LES TRAVAUX DU GROUPE DE TRAVAIL
SUR L'ACTION DE GROUPE

M. Guillaume CERUTTI

Directeur général de la direction générale de la concurrence,
de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)
au ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie,
co-président du groupe de travail sur l'action de groupe

M. Marc GUILLAUME

Directeur des affaires civiles et du Sceau au ministère de la Justice,
co-président du groupe de travail sur l'action de groupe

M. Guillaume CERUTTI, Directeur général de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) au ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, co-président du groupe de travail sur l'action de groupe -

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre invitation. Marc Guillaume et moi-même allons vous présenter les grandes lignes du rapport du groupe de travail que nous avons co-présidé ces derniers mois. Après une introduction, je vous présenterai les conclusions du groupe ayant trait au bilan des systèmes existants en droit français et aux possibilités d'amélioration de l'existant. Marc Guillaume vous présentera les solutions plus novatrices envisagées par le groupe de travail.

Tout d'abord, il me semble important de rappeler que c'est le Président de la République qui, lors des voeux aux forces vives de la Nation au début de l'année 2005, a lancé le processus ayant conduit à la mise en place de ce groupe de travail. Le 4 janvier 2005, le Président de la République a en effet souhaité que soient créées « de nouvelles procédures qui renforceraient les dispositifs existants et permettraient à des groupes de consommateurs et à leurs associations d'intenter des actions collectives contre les pratiques abusives observées sur certains marchés ». Le 15 mars 2005, le Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, le Ministre des Petites et moyennes entreprises, ainsi que le Garde des Sceaux ont mis en place un groupe de travail composé de dix-sept personnes représentatives des associations de consommateurs, des professionnels, des juristes, magistrats et professeurs d'université. Ce dernier s'est réuni pendant six mois, auditionnant une trentaine de personnes parmi lesquelles beaucoup avaient une connaissance des systèmes d'actions collectives en vigueur dans les pays étrangers.

Le travail que nous avons mené a abouti à l'élaboration d'un rapport que je présenterai en partie. Pour commencer, je souhaite souligner que le débat qui a été posé et que relaie aujourd'hui votre assemblée me paraît très légitime pour plusieurs raisons. D'abord, il existe une demande désormais ancienne et forte des associations de consommateurs. Ensuite, la DGCCRF en partenariat avec le CREDOC a fait réaliser un sondage au cours de l'année 2005 afin de mesurer les préoccupations des consommateurs. Nous avons observé qu'il y avait aujourd'hui une confiance plus grande des consommateurs dans les aspects liés à la sécurité des produits et qu'il existait, en revanche, une demande grandissante en ce qui concerne les aspects relatifs à la protection économique des consommateurs. Nous mettons cela en rapport avec la tendance grandissante en Europe et en France à la libéralisation d'un certain nombre de marchés qui renforce la demande de protection et d'information des consommateurs. Enfin, l'observation d'un certain nombre de pays, notamment en Europe, permet de démontrer qu'ils ont connu ou abordent le même débat que celui que nous avons aujourd'hui en France.

A ce titre, l'exemple de l'Angleterre peut paraître singulier. En effet, il s'agit d'un pays de tradition libérale où existe une administration comparable à la DGCCRF - l'Office of fair trading , qui dispose de moyens traditionnels de défense des consommateurs- mais qui a renforcé considérablement ces dernières années d'autres systèmes d'information et de protection du consommateur. Un système très perfectionné de réponse aux plaintes des consommateurs ( consumer direct ) ainsi qu'un mode renforcé de coopération avec les associations de consommateurs ( super complain ) ont ainsi été mis en place. L'Angleterre a également introduit dans son droit un système d'actions de groupe en même temps qu'elle engageait, sans doute de la manière la plus volontaire en Europe, un processus de libéralisation de son économie.

Dans le cadre du rapport, nous nous sommes demandé si le droit actuel français offrait des dispositifs suffisants. Je développerai rapidement quatre points afin de laisser la place à l'examen des solutions plus innovantes ainsi qu'au débat si vous le souhaitez. J'évoquerai dans un premier temps l'ensemble des actions judiciaires offertes aux associations de consommateurs. J'offrirai un éclairage plus particulier sur l'action en représentation conjointe qui nous paraît se rapprocher le plus du souhait du Président de la République. Je présenterai par ailleurs les possibilités d'amélioration de cette action en représentation conjointe. Enfin, je dirai quelques mots du perfectionnement ou du renforcement des systèmes de médiation, c'est-à-dire le règlement extrajudiciaire des litiges.

Depuis 1973, les associations de consommateurs se sont vues reconnaître le droit d'exercer quatre types d'action en justice. La première est l'action civile dans l'intérêt des consommateurs. La loi Royer du 27 décembre 1973 reconnaît aux associations de consommateurs agréées l'exercice des droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs. Je rappelle que le ministère de la Justice agrée, sur proposition du Ministre chargé de la consommation, des associations qui disposent de ce fait de la possibilité d'agir en justice et par conséquent d'utiliser les voies de recours que je vous présente. Cet agrément ouvre également à ces associations la possibilité d'être subventionnées par le ministère chargé de la consommation. Ces associations agréées sont elles-mêmes membres d'un certain nombre de commissions représentatives et notamment du Conseil national de la consommation. Il existe aujourd'hui dix-huit associations agréées au plan national.

La deuxième possibilité ouverte par notre droit est l'action en cessation d'agissements illicites et en suppression de clauses illicites ou abusives. Il s'agit d'un droit ouvert aux associations de consommateurs qui mérite, par son caractère utile et exemplaire, d'être signalé. Toutefois, il s'agit d'un type d'action qui ne répond pas à la question posée puisqu'il n'emporte pas la possibilité de réparation individuelle de préjudices subis par un grand nombre de consommateurs.

L'action en intervention volontaire devant les juridictions civiles constitue la troisième possibilité. Les associations de consommateurs se joignent, en quelque sorte, à l'action en réparation introduite par des consommateurs individuels.

La quatrième possibilité mérite sans doute un examen plus approfondi. Il s'agit de l'action en représentation conjointe qui a été introduite dans notre droit par la loi du 18 janvier 1992 renforçant la protection des consommateurs. Elle permet aux associations agréées d'agir au nom d'au moins deux consommateurs en vue de la réparation de préjudices individuels. Cette action a été codifiée aux articles L. 421-1 et suivants du code de la consommation qui disposent que, lorsque plusieurs consommateurs ont subi des préjudices individuels causés par le fait d'un même professionnel, deux au moins de ces consommateurs peuvent donner mandat d'agir en leur nom en réparation de ce préjudice devant une juridiction à une association agréée et reconnue comme représentative au plan national.

Je signale, à ce stade, qu'une association ne saurait agir de sa propre initiative : elle doit être saisie sur la base de mandats par plusieurs consommateurs. Le mandat doit répondre à des exigences de forme qui sont fixées par le règlement et comporter notamment un certain nombre de mentions, dont l'objet du mandat. Il confère à l'association le pouvoir d'accomplir au nom du consommateur tous les actes de la procédure. Il peut naturellement être révoqué par le consommateur qui peut, s'il le souhaite, poursuivre l'action comme s'il l'avait introduite directement. L'action ne peut être exercée qu'au profit des consommateurs personnes physiques identifiées et en réparation de préjudices individuels. Cette action en représentation conjointe peut être exercée de manière très large devant toutes les juridictions de l'ordre judiciaire et de l'ordre administratif. Lorsque l'action est intentée devant le juge répressif, la loi a prévu des dispositions spécifiques en matière de constitution de partie civile et de compétence territoriale.

Je souhaite à présent m'attarder un instant sur le bilan des dispositions existantes et, plus particulièrement, sur celui de l'action en représentation conjointe qui paraît, par son objectif de réparation de préjudices individuels, la plus proche de ce qui peut être recherché à travers la demande formulée par le Président de la République. En effet, l'action en représentation conjointe est la seule action que les associations de consommateurs peuvent exercer en vue d'obtenir la réparation de préjudices individuels. A l'occasion des auditions que nous avons menées, nous avons identifié, notamment sur la base de comptes-rendus d'expériences faits par des associations qui ont exercé ce type d'action, plusieurs obstacles qui ont conduit jusqu'à présent à un très net insuccès de cette formule puisque, depuis 1992, nous n'avons enregistré que cinq actions en représentation conjointe, la plus récente datant d'il y a plusieurs années. Ce système très peu utilisé est tombé en désuétude. Le premier point faible signalé réside dans le caractère limité de l'appel aux victimes en raison de l'absence de voie réellement efficace de collecte des mandats. En effet, il convient de noter que, légalement, le mandat ne peut être sollicité ni par voie d'appel public télévisé ou radiophonique, ni par voie d'affichage, ni par voie de tract, ni par voie de lettre personnalisée. En réalité, seule la voie de presse est admise.

Les associations ont signalé l'extrême lourdeur de la gestion des mandats individuels reçus conduisant à une paralysie de l'action. Ces dernières doivent en effet assurer pour le compte de chacun de leur mandant de nombreuses formalités d'information à toutes les étapes de la procédure ainsi que tous les actes de procédure découlant du mandat. Je rappelle que les associations, pour être subventionnées par l'Etat, disposent de moyens souvent limités et que l'introduction de ce type d'actions, par son coût et par sa longueur, représente une charge importante. Enfin, les associations qui agissent comme mandataires à l'égard des consommateurs doivent supporter toutes les responsabilités afférentes à leur qualité et signalent avoir rencontré des difficultés pour s'assurer contre ce type de risques. Je vous renvoie, sans détailler cet exemple, au témoignage de l'association CNAFAL qui figure dans la synthèse du rapport. Cette association a en effet engagé une action en représentation conjointe contre un organisateur de voyages à forfait. Il me semble que la lecture attentive des différentes étapes de la procédure illustre parfaitement les difficultés rencontrées par les associations dans la mise en oeuvre des actions en représentation conjointe.

Le groupe de travail a, par conséquent, exploré les possibilités d'amélioration de cette procédure. A cet égard, et sans que je les détaille ici, quatre pistes d'amélioration ont été envisagées. La première consiste à élargir les modes de sollicitation des mandats, c'est-à-dire les moyens par lesquels les associations de consommateurs agréées peuvent lancer un appel aux mandats à destination de consommateurs victimes ou supposés victimes de faits ayant pour origine le même professionnel. Je dois vous signaler que, dans le groupe de travail, les professionnels se sont montrés hostiles à un élargissement des moyens de publicité à la télévision et la radio en raison des dommages irréversibles qui pourraient être causés à l'image de l'entreprise avant même que sa responsabilité soit démontrée. Parmi les moyens qui ont été discutés figure Internet. Le Forum des droits sur Internet nous a présenté différentes possibilités d'usage de ce média pour la gestion des mandats.

La deuxième possibilité d'amélioration réside dans l'allégement de la procédure de gestion des mandats. Notre groupe de travail a néanmoins assez rapidement buté sur la réalité des allégements envisageables pour la gestion des mandats. En effet, la bonne information du consommateur ayant donné mandat justifie un certain nombre de procédures. Par ailleurs, les associations de consommateurs ont fait observer que la complexité induite par l'élargissement du nombre de mandats risquait de compenser les allégements recherchés en matière de gestion individuelle de mandats.

Le groupe a également envisagé comme piste ponctuelle d'amélioration la possibilité d'un exercice concomitant de l'action dans l'intérêt collectif des consommateurs et de l'action en représentation conjointe, de manière à connecter deux possibilités existantes dans notre droit de la consommation.

Enfin, la dernière piste d'amélioration de l'action en représentation conjointe consiste à mieux garantir les risques de mise en cause de la responsabilité des associations de consommateurs. Un certain nombre de débats ont été conduits sur la possibilité pour l'association de consommateurs agréée de souscrire une assurance en responsabilité civile collective à l'égard de ses mandants. Encore une fois, nous avons rapidement atteint les limites de l'exercice, les associations nous indiquant qu'elles étaient moins gênées par le principe de souscription d'une assurance que par le coût afférant à cette démarche.

Les associations de consommateurs se sont finalement montrées assez peu séduites par la piste d'amélioration de l'action en représentation conjointe. Depuis son introduction, l'action en représentation conjointe n'a pas bien fonctionné. Elle semble frappée d'un a priori négatif qui explique que les associations de consommateurs sont demandeuses d'autres formules que je laisserai à Marc Guillaume le soin de vous présenter.

Les professionnels, qui se sont montrés plus intéressés par cette perspective d'amélioration de l'action en représentation conjointe, ont souhaité en même temps introduire la proposition du renforcement des systèmes de règlement extrajudiciaires des litiges dans notre pays et notamment les possibilités de médiation. Vous savez que la loi organise dans certains secteurs, tels que le secteur bancaire, des médiations obligatoires. Des réflexions sont en cours pour élargir ce type de formules à des secteurs tels que la téléphonie où un très grand nombre de litiges sont enregistrés. Toutefois, les professionnels n'ont guère formalisé ce souhait. Peut-être est-il nécessaire de les interroger de façon plus approfondie afin de déterminer quelles sont les propositions relatives au développement des possibilités de médiation ou de règlement extrajudiciaire des litiges qu'ils pourraient de leur initiative proposer aux associations de consommateurs. En outre, nous sommes dans un pays où la tradition de règlement extrajudiciaire des litiges et de médiation, que ce soit par l'intervention d'associations de consommateurs ou par celui d'organismes ad hoc , tels que les centres de règlement des litiges de la consommation, n'a connu qu'un succès très limité. J'ignore si la perspective de les renforcer pourra permettre de déboucher sur des résultats répondant à la demande du Président de la République.

M. Marc GUILLAUME, Directeur des affaires civiles et du Sceau au ministère de la Justice, co-président du groupe de travail sur l'action de groupe -

Comme vous l'a indiqué Guillaume Cerutti, notre groupe de travail n'est pas parvenu à une conclusion unanime. C'est un rapport comportant différentes pistes qui a été soumis à la concertation à la fin du mois de décembre, cette dernière devant nous permettre de recueillir un certain nombre d'observations d'ici fin février ou début mars. Je vous présenterai les deux autres pistes évoquées, indépendamment de l'amélioration de l'action en représentation conjointe.

La première est inspirée du modèle nord-américain. La seconde est plus proche de notre tradition juridique puisqu'il s'agit d'une action en « déclaration de responsabilité pour préjudice de masse », ainsi que nous l'avons qualifiée dans nos travaux.

Le schéma de l'action inspirée par le droit américain ou canadien comporte deux étapes. La première concerne uniquement la recevabilité de l'action alors que la seconde vise à la fois à statuer sur la responsabilité et l'allocation des dommages et intérêts. Le premier temps de l'action a donc pour objet de s'assurer que l'action est valable, sérieuse et présente un certain nombre de moyens lui permettant d'aboutir, sachant qu'il revient au juge de l'introduire. Ce dernier ne se prononcera sur la responsabilité du professionnel et ne statuera sur l'allocation de dommages et intérêts que dans un second temps. Il convient donc de retenir que le premier temps de l'action ne vise pas à statuer sur la responsabilité mais seulement sur la recevabilité qui n'est pas un concept autonome que nous connaissons dans notre droit.

La question de la constitution du groupe se pose également. Ce dernier doit-il être constitué des seuls consommateurs ayant adhéré à l'action -technique de l' opt in -, ou bien des consommateurs présumés adhérer à l'action, l' opt out excluant les seuls consommateurs s'étant manifestés comme ne voulant pas s'y joindre ? Indépendamment des avantages et des inconvénients potentiels des deux formules, nous nous sommes interrogés sur la constitutionnalité du mécanisme d' opt out . Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 25 juillet 1989 sur la loi relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion, a jugé qu'un syndicat ne pouvait agir en justice au nom d'un salarié qu'à la condition « que l'intéressé ait été mis à même de donner son assentiment en pleine connaissance de cause et qu'il puisse conserver sa liberté de conduire personnellement la défense de ses intérêts et de mettre un terme à son action ». Selon le Conseil constitutionnel, pour se prévaloir de l'acceptation tacite du salarié, le syndicat doit notamment justifier que, lors de l'introduction de l'action, le salarié a eu personnellement connaissance par une lettre comportant toutes les précisions utiles, de la nature de l'action exercée, de la portée de son acceptation et de son droit de mettre un terme à l'action. Cette affirmation de la liberté personnelle de l'action en justice constitue donc, selon la quasi-unanimité de la doctrine, une interdiction en droit français de l' opt out selon les modalités existantes du droit américain.

La question se pose également de savoir qui peut introduire cette action : soit un individu, soit les associations de consommateurs agréées. Je ne reviendrai pas sur la procédure de réparation qui interviendrait dans un deuxième stade de la procédure. Sur ce point, le rapport précise que le tribunal pourrait désigner des sous-classes de victimes afin d'essayer de faciliter la réparation en l'homogénéisant ou désigner un tiers de sorte que ce dernier évalue mieux chacun des préjudices et opère le versement.

La seconde action envisagée par le groupe de travail est l'action en déclaration de responsabilité pour préjudice de masse. Cette procédure comporte toujours deux étapes mais la première, plus conforme à nos principes traditionnels, consiste non pas à statuer sur l'éventuelle recevabilité de l'action, mais sur la responsabilité du professionnel dans la survenance des dommages ayant touché plusieurs consommateurs. Dès lors, la seconde étape vise à ce que les consommateurs victimes puissent se joindre à l'instance et obtenir la réparation de leur préjudice, le juge statuant alors sur chacun des dommages. Il est néanmoins envisageable que d'autres instances se développent introduites par les consommateurs qui n'auraient pas souhaité se joindre à l'instance. Ces derniers ne sont en effet pas engagés par cette première décision à laquelle ils n'ont pas été parties et peuvent eux-mêmes souhaiter en engager une nouvelle dans le futur.

Comme le relève le rapport, cette seconde formule est évidemment plus apte à être réservée aux seules associations de consommateurs agréées pour engager l'instance dans le premier temps procédural. Elle présente à la fois des avantages et des inconvénients mais permet, aux yeux de la majorité des membres du groupe, de limiter les abus éventuels dans l'introduction de l'action.

Je citerai rapidement trois autres questions communes aux deux types d'actions.

La première question concerne le champ d'application. Encore une fois, le groupe ne s'est pas entendu sur une solution unique. Certains souhaitaient un champ très large prenant à la fois en compte le droit de la consommation, le droit de l'environnement, le droit de la santé ou encore le droit financier et boursier ; d'autres, au contraire, se prononçaient pour un champ d'action limité au code de la consommation, avec l'inconvénient que ce dernier ne contient pas toutes les affaires de consommation comme par exemple celles liées à la téléphonie mobile. La possibilité de se fonder sur un champ intermédiaire défini par rapport aux situations qui ont causé un préjudice aux intérêts économiques des consommateurs a également été évoquée. Cette dernière définition permet par exemple d'écarter les préjudices corporels.

La seconde question commune aux deux types d'actions concerne la juridiction compétente. Un très large accord est né au sein du groupe en ce qui concerne le choix du tribunal de grande instance. Cela apparaît évident s'agissant de l'action en déclaration de responsabilité pour préjudice collectif dans la mesure où elle présente un caractère indéterminé. Dans l'autre cas, il nous a également semblé qu'il fallait choisir la juridiction qui impose une représentation obligatoire par avocat et sans doute également envisager une spécialisation de quelques tribunaux de grande instance.

La troisième et dernière question commune vise l'articulation avec l'action pénale. Il s'agit d'un point essentiel, la bonne articulation des deux actions étant indispensable pour assurer leur efficacité. Le groupe s'est demandé s'il fallait soit fermer, soit retarder la voie pénale jusqu'à l'extinction de l'action civile, hormis le cas de mise en cause de l'action publique par le parquet.

En conclusion, il me semble important de préciser que nous présentons le rapport d'un groupe qui ne s'est pas mis d'accord sur ses conclusions. C'est la raison pour laquelle nous avons présenté les différentes solutions envisagées, sachant qu'aucune n'a recueilli l'unanimité. Le Gouvernement ne s'est prononcé sur aucune des conclusions de ce rapport. Il l'a diffusé dans l'attente des réactions que ce dernier suscitera et se prononcera à l'issue de la période de concertation.

M. Jean-Jacques HYEST -

Tout d'abord nous vous remercions pour l'exhaustivité de votre présentation. Vous avez répondu à un certain nombre d'interrogations que nous pouvions avoir en ce qui concerne la procédure d' opt out . L'interprétation de la décision du Conseil constitutionnel me paraît pertinente. Un problème se poserait si nous nous engagions dans une procédure de ce type. Une question se pose que vous avez d'ailleurs rapidement évoquée : faut-il circonscrire l'action de groupe aux seuls litiges relatifs au droit de la consommation ou à un champ plus large ? En effet, la nature de la responsabilité n'est pas du tout la même. Rappelez-vous les débats que nous avons eus en ce qui concerne les défauts de sécurité des produits.

M. Marc GUILLAUME -

Le Président de la République, à l'occasion de ses voeux aux forces vives de la Nation, avait formulé une demande qui émanait des associations de consommateurs et était en lien avec cette question. Pour autant, les associations, lorsqu'elles ont été auditionnées, ont souhaité mettre en avant le fait que la même question leur semblait devoir être posée s'agissant de la définition de ce qu'est un litige de consommation. En effet, certains contentieux de masse ayant trait à la téléphonie mobile, aux relations banque/clients ou à la fourniture d'accès Internet et affectant directement les intérêts des consommateurs ne sont pas directement liés au code de la consommation. Les associations ont par conséquent pu critiquer une formule qui renverrait à ce code. C'est la raison pour laquelle le rapport fait mention d'une position intermédiaire concernant les préjudices de nature économique des consommateurs. Cette mention, qui d'une part est un peu moins précise, vise d'autre part à exclure un certain nombre de préjudices, tels que les risques sanitaires ou corporels. Enfin, la définition large préconisée par certains consiste à tout englober. Dans ce cas, la question se pose du rapport avec les autres actions disponibles dans notre droit. En effet, le rapport n'a pas consisté à réfléchir à l'ensemble du droit de la responsabilité civile. Cette acception élargie pose, par voie de conséquence, des questionnements plus larges sur les autres modalités d'actions en réparation fondées sur la responsabilité civile.

M. François ZOCCHETTO, Sénateur de la Mayenne -

Le groupe de travail est-il arrivé à des conclusions concernant la qualité du porteur d'action de groupe ? Pourra-t-il s'agir d'une personne physique ou morale, d'une association quelle qu'elle soit ou obligatoirement d'une association agréée ? Avez-vous mené une réflexion sur les conséquences que pourrait avoir l'ouverture du dispositif à toutes les associations ? En effet, il est fréquent de voir se constituer une association pour les besoins d'une cause qui est souvent individuelle ou qui résulte de l'addition de causes individuelles.

M. Guillaume CERUTTI -

En ce qui concerne cette question, le groupe n'est pas davantage parvenu à une vision unanime. Certaines voix, à la fois du côté des juristes et d'une association de consommateurs, se sont élevées pour demander que la possibilité d'agir soit aussi large que possible. Néanmoins, le groupe dans sa majorité s'est prononcé en faveur d'un dispositif donnant aux seules associations agréées le droit d'introduire l'action de groupe.

Les avantages d'un ciblage en direction des associations agréées sont multiples, notamment dans l'hypothèse de prévenir l'introduction concomitante ou concurrente de plusieurs actions. En effet, le fait de disposer d'un petit nombre d'associations agréées permettrait une gestion facilitée de l'action de groupe du point de vue des juridictions et dans la relation entre le professionnel et l'association en question. Je vous rappelle en effet que, dans la plupart des pays ou l'action de groupe existe, une majorité des actions engagées se conclut par des transactions. Ce point a été naturellement au centre de bien des débats et a pu structurer les propositions de certains de réserver à des associations agréées la possibilité d'introduire l'action. En effet, il est plus facile de discuter ou de transiger avec une association identifiée. La transaction a été également une des clés de lecture qui a amené les membres du groupe à se positionner sur la question de l' opt in et de l' opt out . Il est plus facile de transiger en sachant combien de personnes se sont déclarées volontairement comme parties à l'action. Pour vous répondre précisément, le groupe n'a pas tranché la question de la qualité du porteur de l'action. Cela fera partie des questions à trancher à l'issue de la consultation ouverte par le Gouvernement.

M. Jean-Jacques HYEST -

Pour rebondir sur ce point, il convient de préciser qu'en ce qui concerne la procédure américaine, il revient au cabinet d'avocat de lancer et d'avancer les frais. Nous aurons certainement quelques questions à poser en ce qui concerne les règles de déontologie régissant la profession d'avocat en France. Le Québec a mis en place un fonds de façon à faciliter l'exercice de la procédure. Le système consistant à ce que les cabinets d'avocats avancent les frais, dans un contexte où les transactions sont nombreuses, est très différent du système français.

M. Pierre FAUCHON, Sénateur du Loir-et-Cher -

Si vous le permettez Monsieur le Président, voici quelques réflexions pour enrichir le débat. En effet, j'ai dirigé l'Institut national de la consommation pendant un certain nombre d'années. Ayant eu à définir les dix priorités de cet organisme à une certaine époque, j'avais inscrit parmi celles-ci la création de l'équivalent des « class actions ». Il s'agit par conséquent d'une idée qui me paraît extrêmement importante si l'on veut sortir le consumérisme de l'état d'insuffisance dans lequel il se trouve depuis très longtemps et dont il a beaucoup de mal à se départir. Non seulement il n'existe pas de contradiction entre une économie libérale et la défense du consommateur, mais encore la première ne peut fonctionner correctement que si le producteur de produits ou de services trouve en face de lui des consommateurs avertis, organisés et combatifs. C'est d'ailleurs pour cette raison que le consumérisme réussit beaucoup mieux dans les économies libérales de type américain ou anglo-saxon que dans les économies dirigées.

Les entreprises emploient en outre fréquemment l'argument selon lequel le fait de donner trop d'importance à ces actions peut créer un dommage au niveau des biens et des produits difficilement réparable, alors même que la décision de justice n'est pas encore intervenue. Je contredis cet argument en montrant que la publicité, qui est l'arme principale de la production dans le monde moderne, crée quotidiennement quantité de dommages par les erreurs d'appréciation qu'elle suscite et qu'elle entretient chez les consommateurs. Au regard des situations d'aveuglement qu'elle crée, le dommage susceptible d'être causé par des actions réputées mal fondées ne me paraît pas mériter d'être pris en compte. A ce titre, il convient de noter que le système s'auto-corrige. En effet, on n'engage pas une action sans courir des risques.

Enfin, je souhaitais souligner que le fait que vous n'ayez pas obtenu l'unanimité ne devrait surtout pas vous empêcher d'aller de l'avant. Les associations de consommateurs sont devenues extrêmement nombreuses et procèdent de cultures et d'organisations différentes. Il est par conséquent dans la nature des choses, outre le fait que nous soyons en France, que le groupe de travail n'aboutisse pas à une conclusion unanime. Les idées évoquées par les uns et les autres encouragent à poursuivre le processus.

M. Marc GUILLAUME -

Le Gouvernement a souligné que ses propositions devront concilier à la fois les exigences de protection des consommateurs, de compétitivité des entreprises et de respect des principes fondamentaux de notre droit. Les auditions diverses auxquelles a procédé le groupe ont montré que certaines situations avaient pu être décrites comme soulignant le caractère insatisfaisant de la réparation de tel ou tel préjudice. Des situations inverses ont pu être décrites, que celles-ci concernent une marque d'eau gazeuse attaquée aux Etats-Unis ou une marque de camembert attaquée en France. Dans ce cas, il a été souligné que le préjudice était irréversible pour les entreprises, quelle que soit l'issue des actions judiciaires. Jamais ces entreprises ne pourront retrouver la situation ex ante . C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a rappelé la nécessité de respecter la trilogie citée au début de mon intervention.

M. Guillaume CERUTTI -

De ce point de vue, il me semble très important d'éviter le mécanisme connu aux Etats-Unis sous le nom de forum shopping . Il désigne le fait que les avocats ou les parties intéressés profitent des différences de législation entre différents Etats pour introduire des actions contre une entreprise dans l'Etat qui offre du point de vue de l'action de groupe les possibilités les plus ouvertes. Cela nous conduit au plan européen à être très attentifs aux démarches qui doivent être menées conjointement avec les autres pays de l'Union européenne concernant la réflexion sur l'action de groupe.

Certains Etats sont dotés de formes d'actions de groupe. Ils les ont introduites récemment. Nous avons par exemple auditionné un professeur portugais qui est venu nous présenter ce système. J'ai également fait mention dans une précédente intervention du Royaume Uni. S'agissant d'un sujet aussi sensible et de façon à respecter l'objectif de conciliation entre la compétitivité des entreprises et les intérêts des consommateurs, il est très important d'accompagner les réflexions que nous menons de sollicitation à Bruxelles sur les mêmes sujets. Dans le cas contraire, le phénomène de forum shopping pourrait se reproduire en Europe. Des entreprises choisiraient dans ce cas de s'installer dans certains pays ne disposant pas de systèmes de protection des consommateurs aussi perfectionnés que ceux qui existeraient en France ou dans les pays dotés d'actions de groupe.

M. Robert BADINTER, Sénateur des Hauts-de-Seine -

Savez-vous si des travaux sont en cours au niveau de la Commission européenne ou du Parlement européen ?

M. Guillaume CERUTTI -

Je peux faire mention de deux initiatives. La première concerne la réparation civile des préjudices subis par les entreprises ou les consommateurs du fait de pratiques anticoncurrentielles. La Commission européenne a en effet élaboré un projet de Livre vert qui circule actuellement parmi les autorités nationales. Il envisage les modalités de renforcement de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles par l'ouverture de plus grandes possibilités à la réparation civile. Il s'appuie sur un bilan réalisé dans chacun des Etats membres, sans doute prélude à des interpellations des différents Etats sur leurs réalisations dans ce domaine. La seconde initiative illustrera l'intérêt que portent aujourd'hui de nombreux pays européens aux procédures d'action de groupe. La réflexion menée en France n'est pas isolée. Certains pays se sont dotés de cette procédure et d'autres nous observent puisque la France possède une forte tradition de protection du consommateur. L'Autriche, qui assume en ce moment la présidence de l'Union européenne, est amenée à organiser à la mi-février une réunion de travail qui réunira les autorités judiciaires et les autorités chargées de la protection des consommateurs de tous les Etats membres afin de discuter sur l'existant et les possibilités en matière d'action de groupe.

M. Robert BADINTER -

Il convient de distinguer le droit comparé et le droit européen. C'est au second que je faisais allusion, alors que l'initiative autrichienne à laquelle vous vous référez concerne davantage le premier. Par définition et compte tenu du niveau de la consommation en Europe, la question du préjudice collectif de masse aurait un caractère transfrontalier. Apparemment, nous n'en sommes qu'aux préliminaires.

M. Guillaume CERUTTI -

La réflexion sur la protection transnationale des consommateurs en Europe est largement moins avancée que celle concernant la concurrence. Beaucoup de pays ne disposaient pas jusqu'à présent d'autorités nationales chargées de la protection des consommateurs. C'est un règlement de 2004 qui impose aujourd'hui aux Etats membres de se doter d'une instance nationale référente en matière de protection des consommateurs. Nous sommes sans doute encore loin de la réflexion qui viserait à doter les différents pays de systèmes judiciaires harmonisés. Cette question renvoie à des débats beaucoup plus approfondies sur les différents systèmes judiciaires en Europe. Nous sommes encore très éloignés du schéma que vous décrivez.

M. Robert BADINTER -

En d'autres termes, nous sommes au stade de la pré-harmonisation et loin de l'unification. La question du forum shopping se posera nécessairement. En effet, l'économie libérale est aujourd'hui un mythe. Seule existe pour l'instant une économie de marché contrôlée et régulée. Nous aurons nécessairement une opération de forum shopping .

M. Pierre FAUCHON -

Je n'ai pas parlé d'économie libérale comme d'un processus achevé, mais comme un principe auquel beaucoup sont attachés. Quelque chose m'échappe en ce qui concerne le forum shopping , mais sans doute n'ai-je pas suffisamment réfléchi à cette question. Etant donné que les actions sont menées là où les produits et services sont vendus et non pas là où ils sont fabriqués, la décision d'un entrepreneur attaqué en France d'établir son établissement en Espagne ne l'avancera à rien dès lors qu'il souhaite vendre en France. Je ne vois pas dans quelle mesure le fait de déplacer le siège d'une entreprise dans un autre Etat met celle-ci à l'abri à moins de renoncer à vendre dans le pays d'origine. Or, il serait étonnant qu'une firme renonce spontanément à vendre dans un domaine. Par ailleurs, s'agissant de l'effet irréparable sur l'économie du développement de telles actions, je note que l'économie américaine, qui connaît ces procédures, n'est pas dotée d'une moindre vitalité que les économies européennes et notamment française. Je n'ai pas le sentiment que l'existence ou la non-existence des « class actions » soit un élément tout à fait déterminant en matière de développement économique. Il n'y a qu'à comparer la vitalité de l'économie américaine et celle de notre propre pays.

M. Jean-Jacques HYEST -

Cette procédure assure également la prospérité du secteur judiciaire aux Etats-Unis. Je vous rappelle néanmoins que les Américains ont dû par deux fois modifier leur législation.

M. Marc GUILLAUME -

Je crois, Monsieur le Sénateur, que vous avez lu attentivement notre rapport et constaté qu'il était lacunaire et ne comportait pas de développements sur le droit international privé. Il est possible d'imaginer des liens de rattachement très divers dans l'optique de trouver une juridiction compétente. Le meilleur exemple concerne les entreprises françaises cotées aux Etats-Unis qui sont attraites dans le cadre de « class actions » devant des juridictions américaines, le fondement de ces dernières étant établi aux yeux de celles-ci par le fait que l'action a une influence sur la valeur du cours de l'action. Les critères susceptibles de fonder la compétence des juridictions sont variés, qu'ils relèvent de la nationalité du consommateur, du lieu de consommation du produit ou du lieu de cotation de l'entreprise. C'est la raison pour laquelle les associations de consommateurs, les consommateurs ou les avocats étudient, à n'en pas douter, les droits existants afin de déterminer quel est l'Etat où il est le plus intéressant d'engager une action.

M. Jean-Jacques HYEST -

Monsieur le Directeur Général et Monsieur le Directeur, nous vous remercions pour la précision et la qualité de votre travail. Nous aurons certainement l'occasion de vous rencontrer à nouveau. Nous allons désormais entendre les consommateurs, puis les représentants des entreprises et ceux du monde judiciaire. De cette façon nous disposerons d'un panorama complet de la problématique.

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