2. Les « droits du football », un vecteur stratégique pour le développement des chaînes privées, un « prix mixte »

L'épisode récent de mise aux enchères des « droits TV » en France invite à estimer que l'intérêt porté par les groupes de télévision français au football professionnel est justifié par des intérêts commerciaux vitaux. Incidemment, il conduit aussi à s'interroger sur la capacité des groupes à maîtriser leur participation au marché très particulier des droits de retransmission télévisée. Cette observation n'est pas propre à la France.

Les paysages audiovisuels en Europe ont considérablement évolué, ces dernières années. Le pluralisme est apparu et la concurrence entre les opérateurs avec lui. La télédiffusion des compétitions de football est au coeur de cette concurrence .

Ainsi, le paysage audiovisuel français se caractérise désormais par le pluralisme , sinon de son contenu, du moins de ses acteurs. Une diversification des chaînes s'est, en outre, produite avec l'apparition de chaînes payantes regroupées dans deux bouquets concurrents principaux, Canal Satellite et TPS. Ce processus de libéralisation des paysages audiovisuels a été partout présent en Europe et, avec lui, l'intensification de la concurrence entre les opérateurs privés.

L' augmentation des prix des droits de télédiffusion des compétitions de football lui a été concomitante et la retransmission des compétitions, et notamment des matches du championnat de France de football, s'est révélée être un enjeu majeur de la concurrence entre les opérateurs .

Ainsi, le niveau des recettes issues de la commercialisation des « droits-TV » apparaît étroitement dépendant de la configuration de l'audiovisuel dans les différents pays. Un rapide rappel des grands équilibres des paysages audiovisuels nationaux est utile à ce titre.


BREF APERÇU DU PAYSAGE AUDIOVISUEL EN EUROPE

Les paysages audiovisuels nationaux en Europe sont marqués par la coexistence au sein de chaque pays d'une pluralité d'intervenants avec des opérateurs publics d'un côté et des privés de l'autre. La demande de programmes est donc, en théorie, atomisée et les opérateurs sont en concurrence.

Un autre trait important doit être relevé : les marchés audiovisuels nationaux possèdent des caractéristiques propres. Deux d'entre elles ont une réelle influence sur les ressources potentiellement mobilisables au profit du football : les réglementations applicables en matière de programmation ou d'obligations de financement des oeuvres culturelles, les montants financiers drainés par les opérateurs.

I - UNE STRUCTURE DES PAYSAGES AUDIOVISUELS MARQUÉE PAR LA PLURALITÉ DES INTERVENANTS :

ALLEMAGNE :

Le paysage audiovisuel allemand se compose de :

- Trois chaînes publiques : ZDF, ARD 1, ARD 3, qui regroupe en fait les différentes chaînes des Länder.

- Et des chaînes privées : RTL, RTL 2, Sat 1, Pro 7.

ROYAUME-UNI :

- Deux chaînes publiques : BBC 1, BBC 2.

- Channel Four - qui présente l'originalité d'appartenir à l'Etat, mais dont les ressources sont exclusivement publicitaires et commerciales. Elle n'appartient pas au groupe BBC.

- Deux chaînes privées : ITV (Channel 3), la principale chaîne privée, regroupant programmes nationaux et régionaux, Channel 5, créée en 1997.

Et de multiples bouquets satellite et câble (Sky Digital, par exemple).

ITALIE :

L'Italie présente un paysage audiovisuel bipolaire, entre réseau privé et réseau public. Il se compose de :

- Trois chaînes publiques :

RAI Uno

RAI Due

RAI Tre

- Trois chaînes privées appartenant au même consortium Médiaset :

Canale 5

Italie 1

Rete 4

Enfin, un troisième pôle, La7, est arrivé récemment sur le marché audiovisuel italien.

ESPAGNE :

Comme l'Allemagne, l'Espagne présente la particularité d'un paysage audiovisuel éclaté du fait de l'importance des chaînes régionales.

On peut décomposer en trois le paysage espagnol :

- Les chaînes publiques, toutes deux gérées par la RTVE : TVE 1 et La 2.

Les deux chaînes ne disposent que depuis une date récente - 1992 - d'aides publiques. Avant cette date, le financement était exclusivement privé (publicité et autres revenus commerciaux).

- Les chaînes privées, créées à partir de 1989 : Tele 5 (en clair), Antena3 TV (clair), Canal + (chaîne hertzienne à péage).

- Les chaînes régionales.

Chaque communauté (Pays Basque, Catalogne...) dispose de sa ou ses chaînes de TV :

- TV 3 et Canal 33 pour la Catalogne

- TVG en Galice

- ETB 1 et ETB 2 en Pays Basque

- Canal Sur en Andalousie

- Telemadrid dans la région madrilène

- Canal 9 dans la communauté de Valence

II - APERÇU SUR LE FINANCEMENT DES CHAÎNES EUROPÉENNES

A. Les chaînes publiques

Les chiffres d'affaires des différents acteurs publics sont très dispersés : ARD en Allemagne et la BBC au Royaume-Uni se détachent nettement, suivies par la RAI italienne. Les chaînes publiques françaises occupent, séparément, un rang modeste.

Ressources des chaînes publiques européennes en 2001 (milliers d'euros)

 

ARD

BBC

RAI

France TV

Redevance

4 799 070

3 826 569

1 350 076

1 431 800

Subventions et aides étatiques

-

387 370

82 092

-

Publicité & parrainage

353 914
(6,2 %)

-
(0 %)

1 054 962
(38,3 %)

617 000
(28,4 %)

Autres recettes

82 045

109 109

16 630

-

Total

5 788 235

5 644 464

2 752 943

2 172 300

 

(suite)

ZDF

RTVE

Channel Four

France 3

France 2

Redevance

1 486 094

-

-

723 220

582 120

Subventions et aides étatiques

-

70 977

-

-

-

Publicité & parrainage

163 734
(9,2 %)

597 877
(73,3 %)

1 022 126
(79,4 %)

251 000
(23,3 %)

350 530
(34,7 %)

Autres recettes commerciales

100 324

111 800

246 570

100 870

40 750

Autres recettes

19 246

34 722

-

4 690

37 600

Total

1 769 398

815 376

1 268 696

1 079 780

1 011 000

Source : Observatoire Européen de l'Audiovisuel/France Télévision pour FR.3 et F TV consolidé

Les structures de recettes des chaînes sont elles-mêmes disparates : les deux plus grandes chaînes publiques européennes sont, soit peu (ARD) soit nullement (BBC) dépendantes de la publicité, ce qui a pour effet de libérer le marché publicitaire au profit des intervenants privés. Pour les acteurs français et italiens, une proportion importante, mais minoritaire, de leurs ressources proviennent de la publicité qui finance plus des ¾ de la TVE (Espagne) et de « Channel Four » (Royaume-Uni).

B. Les chaînes privées

Les groupes privés ont une puissance financière désormais considérable qui provient de leur capacité à attirer la majeure partie des recettes publicitaires nationales mais est aussi liée à l' essor de leurs recettes commerciales , notamment, pour les chaînes payantes, des abonnements .

Aperçu des chiffres d'affaires de certains opérateurs privés

( en millions d'euros en 1999 )

Mediaset (Italie)2 041RTL Television (Allemagne)1 567Sogecable (Espagne)567,2Canal + (France)1 648TF1 (France1 379,2British Sky Broadcasting (Royaume-Uni)2 648,8Source : Observatoire européen de l'audiovisuel.

Le tableau ci-dessus fait toutefois ressortir une nette hiérarchie des groupes privés : les opérateurs britannique et italien se distinguent.

Le développement des intervenants repose pour partie sur leurs recettes publicitaires.

Part du marché des dépenses publicitaires à la télévision des chaînes privées

(en  %)

AllemagneRoyaume-UniFranceItalieEspagne 92,5 100706870

Dans l'ensemble des pays, les chaînes privées mobilisent une part majoritaire des dépenses de publicité réalisée à la télévision par les annonceurs. Particulièrement élevée au Royaume-Uni et en Allemagne 13 ( * ) , cette part avoisine 70 % du marché en France, Italie et Espagne. Cette situation est elle-même le résultat de réglementations nationales qui encadrent différemment la publicité sur les télévisions publiques. Le développement plus avancé du marché publicitaire au Royaume-Uni et en Allemagne amplifie l'avantage comparatif des opérateurs privés dans ces pays.

Mais, les autres recettes commerciales jouent aussi un rôle important . C'est en particulier le cas au Royaume-Uni où le groupe BSB 14 ( * ) réunirait environ 10 millions d'abonnés , chiffre à comparer aux 3,5 millions d'abonnés aux deux plates-formes payantes présentes en France.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Pour conclure sur ce bref aperçu, il semble bien exister une relation directe entre le renforcement de la concurrence entre les chaînes de télévision, leur niveau de ressources et leur contribution au financement du football européen . Le Royaume-Uni est la plus parfaite illustration de la relation entre le niveau du chiffre d'affaires des chaînes et le prix des droits. Le « rattrapage » observé en France en ce qui concerne le prix des droits traduit, quant à lui, les effets de la concurrence entre opérateurs.

Le prix atteint par les droits de retransmission a donc une dimension mixte : d'un côté, il est influencé par les ressources des acheteurs, de l'autre, il varie en fonction de l'état de la concurrence existant entre eux.

Cette « mixité » a des conséquences pratiques : plus la contrainte concurrentielle l'emporte sur la contrainte financière aux yeux des acheteurs, moins la stabilité des comportements des acheteurs est garantie du fait de probabilités plus élevées de « sur-valorisation », génératrices de déséquilibres pour les firmes. La survenance de plusieurs faillites de groupes audiovisuels suite à des investissements excessifs dans le football traduit concrètement de tels enchaînements .

* 13 En raison de réglementations interdisant ou restreignant le recours au financement publicitaire.

* 14 BSkyB.

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