II. LE PROJET D'ACCORD INTERINSTITUTIONNEL DE LA COMMISSION : DES OBJECTIFS COMPRÉHENSIBLES, MAIS DES SOLUTIONS À PARFAIRE
Soucieux de prévenir les critiques auxquelles ne manque pas de donner lieu toute initiative tendant à créer une agence, la Commission européenne avait annoncé, dans sa communication de décembre 2002, son intention de prendre une initiative pour encadrer ce mode de régulation. Le projet d'accord interinstitutionnel (AII) qu'elle a présenté au Conseil et au Parlement européen en février 2005 vise ainsi à constituer un socle commun pour le recours aux agences, mais les solutions qu'il contient ne répondent semble-t-il pas aux objectifs affichés.
A. LES OBJECTIFS ET LE CONTENU DU PROJET D'ACCORD INTERINSTITUTIONNEL
1. Des objectifs compréhensibles
Le projet d'AII affiche quatre objectifs qui ont pour commun dénominateur, en posant les conditions de leur création, de prévenir les critiques contre les futures agences qui pourraient être créées par la Communauté :
a) Cohérence
C'est le premier objectif affiché par le projet d'AII.
La Commission estime que la participation des agences à la fonction exécutive doit désormais « être organisée de manière cohérente et équilibrée avec l'impératif de l'unité et de l'intégrité de la fonction exécutive et des responsabilités qui s'ensuivent pour la Commission » (communication de décembre 2002).
b) Efficacité
Aux yeux de la Commission, cet impératif justifie notamment un encadrement de « l'organisation » des agences de régulation afin de « simplifier les processus de prise de décision, de réduire les coûts et de doter ces agences d'une certaine autonomie organisationnelle, juridique et financière » .
c) Responsabilité
La crédibilité d'une agence de régulation passe par son autonomie dont la responsabilité apparaît comme le corollaire : ses tâches doivent être clairement établies et l'agence doit être soumise à des contrôles efficaces. Détaillant ces contrôles dans sa communication de 2002, la Commission avait évoqué :
- les relations des agences avec la Commission, que celle-ci souhaitait « privilégiées », tout en précisant qu'il ne s'agissait pas d'aboutir à un pouvoir de tutelle permettant de donner des instructions à une agence ou de casser ses décisions ;
- le contrôle administratif par le médiateur européen ;
- le contrôle politique par le Parlement européen et le Conseil ;
- le contrôle financier par la Cour des comptes et le Parlement européen ;
- le contrôle « judiciaire » (sic), ce qu'il faut traduire par contrôle juridictionnel : recours devant la Cour de justice à l'initiative des États et des institutions ; recours devant le Tribunal de première instance à l'initiative des « tiers intéressés » par une décision ou une absence de décision de l'agence.
d) Participation et ouverture
L'exposé des motifs de l'AII, comme la communication de décembre 2002, sont assez peu diserts sur cet objectif, considérant sans doute que les termes « participation » et « ouverture » parlent d'eux-mêmes : « l'organisation interne de ces agences doit garantir la participation des intéressés et un haut niveau de transparence » . Derrière cette affirmation apparaît le souci, clairement exprimé par le Livre blanc sur la gouvernance européenne, de faire en sorte que les décisions des agences soient prises selon des procédures garantissant l'égalité d'accès de toutes les parties concernées, et notamment d' « éviter de fournir un avantage objectif aux opérateurs les mieux organisés pour faire valoir leur point de vue ou plus à même de faire face aux coûts entraînés par les procédures de l'agence » .
2. Le champ d'application
L'AII proposé par la Commission ne porte que sur l'encadrement des agences dites de régulation créées après son entrée en vigueur dans le cadre du traité CE :
- aux termes de l'article 3 du projet, une agence européenne de régulation est une « entité juridique autonome établie par l'autorité législative pour participer à la réflexion d'un secteur à l'échelle européenne et à la mise en oeuvre d'une politique communautaire » . Ce faisant, le projet d'AII donne une définition, sinon différente dans sa substance, du moins plus précise que celle donnée par la Commission dans sa communication de 2002, laquelle n'évoquait notamment pas la création par voie législative.
Sont donc exclues les agences dites « exécutives » ou de gestion, lesquelles font déjà l'objet d'un règlement-cadre adopté en décembre 2002.
La clé de cette définition est évidemment la notion de régulation qui ne saurait être confondue avec la seule possibilité d'adopter des normes juridiques contraignantes : les agences de régulation ne sont pas forcément investies d'un pouvoir de réglementation . La régulation dont elles sont chargées peut notamment prendre la forme d'incitations telles que l'adoption de recommandations ou la mise en réseau ;
- seules seraient concernées par l'AII les agences créées après son entrée en vigueur . La Commission justifie cette réflexion par des considération pratiques : ne pas prendre le risque de « retarder considérablement » l'adoption de l'accord et de « porter préjudice à la sécurité juridique » .
Le projet d'AII prévoit cependant, conformément à un voeu du Parlement européen, un engagement des trois institutions à examiner, « dans les meilleurs délais » , après son entrée en vigueur, les modalités selon lesquelles l'AII pourrait être étendu aux agences européennes existantes. Par ailleurs, comme le souligne l'exposé des motifs, rien ne s'oppose à ce que les éventuelles révisions des actes de création des agences existantes ne s'inspirent, voire intègrent, dans l'attente d'une décision des institutions, des principes ou des révisions du futur AII ;
- enfin, seules seraient concernées par l'AII les agences créées sur la base du traité CE.
3. Les principales dispositions de fond
a) Les dispositions relatives à l'adoption des textes constitutifs des agences
Sur ce point, trois mesures du projet d'AII sont à souligner :
- l'article 7 prévoit l'engagement de la part de la Commission à justifier toute proposition de création d'une agence sur la base d'une analyse d'impact « qui comprendra non seulement une application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, mais aussi une évaluation ex ante aussi complète que possible » . Parmi les facteurs à prendre en considération par l'étude d'impact, le projet d'AII cite entre autres : la valeur ajoutée de l'action communautaire ; les options alternatives à la création d'une agence (telles que la prise en charge des activités envisagées par la Commission elle-même ou par une agence existante) ; les gains éventuels en termes d'expertise, de visibilité et d'efficacité de l'action publique, etc. ;
- reprenant l'approche suivie ces dernières années et partant du constat qu'une agence de régulation est un instrument de mise en oeuvre d'une politique communautaire, l'article 8 prévoit que l'acte créant une agence repose sur la disposition du traité CE qui constitue la base juridique pour la politique envisagée .
Cette précision est cependant accompagnée de la mention selon laquelle l'article 308 du traité CE ne servirait de base juridique que « dans les cas où aucune autre disposition du traité CE ne permet l'exercice de la compétence communautaire » . En résumé, l'article 8 exige que la création d'une agence se fonde sur le même article que la politique qu'elle doit contribuer à réguler mais autorise, à titre exceptionnel, le recours à l'article 308 du traité CE ;
- les décisions relatives au siège d'une agence seraient prises dans l'acte constitutif ou, à défaut, dans les six mois suivant son adoption . Cette proposition de la Commission part du constat que les décisions concernant les sièges des agences ont jusqu'à présent été presque toujours prises en bloc longtemps après l'adoption de l'acte de base, retardant ainsi leur mise en place effective. Derrière ce souci se cache en outre à l'évidence celui d'éviter ce que l'on pourrait appeler le « syndrome de Laeken », du nom du Conseil européen de décembre 2001 au cours duquel les chefs d'État et de gouvernement ne purent prendre de décision pour les sièges de certaines agences, donnant l'impression de se livrer à des marchandages, voire à des chicanes, sur le choix des villes d'accueil.
b) L'encadrement de la structure des agences
• Le conseil d'administration
Le projet d'AII constate l'impossibilité de prévoir une formule unique pour la composition des contrôles d'administration. C'est une évolution notable par rapport à la communication de 2002, dans laquelle la Commission allait jusqu'à concevoir des conseils d'administration composés de quinze membres : six désignés par la Commission, six par le Conseil et trois - sans droit de vote - assurant « l'expression des parties intéressées » . Le projet d'AII pose cependant certains principes , dont :
- la recherche, au nom de l'efficacité et de la réduction des coûts, de conseils d'administration à effectifs réduits . Chaque État membre n'aurait donc pas forcément un siège au sein du Conseil d'administration, à moins « que l'agence ne participe aussi, dans l'intérêt de la communauté, à l'exercice par les États membres de la compétence exécutive au sein de la politique envisagée » ;
- la représentation paritaire des deux branches de l'exécutif communautaire , qui conduirait à prévoir que le Conseil et la Commission désignent à l'avenir un nombre égal et limité de membres du Conseil d'administration (article II-2) ;
- le Parlement européen ne participerait pas à la désignation du Conseil d'administration afin, explique la Commission, de ne pas mettre « en question la capacité objective du contrôle extérieur du Parlement, notamment en tant qu'autorité de décharge » .
• Le bureau exécutif
L'article 12 du projet d'AII permet la création d'un bureau exécutif « dans le cas où la taille du conseil d'administration ne lui permettrait pas d'accomplir de façon efficace les tâches qui lui sont dévolues » . Le bureau exécutif est laconiquement « chargé de certaines tâches de préparation et de suivi des réunions du conseil d'administration, sans préjudice des tâches du directeur » . Dans le cadre des agences existantes, la création d'un bureau exécutif est parfois prévue. Le projet d'AII souhaite aller plus loin en prévoyant non seulement la possibilité d'un bureau exécutif, mais aussi sa composition, qui ne saurait excéder huit membres. Cet « interventionnisme » du projet d'AII (la composition des bureaux exécutifs a, jusqu'à présent, toujours relevé des règlements intérieurs des agences) aurait à l'évidence mérité quelques explications dans l'exposé des motifs (qui ne lui consacre que trois lignes), d'autant que l'éventualité d'un article sur le bureau exécutif n'avait pas été envisagée par la Commission dans sa communication de 2002 (on peut supposer que la Commission n'en voyait pas alors l'utilité, puisqu'elle proposait un conseil d'administration limité à quinze membres).
• Le directeur
Selon le projet d'AII, le directeur d'une agence serait nommé par le Conseil d'administration sur la base d'une liste de candidats proposés par la Commission. Il pourrait, avant sa nomination, être entendu par la commission compétente du Parlement européen.
• Les autres organes des agences
Le projet d'AII prévoit notamment :
- des comités scientifiques et/ou d'experts pour les agences appelées à fournir des avis scientifiques et techniques à la Commission. Les membres des comités scientifiques seraient des scientifiques indépendants nommés par le Conseil d'administration sur la base d'un appel ouvert à candidature. Les membres des comités d'experts seraient nommés par le Conseil d'administration « sur la base d'une procédure claire et transparente prévue dans l'acte de base » .
- les chambres des recours pour les agences qui adoptent des décisions individuelles pouvant faire grief à des tiers. Ces chambres des recours, qui existent par exemple pour l'Office de l'harmonisation du marché intérieur ou pour l'Agence européenne pour la sécurité alimentaire, effectueraient un contrôle interne mais indépendant du directeur avant une éventuelle saisine juridictionnelle. Les membres des chambres des recours seraient nommés par le Conseil d'administration sur la base d'une liste de candidats proposés par la Commission pour une période de cinq ans.
c) L'encadrement du fonctionnement des agences
Sans prétendre à l'exhaustivité, on peut noter que sur ce point, le projet d'AII prévoit :
- la transparence des activités des agences qui devraient rendre publics « sans tarder » leur règlement intérieur et leur rapport annuel d'activités, et qui seraient, à l'instar des institutions, soumises aux obligations de bonne administration (règlement sur l'accès du public aux documents...) ;
- une distinction entre le régime linguistique interne de l'agence (établi par le Conseil d'administration) et le régime linguistique externe (qui serait le même que celui des institutions européennes) ;
- l'application au personnel des agences du protocole du 8 avril 1965 sur les privilèges et immunités des communautés européennes.
d) Les contrôles
• Les évaluations
Les agences seraient d'abord tenues d'auto-évaluer leur programme ou actions lorsque ceux-ci occasionneraient des dépenses importantes. Les résultats en seraient communiqués au Conseil d'administration.
Mais les évaluations seraient aussi le fait de la Commission afin de concilier l'autonomie des agences avec la responsabilité ultime de celle-ci dans le système communautaire. La Commission serait ainsi appelée à évaluer périodiquement la mise en oeuvre de l'acte de base, les résultats obtenus par l'agence, ses méthodes de travail. Si besoin était, la Commission pourrait présenter une proposition de révision de l'acte de base, voire son abrogation.
• Les contrôles budgétaire et financier
Le projet d'accord interinstitutionnel soumet au contrôle de la Cour des comptes les comptes de toute agence recevant une subvention communautaire.
Par ailleurs, la décharge serait donnée à ces agences par le Parlement européen sur recommandation du Conseil.
Pour les agences auto-financées, la décharge serait donnée par le conseil d'administration qui en informerait le Parlement européen, le Conseil, la Commission et la Cour des comptes.
Afin de lutter contre la fraude, les pouvoirs d'enquête de l'OLAF s'étendraient automatiquement aux agences.
• Le contrôle politique
Même si le Parlement européen et le Conseil pourraient toujours demander à tout moment à entendre le directeur, c'est surtout sur le contrôle exercé par la Commission qu'insiste le projet d'AII. Outre les évaluations de l'acte de base, la Commission exercerait sa responsabilité exécutive par l'intermédiaire de :
- ses représentants au sein du conseil d'administration ;
- ses prérogatives concernant la nomination du directeur dont elle pourrait proposer la reconduction ;
- ses avis sur les programmes de travail. La portée juridique des avis devrait « être à la mesure de la contribution de l'agence à l'exercice de la responsabilité exécutive » . Afin d'éviter de trop ouvrir la voie à la méthode du « cas par cas », le projet d'AII prévoit que « pour les agences qui fournissent une assistance directe à la Commission » , le désaccord exprimé par celle-ci sur le programme de travail donnerait lieu à un réexamen par le conseil d'administration et à une adoption « selon une majorité renforcée à déterminer dans l'acte de base » .
• Les contrôles juridictionnels
L'article 31 prévoit la possibilité de saisir la Cour de justice non seulement des recours en annulation des actes produisant des effets juridiques contraignants à l'égard des tiers, mais aussi des recours en carence ou des actions en réparation pour les dommages causés par les agences.