C. UNE DÉTERMINATION PLUS « INTELLIGENTE » DE L'OBJECTIF DE SOLDE PUBLIC À MOYEN TERME
Dans ces conditions, on peut se demander ce qui pourrait inciter les Etats membres à mener une politique budgétaire appropriée en période de croissance économique forte. La réforme décidée par le Conseil européen n'en comprend pas moins diverses dispositions relatives aux programmes de stabilité , c'est-à-dire à l'objectif de solde public à moyen terme. On rappelle que ce volet du pacte de stabilité ne prévoit aucune possibilité de sanction.
1. Une différenciation de l'objectif à moyen terme selon les Etats
Tout d'abord, l'objectif de solde public à moyen terme serait différencié entre les Etats.
a) Une mesure pertinente
Il s'agit d'une avancée importante , dans la mesure où la résolution précitée adoptée par le Conseil européen le 17 juin 1997 à Amsterdam fixe l'objectif d'un retour à une situation proche de l'équilibre à moyen terme 39 ( * ) , ce qui n'a pas de justification économique :
- si l'objectif est de garantir un déficit public inférieur à 3 % du PIB, un déficit public structurel de 1 % est suffisant pour un Etat comme la France 40 ( * ) ;
- si l'objectif est de stabiliser la dette publique, on rappelle que la limite actuelle de 3 % du PIB pour le déficit public autorisé a pour caractéristique de permettre, selon les hypothèses d'une croissance annuelle en valeur de 5 % et d'un endettement initial de 60 % du PIB, la stabilisation de ce dernier 41 ( * ) ; un solde public équilibré conduit in fine à un ratio de dette au PIB nul à long terme, ce qui ne semble guère avoir de sens ;
- enfin, si l'objectif est la réduction du ratio d'endettement public, il ne semble guère opportun d'exiger le même effort budgétaire pour la Grèce (au taux d'endettement de 110,5 % du PIB en 2004) et le Royaume-Uni (pour lequel ce taux est de 41,6 %).
Le rapport précité du Conseil, entériné par le Conseil européen des 22 et 23 mars 2005, prévoit en revanche que « les objectifs à moyen terme devraient être différenciés et peuvent s'écarter de la position budgétaire proche de l'équilibre ou excédentaire pour un Etat membre en fonction du ratio d'endettement et du potentiel de croissance du moment ».
b) Selon le Conseil, la cible de déficit public ne pourrait être supérieure à 1 % du PIB
Ainsi, les objectifs à moyen terme spécifiques aux différents Etats se situeraient « entre - 1 % du PIB pour les pays à faible dette et à potentiel de croissance élevé et l'équilibre ou l'excédent budgétaire pour les pays à forte dette et à potentiel de croissance réduit ».
Il est spécifié que cette fourchette est définie en termes de solde structurel , corrigé des mesures ponctuell es éventuelles.
Cette fourchette semble s'entendre hors prise en compte des passifs implicites (liés aux dépenses croissantes en raison du vieillissement démographique), qui « devraient être pris en considération dès que les critères et modalités adéquats auront été établis à cette fin et approuvés par le Conseil », la Commission européenne devant présenter à ce sujet un rapport d'ici la fin de l'année 2006.
Elle concerne exclusivement les « différents pays de la zone euro ou participant au SME bis » (Danemark, Slovénie, Lituanie, Estonie), ce qui a pour effet d'exclure, en particulier, le Royaume-Uni.
Il est prévu que « les objectifs budgétaires à moyen terme pourraient être réexaminés lorsqu'une réforme majeure est mise en oeuvre et, en tout état de cause, tous les quatre ans ».
c) Cette contrainte pour la détermination de la cible est-elle justifiée ?
On peut s'interroger sur les raisons qui ont poussé le Conseil a retenir cette fourchette entre - 1 % du PIB et l'équilibre ou l'excédent budgétaire.
(1) Une contrainte qui ne se justifie pas du point de vue de la soutenabilité des finances publiques
La limite inférieure de cette fourchette ne semble pas se justifier du point de vue de la soutenabilité des finances publiques.
Comme cela a été indiqué ci-avant, selon les estimations présentées par le gouvernement dans le rapport déposé en vue du débat d'orientation budgétaire pour 2005, le solde public permettant d'atteindre un objectif de dette publique explicite de 40 % dans 20 ans est compris entre environ - 3 % pour l'Irlande et l'équilibre pour la Belgique .
La fourchette serait du même ordre de grandeur avec un objectif de dette publique de 60 % dans 20 ans, et prise en compte de la dette implicite.
Dans les deux cas, l'objectif de solde public structurel de la France serait de l'ordre de - 1 % .
(2) Une contrainte qui semble découler du souci d'éviter que certains Etats membres aient un déficit public supérieur à 3 % du PIB
La règle, prévue par le rapport du Conseil, selon laquelle la cible de déficit public à moyen terme ne pourrait être supérieure à 1 % du PIB, semble provenir du souci d'éviter qu'un Etat ne se trouve en situation de déficit public excessif.
Comme cela a été indiqué ci-avant, un déficit structurel de 1 % permet en principe à un Etat comme la France d'avoir un déficit public en permanence inférieur à 3 % du PIB.
Cela conduit à s'interroger sur la pertinence de ce seuil de 3 % du PIB pour des Etats comme l'Irlande ou le Royaume-Uni , dont la politique budgétaire semble soutenable avec un déficit public de l'ordre de respectivement 3 % ou 2 % du PIB.
2. La confirmation de l'objectif de réduction du déficit structurel de 0,5 point par an pour les Etats qui n'ont pas atteint cet objectif à moyen terme
Le rapport précité du Conseil confirme l'objectif de réduction du déficit structurel de 0,5 point de PIB par an , pour les Etats qui n'ont pas atteint leur objectif à moyen terme.
Comme cela a été indiqué ci-avant, lors de la réunion de l'Eurogroupe le 7 octobre 2002, les quatre Etats membres alors en déficit (France, Allemagne, Italie, Portugal) se sont alors engagés à réduire leur déficit structurel de 0,5 point par an 42 ( * ) . Il ne s'agit donc pas d'une nouveauté.
Il est précisé que cette règle s'entend « déduction faite des mesures ponctuelles et autres mesures provisoires ».
Comme la fourchette indiquée ci-avant, elle concerne exclusivement les « différents pays de la zone euro ou participant au SME bis » (Danemark, Slovénie, Lituanie, Estonie), ce qui a pour effet d'exclure, en particulier, le Royaume-Uni.
3. La prise en considération des réformes structurelles
La réforme décidée par le Conseil européen prévoit en outre une meilleure prise en compte des réformes structurelles , dans le cadre de la politique budgétaire à moyen terme.
a) Une prise en compte concernant les seules trajectoires d'ajustement
Cette prise en compte des réformes structurelles concerne la seule définition de la trajectoire d'ajustement qui doit conduire à la réalisation de l'objectif à moyen terme.
L'objectif à moyen terme devrait en revanche toujours être atteint « au cours de la période couverte par le programme ». Il faut cependant mentionner une nuance et une exception. Tout d'abord, les objectifs budgétaires à moyen terme « pourraient être réexaminés lorsqu'une réforme majeure est mise en oeuvre ». Ensuite, dans le cas de l'introduction de la capitalisation pour le financement des retraites, les Etats membres pourraient être autorisés non seulement à s'écarter de la trajectoire d'ajustement, mais aussi de l'objectif à moyen terme lui-même.
b) Une définition ambiguë de la notion de réforme structurelle ?
La définition de la notion de réforme structurelle retenue par le Conseil, dans le cadre de la programmation à moyen terme des finances publiques, semble ambiguë.
(1) La Commission européenne souhaitait retenir une définition stricte des réformes structurelles
Lors du déplacement de votre rapporteur général à Bruxelles les 24 et 25 janvier 2005, M. Joaquín Almunia, commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires, a défendu une définition stricte de la notion de réforme structurelle.
M. Joaquín Almunia a alors estimé que la seule définition opérationnelle de la notion de réforme structurelle serait celle d'une réforme qui aggrave le déficit public à court terme, mais produit à long terme un impact positif, pouvant être quantifié, sur le solde public.
Ainsi, M. Joaquín Almunia a indiqué que l'augmentation du déficit public dans les Etats transférant progressivement des moyens financiers à des fonds de pension n'appartenant pas aux administrations publiques pourrait être considérée comme une réforme structurelle devant être exclue du calcul du déficit public au sens du pacte de stabilité.
Inversement, M. Joaquín Almunia a jugé que les réformes structurelles au sens du Conseil européen de Lisbonne ne devaient pas forcément être exclues du calcul du déficit public au sens du pacte de stabilité. Il a cité comme exemple une réforme de la formation professionnelle, qui engendrerait à long terme un supplément de recettes publiques non quantifiable, et donc non susceptible d'être pris en compte.
(2) Une définition ambiguë ?
La définition retenue par le Conseil semble cependant r elativement ambiguë.
Le Conseil prévoit que « seules les réformes majeures qui entraînent directement des économies de coûts à long terme - y compris en renforçant le potentiel de croissance - et qui ont donc une incidence positive vérifiable sur la viabilité à long terme des finances publiques seront prises en compte. Une analyse coûts-bénéfices détaillée de ces réformes du point de vue budgétaire devrait être fournie dans le cadre de l'actualisation annuelle des programmes de stabilité/convergence ».
Si cette définition est dans l'ensemble conforme aux préconisations de la Commission européenne, la formule « y compris en renforçant le potentiel de croissance » semble laisser la place à une certaine subjectivité.
(3) Une attention particulière à la réforme des retraites
Comme exemple de réforme structurelle, le rapport du Conseil mentionne explicitement le cas de la réforme des retraites , dans le cas des Etats qui introduisent un financement par capitalisation.
Comme cela a été indiqué ci-avant, dans ce cas particulier, les Etats membres pourraient être autorisés non seulement à s'écarter de la trajectoire d'ajustement, mais aussi de l'objectif à moyen terme lui-même.
L'écart devrait correspondre au « coût net que représente la réforme pour le pilier géré par les pouvoirs publics, pour autant que cet écart demeure temporaire ».
* 39 Cette résolution prévoit que les Etats membres « s'engagent à respecter l'objectif budgétaire à moyen terme d'une position proche de l'équilibre ou excédentaire, conformément à leurs programmes de stabilité ou de convergence, et à prendre les mesures budgétaires correctrices qu'ils jugent nécessaires pour atteindre les objectifs énoncés dans leurs programmes de stabilité ou de convergence dès qu'ils disposent d'informations indiquant un dérapage sensible, effectif ou prévisible, par rapport à ces objectifs ».
* 40 Une croissance de - 1,5 %, inférieure d'environ 4 points à la croissance potentielle (de l'ordre de 2,5 %), suscite un déficit conjoncturel de l'ordre de 2 points de PIB (en supposant une élasticité des prélèvements obligatoires à la croissance égale à 1, et compte tenu du fait que les prélèvements obligatoires sont en France de l'ordre de 50 % du PIB), ce qui autorise un déficit structurel de 1 point de PIB.
* 41 Le déficit public (en points de PIB) permettant la stabilisation du ratio dette/PIB est égal au produit de la croissance du PIB en valeur et de la dette (en points de PIB).
* 42 A partir de l'année 2004 et pour la France, et de l'année 2003 pour les trois autres Etats membres.