V. AUDITION DU MERCREDI 13 JUIN 2001
AUDITION DE M. JEAN-MARIE SPAETH, PRÉSIDENT DE LA CNAMTS, ET DE MME YVETTE RACT, MÉDECIN CONSEIL NATIONAL ADJOINT
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - La Cour des comptes a indiqué que le coût total du traitement du cancer pour l'assurance maladie était évalué à 50 milliards de francs. Pourriez-vous évaluer le « coût global » du cancer pour l'assurance maladie qu'il s'agisse, d'une part, des actions de prévention et de dépistage, et, d'autre part, des prestations, en nature et en espèces, servies à ce titre ?
M. Jean-Marie SPAETH - Mon introduction sera extrêmement brève. L'une des préoccupations de la CNAMTS en matière de la lutte contre le cancer est de mettre en place une politique de soins qui articule précisément le préventif, le curatif et le palliatif à travers une vision basée sur le passé, le présent ou le futur. L'action de la CNAMTS associée aux services de l'Etat est permanente. Hier, la discussion du conseil d'administration a porté sur trois formes de cancers : le cancer du sein, du col de l'utérus et du côlon. Pour la première fois, nous avons réussi à élaborer un cahier des charges qui prend en compte la décision d'articuler prévention, dépistage et soins. Il nous reste la question du cancer du côlon à régler mais nous avons trouvé un accord satisfaisant avec les radiologues. Le processus est en marche.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Le processus n'en est qu'à son début.
M. Jean-Marie SPAETH - Le processus débute car les dysfonctionnements de notre système apparaissent au niveau des soins et de l'unité de lieu de décision. Il illustre la nécessité de concevoir et mener une politique nationale de santé avec des priorités sanitaires, une harmonisation du système et l'étroite association de l'opinion publique, qui sera partie prenante dans cette affaire. Le questionnaire que vous nous avez remis tardivement recouvre l'ensemble du dispositif et ses dysfonctionnements.
M. Jean DELANEAU, président - Pourriez-vous évaluer le « coût global » du cancer pour l'assurance maladie qu'il s'agisse, d'une part, des actions de prévention et de dépistage, et, d'autre part, des prestations (en nature et en espèces) servies à ce titre ?
Mme Yvette RACT - Le coût global s'élève à 24 milliards de francs, soit environ la moitié de ce qu'affirme la Cour des comptes. Ces 24 milliards portent exclusivement sur les remboursements et les prises en charge des prestations en nature. Il ne comprend pas les indemnités journalières, l'invalidité, la prévention, le dépistage. Je tiens à votre disposition un article publié dans « Santé Publique » sur l'effet incontestable relatif des ALD 30 et de leurs prestations en nature.
M. Jean DELANEAU, président - Les hospitaliers sont-ils inclus dedans ?
Mme Yvette RACT - Oui. Le tarif de l'hôpital public est symbolique. Tout le monde ne bénéficie pas de l'ALD 30 car certaines personnes sont exonérées et d'autres ne veulent pas que l'on apprenne leur maladie.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Y a-t-il une évaluation globale du coût du cancer pour la CNAMTS ?
Mme Yvette RACT - Non. Le document que je vous propose présente les dépenses effectuées exclusivement pour le cancer.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - N'êtes-vous pas opérationnel ?
M. Jean-Marie SPAETH - Le problème est que nous ne disposons pas du codage des pathologies et ce n'est pas pour demain que nous en disposerons.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Les hôpitaux s'organisent autour des organes. Dans les services de pneumologie, vous pouvez avoir des patients atteints aussi bien de bronchites, par exemple, que d'autres formes de maladies.
Mme Yvette RACT - Des asthmes, par exemple.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - La difficulté réside dans le manque de repères et c'est l'une des principales critiques de la Cour des comptes. La Cour des comptes affirme que l'information nécessaire à l'élaboration d'une politique cohérente de lutte contre le cancer n'est pas disponible, aucune corrélation n'étant possible entre les besoins de santé, l'offre de soins et les frais de séjour... Comment peut-on agir pour améliorer notre recherche ?
Revenons si vous voulez bien à notre objectif.
Mme Yvette RACT - Pour ma part, je m'intéresse au codage des actes. Le codage des pathologies n'est pas une première priorité parce que nous avons déjà une PMSI qui code l'ensemble des hospitalisations. Les ALD 30 codent 90 % des pathologies graves et 10 % représentent la CMU. Les personnes qui ont la CMU ou une bonne mutuelle n'ont pas intérêt à demander les 100 %. En cas de maladie mentale, par exemple, elles ne le souhaitent pas. Dans l'ensemble, nous avons une photo suffisamment précise pour faire des estimations macro. Evaluer les besoins précis en matière d'équipement nécessite des enquêtes ad hoc ciblées avec une prospective. Nous le verrons au moment où nous aborderons la radiothérapie.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Que pouvons-nous faire ? Quelles sont les mesures que vous envisagez à la CNAMTS pour résoudre les problèmes qui se posent ?
M. Jean-Marie SPAETH - Dans le cadre d'une politique de la santé publique, le cancer doit être défini comme une priorité nationale, tant sur le plan des soins préventifs que des soins curatifs et palliatifs.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Qu'en est-il du dépistage ?
M. Jean-Marie SPAETH - Le dépistage s'inscrit dans cet ensemble d'actions. La recherche est un élément important de cet ensemble ainsi que la place des malades, la place du sanitaire et la place du social. Le social est aussi un élément important car aujourd'hui dans les entreprises, la législation permet de licencier les salariés atteints du cancer.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Pourquoi ?
M. Jean-Marie SPAETH - Parce que c'est légal ! Ce n'est évidemment plus acceptable. Le cancer est une maladie longue qui n'entraîne pas forcément le décès. Mais le cancer est un traumatisme catastrophique pour les personnes à qui vous annoncez : « Vous avez le cancer, vous avez une maladie de longue durée, vous avez des rechutes, vous êtes malade depuis un certain temps, par conséquent, vous êtes licencié ». Telle est la réalité et, dans un tel contexte, un accompagnement social s'impose. Et derrière toutes ces préoccupations, une pathologie lourde doit être définie comme une priorité nationale. Je suis dans l'obligation de déterminer des éléments du vote annuel et pluriannuel. Je pense que c'est un excellent exemple pour donner un contenu médical, dans le sens réel du terme et non pas au sens partisan du terme, aux définitions des politiques et aux décisions de vote annuel du budget de Sécurité Sociale (ou pluriannuel sur des sujets qui sont plus graves). Nous sommes obligés de définir le rôle de chacun. En ce qui concerne le problème de dépistage du cancer, au cours de notre conseil d'administration, nous avons réussi à trouver un excellent accord avec les radiologues. Nous avons un cahier des charges qui a été discuté avec le ministère. Nous ne sommes pas dans des zones conflictuelles et il faut d'abord un arrêté ministériel, ensuite, une convention-type, et enfin, un financement par le Conseil général et la CNAMTS.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Quid du matériel thérapeutique ?
M. Jean-Marie SPAETH - Une fois cette procédure terminée, vous vous heurtez parfois à des murs et vous vous demandez si le département a les moyens de payer.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - D'où une inégalité de traitement.
M. Jean-Marie SPAETH - En effet. Nous sommes dans une situation où le cancer est l'expression de divers lieux de décisions. Non pas que je conteste ces lieux de décisions mais nous ne pouvons plus nous satisfaire d'une multiplicité des lieux de décisions. Même si les acteurs sont multiples, il faut un opérateur, qui puisse assurer la coordination des actions. Nous nous heurtons en permanence à ce genre de situation puisque les conseillers généraux ont une responsabilité en matière de cancer...
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - En partie.
M. Jean-Marie SPAETH - En partie, je vous l'accorde.
M. Claude HURIET, président de la mission - Et le dépistage ?
M. Jean-Marie SPAETH - Je fais en sorte que le dépistage soit systématique et basé sur les fondements les plus scientifiques possibles, de 49 ans à 74 ans. Tel est cahier des charges. Telle est la convention-type à négocier avec le Conseil général, la CPAM et la MSA. Mais si un département refuse, que faire ?
Mme Yvette RACT - Si le département accepte une année et refuse l'année d'après, que faites-vous ?
M. Jean-Marie SPAETH - Nous avons 32 départements dans lesquels les choses se passent plutôt bien. Mais quid des autres ?
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - C'est bien beau de vouloir réaliser le dépistage dans tous les départements. Mais comment procéder ?
M. Jean-Marie SPAETH - C'est en cela que votre initiative est très positive parce qu'elle permet de modéliser les rapports de décisions politiques, de priorités sanitaires et de partager des responsabilités dans sa mise en oeuvre. Je constate qu'avec les radiologues, nous avons réussi à nous mettre d'accord sur le contrôle de qualité et la compétence individuelle. Voilà des sujets, me semble-t-il, intéressants.
M. Claude HURIET, président de la mission - En ce qui concerne les dépistages, en dehors des politiques départementales, la question des engagements financiers plus ou moins forts des Conseils généraux se pose ainsi que celle de l'exigence de qualité dans les départements
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Et du matériel.
Mme Yvette RACT - Il est indispensable de rappeler que les conseils généraux n'interviennent pas dans la structure de gestion, qui est simplement un lieu d'invitation, de tenue de registre et de suivi. Cela nécessite peu de personnel.
M. Claude HURIET, président de la mission - La filière doit imposer une bonne politique de promotion et d'incitations au dépistage. Mais d'autres acteurs ont aussi un rôle à jouer.
Mme Yvette RACT - C'est ce que nous avons fait avec les radiologues.
M. Jean-Marie SPAETH - Nous ne serons pas tous les jours performants dans certains départements mais il faut bien commencer par un objectif. Si nous attendons que tout le monde soit au même niveau, nous ne ferons jamais rien. Paradoxalement, nous avons un grand nombre de mammographes en France.
Mme Yvette RACT - C'est exact.
M. Jean-Marie SPAETH - Mais dans certaines régions, ils ne sont pas nombreux. Les compétences ne sont pas forcément au bon endroit.
Mme Yvette RACT - C'est le cas très souvent.
M. Jean-Marie SPAETH - Globalement, nous sommes en surcapacité mais ponctuellement, à certains endroits, nous sommes en revanche en sous-capacité.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Ce sont des prémices agréables de la démographie médicale car nous savons très bien que nous manquons de radiothérapeutes.
M. Jean-Marie SPAETH - Nous passons du dépistage à la radiothérapie. Dans ce pays, les professionnels affirment sans aucune discussion préalable que l'on peut privilégier une thérapie par rapport à une autre sans aucune correspondance aux besoins médicaux identifiés. La chimiothérapie est ainsi privilégiée par rapport à la radiothérapie.
Mme Yvette RACT - Le papier de la Cour des comptes est remarquable.
M. Jean-Marie SPAETH - Dans le cadre de la CNAMTS, nous sommes en négociation avec les radiothérapeutes, nous avons un accord que nous sommes prêts à signer si les conditions juridiques et économiques sont réunies. Ils sont prêts à signer cet accord dont le coût s'élève à 200 millions de francs cette année, n'est-ce pas ?
Mme Yvette RACT - L'année prochaine.
M. Jean-Marie SPAETH - 200 millions de francs l'année prochaine et un peu moins cette année.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Oui, parce que l'année prochaine, le dépistage est généralisé.
M. Jean-Marie SPAETH - Non. Je vous rappelle que nous parlons du curatif.
Il me semble que le coût financier du dépistage est de 800 millions de francs.
Mme Yvette RACT - Le montant total du dépistage varie de 800 millions à 1 milliard de francs, essentiellement à cause du « 100 % ».
M. Jean-Marie SPAETH - Pour la première fois de notre histoire, un progrès important a été réalisé. Le dépistage n'est plus prévu dans un compte à part...
Mme Yvette RACT - Avant, il était inclus dans le SNPEIS, le fonds de prévention...
M. Jean-Marie SPAETH - L'intégration du dépistage des trois formes de cancer du sein, du col d'utérus et du côlon dans la gestion du risque est un pas important et majeur.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Je trouve que l'augmentation du budget est nécessaire.
M. Jean-Marie SPAETH - Franchement, personne n'en disconviendra. Le sujet est intéressant et l'augmentation du budget est acceptable par l'opinion publique.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - J'essaie de comprendre comment la Cour des comptes arrive à ce chiffre de 50 milliards francs.
Mme Yvette RACT - Sur le cancer ?
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Oui.
Mme Yvette RACT - La Cour des comptes totalise tous les GHM avec les cancers et toutes les ALD avec les cancers. Sur les trois régimes, je n'ai que le régime général. Elle arrive à 43 milliards de francs et estime que le montant doit être supérieur.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Le montant est-il réparti sur les trois régimes ?
Mme Yvette RACT - Oui, bien sûr, les prestations en nature, les prestations en espèce et l'invalidité. C'est pour cela que nous sommes cohérents.
La CNAMTS constate avec la Cour des comptes l'application de règles de tarifications différentes des actes selon la catégorie d'établissements. La CNAMTS relève que le cancer n'est qu'un cas particulier. La seule mesure susceptible d'éliminer ces effets pervers serait de supprimer la différence de tarification entre le secteur public et le secteur privé. Seulement, cela reviendrait à supprimer l'un des deux secteurs ou à les englober dans un même secteur. Si nous payons à l'acte, un des deux disparaîtra dans la bagarre. Dans cette hypothèse d'école, il resterait des possibilités de déports de l'hôpital vers la ville et de la ville vers l'hôpital puisque les enveloppes sont segmentées. Vous vous demandez si la classification commune des actes médicaux, c'est-à-dire la réforme de la refonte de la nomenclature qui est en cours actuellement ,résout le problème.
La CCM décrit aussi précisément que possible l'activité médicale à charge :
- pour les organismes chargés de la valorisation des honoraires, de hiérarchiser les actes et de proposer des négociations pour les honoraires ;
- aux institutions en charge de la tarification du système de financement des établissements hospitaliers, de l'intégrer dans le PMSI et de valoriser les plans de modification tarifaire.
Suite aux critiques de la Cour des comptes, une mesure a été prise supprimant la marge exorbitante de 30 % des cliniques sur des médicaments anti-cancéreux et les traitements de chimiothérapie.
M. Jean-Marie SPAETH - Je voudrais revenir sur la nomenclature des actes. Ce n'est pas parce que nous avons bien décrit chaque acte que nous avons bien pris en charge une pathologie. Pour illustrer mon propos, je prendrai un exemple en rapport avec les ressources humaines et la gestion des emplois. Dans l'entreprise dans laquelle je travaillais dans les années 70, chaque emploi avait été classé en fonction d'une grille précise. Nous nous sommes aperçus quatre ans après de multiples conflits qu'au fond ce n'est pas parce que nous avions décrit et classé chaque emploi que nous avions réalisé une chaîne de production adaptée. Nous nous sommes davantage préoccupés des métiers que de la production que nous voulions réaliser. Le cancer illustre la création de métiers autour d'une pathologie et non l'addition de professionnels parfaitement compétents et dont l'activité est parfaitement décrite mais qui n'apportent pas forcément de réponse pertinente à ses besoins. Comment passer d'actes médicaux parfaitement décrits à un système de soins autour d'une pathologie, comme par exemple le cancer ?
M. Claude HURIET, président de la mission - Qu'en pense le généraliste ?
M. Jean-Marie SPAETH - Le généraliste est partie prenante. Dans le cas des pathologies lourdes, la révolution dans le système de soins français consiste à élaborer des processus où les acteurs sont nombreux (l'hôpital, la ville, les généralistes et les spécialistes, y compris les para-médicaux) autour d'une pathologie et d'une personne ou d'un groupe de personnes. Le cancer est un excellent exemple pour mettre en évidence les défauts d'enveloppes cloisonnées, et bâtir un système où chaque financement répond à un objectif et constitue une réponse aux besoins de la population.
M. Jean DELANEAU, président - Le cancer ne devient le cancer qu'en fin d'évolution. Rien de commun entre un cancer du rein et une infection sanguine. La spécialisation s'impose, d'où des services très spécialisés, un personnel médical et para-médical orienté dans un domaine spécifique pour des raisons d'équipement. Je crois que malheureusement le cancer sécularise...
M. Claude HURIET, président de la mission - Les centres de lutte contre le cancer sont un début de réponse à l'idée que vous exprimez. Sinon la réponse en termes de métier pour un patient atteint d'un cancer des voies aéro-digestives supérieures n'est pas comparable à la mobilisation des compétences autour de cancers gynécolatoires. La réponse n'est alors pas homogène.
Mme Yvette RACT - En disant cela, nous en revenons au rôle du généraliste. Au fond, la technicité d'une partie du système de santé, la spécialisation, voire l'hyper spécialisation, soit autour d'un organe, soit autour d`une pathologie telle que le cancer sont tout à fait justifiées mais ne résolvent pas la prise en charge du malade cancéreux.
M. Jean-Marie SPAETH - C'est le réseau qui doit le prendre en charge.
M. Claude HURIET, président de la mission - Nous sommes bien d'accord.
Mme Yvette RACT - Pour le moment, nous parlons de réseau car les structures sont véritablement organisées autour du malade cancéreux. Ce n'est plus le CHU que nous avons tous connu.
M. Claude HURIET, président de la mission - Ce réseau peut être polyvalent et ne pas définir de stratégie en fonction du point d'entrée.
Mme Yvette RACT - Nous avons réalisé des études sur le cancer et j'ai été scandalisée d'observer des cancers débutants chez des sujets jeunes dans des structures parfaitement performantes, soit dans des centres anti-cancéreux ou soit dans des CHU (mais moins dans les CHU que les centres anti-cancéreux toutefois). Mais où mouraient les malades du cancer et où meurent-ils encore ? Certainement pas dans ces endroits très adaptés pour soigner le cancer.
M. Claude HURIET, président de la mission - Les cancéreux peuvent vouloir mourir chez eux ou tout près de chez eux.
Mme Yvette RACT - Mais ils meurent à l'hôpital local, Monsieur le Sénateur !
M. Claude HURIET, président de la mission - Oui, mais ce n'est pas forcément parce qu'ils sont transférés que l'on veut s'en débarrasser. Certains patients estiment qu'il n'y a plus rien à faire pour eux et ne demandent qu'à mourir à proximité de chez eux.
M. Jean-Marie SPAETH - Hier soir, le hasard a voulu qu'en écoutant les informations de 20 heures sur France 2, je suive un excellent reportage sur un réseau palliatif du cancer des poumons. Je ne me souviens plus exactement où il se situe en France...
Mme Yvette RACT - Il y en a un à Tulle.
M. Jean-Marie SPAETH - Nous sommes en train de financer des réseaux de soins palliatifs. Lorsque vous mettez en oeuvre une stratégie thérapeutique autour du cancer, en choisissant la chimiothérapie plutôt que la radiothérapie, par exemple, cette décision provient bien, au départ, de quelqu'un.
Si le malade décède, je peux aussi affirmer que les chances de réussite sont plus faibles pour certains malades que pour d'autres, suivant le degré où le mal est pris. Je peux tout de suite affirmer que cela s'achèvera vraisemblablement par une fin de vie. Comme je suis rationnel, je ne peux suggérer que d'améliorer l'organisation du système.
M. Jean-Marie SPAETH - Bien sûr, nous n'avons pas de réponse toute faite puisque nous parlons d'êtres humains, mais nous pouvons tenter petit à petit d'être un peu plus rationnel qu'aujourd'hui.
M. Jean DELANEAU, président - Vous avez fait allusion au problème du médecin généraliste. Le généraliste est au départ comme à la fin, le médecin le plus présent et celui qui effectue le plus de recherches.
Les chirurgiens de notre génération sont des chirurgiens généralistes. Nous revenons encore à cette notion d'hyperspécialisation. Je crois que nous sommes encore dans une phase expérimentale. Ainsi à Paris, qui est décisionnaire ? C'est un panel de cancérologues qui définissent un protocole de pathologies. Ils vont mettre l'accent sur la chimiothérapie, par exemple. Ce n'est que quelques années après, une fois le bilan réalisé, que l'on connaîtra effectivement la méthode qui produit les résultats les plus intéressants. Il y a deux ans, une importante étude a été réalisée sur le cancer de la prostate. Je me suis intéressé à la question car mon beau-frère, médecin, est en train de mourir d'un cancer de la prostate. Le résultat de cette étude qui porte sur des milliers de cas montre l'incapacité à déterminer la meilleure approche.
Nous ne pouvons pas. Nous sommes encore dans une période assez difficile.
M. Claude HURIET, président de la mission - Mais nous le serons toujours. Je voudrais revenir un moment sur ce vous avez dit tout à l'heure quant à la manière dont les cancéreux vont finir leur vie dans un hôpital de proximité. Si nous gardons dans des services pointus des patients auxquels nous ne pouvons plus officier les soins, qui se chargera de leur dire qu'ils n'ont plus rien à faire dans un service aussi sophistiqué ? C'est la sécurité sociale qui absorbera la ligne budgétaire. Il nous faut donc faire attention à certains arguments.
M. Philippe DARNICHE - La création de services de soins palliatifs ne se fait pas sans heurt. L'accueil des malades en fin de vie s'effectue dans l'ensemble des services hospitaliers. Ils sont dispersés parce que nous n'obtenons de nos directeurs d'agence régionale aucune des créations de postes que nous souhaitons. Je parle au nom du secteur rural et non des CHU. C'est un vrai problème. Dans mon département, le Conseil général a financé deux postes de médecins, chefs de service de soins palliatifs et a créé sur ses propres fonds le service de soins palliatifs parce que nous n'arrivions pas à obtenir les financements de l'ARH. Je suis sénateur de la Vendée.
M. Jean-Marie SPAETH - Nous avons financé, via la commission, le réseau de Tulle.
M. Philippe DARNICHE - J'ai entendu vos propos tout à l'heure, Monsieur le Directeur. Ils ont attiré mon attention.
Mme Yvette RACT - Un réseau existe à Tulle et à Tarbes, j'en suis sûre.
M. Jean-Marie SPAETH - Tarbes, c'est certain.
Mme Yvette RACT - Il existe encore deux ou trois autres réseaux mais je ne sais pas où ils se situent.
M. Philippe DARNICHE - Mais pas à la Roche-sur-Yon, puisque nous avons fait des demandes qui n'ont pas abouti.
M. Jean-Marie SPAETH - Je voudrais dire un mot sur le fond du problème. Nous sommes capables de mettre en place des fonds expérimentaux et nous avons par conséquent plus de liberté que les ARH. Nous leur proposons de mettre à disposition des moyens qui leur permettent de libérer des postes à redéployer pour financer le réseau. Mais le plus souvent, ils nous déclarent qu'ils ne disposent pas de marges de manoeuvre. Nous finançons le réseau de soins palliatifs pour aider et organiser le retour des malades à leur domicile. Ils approuvent la libération des lits mais ils ne redéploient pas pour autant les moyens financiers. Nous tombons toujours sur les même rigidités.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Concernant la prise en charge du cancer par l'assurance maladie, les malades regrettent l'insuffisance des remboursements servis au titre de certains soins ou accessoires dits « de confort », qui leur sont pourtant indispensables
Mme Yvette RACT - Vous faites sans doute référence aux accessoires de pansements et aux nutriments. Il existe trois cas de figure. Dans le premier cas, le produit est inscrit au TIPS mais il n'a pas de prix. Dans le deuxième cas, il est inscrit au TIPS, sa valeur a un prix mais sa valeur marchande est très supérieure et représente une charge considérable pour les malades. Dans le troisième cas de figure, le produit n'est pas inscrit au TIPS. Ce problème relève du droit du commerce. Ainsi, un marchand de perruques peut ne pas vendre ses perruques au prix auquel les pouvoirs publics ont décidé de rembourser par le biais de la Caisse d'assurance maladie.
M. Jean DELANEAU, président - Je vous prie, madame, de m'excuser de vous interrompre mais je suis pharmacien et le problème que vous soulevez est quotidien dans mon officine comme, certainement, dans toutes les officines. La non-revalorisation de tips contraint les professionnels de la santé et les pharmaciens à acheter ces produits à des prix très supérieurs au prix de remboursement. Votre comparaison avec la perruque n'est cependant pas tout à fait adaptée parce que la réalité n'est pas la même.
Mme Yvette RACT - Nous avons été confrontés très brutalement à ce problème au moment de l'instauration de la CMU qui contraignait les pharmaciens et tout distributeur à vendre au prix marqué sans dépassement. Nous sommes en train de travailler sur ce point : c'est un problème d'offre et de demande. Il a été mieux résolu pour les malades atteints du VIH que pour les cancéreux.
M. Jean DELANEAU, président - Il a également été résolu pour les diabétiques.
Mme Yvette RACT - En effet. Pour le point suivant, monsieur le président, vous avez abordé la question du Tips et de son médiocre remboursement, celles de la prise en charge sociale, des accompagnements, des allocations aux handicapés, des tierces personnes et de l'accompagnement thérapeutique.
M. Jean-Marie SPAETH - Sur ce point précis, notre législation n'est pas adaptée au fait que nous ayons des maladies longues, en moyenne trois ans. A l'époque, en trois ans, les gens guérissaient ou mouraient.
Mme Yvette RACT - Effectivement.
M. Jean-Marie SPAETH - Nous sommes confrontés à un vrai problème d'adaptation de notre législation aux évolutions et aux progrès de la science et de la technique. Cela date des années 1960 et cette législation est inadaptée aux réalités de l'évolution de l'espèce humaine et au progrès. Je n'ai malheureusement pas de réponse à vous fournir et je m'en excuse.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - C'est un zéro pointé !
M. Jean-Marie SPAETH - Il y a toute une série de questions qui se posent : l'invalidité, etc.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Dans le même domaine, les prix des nouvelles thérapies ont particulièrement augmenté et sont très coûteux. Les tarifications en vigueur limitent les possibilités de recours aux thérapies innovantes. Nous entendons dire que les nouvelles thérapies sont intéressantes mais que le budget empêche d'aller vite. Qu'en pensez-vous ?
Mme Yvette RACT - Des médicaments très innovants arrivent sur le marché. Premièrement, l'un des effets pervers du SIDA est la généralisation des médicaments avant même qu'ils aient démontré leur efficacité. Deuxièmement, ces produits sont extrêmement coûteux parce que la politique des laboratoires consiste à demander une rémunération du service médical majeur, puis la distribution en réserve hospitalière et pour finir à la demande générale, les descendre en officine. Quand les médicaments ne tiennent pas leur promesse, les prix ne baissent pas. Par exemple, le celebrex atteint des prix faramineux malgré son inefficacité. De même, le visudine promettait de corriger la dégénérescence de la vision due à l'âge en quatre séances, et nous sommes passés à une dizaine de séances. Enfin, le traitement de la maladie de Fabbri coûte un million de francs par an. Pourquoi 1 million de francs ? Simplement parce que c'est moins cher qu'une greffe de foie. De quoi se plaint-on ? Voilà l'une des explications de l'envolée des prix du médicament. La grande presse constate que certaines chimiothérapies sont injustifiées (Figaro, 16 mai). C'est vrai et nous pouvons nous attendre à la sortie de nouveaux médicaments toujours plus coûteux susceptibles de remplacer les blocs opératoires et des services de radiothérapie. Jusqu'à présent, nous n'avons jamais refusé de pratiquer des soins à cause du coût des médicaments. Certains établissements publics préfèrent laisser le soin aux établissements privés de pratiquer la chimiothérapie ondulatoire, payer à l'acte des médicaments payés en plus des chimiothérapies plutôt que de prélever sur leur budget.
M. Jean-Marie SPAETH - Nous sommes en train de négocier un accord avec les radiothérapeutes mais si une nouvelle stratégie s'avère plus performante, nous ne savons pas comment l'intégrer pour la substituer.
M. Jean DELANEAU, président - C'est le problème des TEP. Les appareils qui coûtent plus cher que les scanners et qui apportent un diagnostic de qualité, et surtout plus précoce, sont généralement installés dans les centres les plus importants. Quelle est donc votre politique à ce propos ?
Mme Yvette RACT - Je signe une trentaine d'accords de soins à l'étranger pour Prescan toutes les semaines.
M. Claude HURIET, président de la mission - En ce qui concerne les Prescan, la référence est non seulement très mauvaise mais la France est le pays où le nombre de Prescan est le plus faible par rapport à la Belgique, l'Allemagne et les autres donc l'argument est tout à fait dangereux. Le Prescan permet un diagnostic plus précoce et d'expansion plus précis. En pratiquant le Prescan, les indications opératoires peuvent être abandonnées, évitant ainsi des opérations mutilantes.
M.Jean-Marie SPAETH
Le Prescan n'a pas de rapport avec nos discussions sur les coûts et l'évolution des chimiothérapies par rapport à d'autres moyens thérapeutiques comme la radiothérapie. Il ne faut pas craindre à terme un suréquipement en radiothérapie d'autant plus que nous assistons à une augmentation avec prolongation de la durée de vie des cancers, toute localisation confondue. En revanche, les thérapies nouvelles et coûteuses dont l'efficacité n'est pas toujours confirmée, posent le problème de l'amélioration du service médical rendu. Le marketing, les associations des malades, le bouche-à-oreille et l'effet inflationniste de l'Internet entraînent des exigences de plus en plus fortes des malades atteints de maladies incurables qui accèdent à des traitements apparemment miraculeux.
M. Claude HURIET, président de la mission - Que tirez-vous comme conclusion ?
M. Jean-Marie SPAETH - Ma conclusion est que, si nous ne mettons pas en place un système d'évaluation avec une autorité reconnue, nous courons à la catastrophe.
Mme Yvette RACT - J'insiste sur le phénomène déclenchant de l'ATU et des autorisations transitoires et permanentes ainsi que sur l'inflation des moléculaires considérée comme révolutionnaires. L'industrie pharmaceutique a une démarche extrêmement efficace.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - L'assurance maladie est-elle impliquée dans le développement des réseaux de soins coordonnés en cancérologie ? Dans l'affirmative, pourriez-vous, d'une part, préciser les modalités de participation et, d'autre part, nous informer de l'appréciation générale que vous portez sur ces réseaux et des conditions actuelles de leur développement ?
Mme Yvette RACT - Au niveau national, nous n'avons pas la responsabilité d'un réseau proprement orienté cancer. Dans le cadre du code de Sécurité sociale qui entraîne des dérogations tarifaires, nous proposons un réseau de soins palliatifs qui marche bien mais qui n'est pas spécifique pour le cancer comme l'est celui de Tulle. Il existe des réseaux régionaux mais nous ne les connaissons pas tous. Les FAQSV régionaux financent les réseaux cancérologiques. Nous recensons 19 régions à ARH hors CAM qui montent des réseaux cancer ou sont en cours de création. 9 de ces réseaux sont financés par l'ARH exclusivement, 3 réseaux sont financés par ARH-FAQSV et 3 réseaux sont financés uniquement par le FAQSV. Le service médical est impliqué dans l'élaboration et le suivi de ces réseaux, 4 réseaux sont encore en projet. Enfin, la chimiothérapie anti-cancéreuse sera l'objet d'une enquête de santé publique, l'année prochaine en 2002.
M. Jean-Marie SPAETH - Plus brutalement, tant que nous restons dans un système de financement cloisonné, l'affaire est close, nous faisons de la littérature. Tant que vous n'ouvrez pas des réseaux en fonction des pathologies avec un mode de financement adapté, vous aurez des discours sur les réseaux. Le mode de financement de l'hôpital ne peut plus se faire uniquement sur un budget global et il ne peut y avoir de cloisonnement entre l'hôpital et la ville. Un espace de souplesse financière est nécessaire où, en fonction d'un protocole de soins avec un coût global de la pathologie, un réseau est mis en place, certifié et évalué avec un financement qui articule ville et hôpital.
M. Claude HURIET, président de la mission - Certaines régions en ont mis en place, comme le Nord Pas-de-Calais.
M. Jean-Marie SPAETH - Mais si nous voulons sortir du niveau expérimental et passer à une échelle opérationnelle, qui est la vraie piste pour réformer et réguler l'offre de soins dans ce pays, la logique de cloisonnement du système entre ville/médicaments/hôpital doit être cassée. Cette logique décourage toutes les bonnes volontés de ce pays. J'admire les professionnels de la santé et des caisses qui se bagarrent pendant des années et réussissent à passer outre la bureaucratie.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Quelle appréciation générale le service médical porte-t-il sur l'adéquation de notre système de santé au regard des besoins constatés en matière de lutte contre le cancer ? Nous avons été très frappés par le besoin, unanimement exprimé, d'une instance définissant le « cap » de la politique française de lutte contre le cancer, et assumant, à ce titre, un rôle d'impulsion et de coordination que personne ne semble pouvoir (ou vouloir) jouer actuellement.
M. Jean-Marie SPAETH - L'impulsion des grandes décisions vous appartient, Messieurs.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Nous réclamons unanimement depuis longtemps un ministère de la Santé à part entière.
M. Claude HURIET, président de la mission - Une DGS (Direction générale de la santé) qui soit une vraie DGS.
M. Jean-Marie SPAETH - Nous sommes d'accord mais une seule DGS suffit !
Mme Yvette RACT - Encore faut-il qu'il s'agisse d'une DGS efficace !
M. Claude HURIET, président de la mission - Elle doit être capable de définir des politiques.
M. Jean-Marie SPAETH - Notre plan stratégique est relativement simple, la mise en oeuvre est plus compliquée. Il est indispensable de définir une politique de santé en France. Elle ne doit pas seulement intégrer le sanitaire mais s'articuler au niveau régional. L'annualité budgétaire n'est pas possible dans ce domaine ; une loi quinquennale en matière de politique de la santé serait plus appropriée. Il est indispensable de définir des priorités sanitaires par exemple, comme le cancer ainsi que des priorités régionales. A partir de ces politiques, il est indispensable d'avoir une instance pour réaliser un éclairage plus scientifique au niveau du Parlement. La CNAMTS a un rôle à jouer en amont parce qu'elle a une bonne connaissance de l'état des lieux. Il est souhaitable qu'une autorité indépendante puisse informer l'opinion publique sur l'efficacité des médicaments. La mise en oeuvre des politiques doit être confiée à un opérateur sur la base d'un cahier des charges. Cet opérateur doit être responsable au niveau régional et national. Les acteurs peuvent être multiples et divers et l'assurance maladie a un rôle de pilote sur la base de directives décidées par l'autorité politique. En même temps, l'autorité politique doit mettre en place un organisme d'évaluation de sa sphère.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Quel est le rôle de la DGS, dans ce contexte ?
M. Jean-Marie SPAETH - Je suis pour un Etat stratège, pour une Direction de la Santé qui ait des ressources de très haut niveau. Chaque fois que nous avons un problème, nous créons une agence. J'ai essayé de répertorier le nombre d'agences. Il faut tout arrêter !
M. Claude HURIET, président de la mission - Je connais la critique, l'effet de globalisation fausse la discussion. Je me suis engagé avec quelques-uns et nous sommes peu nombreux à redéfinir des agences qui, par leur structure, ne sont pas comparables entre elles. En ce qui concerne la régionalisation, le législateur a mis en place tous les outils à travers les ordonnances de 1996 : les ARH, les conférences régionales de santé et les URLM. Ces outils favorisent la régionalisation dans la mesure où ils constituent une structure de décentralisation avec un pouvoir de décision et de gestion. Les acteurs ont la possibilité d'un auto-contrôle et d'une auto-censure. Cette régionalisation n'avancera pas tant que nous serons dans un système qui sépare arbitrairement les responsabilités respectives de l'Etat et de la CNAMTS. La CNAMTS n'est-elle pas un élément très fort de résistance à la régionalisation ?
M. Jean-Marie SPAETH - Nous pourrions créer une Caisse d'assurance santé régionale distincte des CRAM avec, d'une part, une Caisse régionale vieillesse/accidents du travail et, d'autre part, une Caisse régionale d'assurance santé.
M. Claude HURIET, président de la mission - Pour le moment, c'est Jean-Marie Spaeth qui parle et ses propos n'engagent que lui !
M. Jean-Marie SPAETH - Mais je suis prêt à le déclarer publiquement à la CNAMTS. Les rapports entre les caisses régionales d'assurance santé et les CPAM doivent être maintenus. Les CPAM sont un intermédiaire entre les personnes assurées et les professionnels. Pour mettre en oeuvre des politiques régionales, il est indispensable d'avoir un outil adapté. Or les URCAM ne sont pas des outils adéquats. La MSA se régionalise ainsi que les CMR. Seule l'assurance maladie ne se régionalise pas. Pour être plus opérationnel, le législateur doit redéfinir les rapports qui nous lient aux professionnels de la santé qui sont autant de contraintes uniques et uniformes.
M. Claude HURIET, président de la mission - Nous pouvons nous entraider.
M. Jean-Marie SPAETH - La loi de 1971 régissant nos rapports avec les professionnels doit évoluer. Il est nécessaire de séparer, dans le financement des hôpitaux, les éléments qui relèvent de ses missions de service public conçues au niveau national et déclinées au niveau régional (recherche, urgences...) et d'examiner le mode de financement de l'activité de l'hôpital sur un plan territorial. Tant que vous n'aurez pas de priorités sanitaires, des politiques et une organisation du système de soins au niveau national, rien ne sert de déplacer le problème. Je suis favorable à une régionalisation à partir du moment où les besoins trouvent une réponse effective. Les cotisations seront-elles pour autant modifiées d'une région à l'autre ? non.
M. Claude HURIET, président de la mission - Pourquoi pas ?
M. Jean-Marie SPAETH - Non, cette question est d'ordre politique. Les remboursements doivent-ils différer d'une région à une autre ? Si nous répondons par la négative à cette question, la régionalisation est la meilleure réponse à donner aux besoins des citoyens dont les garanties de soins doivent être élaborées au plan national. La mise en oeuvre de cette garantie de soins doit se pratiquer sur le terrain.
M. Claude HURIET, président de la mission - Avec des prestations adaptées aux priorités régionales.
M. Jean-Marie SPAETH - Oui, car la garantie de soins n'est pas la même en Lozère et en Ile-de-France. Même en étant cancéreux, je conserve mon droit de citoyen. La réponse aux besoins d'un malade est différente selon que l'on est en région rurale ou dans une région plus urbaine. L'offre de soins doit être différente, ainsi que le niveau de rémunération des professionnels de la santé. En revanche, rien ne stipule que le remboursement des assurés doit être forcément différent.
M. Claude HURIET, président de la mission - Je suis d'accord.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Les responsables des registres des cancers auditionnés par notre mission d'information ont souligné la nécessité de développer leur collaboration avec l'assurance maladie tout en regrettant les obstacles actuels, notamment d'ordre réglementaire, à cette collaboration. Quelle est la position de l'assurance maladie à ce sujet ? Quels aménagements conviendrait-il d'apporter à la réglementation?
Mme Yvette RACT - Depuis le 10 novembre 2000, nous bénéficions d'un accord de l'Ordre pour travailler avec les responsables des registres. Nous avons réalisé un travail commun avec les responsables des registres assurance maladie.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Il conviendrait de vérifier la réglementation s'agissant du suivi épidémiologique du cancer à partir des données collectées par l'assurance maladie.
Mme Yvette RACT - A la suite de la réunion du Conseil de l'Ordre, mes collègues ont estimé que le partage des données n'était pas indispensable pour aménager la réglementation.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Quelle instance peut définir le « cap » de la politique française de lutte contre le cancer ?
M. Jean-Marie SPAETH - La définition des politiques - le cancer en est une illustration - doit être réalisée par les instances politiques. Celles-ci doivent déléguer ensuite les responsabilités à l'assurance maladie sur la base d'un cahier des charges qu'elles auront préalablement défini. Ce cahier des charges doit être mis en oeuvre tant au niveau national que local par l'assurance maladie. L'assurance maladie se charge de créer les synergies entre les différents acteurs. Il est indispensable d'avoir un seul opérateur car le système ne peut fonctionner en mettant en présence de multiples opérateurs. C'est pour cette raison qu'il est souhaitable de créer des Caisses régionales d'assurance santé.
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Sur le plan national, qu'en est-il ?
M. Jean-Marie SPAETH - Si l'Etat demande à organiser les soins préventifs, curatifs et palliatifs, avec un cahier des charges à l'appui et que le législateur nous informe qu'il nous contrôle tous les trois ans, je me charge de mettre en place un organisme indépendant de la CNAMTS. Cet opérateur nouera des liens avec le Conseil Général et les professionnels.
M. Claude HURIET, président de la mission - Etre opérateur est un rôle tout à fait nouveau pour l'assurance maladie.
M. Jean-Marie SPAETH - Nous serions plutôt des gestionnaires du système de soins. Nous suivrions les directives du pouvoir politique et serions soumis au contrôle de ce même pouvoir.
M. Claude HURIET, président de la mission - Le ministre est à l'origine de la politique. Mais pourquoi l'idée fort intéressante d'un opérateur ne s'appliquerait-elle qu'au cancer ? Les priorités de santé nationale nous conduisent à choisir un opérateur, comme l'assurance maladie, dans son nouveau métier, ou éventuellement d'autres opérateurs, par appel d'offres.
M. Jean-Marie SPAETH - La mise en concurrence des opérateurs est un autre débat
M. Claude HURIET, président de la mission - C'est la première fois que je vous entends parler d'une mission nouvelle de la CNAMTS, qui deviendrait ainsi un opérateur.
M. Jean-Marie SPAETH - La CNAMTS deviendrait un opérateur gestionnaire du système de soins.
Le gestionnaire répondrait à la fois aux demandes du pouvoir politique central et au cahier de charges initial. J'ai étudié les modèles étrangers et il en ressort que la mise en concurrence est improductive. Vous ne pouvez pas à la fois soutenir un système de financement collectif, solidaire et socialisé, que, de surcroît, personne ne remet en cause, et introduire la concurrence. Que voulez-vous mettre en concurrence ? Des professionnels ? Ils ne le souhaiteraient certainement pas.
Mme Yvette RACT - En aucun cas, ils ne le souhaiteraient.
M. Jean-Marie SPAETH - Vous pouvez néanmoins introduire la concurrence sur la base des coûts de gestion. Cependant, je ne vois pas comment un opérateur privé ferait des bénéfices uniquement sur la gestion. La rentabilité de son capital serait faible. En revanche, je suis favorable à un contrôle étroit de l'utilisation des moyens.
M. Claude HURIET, président de la mission - Serait-il envisageable que la CNAMTS puisse également être l'opérateur pour exécuter les décisions politiques définies par le pouvoir exécutif dans les autres domaines prioritaires de santé publique ?
M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Quid de la DGS ?
M. Jean-Marie SPAETH - La DGS éclaire le Parlement et le décideur. La DGS doit prendre des décisions de manière autonome et indépendante. Nous pouvons collaborer en lui fournissant des données.
M. Jean DELANEAU, président - Avez-vous déjà tenu ces propos devant le ministre de la Santé ?
M. Jean-Marie SPAETH - Pas récemment.
M. Claude HURIET, président de la mission - Dans cette hypothèse, la CNAMTS, opérateur unique, est-elle en situation de monopole ?
M. Jean-Marie SPAETH - Concrètement, je souhaite que la CNAM, la MSA et la CANAM soient des opérateurs conjoints, tant au niveau régional que national. Je suis pour une régionalisation de fond et non de forme. Il ne s'agit pas de se contenter de déplacer le problème.