L'ACTION GOUVERNEMENTALE CONTRE LE RISQUE ÉPIDÉMIQUE : M. PHILIPPE DOUSTE-BLAZY, MINISTRE DE LA SANTÉ ET DE LA PROTECTION SOCIALE
Je tiens d'abord à remercier Madame Marie-Christine BLANDIN et Monsieur Jean-Pierre DOOR pour leur invitation, pour leur travail et leur implication sur un sujet aussi important.
Messieurs les Directeurs généraux, mon Général, Mesdames et Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Mesdames et Messieurs, je pense que ce sujet est excessivement important. J'ai souhaité venir parce que je crois que l'on peut évoquer de nombreux sujets en médecine, croire que tout est réglé, mais le risque épidémique est le plus dangereux, et il est permanent. Nous avons tendance, dans nos sociétés modernes et occidentales, à l'oublier. Nous vivons chaque jour avec ce risque épidémique, il suffit pour s'en convaincre de réaliser que l'épidémie de grippe hivernale, dont Monsieur Jean-Pierre DOOR a parlé par une boutade au début de son intervention, entraîne - malgré la vaccination des personnes à risque - 1 000 à 17 000 décès en France chaque année. Les chiffres que l'INSEE publiera prochainement, et que je vous demande de regarder de très près, avec une diminution de la mortalité cette année, doivent être, en partie, étudiés en fonction de la survenue ou non d'une épidémie de grippe dans une année.
Si le risque épidémique est aujourd'hui d'actualité, ce n'est pas tant en raison de la grippe saisonnière, qu'en raison du SRAS et de la pandémie grippale d'origine aviaire. L'épidémie de SRAS, plus que toutes les autres semble-t-il, a montré à quel point la survenue d'une infection inconnue - j'insiste sur le mot « inconnue » -, capable de se diffuser en quelques semaines sur la planète, grâce aux moyens de communication modernes, pouvait répandre la peur, déstabiliser les sociétés et les systèmes de santé les plus évolués. Elle est aussi l'exemple du succès d'une action coordonnée mondiale, sous l'égide de l'OMS, puisqu'en quelques semaines, le virus a été identifié, le génome entièrement séquencé, les tests diagnostiques mis au point et l'épidémie déclarée terminée cinq mois seulement après le premier cas identifié au Viêt-Nam. Je veux ici saluer le rôle des équipes françaises, et particulièrement celle de l'Institut Pasteur représentée par Monsieur Jean-Claude MANUGUERRA et son directeur Monsieur le Professeur Philippe KOURILSKY. Grâce à vous, c'est une fierté que d'être Français lorsqu'il s'agit d'aller à l'étranger pour parler d'épidémie.
Cette pandémie, plus que tout autre, reflète exactement la problématique actuelle du risque infectieux, car c'est bien le caractère soudain, imprévisible et transmissible qui fait du risque épidémique un risque redoutable et redouté depuis la nuit des temps. Il est possible d'aborder par ailleurs, Monsieur le Professeur Michel KAZATCHINE, le problème du Sida qui est un sujet à lui seul.
Malgré les progrès spectaculaires accomplis en matière d'hygiène, malgré les progrès spectaculaires accomplis en matière de vaccination, malgré les progrès d'antibiothérapie, nous n'en avons pas fini avec les problèmes d'épidémie, contrairement à ce que les scientifiques se plaisaient à dire à la fin des années 70. Je tiens ici à le dire pour deux raisons essentielles. Premièrement, les sociétés modernes favorisent l'émergence et la diffusion des infections. L'élevage intensif, la déforestation, le développement des mégapoles, l'intensité des voyages aériens sont propices à l'expression épidémique de nouveaux agents infectieux à partir du monde animal et/ ou environnemental. Deuxièmement, nos armes thérapeutiques et vaccinales connaissent des limites. Le monde microbien est vivant, de nouvelles infections apparaissent, de nouvelles résistances aux antibiotiques et aux antiviraux se développent en permanence vis-à-vis desquelles il est de plus en plus difficile de trouver des molécules efficaces. Nous ne disposons toujours pas d'antiviraux capables de tuer les virus et ainsi de guérir des infections virales chroniques comme le Sida. La recherche d'un vaccin contre le Sida se heurte ainsi à de très grandes difficultés. J'ai eu récemment une discussion intéressante avec, Monsieur Denis HOCH, Jean-François DEHECQ qui me précisait qu'il fallait cesser d'attaquer les antibiotiques, il est vrai que nous le faisons parfois parce que nous avons l'impression que l'on en prescrit trop largement, que cela crée des résistances tout en coûtant beaucoup d'argent avec une efficacité moindre puisque l'on donne parfois des antibiotiques à des personnes qui ne devraient pas en prendre. Nous devons néanmoins également écouter leur message, porter notre attention sur les antibiotiques et sur la recherche qui leur est consacrée, ne pas considérer que la question est réglée. Nous avons, dans les mois et les années à venir, un effort à faire avec ce qui restera, tout de même, la plus grande découverte du XX e siècle. Il existe l'avant et l'après antibiotique, ne l'oublions pas, restons préoccupés par ce sujet, respectons totalement ceux qui travaillent sur les antibiotiques, favorisons la recherche car nous aurons besoin, à l'avenir, de nouveaux antibiotiques.
Enfin, Madame Marie-Christine BLANDIN et Monsieur Jean-Pierre DOOR, permettez-moi d'aborder l'une des principales leçons des épidémies récentes qui reste pour moi l'humilité face à la menace infectieuse. Il est frappant de constater que l'épidémie de SRAS a pu être contrôlée non pas par un vaccin ou un traitement antiviral, mais simplement grâce à l'isolement des patients et des sujets contacts, qui est une méthode ancestrale. De même, aujourd'hui encore, vingt ans après la découverte du virus, le préservatif se révèle la meilleure arme contre le Sida. Il est également frappant, malgré les progrès scientifiques incontestables, que nous sommes toujours incapables de dire comment, pourquoi et quand se produira une nouvelle épidémie. Nous vivons actuellement le poids de cette incertitude avec la menace de pandémie grippale. Quoi qu'il en soit, les sociétés modernes peuvent s'organiser pour anticiper les risques, diminuer leur impact, mais les réponses apportées au risque épidémique concernent quatre étapes essentielles et que je rappellerai ici.
Premièrement, nous devons éviter la propagation de l'infection à la population humaine et c'est l'étape la plus difficile. Jusqu'à il y a peu de temps, nous nous sentions protégés par de prétendues « barrières » entre les espèces. Malheureusement, avec le temps, elles s'avèrent souvent perméables, environ deux tiers des infections chez l'homme sont d'origine animale. Il est indispensable de renforcer ces barrières par le contrôle sanitaire des animaux, de l'alimentation, et par la protection et la surveillance sanitaires des personnes travaillant dans les élevages. Cela semble de bon sens, mais je permets de le souligner. C'est à ce niveau que se situent les actions de prévention de la pandémie grippale qui repose avant tout sur le contrôle de l'épizootie de grippe aviaire. Pour mieux anticiper le risque de passage de l'animal à l'homme, il faut rapprocher les surveillances des écologies microbiennes animales et humaines et encourager les programmes communs de recherche. Ainsi, je me félicite que l'Union européenne se soit dotée d'un réseau de recherche sur les maladies animales transmissibles à l'homme, coordonné par l'AFSSA dont je salue ici le travail. Cette première étape paraît essentielle.
Deuxièmement, nous devons détecter de façon précoce les infections émergentes, essentiellement pour éviter leur propagation. À ce sujet nous travaillons beaucoup avec Monsieur le Professeur Gilles BRÜCKER, qui vous parlera du dispositif de surveillance des maladies infectieuses coordonné par l'InVS, récemment renforcé dans le cadre de la loi que j'ai fait passer à l'Assemblée et au Sénat, le 9 août 2004, relative à la politique de santé publique. Ce dispositif se révèle très efficace, il repose sur l'expertise microbiologique du réseau des Centres nationaux de référence. La participation de la cellule d'intervention d'urgence de l'Institut Pasteur à ce réseau permet d'accroître encore la réactivité d'identification des agents pathogènes émergents. Sur le plan international là aussi, la création d'un Centre de contrôle des maladies, l'ECDC, sur le modèle du CDC d'Atlanta, a été fortement soutenue par la France, nous devons avoir un CDC européen, car dire oui a l'Europe et ne pas vouloir de CDC européen n'a pas de sens.
Il ne suffit pourtant pas de détecter, il faut également préparer la riposte et c'est le rôle des Plans de réponse dont l'élaboration est du ressort essentiel de la DGS. L'épisode SRAS a montré l'intérêt de cette préparation, nécessairement interministérielle car tous les secteurs d'activité sont touchés lors d'une pandémie. Nous disposons aujourd'hui d'un plan de réponse contre la variole, principale menace bio terroriste, contre le SRAS, d'un Plan contre la pandémie grippale d'origine aviaire bâti sur le modèle préconisé par l'OMS que j'ai présenté récemment. Ces plans doivent continuer à évoluer avec les connaissances scientifiques et les expériences acquises.
Concernant la prise en charge des patients, la crise du SRAS a prouvé l'intérêt de s'appuyer sur le réseau d'établissements hospitaliers de référence mis en place dans le cadre de la préparation aux attaques bio terroristes. Ces établissements disposent d'équipements en chambres d'isolement permettant l'accueil de patients atteints d'infections émergentes ou hautement contagieuses. Ils possèdent également des laboratoires de haute sécurité, incluant des laboratoires de confinement P3, ce qui est excessivement important.
Par ailleurs, les stocks de médicaments sont essentiels. La France a stocké 1 million de traitements antibiotiques pour faire face à une attaque au charbon. Nous venons de signer un contrat d'achat de 13 millions de traitements antiviraux, le Tamiflu, afin de traiter précocement les patients en cas de pandémie grippale. Nous sommes le deuxième pays au monde, après les États-Unis, en ce domaine. Environ 70 millions de doses de vaccin antivariolique sont aujourd'hui stockées en France. À ma demande, la DGS vient de publier un appel d'offres pour la participation au développement et à l'achat de 2 millions de doses de vaccin contre la grippe aviaire H5N1 et pour l'achat conditionnel de plus de 20 millions de doses du vaccin correspondant à une éventuelle souche pandémique qui seraient fabriquées et livrées dès lors que la pandémie se déclarerait. Cela est officiel, les papiers ont été signés. Grâce à ce type de contrat, nous devons inciter des industriels à développer de nouveaux vaccins et des armes thérapeutiques vis-à-vis de ces risques émergents. Deux pays ont signé des appels d'offre, les États-Unis et la France.
Je souhaite enfin développer en ce domaine la coopération internationale. Lors de la réunion des Ministres de la Santé du G7 élargi à Paris, nous avons mis à la disposition des pays qui en auraient besoin 5 millions de doses de vaccin antivariolique. J'ai également proposé la constitution d'une cellule internationale de réponse aux attentats bioterroristes. Je souhaite enfin développer la coopération européenne en matière de vaccin, j'ai, avec le Ministre de la Recherche, François d'AUBERT, et Monsieur le Professeur Michel KAZATCHINE réuni les Ministres des pays européens les plus engagés dans un programme de recherche sur le vaccin contre le Sida, pour proposer une stratégie commune et la création d'une plate-forme européenne d'essais cliniques.
Je terminerai en signalant que se préparer aux risques infectieux c'est aussi préparer les professionnels de santé et l'opinion publique à faire face à une telle situation au travers de l'éducation, de l'information et de ce l'on appelle la transparence. L'Institut national de la prévention et de l'éducation pour la santé développe actuellement un programme d'éducation sur les risques infectieux pour les professionnels de santé et le grand public. Préparer les professionnels et l'opinion publique, c'est d'abord rappeler que nos sociétés ne savent pas - en particulier les journalistes - que le risque zéro n'existe pas. La menace infectieuse n'est pas hypothétique, elle est présente et, en ce domaine, il ne peut exister de protection sanitaire absolue, cela n'existe pas. C'est aussi inculquer à nos concitoyens que toute arme, vaccinale ou thérapeutique, comporte des bénéfices, mais aussi des risques. Les antibiotiques, et plus récemment les anti-rétroviraux, ont fait chuter la mortalité liée aux maladies infectieuses, mais leur utilisation comporte aussi des risques de résistance microbienne. C'est pourquoi leur utilisation à bon escient est indispensable, à l'inverse, il faut rappeler que les vaccins nous ont sauvés et que les réactions de défiance immesurée vis-à-vis de ces vaccins pourraient avoir des conséquences catastrophiques. Enfin, nous devons également rappeler à nos concitoyens que les mesures de prévention simples et de bon sens, comme des mesures d'hygiène ou de protection des personnes, sont souvent les mesures les plus efficaces. Cette culture de prévention du risque infectieux permettra non seulement de mieux nous préparer aux risques émergents, mais aussi de mieux prévenir l'ensemble des infections, qu'elles soient communautaires ou nosocomiales.
Voilà, Madame Marie-Christine BLANDIN et Monsieur Jean-Pierre DOOR, ce que je souhaitais vous dire.
M. Jean-Pierre DOOR
Merci, Monsieur le Ministre.
Je tiens à présenter les personnes qui travaillent avec nous et nous aident à la rédaction de ce rapport, Madame Christine JESTIN du Ministère de la Santé ici présente, le Professeur Jean-Paul LÉVY, ainsi que le Professeur Jacques FROTTIER de l'Académie de médecine et le Professeur Jean-Pierre DUPRAT de l'Université de Bordeaux IV.
Nous abordons la première partie de ce travail consacrée au risque épidémique avec l'introduction de Monsieur le Professeur Philippe KOURILSKY, Directeur général de l'Institut Pasteur.