2. Poursuivre le processus de révision de la convention de Munich

a) Signer l'accord de Londres sous condition

Que recouvre exactement « l'accord de Londres » ?

Il a déjà été indiqué ci-dessus que les Etats parties à la Convention de Munich ont décidé, en juin 1999 à Paris, de s'engager dans une démarche tendant à diminuer de 50 % le coût de traduction des brevets européens.

Une précision s'impose à ce stade : cette réforme concerne uniquement les brevets européens délivrés . La question de la langue se pose en effet à trois stades différents de la procédure :

1) Au moment du dépôt de la demande de brevet. L'article 14 (2) de la Convention pour le brevet européen stipule que « toute demande de brevet européen doit être déposée dans une des langues officielles 94 ( * ) ou, si elle est déposée dans une autre langue, traduite dans une des langues officielles ».

2) Au moment de la procédure d'examen : l'article 14 (3) stipule que la langue officielle dans laquelle la demande a été déposée ou traduite doit être utilisée comme langue de procédure. La procédure se déroule donc soit en Anglais (deux cas sur trois), soit en Allemand (20 % des cas), doit en Français (dans 7 % des cas), et dans aucune autre langue. Alors qu'un déposant italien ou espagnol devra effectuer la procédure d'examen dans une langue autre que la sienne, tel n'est pas le cas des déposants français, qui apprécient particulièrement cet avantage, fruit de l'histoire, mais non dénué, encore aujourd'hui, de logique, compte tenu de l'origine géographique des déposants.

Le protocole de Londres ne concerne pas ces deux stades, très importants pour les déposants.

3) Au moment de la délivrance du brevet européen, ce dernier se transforme en « faisceau de titres nationaux », c'est-à-dire en autant de titres nationaux qu'il y a de pays désignés 95 ( * ) . A ce moment, la Convention de Munich prévoit, dans son article 65, que « tout état contractant peut prescrire, lorsque le brevet européen (...) n'est pas rédigé dans l'une de ses langues officielles, que le titulaire du brevet doit fournir à son service central de la propriété industrielle une traduction du brevet (...) ».

La France a fait usage d'une telle faculté, inscrite à l'article L. 614-7 du code de la propriété industrielle : « Lorsque le texte dans lequel l'Office européen des brevets (...) délivre un brevet européen (...) n'est pas rédigé en français, le titulaire du brevet doit fournir à l'Institut national de la propriété industrielle une traduction de ce texte (...). Faute de satisfaire à cette obligation, le brevet est sans effet ».

L'ensemble des Etats contractants a fait de même -à une date relativement récente en ce qui concerne l'Allemagne et le Royaume-Uni-, d'où des coûts de traduction importants à débourser dans les trois mois de la délivrance, qui dissuadent, d'après leurs représentants, les entreprises de désigner des pays où elles auraient théoriquement pu se protéger.

Ce système a deux avantages :

Sur le plan des principes, le brevet est un « équilibre » entre la collectivité et le breveté, selon lequel le breveté obtient un monopole temporaire, incitatif à l'innovation, en échange d'une divulgation de son invention, qui fait progresser l'état de la technique au plan collectif. De ce point de vue, on peut dire que ce principe est respecté avec le régime actuel, car tout brevet européen ayant un effet en France est traduit en langue française et par hypothèse accessible aux entreprises et scientifiques français. Toutefois, les traductions ne sont pas consultées (moins de 2 % de taux de consultation), ce qui tendrait à montrer que cette fonction de « divulgation » n'est qu'imparfaitement remplie par le système de traduction actuel. L'explication en est simple : les traduction interviennent à la délivrance, soit 5 à 6 ans après le dépôt, à un moment où l'information n'a plus d'utilité pour la veille technologique. Les acteurs économiques le disent sans ambages : c'est lors de la publication du dépôt, à 18 mois, que l'information est utile, pas à la délivrance. A titre d'indication, les traducteurs en brevets doivent probablement être en train de traduire en langue française les brevets européens récemment délivrés mais dont la demande remonte à 1998 au mieux, voire à 1995 ou à 1996, plus vraisemblablement.

Le deuxième avantage est celui de la sécurité juridique . Le brevet européen, titre produisant des droits en France, est disponible en langue française. Le système actuel est parfait de ce point de vue.

Sans revenir sur les détails de la négociation 96 ( * ) , rappelons seulement le contenu de l'accord soumis à la signature de la France.

CONTENU DE L'ACCORD SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 65
DE LA CONVENTION SUR LA DÉLIVRANCE DE BREVETS EUROPÉENS

Les Etats parties à l'accord sont convenus des dispositions suivantes :

Les Etats ayant une langue officielle en commun avec les trois langues officielles de l'OEB renoncent aux exigences de traduction de l'article 65 ; les autres Etats y renoncent si le brevet est délivré ou traduit dans une de ces trois langues à leur choix, mais conservent la possibilité d'exiger une traduction des revendications.

En cas de litige, le titulaire du brevet fournit à ses frais une traduction complète du brevet au contrefacteur présumé et au juge.

La signature de l'accord est ouverte jusqu'au 30 juin 2001.

L'accord ne peut entrer en vigueur que si 8 Etats parties y ont adhéré, dont l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni.

Pour résumer, il s'agit d'un accord facultatif entre Etats, destiné à limiter le coût des traductions. Du point de vue de la France, il signifierait :

- que les titulaires de brevets européens délivrés en français verraient leur titre prendre effet sans besoin de traduction dans 6 ou 7 pays 97 ( * ) et qu'une seule traduction en anglais apporterait une protection dans tous les autres pays partie à l'accord ;

- que les brevets européens délivrés en anglais et allemand désignant la France y prendraient effet avec une traduction en français des seules revendications (en non des descriptions qui ne seraient pas traduites). En cas de litige, il y aurait traduction intégrale à la charge du titulaire du brevet.

A la Conférence intergouvernementale de Londres, les 16 et 17 octobre derniers, 8 Etats ont signé l'accord : l'Allemagne, le Danemark, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède, la Suisse, Monaco et le Liechtenstein. Deux autres Etats, la Belgique et le Luxembourg, se joindront aux premiers signataires, mais leurs délégations à Londres ne disposaient pas des pouvoirs nécessaires. Chypre devrait probablement signer dans les prochains mois. L'Irlande va poursuivre les consultations avec ses milieux intéressés. Le Portugal, la Grèce, l'Italie, l'Espagne et la Finlande ont déclaré ne pas avoir l'intention de signer cet accord. L'Autriche ne semble pas exclure totalement une signature ultérieure.

La France a, quant à elle, réservé sa décision jusqu'au 30 juin 2001 au plus tard. Sans sa signature, cet accord ne pourrait entrer en vigueur. Nos partenaires sont donc suspendus à notre décision.

Après une mûre réflexion, il apparaît que la France doit, sous certaines conditions, se joindre à cet accord .

Signer, sous conditions, l'accord de Londres

Il faut d'abord s'interroger sur la question de la constitutionnalité de cet accord, sa ratification éventuelle étant bien entendu conditionnée à une conformité de ses dispositions au bloc de constitutionnalité, sauf à modifier préalablement la Constitution, ce qui n'est pas souhaitable.

Pour résumer, la question se pose dans les termes suivants : l'article 2 de la Constitution indiquant que « La langue de la République est le français » , est-il contraire à cette règle de renoncer à l'exigence d'une traduction complète en français des brevets européens désignant la France et ayant effet sur le territoire national ?

Certains professionnels et constitutionnalistes le pensant, le Gouvernement a demandé  au Conseil d'Etat son avis sur la question. Rappelons que cet avis, destiné au Gouvernement, s'il ne lie en rien l'appréciation souveraine du Conseil Constitutionnel, donne néanmoins une indication, comme le montrent divers précédents 98 ( * ) , de ce que pourrait être, s'il était saisi de la question, son analyse du problème.

Dans son avis, le Conseil d'Etat, rappelle tout d'abord la jurisprudence du Conseil Constitutionnel en matière d'interprétation de l'article 2 de la Constitution 99 ( * ) : de l'article 2 découlent primo le fait que l'usage du français s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public et secundo le fait que les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d'une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage. Appliquant ces critères à l'accord de Londres, le Conseil d'Etat estime dans son avis qu'il n'est pas contraire à l'article 2 de la Constitution car il n'a ni pour effet ni pour objet d'aboutir aux deux situation énumérées ci-dessus.

Votre commission prend acte de cette analyse, tout en sachant que la décision souveraine du Conseil Constitutionnel peut venir la contredire, ne serait-ce que par un revirement ou un approfondissement, toujours possibles, de sa jurisprudence.

Soulignons que l'article 69 de la Convention sur le brevet européen, tout comme le code de la propriété intellectuelle, indiquent que les revendications de brevet (qui seraient traduites en français si l'accord entrait en vigueur) déterminent l'étendue de la protection juridique, la description et les dessins (qui ne seraient plus traduits qu'en cas de litige) servant à leur interprétation. On peut donc raisonnablement dire que la partie « dure » du brevet, celle qui crée des droits, est constituée des revendications.

Ce préalable lui semblant levé, la Commission des Affaires économiques estime que la France a intérêt à se joindre à cet accord :

- car il allégera le coût d'obtention du brevet européen et ne peut donc que profiter à la compétitivité de l'industrie française et européenne. D'ici deux à trois ans, le nombre des Etats parties à l'OEB sera de trente. Est-il, dans ces conditions, juste d'affirmer que le système de traductions actuel est soutenable et justifié, à cet horizon,  pour les entreprises européennes ? A cet égard, la Commission des Affaires économiques n'a pas retenu l'argument selon lequel les entreprises japonaises et américaines étant fortement utilisatrices du système de l'OEB, il conviendrait de maintenir un coût élevé d'obtention du brevet européen, qui jouerait un rôle de barrière à l'entrée pour les déposants. Il lui semble plus pertinent d'inciter, par divers moyens, dont le coût d'obtention du brevet, les entreprises européennes à se servir davantage d'un système qui reste leur outil le plus naturel de protection sur le marché européen, en dépit d'un éventuel effet d'« aubaine » pour les non européens ;

- car il consacre système trilingue de l'OEB, et donc le français, comme langue de la propriété industrielle en Europe . Le multilinguisme, consubstantiel à l'identité et à la culture européennes, doit être préservé. La voie la plus efficace et la plus réaliste de sa consolidation, en matière de propriété industrielle, est de pérenniser, dans le système de Munich comme dans le règlement sur le brevet communautaire, le régime à trois langues de l'OEB : allemand, anglais, français. Si on ne consolide pas ce système avant les élargissements prévus dans les deux enceintes concernées, comment ne pas prévoir ce qui risque d'arriver, dans une Europe à trente ? Ne vaut-il pas mieux anticiper ces élargissements ? Le « bilan » de l'accord de Londres pour la diffusion internationale du français comme langue technologique ne sera pas négatif puisque les brevets européens délivrés en français prendront effet à l'étranger 100 ( * ) sans traduction.

En revanche, l'accord ne peut être signé sans que soient prises d'importantes mesures d'accompagnement pour pallier trois inconvénients potentiels :

- le premier inconvénient est celui de la non disponibilité en français d'informations importantes en matière d'évolution technologique et concurrentielle (les entreprises françaises ne maîtrisant ni l'anglais ni l'allemand -soit la plupart des PME- seraient pénalisées). A cet égard, le système actuel n'est pas satisfaisant, puisque ces informations sont traduites trop tardivement pour être réellement utiles à la veille technologique. La traduction doit intervenir, pour être utile, de l'avis quasi-unanime, au moment de la publication, et non de la délivrance, comme c'est actuellement le cas ;

- le deuxième inconvénient réside dans le fait que des titres juridiques partiellement rédigés en langue étrangère 101 ( * ) pourront créer, en France, des droits et obligations . Outre l'aspect constitutionnel, déjà évoqué, se pose la question de « l'opposabilité aux tiers » de tels titres, soulevée à juste titre par les conseils et les avocats. Cette question doit être traitée ;

- le troisième inconvénient, et non des moindres , est celui du devenir des professionnels français spécialisés dans la traduction de brevets européens : traducteurs spécialisés et, indirectement, conseils en propriété industrielle, qui, bien que sous-traitant ces prestations aux traducteurs, les facturent au déposant, « révisent » les traductions et en tirent une certaine partie de leur chiffre d'affaires.

La question est particulièrement brûlante pour les traducteurs en brevets, professionnels libéraux très spécialisés, dont l'activité dépend directement du régime linguistique actuel. Un changement de régime représente pour cette profession un choc brutal qu'il faut, par tous moyens, absorber, sans remettre en cause les emplois concernés. La Commission des Affaires économiques estime qu'il est de la responsabilité de l'Etat de leur assurer une transition la meilleure possible entre l'ancien et le nouveau système. Il nous reste deux ou trois ans pour mettre en place les outils d'accompagnement nécessaires. Pour pallier ces inconvénients, les mesures d'accompagnement suivantes doivent impérativement être prises :

Mesures d'accompagnement nécessaires à la signature par la France de l'accord de Londres

Veille technologique : traduire en français, sur le budget de l'INPI 102 ( * ) , comme cela est envisagé, les revendications et un résumé « signifiant » des demandes, à la publication. Les traductions seraient disponibles sur le site Internet de l'INPI, dont la base de données peut être interrogée en langage naturel ;

Sécurité juridique : prévoir, comme c'est le cas dans le projet de règlement sur le brevet communautaire, qu'un contrefacteur présumé qui n'a pu avoir à sa disposition le texte du brevet traduit en français est présumé ne pas porter atteinte au brevet et que les dommages et intérêts (ou la confiscation éventuelle des profits) ne pourraient intervenir qu'après cette mise à disposition d'un texte en français ;

Traducteurs et conseils : le changement de régime n'entrerait pas en vigueur avant, au bas mot, deux ans. L'Etat doit impérativement utiliser ce délai pour :

- orienter les traductions visées au sur des professionnels français : traducteurs pour les traductions, conseils pour l'élaboration du résumé. Ceci implique un effort considérable d'organisation de ces professions (possible, peut être, via un groupement d'intérêt économique de chacune d'entre elles ?) et la mise en place, à l'INPI, de procédures d'octroi de ces marchés à la fois transparentes et accessibles à d'autres prestataires que les grands cabinets étrangers qui risquent de « capter » ce marché si les professionnels français ne font pas cet effort d'organisation. Cette solution est plus difficile à mettre en oeuvre, notamment pour l'élaboration du résumé, que la simple sous-traitance à une société étrangère 103 ( * ) , mais elle est, de loin, préférable. Elle implique toutefois que les professionnels jouent le jeu de la mise en oeuvre d'un accord qu'ils ont radicalement défendu ;

- prévoir des aides spécifiques pour les traducteurs en brevets dans le cas probable où la mesure ci-dessus et l'accroissement du nombre de dépôts ne suffiraient pas à maintenir leur volume actuel d'activité.

La mise en oeuvre de ces mesures demande une très forte détermination politique. Elle implique aussi que l'Etat renonce à puiser, comme il l'a périodiquement fait par le passé, dans les ressources de l'INPI -le record en la matière étant détenu par le Gouvernement d'Edith CRESSON, en 1991, pour un montant de 550 millions de francs-.

* 94 L'allemand, l'anglais et le français en vertu de l'article 14 (1).

* 95 Voir annexe II du présent rapport sur les procédures.

* 96 Pourtant révélatrice de la précarisation du système trilingue de l'OEB, certains Etats, menés par la Suisse et la Suède, préconisant un abandon complet des exigences de traduction, pourvu que le brevet soit disponible en anglais.

* 97 France, Belgique, Luxembourg, Monaco, Allemagne, Grande-Bretagne et éventuellement Autriche.

* 98 Ainsi par exemple, saisi en 1993 de la question de savoir si la privatisation partielle de France Télécom pouvait s'accompagner d'un maintien du statut public de ses personnels, le Conseil d'Etat avait rendu un avis positif sous conditions. Ces conditions avaient été introduites dans le texte législatif voté en 1996 et le Conseil Constitutionnel avait conclu, le 26 juillet 1996, à la constitutionalité du dispositif.

* 99 Notamment les décisions 9-373 DC du 9 avril 199 et 99412 DC du 15 juin 1999

* 100 Dans les Etats parties à l'accord dont la langue est une langue officielle de l'OEB, ou qui ont désigné le français comme langue officielle de l'OEB dans laquelle les brevets seraient valables bien que non intégralement traduits dans leur langue.

* 101 Seules les revendications seraient traduites en français, en dehors du cas où un contentieux intervient (dans ce cas, il y a traduction intégrale).

* 102 Alimenté notamment par les taxes de maintien en vigueur des brevets valables en France.

* 103 Du type de DERWAENT, pour l'élaboration du résumé.

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