II. LE DISPOSITIF DE DÉTENTION-SÛRETÉ EN ALLEMAGNE : LA PRIORITÉ ACCORDÉE À LA NEUTRALISATION DE LA DANGEROSITÉ

La mesure de détention-sûreté (Sicherungsverwahrung) permet de maintenir une personne en détention après l'exécution de sa peine. Ainsi que l'a indiqué à votre délégation M. Bernard Böhm, sous-directeur des affaires pénales au ministère fédéral de la justice, elle vise les « délinquants d'habitude qui ne sont pas amendable s » et sont susceptibles de toujours représenter un danger pour la société.

A. UN CHAMP D'APPLICATION PROGRESSIVEMENT ASSOUPLI

Le dispositif allemand a connu un destin singulier. Alors qu'il semblait devoir tomber en désuétude, il a vu, au contraire, au tournant des années 90, son utilité reconnue et son champ d'application, entouré de plusieurs garanties, s'élargir.

Selon les interlocuteurs de votre délégation, la détention-sûreté constitue l'une des très rares législations de cette époque à avoir été maintenues par les alliés après 1945 en Allemagne de l'Ouest. Lors des négociations engagées dans le cadre de la réunification, les autorités de l'ex-RDA avaient obtenu que la mesure ne soit pas appliquée sur le territoire des länder de l'est. Les responsables de la RFA s'interrogeaient eux-mêmes sur l'intérêt d'un dispositif alors peu utilisé.

Cependant, ces réserves ont été levées sous l'effet, selon les interlocuteurs de votre délégation, de crimes sexuels ayant profondément choqué l'opinion publique. En outre, dans certains cas, cette mesure apparaît comme le seul moyen de prévenir la récidive d'individus particulièrement dangereux. Enfin, il importe aussi de relever que les durées de peine encourues en Allemagne sont, en moyenne, moins longues qu'en France pour des infractions comparables. En particulier, le système pénal allemand ne comporte pas de dispositions spécifiques en matière de récidive et ne prévoit pas contrairement aux règles françaises le doublement de la peine encourue 58 ( * ) . Il est possible que la détention-sûreté soit aussi un moyen de prolonger en pratique la peine initialement prononcée au vu, en particulier, de la dangerosité de la personne. La pression apparaît d'autant plus forte que le taux de récidive en matière de délinquance sexuelle serait particulièrement élevé puisque, selon les interlocuteurs de votre délégation, la moitié des personnes condamnées pour une telle infraction commettrait une nouvelle infraction de même nature après avoir purgé sa peine.

Le dispositif a été successivement assoupli en 1998, 2002 et 2003. En 1998, la condition selon laquelle la détention-sûreté ne peut être prononcée que si l'auteur de l'infraction a déjà été condamné antérieurement à deux reprises a été supprimée pour les délits ou crimes les plus graves 59 ( * ) . En 2002, le législateur a permis au tribunal, initialement tenu de prononcer la détention-sûreté comme une sorte de peine complémentaire au moment du jugement , d'ordonner cette mesure ultérieurement à condition toutefois qu'il s'en réserve expressément la faculté dans son jugement (art. 66 (b) du code pénal). En 2004, enfin, la réforme a ouvert au tribunal la possibilité de prononcer la mesure après le jugement même s'il ne s'est pas réservé cette faculté au moment de la condamnation afin de prendre en compte une dangerosité apparue en cours de détention 60 ( * ) .

1. Des conditions étendues

Compte tenu de ces modifications successives, le dispositif en vigueur présente une certaine complexité. Il convient désormais de distinguer les cas où la mesure est décidée au moment même de la condamnation et les cas où elle peut être décidée après le prononcé du jugement.

Dans le schéma initial - décision ab initio de la juridiction de jugement - la détention-sûreté est subordonnée en principe à trois conditions tenant, d'une part, à l'infraction commise ou à la condamnation prononcée, d'autre part, au passé pénal du prévenu et, enfin, à la dangerosité de la personne. S'agissant de ce dernier critère, les interlocuteurs de notre délégation ont estimé que la référence à une dangerosité liée au préjudice économique n'avait plus guère de justification et devait être considérée comme obsolète.

Le tableau suivant rappelle les principaux éléments du dispositif.

Mesure de détention-sûreté : conditions pour le prononcé ab initio

Condamnation prononcée

Passé pénal (1)

Personnalité
des condamnés

Décision prise ab initio par le tribunal

Art. 66, al. 1

- condamnation à une peine d'au moins 2 ans d'emprisonnement

- deux condamnations à une peine d'au moins un an d'emprisonnement pour des infractions volontaires et exécution d'une peine d'emprison-nement ou d'une mesure d'amen-dement et de sûreté d'au moins deux ans

- personne représentant un danger pour la collectivité en raison de sa propension à commettre des infractions de nature à causer un préjudice corporel ou moral important aux victimes ou un préjudice économique important

Art. 66, al. 2

- trois infractions volontaires qui, jugées séparément, entraî-neraient une peine d'au moins un an d'emprison-nement pour lesquelles la personne est condamnée à une peine d'au moins 3 ans d'emprisonnement

- Aucune condition requise

- Même condition que ci-dessus

Art. 66, al. 3

- condamnation à une peine d'au moins 2 ans d'emprisonnement pour un crime ou délit particulièrement grave (agressions sexuelles commises sur mineur ou personne vulnérable, violences volontaires aggravées)

- condamnation pour une infraction identique à une peine d'au moins 3 ans d'emprisonnement et exécution d'une peine d'emprisonnement ou d'une mesure de sûreté d'au moins 2 ans

- Même condition que ci-dessus

- deux infractions visées ci-dessus qui, jugées séparément, entraî-neraient une peine d'au moins 2 ans pour lesquelles la personne est condamnée à une peine d'au moins 3 ans d'emprisonnement

- Aucune condition requise

- Même condition que ci-dessus

Source : Commission des Lois

(1) Les infractions commises plus de 5 ans avant les faits nouveaux ne sont pas prises en compte. Le temps passé dans un établissement de soins spécialisés dans le cadre d'un placement administratif n'est pas pris en compte dans le délai de 5 ans. Les condamnations prononcées par une juridiction étrangère ne sont pas prises en compte par le tribunal sauf si elles sont constitutives d'infractions volontaires en droit allemand ou qu'elles sont équivalentes à l'une des infractions visées à l'article 66, alinéa 3.

La juridiction peut décider une mesure de détention-sûreté après la condamnation dans deux cas de figure.

Premier cas de figure : le tribunal peut se réserver, au moment de la condamnation , la possibilité d'ordonner ultérieurement le maintien en détention d'une personne à deux conditions :

- l'auteur de l'infraction répond aux conditions prévues par l'article 66, alinéa 3, du code pénal (infractions d'une particulière gravité) ;

- il n'est pas possible d'établir avec une certitude suffisante la dangerosité de l'intéressé. Le tribunal doit alors se prononcer au plus tard 6 mois avant la date à laquelle le condamné pourrait bénéficier d'une libération conditionnelle (possible lorsque la personne a purgé les deux tiers de sa peine). La mesure ne peut être ordonnée que « lorsque, eu égard à la personnalité du condamné, à la nature des infractions commises et à son évolution durant son incarcération, il existe un risque que celui-ci commette à nouveau des infractions graves de nature à causer un préjudice corporel ou moral important aux victimes ».

Second cas de figure : le tribunal ne s'est pas réservé la possibilité de décider la détention-sûreté au moment du jugement. Il peut cependant décider le maintien en détention dans deux hypothèses :

- lorsque postérieurement à une condamnation pour une infraction particulièrement grave (crime contre l'intégrité physique ou la liberté individuelle, crime de nature sexuelle, vol avec arme, vol suivi de violences ayant entraîné la mort ou délit visé à l'article 66, al. 3 du code pénal) et que les autres conditions de l'article 66, al. 3 sont réunies, il apparaît, avant la fin de l'exécution de la peine d'emprisonnement, que la personne condamnée présente une « dangerosité considérable » pour la société et un « risque majeur » de récidive ;

- lorsqu'il est mis un terme au placement de la personne condamnée dans un hôpital psychiatrique au motif que le trouble ayant entraîné son irresponsabilité pénale a disparu, le juge peut alors décider une mesure de détention-sûreté si deux conditions sont satisfaites. D'une part, le placement dans cet hôpital était justifié par la commission de l'une des infractions visées à l'article 66, alinéa 3 du code pénal ou que cette personne a déjà été condamnée à une peine d'au moins trois ans d'emprisonnement (ou placée dans un hôpital psychiatrique) pour des infractions de cette nature. D'autre part, il existe un risque majeur de récidive.

Lorsque le tribunal ne s'est pas réservé la possibilité d'ordonner la détention-sûreté dans le jugement initial, il appartient au parquet de saisir le tribunal d'une requête aux fins de placement en détention au plus tard six mois avant la remise en liberté de l'intéressé.

2. Un dispositif assorti de plusieurs garanties

La décision de détention-sûreté est encadrée à plusieurs titres.

En premier lieu, lorsque cette mesure n'a pas été décidée ou envisagée dans le jugement initial, le tribunal doit statuer de nouveau dans le cadre d'une audience publique au cours de laquelle sont entendus la personne condamnée ainsi qu'un agent de l'administration pénitentiaire qui rend compte du déroulement de l'incarcération.

Ensuite, la décision initiale ordonnant la mesure de détention-sûreté est susceptible de recours dans les conditions de droit commun (appel et pourvoi en cassation). En revanche, les décisions de renouvellement de la mesure prise tous les deux ans par le tribunal ne peuvent être attaquées que devant la cour d'appel.

Enfin, la mesure de détention-sûreté décidée ou envisagée dans le jugement ab initio est subordonnée à une expertise psychiatrique et quand elle est ordonnée en cours de détention, elle est soumise à une double expertise psychiatrique. La personne condamnée a la faculté de demander, à ses frais, une contre-expertise que le juge peut toutefois refuser.

3. Le rôle essentiel de l'expert

Selon M. Klaus-Peter Dahle, expert psychiatre, professeur de médecine à l'hôpital « La Charité » de Berlin, les conditions dans lesquelles étaient établies les expertises ont été très contestées au cours des années 80 et du début des années 90 en raison, notamment, de l'absence de méthodologie et d'un professionnalisme insuffisant. Depuis lors, plusieurs améliorations ont été apportées : psychiatres et psychologues sont tenus de suivre une formation continue (avec acquisition de bases méthodologiques et une formation pratique sous la conduite d'un expert plus expérimenté) ; plus récemment, un système de certificat permet de valider l'expérience acquise par un psychiatre au terme de plusieurs expertises et constitue ainsi un nouveau critère utile pour déterminer le choix d'un expert par la juridiction.

M. Klaus-Peter Dahle a également évoqué le renforcement des modalités d'évaluation sur la base des approches anglo-saxonnes (Royaume-Uni, Etats-Unis et Canada) avec l'élaboration de grilles d'analyses destinées à mieux mesurer le risque de récidive. L'objectif poursuivi tend à élaborer des critères d'appréciation plus homogènes.

Par ailleurs, afin de garantir l'impartialité des experts, le code pénal allemand prévoit expressément qu'ils ne doivent pas avoir été au contact avec la personne condamnée au cours de sa détention.

L'expertise se déroule en deux entretiens (sur une durée d'ensemble de 5 à 6 heures). Le coût d'une telle expertise est de l'ordre de 4.000 euros.

En tout état de cause, les conclusions de l'expert ne lient pas le juge mais pèsent cependant de manière déterminante dans sa décision.

4. La durée de la mesure

La durée de la mesure n'est pas fixée par avance par le tribunal. Selon le code pénal (art. 67 (d), alinéa 2), la détention sûreté doit être suspendue quand il n'existe plus de risques que la personne commette de nouveau une infraction. En tout état de cause, le tribunal est tenu de réexaminer la situation des condamnés tous les deux ans (article 67 (e), alinéa 2, du code pénal). En principe, la mesure prend fin à l'expiration d'un délai de dix ans. L'intéressé est alors remis en liberté à condition qu'il n'existe plus aucun risque qu'il commette à nouveau des infractions « de nature à causer un préjudice moral ou physique important aux victimes. Dans le cas contraire, il est maintenu en détention ».

La détention-sûreté pourrait donc être indéfiniment prolongée tant que la personne condamnée présente une dangerosité justifiant la mesure de sûreté. Saisie d'un recours sur ce point, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a estimé le dispositif conforme à la Constitution (arrêt du 5 février 2004). Selon la Cour, la protection de la société justifie une telle mesure. Cependant, elle estime que la détention-sûreté a aussi pour finalité la réinsertion du condamné et qu'en conséquence, l'administration pénitentiaire est tenue d'organiser un régime de détention adapté à cet objectif.

Selon les informations recueillies par votre délégation, la durée actuelle de la détention-sûreté est de l'ordre de six ans et demi mais tend à s'allonger -la mesure succédant elle-même à une peine d'emprisonnement de neuf ans en moyenne.

Lorsque le détenu est remis en liberté, il est placé de plein droit sous contrôle judiciaire 61 ( * ) . Il peut donc être astreint à certaines obligations : obligation de se présenter régulièrement à un service dirigé par le tribunal ; interdiction de se rendre dans certains lieux ou d'entrer en contact avec certaines personnes ; interdiction d'exercer une activité professionnelle en relation avec l'infraction commise ; interdiction de conduire un véhicule, etc. 62 ( * ) . Le tribunal désigne spécialement un agent de probation chargé de suivre le condamné.

Le contrôle judiciaire est prononcé pour une durée variant de deux à cinq ans -mais pouvant être illimitée pour les délinquants sexuels 63 ( * ) . Il peut être révoqué par le tribunal lorsque l'intéressé commet une nouvelle infraction ou lorsqu'il manque gravement à l'une des obligations auxquelles il est astreint.

Les interlocuteurs de votre délégation ont indiqué que l'Allemagne envisageait de modifier sa législation pour renforcer ce dispositif de contrôle judiciaire. Ils ont également relevé que les moyens humains et financiers n'étaient pas à la mesure des besoins liés au suivi des personnes libérées.

5. Un nombre croissant de personnes soumises à la mesure

Selon les informations communiquées à votre délégation, le nombre de mesures de détention-sûreté a doublé au cours de la dernière décennie pour concerner aujourd'hui 350 personnes (sur un nombre total de quelques 64.000 personnes définitivement condamnées). Le sous-directeur aux affaires pénales a estimé que le ministère de la justice s'attendait à une progression de ce dispositif dans les prochaines années (qui atteindrait 400 à 500 mesures) sous le double effet de l'augmentation du nombre de mesures et de l'allongement de la durée de la détention. Sur les dernières données disponibles, 21 mesures de sûreté étaient arrivées à leur terme en 2003. Sur ce total, treize personnes seulement avaient effectivement recouvré la liberté -neuf d'entre elles avaient été condamnées pour des infractions aux biens. Les autres restaient soumis à des mesures de contrôle.

Cet allongement de la durée de détention s'explique selon les interlocuteurs de votre délégation, par le souci manifesté par le juge en vertu du principe de précaution d'éviter toute récidive. En effet, selon le sous-directeur aux affaires pénales du ministère de la justice, la remise en liberté est susceptible de modifier le comportement d'une personne dont la dangerosité semblait avoir disparu au cours de la détention.

Les intéressés sont désormais exclusivement des hommes (quelques femmes avaient été placées en détention-sûreté avant 1991). Il s'agit pour moitié de délinquants sexuels -et pour 2 % seulement d'étrangers.

L'âge moyen est -logiquement- plus élevé que pour les personnes incarcérées.

Mme Petra Block-Weinert, directrice d'établissement pénitentiaire, a d'ailleurs indiqué à votre délégation que les personnes les plus âgées étaient placées dans des secteurs spécifiques où des soins pouvaient leur être prodigués et que, dans certains cas, un dispositif d'accompagnement de fin de vie était mis en place.

B. LE RÉGIME DE DÉTENTION : LE CAS DU CENTRE DE DÉTENTION DE BERLIN TEGEL

Les mesures de sûreté concernant les personnes dangereuses peuvent être mises en oeuvre en milieu ouvert. Cette situation ne concerne cependant que 16 des 350 personnes soumises actuellement à ce dispositif et qui se trouvent, dans leur très grande majorité, en détention .

Le législateur allemand a prévu que les personnes placées en détention-sûreté devaient être séparées des autres détenus et placés dans des quartiers spécialisés 64 ( * ) . Cette obligation n'est pas toujours applicable dans certains länder compte tenu du petit nombre de personnes concernées par cette mesure.

Aussi, des accords conclus entre länder ont permis le regroupement des détenus dans des quartiers spécialisés des principaux établissements pénitentiaires.

Tel est le cas en particulier, dans la plus grande prison d'Allemagne, pour le centre de détention de Tegel à Berlin.

Comme l'a expliqué à votre délégation le directeur de l'établissement, cent années séparent la construction des plus anciens bâtiments de cet important complexe pénitentiaire (1898) du plus récent (1998) 65 ( * ) .

L'établissement emploie 850 agents dont les deux tiers sont affectés au service de la détention et moins de 6 % au service médico-social. A la date de la visite de votre délégation, il comptait 1.700 détenus -parmi lesquels 110 purgeaient une peine de réclusion à criminelle à perpétuité. Il comptait également 32 % de détenus étrangers (originaires de quelques 55 nationalités différentes).

Le centre accueille 22 personnes placées en détention-sûreté . 19 d'entre elles sont réunies dans un quartier séparé d'un bâtiment moderne comportant au total 180 places (occupées par ailleurs par des condamnés à de longues peines -pour 45 d'entre eux à la réclusion à perpétuité). Trois personnes en détention-sûreté se trouvaient dans d'autres structures pour raison médicale.

Des effectifs en hausse

Selon les responsables de cette structure, 36 personnes condamnées actuellement détenues dans la prison de Tegel font actuellement l'objet d'une « mention » de placement en détention-sûreté (cas dans lesquels le tribunal s'est réservé la possibilité, dans son jugement, d'ordonner la détention sûreté au cours de l'exécution de la peine) : cette mesure pourrait leur être appliquée s'ils ne se conforment pas au programme d'accompagnement destiné à favoriser leur réinsertion. En pratique, elle est effectivement décidée par le tribunal dans la majorité des cas.

Ainsi, l'effectif concerné n'a cessé de croître au cours des dernières années : de cinq en 1996 il pourrait passer à trente d'ici 2007. Si tel devait être le cas, les limites actuelles des capacités de l'étage réservé à la détention-sûreté seraient atteintes (30 places).

Par ailleurs, la durée de la mesure tend également à s'allonger. Le plus ancien des détenus faisant l'objet de la mesure de sûreté est placé depuis douze ans en détention-sûreté -délinquant sexuel, il avait déjà purgé une peine d'emprisonnement de sept ans et demi.

Des sources de tension

Selon les informations recueillies par votre délégation, l'évolution des conditions de détention est aujourd'hui source de tension à deux titres.

En premier lieu, le législateur avait prévu que les personnes placées en détention-sûreté bénéficient d'un régime de détention plus favorable que celui des autres détenus (ce dispositif ne constituant pas une peine au sens strict mais une mesure de sûreté). Cependant, au fil des années, le régime carcéral de « droit commun » s'est amélioré et l'écart des avantages entre les conditions de détention s'est nettement réduit 66 ( * ) .

Ensuite, le choix de séparer les personnes en détention-sûreté des autres détenus et de les regrouper a contribué à renforcer leur isolement. Conjuguée avec l'incertitude du moment où interviendra leur libération, cette situation n'a pu qu'exacerber chez les intéressés le sentiment de leur différence par rapport aux autres détenus. Comme l'ont souligné les responsables de l'établissement, alors que la loi oblige à prévoir un traitement spécifique et individualisé pour chaque personne concernée par la mesure de sûreté, en pratique il apparaît presque impossible de motiver les personnes et de les intéresser à une adaptation à la vie en société dont les perspectives semblent si hypothétiques.

Ainsi les conditions de détention suscitent deux types de réaction : parfois les personnes protestent et sont en opposition permanente avec les représentants de l'administration pénitentiaire ; dans la majorité des cas cependant, l'indifférence et la résignation l'emportent. Les actes de violence ou le taux des suicides apparaissent ainsi plus limités que dans le régime de détention classique.

Le dispositif belge

Sur le fondement de la loi de défense sociale du 9 avril 1930 modifiée notamment en 1964, l'auteur d'une infraction pénale qui se trouve dans un état soit de démence, soit de grave déséquilibre mental, soit de débilité mentale ne peut être reconnu responsable. Les juridictions d'instruction ou de jugement peuvent décider son internement . Il s'agit d'une « mesure de protection » et non d'une peine. Une commission de défense sociale -attachée à chaque maison d'arrêt pourvue d'une annexe psychiatrique- détermine les modalités d'exécution de l'internement et en particulier la structure de défense sociale où s'effectuera la mesure (soit une annexe psychiatrique d'un établissement pénitentiaire, soit un établissement de défense sociale, soit un secteur de défense sociale au sein d'un établissement psychiatrique). La commission de défense sociale peut aussi, pour des raisons thérapeutiques, décider le placement dans une institution psychiatrique telle qu'un hôpital psychiatrique.

En Wallonie et à Bruxelles, les internés sont répartis au sein des annexes psychiatriques des différentes prisons (Mons, Namur, Jamioulx et Forest) ; de l'établissement de défense sociale de Paifve ; de l'hôpital psychiatrique « Les Marroniers » à Tournai (360 internés) 1 .

En Flandre, les internés sont répartis soit dans les annexes psychiatriques de certaines prisons (Merksplas, Turnhout, Gand, Anvers, Louvain et Bruges), soit au sein de trois cliniques psychiatriques (Rekem, Zelzate et Bierbeek).

Les commissions de défense sociale assurent ensuite le suivi de la personne internée : elles peuvent décider d'une libération définitive ou -plus souvent- d'une libération conditionnelle (suivi psychiatrique ou placement dans un hôpital psychiatrique). La mesure de libération est subordonnée à une amélioration de l'état de la personne et à la possibilité de l'intéressé de se réadapter en société. En 1998, la loi de défense sociale a été modifiée pour permettre à l'avocat de l'intéressé d'interjeter appel contre la décision de rejet par la commission de défense sociale, d'une demande de mise en liberté.

En 2004, la Belgique comptait près de 3.300 personnes internées parmi lesquelles 1.300 avaient fait l'objet d'une mesure effective d'internement (les autres pouvant faire l'objet d'un placement dans un hôpital psychiatrique ou d'une prise en charge ambulatoire).

En 2004, le ministère de la justice dressait un double constat portant d'une part sur l'insuffisance des capacités d'accueil au sein des annexes psychiatriques des prisons, d'autre part, sur les difficultés pour ajuster la rémunération des médecins et des psychiatres opérant dans les structures publiques à celle des professionnels du secteur privé avec pour conséquence une prise en charge limitée des internés.

_______________________________________________________________

67 A Tournai, le secteur de défense sociale (10 unités de soins accueillant 350 hommes ayant commis une infraction pénale) se trouve au sein d'une centre hospitalier psychiatrique qui comporte aussi un secteur hospitalier (263 lits), un secteur résidentiel (120 lits) pour héberger plus particulièrement des patients stabilisés, un secteur extra-hospitalier (habitations protégées offrant 57 places dans 12 maisons réparties dans Tournai).

La même année, un groupe de travail commission placé sous la responsabilité de M. Paul Cosyns, professeur de psychiatrie à l'université d'Anvers, a été chargé par le ministre de la justice de réfléchir sur l'amélioration des conditions de prise en charge des internés. Il a présenté des recommandations différenciées pour la Wallonie et la Flandre compte tenu des spécificités des deux parties du pays. Pour la Wallonie, elle a notamment préconisé la réhabilitation de certaines infrastructures et la réintégration des internés présentant un faible degré de dangerosité dans le circuit de soins psychiatriques régulier. Pour la Flandre, le groupe de travail préconise la création de plusieurs institutions d'une capacité maximale de 250 lits -une institution étant considérée comme difficilement gérable au-delà de ce seuil.

Le dispositif canadien

Le dispositif canadien concernant les personnes dangereuses se signale par trois traits marquants :

- la possibilité de prononcer une peine à durée indéterminée pour les délinquants les plus dangereux ;

- la faculté d'assurer un suivi des délinquants « à risque » au cours d'une période maximale de dix années après la libération ;

- une procédure très méthodique de traitement des délinquants sexuels.

La loi C 55 adoptée en 1997 a complété les dispositions du code criminel du Canada relatives à la déclaration du « délinquant dangereux » tout en instituant une nouvelle désignation de « délinquant à surveiller ».

1. La déclaration de délinquant dangereux

La déclaration de délinquant dangereux permet au tribunal de prononcer une peine de détention pour une période indéterminée.

Cette déclaration est subordonnée à une double condition (art. 753-1 du code criminel) :

- l'infraction commise constitue des sévices graves à la personne et le délinquant qui l'a commise « constitue un danger pour la vie, la sécurité ou le bien-être physique ou mental de qui que ce soit », en vertu de preuves établissant que par la répétition de ses actes, notamment celui qui est à l'origine de l'infraction dont il a été déclaré coupable, il démontre qu'il est soit incapable de contrôler ses actes, soit indifférent aux conséquences que ses actes peuvent comporter sur autrui ; cette dangerosité peut aussi être attestée par un comportement qui, associé à la perpétration de l'infraction dont il a été déclaré coupable, apparaît d'une « nature si brutale que l'on ne peut s'empêcher de conclure qu'il y a peu de chance pour qu'à l'avenir, ce comportement soit inhibé par les normes ordinaires de restriction du comportement » ;

- l'infraction commise constitue des sévices graves à la personne et la conduite antérieure du délinquant dans le domaine sexuel, y compris lors de la perpétuation de l'infraction dont il a été déclaré coupable démontre son incapacité à contrôler les impulsions sexuelles et laisse prévoir que, vraisemblablement, il causera à l'avenir de ce fait des sévices à d'autres personnes.

La demande de déclaration de délinquant dangereux relève du procureur général provincial. Elle doit donner lieu à une évaluation psychiatrique de 60 jours et sur la base du rapport d'expertise, l'Etat décide s'il convient de donner suite à cette demande. Le cas échéant, le tribunal doit se prononcer après une enquête permettant de déterminer si le délinquant présente une dangerosité suffisamment établie pour mériter une peine indéterminée, sans possibilité de libération conditionnelle, soit la peine la plus sévère prévue par le code criminel.

En mai 2005, le Canada comptait 334 délinquants déclarés dangereux (17 d'entre eux ayant bénéficié d'une libération conditionnelle).

2. La désignation de délinquant à contrôler

Ce dispositif vise les délinquants qui ne satisfont pas aux conditions requises pour la déclaration de délinquant dangereux mais présentent un risque élevé de récidive . Il vise principalement les délinquants sexuels et permet de les placer sous surveillance pendant une période maximale de 10 ans suivant leur libération.

La désignation de délinquant à contrôler appartient au tribunal. Elle est soumise à trois conditions : l'intéressé doit être condamné à une peine d'emprisonnement d'au moins deux ans ; il présente un risque élevé de récidive ; ce risque pourra être maîtrisé au sein de la collectivité. La décision de la juridiction doit, comme tel est déjà le cas pour la déclaration de délinquant dangereux, être précédée d'une évaluation psychiatrique du condamné. La période de supervision d'une durée maximale de 10 ans (8 ans en moyenne) inclut le respect d'obligations telles que l'engagement de ne pas troubler la paix et l'interdiction de posséder des armes à feu. Il peut aussi comprendre des conditions spéciales comme l'interdiction de consommer des psychotropes ou des obligations de soins. Le manquement à ces obligations est passible d'une peine d'emprisonnement maximale de 10 ans.

En février 2005, 300 personnes faisaient l'objet d'une désignation de délinquants à contrôler parmi lesquels 113 avaient déjà purgé leur peine.

3. L'évaluation et le traitement des délinquants sexuels

Au moment de son admission dans un établissement pénitentiaire fédéral, le délinquant sexuel est soumis à une évaluation destinée à déterminer le rythme, les objectifs, la forme et le contenu du traitement ainsi que le niveau du risque que présente la personne.

L'évaluation concerne sept aspects distincts : l'historique et le développement du comportement sexuel, la préférence sexuelle, les attitudes et distorsions cognitives, les aptitudes sociales, les antécédents médicaux, la psychopathologie et les résultats des évaluations et programmes antérieurs.

Les programmes pour délinquants sexuels, fondés sur le consentement de l'intéressé, visent à leur faire assumer la responsabilité de ses actes ainsi qu'à reconnaître les situations où elles risquent de récidiver et à leur faire adopter en conséquence des stratégies pour surmonter ce risque.

(Source : service correctionnel du Canada)

* 58 Même si l'article 46 du code pénal allemand impose au tribunal de prendre en compte la passé pénal du prévenu dans la détermination du quantum de peine.

* 59 Cette réforme a été adoptée avec l'accord des principaux partis à l'exception des Verts.

* 60 Cette réforme a étendu à l'ensemble de l'Allemagne une disposition déjà appliquée en pratique par les deux länder de Bavière et de Bade-Wurtenberg.

* 61 Article 67 (d), alinéa 3, du code pénal).

* 62 Article 68 a et b du code pénal.

* 63 Selon les indications données à votre délégation, les obligations peuvent comprendre, s'agissant des délinquants sexuels, une obligation de soins incluant la prise de médicaments.

* 64 Article 140 de la loi sur l'exécution des peines.

* 65 Au total, 130.000 m 2 , soit la superficie de quelques quatorze terrains de football. Le mur d'enceinte long de 1,3 km est surveillé à partir de treize miradors.

* 66 Tel est le cas en particulier s'agissant de la liberté de choisir sa tenue ou de se faire la cuisine, reconnue désormais, sous certaines conditions, à l'ensemble des détenus. Les personnes placées en détention-sûreté continuent cependant de bénéficier de certains avantages comme la perception d'une rémunération légèrement plus avantageuse même lorsqu'ils ne travaillent pas (de 40 à 50 euros par mois contre 30 euros pour un détenu purgeant sa peine). Ils peuvent aussi recevoir des colis mais cette possibilité est en réalité peu utilisée compte tenu du relâchement des liens familiaux.

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