EXAMEN EN COMMISSION

Dans sa séance du mardi 5 novembre 2002, la Commission des Affaires économiques a procédé à l'examen du rapport de la mission d'information « avenir de l'élevage, enjeu territorial, enjeu économique ».

M. Jean-Paul Emorine, président de la mission d'information sur l'avenir de l'élevage, s'est félicité du travail accompli au sein de la mission d'information, précisant que celle-ci avait conduit une trentaine d'auditions au Sénat et effectué neuf déplacements en province, à l'invitation de conseils généraux et régionaux.

M. Gérard Bailly, rapporteur, a tout d'abord constaté que l'élevage constitue un enjeu territorial déterminant pour la cohésion spatiale de la France et que la fragilisation structurelle de la filière de l'élevage peut amener des bouleversements économiques, environnementaux et sociaux, dont l'ampleur demeure insoupçonnée.

Il a observé qu'outre des charges et des surcoûts croissants, les éleveurs supportent, aujourd'hui, les conséquences des crises récentes qui ont provoqué une érosion de leurs revenus et, à leurs yeux, une perte de confiance de la société, ainsi que la cessation de l'activité d'un nombre croissant d'exploitants.

Dans les zones rurales fragiles, a estimé le rapporteur, cette évolution menace la pérennité d'acteurs économiques fortement dépendants de la présence d'éleveurs (abattoirs, vétérinaires ou PME) et des services publics de proximité (écoles, bureaux de postes ou petits commerces) ; aussi bien l'existence de nombreuses communes rurales est-elle en jeu, car la régression de l'élevage accélérerait la déqualification des paysages, l'extension des friches et la fermeture des vallées.

M. Gérard Bailly, rapporteur, a observé que les éleveurs devaient de plus en plus s'accommoder de nouveaux usages des territoires ruraux gênants pour leur activité, alors même que des contraintes particulières pèsent sur l'élevage, notamment en montagne, avant de présenter les propositions de la mission d'information.

S'agissant des problèmes liés à l'installation et à la maîtrise du foncier, il a proposé :

- de faciliter la pratique du fermage et d'utiliser le levier fiscal pour encourager l'installation, ainsi que de donner aux SAFER les moyens de mener une politique de stockage en faveur des jeunes agriculteurs ;

- de permettre le versement de la deuxième fraction de la « dotation jeune agriculteur » (DJA), dans le cas où un jeune installé n'a pas atteint ses objectifs en raison de difficultés conjoncturelles ;

- d'encourager l'installation par des prêts de carrière, à échéance longue et à taux d'intérêt bonifié ;

- de favoriser, dans les zones menacées de déprise, la construction de bâtiments-relais.

Afin d'améliorer l'environnement économique et juridique des exploitations d'élevage, il a proposé :

- de soutenir davantage la construction et la modernisation des bâtiments d'élevage ;

- d'adapter le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA), en n'imposant pas la mise aux normes aux éleveurs dont la pérennité de l'exploitation n'est pas assurée, ou encore en prévoyant l'attribution de soutiens renforcés aux projets collectifs de traitement des lisiers ;

- de revaloriser les aides à la mécanisation, dans les zones de montagne où certains matériels agricoles ont une vocation environnementale et d'entretien du paysage ;

- d'alléger les contraintes découlant de la législation sur l'urbanisme et sur l'environnement ;

- et de favoriser le développement des groupements d'employeurs et des services de remplacement.

Pour préserver et développer l'élevage herbager le rapporteur a préconisé d'instaurer une prime destinée à soutenir spécifiquement l'élevage à l'herbe, indispensable dans les régions menacées de déprise. Il a également suggéré :

- de maintenir les mécanismes de gestion de marché, notamment l'intervention publique, dans l'organisation commune de marché et des mesures visant à maîtriser l'augmentation du potentiel de production, la limitation du poids des carcasses, outre le maintien des quotas laitiers ;

- de poursuivre la différenciation qualitative de la production ovine par rapport à la viande ovine importée, et son adaptation aux contraintes du marché ;

- de réfléchir aux possibilités de soutien du développement de la production chevaline.

Plaidant en faveur d'un revenu décent pour les éleveurs, le rapporteur a proposé d'en revenir à des prix rémunérateurs et d'envisager les modalités d'un allègement de la taxe sur le foncier non bâti pesant sur les agriculteurs présents dans les zones en déprise, sous réserve d'une compensation aux communes rurales.

En ce qui concerne l'assouplissement des rigidités administratives qui pèsent sur les éleveurs, il a suggéré de réduire le nombre de déclarations exigées des éleveurs, de faire des DDAF les interlocuteurs uniques des éleveurs en leur confiant l'instruction des dossiers et le paiement des aides, d'accélérer l'institution du registre parcellaire graphique, qui simplifierait les déclarations de surfaces et de simplifier le contrat territorial d'exploitation (CTE), conformément aux orientations du ministre de l'agriculture.

Pour améliorer les conditions de transformation et commercialisation, M. Gérard Bailly, rapporteur, a proposé de renforcer l'organisation économique de la filière viande, de rendre plus objectives les relations avec les abattoirs en recourant aux machines à classer, de favoriser le développement des « circuits courts » et de renforcer l'application de la loi « NRE » pour éliminer la pratique des marges arrières. Il a plaidé pour le renforcement des moyens de la Commission d'examen des pratiques commerciales et la mise en place d'un observatoire des marges, ainsi que pour une modification du code des marchés publics destinée à autoriser les gestionnaires publics de restauration collective à retenir la race des animaux et la proximité des fournisseurs comme critères de sélection dans les appels d'offre.

Afin de répondre aux attentes des consommateurs, le rapporteur a jugé souhaitable d'encourager l'utilisation des signes officiels d'identification de la qualité et de l'origine, d'encourager l'innovation, pour proposer aux consommateurs de la viande bovine sous des formes nouvelles, répondant à leur exigence de praticité, de compléter l'information donnée aux consommateurs de viande par le biais de l'étiquetage et, s'agissant de la viande bovine, de rétablir l'obligation de faire figurer la race, le type et la catégorie des bovins sur l'étiquette, dans la vente au détail, en imposant, en outre, à la restauration hors domicile (RHD) d'indiquer à ses clients l'origine de la viande qui leur est servie.

Concluant en mettant l'accent sur la nécessaire politique de communication, il a enfin jugé souhaitable de concentrer les crédits et les efforts sur des actions d'envergure et de privilégier, outre la communication sur le métier d'éleveur, de plus en plus méconnu par la société urbaine, le plaisir gustatif qui s'attache à la consommation de viande, grâce à une communication pédagogique et informative, destinée par exemple, à faciliter la lecture des étiquettes.

M. Daniel Reiner a affirmé qu'il partageait les propositions formulées. Il a considéré que la faiblesse des prix d'achat aux producteurs rendait nécessaire une intervention des pouvoirs publics. Il a fait valoir qu'il était difficile d'envisager une baisse de la taxe foncière sur la propriété non bâtie, dès lors que celle-ci représente une part importante des recettes des communes rurales. Rappelant la nécessité d'une simplification administrative, il a souhaité savoir si la mission proposait de substituer la nouvelle prime herbagère liée au territoire à l'ensemble des primes existantes, en particulier aux aides directes à l'animal, comme cela avait été évoqué au cours de débats au sein de la mission d'information. Estimant que le dossier de l'élevage ne pouvait être dissocié de celui de l'avenir de la PAC, il a souhaité savoir s'il était envisagé de proposer une modification de la répartition des crédits européens en faveur des éleveurs. Enfin, il a souhaité connaître la position de la mission d'information à l'égard de quotas de production dans le domaine de l'élevage.

M. Gérard Bailly, rapporteur, a répondu qu'il insistait, dans le rapport, sur l'écart entre les prix à la production et les prix à la consommation, précisant que telle était la raison pour laquelle la mission proposait la création d'un observatoire des marges. S'agissant de la taxe sur la propriété foncière non bâtie, il a indiqué que le rapport ne proposait pas sa suppression, mais seulement d'ouvrir une réflexion en la matière, estimant notamment qu'il serait souhaitable de lier davantage cette imposition à la valeur productive des terres agricoles. Se déclarant favorable sur le principe à des aides à l'élevage davantage liées au territoire, il a toutefois appelé à une certaine prudence, et souhaité que des simulations soient conduites au préalable, pour déterminer si la France aurait intérêt à une telle réforme. Dans un premier temps, a-t-il poursuivi, la mission préfère une coexistence des aides à l'animal avec la prime dont elle propose la création. Il a déclaré que l'idée de quotas en viande bovine méritait d'être approfondie, cela ne pouvant toutefois être envisagé qu'à l'échelle européenne.

M. Hilaire Flandre s'est déclaré favorable à une seule prime liée aux surfaces, qui prendrait également en compte le taux de chargement et le nombre d'unités de travail. Craignant que le secteur de l'élevage bovin ne s'oriente vers une surproduction structurelle, il a plaidé en faveur de mesures de maîtrise de la production. A cet égard, il a considéré que la proposition de quotas sur la viande n'était pas une bonne solution car elle risquait de créer des tensions entre les exploitations du cheptel allaitant et celles du cheptel laitier, voire avec celles pratiquant l'élevage mixte, comme en Meurthe-et-Moselle et dans les Ardennes. Il a rappelé l'intérêt d'une prime au retrait des petits veaux. Il a estimé que la maîtrise du poids des carcasses passait par des modes d'élevages plus extensifs. Il a souhaité que l'élevage ovin soit encouragé, notamment dans les zones défavorisées, insistant sur le déficit de la France en matière de viande ovine. Enfin, il a relativisé le montant à l'hectare que représente la taxe foncière sur la propriété non bâtie, soulignant en revanche l'importance de cette ressource pour les communes rurales.

M. Gérard Bailly, rapporteur, a répondu qu'il mettait surtout en cause les grandes disparités du montant de cet impôt et la charge qu'il faisait peser sur les terres peu productives, notamment en zone de montagne. S'agissant des petits veaux laitiers, il a indiqué que le rapport recommandait leur valorisation dans la filière de l'alimentation des animaux de compagnie. Il a toutefois nuancé la perspective d'une surproduction structurelle de viande bovine, indiquant qu'une étude récente de l'Institut de l'Elevage envisageait un équilibre du marché européen de la viande bovine à l'horizon 2008.

Après avoir constaté que l'existence d'une multiplicité de primes entraînait une suradministration de l'élevage bovin, M. Daniel Raoul a considéré que la juxtaposition des aides à l'animal et de la prime à la surface herbagère allait encore complexifier le dispositif.

M. Jean-Paul Emorine a répondu que le rapport propose une vraie mesure de simplification administrative. Dès lors que les directions départementales de l'agriculture sont en mesure de disposer, grâce à la banque nationale de données d'identification des bovins, de toutes les informations nécessaires sur chaque cheptel, les éleveurs pourraient être dispensés d'accomplir les multiples démarches de demandes d'aides, à l'exception de la déclaration annuelle de surface et de la tenue du registre des bovins sur l'exploitation. Abordant la question de la taxe sur le foncier non bâti, il a fait valoir que toute réforme tendant à réviser les valeurs cadastrales se heurtait au problème de la différence de valeurs locatives entre les régions. Sans proposer une suppression pure et simple, a-t-il ajouté, la mission d'information souhaite qu'une réflexion soit engagée sur ce dossier dans le cadre de la réforme de la fiscalité locale.

M. Gérard Bailly, rapporteur, a précisé que le rapport détaillait l'ensemble des formalités administratives et des contrôles qui étaient imposés aux éleveurs en contrepartie de la perception des aides.

M. Marcel Deneux a remercié la mission d'information sur l'élevage pour la contribution qu'elle apporte, par son rapport, à la réflexion de la mission d'information sur la réforme de la PAC. Il s'est déclaré pessimiste sur la perspective d'un équilibre économique du marché de la viande bovine. Il a insisté sur les difficultés pratiques que poserait une réforme de l'imposition sur le foncier non bâti. Enfin, il a plaidé pour une réflexion plus large sur les problèmes inhérents à l'élevage des non-ruminants, notamment en termes d'aménagement du territoire.

M. Jean-Paul Emorine a affirmé que le rapport évoquait bien les enjeux de l'élevage hors-sol, même s'il s'était plus attaché à ceux de l'occupation de l'espace par les ruminants. Il a considéré qu'une réflexion sur le foncier non bâti était nécessaire pour encourager l'occupation des espaces en voie de désertification.

M. Hilaire Flandre a exprimé son scepticisme à l'égard de toute réforme touchant la taxe sur le foncier non bâti, craignant qu'une baisse des valeurs locatives soit compensée par une augmentation des taux et que sa suppression aboutisse à la création d'un autre impôt en remplacement. Il s'est déclaré favorable à une interdiction de la concentration d'animaux dans certaines régions, mettant l'accent sur ses conséquences environnementales.

M. Gérard Bailly, rapporteur, a fait observer qu'il était aujourd'hui pratiquement plus difficile d'installer des élevages hors sol dans les régions qui n'en comptent pas du tout que dans celles qui en comptent trop. Il a également insisté sur l'importance économique de ce type de production pour une région comme la Bretagne, faisant notamment référence aux propos tenus par M. Philippe Lassourd dans le cadre des travaux de la mission d'information. Rappelant qu'il était favorable à l'instauration, à terme, d'une prime unique à l'hectare herbager, il a considéré qu'une telle réforme exigeait, au préalable, un travail approfondi, basé sur de sérieuses simulations. Revenant sur la taxation du foncier non bâti, il a fait observer qu'il était aberrant de taxer des terres qui retournent à la friche, alors qu'une exonération serait incitative au maintien de l'élevage.

M. Marcel Deneux a considéré que les difficultés environnementales rencontrées en Bretagne exposaient cette région à une crise de grande ampleur, qui rendrait nécessaire une véritable restructuration. Il s'est inquiété, en outre, des conséquences sur la filière viande du projet de directive relatif au transport des animaux.

M. Gérard Le Cam a relevé que l'agrandissement des exploitations en place constituait un obstacle important à l'installation. Concernant le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA), il s'est dit opposé à l'idée de n'imposer la mise aux normes qu'aux seules exploitations dont la pérennité est assurée, considérant la mise aux normes comme incontournable dans les zones intensives. Il a plaidé en faveur de mesures plus répressives contre les pratiques de la grande distribution. Après s'être déclaré peu convaincu par l'idée d'une valorisation des veaux laitiers dans la filière des aliments pour animaux de compagnie, il a mis l'accent sur les contraintes induites par les nouvelles normes de bien-être applicables en vitellerie.

M. Gérard Bailly, rapporteur, a mis en évidence un phénomène de polarisation des installations, expliquant que les jeunes fuient les zones en voie de désertification et ne s'installent, en définitive que dans les régions agricoles dynamiques.

M. Gérard Larcher a fait observer que la fermeture des vallées concernait aussi les zones périurbaines, citant l'exemple de la forêt de Chevreuse. Il a considéré que la réglementation sur le bien-être animal répondait bien aux préoccupations des urbains, mais n'était pas exempte de risques pour le monde rural. Il a notamment exprimé la crainte que les normes proposées en matière de transport des animaux vivants accélèrent la déprise des territoires extensifs, compte tenu de leur éloignement par rapport aux zones d'abattage. A cet égard, il s'est montré préoccupé par la disparition des petits abattoirs de proximité qui, a-t-il expliqué, menace directement l'avenir des animaux de races locales, fortement dépendants de ces structures d'aval. Revenant sur la question du bien-être animal, il a fait observer que si la limitation des temps de transport au nom du bien-être animal était peu contraignante pour les Pays-Bas, elle l'était en revanche beaucoup plus pour la France, compte tenu de l'étendue de son territoire. C'est pourquoi il a souhaité que la commission suive avec la plus grande attention l'évolution de la législation européenne sur le transport des animaux.

La commission a alors adopté le rapport d'information à l'unanimité.

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