2. Le poids de l'intervention publique
Les clubs de football professionnel exercent leur activité dans un espace à deux dimensions . Les marchés et les compétitions sur et dans lesquels ils interviennent sont largement internationalisés.
Mais, ils relèvent aussi d'espaces économiques et sociaux nationaux dotés de leurs propres réglementations.
Or, celles-ci sont marquées par des divergences très conséquentes , en particulier dans deux domaines, sur lesquels il faut mettre l'accent.
a) Les prélèvements obligatoires
Les niveaux de prélèvements obligatoires globaux sont très disparates en Europe.
Les prélèvements obligatoires en
pourcentage du produit intérieur brut
Pays |
2000 |
Suède |
53,3 |
Danemark |
48,4 |
Finlande |
46,5 |
Belgique |
46,0 |
France |
45,5 |
Pays-Bas |
41,8 |
Luxembourg |
42,0 |
Autriche |
43,3 |
Italie |
42,3 |
Allemagne |
37,8 |
Royaume-Uni |
37,7 |
Irlande |
31,5 |
Espagne |
35,3 |
Portugal |
34,7 |
Grèce |
38,0 |
UE pondérée |
40,8 |
Source : OCDE, Statistiques des Recettes publiques, 2001.
Des cinq grands pays de football, la France connaît le taux de prélèvements le plus élevé . Cette situation représente globalement un handicap de compétitivité pour les agents privés.
Mais, si ce handicap est nuancé au niveau macroéconomique par des redistributions complexes, il n'en va pas de même pour le football professionnel et l'écart de prélèvements obère , sans conteste , la compétitivité économique d'une activité qui, comme le football, est une activité de main-d'oeuvre internationalement mobile et dont le bilan de ses transferts avec les administrations publiques est , au moins théoriquement 45 ( * ) , défavorable .
De fait, l'examen ce cas-types montre que le coût total du travail pour un club est, en France, sensiblement plus élevé qu'ailleurs en Europe. L'écart diminue avec le niveau de revenu net du joueur , mais il reste toujours important. Les « coins fiscaux et sociaux » atteignent leurs maxima pour les salaires-types les plus élevés . Le coût d'un salaire « net en poche » atteignant 1,8 million d'euros est de l'ordre de 5,7 millions pour un club français. Il n'atteint « que » 3,7 millions en Allemagne, pays qui succède immédiatement à la France dans la hiérarchie.
L'écart absolu est moins élevé pour les niveaux de rémunération plus ordinaires . La charge liée aux prélèvements obligatoires reste toutefois importante. Elle atteint 480 000 euros en France contre 175 000 euros en Italie.
COÛT COMPARATIF DES JOUEURS EN EUROPE POUR LES CLUBS
En euros |
France |
Allemagne |
Espagne |
Italie |
Angleterre |
Type Joueur international |
|||||
Net en poche annuel |
1 800 000 |
1 800 000 |
1 800 000 |
1 800 000 |
1 800 000 |
Salaire brut annuel |
4 302 184 |
3 675 687 |
3 442 621 |
3 354 776 |
2 986 487 |
Coût total club |
5 728 891 |
3 682 519 |
3 453 090 |
3 370 741 |
3 341 879 |
Rapport base 100 |
100,0 |
64,3 |
60,3 |
58,8 |
58,3 |
Type Joueur moyen D1 |
|||||
Net en poche annuel |
219 590 |
219 590 |
219 590 |
219 590 |
219 590 |
Salaire brut annuel |
480 000 |
439 116 |
403 275 |
399 722 |
352 496 |
Coût total club |
699 063 |
445 949 |
427 744 |
414 791 |
394 444 |
Rapport base 100 |
100,0 |
63,7 |
61,2 |
59,3 |
56,4 |
Type Bon joueur D2 |
|||||
Net en poche annuel |
95 513 |
95 513 |
95 513 |
95 513 |
95 513 |
Salaire brut annuel |
180 000 |
187 100 |
166 588 |
170 899 |
147 367 |
Coût total club |
261 733 |
193 933 |
176 719 |
185 545 |
164 904 |
Rapport base 100 |
100,0 |
74,1 |
67,5 |
70,5 |
63,0 |
Source : Deloitte & Touche |
Ces écarts proviennent d'une pluralité de facteurs . L'imposition personnelle du revenu (IRPP en France) joue partout, en Europe, un rôle significatif d'alourdissement potentiel des coûts salariaux des clubs . Cependant, des nuances doivent être relevées du fait des niveaux disparates de taxation marginale dans les pays européens. Quant à lui, le poids des charges sociales totales exerce un effet fortement différencié. Il est particulièrement lourd en France .
b) L'encadrement des clubs
(1) L'encadrement réglementaire
L'encadrement réglementaire des clubs professionnels apparaît aussi très variable.
Sans qu'il soit envisageable, dans le cadre du présent rapport, d'entreprendre une analyse comparative systématique des législations nationales applicables en Europe au football, force est de relever deux domaines où les différences réglementaires sont particulièrement sensibles.
Le premier d'entre eux , qui reste, à ce jour, plutôt symbolique, intéresse l'accès des clubs à l'épargne public .
Hormis, en France, la faculté de faire appel public à l'épargne est partout reconnue aux clubs de football en Europe. Dans les faits, une quarantaine de clubs seraient concernés.
(2) Des contrôles financiers très diversement organisés
Le second élément de différenciation regarde le contrôle financier sur les clubs .
Dans tous les pays, il existe, en théorie, un contrôle financier sur les clubs s'exerçant dans le cadre du droit commun. Les clubs cotés en Bourse, en particulier, sont soumis aux obligations de publication générale et aux contrôleurs financiers prévus par les législations nationales.
En revanche, il n'existe pas , sauf en France et en Allemagne , d'organes de surveillance spécifiquement dédiés à la surveillance financière des clubs et aptes à sanctionner les dérives.
(3) Des tutelles qui fonctionnent souvent à rebours
En outre, si dans tous les pays européens l'organisation du football est structurée selon un modèle pyramidal avec délégations de service public à des fédérations, puis, pour le football professionnel, à des ligues professionnelles, il existe d'importantes nuances.
Le concept de service public n'a pas la même vigueur partout , et la France est certainement le pays où l'idée que le football est une activité d'intérêt général a les plus forts prolongements. En outre, les rapports de pouvoir des différentes structures semblent s'organiser très diversement . Si, dans tous les pays, on relève une certaine autonomisation des ligues qui se traduit par l'affirmation pratique, voire juridique, de leurs prérogatives, ce phénomène est plus ou moins accusé. Enfin, et surtout, l' autonomie des clubs est elle-même fortement variable.
ORGANISATION GÉNÉRALE DU FOOTBALL PROFESSIONNEL
|
FRANCE |
ALLEMAGNE |
ANGLETERRE |
ESPAGNE |
ITALIE |
Autonomie théorique de la Ligue par rapport au Ministère |
Faible |
Forte |
Forte |
Faible |
Faible |
Autonomie théorique de la Ligue par rapport à la Fédération |
Faible |
Faible |
Moyenne |
Forte |
Faible |
Statut juridique de la Ligue |
Association |
Association + Société commerciale |
Société commerciale |
Association |
Association |
Indépendance opérationnelle de la Ligue |
Moyenne
|
Forte |
Forte |
Moyenne |
Moyenne |
Composition du Conseil d'Administration |
Clubs, membres individuels, joueurs, entraîneurs, etc. |
Clubs |
Executive Board |
Clubs |
Clubs |
Autonomie des clubs de D1 |
Faible |
Faible |
Forte |
Moyenne |
Moyenne |
Flux financiers
|
Environ 3,2 millions d'euros |
A peu près nuls |
Nuls |
Environ 3,5 millions d'euros |
A peu près nuls |
Autres flux financiers |
Ligue FNDS : 5 % des droits TV |
- |
Ligue Football Foundation : 5 % des droits TV |
- |
- |
Source : DELOITTE & TOUCHE, décembre 2001.
Si, sur certains points, les données qualitatives mentionnées dans le tableau ci-dessus peuvent apparaître contestables, elles reflètent une certaine réalité.
Ainsi, la puissance de certains clubs évoluant dans les championnats étrangers est certainement très supérieure à celle des clubs français les plus puissants . Leur autonomie plus grande s'y exprime dans des systèmes où les ingrédients d'un tel statut sont réunis, que ce soit au plan financier (avec des chiffres d'affaires élevés), au plan juridique, avec une reconnaissance plus poussée des droits individuels (notamment des droits de propriété sur les retransmissions télévisées) ou, au plan symbolique, avec l'identification entre ces clubs et certains propriétaires ou « tutélaires » puissants (le Milan AC détenu par le Président du Conseil italien en fournissant un parfait exemple).
Ces faits ne sont pas anodins . La variabilité d'effectivité des tutelles conduit, d'abord, à accroître la distance entre des clubs participant aux mêmes compétitions et, ainsi, à atténuer la dynamique égalitaire du « modèle » du football européen .
En outre , phénomène primordial pour l'équilibre économique du football, le fonctionnement à rebours de certaines tutelles contribue à créer des situations d'aléa moral .
Dans le jargon des économistes, celui-ci désigne le phénomène selon lequel un acteur économique, s'estimant garanti contre les risques de ses décisions, sous-estime systématiquement ceux-ci et adopte des comportements qu'un acteur normalement exposé aux risques, ne suivrait pas. Dans une telle situation , les déséquilibres financiers et l' inflation des transactions sont tout particulièrement à redouter. Ceux-ci , à leur tour , sont à l'origine d'une déstabilisation en chaîne de l'ensemble des marchés concernés.
Le creusement des déséquilibres financiers d'un grand nombre de clubs européens, en général les plus puissants, et l'inflation des valeurs prises par un certain nombre de transactions (les transferts) ou de charges (les salaires) témoignent de l'existence dans le football d'un phénomène puissant d'aléa moral .
* 45 En la matière, il est en effet très difficile d'établir un bilan donnant une image fidèle des différentes situations rencontrées en Europe. Comme on l'a déjà relevé, les interventions publiques en faveur du football professionnel prennent, dans certains pays, une ampleur très conséquente.