2. La persistance de zones d'ombre
a) Flux offshore : des initiatives actuellement insuffisantes
L'affaire Parmalat, après Enron, a rappelé que les législations nationales se heurtaient à l'opacité de certains flux financiers mondiaux, transitant par des « special purpose vehicles » et rendant ineffectifs les contrôles existants. Le commissaire européen pour le marché intérieur, M. Frits Bolkestein, s'est engagé le 11 février 2004 devant le Parlement européen à renforcer le dispositif de contrôle des sociétés offshore et l'audit des avoirs qui y sont détenus, dans le cadre d'une troisième directive sur le blanchiment des capitaux. La révision de la huitième directive 104 ( * ) sera également l'occasion de poser quelques jalons en renforçant l'indépendance et la supervision du contrôle des comptes. Il faut rappeler que le transit par des zones offshore peut répondre à plusieurs objectifs de natures différentes : évasion fiscale, optimisation comptable, ou blanchiment voire financement du terrorisme.
Dans le cadre du lancement officiel du dialogue entre le CESR 105 ( * ) et la SEC le 7 juin 2004, l'activité des centres offshore est apparue comme un domaine commun de préoccupation, sans engagement formel toutefois. L'activité des paradis bancaires et fiscaux est également l'un des sujets de préoccupation du Forum de stabilité financière (FSF).
Ces initiatives sont insuffisantes, à ce stade, pour assurer véritablement la transparence et le contrôle des flux financiers vers les centres offshore. Pour progresser dans cette voie, il faut nécessairement mettre en place des moyens concrets de connaissance de ces flux.
La LSF a institué quelques mesures préventives, en renforçant le contrôle de certaines professions (commissaires aux comptes, conseillers en investissement financier) ou en élargissant le périmètre de consolidation des comptes. Mais la question des flux financiers vers les zones offshore n'y est pas traitée en tant que telle. Toute initiative nationale serait d'ailleurs insuffisante, considérant l'internationalisation des activités financières et le risque de désavantage compétitif pour notre territoire. Un plan d'action communautaire constituerait donc une meilleure approche. Votre rapporteur général considère néanmoins que la France aurait intérêt à alimenter et à accélérer le débat par des propositions législatives sans portée normative immédiate.
b) Des solutions nécessairement contraignantes
Il ne s'agit pas de stigmatiser les « paradis bancaires et fiscaux », mais d'identifier les « pays et territoires non coopératifs », selon un critère ne prenant pas seulement en compte la question du blanchiment ou du financement du terrorisme. Une première étape pourrait consister à établir une liste communautaire de ces pays et territoires, dont certains se trouvent d'ailleurs en Europe ou sous la souveraineté de membres de l'Union européenne. Une telle liste serait bien évidemment révisable et pourrait s'inspirer des travaux, d'une part, de l'OCDE et, d'autre part, du GAFI (groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux), dont la « liste noire » ne comporte toutefois plus que sept pays et procède d'une double logique technique et diplomatique.
Transparency International France , présidé par M.Daniel Lebègue, a formulé dix recommandations tendant à limiter les flux vers les « paradis bancaires et fiscaux », qui seraient, d'après cette association, au nombre d'une soixantaine. Parmi ces propositions, on peut relever :
- aucune banque ne devrait plus s'installer ou se maintenir dans les territoires non coopératifs ;
- les règles de traçabilité des fonds applicables aux banques devraient être rendues opposables aux établissement de clearing ;
- les entreprises et établissements financiers faisant appel public à l'épargne devraient compléter leur rapport annuel par un chapitre relatif aux diligences réalisées pour satisfaire aux engagements d'intégrité souscrits dans le cadre de la convention OCDE, et plus particulièrement sur leurs relations avec les centres offshore ;
- la communauté internationale pourrait promouvoir des aides spécifiques et conditionnelles à des modes de développement alternatifs aux territoires offshore.
En tout état de cause, une initiative concernant les conventions impliquant des flux vers des territoires non coopératifs devrait consister à responsabiliser en premier lieu l'émetteur, en deuxième lieu les commissaires aux comptes et, en troisième lieu, le régulateur des marchés financiers. L'objectif serait d'instituer une plus grande transparence sur les conventions, contrats et garanties portant sur des flux significatifs avec des territoires non coopératifs, que le marché sanctionnerait le cas échéant.
La principale difficulté à surmonter réside dans l'existence du secret bancaire et du secret professionnel, actuellement opposable aux investigations des commissaires aux comptes. Les auditeurs n'ont, en effet, pas accès aux données des banques et ne peuvent pas réellement recouper leurs informations, faute de réel pouvoir d'investigation. Il paraît indispensable de lever cet obstacle pour permettre une réelle efficacité des mesures envisagées.
* 104 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant le contrôle légal des comptes annuels et des comptes consolidés et modifiant les directives du Conseil 78/660/CEE et 83/349/CEE
* 105 Comité des régulateurs européens (Committee of European securities regulators).