Audition de M. Jean-Pierre
MAILLES,
Conseiller technique chargé de l'enseignement
supérieur
à l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) -
Education
(17 décembre 2003)
Présidence de M. Jacques VALADE, président
M. Jacques Valade, président - Nous poursuivons notre série d'auditions sur la situation de l'université.
Ces auditions s'inscrivent dans un cadre de réflexion plus large, que nous conduisons sur l'état actuel de l'université, sur les nouvelles dispositions relatives au système LMD, sur l'amélioration de son fonctionnement, notamment sa place dans la Nation, en Europe et dans le monde.
Vous êtes conseiller technique chargé de l'enseignement supérieur de l'UNSA-Education.
J'aimerais que vous nous précisiez le contour de votre responsabilité, la place de votre syndicat, ainsi que votre activité professionnelle au sein de l'université.
M. Jean-Pierre Mailles - L'UNSA-Education est sans doute plus connue sous le nom de FEN (Fédération de l'éducation nationale). Elle a changé de nom en se rattachant à une confédération regroupant l'ensemble des professions, et sortant du monde de l'éducation nationale pour que toutes les catégories de salariés se confrontent.
Il s'agit d'une fédération de syndicats. Je suis moi-même secrétaire général du syndicat Sup-recherche, qui regroupe des enseignants, des enseignants-chercheurs et des chercheurs de l'enseignement supérieur.
Les résultats récents des élections au comité technique paritaire universitaire nous placent en 4 e position pour les enseignants-chercheurs avec 11 % des voix, le SNESUP ayant obtenu 36 % des voix, le SGEN 19 %, la Fédération des syndicats autonomes 17 % et Sud 7 %.
Je suis statisticien, enseignant-chercheur à l'université Paris I en mathématiques appliquées.
Il faut distinguer les deux sujets que sont le dispositif LMD et l'autonomie des universités.
L'harmonisation européenne des diplômes est une réforme importante qui est venue progressivement à maturité. Elle a été lancée par M. Claude Allègre en 1998, puis poursuivie par M. Jack Lang.
Cette réforme a toujours été considérée avec bienveillance de la part de l'UNSA-Education. Nous sommes réformistes. Nous n'avons pas, en général, d'opposition a priori sur les projets de réforme.
Elle est devenue vraiment opérationnelle à partir de 2001 et a été conçue lentement jusqu'en avril 2002 avec beaucoup de négociation et de réflexion. Le vote du CNESER s'est déroulé en novembre 2001. Les grands traits généraux de la réforme ont été présentés, avec l'instauration de paliers qui permettent de repérer les niveaux de formation en Europe (LMD). Malgré quelques oppositions, le CNESER a largement approuvé ces textes. Les choix auraient pu être différents, mais la tendance vers un niveau bac + 3 comme vers bac + 5 est générale. Par exemple, le niveau licence est celui du recrutement des cadres A dans la fonction publique. De même, il existe une pression des étudiants pour s'inscrire en DESS après une maîtrise. Les textes ont été signés avant les élections présidentielles.
La période de négociation s'est déroulée de manière très satisfaisante. Ce fut une bonne procédure d'instaurer cette réforme, qui porte le nom d'harmonisation européenne. Elle change la nature des études, c'est-à-dire les cursus pré-établis. Car elle permet à l'étudiant de construire des parcours de formation, avec une autonomie dans ses choix et une souplesse. Les universités peuvent ainsi proposer des parcours diversifiés, facilement adaptables pour répondre à des évolutions sur le plan de l'insertion professionnelle. Il était important d'instaurer cette souplesse dans les cursus proposés aux étudiants.
En même temps, deux autres lois sont venues compléter et améliorer le système universitaire : les articles sur la validation des acquis de l'expérience, qui ont bénéficié d'un succès plus qu'attendu, et les textes d'application de la loi sur l'innovation, qui permettent d'établir des passerelles entre la recherche publique et la recherche privée, et d'impliquer l'université dans la vie économique de notre pays.
Ces réformes ont été appliquées consciencieusement et progressivement. Les enseignants se sont fortement impliqués. Le changement s'est opéré en particulier lors de la renégociation du contrat quadriennal de l'université.
Comme toute réforme, des inquiétudes, des oppositions plus ou moins justifiées sont apparues.
Déjà l'an dernier, une certaine agitation à propos du LMD s'était manifestée dans les universités. Cela avait amené l'UNSA-Education, avec trois autres organisations, le SGEN-CFDT, la FAGE et la FCPE à nous exprimer sur ce sujet pour apporter notre soutien au dispositif LMD. D'ailleurs, une séance de travail avait été organisée avec le ministre et la CPU. Nous avions présenté des points qui nous semblaient à préciser.
Cette année, l'agitation est revenue, à mon appréciation, plutôt moins importante que l'an dernier. En dehors d'une certaine persistance du contexte politique et social du printemps, deux autres facteurs sont à prendre en compte.
Dans la mise en place de cette réforme, le ministère n'a pas été aussi diligent qu'il aurait pu l'être. Je prendrai quelques exemples. Les textes avaient instauré un comité de suivi pour les diplômes de licence et de master, qui est le corollaire de textes moins stricts sur les diplômes nationaux. Un comité de suivi avait déjà été établi lors de la mise en place de la licence professionnelle. Le ministère a beaucoup tardé à installer ce comité de suivi de la réforme LMD.
Un autre exemple concerne la suppression envisagée des IUP. La structure administrative peut être supprimée, mais la pédagogie et la formation IUP doivent être conservées. Il fallait permettre aux IUP de perdurer sous une forme sans doute différente. On a laissé planer le doute. Au mois de novembre, les étudiants et les responsables d'IUP ont manifesté pour obtenir des circulaires d'application en attente. Il aurait été préférable de les publier plus tôt.
De même, sur le supplément de diplôme qui suscite des inquiétudes et des oppositions de principe, il revient aux enseignants de fixer le contenu. Parallèlement, les procédures administratives d'habilitation ont été un peu pointilleuses.
Le deuxième facteur de difficulté dans la mise en oeuvre du LMD se situe au niveau du budget. Il est très difficile de mettre en place une réforme à moyens constants. Il n'a été prévu aucune création de poste d'enseignant-chercheur. Les universités en croissance ou les plus dynamiques dans la création de nouveaux diplômes sont lésées, car les redéploiements de postes sont très difficiles à concevoir.
Cette réforme est très novatrice, mais elle demande des moyens.
M. le Président - En ce qui concerne les comités de suivi, le ministre, lors de son audition, paraissait très favorable, sans doute oubliant que la mise en place avait un peu tardé.
Vous avez évoqué les créations d'emplois. Sur ce point, deux éléments sont à prendre en compte. Même si les équipes pédagogiques travaillent à moyens constants, il est indispensable de redistribuer les cartes et d'assumer la mise en place de la nouvelle pédagogie. Certes, il faut peut-être investir des moyens nouveaux, mais cela se fera sur des objectifs bien précis, des finalisations d'utilisation des moyens supplémentaires, dans le cadre de contrats qui pourraient être quadriennaux, avec le développement des expérimentations et une évaluation. Un rapport d'exécution de ce contrat conditionnerait, soit la poursuite, soit l'abandon ou l'inflexion de ces moyens nouveaux.
J'ai trouvé de la part du ministre une écoute satisfaisante et qui paraît satisfaire, notamment, la CPU.
M. Jean-Pierre Mailles - Nous sommes d'accord, sous réserve d'en connaître les modalités.
Le système San Remo n'est pas la panacée. Il est possible de trouver d'autres critères d'attribution des moyens, pourquoi pas le contrat. Cependant, il faut maintenir les équilibres et le rôle régulateur de l'Etat.
Je serai plus critique sur la réforme des structures de l'université. Le problème est mal engagé.
Un des premiers thèmes discutés a été celui du renouvellement du mandat du président. C'est un problème second qui a créé des crispations. Une loi a été proposée qui s'est d'abord nommée régionalisation, puis autonomie, avant de devenir modernisation. Je ne vois pas le point commun entre ces trois concepts. Comment voulez-vous mobiliser la communauté universitaire avec ses opinions diverses, s'il n'est pas indiqué clairement ce qu'il est envisagé de faire ?
Sont apparus ensuite les établissements publics de coopération universitaire, dont on ne connaît pas vraiment la finalité : le problème n'a pas été posé clairement.
Si le Gouvernement souhaite entreprendre des réformes, il est nécessaire de lancer un débat. Lors de l'établissement de la loi de 1984, il y a eu au moins une année de débat dans la communauté universitaire, dans le pays et au sein des responsables. Je garde le souvenir d'une réflexion. Aujourd'hui, elle n'existe pas.
Je discerne quatre débats, qui devraient avoir lieu, sur lesquels le ministre et le Gouvernement devraient prendre position. Le premier débat est celui de la carte universitaire. La carte universitaire a été construite sur des critères politiques en 1968, et modifiée par la volonté de quelques maires qui ont souhaité avoir un site universitaire. Le maillage universitaire n'est pas forcément bon. Faut-il restreindre le nombre d'universités, redistribuer la carte des DEA, établir des liaisons entre telle ou telle formation de la recherche au niveau européen ? Il faut avoir le courage d'en débattre.
J'identifie un deuxième sujet qui est le rapport aux partenaires, aussi bien les régions que le tissu économique. L'université est une chance pour une région. Dans le cadre d'un contrat, il est possible de l'élargir à d'autres partenaires avec des règles claires et transparentes, le monde universitaire et le tissu économique y trouveront une valorisation.
Le troisième problème concerne la gouvernance des universités. Quel est le type de président d'université souhaité ?
Le statut actuel a été défini pour ne pas donner trop de poids au président d'université, par rapport aux directeurs des UFR. Aujourd'hui, compte tenu de l'existence d'un contrat, le président est obligé de composer avec des conseils élus en cours de mandat. C'est une affaire d'équilibre entre responsabilité du président devant les conseils, concomitance de l'élection du président avec celle des conseils, négociation du contrat quadriennal...
Le dernier point envisagé est la place du personnel dans l'université, notamment le statut des enseignants qui est appelé à évoluer. L'enseignant doit aujourd'hui participer à la vie de la cité. Nous devons tenir compte de toutes les tâches de nos collègues, recherche, enseignement, administration et même engineering éducatif. Ces quatre facettes de notre métier pourraient être rééquilibrées, afin que l'université remplisse toutes ses missions.
M. le Président - Devant l'impossibilité de régler les problèmes locaux, j'avais été sensible à une demande formulée par la CPU relative à la possibilité de renouveler dans leurs fonctions des hommes ou des femmes qui avaient donné satisfaction.
Par conséquent, j'avais introduit cet amendement qui était très partiel et ne s'inscrivait pas dans une réflexion d'ensemble.
M. Daniel Eckenspieller - Pensez-vous que l'harmonisation européenne des diplômes entraînera une plus grande mobilité des étudiants français vers un certain nombre de pays étrangers et un accueil plus important d'étudiants étrangers en France ?
J'aimerais connaître votre sentiment concernant l'orientation des étudiants. Ces dernières années, des étudiants se sont dirigés massivement vers des formations en sciences humaines, en éducation physique, qui offrent aujourd'hui peu de débouchés professionnels.
Comment vivez-vous la validation des acquis de l'expérience ?
Enfin, les présidents d'université que j'ai rencontrés sont très demandeurs d'une plus grande autonomie, notamment en faisant état de la nécessité d'une meilleure cohérence avec l'environnement social et économique.
M. Victor Reux - Je voudrais simplement faire une réflexion sur l'harmonisation des diplômes qui me paraît être une certaine copie de ce qui se passe dans les pays anglo-saxons. Que devient dans ce système le concours de l'agrégation ?
M. le Président - Le ministre a pris acte de la nécessité du maintien de la maîtrise pour préparer les concours du second degré. Le système n'est pas bloqué.
M. Jean-Pierre Mailles - Je souhaite que la mobilité devienne effective. Le frein sera lié aux conditions matérielles. Il serait souhaitable de développer par les CROUS les cités universitaires et le logement étudiant. Le ministre s'y est engagé lors du congrès de la FAGE. La mobilité se situera plutôt en fin de cursus universitaire. Elle sera d'autant plus facilitée si en même temps se développent les liaisons entre les laboratoires et les programmes de recherche de la Communauté européenne.
A propos de l'orientation, je vais plaider non coupable pour les universitaires, qui sont déjà tributaires de ce qui se passe en amont. L'orientation s'opère suivant la hiérarchie des filières et les qualités supposées des élèves dans le second degré.
Dans l'enseignement supérieur, les meilleurs taux d'encadrement se situent dans des filières qui devraient être réservées aux bacheliers technologiques ou professionnels. Je parle des IUT. On sait que nombre de bacheliers scientifiques cherchent à y entrer. Certes, des efforts ont été faits pour faire évoluer la situation.
A l'université, je ne suis ni pour ni contre la sélection. Elle existe forcément. Je ne suis pas capable de dire quel étudiant réussira son DEUG. On peut certes dessiner des profils de réussite.
Il est nécessaire d'informer les étudiants sur les diplômes. Plus l'étudiant a un projet professionnel précis et fiable, plus ses chances de réussite sont importantes.
L'orientation est une question difficile. Il faudrait avoir le courage de dire qu'il y a 10 % de places au CAPES de STAPS par rapport au nombre d'étudiants qui rentrent dans cette filière. Il faut résister aux effets de mode sans exclure telle ou telle catégorie d'étudiants.
M. le Président - M. Mailles, je vous remercie de la clarté de vos propos.