D. LE PIÈGE DE LA DRAMATISATION MÉDIATIQUE
Bien sûr, il existe des cas de maltraitance suffisamment graves pour justifier la saisine de la justice, ainsi qu'une maltraitance insidieuse qui agit au quotidien.
Néanmoins, et plusieurs personnalités auditionnées par la commission d'enquête l'ont confirmé, la médiatisation de certaines affaires a engendré dans l'opinion publique une vision faussée du monde du handicap . C'est en effet la maltraitance à caractère sexuel qui fait l'objet d'un traitement outrancier et sensationnel 19 ( * ) .
Cette présentation est à l'origine d'une peur irrationnelle du risque chez les parents, tandis que les travailleurs sociaux et les associations en ont beaucoup souffert et se sont sentis injustement désignés comme boucs émissaires.
Lors de son audition, M. Laurent Coquebert, directeur général par intérim de l'UNAPEI, a estimé à juste titre qu'il fallait éviter de traiter les cas de maltraitance dans la précipitation :
«
Il faut, bien évidemment, traiter les
faits de maltraitance avec intransigeance et sévérité.
Pour autant, sans doute ne faut-il pas confondre vitesse et
précipitation. Le climat actuel n'a malheureusement pas
été propice, dans un certain nombre de cas, à la distance
et à l'analyse objective que doivent appeler des faits aussi graves. Il
faut faire preuve de la plus grande vigilance et intransigeance, mais
également se comporter de façon responsable.
(...)
Il
faut s'assurer un minimum de la véracité des faits.
(...)
Si une suspicion de maltraitance se traduit par l'arrivée d'un
escadron de gendarmerie, je ne suis pas persuadé, à titre
personnel, que le remède ne cause pas, au total, plus de
dégâts que le mal lui-même, en particulier si les faits ne
sont, en définitive, pas avérés. Je crois qu'il faut
manifester la fermeté et l'intransigeance les plus absolues mais aussi
faire preuve de tact et de doigté dans le traitement de ces
affaires
».
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La pertinence de ces propos a d'ailleurs été confirmée par une affaire relatée à la commission d'enquête par Mme Camille Blossier, conseiller technique à l'association Perce-Neige, dans laquelle un membre du personnel d'un établissement de l'association a été, selon l'expression du rapporteur de la commission d'enquête, « sacrifié » au nom de la préservation de la réputation de l'association. Cette affaire, dans laquelle la vérité n'a jamais pu être faite, illustre parfaitement les limites de l'application précipitée du principe de précaution .
« Nous en avons connu quelques-uns [des cas de maltraitance] , dont un sérieux. Il s'agissait d'une jeune fille qui s'était plainte auprès de ses parents de la proximité trop grande d'un éducateur. Cette plainte a abouti au licenciement du salarié suspect. (...) Dans ce dernier cas, la situation est particulièrement difficile à éclairer. (...) « L'enquête menée avait conclu à l'impossibilité de conclure... L'association s'est donc séparée de ce professionnel car il avait de toute façon au moins fait preuve d'une attitude maladroite. (...) »
M. Christophe Lasserre-Ventura, président de
l'association, a ajouté que «
l'affaire en question a
démontré qu'il existait un doute.
(...)
J'ignore si
l'association a fait le bon choix. Mais nous accordons notre priorité
à l'accueil des personnes handicapées mentales. Au regard de
cette situation, la décision a été prise au risque de
commettre une erreur. Nous ne savons en effet toujours pas aujourd'hui si le
licenciement de ce salarié était ou non légitime.
(...)
Dans le cas présent, l'enquête n'a pas permis de
déterminer si les faits étaient avérés ou non. Si
le salarié sait pertinemment qu'il n'a rien fait d'illégal, il
peut s'estimer victime à juste titre
».
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La commission d'enquête reprend tout à fait à son compte les propos tenus devant elle par M. Roland Broca, président de la FFSM : « un dirigeant d'établissement n'a pas à se substituer à la justice et ne peut donner les garanties d'une enquête impartiale et d'un jugement adapté à la situation. [...] La priorité des institutions est d'éviter le scandale, avec comme premier souci de ne pas ternir la réputation de l'établissement, de régler la situation en interne, en vase clos, sans réaliser que l'on est dans le non-droit et dans l'abus de pouvoir. Le but étant de protéger l'institution, plus que de protéger l'usager ».
La commission d'enquête estime que, si la maltraitance est une réalité indéniable, elle ne constitue pas le lot quotidien des personnes handicapées accueillies en établissements . La difficulté des tâches des travailleurs sociaux impose une extrême prudence et une grande rigueur dans l'exposé des faits. Or, un traitement médiatique sans doute parfois excessif a donné l'impression que les travailleurs sociaux étaient tous des violeurs et des assassins, restant, qui plus est, impunis pendant si longtemps que leurs crimes étaient finalement prescrits !
De surcroît, des intentions malveillantes, par exemple à l'endroit des centres d'aide par le travail, n'ont pas non plus été absentes. L'esprit polémique mais aussi le souci de faire parler de soi ont pu conduire à produire des analyses dépourvues de fondements sérieux dignes d'une investigation rigoureuse.
* 19 A cet égard, le Livre blanc de l'UNAPEI indique que « l'analyse de la presse sur une période de 8 semaines montre que, sur les 115 affaires de maltraitance traitées, 93 % d'entre elles concernaient des affaires d'abus sexuels (viol, inceste, pédophilie) ».