2. Un statut qui n'est pas encore finalisé
a) Les inquiétudes exprimées par les professionnels
La LSF contribue à la reconnaissance d'une nouvelle profession, et la première incertitude a de façon naturelle porté sur le nombre de personnes physiques ou morales potentiellement concernées, comme sur le nombre et l'identité des associations susceptibles d'être agréées. La population des CIF fait l'objet d'estimations très variables, de 3.000 à 10.000 personnes, mais le nombre d'associations a priori représentatives apparaît réduit, inférieur à dix. L'AMF, ainsi que l'on peut le relever dans le texte de sa consultation précitée, préfère accorder son agrément à des associations composées de professionnels spécialisés plutôt qu'à des associations plus transversales : « il n'apparaît pas opportun à l'AMF d'agréer des associations dont l'objet social exclusif n'est pas en rapport étroit avec celui de regrouper des membres exerçant une activité de conseil en investissements financiers à titre habituel de telle sorte qu'il seront soumis au statut de CIF ». Votre rapporteur général partage cette approche, conforme à l'exigence d'efficacité de la régulation. L'application du dispositif pourrait en outre susciter des regroupements d'associations existantes.
Le dispositif concerne prioritairement les conseillers indépendants , qui étaient par définition moins encadrés que les conseillers directement affiliés à un réseau bancaire ou à une société de gestion 86 ( * ) . Les professionnels se sont en premier lieu interrogés sur le point de savoir s'ils étaient concernés par le statut et, dans l'affirmative, s'ils avaient intérêt à y adhérer. La part des conseillers financiers qui estimaient relever de ce statut est dans un premier temps apparue étonnamment peu élevée, et une controverse a pu naître sur le positionnement des conseillers en gestion de patrimoine 87 ( * ) . Il ne fait cependant guère de doute, ainsi que le rappelle l'AMF dans sa récente consultation, que ces derniers ressortissent bien au statut de CIF, et que leur crédibilité peut se trouver renforcée, aux yeux de la clientèle, par le choix du statut. Ce sont d'ailleurs des considérations parfois moins objectives, telles que le refus d'adhérer à une quelconque association, jugée tutélaire ou non représentative par l'intéressé, qui peuvent motiver le rejet du statut de CIF.
Certaines critiques vives ont également été émises à l'encontre du dispositif, au regard notamment de ses liens avec le statut de démarcheur , parfois perçu comme dévalorisant et donc susceptible de « contaminer » la profession intellectuelle de conseiller. L'idée d'une carte unique de « conseiller-démarcheur » a été évoquée, par référence au courtage d'assurance, mais n'apparaît pas cohérente avec la volonté, justement exprimée par le législateur, de ne pas créer un statut mixte du démarcheur-CIF, qui aurait été source de confusion pour l'épargnant. Un tel statut mixte n'aurait en effet pas permis de faire l'économie des deux statuts distincts de démarcheur et de CIF, ce dernier ne prévoyant pas de carte mais uniquement un numéro d'enregistrement.
b) L'inclusion regrettable du conseil en haut de bilan
La consultation de l'AMF est venue apporter une précision sur le périmètre des CIF qui n'avait pas été suffisamment explicitée lors de l'examen du projet de loi. Cette activité recouvre en effet non seulement les prestations de conseil patrimonial, mais également « les prestations de conseil aux entreprises sur des éléments comme la structure du capital ou la stratégie industrielle ». Le « conseil en haut de bilan », exercé à titre de profession habituelle, entre donc dans le champ du conseil en investissements financiers , en application du 3° de l'article L. 541-1 du code monétaire et financier, qui vise notamment les services connexes aux services d'investissement définis par l'article L. 321-2 du même code, parmi lesquels figure « la fourniture de conseil aux entreprises en matière de structure de capital, de stratégie industrielle et de questions connexes ainsi que de services concernant les fusions et le rachat d'entreprises ».
Votre rapporteur général juge que cette disposition législative est regrettable , car ces prestations sont de nature très différente de celle du conseil patrimonial, et s'adressent essentiellement à une clientèle de professionnels. Sa compatibilité avec le droit communautaire, et plus particulièrement avec la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d'instruments financiers, précitée, n'est en outre pas assurée. L'annexe 1 de cette directive classe en effet le « conseil en investissement financier » (au singulier) et le « conseil aux entreprises en matière de structure du capital, de stratégie industrielle et de questions connexes ; conseil et services en matière de fusions et de rachat d'entreprises » dans deux catégories distinctes : les services principaux d'investissement pour le premier, et les services connexes pour le second.
Le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie a toutefois apporté les réponses suivantes à votre rapporteur général, qui contribueront à assurer la compatibilité de notre droit :
« Les conseillers en investissements financiers prévus par les articles L. 541-1 et suivants ne relèvent pas des services d'investissement au sens du code monétaire et financier (ni des services connexes qui ne comprennent que la gestion de patrimoine).
« L'article L541-1 sera modifié lors de la transposition de la directive sur les marchés d'instruments financiers afin d'ériger les CIF en prestataires de services d'investissements comme le prévoit cette directive, postérieure à la LSF. Les autres articles du code relatifs au CIF et le règlement général de l'AMF devront également être adaptés en tant que de besoin ».
c) L'exégèse pertinente de la loi par l'AMF
Outre les points précédemment mentionnés, le texte de la consultation fournit des indications bienvenues sur l'interprétation de l'AMF et les orientations qu'elle compte privilégier pour l'exercice de sa fonction de régulation des CIF. On peut ainsi mentionner les appréciations suivantes :
- l'exercice du conseil à titre habituel pourra être apprécié à l'aune des trois critères cumulatifs suivants : une profession exercée de manière indépendante, « courante » et donnant lieu à rémunération ;
- s'agissant des conditions de compétence requises pour un service de qualité, l'AMF rappelle qu'elles doivent « tenir compte du fait que cette activité implique des connaissances solides en matière financière, bancaire, fiscale et juridique ». Il pourrait ainsi être exigé une spécialisation selon qu'il s'agit de conseil patrimonial ou de conseil en haut de bilan, ce qui paraît effectivement nécessaire. L'expérience professionnelle sera également prise en compte, afin de ne pas exclure les CIF compétents qui ne rempliraient pas les conditions de diplôme ;
- l'obligation déontologique de connaissance du client , également prévue par le régime du démarchage, est détaillée de manière concrète pour les trois éléments suivants : la situation personnelle et financière du client, son profil de risque 88 ( * ) et ses connaissances en matière financière. L'autorité recommande une collecte par écrit de ces informations, selon trois modalités possibles : une « lettre de mission » émanant du client (que votre rapporteur général avait d'ailleurs préconisée dans son rapport de première lecture), une lettre de mission rédigée par le professionnel, ou un formulaire pré-établi ;
- l'obligation de fournir un conseil adapté au client est notamment appréciée au regard des conflits d'intérêt potentiels des CIF exerçant concomitamment d'autres fonctions, telles que celles de placement et de démarchage. Le conseil fourni doit être compréhensible et adapté aux besoins, au profil de risque, à la situation financière et à l'expérience du client. La prestation de conseil, donnée par écrit, devra au minimum exposer les différentes solutions préconisées, les motivations essentielles de chaque préconisation, et les avantages et inconvénients y afférents ;
- l'obligation d'organisation (ressources et procédures) impose des moyens informatiques permettant un archivage des données et un suivi des clients, et que les CIF actualisent régulièrement leurs connaissances juridiques et financières. Ils devraient également se doter de procédures écrites décrivant les modalités de respect et de contrôle des règles de bonne conduite et de leurs obligations au titre de la lutte anti-blanchiment. L'AMF évoque enfin le cas des plates-formes de produits et moyens auxquelles certains CIF ont accès ;
- l'obligation d'information sur les produits éventuellement proposés et sur l'existence de relations avec les établissements promoteurs est rapprochée de celle incombant aux démarcheurs ;
- l'obligation de transparence sur la rémunération perçue suppose que les CIF facturent au client des honoraires de conseil et, s'ils démarchent en outre des produits, qu'ils communiquent le montant des commissions perçues. L'AMF distingue dès lors trois modalités de rémunération du CIF par le client, selon qu'il y a ou non achat de produits financiers ;
- la représentativité des associations est appréciée à travers les trois critères suivants : nombre de cotisants, qualité des membres et qualité des dirigeants. L'aptitude des associations à remplir leur mission se vérifie par l'existence de moyens matériels, humains, techniques et organisationnels adéquats, dont l'autorité fournit de nombreux exemples (présence de permanents, site Internet, nature des procédures d'admission et de sanction, part des cotisations dans le budget...).
L'AMF précise en outre que l'agrément des associations pourrait être soumis au dépôt d'un programme d'activité , a l'instar des sociétés de gestion. Votre rapporteur général approuve cette proposition, qui permet d'établir des critères précis d'agrément et comporte une valeur d'engagement de la part des associations demanderesses.
* 86 Dans sa consultation précitée, l'AMF relève en particulier que :
« Le statut de CIF est exclusif des statuts d'établissement de crédit, d'entreprises d'investissement et d'entreprises d'assurance.
« Si cette exclusion est claire et directement opérationnelle, il existe un risque de confusion dans l'esprit des clients entre la dénomination de conseiller en investissements financiers, pour laquelle le législateur a entendu définir un statut précis, et celle de « conseiller financier », fréquemment utilisée pour les salariés et les démarcheurs de ces établissements et entreprises (pour des fonctions de chargés de clientèle notamment).
« Pour que ce statut de « conseiller en investissements financiers » soit aisément identifié, le client doit pouvoir savoir si le professionnel qui lui fournit une prestation de conseil est un agent lié à des sociétés spécifiques ou un conseiller indépendant ».
* 87 Votre rapporteur général a ainsi rappelé, dans son rapport de première lecture du projet de loi, qu'« une certaine ambiguïté persiste sur les périmètres respectifs des conseils en investissement financier et en gestion de patrimoine », imputable notamment au fait que l'article L. 321-2 du code monétaire et financier, relatif aux services connexes aux services d'investissement, vise le conseil en gestion de patrimoine parmi ces services connexes. Cette disposition, combinée avec celles de l'article L. 341-1 du même code, introduit par l'article 55 de la LSF, a pu laisser penser, à tort, qu'une hiérarchie était implicitement établie entre l'activité de CIF et celle de conseiller en gestion de patrimoine (CGP), alors que cette dernière offre un spectre de prestations potentiellement vaste (conseil financier, juridique et fiscal, immobilier, économique).
Nous sommes en réalité dans deux logiques différentes : une logique verticale de statut juridique et une logique fonctionnelle horizontale. Lorsque l'activité de CGP est exercée à titre de profession habituelle, elle est clairement visée par le statut de CIF en application de l'article L. 341-1 ; si elle est exercée à titre accessoire par une personne relevant d'une autre profession réglementée (expert-comptable ou notaire en particulier), elle ressortit naturellement à cet autre statut.
* 88 Le texte précise ainsi : « pour des placements, quel est l'objectif de rentabilité du client pour quel horizon de temps ? quel est le montant de perte accepté ? quels sont les motivations et les objectifs du client (épargner pour la retraite, protéger ses revenus en cas de maladie ou autre, transmettre son patrimoine, épargner pour un projet particulier) ? »