1. Des commissions de spécialistes trop peu transparentes
Les
commissions de spécialistes des universités ont été
très généralement présentées à votre
rapporteur comme le « point faible », voire le
« point noir » du recrutement des universitaires en France.
Ces commissions sont chargées de recruter les enseignants-chercheurs
au sein des établissements, dans une discipline
considérée, à partir de la liste des qualifiés par
la section compétente du CNU ayant fait acte de candidature dans
l'établissement.
Or, les pratiques des commissions de spécialistes apparaissent quelque
peu opaques, voire franchement inéquitables, d'autant plus qu'elles
favoriseraient les candidatures locales et les rigidités disciplinaires.
La Cour des comptes elle-même, en conclusion de l'étude relative
à la gestion des enseignants-chercheurs figurant dans son rapport public
particulier précité, écrit ainsi : «
les
critères de choix laissent
[ ...]
une grande place à
des appréciations individuelles ou d'opportunité sur lesquelles
il ne revient pas à la Cour de se prononcer
»...
Les annonces d'emploi, reproduites ci-contre, et issues du magazine
The
Economist
, montrent bien que les « post-docs » ainsi
que les universitaires, sont, dans de nombreux pays étrangers,
recrutés comme dans le secteur privé.
Un
message d'internaute : expérience vécue sur le fonctionnement
des commissions de spécialistes
«
A la première question
[posée
sur
le forum]
, la réponse est claire : j'ai été
recruté à l'issue d'un concours arrangé comme je crois
tous ou quasiment tous les maîtres de conférences recrutés
chaque année. Mes concurrents de l'époque savaient d'ailleurs
fort bien qu'ils venaient auditionner pour donner l'illusion que le concours
respectait les procédures de recrutement de la fonction publique. C'est
d'ailleurs exactement la même chose au niveau des professeurs. Tout le
monde connaît au moins un an à l'avance qui sera recruté
comme maître de conférences et comme professeur à
l'université. Il faut donc le redire : le recrutement universitaire
est purement clientéliste, « maffieux » et contre le
principe même de la fonction publique.
Le problème, contrairement au discours dominant, n'est pas dû au
fait que les universités recrutent des candidats locaux (ou
« maison »). L'interdiction de recruter une personne
formée dans l'université semblerait être la solution
miracle. Cet argument est si souvent utilisé par les personnes
siégeant dans les commissions de spécialistes chargées du
recrutement qu'il devient suspect. Pour être membre de ces commissions,
je peux témoigner que pratiquement à chaque fois que je
m'élève contre un recrutement arrangé (c'est-à-dire
la décision du patron du laboratoire d'accueil), je suis bien le seul
et, lors du vote (secret pourtant), tout le monde, y compris le collège
B, vote le plus souvent en suivant les ordres du mandarin local.
[...] »
Les critiques qui leur sont adressées sont multiples, et une
consultation, même rapide, du forum Internet mis en place par votre
rapporteur est éloquente, mais
les trois principales sont les
suivantes :
1°) composition inadaptée, et corporatiste ;
Le
jugement paradoxal sur la composition des commissions de
spécialistes :
insatisfaction mais
statu quo
La
composition des commissions de spécialistes des établissements
est, elle aussi, peu appréciée, puisqu'elle satisfait moins de la
moitié (à peine plus de 47 %) des répondants au sondage.
Comme pour les sections du CNU, aucune proposition ne s'affirme avec
netteté. Le choix majoritaire - près de 50 % pour les membres
élus - se porte sur la
perpétuation du système actuel
bien que considéré comme peu satisfaisant
. Ici encore,
toutefois, les professeurs souhaiteraient davantage d'universitaires
étrangers au sein des commissions de spécialistes (48 % contre
moins de 32 % pour l'ensemble).
S'agissant du recrutement des maîtres de conférence, il convient
de constater que la proposition de rendre membres de droit des commissions de
spécialistes compétentes l'ensemble des maîtres de
conférences de l'établissement ne rencontre guère
l'approbation de la profession, puisque plus des deux tiers des
répondants n'y sont pas favorables. Cette proportion diminue toutefois -
plus de 55 % - pour la participation de droit de tous les professeurs. Elle est
plus faible encore - une bonne moitié - concernant la participation de
droit des professeurs aux commissions de spécialistes pour le
recrutement des professeurs des universités.
Ces réponses apparaissent aussi plutôt paradoxales puisque, si la
composition des commissions de spécialistes ne donne globalement pas
satisfaction, étant notamment accusée de favoriser les
candidatures locales et de promouvoir les corporatismes disciplinaires, leur
réforme, en particulier leur plus grande ouverture, n'est guère
souhaitée.
2°) établissement de profils de candidature officieux
éloignés des profils officiels
, afin de donner toutes leurs
chances aux candidats locaux ; généralement, les commissions
de spécialistes ne définissent pas de profils de postes
permettant aux candidats qualifiés par le CNU de savoir
a priori
s'ils ont des chances d'obtenir le poste convoité. Si une
amélioration sur ce point a pu être constatée
récemment, les conseils d'UFR publiant désormais plus souvent des
profils de postes, il arrive que certains de ces profils soient taillés
sur mesure pour les candidats locaux !
3°) manque de considération pour les candidats :
convocation des candidats très tardive, auditions menées en
quelques minutes, évacuation des questions de fond, non remboursement
des frais de déplacement de candidats venant parfois de loin ou
amenés à se présenter dans plusieurs établissements
répartis sur l'ensemble du territoire ...
Un message d'internaute : la procédure de recrutement, un
cauchemar ?
«
La procédure de recrutement à l'université
est un cauchemar ! Elle s'étale sur plus de 6 mois, et pourtant
elle méprise totalement les candidats qu'elle prétend
sélectionner !
Rappelons les faits. Cette procédure a deux volets : la qualification
par le CNU, puis le recrutement local. Ces 2 phases doivent se dérouler
dans une seule année, de façon à permettre un recrutement
qui ne soit pas trop lent...
[...]
Cette première phase
[ la qualification par le CNU]
a lieu
entre novembre et février environ. Cela laisse donc 4 mois pour la
seconde phase (le concours local) : de mars à juillet. En 4 mois, il
faut : annoncer les postes ; recueillir les candidatures ;
évaluer les dossiers envoyés par les candidats ; convoquer
les candidats pour audition et les auditionner pour choisir l'élu...
En général, les postes paraissent au Bulletin Officiel vers la
mi-mars ; les dossiers sont à envoyer aux universités
mi-avril, et les auditions ont lieu à la mi-mai. Donc, les commissions
de spécialistes ont un mois pour évaluer les dossiers et
sélectionner les candidats pour l'audition ; puis les convoquer.
Or, une commission de spécialistes comporte en général une
vingtaine de personnes. Ces 20 personnes sont en général
enseignants, donc ont un emploi du temps éventuellement chargé.
Plus encore si leur activité de recherche est bien vivace. Bref,
réunir ces 20 personnes deux fois (une première pour
décider des convocations et une seconde pour les auditions) tourne
très vite au cauchemar... et souvent, ces 2 réunions sont
espacées d'une à deux semaines maximum...
Or, il existe une catégorie de candidats de plus en plus
conséquente :
ceux qui sont à
l'étranger au
moment de leur candidature
. Ainsi, l'an dernier, je recevais ma convocation
à une audition aux Etats-Unis, alors que j'avais déjà
passé l'audition et obtenu le poste !!! Inutile de dire que cela a
beaucoup fait rire mes collègues américains. Heureusement que le
président de la commission m'avait confirmé ma convocation au
téléphone ! Inutile aussi de dire que je ne leur ai dit ni
combien j'allais être payé, ni que le voyage s'était fait
à mes frais, ni que l'audition durait 30 minutes... Ils auraient
été atterrés. Eux qui ont l'habitude d'aller à une
audition qui dure au moins toute la journée, pendant laquelle ils ont,
comme nous, à présenter leurs travaux, mais aussi pendant
laquelle ils ont droit à une visite complète du
département dans lequel ils seraient recrutés, pendant laquelle
ils rencontrent tous les gens avec qui ils travailleraient... Bien sur, de
telles visites se font aussi en France : à l'initiative du candidat, et
à ses frais !
Bref, l'université prétend recruter un candidat de valeur, pour
une durée de 30 ans, et elle le fait en 30 minutes... et au
mépris du candidat lui-même. Evidemment, cette procédure
est la seule possible dans la mesure où il faut convoquer 20 personnes
pour chaque personne auditionnée ! Impossible de prévoir une
journée par candidat, de préférence en fonction de ses
disponibilités : on n'y arriverait pas !
[...]
Actuellement, la « transparence » est assurée par
le grand nombre de personnes faisant partie de la commission de recrutement.
Mais cette commission décide à huis clos, et a seule accès
à l'information (en l'occurrence, la performance du candidat au moment
de l'audition).
[...] »
Votre rapporteur est conscient du caractère défectueux de
l'organisation de nombreuses commissions de spécialistes, qui jette un
doute, pour les candidats non retenus, sur la qualité de leur travail de
sélection. Il est évident que
le rapport
coût/efficacité
des procédures actuelles est de
toute façon excessivement défavorable :
le
système doit traiter un grand nombre de dossiers, parfois au
détriment du temps consacré à porter un jugement sur le
fond, donne lieu à l'organisation d'élections innombrables et
devient tellement complexe que certaines universités, comme Paris XII,
ont dû mettre en place une formation juridique pour les membres des
commissions !
Dans son principe, le déroulement de la procédure de recrutement
n'est pas absurde, mais,
dans la pratique, de très nombreuses
commissions de spécialistes sont incapables de fonctionner
correctement
. Si la procédure de qualification par le CNU n'a pas
été assez sélective, les commissions ont à faire
face à un nombre élevé de candidatures. Les rapports
à établir sur titres et travaux sont trop nombreux face à
la capacité de travail de la commission. La liste d'admissibilité
établie après présentation des rapports sur titres et
travaux n'est pas assez sélective, si bien que les auditions sont trop
courtes et ne se déroulent fréquemment que devant une
sous-commission de quatre membres !
Il est certain que, dans ces conditions, les dés paraissent pipés
à beaucoup de candidats et que la décision dépend tout
autant de discussions et de prises de contact informelles, et souvent fort
utiles, que du respect d'une procédure formelle soumise au
contrôle du juge. Comment demander par exemple à un candidat
d'animer un séminaire devant des étudiants avancés comme
on le fait à l'étranger pour apprécier ses qualités
pédagogiques, quand on sait que le recrutement d'un professeur ne peut
être le fait que d'une commission siégeant en formation restreinte
aux seuls professeurs ?
Les
voies d'une indispensable réforme sont difficiles à
trouver
en raison d'un constant décalage entre des principes
séduisants et leur application concrète. Ainsi est-il souhaitable
de faire appel à des rapporteurs extérieurs pour évaluer
« sans biais local » les titres et travaux des
candidats ; mais si ces rapporteurs extérieurs sont, pour des
raisons de commodité, membres de l'université voisine de la
même ville universitaire, le but poursuivi ne sera pas
nécessairement atteint.
Les universités ont tout intérêt à comprendre que
leur crédibilité et aussi leur avenir dépendront de la
façon dont elles font fonctionner leurs commissions de
spécialistes et du temps qu'elles leur donneront pour le faire
.
Certaines l'ont compris. Et la première chose à faire est
d'intéresser tout le corps enseignant d'une discipline ou même
d'une UFR au recrutement d'un futur collègue : la participation de
tous les professeurs à une commission de spécialistes doit
être de droit (alors que ce n'est actuellement qu'une faculté). La
seconde est sans doute que les avis écrits d'experts extérieurs
à la commission (y compris étrangers) que peuvent recueillir les
rapporteurs soient systématisés et communiqués à
tous et qu'une synthèse en soit établie pour le conseil
d'administration. Enfin, la liste d'admissibilité devrait être une
liste courte pour que les auditions aient un sens et puissent se
dérouler suivant des formules variées.