c) M. Yves REBOUL, Directeur général du Centre d'études internationales de la propriété industrielle - Mardi 20 mars 2001
M. Yves Reboul - Commençons tout d'abord par l'analyse des chiffres des dépôts de brevets en France. En 1999, sur 138.000 demandes de brevets désignant la France, 21.000 ont été déposées par des Français. L'évolution ces dernières années est spectaculaire : en 1979, le nombre de demandes désignant la France n'était que de 43.000 (dont 11.500 d'origine française) et en 1989 de 74.000 (dont 15.200 d'origine française).
M. Francis Grignon - La proportion relative de demandes d'origine française diminue toutefois.
M. Yves Reboul - En effet, on observe une proportion croissante d'étrangers demandant une protection en France : sur la période, les demandes d'origine allemande ont doublé, les demandes d'origine américaine ont été multipliées par 4,5, les japonaises par 6, les britanniques par 3. En conséquence, les demandes d'origine française sont passées du quart au septième du total des demandes de brevets désignant la France. Il ne faut pas sous-estimer dans cette évolution l'impact de la mise en place du brevet européen qui permet, via une centralisation des demandes pour tous les pays membres, d'obtenir plus facilement un brevet qu'en passant par les voies nationales.
Outre les demandes, il faut bien sûr s'attacher également à examiner la vie des brevets accordés au travers des annuités versées.
Si l'on observe les demandes de brevets par secteur et par nationalité, on constate que la France n'est pas mal placée. La proportion de déposants utilisant la voie nationale apparaît en effet dans la moyenne de celle observée à l'étranger en ce qui concerne par exemple la chimie-pharmacie (la moyenne générale est de 10,7 % de demandes par la voie domestique, la France se situant à 12 %) de même que dans les biotechnologies (part française de 1,3 % contre une moyenne générale de 1,3 %) ou encore dans les secteurs de l'instrumentation optique (part française de 11,1 % pour une moyenne de 11,4 %). Dans d'autres secteurs en revanche, la France apparaît en dessous de la moyenne, son taux d'invention domestique étant inférieur à celui des autres pays (électronique, machines mécaniques, électricité).
Il n'y a pas de secteur industriel pour lequel la France serait totalement absente en matière de dépôts de brevets.
En ce qui concerne la part de la France dans les demandes de brevets européens, le chiffre annuel s'élève à 5.644, contre 16.100 demandes d'origine allemande, 3.900 demandes d'origine britannique, 3.500 demandes d'origine néerlandaise et 3.100 demandes d'origine suisse.
Aux Etats-Unis, sur les 262.700 demandes annuelles de brevets américains, 140.300 sont formulées par des résidents.
M. Francis Grignon - Vous disiez que ce chiffre est de 21.000 pour les brevets désignant la France, soit 7 fois moins, ce qui correspond au rapport entre les PIB français et américain.
M. Yves Reboul - Au Japon, seulement 67.000 demandes sont formulées par des non résidents, contre 360.000 demandes de brevets japonais d'origine japonaise.
M. Francis Grignon - La culture et l'étendue des brevets sont différentes en Europe, au Japon et aux Etats-Unis.
M. Yves Reboul - Les entreprises américaines demandent chaque année 25.500 brevets européens, les japonaises 13.800 et le reste du monde 3.500.
S'agissant de la part relative des PME par rapport aux grands groupes, les principaux déposants en France, qu'il s'agisse des voies nationale, européenne ou PCT 121 ( * ) sont de très grosses entreprises : parmi les entreprises françaises, Alcatel a déposé en 1998 603 demandes, l'Oréal 318, Renault 224, suivies par Peugeot, Aéropastiale, Bull, Valéo, etc...
Les systèmes actuels des brevets européen et PCT sont faits pour les grandes entreprises et utilisés principalement par elles. A noter que dans le système PCT, ce n'est qu'au bout de trente mois que le déposant doit désigner les pays dans lesquels il demande une protection, ce qui présente un avantage pour certains déposants. Il y a d'ailleurs 130.000 demandes par an de brevets PCT, soit une augmentation de 20 % tous les six mois.
Le système de protection français de la propriété industrielle est un bon système, peu onéreux et rapide. Toutefois, le brevet européen, examiné au fond par l'Office européen des brevets, bénéficie d'une autorité supérieure au brevet français, qui n'a pas fait l'objet d'un examen au fond.
En France, il est nécessaire de sensibiliser les PME-PMI à l'utilisation des brevets.
M. Francis Grignon - Nous manquons d'une culture de la propriété industrielle. Il est difficile pour une PME française d'obtenir et de valoriser un brevet européen.
M. Yves Reboul - Le problème du coût du brevet européen entre alors en compte.
Je remarque que les Français déposent beaucoup de marques mais pas autant de brevets. Pourquoi ?
M. Francis Grignon - Pouvez-vous nous parler de la formation des spécialistes en propriété industrielle en France ?
M. Yves Reboul - Le Centre d'études international de la propriété industrielle (CEIPI) a vu ses activités croître très fortement ces vingt dernières années. Les promotions d'étudiants formées sont passées de 15 à 30 chaque année pour l'enseignement long et de 30 à 65 chaque année pour le module accéléré, qui se déroule sur six semaines. Au total, ce sont une centaine de diplômés chaque année qui sortent du CEIPI, sans compter les très nombreuses formations assurées par ailleurs, qui amènent mille personnes chaque année à avoir un contact avec le CEIPI qui dispose d'implantations dans toute l'Europe. Ce succès est largement fondé sur le monopole que détient le CEIPI pour l'examen français de conseil en propriété industrielle. Il est très important de garder ce pole français unique. En effet, la concurrence se situe largement au niveau européen. De plus, le CEIPI prépare des candidats à l'examen de mandataire européen auprès de l'Office européen des brevets.
La France manque de spécialistes en propriété industrielle, aussi le CEIPI travaille à la sensibilisation des élèves des grandes écoles d'ingénieurs aux filières de la propriété industrielle, qui sont jusqu'à présent méconnues et peu considérées. Or, il existe des débouchés importants au sein des cabinets de conseils et une réelle pénurie de spécialistes.
* 121 Patent Cooperation Treaty