j) Association des Professionnels des brevets d'invention (APROBI) - Mercredi 4 avril 2001
- M. Alain Patry, Président ,
- M. Romain Bernard, vice-président ,
- M. Vincent Maunoury, secrétaire et trésorier
M. Alain Patry - L'APROBI est une association qui regroupe des traducteurs, secrétaires, dactylos, personnels des cabinets de Conseils en propriété industrielle et autres professionnels de la traduction des brevets. Elle est indépendante de tout parti politique.
M. Romain Bernard - Il nous est impossible de soutenir la réforme actuellement proposée par le Gouvernement. Elle est basée sur une estimation du coût des traductions (représentant 50 % du coût d'un brevet européen) que nous contestons. En effet, d'après une étude menée conjointement avec la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle, le coût d'une traduction -validation comprise- d'un brevet de 3.000 mots, traduit en 6 langues et déposé dans 6 pays plus la France ne se monte qu'à 10 ou 12 % du coût du brevet européen. Ces calculs ont été validés par l'Office européen des brevets.
M. Francis Grignon - Pouvez-vous nous faire passer ces calculs ? Quel est le coût facturé par les traducteurs ?
M. Romain Bernard - Les coûts des traducteurs est d'environ 200 à 250 francs par page.
M. Vincent Maunoury - Et encore, ce calcul s'appuie-t-il sur un cas extrême, où une protection dans six pays nécessite six traductions, ce qui sous-entend qu'il n'y a dans ces pays aucune langue commune. Les montants facturés par les Conseils sont évidemment plus élevés que les coûts de traduction puisque ces Conseils effectuent un travail de relecture et de validation.
M. Romain Bernard - Les calculs diffusés par la Commission européenne sont inexacts. Pourquoi s'acharner à réduire le coût des traductions, s'il ne représente que 10 à 12 % du total du coût du brevet européen.
M. Alain Patry - Les traducteurs sont les boucs émissaires d'un problème mal posé. Les traductions ne sont pas le premier poste de coûts.
M. Romain Bernard - Les promoteurs du protocole de Londres font valoir que ce projet bénéficiera aux PME, alors qu'il ne s'agit en fait que d'un transfert du coût des traductions des multinationales japonaises et américaines vers le contribuable français, l'INPI prenant à sa charge la traduction des revendications.
M. Francis Grignon - Que représente votre profession en termes d'emplois et de chiffre d'affaires ?
M. Alain Patry - Il y a en France environ 300 traducteurs de brevets, qui réalisent chacun entre 600.000 et 1 million de francs de recette.
M. Romain Bernard - 200 millions de mots sont traduits chaque année, à 60 centimes le mot.
M. Vincent Maunoury - Les sociétés et avocats américains font une offensive générale pour imposer le tout anglais en matière de brevets, mais également de normes, d'étiquetage... Le coût des traductions n'est qu'un alibi. J'ajoute que la réforme envisagée ferait faire plus d'économies aux multinationales japonaises et américaines, qui sont les principales déposantes, qu'aux PME françaises.
M. Francis Grignon - Un dépôt aux Etats-Unis nécessite-t-il forcément une traduction du brevet en langue anglaise ?
M. Vincent Maunoury - Oui, y compris pour les protections provisoires depuis la fin de l'année 2000.
M. Alain Patry - Oui, les Etats-Unis considèrent que la langue de la propriété industrielle est l'anglais, et veulent imposer cette vision au reste du monde.
M. Vincent Maunoury - Il y a à mon sens un enjeu technologique très important derrière cette question, car les techniciens et ingénieurs français maîtrisent mal la langue anglaise. Dans le système envisagé, ils seraient systématiquement défavorisés.
M. Romain Bernard - La question de la contagion du système linguistique adopté par les brevets vers les normes et les documents techniques doit être posée.
J'ajoute que les traducteurs, concernés au premier chef, n'ont à aucun moment été consultés quant à l'opportunité de cette réforme, malgré les déclarations gouvernementales sur le caractère universel de la consultation.
M. Alain Patry - Outre le fait que les traducteurs ne sont jamais cités parmi les parties concernées, je déplore que la consultation gouvernementale consiste à prendre chaque interlocuteur séparément, et non pas à confronter les points de vue au cours de réunions plus largement ouvertes.
M. Francis Grignon - Avez-vous le sentiment que la concertation ne vise qu'à étayer une décision déjà prise ?
M. Alain Patry - Les traducteurs en brevet sont des professionnels libéraux très spécialisés. Si l'obligation du dépôt d'une traduction en français disparaît, la profession va également disparaître. Il s'agit de personnes qualifiées, qui ne toucheront pas d'indemnités chômage, et pour lesquelles le Gouvernement ne semble pas se préoccuper d'une éventuelle reconversion. En particulier, si l'INPI assure, comme cela est envisagé, la traduction des descriptions des brevets déposés en anglais et en allemand, pourra-t-il s'adresser aux actuels traducteurs, qualifiés et compétents, ou la procédure des appels d'offres européens ne le conduira-t-il pas à retenir des solutions moins chères mais n'assurant pas la même qualité de traduction ?
Les conséquences économiques, humaines et sociales sont très importantes pour notre profession, et ne semblent absolument pas être mesurées par le Gouvernement.
M. Romain Bernard - Nous sommes pénalisés par la faiblesse numérique de notre profession. Je souligne qu'au-delà de notre intérêt propre, nous défendons surtout l'intérêt des petites et moyennes entreprises.
En Allemagne, les PME-PMI déposent quatre fois plus de brevets qu'en France alors qu'elles sont soumises au même système européen, et que le système allemand est plus onéreux que le système français. Ce n'est donc pas le coût qui explique cette différence dans le nombre des dépôts, mais bien un problème de formation, de sensibilisation, de culture...
M. Francis Grignon - Que pensez-vous de l'idée de subventionner les PME-PMI pour la traduction de leurs brevets européens ?
M. Romain Bernard - L'ANVAR pourrait être un incitateur très utile pour déposer un brevet. Les principaux obstacles sont la complexité de la procédure et à absence de culture de propriété industrielle.
M. Alain Patry - Les traductions sont un faux problème, voire un prétexte. Je déplore la précipitation actuelle : veut-on signer ce protocole à n'importe quel prix, sous prétexte que c'est la France qui a initié la révision de la convention de Munich ?
M. Vincent Maunoury - Je crains un phénomène de contagion en matière d'étiquetage, comme le fait redouter une récente jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes.