DEUXIÈME PARTIE :
VERS L'INSTAURATION D'UN SYSTÈME DE
SURVEILLANCE MULTILATÉRALE METTANT L'UNION ET LES ÉTATS MEMBRES
FACE À LEURS RESPONSABILITÉS
Comme cela a été indiqué, le Conseil européen de Bruxelles des 22 et 23 mars 2005 a entériné le rapport du Conseil ECOFIN du 20 mars 2005 relatif à la réforme du pacte de stabilité 31 ( * ) , et approuvé les conclusions et propositions qui y figuraient.
Ce rapport s'inspirait largement des propositions faites par la Commission européenne, dans un rapport du 24 juin 2004 32 ( * ) et une communication du 3 septembre 2004 33 ( * ) .
D'un point de vue juridique, le pacte de stabilité n'a pas encore été modifié. Le Conseil européen a invité la Commission européenne à « présenter rapidement des propositions visant à modifier les règlements du Conseil ».
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S'il fallait retenir une chose de la réforme du pacte de stabilité, c'est qu'elle est incomplète.
En effet, comme cela a été indiqué dans la première partie du présent rapport d'information, la faible efficacité du pacte de stabilité provient d'un double phénomène :
- l'impossibilité « politique » de décider de sanctions contre un Etat ayant un déficit public supérieur à 3 % du PIB ;
- l'absence d'incitation des Etats à réduire leur déficit structurel en période de croissance forte du PIB.
Or, si la réforme qui a été décidée tire les conséquences de l'impossibilité d'appliquer la règle des 3 % dans toute sa rigueur, elle ne prévoit toujours pas de mécanisme efficace afin d'inciter les Etats à réduire leur déficit structurel quand la croissance est forte.
I. LE PLAFOND DE DÉFICIT PUBLIC MAINTENU À 3 % DU PIB AU PRIX DE QUELQUES ASSOUPLISSEMENTS
Conformément aux propositions faites par le Conseil ECOFIN le 20 mars 2005, le Conseil européen des 22 et 23 mars 2005 a décidé d'une réforme de la procédure concernant les déficits excessifs.
Il s'agit d'une réforme a minima , dont l'effet essentiel sera de rendre la limite de 3 % du PIB légèrement plus floue , à travers une redéfinition de la notion de « circonstances exceptionnelles ».
La disparition de toute allusion à une éventuelle réforme du mécanisme de sanctions Dans son rapport précité de juin 2004 , la Commission européenne estime que les modalités de l'application des sanctions , ainsi que leur montant, pourraient être révisés. Il s'agirait en particulier d'accroître le montant du dépôt demandé. En effet, tant que celui-ci n'est pas transformé en sanction, son coût s'élève seulement à celui des intérêts à court terme nécessaires pour emprunter la somme correspondante, soit, dans l'hypothèse d'un dépôt égal au plafond prévu par le traité (0,5 point de PIB) et d'un taux d'intérêt de 4 %, seulement 0,02 point de PIB. Cette suggestion ne figure pas dans la communication précitée de septembre 2004 de la Commission européenne. Par ailleurs, le rapport précité Conseil du 20 mars 2005 ne propose pas de réforme à cet égard, se contentant d'indiquer que « si (...) un Etat membre ne se conforme pas aux recommandations qui lui sont adressées dans le cadre de la procédure concernant les déficits excessifs, le Conseil est habilité à appliquer les sanctions prévues ». |
A. L'ÉLARGISSEMENT DE LA NOTION DE « CIRCONSTANCES EXCEPTIONNELLES »
La notion de « circonstances exceptionnelles » est prévue par l'article 104 du traité CE, et l'article 2 du règlement précité n° 1467/97.
Elle a pour objet de permettre à la Commission européenne ou au Conseil d'autoriser un Etat à avoir temporairement un déficit public supérieur à 3 % du PIB, celui-ci devant cependant rester proche de cette limite.
L'élargissement de la notion de « circonstances exceptionnelles » décidée par le Conseil européen semble relativement complexe , surtout si on la compare à sa faible portée pratique.
1. Une réforme relativement complexe
Il convient de distinguer deux points :
- la notion de circonstances exceptionnelles stricto sensu ;
- la disposition de l'article 104 précité du traité CE selon laquelle le rapport de la Commission européenne « tient compte de tous les autres facteurs pertinents ».
a) L'assouplissement de la notion de circonstances exceptionnelles stricto sensu est-il susceptible d'avoir des conséquences pratiques ?
(1) La réforme proposée
Actuellement, les « circonstances exceptionnelles » stricto sensu sont définies par un triple critère :
1) proximité du déficit de la valeur de référence ;
2) caractère temporaire du déficit excessif ;
3) caractère « exceptionnel » du déficit, c'est-à-dire en particulier « grave récession économique », définie :
- soit comme un recul annuel du PIB de plus de 2 % ;
- soit par « le caractère soudain de la récession ou la baisse cumulative de la production par rapport à l'évolution constatée dans le passé », cette disposition étant en grande partie vidée de son sens par la résolution du Conseil européen relative au pacte de stabilité et de croissance, adoptée à Amsterdam le 17 juin 1997, dans laquelle les Etats se sont engagés à ne pas invoquer le bénéfice de cette dernière disposition lorsque la baisse annuelle du PIB réel serait inférieure à 0,75 %.
S'inspirant des propositions de la Commission européenne, le Conseil européen des 22 et 23 mars 2005 a décidé, conformément aux propositions du Conseil, de maintenir les deux premiers critères inchangés , mais de rendre la notion de circonstances exceptionnelles moins restrictive en cas de récession économique.
Désormais, pourrait être considéré comme exceptionnel, par la Commission européenne et le Conseil, « un dépassement de la valeur de référence qui résulte d'un taux de croissance négatif ou de la baisse cumulative de la production pendant une période prolongée de croissance très faible par rapport au potentiel de croissance ».
Le tableau ci-après présente de manière plus détaillée les modifications prévues.
Les circonstances exceptionnelles
Article 104 du traité CE
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Article 2 du règlement n° 1467/97 |
Propositions de la Commission européenne (communication du 3 septembre 2004) |
Rapport du Conseil ECOFIN (20 mars 2005) |
La Commission examine si la discipline budgétaire a été respectée, sur la base de la règle de déficit public maximal de 3 % du PIB, « à moins : |
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- que le rapport n'ait diminué de manière substantielle et constante et atteint un niveau proche de la valeur de référence ; |
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- ou que le dépassement de la valeur de référence ne soit qu'exceptionnel et temporaire... |
1) Définition générale du dépassement « exceptionnel et temporaire » : - soit « il résulte d'une circonstance inhabituelle indépendante de la volonté de l'Etat membre concerné et ayant des effets sensibles sur la situation financière des administrations publiques » ; - soit « il est consécutif à une grave récession économique » ; 2) Définition du mot « exceptionnel » en cas de récession économique : - pour le rapport de la Commission , « un dépassement de la valeur de référence consécutif à une grave récession économique n'est exceptionnel que si le PIB en termes réels enregistre une baisse annuelle d'au moins 2 % » ; - pour la décision du Conseil , il est tenu compte « des observations éventuelles de l'Etat membre montrant qu'une baisse annuelle du PIB en termes réels de moins de 2 % est néanmoins exceptionnelle eu égard à d'autres éléments d'information allant dans le même sens, en particulier le caractère soudain de la récession ou la baisse cumulative de la production par rapport à l'évolution constatée dans le passé » (1). 3) Définition du mot « temporaire » : « si les prévisions budgétaires établies par la Commission indiquent que le déficit tombera au-dessous de la valeur de référence lorsque la circonstance inhabituelle ou la grave récession aura disparu ». |
« Clarification du «caractère soudain de la récession» et de «la baisse cumulative de la production par rapport à l'évolution constatée dans le passé ». |
Pourrait être considéré comme exceptionnel, par la Commission et le Conseil, « un dépassement de la valeur de référence qui résulte d'un taux de croissance négatif ou de la baisse cumulative de la production pendant une période prolongée de croissance très faible par rapport au potentiel de croissance ». |
... et que ledit rapport ne reste proche de la valeur de référence ». |
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(1) La résolution du Conseil européen relative au pacte de stabilité et de croissance, adoptée à Amsterdam le 17 juin 1997, prévoit que « pour évaluer la gravité de la récession économique, les Etats membres prendront en principe comme référence une baisse annuelle du PIB réel d'au moins 0,75 % ».
(2) Une mise en oeuvre rarissime ?
Cet assouplissement semble devoir être très rarement mis en oeuvre .
Tout d'abord, il est exceptionnel qu'un Etat membre ait une croissance négative. Depuis la mise en place de la monnaie unique, parmi les Etats de la zone euro, cela ne s'est produit qu'en 2003 , pour l'Allemagne (- 0,1 %), les Pays-Bas (- 0,9 %) et le Portugal (- 1,2 %). Parmi ces Etats, le seul qui aurait pu bénéficier de cette disposition est les Pays-Bas, qui ont eu un déficit public de 3,2 % en 2003, mais sont revenus en 2004 à un déficit inférieur à 3 % du PIB (2,5 %), et n'en auraient donc pas eu besoin. Au Portugal et en Allemagne, le déficit excessif date de respectivement 2000 et 2001, et ne peut donc s'expliquer par la croissance négative de 2003.
Ensuite, la « baisse cumulative de la production pendant une période prolongée de croissance très faible par rapport au potentiel de croissance » n'aurait semble-t-il concerné aucun Etat si elle avait été appliquée ces dernières années. Certes, les trois Etats de la zone euro dont l'écart de production par rapport à leur production potentielle était le plus négatif en 2004 ont tous les trois fait l'objet de la procédure de déficit excessif : il s'agit du Portugal (écart de production de - 2,3 %), des Pays-Bas (- 1,6 %) et de l'Allemagne (- 1 %) 34 ( * ) . Cependant, comme on l'a indiqué ci-avant, ces trois Etats sont aussi ceux qui ont connu une croissance négative en 2003. Auparavant, leur écart de production était positif, ce qui montre bien que leurs problèmes budgétaires ne provenaient pas d'une croissance durablement inférieure à son potentiel.
b) La prise en compte de « tous les autres facteurs pertinents » semble davantage susceptible d'être mise en oeuvre
La modification essentielle décidée par le Conseil européen concerne les modalités de prise en compte, dans le rapport de la Commission européenne, de « tous les autres facteurs pertinents ». On peut craindre que cette prise en compte - dont les modalités doivent encore être introduites dans le règlement (CE) précité n° 1467/97 - se fasse de manière arbitraire, faute d'indication claire des facteurs concernés.
Lors du déplacement à Bruxelles de votre rapporteur général, les 24 et 25 janvier 2005, M. Joaquín Almunia, commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires, a estimé que tous les facteurs pris en compte par la Commission européenne devaient être clairement définis par les textes , afin que la décision de la Commission européenne de lancer la procédure de déficit excessif soit « quasi automatique ». Il a rappelé que la Commission européenne proposait, par ailleurs, de prendre en compte, aux étapes suivantes de la procédure, différents facteurs, afin d'introduire une certaine flexibilité dans la détermination de la trajectoire devant être suivie par un Etat en situation de déficit excessif.
Malheureusement, les Etats membres ne sont pas parvenus à s'entendre au sujet d'une liste limitative des facteurs devant être pris en compte dans le rapport de la Commission européenne. La proposition de compromis qui a permis l'accord sur cette question, qui a été présentée par le ministre français de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Thierry Breton, permet cependant de satisfaire les principales revendications de la France et de l'Allemagne.
Les facteurs explicitement indiqués sont :
- le potentiel de croissance ;
- les conditions conjoncturelles ;
- la mise en oeuvre de politiques dans le cadre du programme de Lisbonne ;
- les politiques visant à encourager la R&D et l'innovation ;
- les efforts d'assainissement budgétaire au cours de « périodes de conjoncture favorable » ;
- la viabilité de la dette ;
- les investissements publics ;
- la « qualité globale des finances publiques » ;
- « les efforts budgétaires visant à accroître ou à maintenir à un niveau élevé les contributions financières destinées à encourager la solidarité internationale et à réaliser des objectifs de la politique européenne, notamment l'unification de l'Europe si elle a un effet négatif sur la croissance et la charge budgétaire d'un Etat membre », critère concernant implicitement l'Allemagne , dont les difficultés budgétaires s'expliquent notamment par sa réunification.
La France avait en particulier souhaité que soient prise en compte la viabilité de la dette, l'investissement et la R&D.
Ces critères sont souvent mal définis.
Par ailleurs, il est précisé que « toute l'attention voulue sera accordée à tout autre facteur qui, de l'avis de l'Etat membre concerné, est pertinent pour pouvoir évaluer globalement, en termes qualitatifs, le dépassement de la valeur de référence ». Ainsi, on pourrait envisager qu'un Etat justifie de son dépassement de la limite de 3 % du PIB en invoquant ses dépenses de défense , ou sa contribution au budget de l'Union , comme le souhaitaient respectivement la France et l'Allemagne.
c) La prise en compte des réformes des pensions, si elles introduisent un financement par capitalisation
Le rapport du Conseil prévoit également que « dans toutes les évaluations budgétaires effectuées dans le cadre de la procédure concernant les déficits excessifs, la Commission et le Conseil prendront dûment en considération la mise en oeuvre » de « réformes des pensions qui introduisent un système à piliers multiples comprenant un pilier obligatoire financé par capitalisation ».
En effet, bien que la mise en oeuvre de ces réformes entraîne une détérioration à court terme de la position budgétaire, elles ont pour effet à long terme d'améliorer la viabilité des finances publiques.
Ainsi, « il sera tenu compte du coût net de la réforme pendant les cinq premières années après qu'un Etat membre a introduit un système obligatoire financé par capitalisation ou pendant cinq ans à compter de 2004 pour les Etats membres qui ont déjà mis en place un tel système. En outre, il en sera tenu compte de façon régressive : pendant cinq ans, le coût net que représente la réforme pour le pilier géré par les pouvoirs publics sera pris en considération à 100 % , puis à 80 % , 60 % et 40 % et enfin à 20 % ». Sont en particulier concernés la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, la Suède et le Danemark.
2. Un assouplissement dont le seul effet devrait être de permettre un dépassement temporaire de la limite maximale de déficit, si celui-ci reste « proche » de 3 % du PIB
La complexité de la réforme proposée, et l'âpreté de certains débats, ne doivent pas dissimuler que la portée de ces assouplissements demeure modeste, dans la mesure où s'agit seulement d'autoriser un dépassement léger et temporaire de la limite maximale de 3 % du PIB.
En effet, le Conseil souligne que le fait de tenir compte « d'autres facteurs pertinents » au cours de la procédure relative aux déficits excessifs « doit entièrement dépendre du principe fondamental selon lequel - avant que les autres facteurs pertinents ne soient pris en compte - le dépassement de la valeur de référence est temporaire et le déficit reste proche de la valeur de référence ». De même, il est précisé que l'assouplissement relatif à la mise en oeuvre de réformes des pensions concerne seulement le cas où le déficit est « proche de la valeur de référence ».
Autrement dit, les assouplissements indiqués ci-avant rendent plus floue la limite du déficit public autorisé, mais ne la modifient pas fondamentalement. Ainsi, on peut supposer qu'un déficit public de 4 % du PIB serait trop élevé pour être considéré comme « proche de la valeur de référence ».
* 31 Conseil ECOFIN, « Améliorer la mise en oeuvre du pacte de stabilité et de croissance », 20 mars 2005.
* 32 Commission européenne, « Public Finances in EMU 2004 », juin 2004.
* 33 Communication COM(2004)581, « Renforcer la gouvernance économique et clarifier la mise en oeuvre du pacte de stabilité et de croissance », 3 septembre 2004.
* 34 Commission européenne, prévisions économiques de l'automne 2004.