D. QUELLES COMPÉTENCES POUR UNE DEUXIÈME CHAMBRE EUROPÉENNE ?
L'ensemble des propositions formulées à propos des tâches que l'on pourrait confier à cette deuxième chambre peuvent être regroupées autour de trois missions :
- la participation à l'élaboration des normes,
- l'application du principe de subsidiarité ,
- le contrôle de l'exécutif.
1. La participation à l'élaboration des normes
C'est évidemment la conception qui prévaut dès lors que l'on estime que la deuxième chambre doit être composée de représentants des gouvernements des Etats, c'est-à-dire se substituer au Conseil des ministres de l'Union. C'est également le voeu du président Vaclav Havel, qui souhaite toutefois que la Constitution européenne définisse précisément « les lois votées par les deux chambres et celle traitées par la première » . On trouve un mécanisme similaire dans le projet de Constitution présenté par Alain Juppé et Jacques Toubon puisqu'on y lit que :
« La Chambre des nations participera, au même titre que le Parlement, à l'élaboration et au vote des lois européennes avec, cependant, certains aménagements. Elle disposera d'une possibilité de blocage dans deux cas : pour les lois organiques, c'est-à-dire les lois élaborées pour l'application de la Constitution, ainsi que pour les projets de loi qui empiéteraient sur la souveraineté des Etats. »
C'est toutefois une conception très minoritaire dans l'ensemble des projets de deuxième chambre avancés au cours des dix dernières années. En effet, pour la plupart des promoteurs du Sénat européen, celui-ci n'aurait pas à adopter les normes communautaires et devrait être complémentaire du Parlement européen et non concurrent.
2. L'application du principe de subsidiarité
Depuis les premières analyses de Michel Poniatowski en 1992, chacun se plaît à reconnaître la légitimité des parlements nationaux à intervenir dans le contrôle de l'application du principe de subsidiarité et l'intérêt de les inclure dans un dispositif permettant de faire effectivement respecter ce principe. D'Etienne Davignon à Leon Brittan ou Christopher Patten, de Jacques Chirac à Tony Blair, les avis convergent en ce sens.
En fait, de tous côtés, le diagnostic est le même : le principe de subsidiarité reste la plupart du temps ignoré. En France, à l'appui du projet de Constitution Juppé-Toubon, on remarque que : « le principe de subsidiarité constitue un élément essentiel de l'équilibre du pouvoir entre l'Union et les Etats. Or, s'il est actuellement introduit dans les traités, son respect n'est pas clairement assuré. » Et, en Allemagne, le président de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, Günter Hirsch, entendu par le Bundestag le 14 mars dernier, déclare : « Jusqu'à maintenant le principe de subsidiarité n'a pas comblé les attentes et les espoirs fondés en lui. En particulier, dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, il est appliqué de manière très restrictive. »
Dès lors que l'on estime que le principe de subsidiarité n'est pas seulement un principe juridique, mais aussi un principe politique, il convient d'en saisir un organe politique qui, pour les raisons que l'on a déjà exposées, pourrait avantageusement être le Sénat européen.
3. Le contrôle de l'exécutif
Au sein de l'Union européenne, le pouvoir exécutif est partagé entre la Commission et le Conseil. Dans le domaine communautaire, la Commission joue un rôle éminent puisqu'elle dispose du monopole de l'initiative, de compétences spécifiques tout au long du processus d'élaboration des normes, et qu'elle se voit souvent confier les tâches d'exécution. Pour la politique étrangère, pour la politique de défense ainsi que pour la partie des Affaires intérieures et de justice qui est demeurée hors du dispositif communautaire, le rôle de la Commission est toutefois moins affirmé tandis que le Conseil dispose d'une marge de manoeuvre plus grande.
Or, si le Parlement européen est à l'évidence le mieux placé pour dialoguer avec la Commission et pour exercer sur elle tous les contrôles souhaitables, il est plus démuni vis-à-vis du Conseil qui reste largement hors de sa portée.
Sans doute chaque parlement national exerce-t-il, dans le cadre de chaque Etat membre, un dialogue et une fonction de contrôle à l'égard de son gouvernement. Mais nous avons vu déjà que cela ne saurait se substituer à un contrôle exercé de manière collective par les représentants de l'ensemble des parlements nationaux.
C'est pourquoi de nombreuses propositions ont été formulées afin de confier le débat sur ces questions à un Sénat européen. La sensibilité des citoyens aux questions de sécurité intérieure et l'expertise particulière que détiennent les parlements nationaux en matière de libertés publiques plaident en faveur d'une association étroite des parlements nationaux. Il en va de même pour la défense ou la politique étrangère dans la mesure où les décisions, budgétaires notamment, demeurent nationales et où il s'agit de réunir des ressources, de garantir le nombre de soldats retenu, et d'accéder à un niveau convenu de capacités pour des opérations spécifiques, chaque Etat membre gardant le contrôle de ses forces armées et étant libre de participer ou non à chaque opération. Il n'est donc pas surprenant que Tony Blair ait évoqué l'idée que la « deuxième chambre puisse se développer jusqu'à assurer un contrôle démocratique, au niveau européen, de la politique étrangère et de sécurité commune » .