. Ce manque d'information nous empêche, à l'heure actuelle, de mettre en place une politique d'orientation. Quelles solutions proposez-vous pour répondre à ces problèmes ?

Jean-Claude LEWANDOWSKI

Le grand service national de l'orientation, qui a été récemment annoncé par le Gouvernement et par le Premier ministre, devrait apporter des éléments de réponse sur cette question. Je passe la parole à Stéphane Roussel.

Stéphane ROUSSEL

En tant que directeur des ressources humaines, je ne crois pas très utile d'instaurer une telle « traçabilité » des diplômes. Comme l'a souligné Geoffroy Roux de Bezieux, les formations importent moins que l'apport concret de l'employé à l'entreprise. Le seul facteur qui influe sur la carrière d'un employé est sa contribution et sa production au développement de l'entreprise. Au sujet de la discrimination, nous avons mis en place des outils efficaces, comme des exercices de simulation ou « assessment center ». Dès lors que les plans de recrutement et de carrière sont fondés sur les aptitudes et les compétences, il est inutile de recourir aux CV anonymes. Plus nous sommes rigoureux pour évaluer la personne et non sa formation antérieure, moins nous sommes discriminants. Plus nous nous focalisons sur l'individu et ses qualités humaines, plus nous pouvons l'accompagner intelligemment au sein de l'entreprise. Ainsi, je ne crois pas utile d'élaborer des parcours-types allant de la formation à la vie professionnelle. La vie en entreprise est faite d'aventures, de hasards, de telle sorte que des parcours très différents peuvent aboutir à un métier similaire. De plus, les étudiants que nous devons orienter n'ont pas la maturité nécessaire pour décider à 18 ans le type de métier qu'ils souhaitent exercer plus tard.

Daniel LAMAR

Je pense que ma question a été mal comprise. Il s'agit moins d'élaborer des parcours typiques que de proposer aux étudiants une information précise sur les types de jeunes que vous embauchez, de sorte qu'ils puissent savoir quels sont les types de débouchés possibles pour chaque filière. Aujourd'hui, votre société publie-t-elle sur son site Internet le profil de jeunes qu'elle recrute ?

Stéphane ROUSSEL

En effet, en montrant les personnes recrutées, on pourrait mettre en évidence que plusieurs types de formation peuvent aboutir au même poste.

Geoffroy ROUX DE BEZIEUX

Ce type d'informations pourrait également montrer que nous ne faisons pas de discrimination à l'embauche. L'entreprise que je dirige recrute 800 à 900 jeunes par an, dont plus d'un tiers de personnes immigrées. Cependant, je n'ai pas le droit de publier cette information sous peine de sanctions pénales.

Éric BERTIER

De même, chez Pricewaterhouse Coopers, nous ne pouvons communiquer sur l'origine de nos employés car nous risquons des poursuites judiciaires. En revanche, nous publions régulièrement des indications sur la formation des jeunes diplômés que nous recrutons : 60 % viennent des écoles de commerce, 20 % d'écoles d'ingénieurs et 20 % de l'université.

François FAYOL, secrétaire général de la CFDT-Cadres

Je voudrais souligner que l'entreprise recherche trop souvent des profils parfaitement adaptés aux postes offerts et non des compétences larges, génériques et transposables. Deux exemples permettent d'illustrer mon propos.

Tout d'abord, une jeune femme de 28 ans, docteur en biologie (bac+8) et trois ans d'expérience à l'INSERM s'est récemment vue refuser un poste au motif qu'elle n'avait pas fait de formation complémentaire, et ce sans qu'on lui indique le type de compétence que l'entreprise recherchait. Ensuite, en France, il est extrêmement rare que des jeunes de niveau bac+4 ou bac+5 ayant fait des études littéraires ou en langues trouvent leur place dans l'entreprise. Seul le professorat leur est ouvert. En Angleterre, seulement 5 % de ces jeunes diplômés en sciences humaines deviennent enseignants : les autres font carrière dans l'entreprise ou au sein de l'administration.

La CFDT-Cadres estime qu'il appartient à l'entreprise d'assurer une insertion professionnelle de qualité du jeune diplômé grâce au premier emploi ou par le biais d'une formation qualifiante postérieure à son embauche. C'est aussi une idée soutenue par Monsieur Proglio, et il a mis en oeuvre dans son entreprise des mesures allant dans ce sens. J'aimerais connaître le sentiment des responsables d'entreprise présents à cette table au sujet de la responsabilité de l'entreprise.

Éric BERTIER

Prenons l'exemple d'un expert-comptable. Il est aujourd'hui difficile en France de faire des études courtes d'expert-comptable. Ainsi, nous ne pouvons pas suivre l'exemple de nos collègues anglais, qui embauchent des étudiants n'ayant aucune formation financière, à condition que ceux-ci passent leur diplôme en trois ans. Les jeunes passent donc les trois premières années à travailler et à étudier. En France, cette alternance n'est pas possible car les études d'expert-comptable sont très longues. Si l'on veut offrir aux jeunes la possibilité de s'orienter avec l'entreprise, il faut que les cursus soient adaptés.

Jean-François MARTINS

Il est primordial de s'intéresser à la question de la responsabilité de l'entreprise. Nous avons trop tendance à imputer au système éducatif la responsabilité du manque d'insertion des jeunes. Depuis quinze ans, l'université a su se réformer pour offrir des filières professionnalisantes, avec la création des IUT, IUP et des Masters Pro. La formation relève aussi de la responsabilité de l'entreprise, car la formation initiale doit préparer à un métier et non à une entreprise spécifique.

Sophie TALNEAU, auteur de « On vous rappellera »

Je voudrais poser une question relative à une adéquation entre l'offre et la demande. Nous savons tous que certains jeunes étudient dans des filières offrant peu de débouchés, et que, parallèlement, de nombreux postes ne sont pas pourvus dans les entreprises. Ce constat est valable autant pour les universités que pour les grandes écoles. Dans le cadre de mon cursus en école de commerce, je me suis spécialisée, comme nombre d'autres étudiants, en marketing. Cependant, beaucoup d'entre nous se sont retrouvés à vendre des couches Pampers plutôt qu'à exercer une fonction en lien avec notre formation. C'est une réalité difficile à accepter quand on a fait de longues études. Dès lors, pourquoi ne pas mettre en place des quotas, sur le modèle des numerus clausus de la faculté de médecine ? Cela suppose de lancer des programmes de prospection pour évaluer les besoins futurs des entreprises dans cinq, dix ou quinze ans.

Geoffroy ROUX DE BEZIEUX

Je ne sais pas si le fait de vendre des couches Pampers constitue ou non une activité déshonorante, mais je crois que ce type de remarque est symptomatique du malentendu entre les entreprises et les étudiants. Il faut que ces derniers acceptent de recommencer à apprendre dès lors qu'ils intègrent une entreprise. Or, faire de la vente fait partie de tout apprentissage dans l'entreprise. J'ai moi-même commencé comme représentant chez L'Oréal, bien que je n'avais pas une passion particulière pour ce métier. Reste qu'il faut accepter que cet apprentissage fasse partie du cursus. Cela n'est possible que si le jeune peut gravir les échelons hiérarchiques de l'entreprise.

Le problème vient aussi du fait que les étudiants français font de plus longues études que leurs voisins européens. Je suis toujours étonné de voir des élèves d'école de commerce étudier des cas de stratégie très pointus, et ce alors que tous vont commencer leur expérience professionnelle par des tâches subalternes peu en lien avec ce qu'ils étudient, comme cela est le cas en Angleterre ou aux Etats-Unis. Les étudiants ne savent pas que, malgré leur diplôme, ils vont devoir poursuivre leur apprentissage en entreprise. Dès lors, il n'est pas nécessaire de faire de très longues études, mais il faut au contraire multiplier les stages et les expériences en entreprise.

Bernard VAN CRAEYNEST

Il y a deux aspects dans votre question. Tout d'abord, il faut rappeler que le numerus clausus dans les universités n'existe pas seulement pour les études médicales, mais aussi pour d'autres filières, même si ce n'est pas officiel. Si la sélection des étudiants n'est pas faite à l'entrée, elle a lieu très rapidement puisque seul un certain nombre d'étudiants sont admis en seconde année. Malheureusement, le nombre final de diplômés ne dépend pas du nombre d'emplois à la sortie, mais plus souvent des moyens de l'université, véritable parent pauvre du système éducatif en général.

En outre, il est difficile d'adapter les formations et les places disponibles dans les filières en fonction du nombre d'emplois disponibles à la sortie, car celui-ci est difficile à quantifier en raison de l'évolution des besoins de l'entreprise. Ainsi, en 1989-1990, un rapport établi par un universitaire prévoyait qu'il y aurait une pénurie d'ingénieurs dans les prochaines années.

On a même imaginé augmenter sensiblement les promotions à Polytechnique et dans toutes les grandes écoles. C'est ainsi qu'a été mise en place la filière dite « ingénieur 2000 ». Ainsi, on est allé dans les entreprises chercher des BTS, des DUT, des techniciens supérieurs agents de maîtrise bac+2 pour leur proposer de les réinsérer dans un parcours de formation complémentaire de trois ans pour leur faire atteindre le niveau d'ingénieur. La première promotion « ingénieur 2000 » n'était pas encore sortie que l'on s'apercevait s'être totalement trompés dans l'analyse et n'avoir pas besoin d'autant d'ingénieurs qu'on l'avait imaginé. Cela illustre la difficulté de trouver une adéquation entre l'offre et la demande.

Jean-François MARTINS

Je souhaiterais rappeler pourquoi il n'y a pas de quota ou de numerus clausus dans les autres filières que celles qui conduisent aux professions dites réglementées. Premièrement, notre modèle universitaire a une portée culturelle et humaniste plus qu'une portée utilitariste. On ne peut donc pas mettre le système universitaire français uniquement dans une logique de production. Cela serait très inquiétant pour la conscience collective de notre pays.

Deuxièmement, il est impossible d'établir des besoins chiffrés dans les différentes professions. Sur quelle zone devrions-nous baser ces estimations ? Serait-ce le bassin d'emploi régional ? C'est impossible dans la mesure où les universités ont des ambitions nationales voire internationales. La prospective est impossible dans la mesure où le milieu évolue vite.

Troisièmement, il n'existe pas de filière « bouchée » à mon sens. En effet, toutes les filières conduisent à un socle commun de capacité à apprendre, de capacité d'analyse, etc.

Quatrièmement, les processus de requalification et de formation tout au long de la vie doivent permettre de réévaluer son parcours, et son projet.

Olivier VIAL, président de l'UNI

La question de la méconnaissance du monde de l'université et du monde de l'entreprise est souvent abordée comme un des freins principaux à l'insertion professionnelle des jeunes. Pour rapprocher l'université et l'entreprise, l'université a également son rôle à jouer. A cet égard, des portes s'ouvrent. En particulier, il serait souhaitable de continuer de lever la frontière trop étanche entre le statut d'étudiant et le statut de salarié. De plus en plus d'étudiants travaillent pendant leurs études et de plus en plus de salariés se forment en formation continue. Grâce à cela, nous devons faire en sorte que le travail pendant les études soit valorisé par les entreprises. Nous devons également valoriser les stages au plan pédagogique, mais on ne le valorise pas dans les études. Par ailleurs, l'université doit devenir un acteur de la formation continue. La formation continue est un des meilleurs moyens de rapprocher l'université et le monde de l'entreprise.

De la salle

Comment la formation peut-elle préparer à la vie active, à l'insertion dans le premier emploi et à l'évolution dans la carrière ? Les jeunes aspirent à la mobilité professionnelle. En effet, ils savent qu'ils n'occuperont pas le même emploi toute leur vie. En outre, les métiers en tant que tels seront amenés à évoluer. Cela soulève la question de l'adaptation du système de formation pour permettre aux jeunes de réussir ce parcours professionnel. De notre point de vue, il faut un socle commun de compétences et de culture générale, qui permette cette adaptation. Mais il faut également prendre en compte la question des compétences transversales, ou « transposables », qui ne sont pas du tout transmises par l'université aujourd'hui.

Stéphane ROUSSEL

En tant que DRH, je prêche pour l'école buissonnière à partir d'un certain niveau de savoir. Le CV est plus valorisé si vous êtes actif dans une association, qui ressemble plus à la « vraie vie » que les études ou un tour du monde. Quand nous recrutons des personnes pour des métiers proches du client, nous constatons une carence. Or les fonctions proches du client sont dévalorisées. Pourtant, ces fonctions sont les plus formatrices : elles permettront ensuite de réussir dans tous les autres postes de l'entreprise ; les postes sont disponibles ; et enfin, ces métiers sont bien rémunérés. Il faudrait donc que des personnes de l'entreprise puissent entrer dans le circuit pédagogique pour apporter quelque chose de différent. En tout cas, l'allongement des études n'est pas un critère de recrutement. Quand les gens sont prêts, il faut qu'ils se jettent à l'eau.

De la salle

Quel est l'avenir de la dualité entre l'université et les grandes écoles ?

Jean-François MARTINS

La première spécificité du système universitaire français par rapport à ses collègues européens n'est pas tant qu'il concurrence le système des grandes écoles que son sous-financement. La première spécificité de l'enseignement supérieur français est que l'Etat français investit plus pour un lycéen que pour un étudiant. Cette situation est unique dans le monde. Si demain les universités étaient financées à la même hauteur que les grandes écoles, cette concurrence entre les deux systèmes n'existeraient quasiment plus.

En outre, il faut préciser que seule l'université forme à certains métiers : santé, droit, psychologie et sciences humaines. Par ailleurs, certaines universités forment des diplômés plus performants aujourd'hui que certaines grandes écoles, par exemple dans le domaine du commerce et des métiers d'ingénieur. La dualité est avant tout financière.

Jean-Claude LEWANDOWSKI

Je vous remercie. Je vous propose de clore cette table ronde.

Pour faire la transition avec la seconde table ronde, je vous propose un exposé de Patrick Hetzel, qui est recteur de l'académie de Limoges et président de la Commission du débat national université - emploi.

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