2. Le poids des pertes patrimoniales
a) Un problème longtemps passé sous silence
La politique d'expansion à crédit a eu un prix : l'endettement. Le dégonflement de la bulle Internet et le schuss historique des valeurs de télécommunications a eu un coût : la dépréciation des acquisitions effectuées dans les années 1999/2000.
En bref, à la suite de sa rupture avec Deutsche Telekom, pour assurer son développement international, France Télécom a acheté, en s'endettant très fortement, des sociétés (Orange, NTL, MobilCom, ...) dont la valeur a, depuis, fondu sous l'orage boursier. Elle doit, en quelque sorte, faire face au remboursement d'une dette considérable avec un patrimoine déprécié dont la valeur affichée début 2002 n'avait plus grand chose à voir avec sa valeur réelle. A tel point que l'importance de l'écart devenait un facteur d'alimentation de l'inquiétude des marchés financiers.
L'opinion publique en général et les petits actionnaires 24 ( * ) de France Télécom en particulier n'en étaient pas pour autant informés.
Votre rapporteur a donc choisi de faire de ce sujet d'importance l'objet de la question d'actualité, transmise sur France 3, qu'il a posée le 21 février dernier.
L'intérêt de l'entreprise et la préservation de son avenir conduisaient, en effet, à envisager une provision de ces importantes dépréciations d'actifs. Or, une telle décision amenait, d'une part, à priver de dividendes les petits actionnaires et, d'autre part, à révéler de facto , les erreurs de « pilotage » du Gouvernement, tuteur et actionnaire majoritaire de l'opérateur public. On pouvait donc craindre que certaines interférences circonstancielles interdisent un nettoyage des comptes à laquelle aurait procédé un état major dépourvu de liens avec la sphère politique.
La question 25 ( * ) de votre rapporteur soulignait ce dilemme :
« Ma question, qui concerne l'entreprise publique France Télécom, s'adressait à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, mais M. le secrétaire d'Etat à l'industrie, qui connaît très bien ce dossier, est là pour nous apporter les éclaircissements souhaités.
« Aujourd'hui se pose une question d'importance pour nombre de Français, car ils ont été jusqu'à quatre millions à placer une partie de leur épargne dans les actions de France Télécom. Cette question est majeure pour les salariés de France Télécom qui, pour 92 % d'entre eux, sont actionnaires de leur entreprise. Elle est aussi cruciale pour notre champion des télécommunications, dont la réussite sur le marché européen et mondial est un enjeu national fort.
« Il s'agit de savoir quelle va être la décision du Gouvernement, tuteur et actionnaire majoritaire de France Télécom, à l'égard des comptes de l'opérateur. Va-t-il décider, quitte à ce qu'aucun dividende ne soit versé cette année aux actionaires, d'afficher et de provisionner les dépréciations d'actifs enregistrées par cette société, pour restaurer la confiance et repartir de l'avant ? Car France Télécom a, je le souligne, tous les atouts pour repartir de l'avant.
(...)
« La réponse qui nous sera apportée ne saurait souffrir d'équivoque, car il est clair que le Gouvernement, à la fois tuteur et actionnaire majoritaire de France Télécom, je le répète, ne peut nier sa part de responsabilité dans la situation actuelle et dans la décision qui sera prise.
« Si, Monsieur le secrétaire d'Etat, vous revendiquez comme moi que, en vertu de la loi de 1996, France Télécom demeure une entreprise publique, l'Etat actionnaire majoritaire ne peut « se laver les mains » de la décision qui devrait être prise par le conseil d'administration de France Télécom le 20 mars prochain. Je souhaite donc que vous en informiez la représentation nationale et, à travers elle, les Français, plus particulièrement les actionnaires et le personnel de France Télécom . »
La réponse 26 ( * ) apportée par M. Christian Pierret, ne permit pas réellement d'éclairer la situation. Interrogé sur les dépréciations d'actifs, il parla de l'endettement.
Il déclara notamment :
« Je voudrais d'abord exprimer la confiance de l'Etat actionnaire dans cette magnifique entreprise qu'est France Télécom et à saluer son admirable réussite. A nos yeux, comme, je le pense, aux yeux de tous ici, France Télécom est une entreprise solide, performante et technologiquement avancée.
« Chacun sait, en particulier M. Gérard Larcher, que le secteur des télécommunications connaît une situation difficile en Europe et dans le monde. La demande de services de télécommunications continue cependant à croître, comme l'atteste le chiffre d'affaires de 43 milliards d'euros réalisé par France Télécom en 2001, en hausse de 27 % par rapport à 2000. Le trafic téléphonique et le nombre d'abonnés en téléphonie mobile confortent cette impression de solidité.
« L'endettement de France Télécom est, en effet, important, Monsieur le Sénateur, M. Laurent Fabius et moi-même avons demandé au président de France Télécom de mettre en oeuvre un plan de désendettement vigoureux, mais l'activité et la rentabilité opérationnelles de l'entreprise lui permettent d'y faire face.
« Le résultat opérationnel est bon : au premier semestre 2001, ce que, dans le jargon financier, l'on appelle l'EBITDA, Earningsbefore interest, taxes, depreciation and amortisation, sera de 5,6 milliards d'euros. Pour toute l'année 2001, les analystes estiment aujourd'hui qu'il sera de plus du double, c'est-à-dire qu'il dépassera 11,2 milliards d'euros.
« Le Gouvernement considère donc que France Télécom a les moyens de réduire son endettement grâce à ses résultats, grâce à des cessions d'actifs non stratégiques et d'une partie de son immobilier.
(...)
« Pour me résumer, nous avons confiance dans la belle entreprise France Télécom, et je vous réaffirme, puisque c'était aussi une sollicitation de votre part, que celle-ci restera bien une entreprise publique qui réussit, qui s'étend dans le monde et dont toutes des Françaises et tous les Français sont fiers. »
* 24 Leur nombre (plus de 1,5 million de personnes) et les temps électoraux expliquant peut-être cela.
* 25 Journal Officiel Sénat - séance du 21 février 2002, page 1677.
* 26 Journal Officiel Sénat - séance du 21 février 2002, page 1678.