EXAMEN EN COMMISSION

Au cours d'une séance tenue dans l'après-midi du mercredi 6 novembre 2002 sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a procédé à l' examen des crédits de l'outre-mer , sur le rapport de M. Roland du Luart, rapporteur spécial.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial, a indiqué que le projet de loi de finances proposait de reconduire l'enveloppe dont disposait le ministère de l'outre-mer en 2002, et que cette enveloppe progressait de 1,5 % à structure constante.

Il a jugé que des changements intéressants semblaient se dessiner et a noté que, au sein des crédits d'intervention, les mesures nouvelles étaient financées par redéploiement et que les moyens nouveaux étaient principalement consacrés au financement de la politique du logement.

Le rapporteur spécial a relevé que la principale mesure nouvelle était la création du « passeport mobilité », qui consiste à accorder un billet d'avion par an aux étudiants originaires de l'outre-mer qui suivent des formations qui ne sont pas proposées par les universités locales et dont le coût est estimé à 17,5 millions d'euros par an.

Au sujet des reports, M. Roland du Luart, rapporteur spécial, a constaté que, chaque année, environ 20 % des crédits disponibles pour le budget de l'outre-mer étaient reportés sur l'exercice suivant, relativisant ainsi la portée de l'autorisation parlementaire.

Il a souligné que, en 2002, le gel républicain et les mesures de régulation budgétaire se traduiraient par le report sur 2003 d'au moins 15 % des crédits disponibles en 2002 et que les aides à l'emploi du fonds pour l'emploi des départements d'outre-mer (FEDOM) constituaient la principale source de reports de crédits. Il s'est déclaré préoccupé par le fait que ce sont les dispositifs d'aide à l'emploi marchand qui sont mal consommés, alors que les crédits des dispositifs d'aide au secteur non marchand, tels que les emplois-jeunes ou les contrats emploi-solidarité, sont consommés en totalité.

Le rapporteur spécial a constaté que les crédits en faveur de la résorption de l'habitat insalubre étaient très faiblement consommés alors que les besoins sont immenses et que le projet de loi de finances proposait de réduire de manière importante la dotation du Fonds d'investissement dans les départements d'outre-mer (FIDOM).

Il a jugé cette baisse préoccupante à deux titres, d'abord parce qu'il lui a paru curieux de réaliser des économies sur le chapitre d'investissement dont le taux de consommation est le plus élevé et, ensuite, parce que les crédits du FIDOM servent à financer des opérations inscrites dans le cadre des documents uniques de programmation (DOCUP).

Il a rappelé que les fonds structurels étaient désormais soumis à la règle du « dégagement d'office », selon laquelle les fonds débloqués par la Commission européenne qui n'auraient pas été dépensés dans les deux ans sont purement et simplement repris et que, en 2002, la Guadeloupe pourrait perdre environ 35 millions d'euros de fonds structurels, une somme qui représente par exemple deux fois le coût total du « passeport mobilité ».

Le rapporteur spécial a signalé une évolution positive en indiquant qu'à compter de 2003, la préfecture de la Martinique expérimenterait, comme un certain nombre de préfectures de métropole, la globalisation de ses moyens de fonctionnement. Il a rappelé que, en métropole, le bilan de cette pratique était très positif et s'accompagnait de la mise en oeuvre d'indicateurs très précis de mesure des performances des préfectures.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial, a évoqué le coût, pour l'Etat, de la dépense fiscale liée non seulement à la défiscalisation, mais aussi aux divers avantages dont bénéficient les résidents de l'outre-mer en matière d'impôt sur le revenu, d'impôt sur les sociétés, de taxe sur la valeur ajoutée ou de taxe intérieure sur les produits pétroliers. Il a constaté que le coût pour l'Etat de l'abattement de 30 % sur les revenus imposables à l'impôt sur le revenu était de même ordre que les dépenses du ministère de l'outre-mer en faveur du logement.

En tenant compte des exonérations de charges sociales, le coût pour l'Etat de la dépense fiscale représentait deux fois et demie le budget du ministère de l'outre-mer, soit environ 2,5 milliards d'euros.

Le rapporteur spécial a évoqué l'octroi de mer, qui est un impôt sur les importations et les livraisons de marchandises et au titre duquel les conseils régionaux peuvent accorder des exonérations aux productions locales, à condition qu'elles soient approuvées par la Commission européenne.

Il a souligné que les autorisations actuelles arrivent à échéance le 31 décembre 2002, mais que la France avait obtenu une prorogation d'un an du dispositif et devrait proposer un nouveau régime en 2003.

Il a expliqué que l'octroi de mer était un impôt dont le régime était contraire aux principes du marché commun, mais que sa remise en cause aurait des conséquences désastreuses à la fois sur le tissu économique ultramarin et sur les ressources des collectivités locales.

Il a considéré qu'il fallait que la proposition de la France permette de justifier économiquement le maintien d'un impôt de ce type, tout en améliorant la transparence du dispositif, car la situation actuelle est très critiquée par la Commission européenne, qui peine à obtenir les informations qu'elle demande.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial, a indiqué qu'une loi de programme était entrée en vigueur il y a deux ans, mais que le Gouvernement envisageait à nouveau de proposer au Parlement un texte sur l'outre-mer, qui devrait prévoir un aménagement des règles relatives à la défiscalisation et de nouvelles exonérations de charges sociales.

S'agissant de la continuité territoriale, il s'est félicité de la mise en oeuvre, depuis le 1er septembre, du « passeport mobilité », mais a jugé que cette mesure ne suffirait pas à résoudre les problèmes de desserte aérienne dont souffre l'outre-mer. Il a rappelé que les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne avaient accepté, au mois de juillet, la demande de la France de prendre en compte ces problèmes dans la définition des politiques communautaires en matière de transport et a indiqué que, lors de son déplacement à la Commission européenne en avril 2002, il avait constaté que la Commission était très « preneuse » de toutes les propositions, émanant du gouvernement mais aussi des collectivités locales d'outre-mer, dont la mise en oeuvre permettrait l'amélioration de la continuité territoriale.

S'agissant de l'évaluation de la qualité de la dépense du ministère de l'outre-mer, il a évoqué la loi organique du 1er août 2001, dont la mise en oeuvre va obliger les administrations à mettre au point des indicateurs de résultat et de performance, et a constaté que le ministère de l'outre-mer n'avait pas encore enclenché ce mouvement, que les indicateurs disponibles étaient limités aux seules aides à l'emploi et au logement, qui sont il est vrai les principaux domaines d'intervention du ministère, et qu'ils étaient surtout « mal calibrés » pour beaucoup d'entre eux, le ministère n'arrivant pas à trouver les renseignements qu'il cherche. Il s'est demandé s'il ne valait pas mieux changer d'indicateurs plutôt que de conserver des indicateurs pertinents en théorie, mais peu opérationnels en pratique.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial, s'est félicité que, pour la première fois depuis longtemps, l'analyse du projet de budget de l'outre-mer ne conduise pas à constater, de manière résignée, la progression de la part des dépenses d'assistance mais, au contraire, témoigne d'une volonté de redéploiement des crédits au profit de dépenses permettant d'améliorer la compétitivité de l'outre-mer.

Il a proposé à la commission d'adopter les crédits du ministère de l'outre-mer.

Répondant à une question de M. Jean Arthuis, président, M. Roland du Luart, rapporteur spécial, a confirmé que la situation de l'industrie touristique aux Antilles était très dégradée, car les départements français d'outre-mer ne compensaient pas leurs handicaps en matière de coût du travail par des prestations d'une qualité meilleure que celles offertes dans les îles environnantes.

Puis la commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter les crédits de l'outre-mer inscrits dans le projet de loi de finances pour 2003.

Puis la commission a entendu une communication de M. Roland du Luart, rapporteur spécial des crédits de l'outre-mer, sur la défiscalisation dans les départements et territoires d'outre-mer.

M. Roland du Luart a indiqué que, depuis l'entrée en vigueur de la « loi Pons » en 1986, sept lois de finances avaient modifié le régime de la défiscalisation, la dernière étant la loi de finances pour 2001, qui a remplacé la « loi Pons » par la « loi Paul ». Il a ajouté qu'une loi de programme relative à l'outre-mer serait soumise au Parlement au début de l'année 2003.

Le rapporteur spécial a précisé que les règles qui régissent la défiscalisation étaient souvent modifiées, alors que peu d'informations sur ses conséquences sur l'économie de l'outre-mer étaient disponibles. Il a attribué ce manque d'information à la pauvreté générale de l'information économique relative à l'outre-mer et au fait que les administrations de l'Etat s'intéressent peu aux effets économiques de la défiscalisation.

Il a relevé qu'il existait quelques travaux, réalisés sous l'égide de l'inspection générale des finances, et que les conclusions de ces travaux rejoignaient les analyses formulées par les différentes personnes rencontrées au cours de ses travaux.

M. Roland du Luart a expliqué que la défiscalisation était considérée comme un instrument nécessaire, mais pas suffisant, du développement de l'outre-mer. Il a précisé qu'elle était jugée nécessaire parce que, en raison des handicaps structurels et des problèmes de compétitivité, les entreprises de l'outre-mer ne pourraient pas financer leurs investissements si aucune mesure ne permettait d'en abaisser le coût, mais qu'elle n'était pas suffisante parce que l'outre-mer souffre de handicaps jugés souvent plus graves que le coût des investissements, le premier étant le coût du travail.

Il a constaté que l'autre handicap fréquemment cité était la question du respect de l'Etat de droit et que l'activité économique outre-mer, à des degrés divers, était pénalisée par l'insécurité de l'environnement juridique où évoluent les entreprises.

Il s'est félicité que le Gouvernement ait choisit de traiter la question de l'évolution de la défiscalisation dans le cadre global de la loi d'orientation, afin de mettre en évidence les complémentarités entre les différents instruments concourant au développement de l'outre-mer et, le cas échéant, de hiérarchiser les priorités.

M. Roland du Luart a indiqué qu'il existait différents mécanismes de défiscalisation et que son rapport n'abordait pas le dispositif spécifique à la défiscalisation dans le secteur du logement et le dispositif relatif à la défiscalisation des souscriptions de parts de société pour se concentrer sur ce qui constitue le « coeur » de la défiscalisation, l'aide fiscale à l'investissement des entreprises.

Il a souligné que la défiscalisation pouvait bénéficier aux entreprises de l'outre-mer soit directement, soit indirectement, et que la possibilité de défiscalisation « indirecte » a été à l'origine des abus constatés dans les périodes antérieures.

Après avoir décrit le fonctionnement des montages financiers défiscalisés, il a estimé qu'en moyenne, un contribuable de l'impôt sur le revenu pouvait alléger sa cotisation de 11 ou 12 % grâce à la défiscalisation et que, dans le même temps, une entreprise implantée outre-mer pouvait réduire de 30 % le coût de ses investissements. Il a noté que l'Etat supportait une perte de recettes représentant 50 % du montant de l'investissement, dont 30 % servaient à réduire le coût de l'investissement outre-mer et 20 % servaient à alléger l'impôt des investisseurs et à rémunérer les monteurs.

M. Roland du Luart a considéré que, aujourd'hui, la « mécanique » de la défiscalisation était « grippée », essentiellement parce que la limitation à 40 % de la fraction de l'avantage fiscal servant à rémunérer à la fois les investisseurs et les monteurs n'était pas suffisante et que cette situation avait pour conséquence de diriger l'épargne vers les projets les plus immédiatement rentables, au détriment des « petits » projets et des projets situés dans les zones « à risque ». Il a jugé que, en l'absence de modifications législatives, la défiscalisation allait perdre sa vocation d'instrument de financement du tissu économique de l'outre-mer pour devenir exclusivement un produit financier sûr et rémunérateur réservé aux contribuables disposant des plus hauts revenus.

Pour rétablir l'équilibre du financement de la défiscalisation, il a proposé, pour les plus petits projets, de réduire de 60 % à 50 % la part de l'avantage fiscal qui est rétrocédée aux entreprises locales, comme le proposait Claude Lise dès l'année 2000 et, afin d'accroître les flux d'épargne en direction de l'outre-mer, de déplafonner les sommes qu'un même contribuable peut investir outre-mer en contrepartie d'un avantage fiscal.

Il a estimé qu'à elles seules, ces deux dispositions devraient permettre de « redonner de l'air » au financement des investissements outre-mer.

M. Roland du Luart a évoqué les sanctions encourues en cas de non-respect des engagements souscrits en échange de l'avantage fiscal, en rappelant qu'aujourd'hui, si ces engagements ne sont pas respectés, l'avantage fiscal est repris en totalité et l'investisseur perd les sommes qu'il a investies « à fonds perdus », qui représentent, en général, un peu moins de 40 % du montant de l'investissement.

Il a jugé cette sanction très lourde et de nature à décourager les investisseurs. Il a proposé un nouveau dispositif en application duquel, si un investissement n'était plus exploité, son propriétaire disposerait d'un an pour trouver un repreneur ; en l'absence de repreneur, l'avantage fiscal serait repris, mais de manière dégressive afin que la sanction ne soit pas identique selon que l'investissement a été exploité un an ou quatre ans ; un dispositif plus souple serait mis en place lorsque l'investissement n'est plus exploité par suite de catastrophe naturelle.

Evoquant les modalités de contrôle administratif de la défiscalisation, M. Roland du Luart a rappelé que la défiscalisation représentait une perte de recettes pour l'Etat de 500 à 600 millions d'euros par an ces dernières années, soit l'équivalent d'environ la moitié du budget de l'outre-mer, et qu'il était nécessaire que l'Etat ait un droit de regard sur les investissements qui bénéficient de cette dépense.

Il a précisé que l'Etat exerçait un contrôle a priori en délivrant des agréments aux investissements d'un montant supérieur à des seuils fixés par la loi.

Il a proposé d'unifier les seuils, considérant que le contrôle de l'intérêt économique et social d'un investissement, ainsi que la mise en évidence de pratiques telles que la surfacturation, se justifiait dans tous les secteurs d'activité. Il a suggéré que le nouveau seuil s'élève à 450.000 euros. Il a indiqué que l'application de cette proposition se traduirait par l'exclusion du champ de l'agrément de certains « petits » projets, mais par l'inclusion dans le champ de l'agrément de tous les projets de plus de 450.000 euros, quel que soit le secteur d'activité dans lequel ils sont réalisés.

M. Roland du Luart a proposé d'étendre le champ de l'aide fiscale à l'investissement outre-mer, en s'inspirant du système imaginé par notre collègue Paul Girod et qui a été retenu par la loi du 22 janvier dernier relative à la Corse.

Il a précisé qu'il s'agirait de rendre éligibles tous les secteurs d'activité, à l'exception de ceux dont la liste est définie par la loi, et de moduler le taux de l'avantage fiscal en fonction du caractère plus ou moins prioritaire des différents secteurs d'activité.

S'agissant du contrôle et de l'évaluation de la défiscalisation, le rapporteur spécial a rappelé que la défiscalisation constituait une aide d'Etat au sens du droit communautaire, et que, dans ce domaine, la législation nationale ne pouvait entrer en vigueur tant qu'elle n'avait pas été approuvée par la Commission européenne.

Il a souligné que « la loi Paul » était entrée en vigueur le 1er janvier 2001 mais n'avait été approuvée par la Commission que le 28 novembre 2001 et que, entre ces deux dates, le régime juridique de la défiscalisation n'était pas caractérisé par une grande sécurité.

Il a donc proposé que les Gouvernements engagent désormais la discussion devant le Parlement avec, en quelque sorte, un préaccord de la commission, qui serait affiné au fur et à mesure que la représentation nationale apporterait des modifications au dispositif.

Il a également proposé que les conditions d'une réelle assistance administrative entre les services fiscaux de l'Etat et les services fiscaux des territoires d'outre-mer et de la Nouvelle-Calédonie soient trouvées car, aujourd'hui, l'Etat dispose de très peu de moyens pour contrôler la réalité de l'exploitation des investissements défiscalisés dans ces territoires.

Le rapporteur spécial a enfin proposé que le législateur demande au Gouvernement d'évaluer l'impact économique et social de la dépense fiscale résultant de l'aide fiscale à l'investissement, cette tâche pouvant être confiée au ministère de l'outre-mer.

En réponse à M. Jean Arthuis, président, M. Roland du Luart a souligné que, du fait de l'introduction dans la loi d'un seuil de rétrocession aux opérateurs locaux et de la concurrence que se livrent les cabinets d'ingéniérie financière, au moins 60 % de la dépense fiscale étaient aujourd'hui consacrés à réduire le coût des investissements pour les entreprises locales.

Il a précisé que, depuis 2001, le montant de l'avantage fiscal était indépendant du taux marginal de l'impôt sur le revenu, car il s'agissait désormais d'une réduction d'impôt, et non d'une déduction du revenu imposable.

M. Roland du Luart a ensuite indiqué à M. Roger Besse qu'il ne proposait pas d'alléger les sanctions en cas de défaillance des entreprises locales mais de privilégier la recherche des repreneurs.

M. Paul Loridant s'est étonné que les exportations de certaines entreprises ultramarines soit pénalisées par des relations privilégiées entre les compagnies aériennes assurant la desserte des départements d'outre-mer et d'autres entreprises locales.

Enfin, M. Roland du Luart a précisé à M. Philippe Marini, rapporteur général, que le projet de loi de programme annoncé par le Gouvernement devrait comprendre une disposition relative au revenu minimum d'activité.

A l'issue de cette présentation, la commission a donné acte au rapporteur de sa communication et décidé d'en publier les conclusions sous forme d'un rapport d'information.

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