IV. AUDITIONS DU MARDI 29 MAI 2001

A. AUDITION DU PROFESSEUR YVES MATILLON, PRÉSIDENT DE L'AGENCE NATIONALE D'ACCRÉDITATION ET D'ÉVALUATION EN SANTÉ (ANAES)

M. Claude HURIET, président de la mission - C'est sur l'initiative de Lucien Neuwirth que cette mission d'information a été créée au sein de la commission des Affaires sociales. Nous sommes heureux d'entendre les réponses de l'Agence au questionnaire qui vous a été adressé.

Pr. Yves MATILLON - Vous m'interrogez sur les trois missions fondamentales de l'Agence : évaluation, accréditation, nomenclature. Je ne me risquerai pas à établir un bilan critique de la cancérologie dans notre pays. Cependant, je souhaiterais partager avec vous les contributions de l'Agence sur la thématique du cancer. Dans le cadre de ses compétences, l'ANAES valide les bonnes pratiques cliniques et les référentiels qui lui sont soumis par les sociétés professorales de cancérologie. Les sujets que vous avez mentionnés ont été traités ou sont en cours de traitement. D'autres sujets attestent de la prise en charge plus large que les recommandations de bonnes pratiques à visée thérapeutique et diagnostique. Ils concernent par exemple les soins palliatifs ou de suite, et le suivi psychologique. A ce titre, nous avons publié un rapport sur « le suivi psychologique des patientes ayant été traitées pour un cancer du sein non métastasé ». Le groupe de travail qui l'a rédigé associait le corps médical à l'ensemble des acteurs impliqués : une dizaine de sociétés savantes, des praticiens de différentes spécialités, mais aussi notamment des psychologues, des psychiatres, des généralistes ou des gynécologues. L'ANAES essaie en effet, de plus en plus, d'impliquer l'ensemble des acteurs pour les recommandations de bonne pratique, en collaboration avec les sociétés professionnelles médicales et les groupes paramédicaux.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - J'ai vu que, dans le tableau récapitulatif des thèmes étudiés pour l'année 2001 à l'état prévisionnel de diffusion, vous avez en recommandation professionnelle « l'indication de la mammographie en dehors du dépistage organisé du cancer du sein et de l'indication échographique mammaire ». Vous avez également « la prise initiale des traitements du cancer du sein au stade 1 » qui doit être diffusée au dernier trimestre 2001. Enfin, en étude d'évaluation, vous avez « l'évaluation clinique de la numérisation mammographie pour le diagnostic et le dépistage des cancers du sein » au premier trimestre et « le traitement du cancer localisé de la prostate » au deuxième trimestre.

Pr. Yves MATILLON - D'autres thèmes sont également en cours d'élaboration dans la démarche d'évaluation des pratiques professionnelles. Avec une centaine d'établissements de santé, nous effectuons un travail important sur les pratiques de suivi des chambres implantables. Il s'agit de permettre aux personnes devant suivre une chimiothérapie de bénéficier d'un dispositif implanté leur donnant accès à une délivrance du produit itérative sur des périodes longues afin de limiter l'incidence de complications veineuses et de donner plus de confort au malade dans les séquences de chimiothérapie. Sur ce traitement spécifique, il existe une grande adhésion des professionnels de santé, basée sur le volontariat.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Y a-t-il quelque chose de prévu sur le cancer dans les conférences de consensus pour l'année 2001 ?

Pr. Yves MATILLON - Dans les conférences de consensus, nous sommes partis d'un débat public. Ici, dans le cadre des recommandations de bonne pratique, il s'agit plutôt d'un investissement des praticiens au sein de groupes de travail. Nous sommes dans une période de sensibilisation du plus grand nombre de praticiens et de sociétés savantes. Pour chacun de ces sujets, une dizaine de sociétés participent, y compris la fédération des centres cancéreux que l'on ne veut pas laisser seule dans la structuration des recommandations de bonne pratique. Par exemple, dans le cadre du traitement du cancer du sein, nous sommes engagés dans un travail de labellisation avec la fédération. Elle assure la maîtrise d'oeuvre de la recommandation, et nous l'accompagnons. Nous cherchons donc à élargir les groupes de travail, afin d'éviter de les limiter à un groupe professionnel ou d'établissements de santé. Nous ne voulons pas que les recommandations soient faites uniquement par les établissements privés, ou par les CHU. La transversalité s'impose, pour qu'on obtienne une proposition thérapeutique et diagnostique qui intéresse tous les établissements.

M. Claude HURIET, président de la mission - Vous faites référence aux SOR dont nous avions parlé le jour des auditions publiques. Constituent-ils une référence que les autres structures de lutte contre le cancer peuvent adopter, ou faut-il une sorte de labellisation par l'ANAES ?

Pr. Yves MATILLON - Lorsque nous composons les groupes de travail, nous devons être très vigilants. Parfois, nous-mêmes nous ne sommes pas parfaits lors de leur constitution. Cette année, en accord avec la fédération des centres, nous avons mis en place le groupe de travail le plus large possible sur le cancer du sein. Nous labelliserons, sous réserve qu'il fasse intervenir des praticiens des secteurs privés, CHU, ou centres hospitaliers généraux. Les SOR ont un bon impact auprès de la fédération des centres. Le reste de la communauté qui traite les malades qui ont un cancer doit reconnaître la participation des autres secteurs d'activité. C'est un effort qui est à faire collectivement.

M. Claude HURIET, président de la mission - Risque-t-on de se heurter à des difficultés psychologiques ou relationnelles ? En d'autres termes, ce qui vient de la fédération des centres risque-t-il d'être contesté par les autres structures ? J'ai eu néanmoins l'impression l'autre jour qu'il existait une convergence, une vision commune, et le souci de travailler ensemble.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Il existe déjà des réseaux d'alliance : ONCOLOR en Lorraine, ONCORA dans la région Rhône-Alpes.

Pr. Yves MATILLON - Il existe une distinction entre le fait de structurer le réseau, de prendre en compte les malades dans le cadre d'un réseau, et le fait d'établir des recommandations de bonne pratique qui doivent avoir un caractère plus universel. C'est plus difficile pour de nombreuses raisons, y compris stratégiques. La fédération des centres, lors de sa démarche initiale pour structurer les SOR, poursuivait ses propres objectifs, qui sont par ailleurs parfaitement respectables. L'effort d'élargissement pour eux est d'associer des praticiens du secteur privé, du secteur public et des CHU pour arriver à avoir cette reconnaissance.

M. James GOLDBERG - L'ANDEM et l'ANAES étaient impliquées dans les SOR dès leur naissance, en 1992-1993. Nous avons emmené les responsables des SOR aux Etats-Unis pour qu'ils étudient la façon de les structurer. Pendant deux ans, une mission a associé l'agence nationale, l'ANDEM et les agences américaines, afin d'évaluer la situation. Cet effort avait pour but de réunir tout le monde, non pas pour créer le meilleur système, mais pour permettre aux acteurs d'être intégrés. Ensuite, cela a été élargi en 1996 pour les autres établissements. Malgré la situation actuelle de la médecine axée sur la compétitivité, l'effort réalisé montre qu'il existe une volonté de poursuivre l'expérimentation. Nous devons savoir si nous pouvons introduire la notion de bonnes pratiques professionnelles dans la communauté, afin d'étudier son adaptation et la participation de chacun à ce type d'expérience.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - L'ANAES participe-t-elle à la commission Soubie ?

Pr. Yves MATILLON - L'ANAES est représentée. Nous avons un médecin libéral présent dans la commission Soubie.

M. Francis GIRAUD - Vous avez indiqué qu'il était difficile d'établir un bilan critique de la cancérologie dans notre pays. Cependant, en réalisant le bilan de ce qui a été fait ces dix dernières années, comment voyez-vous l'avenir ? Attendez-vous des bouleversements de thérapeutiques ? Dans ce domaine, dans les dix années à venir, la France a-t-elle besoin d'autres structures ? Au contraire, les réseaux multiples actuels sont-ils efficaces et suffisants ?

Pr. Yves MATILLON - L'exemple du dépistage du cancer du sein est assez intéressant. D'abord, nous disposons actuellement de tous les éléments disponibles, en recommandations de bonnes pratiques, qui sont la condition d'un dépistage efficace en matière de cancer du sein. Ainsi, nous avons une batterie de recommandations de bonnes pratiques et nous savons quelles sont les périodes pendant lesquelles il faut faire le dépistage. Je trouve qu'il est très intéressant d'avoir généralisé le dépistage.

Cependant, il faut nuancer. Les résultats vont-ils être à la hauteur de l'espoir initial ? En 1996 ou 1997, la Direction générale de la santé nous avait demandé d'évaluer le programme de dépistage dans les 16 départements concernés. Cette étude a montré que tous les acteurs, y compris ceux qui remboursent, ont un rôle. Ainsi, le dispositif prévoyait de faire des mammographies dans des conditions particulières. Nous avions montré que ceux qui se soumettaient à une double lecture étaient moins payés que ceux qui effectuaient un dépistage certes de bonne qualité mais non organisé.

Il est clair que la nomenclature joue un rôle fondamental dans la prise en charge des maladies. Pour l'instant, les négociations s'effectuent au coup par coup. Un mécanisme de responsabilisation des acteurs existants pourrait être généré facilement, afin que la nomenclature puisse jouer un rôle important, y compris sur les innovations thérapeutiques que vous évoquiez.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Il existe une certaine paralysie de la commission de la nomenclature, qui se réunit assez rarement.

Pr. Yves MATILLON - Je pense que tous les acteurs sont en place. Les missions doivent être confortées, ainsi que le mécanisme de prise de décision, qui est fondamental dans la nomenclature.

M. Francis GIRAUD - Actuellement, tous les départements sont-ils concernés par le dépistage du cancer du sein ?

Pr. Yves MATILLON - Oui, normalement l'ensemble de la France est concerné.

M. Francis GIRAUD - Et dans la réalité ?

Pr. Yves MATILLON - Dans l'étude, à l'époque, il y avait 18 départements. Sur ces derniers, seuls un ou deux atteignaient les limites minimales des seuils européens considérés comme acceptables. Il existait un énorme effort à accomplir. La proposition que j'évoquais avec vous est de faire en sorte qu'il existe un élément neutre et efficace d'observation et d'évaluation du dispositif.

M. Francis GIRAUD - Quel est le nombre de départements efficaces aujourd'hui ?

M. Claude HURIET, président de la mission - Il y a 31 départements où la prévention fonctionne.

Pr. Yves MATILLON - S'il y a effectivement 31 départements qui fonctionnent, ce serait positif. J'avais été très intéressé, car l'étude était la première à évaluer un programme de santé publique.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Nous allons finalement déboucher sur un problème de structure concernant la cancérologie. Le problème devrait revenir à la Direction générale de la santé. Mais elle dispose d'un fonctionnaire pour toute la France. Vous avez évoqué la commission permanente. Que pensez-vous de l'idée d'un institut national du cancer ?

Pr. Yves MATILLON - Je trouve qu'il faut arrêter de fragmenter le système de santé. Beaucoup d'acteurs existent à ce jour.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Il n'existe pas de ministre de la santé à part entière en France. Vers quel organisme se tourner ?

Pr. Yves MATILLON - Suite à l'étude sur le cancer du sein, par exemple, la Direction générale de la santé voulait nous concéder les quatre personnes qui avaient en charge le dépistage des cancers. L'étude avait coûté 400.000 francs à l'ANDEM, mais avec un retour sur investissement indiscutable. La Direction générale de la santé peut très bien jouer un rôle de pilote afin qu'une coordination soit assurée et que des études soient effectuées.

M. Claude HURIET, président de la mission - C'est d'ailleurs le rôle d'une Direction générale de la santé moderne de concevoir et d'activer des politiques.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Je pense que l'analyse qui a été faite par la Cour des comptes ne vous a pas échappé. Les 46 pages qui ont été rédigées sont cruelles.

Pr. Yves MATILLON - Je pense que les acteurs existent. Il faut simplement qu'il y ait une coordination. Je crois que c'est le rôle de la Direction générale de la santé. Un certain nombre de ses secteurs d'activité ont été concédés à des agences. A ce titre, l'étude du cancer du sein était intéressante. Nous aurons les mêmes types de sujets avec le cancer de la prostate et le cancer colorectal.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Le cancer du sein est engagé maintenant sur une voie qui me paraît irréversible puisque le ministre de la santé a décidé que désormais son dépistage est relayé sur l'ensemble du territoire, à partir de 50 ans. Avec quels moyens s'effectuera ce dépistage ?

Pr. Yves MATILLON - J'avais eu accès à une étude réalisée par la Ligue nationale de lutte contre le cancer. Elle montrait globalement que le dépistage organisé permettait d'économiser de l'argent par rapport au dépistage tel qu'il est réalisé spontanément. Si cette étude faite en Ile-de-France est valide à l'échelon national, nous pouvons espérer être plus efficace et coûter moins cher. Il faut simplement s'assurer que le programme mis en oeuvre est efficace, que les femmes vont se faire dépister. Une évaluation est nécessaire

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - N'avez-vous pas le sentiment que pendant de nombreuses années les actions de la Ligue nationale de lutte contre le cancer et celles de l'ARC tenaient lieu de politique contre le cancer pour la France ? Les gouvernements se sont reposés sur les actions menées par ces organisations, et il n'y a pas eu sur le plan national de prise de conscience de la nécessité d'une coordination de la Direction générale de la santé.

Pr. Yves MATILLON - Il faut en effet généraliser les programmes, s'assurer de leur efficacité et les corriger s'il existe des dérives. Je pense qu'un système de pilotage est techniquement possible.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Quelle doit en être la forme ?

Pr. Yves MATILLON - J'ai discuté du dispositif que vous avez évoqué avec les trois directeurs généraux de la Santé qui se sont succédé. Il est possible d'avoir une coordination de la Direction générale de la santé sur ce type de programmes. Il existe des organisations, telles que l'ANAES, qui peuvent donner un avis neutre et indépendant à la demande, par exemple, du ministre. De plus, le cancer bénéficie d'un fort impact symbolique sur la population : il touche beaucoup d'individus. Il draine des fonds considérables par rapport à d'autres spécialités. Il existe donc un fort effet d'attraction, mais l'investissement dans la recherche n'est pas forcément synonyme de résultats. Je pense donc que les acteurs d'un mécanisme de concertation existent, et qu'ils doivent assumer pleinement leur mission. Il est souhaitable d'établir un suivi en temps réel des programmes.

Par ailleurs, il est fondamental de remettre en place le mécanisme de nomenclature. L'ANAES remplit une mission spécifique sur les actes mis à la nomenclature. Elle donne un avis préalable à la réunion de la commission de la nomenclature. Je pense qu'il est absolument indispensable d'avoir un mécanisme de prise en compte et de gestion de la nomenclature.

M. James GOLDBERG - Nous devons peut-être préciser notre mission dans la nomenclature, car elle est très spécifique.

Pr. Yves MATILLON - La loi dit que nous devons donner un avis sur les actes, avant de faire proposition à la commission de la nomenclature. Nous avons donné l'avis sur la nomenclature en tenant compte de ce que font notamment les Australiens, les Suisses et les Américains. Nous avons travaillé sur le libellé de l'acte mais aussi sur les conditions techniques de réalisation, ainsi que sur les compétences des acteurs. Il s'agit d'un enjeu fondamental pour l'avenir.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Avez-vous fait un bilan des activités que vous avez engagées concernant la lutte contre le cancer ?

Pr. Yves MATILLON - Pas véritablement. Je suis content d'en parler avec vous, car cela permet de recenser l'ensemble des recommandations de bonnes pratiques, de faire un point sur la situation et l'impact des propositions de la mission d'information en matière de santé publique.

M. Claude HURIET, président de la mission - Le docteur Goldberg indiquait que le Sénat américain avait effectué un rapport sur l'organisation de la lutte contre le cancer du sein.

M. James GOLDBERG - Il pose le problème de l'équité entre régions, et du respect des pratiques et des besoins des régions.

M. Claude HURIET, président de la mission - De quand date ce rapport ?

M. James GOLDBERG - Trois rapports sont sortis : en 1996, 1998 et tout récemment. Ils sont accessibles par Internet.

Pr. Yves MATILLON - Je vais revenir sur la question qui a été posée à propos des réseaux. Une des missions de l'Agence consiste à accréditer les réseaux et les groupements de coopération sanitaire. Il y a deux ans, nous avons publié un document un peu académique sur l'évaluation des réseaux. Nous sommes en train de préparer un rapport qui sortira fin 2001 sur la constitution des réseaux, étudiant les invariants et les éléments variables qui les constituent. En effet, nous ne pouvons pas accréditer des réseaux sans savoir à quoi ils correspondent. Or il existe de très grandes différences dans la structuration des réseaux.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Quelle est la filière pour être accrédité comme réseau ?

Pr. Yves MATILLON - C'est ce que nous sommes en train d'étudier, car cela n'est pas clair.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - J'ai l'impression que des gens s'intronisent eux-mêmes comme réseau.

M. Francis GIRAUD - Les réseaux, ce sont des mots

Pr. Yves MATILLON - Normalement, c'est l'ANAES qui va in fine accréditer, car c'est la mission que lui confère la loi. Nous avons déjà travaillé avec les établissements de santé, qui sont des entités facilement délimitées. Ici, nous allons observer une vingtaine de réseaux afin de connaître leur fonctionnement. Nous sommes obligés d'en interroger une trentaine, car un sur trois n'a pas d'existence réelle. Ce sont en effet des mots. Il existe évidemment des jeux de pouvoir autour de la structuration des réseaux, qui entraînent d'ailleurs la perplexité de l'ARH par exemple.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - La ligne régionale me paraît intéressante : ONCOLOR en Lorraine, ONCORA dans la région Rhône-Alpes. Dans ma ville, il existe un réseau qui prend en compte les privés, les mutualistes, et l'hospitalisation publique. En général, j'ai l'impression que, dans les réseaux régionaux, des règles communes sont déjà mises en place.

Pr. Yves MATILLON - Il existe en effet une tentative de structuration qui correspond à une réalité du soin. Au niveau de la région Rhône-Alpes, on a créé le réseau ONCORA en raison du leadership du centre anticancéreux. Dans le même temps, des praticiens du CHU ont encouragé la création d'un réseau autour du CHU à visée concurrentielle. A Marseille et ailleurs, la situation est semblable. Nous sommes donc en train d'étudier avec des sociologues la structuration des réseaux, afin de connaître les invariants et les éléments variables de leurs structures. De plus, le financement joue un rôle très important.

M. Francis GIRAUD - La progression de ce type d'organisation est positive, et les effets d'annonce sont remarquables. Cependant, à quel rythme progresse le processus sur le terrain ?

Pr. Yves MATILLON - J'estime qu'il progresse assez lentement.

M. Francis GIRAUD - Vous indiquez qu'il existe 31 départements où la prévention et le dépistage du cancer du sein fonctionnent. Mais une politique nationale doit couvrir l'ensemble des départements.

Pr. Yves MATILLON - Vous soulignez un aspect très important. Nous devons déjà nous interroger sur le niveau d'efficacité des 16 départements couverts par l'étude et a fortiori pour les 90. L'analyse de la situation actuelle est capitale.

M. Francis GIRAUD - Votre organisation a donc un rôle essentiel. Avez-vous les moyens de l'assumer ?

Pr. Yves MATILLON - Oui, mais j'estime qu'il s'agit d'une question d'harmonie et d'équilibre dans le système de santé. Je ne pense pas que l'ANAES doive avoir le monopole de ce type de sujet. Nous devons mettre en place le système qui permette de responsabiliser les acteurs, et observer les résultats pour permettre de progresser.

M. Francis GIRAUD - En ce qui concerne l'efficacité de son organisation, comment se situe la France par rapport aux Etats-Unis et à l'Europe ?

M. James GOLDBERG - La France se situe remarquablement bien. La France est un pays très individualiste et se met peu en avant. Aux Etats-Unis, il existe des systèmes multiples dans chacun des 51 Etats. De plus, les évaluations objectives sont difficiles, car 40 millions d'Américains sont en dehors du système de santé.

Nous travaillons depuis 10 ans sur le plan de l'Union européenne. Nous sommes très sensibles à ce qui se passe en Europe. La France dispose avec l'ANAES de la plus grande agence d'accréditation et d'évaluation. Elle a été soucieuse d'étudier ce qui peut être élaboré dans les domaines de l'évaluation technologique, des pratiques professionnelles, de l'accréditation et dans la qualité. Même si les progrès sont lents, nos connaissances et nos réflexions sur le sujet sont importantes.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Vous aviez 13 thèmes d'évaluation clinique pour l'an 2000. En 2001, n'avez-vous pas l'intention d'évaluer la méthode de traitement du cancer de la prostate ?

Pr. Yves MATILLON - Cela n'a pas été mentionné dans le programme. Nous sommes en discussion sur ce sujet avec la Direction générale de la santé depuis l'arrivée de Bernard Kouchner. Une étude assez rapide va sans doute être effectuée : existe-t-il des données qui modifient la position de principe ? Il n'y a pas lieu d'effectuer un dépistage systématique pour tous les hommes au-delà de 55 ans. L'étude du traitement du cancer localisé de la prostate était intégrée dans le programme d'activités 2000, et va être prochainement diffusée.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - C'est important, car je me suis aperçu qu'il existait des discussions d'école entre le traitement radiothérapique et le traitement chimique. Il existe également le terrible problème de l'inégalité sur le plan du territoire. Ainsi, dans le département de la Loire, les personnes malades du cancer sont envoyées à Grenoble ou à Lyon car nous ne disposons pas du matériel pour les traiter.

Pr. Yves MATILLON - Dans le domaine des traitements nouveaux, il faut développer l'évaluation de l'efficacité et de l'utilité des techniques.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Je pense que dès qu'un traitement démarre, il est nécessaire de l'évaluer.

Pr. Yves MATILLON - La recherche sur les médicaments a été très développée dans de nombreux pays. Par contre, la recherche sur les stratégies thérapeutiques non médicamenteuses et les stratégies diagnostiques est encore à un stade plus embryonnaire. La méthodologie de l'essai clinique thérapeutique contrôlé est connue de tous les étudiants en médecine. Mais les courbes/ROC/, les tests de sensibilité et spécificité sont beaucoup moins connus. La recherche clinique souffre donc du manque d'investissement et de structuration des équipes de recherche. J'ai communiqué au directeur de la caisse d'assurance maladie ce qui était issu des recommandations de bonne pratique avec les pistes de recherche clinique pertinentes identifiées par les groupes de travail. Moins de 1 à 2 % sont financés. Dans ce domaine, le PHRC peut apporter une aide. Il est également nécessaire que les grandes organisations en charge de la recherche, CNRS et INSERM, financent ce type d'études.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - La recherche est beaucoup trop dispersée.

Pr. Yves MATILLON - Pour les réseaux, un document sera établi fin 2001. Comme je l'évoquais, le problème du financement de l'activité par les réseaux est un élément clé. Le réseau essaie donc de se faire reconnaître pour obtenir des financements particuliers.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Ce sujet est relié principalement au problème de la nomenclature. Quelle est la place de la coloscopie virtuelle dans le dépistage du cancer colorectal ?

Pr. Yves MATILLON - Nous essayons de voir si cela peut influencer le dépistage.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - C'est assez discuté.

M. James GOLDBERG - J'étais présent à Stockholm lors de la présentation des résultats il y a quelques jours. Ils sont encore très limités et très discutés.

Pr. Yves MATILLON - Nous sommes dans une phase où il faut développer la recherche clinique pour savoir. Une interface avec les organismes de recherche doit être développée pour mettre en oeuvre les études qui permettront de savoir d'ici un à deux ans. Si nous ne posons pas la question maintenant, la réponse ne pourra pas être connue.

M. James GOLDBERG - Monsieur Neuwirth, vous avez indiqué que vous alliez interroger Henri Pujol. Il est professeur d'université Il a travaillé avec l'ANDEM. Il était président de fédération des centres. Il est président de la Ligue. Il existe donc une convergence entre les souhaits de la fédération des centres, de la Ligue et de l'ANAES, notamment en matière de recherche.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Je crois que l'action d'associations telles que la Ligue contre le cancer ou l'ARC a entraîné un certain désintéressement des services de la santé publique, qui se sont reposés sur elles.

Pr. Yves MATILLON - A l'avenir, je pense qu'il faudra être très vigilant car les coûts liés au traitement des cancers vont augmenter considérablement. La recherche d'efficacité et d'utilité va donc être très importante

M. James GOLDBERG - Tous les directeurs d'établissements de santé sont très soucieux du financement des nouveaux traitements en chimiothérapie.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Bien entendu. Cette situation est une réalité dans tous les CHUet les centres hospitaliers. Les traitements coûtent de plus en plus cher.

Pr. Yves MATILLON - En 1990, je ne connaissais pas très bien la cancérologie. J'avais lu un éditorial écrit par M. Devitta, directeur du NCI aux USA. A l'époque, on parlait beaucoup du traitement radiothérapique du cancer du sein. En 1991, nous avions discuté de l'opportunité de travailler sur la radiothérapie et le cancer du sein. Il n'existait aucune étude publiée dans le monde pour montrer que la radiothérapie servait à quelque chose, en termes de population large. A l'époque, il n'existait pas d'évaluation. On ne savait pas s'il fallait irradier les chaînes mammaires internes, les ganglions. Le premier essai européen a été mis en place en 1992.

M. James GOLDGERG - Sur ces questions, nous nous interrogeons de façon beaucoup plus large. Nous nous attachons à la population du pays. En vingt ans, nous sommes passés d'un stade local à un échelon régional et national. Je vous félicite pour cette mission d'information, qui oblige les gens à réfléchir et à prendre conscience des difficultés et permettre une meilleure compréhension de ces situations.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - C'est la raison pour laquelle nous souhaitons réfléchir à une globalisation de la politique du cancer. Nous voulons couvrir tous les aspects, y compris les origines alimentaires, héréditaires. Il faudrait aider considérablement la recherche.

Pr. Yves MATILLON - J'ai été sollicité par l'association des médecins du travail et la Direction du travail sur les notions de cancers professionnels. Les critères d'imputabilité du caractère professionnel des cancers paraissent assez complexes et flous. Il existe une demande pour définir les facteurs exposant certaines professions à certains cancers et pour formaliser le lien de cause à effet.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - On s'est focalisé sur l'amiante.

Pr. Yves MATILLON - Oui, mais il n'y a pas que l'amiante

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Ne croyez-vous pas qu'il faudrait qu'il existe un organisme national qui organise tout cela ?

Pr. Yves MATILLON - La difficulté de la médecine est de gérer la transversalité dans l'approche du malade. Tous les cardiologues sont d'accord pour créer un institut d'observation des maladies cardiovasculaires. C'est la même chose pour les maladies infectieuses, la neurologie.. Il est difficile pour un institut du cancer ou de cardiologie de faire accepter que des disciplines différentes s'en occupent. Il paraît délicat de nommer un non-cancérologue à la tête d'un institut de cancérologie. En France, il est donc difficile de proposer des actions transversales et de limiter l'influence des lobbys.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Non, c'est le rôle de l'ANAES

Pr. Yves MATILLON - Il existe des résistances générées par le fait que nous nous en occupions en y apportant une contribution spécifique.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Je souhaiterais aborder la question de la recherche. On prétend que les laboratoires consacrent davantage d'argent à la recherche que le public. Qu'en pensez-vous ?

Pr. Yves MATILLON - Je n'ai pas d'éléments pour vous répondre.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Comment arriver à des convergences de la recherche en matière de cancérologie ?

M. James GOLDBERG - Je pense que vous avez vu avec Jacques Robert l'effort phénoménal accompli par le groupe Weeston pour améliorer l'entente entre les personnes intéressées par le traitement de la douleur. Les universités, les spécialistes locaux de toutes origines -privées, publiques, universitaires- ont participé aux réflexions sur la douleur et la prise en charge palliative. L'INSERM a investi. Nous avons démontré qu'il existait une parfaite transparence dans l'effort accompli par l'industrie pharmaceutique pour soutenir un institut réunissant l'ensemble des acteurs.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - En ce qui concerne la douleur, il existait un sentiment de service public. Je m'étais saisi du problème en 1994, au sein de la commission des Affaires Sociales. Mon postulat était le suivant : la douleur n'est ni de droite ni de gauche, elle nous concerne tous et nous devons faire un effort commun pour arriver à la dominer. Tous les textes ont été votés à l'unanimité, au Sénat et à l'Assemblée. Dans le même temps, le courant est passé en ce sens dans l'ensemble de la société civile : industrielle, commerciale, associative...

En ce qui concerne le cancer, je voudrais qu'il soit considéré comme un fléau contre lequel il faut regrouper toutes les initiatives et les moyens pour lutter contre, pour finir par l'éradiquer. Il s'agit peut-être d'une conception trop idyllique, mais je crois que l'on ne réussira que de cette façon. Il existe des débuts positifs. Dans le domaine de la douleur des enfants, deux laboratoires ont développé des produits spécifiques. Il existe également des patchs qui sont sortis. Avec l'idée d'universalisation, les laboratoires ont investi car un vaste marché s'ouvrait. Je souhaiterais que, pour le cancer, nous arrivions à quelque chose de similaire.

Pr. Yves MATILLON - La recherche est facilitée lorsqu'il existe une convergence d'intérêts en termes de marché et d'intérêt collectif. Par contre, en cas de divergences d'intérêt, cela devient plus complexe. Elles peuvent se produire lorsqu'il existe des débouchés importants alors que les zones d'efficacité sont marginales.

M. James GOLDBERG - Yves Matillon a été modeste sur le rôle de l'ANAES.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Je pense que l'ANAES va devenir de plus en plus indispensable. L'ANAES va nous permettre d'utiliser de façon plus rationnelle des moyens financiers.

M. James GOLDBERG - Yves Matillon a mis fin aux tentatives des laboratoires pour tenir des conférences de consensus dans une période de deux ou trois ans. La rigueur de l'Agence permet neuf mois de préparation et une labellisation des méthodes. Je pense que l'industrie doit être mise à contribution. Avec Internet et les nouvelles technologies, nos tutelles doivent bien contrôler l'information. Nous vivons à une époque où l'exigence de rapidité dans les résultats est très élevée. Les institutions doivent être vigilantes pour le respect de chaque étape. L'ANAES a fait des efforts importants sur la méthodologie, le calendrier et la rigueur pour conserver la transparence.

Pr. Yves MATILLON - Dans le rapport « Evaluation du programme national de dépistage systématique du cancer du sein » publié en mars 1997, il existe de nombreux éléments pour identifier des perspectives.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Pensez-vous que l'on va réussir à créer un mouvement unanime pour lutter contre le cancer, lui faire la guerre ?

Pr. Yves MATILLON - Je pense que vous pouvez y arriver car il s'agit d'une grande cause nationale. J'estime qu'il est important de responsabiliser les acteurs et de leur préciser leur mission et leurs responsabilités, depuis l'initialisation jusqu'au pilotage et au suivi.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Existe-t-il une coordination réelle entre les organismes de recherche publics et privés ?

Pr. Yves MATILLON - Pas à ma connaissance aujourd'hui en France

M. James GOLDBERG - Ils sont par nature en concurrence. Le marché n'a pas la même déontologie et les mêmes objectifs que le public. Les institutions sont là pour vérifier qu'il existe équité et transparence. Dans le domaine thérapeutique, il existe des rivalités pour obtenir des financements. Je souhaiterais que l'on fasse le bilan des dépenses de cancérologie de l'ensemble des partenaires : INSERM, CNRS, universités, fédération des centres...

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Il faudrait qu'il existe un budget de la santé publique. Comme vous le savez, il n'existe pas de ministère de la Santé publique, ni de budget autonome de la santé publique. On a remplacé le budget de la santé publique par le financement de la sécurité sociale.

Pr. Yves MATILLON - J'avais été intéressé par l'étude sur le cancer du sein réalisée par la Ligue. Elle mettait en évidence ce qui était consacré au dépistage du cancer du sein en Ile-de-France dans les budgets de la caisse d'assurance maladie. A l'ANAES ou à l'INVS nous connaissons les budgets consacrés à l'observation des cancers. Nous savons ce qui est engagé en termes de recommandations de bonnes pratiques sur les cancers. Le ministère a financé cette année l'actualisation de ces données par la fédération des centres anticancéreux.

M. James GOLDBERG - Les observations démographiques donnent-elles une image de la situation ?

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Nous croisons les données de l'INSERM, de l'INVS, et de l'INSEE. Ce n'est pas la construction idéale. Nous la recherchons avec mes collègues. J'ai été très frappé par le rapport de la Cour des comptes. Son Président m'a indiqué que les commissaires de la sixième Chambre et lui-même avaient été profondément interpellés par ce qu'ils avaient découvert.

Pr. Yves MATILLON - Je pense qu'il existe des réponses aux questions que vous posez. La Direction générale de la santé pourrait se consacrer de manière forte au pilotage.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Cela devrait être sa vocation. Certains disent qu'il faudrait un Institut national du cancer, ou une commission permanente. Je pense que l'organisme coordinateur est le ministère de la santé à travers sa Direction générale de la santé.

Pr. Yves MATILLON - Je vais dans votre sens sur l'analyse de la situation. J'estime qu'il est de la mission de la Direction générale de la santé d'assurer le pilotage de l'évaluation des actions de santé publique.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Des actions sporadiques de lutte contre le cancer ont été lancées. Cependant, il n'y a jamais eu d'évaluation des résultats. Je trouve cela invraisemblable.

Pr. Yves MATILLON - Je pense que vous avez interrogé la CNAM et le secteur prévention de la CNAMTS qui doit avoir des informations sur ce sujet.

M. James GOLDBERG - Je pense que, dans 10 ans, il existera des possibilités thérapeutiques. Cela va coûter cher. Le travail que vous effectuez aujourd'hui a aussi pour but d'assurer l'équité et l'universalité. J'espère que, dans 10 ans, contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis, les personnes susceptibles d'être guéries seront toutes en mesure de recevoir les traitements nécessaires.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - C'est mon ambition. Je sais que c'est un travail de longue haleine.

M. James GOLDBERG - Je pense que, dans les prochaines années, l'effort d'aujourd'hui permettra à la France de parvenir à une couverture pour tout le monde.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - C'est pourquoi on ne peut pas faire l'impasse sur l'évaluation des thérapeutiques mises en place, notamment leur coût.

Merci de votre participation.

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