2. Le programme nucléaire de l'Iran
Lors de sa séance du mardi 26 avril après-midi, l'Assemblée a examiné un rapport de M. Abdulkadir Ates (Turquie, Soc) mettant en évidence la nécessité d'une réaction internationale face au programme nucléaire de l'Iran.
Intervenant dans la discussion, Mme Josette Durrieu s'est prononcée pour la poursuite des négociations avec l'Iran :
« Je voudrais remercier le rapporteur et le féliciter pour son travail sur un sujet extrêmement délicat. Je voudrais à mon tour faire un état des lieux de la situation, quitte à vous répéter, Monsieur le rapporteur.
« L'Iran n'a pas le droit de poursuivre son processus d'enrichissement de l'uranium qui le conduirait sans doute à la possession de la bombe atomique. Ce pays se met donc en infraction avec le Traité de non-prolifération. Cependant, l'Iran est engagé et poursuit ! L'Iran veut la bombe et l'aura peut-être ! Dans le cadre de l'Assemblé de l'Union de l'Europe occidentale - UEO, je fais un travail parallèle au vôtre, il m'a donné l'occasion d'aller dans tous ces pays, y compris l'Iran. Effectivement, l'Iran, procédant comme l'Inde, le Pakistan et Israël, avance... Malgré le Traité de non-prolifération !
« L'Agence internationale pour l'énergie atomique a engagé ses vérifications dans des conditions extrêmement difficiles. Simultanément trois États essaient de négocier avec l'Iran une suspension voire un arrêt définitif du processus : il s'agit de la France, de l'Allemagne et de la Grande-Bretagne. L'objectif est, à l'évidence, d'empêcher que ce dossier n'arrive devant le Conseil de sécurité qui condamnerait l'Iran et permettrait aux Américains de détruire les installations. Ceci a été sur le point de se faire à plusieurs reprises ces derniers mois.
« Que fait le Président Bush dans l'immédiat ? Il observe, ironiquement, il gagne du temps, il lance quelques menaces et il envisage réellement les frappes de destruction sur les sites parce qu'Israël et les États-Unis veulent la destruction du réacteur, son arrêt total et définitif. Si le dossier allait devant le Conseil de sécurité, on pourrait avoir un retournement de situation curieux : les frappes seraient légitimées par l'ONU et approuvées peut-être par la Communauté internationale.
« Ces frappes sont-elles possibles ? Il y a des craintes réelles. On se rassure en disant «non.» Car, attaquer l'Iran, cela ferait encore plus de mal que d'attaquer l'Irak et cela contribuerait à déstabiliser une situation déjà complexe en Irak. Les tensions au Liban et en Palestine seraient aggravées, le processus de paix bloqué.
« L'Iran cependant veut la bombe pour deux raisons : garantir sa sécurité par la stabilisation nucléaire, comme Israël, parce qu'il veut devenir un pôle de stabilité, voire d'influence dans la région. Ce sont deux raisons éminemment politiques. Alors l'Iran affirme son droit légitime à maîtriser le nucléaire civil, Il accepte la suspension mais sûrement pas l'arrêt définitif. Il négocie des garanties et des contreparties qu'il prétend ne pas avoir encore et donc il résiste !
« Les États arabes, je le dis pour les avoir visités presque tous, sont inquiets. Mais ils sont fiers : cette bombe est un peu la « bombe islamique » et ils sont solidaires. Ne pas attaquer l'Iran : on brandit cela comme une menace. En fait, ces pays dénoncent sûrement à juste titre une appréciation avec deux poids et deux mesures par référence à la bombe israélienne.
« Que faire ? On peut dénoncer le Traité de non-prolifération, non pas pour le supprimer mais pour le revoir. Une nouvelle définition est sûrement nécessaire. La légitimité des pays n'est vraisemblablement pas la même face au problème de la puissance nucléaire à maîtriser. Faut-il distinguer le nucléaire civil et le nucléaire militaire ? Mais on sait que l'un conduit à l'autre. Faut-il distinguer aussi tous les trafics liés à la possession de ses matériaux, des technologies voire des matières entrant dans les processus nucléaires ?
« Quelles sont les alternatives ? Vous l'avez dit, Monsieur le rapporteur, et vous avez eu bien raison : négocier, tenter de dissuader l'Iran, peser sur ses intérêts économiques avec l'OMC, intégrer peut-être l'Iran au processus de paix s'il veut être un des pôles de stabilité dans la région. Encore faudrait-il qu'il reconnaisse Israël !
« Sinon, ou il y a deux bombes, et l'équilibre se fera sur ces bases, ou il faudra dénucléariser toute cette région. Bien sûr c'est la seconde hypothèse que nous privilégions. La spirale n'est pas encore enclenchée. Le pire n'est pas encore arrivé mais nous sommes soit dans le cercle vicieux, soit dans le cercle vertueux ! »
M. Gilbert Meyer s'est également prononcé en faveur de la voie diplomatique :
« Depuis les années soixante-dix, l'Iran développe un programme nucléaire. Parallèlement, il donne des gages de bonne volonté. Signataire du traité de non prolifération (TNP), il a autorisé l'agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) à procéder à des contrôles.
« L'Iran argue de sa bonne foi et justifie son programme en rappelant que l'article 4 du TNP permet aux États parties de recevoir les bénéfices civils de l'atome et de se doter du cycle de combustion nucléaire.
« Pourtant, ces dernières années, les risques de prolifération sont devenus bien réels. L'Iran possède les compétences techniques pour se doter de l'arme nucléaire. Ce pays dispose désormais de vecteurs pour la délivrer grâce à ses nouveaux missiles Shahab 3 d'une portée de 1 300 km. Cette menace ne peut qu'accroître l'instabilité dans une région où les tensions sont vives. Les relations entre l'Inde et le Pakistan, puissances nucléaires, demeurent tendues. L'Irak, l'Afghanistan sont des foyers de crise.
« Pour contrer cette menace la communauté internationale peut choisir entre différentes solutions. Elle dispose de plusieurs options, de l'isolement politique à l'embargo économique. L'isolement politique risquerait de renforcer le camp des conservateurs et d'exacerber le nationalisme. Quant aux sanctions économiques, elles sont facilement contournées et démontrent rarement leur efficacité.
« L'option extrême : le recours à la force, est aléatoire. Il ne garantit en rien une destruction complète du potentiel nucléaire iranien.
« C'est pourquoi les Européens ont choisi la voie de la négociation, plutôt que celle de la confrontation. Ils sont déterminés à ce que l'Iran ne devienne pas une puissance nucléaire militaire et mettent tout en oeuvre pour parvenir à une solution négociée.
« Un accord a été conclu en novembre 2004 entre la France, l'Allemagne, la Grande- Bretagne (groupe dit E3) et l'Iran par lequel ce dernier s'engage à suspendre ses activités d'enrichissement et de retraitement de l'uranium, sous contrôle de l'AIEA.
« En mars dernier, les États-Unis ont apporté leur soutien à cette initiative. Par ailleurs, les Américains ont fait preuve d'ouverture en acceptant d'examiner au cas par cas les demandes iraniennes de pièces détachées d'aviation, soumises à embargo. Ils ont, par ailleurs affirmé qu'ils ne s'opposeraient plus à la candidature de l'Iran auprès de l'Organisation mondiale du commerce.
« C'est cette démarche diplomatique que le rapport souhaite appuyer. Le Conseil de l'Europe doit effectivement s'associer aux efforts déployés par le groupe dit E3, pour s'assurer que le programme nucléaire iranien n'a qu'une finalité civile.
« La France s'inscrit dans cette logique. Elle a choisi de privilégier la voie diplomatique et de favoriser le dialogue. Elle souhaite aboutir à un accord de long terme qui puisse garantir le caractère exclusivement pacifique du programme nucléaire iranien.
« Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense, a déclaré à ce sujet : « Nous donnons une chance à l'Iran ».
« La Commission de la défense nationale de l'Assemblée nationale française a reçu, le 19 janvier 2005, une délégation iranienne, dont le vice-ministre des Affaires étrangères, au cours d'une table ronde consacrée à la prolifération. Bien que la délégation ait réaffirmé que l'Iran respectait ses engagements souscrits dans le cadre du TNP, ses propos sur les risques liés a son environnement régional, ont laissé planer un doute sur la finalité réelle de son programme nucléaire.
« Un nouveau cycle de négociations, ouvert à Paris le 23 mars, n'a pas débuté sous les meilleurs auspices puisque chaque partie a campé sur ses positions. M. Kamal Kharazzi, ministre iranien des Affaires étrangères, a même été jusqu'à affirmer que l'Iran ne saurait en aucun cas renoncer à son droit au nucléaire civil et que le pays en faisait une question d'honneur et de fierté nationale.
« Plus inquiétants sont les propos du Président iranien Mohammed Khatami, le 30 mars dernier, quand il a fait part de la volonté de son pays de reprendre ses activités d'enrichissement de l'uranium.
« C'est pourquoi le Conseil de l'Europe doit soutenir les efforts diplomatiques du groupe E3, dont fait partie la France, afin d'aboutir à une réussite des négociations.
« C'est ce que propose notre rapporteur auquel j'apporte donc mon total soutien. »
A l'issue de ses travaux l'Assemblée a adopté la résolution n° 10496 qui invite les autorités de la République islamique d'Iran à coopérer pleinement avec l'Agence internationale de l'énergie atomique et à respecter le traité de non-prolifération nucléaire et qui demande aux États membres de soutenir les initiatives diplomatiques visant à sortir du blocage actuel.