LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

• Monsieur Bernard KOUCHNER, ministre délégué à la santé

• Docteur Pascale GROSCLAUDE, directeur scientifique du registre des cancers du Tarn, secrétaire du réseau français des registres de cancer

• Professeur Michel MARTY, directeur de la recherche thérapeutique et de la stratégie médicale à l'Institut Gustave Roussy (Villejuif)

• Professeur Thierry PHILIP, président, Monsieur Dominique MAIGNE, délégué général et Monsieur Laurent BORELLA, délégué général adjoint, de la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer

• Madame Régine GOINÈRE, fondatrice et présidente de l'Association d'aide et de soutien aux malades atteints du cancer « Vivre avec » (Lyon)

• Madame Nicole ALBY, présidente, Docteur Pascale ROMESTAING, radiothérapeute au CHU de Lyon-Sud, vice-présidente, et Docteur Marc ESPIE, cancérologue à l'hôpital Saint-Louis, membre du conseil scientifique, de l'Association Europa Donna Forum-France (association pour l'information des femmes sur le cancer du sein et l'amélioration de la prise en charge de cette maladie)

• Docteur Guy de LAROCHE, radiothérapeute, président du réseau de qualité en cancérologie privée de la Loire, membre du bureau du réseau de soins coordonnés en cancérologie de la région Rhône-Alpes (ONCORA)

• Professeur Pierre BEY, président, et Docteur Hervé GARIN, responsable du système d'information, du réseau de soins en cancérologie de la région Lorraine (ONCOLOR)

• Professeur David KHAYAT, cancérologue chef de service d'oncologie médicale à l'hôpital de la Pitié-Salpétrière, co-organisateur du sommet mondial contre le cancer

• Professeur Victor IZRAEL, cancérologue, chef de service à l'hôpital Tenon (Paris)

• Monsieur Jean-Pierre RICHARD, délégué général adjoint de la Fédération hospitalière de France, Professeur Jean CLAVIER, fondateur de l'Institut de cancérologie et d'hématologie du CHU de Brest, président de la Fédération nationale de cancérologie des CHU et Monsieur Didier DELMOTTE, directeur général du CHU de Lille, vice-président de la Fédération nationale de cancérologie des CHU, et M. le Professeur Pierre DEGAND, président de la commission médicale d'établissement du CHU de Lille, de la Fédération hospitalière de France

• Monsieur Gérard DUBOIS, président du comité national de lutte contre le tabagisme

• Professeur Yves MATILLON, président de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé

• Professeur Henri PUJOL, président de la Ligue nationale contre le cancer

• Madame le Professeur D. SOMMELET, présidente du Groupe français d'études des cancers et leucémies de l'enfant

• Monsieur Jean-Marie SPAETH, président de la CNAMTS et Madame Yvette RACT, médecin conseil national adjoint

• Professeur Jean-Pierre BADER, cancérologue - cancers colorectaux

En outre, M. Lucien Neuwirth, rapporteur, a évoqué, avec M. Lucien Abenhaïm, directeur général de la santé, la politique de lutte contre le cancer dans le cadre d'un entretien particulier.

I. AUDITION DE M. BERNARD KOUCHNER, MINISTRE DÉLÉGUÉ À LA SANTÉ, SUR LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LE CANCER (JEUDI 14 JUIN 2001)

M. Claude HURIET, président - Monsieur le ministre, je vous accueille avec plaisir au nom de la mission d'information que la commission des Affaires sociales a décidé de créer, afin que vous puissiez nous éclairer sur les conclusions à tirer du rapport de la Cour des comptes. Ce rapport a certainement été pour nous comme pour vous le point de départ d'une réflexion qui n'est pas encore parvenue à son terme.

J'ai également le plaisir d'accueillir le Président de la commission des Affaires culturelles, notre collègue et ami Adrien Gouteyron.

Nous serons tous attentifs aux réponses que vous apporterez aux questions du rapporteur, Lucien Neuwirth, qui a été à l'initiative de la proposition entérinée par la commission des Affaires sociales ; nous pensons être éclairés quant aux intentions du Gouvernement pour améliorer la définition et la mise en oeuvre de la politique de lutte contre le cancer.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Monsieur le ministre, mes chers collègues, monsieur le président, je souhaite rappeler qu'il est dans la vocation de la commission des Affaires sociales du Sénat de se saisir des grands dossiers de société, et également de ceux concernant la santé publique. C'est ainsi que, fin 1994, elle votait à l'unanimité les textes conduisant à la prise en charge de la douleur également votés à l'unanimité à l'Assemblée Nationale. En 1999, la loi concernant la mise en oeuvre des soins palliatifs, désormais admis comme un droit pour chaque citoyen, était également adoptée à l'unanimité des deux assemblées.

Aujourd'hui, après la sévère mise en cause de la Cour des comptes sur la politique de lutte contre le cancer de notre pays, la commission a estimé devoir désigner une mission d'information du Sénat afin d'examiner la situation. Après vous avoir auditionné, monsieur le ministre, ainsi que le Directeur général de la santé, le président de la CNAMTS, les spécialistes les plus éminents de la cancérologie et les représentants des malades, la mission présentera son rapport. Son rapporteur ne peut d'ailleurs que se réjouir de l'émulation suscitée par cette mission, des volontés d'intervention qui se multiplient, et en particulier de la volonté affirmée par vous-même, monsieur le ministre délégué, de définir une politique déterminée de notre pays en matière de lutte contre le cancer, d'y consacrer les moyens nécessaires et d'en assurer le suivi.

Je vous propose de vous donner l'essentiel des réponses des différentes personnes que nous avons reçues sur les problèmes qui nous concernent aujourd'hui.

Madame le docteur Pascale Grosclaude, secrétaire du Réseau français des registres du cancer, a souligné les effets négatifs de l'insuffisance actuelle des moyens financiers sur le bon fonctionnement de ces registres. Pour sa part, votre rapporteur estime qu'il faut établir un bilan des coûts et avantages concernant ces registres.

Le Professeur Michel Marty, Directeur de la recherche thérapeutique et de la Stratégie médicale à l'Institut Gustave Roussy, a plus particulièrement regretté le manque de cohérence de la politique qui résulte, selon lui, de l'absence d'une structure institutionnelle capable d'assurer la coordination et l'évaluation contractuelle des acteurs concernés. Cette revendication est revenue plusieurs fois dans le discours des personnalités que nous avons auditionnées. Il a également insisté sur le retard préoccupant pris par notre pays en ce qui concerne la recherche de transferts, c'est-à-dire la recherche aboutissant à des innovations thérapeutiques. Il a estimé que, dans l'hypothèse où ce retard devait devenir irrémédiable, la France serait en situation de dépendance à l'égard de stratégies thérapeutiques élaborées dans d'autres pays et plus particulièrement aux Etats-Unis.

Le Professeur Thierry Philip a souhaité que les moyens financiers consacrés à la lutte contre le cancer s'inscrivent dans des enveloppes budgétaires nettement individualisées. Il pense par ailleurs que le plan actuel de lutte contre le cancer n'apporte pas suffisamment de réponses pertinentes à la pénurie prévisible de personnel en radiothérapie. Enfin, il souhaite l'extension à l'ensemble du territoire national des dispositifs de prise en charge globale des malades, actuellement mis en oeuvre dans huit régions seulement.

Nous avons ensuite reçu Madame Nicole Alby, Présidente de l'association Europa Donna Forum-France, accompagnée du Docteur Pascale Romestaing, qui a souhaité que le dépistage du cancer du sein -dont vous avez pris l'heureuse décision qu'il soit généralisé dans l'ensemble de notre pays- soit idéalement fixé à 45 ans. Elle a également regretté que le dépistage ne soit à l'époque organisé que dans 30 départements.

Le Docteur Guy De LaRoche, radiothérapeute et Président du Réseau de qualité et soins coordonnés en cancérologie de la région Rhône-Alpes, a regretté la complexité des procédures administratives préalables à la constitution des réseaux de soins coordonnés. Il en a souhaité la simplification et l'unification sur le plan national. Il a également indiqué qu'il lui semblait préférable de favoriser une organisation décentralisée de la politique contre le cancer, seule capable de s'adapter à la diversité des situations locales. Il a enfin estimé que le déficit démographique d'ores et déjà prévisible dans certaines spécialités (radiothérapie, oncologie...) soit l'un des principaux défis auxquels se trouveront confrontées les politiques publiques de lutte contre le cancer au cours des prochaines années.

Le Professeur Pierre Bey, responsable avec le Docteur Hervé Garin du système d'information du Réseau de Lorraine, ONCOLOR, a souligné la nécessité pour ces réseaux de conserver leur liberté d'adaptation aux particularités régionales. Il estimait nécessaire d'adapter les formations initiales de l'ensemble des professionnels de santé concernés (omnipraticiens, chirurgiens, infirmières, pharmaciens...) aux exigences particulières de la cancérologie. Il a aussi souhaité un décloisonnement des modes de financement capable d'accompagner efficacement le décloisonnement fonctionnel déjà opéré par les professionnels de santé.

Le Professeur David Khayat, coordinateur du Sommet mondial contre le cancer, a souligné le caractère universel du cancer et de ses conséquences sociales et humaines. Il a estimé que la défense et la promotion des droits des malades qui fondent la démarche du Sommet mondial contre le cancer étaient indissociables du combat pour le respect de la dignité humaine et la défense des Droits de l'Homme.

Le Professeur Victor Izrael, cancérologue et chef de service à l'hôpital Tenon, a déclaré partager la plupart des conclusions de la Cour des comptes dans son rapport sur la sécurité sociale de septembre 2000. Il a notamment estimé que le programme national de lutte contre le cancer de février 2000 n'était qu'une juxtaposition de mesures assez dépareillées, et de déclarations de bonnes intentions dont la réalisation concrète était rendue difficile sinon impossible du fait du manque de moyens. Il s'est lui aussi déclaré plutôt favorable à des démarches locales et décentralisées, sur le modèle de l'Agence du cancer de la ville de Paris. Il a souhaité que l'action publique s'accompagne de cette évolution, tout en évitant dans la mesure du possible le développement des carcans administratifs. Il a également souhaité la création d'un registre national du cancer.

Enfin, la Fédération hospitalière de France, représentée par son président, le délégué général adjoint, Jean-Pierre Richard et le Professeur Jean Clavier, a estimé que le programme national de lutte contre le cancer était incontestablement ambitieux. Elle a jugé pertinent de créer au niveau national un comité permanent du cancer qui, en s'appuyant sur la commission de suivi existante, pourrait être l'interlocuteur unique pour toutes les questions tenant à l'organisation de la cancérologie. Ce comité permanent pourrait se décliner au niveau régional en lien avec les Agences régionales de l'hospitalisation, afin de coordonner les actions entreprises. Il a souligné que l'évolution actuelle de la cancérologie rendait indispensable la collaboration de tous les professionnels de santé concernés dans le cadre d'une démarche pluridisciplinaire. Il a notamment abordé la nécessité de favoriser des passerelles entre la formation de spécialiste d'organes et celle des cancérologues, radiothérapeutes ou oncologues médicaux, la nécessité d'inciter les internes à s'orienter vers la cancérologie, ainsi que celle de promouvoir l'interdisciplinarité dans des enseignements intégrés associant l'ensemble des intervenants médicaux.

Je vous ai fait là un résumé succinct de l'ensemble des auditions que nous avons faites jusqu'à présent. Nous vous rendrons bien entendu compte des autres lorsque tout sera terminé. Je vous avais adressé un questionnaire et je pense qu'il n'est pas utile de le redonner : mes collègues seront plus intéressés par les réponses que vous avez à apporter.

M. Claude HURIET, président - Il me faut saluer la présence du président de la commission des Affaires sociales, ainsi que celle des représentants de la presse qui ont répondu à l'invitation de la mission.

Dans les auditions qui sont aujourd'hui presque parvenues à leur terme, on voit bien, monsieur le ministre, que les sujets de préoccupation sont au nombre de deux ; ils concernent la définition d'une politique de lutte contre le cancer, avec la recherche de l'interlocuteur le plus pertinent, et la mise en oeuvre de cette politique, à travers l'organisation et les moyens humains et équipementiers. Cela rejoint les observations qui ont été faites par la Cour des comptes. La mission attend avec intérêt les réponses que vous pouvez lui fournir.

M. Bernard KOUCHNER, ministre de la santé - Merci monsieur le président, merci monsieur le rapporteur. Je vais répondre à vos questions en quelques mots. Le cancer concerne 700.000 personnes, pour 250.000 nouveaux cas par an. Si le cancer est une préoccupation importante, il présente une absence de visibilité certaine. On porte sans doute une attention insuffisante à cette maladie essentielle, pour des raisons diverses (l'apparition d'autres maladies, l'orientation de la mode...). Je crois que nous avons mis presque bon ordre à cela. On pouvait estimer qu'il n'y avait pas de politique assez clairement affichée dans le domaine de la lutte contre le cancer. Avant mon départ pour le Kosovo en 1997-1998, j'avais souhaité un véritable programme pluriannuel avec des objectifs clairement affichés ; je crois que c'est désormais une réalité. Les axes de cette politique s'orientent principalement vers la mise à disposition de soins de meilleure qualité, la prévention, le dépistage, le droit des malades et la recherche.

1. La prévention

La prévention concerne avant tout le tabagisme et l'alcoolisme. Nous nous étions engagés à multiplier les structures de prise en charge : nous l'avons fait, même si ce n'est pas encore suffisant. 100 millions ont été mis à disposition l'année dernière pour la mise en place des structures de prise en charge de lutte contre le tabagisme et l'alcool dans chaque hôpital. Cet effort se poursuivra pour qu'à terme tout hôpital de plus de 200 lits puisse disposer de telles structures.

Médecins généralistes et dermatologues ont été largement mis à contribution en ce qui concerne les risques d'exposition aux rayons ultraviolets. Par ailleurs, un effort considérable a été fait dans le domaine de la nutrition, avec la promotion des légumes et des fruits : ce programme représente 30 millions de francs.

2. Le dépistage

Les priorités concernaient le cancer du sein, le cancer colorectal et le cancer de l'utérus ; nous avançons désormais à grands pas vers la prise en charge du cancer de la prostate. Cette dernière pourra d'ailleurs se faire de bien meilleure manière que ce que nous avions envisagé jusque là car un certain nombre de « clans » s'affrontent dans ce domaine, comme c'est souvent le cas en médecine. En particulier, la chirurgie urologique fait d'énormes progrès avec la robotique, et de nouvelles molécules donnent beaucoup d'espoir au dépistage, puis à la prise en charge.

En ce qui concerne l'âge d'accès au dépistage, monsieur Neuwirth, celui que vous avez évoqué (45 ans) ne correspond pas à la vision de l'ANAES, qui pense que le dépistage n'est pas nécessaire de 40 à 49 ans. Il y a là un conflit scientifique passionnant que nous avons tranché pour l'instant en décidant que les dépistages automatiques auraient lieu de 50 à 74 ans, mais si nous devons commencer à 45 ans, nous le ferons.

Hier, la CNAM a signé avec enthousiasme avec les radiologues, ce qui n'a pas été facile ; je salue leur coopération et leurs efforts. J'espère pouvoir commencer avant la fin de l'année : l'annonce officielle sera faite par Elizabeth Guigou et moi-même dans quelques jours. Chaque femme de ce pays âgée de 50 à 74 ans recevra une convocation pour aller se faire dépister tous les deux ans, sachant que la lecture sera double et éventuellement triple. Les prises en charge pourront enfin être coordonnées dans ce domaine.

3. Les moyens

Chaque région a défini son mode d'action en considérant le cancer comme son premier souci. Les régions Nord-Pas-de-Calais, Picardie et Rhône-Alpes sont particulièrement en pointe dans ce domaine. Nous sommes allés ensemble, Lucien Neuwirth, écouter le Club Léon Bérard à Lyon, et il m'a paru très encourageant de voir comment les professionnels multidisciplinaires ont pris en charge des sujets bien difficiles. Je sais que notre système est trop cloisonné : il nous faut aller vers le décloisonnement. Nous avons voulu adapter notre médecine aux techniques innovantes, nous avons porté le nombre de Pet-Scan, ces scanners qui repèrent la tumeur en trois dimensions de manière très précise, à 20.

A ce propos, je devais aller demain à Brest où nous avions accepté de remettre un de ces appareils, mais la situation sociale est tellement tendue à l'hôpital, les conflits qui opposent le personnel médical et paramédical sont à ce point caricaturaux que le ministre de la santé n'a rien à y faire. Des manifestations qui n'ont rien à voir avec la santé s'établissent tous les jours devant mon ministère et cela me suffit : nous ne sommes pas au Kosovo ! Je veux bien faire des missions de paix, mais ces manifestations n'ont rien à voir avec le sujet, donc je n'irai pas à Brest. Malgré le fait que la communauté vient d'accorder à cet hôpital un coûteux appareil, on m'accueillerait soit avec des tomates, soit avec des revendications, et il s'agirait d'accorder un troisième IRM ! Cela se situe dans le domaine du rêve !

Dans le même esprit, nous avons autorisé 94 nouvelles installations d'IRM, ce qui représente un argent considérable, même si ce n'est pas suffisant, j'en suis conscient. Je vous propose de faire un référendum sur la santé dans ce pays. Il faudrait demander aux Français si, sur des projets très clairs, ils seraient d'accord pour donner plus d'argent, parce que j'en ai assez de ne pas en avoir. Et ce n'est pas la peine de me dire que cela coûtera moins cher, parce que cela ne sera pas le cas.

J'ai inauguré ce matin un congrès international de médecine cardiovasculaire et thoracique. Nous y avons évoqué les progrès dus à ces appareils qui font trois petits trous dans la poitrine et aucune cicatrice. Pour le moment, chacun de ces appareils coûte environ 8 millions, et il faut compter 8 000 francs de plus par intervention. Il s'agit de savoir si nous voulons des progrès, ou non. Si nous voulons ces progrès, il faut arrêter de dire que nous ferons des économies.

Dans le même temps, on va me réclamer ces progrès dans les hôpitaux locaux, et non plus seulement dans les grands hôpitaux comme la Pitié Salpetrière ou l'hôpital Pompidou. Nous faisons des progrès tous les jours et nos concitoyens doivent pouvoir en bénéficier.

M. Charles DESCOURS - Il faut procéder à des arbitrages.

M. Bernard KOUCHNER, ministre - Que voulez-vous dire par là ? Qui arbitre ?

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - A ce point du débat, je souhaite rappeler que tous nos intervenants ont été unanimes pour dire qu'ils souhaitaient un ministère de plein exercice. Vous avez dit quelque chose de très juste : « Il faut avoir l'argent de la politique de santé, et non faire la politique de l'argent de la santé » . Nous sommes tout à fait d'accord avec vous. monsieur le ministre, si vous pouvez, en tant que ministre plein, définir une politique de la santé, vous pouvez venir devant le Sénat demander des crédits, et je ne pense pas qu'il vous les refusera. Tous les Français sont prêts à accepter des sacrifices pour que cette politique de santé soit mise en oeuvre.

M. Claude HURIET, président - Au risque de se voir opposer l'article 40.

M. Bernard KOUCHNER, ministre - Ce n'est pas le même argent. L'argent de la sécurité sociale est donné par les Français sur leurs salaires et la cotisation sociale généralisée ; c'est cela que l'on ne veut jamais augmenter. Il ne s'agit pas d'arbitrage.

En ce qui concerne les programmes du cancer de la prostate et les leucémies, nous avons donné 100 millions supplémentaires.

Pour ce qui est du coût des chimiothérapies, avec l'utilisation des nouvelles molécules, il devrait être, d'après le calcul de nos spécialistes Christos Chouaid et le Doyen Reyes, plus prêt de 4 milliards que des 500 millions que j'ai déjà donnés. Ces soins sont particulièrement coûteux, mais aussi particulièrement performants.

4. L'amélioration des conditions de vie et la garantie des droits des malades

L'arbitrage a eu lieu hier ; nous serons donc capables de vous présenter début octobre la modernisation du système de santé. C'est désormais une chose acquise. Les droits des malades seront mieux fixés par cette nouvelle loi, mais nous avons besoin, et les derniers Etats Généraux comme la réunion de Lyon nous l'ont prouvé, de psychologues en nombre plus important, en particulier dans le domaine de la cancérologie. L'annonce est toujours très difficile, et même si elle est faite dans les meilleures conditions (ce qui n'est pas toujours le cas), c'est au retour à la maison, que le suivi pêche considérablement.

En ce qui concerne les soins palliatifs, une nouvelle enveloppe de 155 millions viendra s'ajouter en 2001 aux 225 millions de mesures nouvelles engagées depuis deux ans ; en trois ans, ce chiffre se monte à 380 millions. Je suis très heureux de ce progrès, mais ce n'est pas suffisant ; il faut que nous nous efforcions d'accélérer le rattrapage de notre retard.

5. La recherche

Nous avons consacré 100 millions à un programme hospitalier de recherche dans le domaine de la génétique et des nouveaux traitements. Le remboursement des nutriments oraux s'élève lui aussi à 100 millions. Une veille technologique doit être mise en place au sein de l'ANAES et le dépistage des maladies professionnelles doit être renforcé, en particulier en ce qui concerne le cancer dû à l'amiante.

Une réunion du Comité de suivi du programme national sur le cancer aura lieu le 28 juin prochain et je serai attentif aux proposition que me feront les professionnels. Quelques axes se sont d'ores et déjà dessinés ; ils recoupent évidemment les questions qui m'ont été posées. En particulier, nous évoquerons les réflexions menées par les radiothérapeutes et les radiologues sur le nombre souhaitable, la qualité et la répartition géographique des appareils. Je souhaite en outre que nous trouvions un autre procédé que celui de la distribution par le ministre lui-même, car les pressions sont extraordinaires, et l'on ne peut jamais y répondre de façon complètement neutre. Je trouve que ce système de distribution dictatorial n'est pas celui d'un pays moderne. Bien évidemment, ce n'est pas moi qui décide, puisqu'il existe pour cela un grand nombre de comités agencés comme des poupées gigognes.

En ce qui concerne les cancers de l'enfant, ils ne sont pas assez pris en charge, mais c'est aussi le cas des cancers des personnes âgées. De manière générale pour les personnes âgées, la tension se relâche un peu.

Par ailleurs, les professionnels sont partagés sur l'opportunité de créer une agence du cancer. Nous en débattrons le 28 juin, mais il me semble qu'il faut avant tout privilégier l'échelon régional. Je n'ai pas le sentiment qu'une telle agence soit extraordinairement utile.

Enfin, sur le thème de la démographie des cancérologues, si l'on se fixe comme priorité la généralisation de la pluridisciplinarité, la réponse doit se trouver dans les réseaux, mais il n'est pas suffisant de prononcer ce mot. Même si l'on constate que les gens travaillent le plus souvent ensemble dans l'intérêt du malade, il existe dans notre pays une dualité de prise en charge qui n'est pas très moderne. On trouve d'un côté les instituts, et de l'autre les spécialistes hospitaliers, en particulier dans les CHU. Lorsqu'on leur pose la question, ils n'ont pas de réponse très claire : certains travaillent ensemble et d'autres moins.

Vous ne trouverez aucun triomphalisme dans tout cela. L'ensemble de ces mesures représente deux milliards de francs supplémentaires en 2001 et nous aurons, j'espère les moyens d'affiner ces démarches dans le cadre du PLFSS.

6. Autres axes

Je n'ai pas répondu à toutes vos questions, mais la structure institutionnelle de coordination dont parlait Michel Marty est pour moi représentée par la DGS. Il faut renforcer cette Direction générale de la santé qui flotte un peu d'une agence à l'autre. Je dois voir ses représentants lundi matin pour une séance de travail de trois à quatre heures, et je vais leur indiquer que ce sont eux qui doivent coordonner au mieux la prise en charge de cette maladie.

Thierry Philip parlait d'enveloppes individualisées. Il nous faudrait un énorme travail en amont afin d'affiner l'affectation de cet argent, suivant des enveloppes qui, de toutes façons, sont toutes trop rigides. Pour plus de souplesse, il faudrait une réserve d'argent et des indications nous permettant d'être plus sûrs de nous en votant le PLFSS. Au-delà, il faudrait que le pays soit concerné. Il ne s'agit pas de cinq milliards de plus ou de moins ; il s'agit de savoir ce que nous sommes prêts à faire pour que l'amélioration du système de soins soit patente. Nous tendons vers des enveloppes individualisées, mais il nous faudrait plus travailler en amont, et c'est ce que nous proposons dans la loi de modernisation du système de santé. Le débat commencerait en juin et se poursuivrait sur trois ou quatre mois.

En ce qui concerne la simplification des réseaux de soins, il me semble que nous assistons plutôt à l'effet inverse : le réseau se complexifie au gré des créations d'agences et de comités.

Sur le plan du déficit de cancérologues, il faut souligner que le parcours n'est pas facile pour un jeune interne. Les places sont peu nombreuses dans les CHU traditionnels et la manière dont les médecins sont affectés par pathologies relève de la tradition. La question reste de savoir s'il faut combattre cette tradition. Je suis prêt à tout combattre dans les quelques mois qui me restent, mais je me suis beaucoup battu depuis dix ans. Je pense en particulier à la loi sur l'aléa thérapeutique que j'ai rédigée pour la première fois en 1992 : il a fallu dix ans pour qu'elle soit arbitrée, et tout n'est pas fini.

Par ailleurs, nous avons pour le moment 1.850 internes par an, et il nous en faut le double pour le fonctionnement des hôpitaux. Nous savons par avance que nous aurons dans cinq à dix ans un déficit dans toutes les spécialités, dû à l'évolution de la pyramide des âges. Dans l'esprit de notre système de soins, un spécialiste, représente des dépenses supplémentaires potentielles. Ce système n'est pas assez souple. Je serais très heureux que l'on trouve un système qui établisse un meilleur rapport entre l'offre et la demande, entre la nécessité et le financement.

Vous souhaitez un ministère à part entière, et ce n'est pas moi qui vous dirai le contraire, malgré le plaisir infini que j'ai à travailler avec Elizabeth Guigou et celui que j'avais à travailler avec Martine Aubry. J'ai déjà été ministre plein de la santé ; je travaillais à l'époque avec René Teulade, avec qui je m'entendais extrêmement bien.: la conclusion est qu'il faut l'argent de la santé où se trouve la dépense. La construction actuelle n'a plus rien de moderne. Elle fonctionnait très bien en 1945, mais presque tous les pays y ont désormais renoncé. Il faut que nous puissions disposer ensemble, tout au long de l'année, d'un tableau de bord permanent, qui nous dise où se trouvent les besoins en fonction des évolutions thérapeutiques. Il restera alors des sacrifices à faire, mais les contrastes ne seront pas aussi évidents que ceux qui existent entre un ministère du travail et de la solidarité qui a ses impératifs et un ministère de la santé qui a un caractère un peu spécifique, à mon humble avis. Je pense être la personne qui a été le plus longtemps en charge dans le grade le moins élevé sur ce ministère. J'ai tout fait : j'ai été ministre plein, je suis maintenant ministre délégué, j'ai été secrétaire d'Etat... Je vous dis cela sans aucune acrimonie.

Pour revenir à la formation initiale, nous disposerons d'une formation améliorée, avec un internat très diversifié en pratique, mais qui aura l'avantage de ne pas sélectionner la médecine générale sur l'échec. Il existera donc des stages d'internat en médecine générale.

La spécialité cancérologie n'est ni soutenue, ni portée en avant sur le plan universitaire. On peut devenir gastro-entérologue et se spécialiser dans les pathologies du cancer du foie, mais si l'on est cancérologue de vocation, on travaille dans un institut, et ce n'est plus la même chose. Il y a là un petit problème. Il nous faudrait considérer la convergence des compétences dans un institut, même si l'on pourrait établir des fongibilités plus grandes. J'essaie d'envisager le mieux, et non de faire oeuvre critique : ce n'est pas mon objectif.

David Khayat parlait du droit des malades du cancer. Des réponses très fortes sont apportées dans la loi de modernisation sociale et ce pour les droits de tous les malades, et non ceux du cancer en particulier. Il voulait souligner que les droits des malades du cancer n'étaient pas respectés dans le monde comme faisant partie des droits de l'homme, et il a raison, de la même façon que Jonathan Mann lorsqu'il parlait des droits des malades du Sida. Pour ces derniers, la prise en charge mondiale en est à ses balbutiements, mais la France a fait une très belle proposition et a été rejointe par six pays de l'Union Européenne, auxquels viennent s'ajouter la Suisse et la Slovénie. J'ai parlé hier à Kofi Annan : nous avons désormais une réponse positive concernant les jumelages hospitaliers et la prise en charge des trithérapies, de la malaria et du paludisme, de la part des pays suivants : le Portugal, l'Espagne, la France, l'Italie, le Luxembourg et de la présidence suédoise ; nous attendons la réponse de l'Allemagne, de la Hollande et de la Belgique. Puisque nous fournissons cet effort sur des vies entières, il ne faut pas que nous nous limitions à cette maladie. Je suis, comme vous le savez, très partisan du droit d'ingérence thérapeutique, en particulier chez les plus pauvres. L'étape suivante concerne bien entendu le cancer. Cela induira une solidarité thérapeutique et hospitalière dans tous les domaines. J'en suis évidemment partisan, mais nous n'en sommes pas là !

Madame Pascale Grosclaude a tout à fait raison d'évoquer les registres des cancers : ils sont inexistants. Nous allons mettre en place un tel registre pour le cancer de la thyroïde puisque l'attention a été éveillée. Je ne suis pas pour autant inquiet des conséquences de Tchernobyl sur ce plan : je sais que l'augmentation des cancers de la thyroïde dans notre pays date de bien avant l'explosion. Mon ami Veronesi, spécialiste italien du cancer qui n'est, hélas, plus ministre de la santé, m'a confirmé que les Italiens, qui ont été plus touchés que nous par le nuage de Tchernobyl, n'ont répertorié aucun pic autour de 1986. L'augmentation du cancer de la thyroïde date de 1982. Il n'en reste pas moins qu'il nous faut des registres du cancer : c'est encore de l'argent que l'on devrait dépenser différemment.

La Fédération hospitalière vous a demandé, monsieur le rapporteur, d'établir un Comité permanent cancer : ma réponse est à nouveau la DGS. Je ne veux pas dépouiller Pierre pour habiller Paul ; il nous faut donc un bureau du cancer.

M. Lucien NEUWIRTH - A ce sujet, le Directeur que nous avons entendu il y a deux ou trois jours est hostile à un bureau spécifique. Je lui ai parlé du bureau 6 du Sida et il a indiqué qu'il préférait prendre des fonctionnaires dans des bureaux déterminés pour certaines missions, plutôt que d'avoir à faire à un bureau du cancer.

M. Bernard KOUCHNER, ministre - J'écoute avec beaucoup d'intérêt ; lui aussi, puisque c'est moi le patron. Si je prenais une décision rapide devant vous, je dirais qu'il y aura un bureau du cancer, mais il a sans doute ses arguments qu'il faut peut-être écouter plus longuement. Je vais enquêter à ce sujet.

Je crois avoir répondu à peu près à toutes vos questions, mais je serai très heureux de répondre aux questions des sénateurs. Je pense comme vous, monsieur le rapporteur, que nous avons négligé un peu trop longtemps le cancer parce que d'autres pathologies occupaient le devant de la scène. Je dois cependant dire que j'ai inauguré avant-hier avec le Professeur Pujol le siège parisien de la Ligue contre le cancer et que j'ai été absolument enthousiasmé. J'ai vu des militants, les Directeurs régionaux de la Ligue, qui témoignent d'une obstination, d'une force de conviction, d'un talent et de ressources inépuisables de travail, à la fois dans le domaine de la recherche où ils nous sont très précieux, dans le domaine du dépistage, et dans celui de la création des réseaux de malades. Et c'est grâce aux malades du Sida et du cancer que la médecine se transforme, qu'elle écoute beaucoup plus les malades eux-mêmes et leur famille. C'est là le fondement d'une transformation indispensable de notre appareil de soin et des mentalités.

M. Claude HURIET, président - Merci, monsieur le ministre.

M. Lucien NEUWIRTH - Nous étions convenus de reconnaître que si pendant 20 ou 30 ans les gouvernements successifs ne s'étaient pas suffisamment penchés sur le problème du cancer, c'était aussi dû à l'excellence du travail fourni par la Ligue nationale contre le cancer, qui donnait le sentiment que cette lutte était bien prise en charge et qu'il n'était pas besoin de s'y consacrer beaucoup plus.

Vous avez évoqué la nécessité de décloisonner notre système de santé pour améliorer la lutte contre le cancer : quelles seraient les pistes vers lesquelles vous vous orienteriez ?

M. Bernard KOUCHNER, ministre - En ce qui concerne la prise en charge une fois que le cancer est avéré, la pluridisciplinarité s'installe, et ce tout d'abord dans le domaine chirurgical. On constate qu'il existe des salles d'opération communes à plusieurs disciplines et avec l'établissement des nouvelles techniques chirurgicales, cette pluridisciplinarité s'améliorera. La prise en charge collective des chirurgiens, des radiothérapeutes et des chimiothérapeutes existe déjà. Je vois une nécessité d'installer cette pluridisciplinarité en amont.

En amont en effet, on garde toujours trop son malade pour soi. La pluridisciplinarité des réseaux n'est pas suffisante, même si elle progresse. Je vais voir les médecins de réseaux après-demain. Vous le savez, les réseaux posent des problèmes, en particulier celui de savoir autour de quoi ils se constituent. Est-ce par pathologies, ou sur l'hôpital et la ville ? Comment se financent-ils ? Quels sont les statuts juridiques ? Je crois qu'il faut travailler pour que, dans le domaine du dépistage, les généralistes et les spécialistes travaillent ensemble, ainsi que les spécialités entre elles. Pour le dépistage du cancer du sein, il a fallu signer avec les radiologues, mais il nous aussi fallu « brancher » le généraliste sur le radiologue, et vice-versa. Ce n'est pas simple, car le radiologue a la capacité de « s'autoprescrire » ; on peut donc supposer qu'il fait presque le tour de la question, mais il faut qu'il renvoie le patient à son généraliste, qui, lui, envoie le patient à l'hôpital dans le cas où une tumeur a été détectée. Le fait de devoir décloisonner signifie que l'idée de « mon malade » qui prévaut depuis des siècles doit céder la place à l'idée de « notre malade ».

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - On nous a parlé hier de l'éventualité d'une définition de cahier des charges pour l'assurance maladie, de telle façon que l'on puisse aller plus loin.

M. Claude HURIET, président - L'assurance maladie deviendrait opérateur d'une politique définie par le ministère.

M. Bernard KOUCHNER, ministre - L'assurance maladie est déjà d'une certaine façon opérateur dans le cadre du dépistage, avec les caisses locales d'assurance maladie. Des examens de santé sont déjà proposés par l'assurance maladie, mais on ne peut pas dire que ce soit un succès considérable. Je prends cette idée avec précaution : les médecins sont une denrée rétive et leur imposer un cahier des charges ne sera pas facile. Dans mon idée du réseau, le médecin de la caisse est présent : il ne doit pas s'agir d'une lutte de mandarins.

M. Claude HURIET, président - Considérez-vous que le partage qui a été établi il y a deux ans en termes de budget entre l'assurance maladie qui a l'ambulatoire et l'Etat qui a l'hospitalier n'est pas en contradiction avec le décloisonnement et la mise en place des réseaux ? N'est-ce pas là un facteur de complexité de plus ?

M. Bernard KOUCHNER, ministre - Je pense que oui. Il faut analyser cette démarche comme une première étape qui nécessite de s'assouplir considérablement. Je pense qu'un médecin de ville qui ne fait pas partie de l'équipe médicale se trouvera très vite dépassé, même si tous les réseaux de la terre fonctionnent. Il faut que ces réseaux soient aussi branchés sur l'hôpital, sans impérialisme hospitalier.

Par ailleurs, les médecins de la Caisse devraient se trouver dans ce réseau, tout comme les médecins scolaires et les médecins du travail. Le système comporte de nombreux « sélectionneurs » qui sont en réalité des fournisseurs de malades à autrui. J'aborde d'ailleurs dès aujourd'hui le problème des médecins scolaires avec Jack Lang. Nous nous sommes séparés des médecins scolaires en 1989-1990 pour des raisons budgétaires : n'est-il pas temps de reconsidérer cela ?

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Vous nous avez annoncé que vous alliez nous présenter au début du mois d'octobre la modernisation du système de santé ; y aura-t-il une traduction budgétaire de cette volonté de modernisation ? Je crois que le Parlement est prêt à soutenir cette traduction budgétaire à partir du moment où vous définissez une politique de la santé.

M. Bernard KOUCHNER, ministre - Il n'est pas facile de répondre à cette question. Tout d'abord, la loi sur la modernisation du système de santé n'aura pas de conséquences bouleversantes en termes de financement, mais la nécessité est réelle d'offrir pour la discussion sur le projet de loi de finance de la Sécurité Sociale des lignes directrices plus fines. Supposons que l'on s'aperçoive que l'on peut faire une économie et éviter un gaspillage : ce ne sera jamais suffisant. Les progrès sont tels qu'ils coûteront toujours plus cher.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Peut-on évaluer le prix d'une vie ?

M. Bernard KOUCHNER, ministre - Non, mais on peut évaluer l'enveloppe de l'assurance maladie. Chaque année, nous mettons plus d'argent dans l'assurance maladie, mais nous n'avons pas inventé d'appareil d'équilibrage. Je suis prêt à le travailler avec vous, mais il ne faut pas oublier que nous avons le meilleur système d'assurance maladie, avec la Belgique. Le fait que les partenaires sociaux aient pris en charge ce système et qu'il soit financé sur les salaires était une conquête. Nous avons désormais la CMU et le monde entier nous envie ce grand progrès. Il nous faut maintenant l'ajuster. Je sens la nécessité profonde de le faire, mais je n'ai pas de réponse toute faite. Je sais que cela va très mal aux urgences, par exemple, et je vais réunir les partenaires pour essayer d'améliorer la situation, mais cela signifie qu'il faut créer des postes.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - S'il y avait encore des dispensaires de quartier comme c'était le cas auparavant, les gens n'iraient pas tant aux urgences.

M. Bernard KOUCHNER, ministre - Je ne crois pas. Je n'ai rien contre les dispensaires de quartier, mais les gens se dirigent vers l'hôpital parce qu'il offre une prise en charge. D'ailleurs, les dispensaires de quartier ouverts la nuit sont rares... Les 35 heures ont changé l'état d'esprit des gens, et les médecins souhaitent aussi avoir une vie privée. C'est une donnée sociale importante. Je suis prêt à vous répondre positivement : j'aimerais pouvoir donner plus de flexibilité au système pour le bénéfice des malades et, secondairement, pour le bénéfice du personnel.

M. Guy FISCHER - En ce qui concerne les urgences, je me rends compte aux Minguettes que l'on est allé du tout au rien : on peut constater un transfert de patients sur les urgences parce qu'il est impossible dans certains quartiers d'avoir un médecin de nuit.

Pour en revenir au cancer, malheureusement, la plupart des soins se font à domicile, même dans les grands centres. J'ai pu discuter très régulièrement avec les patrons de centres au niveau de l'agglomération lyonnaise, et les capacités de centres comme Léon Bérard sont démultipliées par le nombre de patients suivis à domicile. Ces nouvelles pratiques méritent d'être reconnues et expliquées. Nous en revenons au problème du décloisonnement et de la pluridisciplinarité, qui mettent les dogmes en difficulté. Je peux citer des exemples très précis de refus de transferts de dossiers. Nous aurons certainement dans le projet de loi sur la modernisation du système de santé à débattre non seulement du droit des malades, mais aussi de la façon dont on peut mettre en oeuvre des personnels incontournables.

Il arrive que, dans un couple âgé, une personne de 80 ans doive supporter une charge maximale pendant plusieurs mois par défaut de moyens dans des établissements hospitaliers : il faut mener une réflexion à ce sujet, car bon nombre de familles sont dans le désarroi.

M. Philippe NOGRIX - J'ai bien compris que votre volonté était sans faille et que vous sentiez très bien ce qu'il y avait à faire. Votre raisonnement se termine toujours sur le manque de moyens. Or vous faites partie d'une équipe ministérielle qui fait des choix. Il me semble que des ponctions vont être faites au niveau de la sécurité sociale pour payer un choix du Gouvernement qui consiste à proposer à des gens en bonne santé de travailler 35 heures par semaine. On oublie que certains malades le sont 24 heures par jour et qu'ils auraient besoin que les fonds accordés aux 35 heures servent véritablement à ce pour quoi ils ont été réunis, c'est-à-dire améliorer les conditions d'accueil et de soins. Je pense que, lorsque l'on fait partie d'une équipe ministérielle, il faut aussi intervenir dans les choix : nous avons les moyens, mais nous les mettons ailleurs. Qu'allez-vous nous proposer comme message concernant les besoins et les choix opérés ?

M. Serge FRANCHIS - Monsieur le ministre, vous l'avez dit : la santé coûtera toujours plus cher ; nous en sommes convaincus. Cependant, nous refusons dans notre société la notion économique de la santé. Les notions de gratuité et de prise en charge induisent une contradiction entre l'offre et la demande, entre les besoins et les moyens. Nous pourrions assumer certaines marges de progrès et nous ne le faisons pas parce que chaque année, malgré la chasse au gaspillage, nous sommes réticents à mettre en oeuvre tous les moyens. Une personne malade du cancer est capable de donner beaucoup pour être sauvée. Nous avions relevé au cours d'une autre audition l'apathie générale de la société, qui disparaît lorsque chacun est confronté à ce problème. Cela mérite peut-être que nous donnions à la lutte contre la maladie une place différente et que nous l'inscrivions dans une fonction économique, car c'est une fonction économique : pourquoi ne pas le reconnaître, alors qu'un jour ou l'autre, chacun d'entre nous estimera que cela méritait plus d'attention ?

M. Bernard KOUCHNER, ministre - Pour ne pas être trop « langue de bois », je dois vous dire que je comprends ce choix politique, économique et sociologique de la réduction du temps de travail. Je ne suis pas choqué par le fait que l'on veuille en achever l'immense part. Des ponctions sur les prestations sociales avaient déjà été pratiquées par M. Juppé et M. de Robbien. Ce n'est pas cette faible somme qui nous permettrait de régler notre problème. Cependant, je comprends ce que vous voulez dire et je préférerais avoir plus d'argent. Je suis très ambitieux dans cette affaire, et je ne parviendrai pas à mes fins. J'entends bien vos questions et elles se recoupent : nous progressons dans nos prises en charge, avec des imperfections encore terribles. Je suis sûr que du côté des Minguettes, certaines personnes n'ont pas connu le bon circuit ; il y a donc des inégalités criantes chez les plus pauvres.

M. Guy FISCHER - C'est dans ces quartiers que l'on connaît le moins bien les bons circuits.

M. Bernard KOUCHNER, ministre - Et même lorsque l'on passe par les bons circuits, il reste beaucoup à améliorer, malgré le fait que notre système soit le meilleur. Les Américains sont très admiratifs de ce système, même s'il existe chez eux des îlots de perfection, comme des îlots de drame.

Je pense que le fait d'être suivi à domicile est un progrès. Si l'on demande aux gens ce qu'ils préfèrent, et s'ils peuvent être traités à domicile dans les meilleures conditions, ils voudront rester chez eux. J'ai doublé le nombre de places d'hospitalisation à domicile, mais ce n'est pas assez. Mon pauvre père, qui a traîné très longtemps une maladie chronique, a bénéficié de l'hospitalisation à domicile avec des gens d'un dévouement et d'une compétence admirables, mais ce n'était pas assez. Il est retourné plusieurs fois à l'hôpital, et ne voulait plus y aller. Je comprends très bien la problématique du conjoint, mais d'une certaine façon, l'industrie du soin pourrait devenir la première industrie de notre pays : est-ce là le choix que nous devons faire ? Comme technicien et comme médecin, j'ai envie de répondre positivement, mais nous avons déjà tant d'hôpitaux, de techniciens, de personnels à trouver et à former. Nous avançons en âge et nous gagnons du terrain sur la mort. Nous aurons donc chacun une période de 20 à 25 ans hors du travail productif traditionnel, ce qui engendrera plus de dépenses, d'autant qu'il faudra financer les maladies chroniques dégénératives.

Quoi qu'il en soit, le fait que le Gouvernement soit de gauche ou de droite n'a finalement pas grande incidence sur ce choix. La question reste : « jusqu'où pouvons-nous aller en termes de sacrifices et de participation financière ? » La santé est déjà la première préoccupation des Français. Mais par exemple, nous avons fait d'énormes sacrifices en matière d'appareillage médical, et il ne reste pas de marque française d'appareillage médical dans nos hôpitaux ! Il est déjà presque trop tard pour déployer les recherches pharmaceutiques des grands laboratoires français : il en reste deux ou trois !

M. Serge FRANCHIS - Cela signifie que la santé a une fonction économique.

M. Bernard KOUCHNER, ministre - Je suis d'accord avec vous, et nous aurions pu faire mieux avec la participation de tous les Français au système de financement.

M. Jean DELANEAU, président - La moitié de la population soignerait l'autre.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Je prends acte avec plaisir du fait que monsieur le ministre réunira autour de lui un Comité national du cancer, qui aura, je l'espère, une fonction de conseil efficace.

M. Claude HURIET, président - Il me reste à vous remercier, monsieur le ministre, et à souligner l'intérêt que les membres de la mission ont porté à cette audition. Il y a effectivement quelque chose de choquant à voir les efforts considérables qui ont été faits à travers un choix social et politique, concernant des sommes qui auraient pu alimenter les dépenses de santé et de lutte contre le cancer. Mais il s'agit d'un choix et vous ne pouvez contester la pertinence de ce rapprochement. Il est naturel, lorsque l'on est en bonne santé, de privilégier l'intérêt de ceux qui sont bien-portants, parfois au détriment des malades. L'illustration de la politique du cancer et de l'insuffisance de ses moyens se passe de tout commentaire.

Nous aurons le plaisir de vous remettre le rapport de la mission, grâce à la compétence et à l'engagement personnel du rapporteur.

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