Farines : l'alimentation animale au coeur de la sécurité sanitaire - Tome II : Auditions
BIZET (Jean) ; DÉRIOT (Gérard)
RAPPORT D'INFORMATION 321 - Tome II (2000-2001) - commission d'enquête
Rapport au format Acrobat ( 2279 Ko )Table des matières
-
Audition de M. Dominique DORMONT
Chef du service de neurovirologie du Commissariat à l'énergie atomique
(6 décembre 2000) -
Audition de Mme Jeanne
BRUGÈRE-PICOUX,
Professeur de pathologie du bétail
à l'École nationale vétérinaire de Maisons-Alfort
(6 décembre 2000) -
Audition de Mme Brigitte CHAMAK
Biologiste et historienne des sciences à l'INSERM
(6 décembre 2000) -
Audition de Monsieur Gérard PASCAL
Directeur du Centre national d'études et de recommandations
sur la nutrition et l'alimentation
(13 décembre 2000) -
Audition de M. Pierre CHEVALIER, Président de la
FNB et de l'OFIVAL,
et de M. Pierre FOUILLADE, Directeur de l'OFIVAL
(13 décembre 2000) -
Audition de M. Laurent SPANGHERO
Président de la Confédération des entreprises bétail et viande (CEBV)
(13 décembre 2000) -
Audition de M. François TOULIS,
Président de la Fédération nationale de Coopératives bétail et viande (FNCBV)
(13 décembre 2000) -
Audition de M. Georges ROBIN, Président de la
Fédération nationale
des Industries de Corps gras (FNCG)
(20 décembre 2000) -
Audition de M. Yves MONTÉCOT,
Président du Syndicat national des Industriels de la Nutrition animale
(20 décembre 2000) -
Audition de M. Daniel RABILLER, Président de la
Fédération Nationale des Coopératives de Production et
d'Alimentation Animale (SYNCOPAC)
(20 décembre 2000) -
Audition de M. Bruno POINT,
Président du Syndicat des Industries Françaises de Coproduits Animaux (SIFCO)
(20 décembre 2000) -
Audition de M. Victor SCHERRER,
Président de l'Association nationale des industries agro-alimentaires (ANIA)
(10 janvier 2001) -
Audition de M. Xavier BEULIN, Président de la
Fédération française
des producteurs d'oléagineux et de protéagineux (FOP)
(10 janvier 2001) -
Audition de M. Jean-Jacques ROSAYE, Président de
la Fédération nationale
des groupements de défense sanitaire du bétail (FNGDS)
(10 janvier 2001) -
Audition de M. Jacques ROBELIN, chef du
département « élevage et nutrition des animaux » de
l'Institut national de la recherche agronomique
(INRA)
(10 janvier 2001) -
Audition de Mme Catherine
GESLAIN-LANÉELLE,
Directeur général de l'alimentation,
et de M. Rémi TOUSSAIN, Directeur des politiques économique et internationale du ministère de l'agriculture
(17 janvier 2001) -
Audition de M. Jean-Paul PROUST,
Préfet chargé de la mission interministérielle
pour l'élimination des farines animales (MIEFA)
(17 janvier 2001) -
Audition de M. Benoît ASSEMAT, Président du
Syndicat national
des vétérinaires inspecteurs de l'administration (SNVIA)
(17 janvier 2001) -
Audition de M. René BAILLY, Président du
Syndicat national
des vétérinaires d'exercice libéral (SNVEL)
(24 janvier 2001)
(Huis clos demandé) -
Audition de M. Christian HUARD, président de Conso
France, regroupant les associations de consommateurs ADÉIC, ALLDC,
CNAFAL, CNL, CGL et INDECOSA-CGT
(24 janvier 2001) -
Audition de M. Jérôme GALLOT, Directeur
général de la concurrence,
de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF),
et de M. Daniel HULAUD, chef de bureau (produits d'origine animale)
(31 janvier 2001) -
Audition de M. le Professeur Luc
MONTAGNIER
(31 janvier 2001) -
Audition de M. Alain CADIOU, Directeur
général de la DGCCRF,
M. François MONGIN, Chef de service, et de M. KEARNEY
(31 janvier 2001) -
Audition de M. Jean-Yves KERVEILLANT, Direction
générale de l'alimentation,
sous-direction de l'hygiène des aliments, bureau des matières premières
(14 février 2001) -
Audition de M. Jean-François
GROLLIER,
Vice-président en charge de la direction générale de la recherche
et du développement du groupe l'Oréal
et de M. Giorgio GALLI,
Directeur de la communication et des relations extérieures
(14 février 2001) -
Audition de M. Eugène SCHAEFFER, Premier
vice-président de
la Fédération nationale des Syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)
et président du comité de coordination des associations spécialisées
(14 février 2001) -
Audition de M. Axel REICH,
Premier conseiller à l'ambassade d'Allemagne à Paris
(14 février 2001) -
Audition de M. Alain GLON, Président de la
société Glon-Sanders
(14 février 2001) -
Audition de Mme Marie-José NICOLI,
Présidente de l'UFC-Que
Choisir ?
(14 février 2001) -
Audition de M. Jacques DRUCKER,
Directeur général de l'institut de veille sanitaire
(21 février 2001) -
Audition de M. Marian APFELBAUM,
ancien Professeur de nutrition à la faculté de médecine Xavier-Bichat (Paris)
(21 février 2001) -
Audition de M. Éric GRAVIER, Vice-président
de Mac Donald's France
(21 février 2001) -
Audition de M. Jean-Louis HUREL,
Directeur général de SARIA industries
(21 février 2001) -
Audition de M. Laurent BEAUMONT,
Directeur général du groupe Caillaud
(21 février 2001) -
Audition de M. Bernard LEPOITEVIN,
Directeur général de la SOFIVO
(21 février 2001) -
Audition de M. Jean-Luc DUVAL,
Président du Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA)
(28 février 2001) -
Audition de M. Michel PAILLIER,
Directeur général de la société Bonilait Protéines
(28 février 2001)
(Huis clos demandé) -
Audition de M. Martin HIRSCH,
Directeur général de l'agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA)
(28 février 2001) -
Audition de M. Jean-François
HERVIEU,
Président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA),
accompagné de M. Daniel GRÉMILLET, Mme Dominique BRINBAUM
et M. Guillaume BAUJIN
(28 février 2001) -
Audition de M. Jérôme BÉDIER,
Président de la Fédération des entreprises du commerce et
de la distribution (FCD), accompagné de Mme Géraldine
POIVERT
(28 février 2001) -
Audition de M. Alain DECROP,
Président de la société Guyomarc'h nutrition animale,
accompagné de M. Alain GUYONVARCH
(28 février 2001) -
Audition de M. Claude BELLOT,
Président de la Confédération générale de l'alimentation de détail (CGAD)
(28 février 2001) -
Audition de M. Jean-Jacques MENNILLO,
PDG de la société Agro marchés internationaux
(28 février 2001) -
Audition de Mme Annick ALPÉROVITCH,
Directrice de l'unité Inserm 360 à la Pitié-Salpétrière
(28 mars 2001) -
Audition de M. Gilbert BORNHAUSER,
Courtier
(28 mars 2001) -
Audition de M. Philippe MANGIN,
Président de la Confédération française de la Coopération agricole,
et Mme DEBREDEVILLE,
Chargée des Relations parlementaires pour la Coopération agricole
(28 mars 2001) -
Audition de M. Lucien ABENHAÏM, Directeur
général de la santé
(28 mars 2001) -
Audition de M. Claude CHÉREAU, Ambassadeur,
représentant permanent de la France auprès de l'Organisation des
nations unies pour l'alimentation et l'agriculture à
Rome
(28 mars 2001) -
Audition de M. Damien VERDIER, Président de la
Commission qualité, sécurité alimentaire du Syndicat
national de la restauration collective
(SNRC)
(28 mars 2001) -
Audition de M. Jean GLAVANY, ministre de l'agriculture et
de la pêche
(28 mars 2001) -
Audition de Mme Chantal JAQUET, Directrice
prévention santé,
sécurité et environnement du groupe Carrefour,
accompagnée de M. Christian D'OLÉON, Directeur de la communication
(28 mars 2001) -
Audition de M. Yves BOISARD,
Directeur du contrôle qualité du groupement d'achats Leclerc,
et de M. Hervé AUBÉ, Directeur général de la société Kermené
(28 mars 2001) -
Audition de M. Régis
LESEUR,
Vice-Président du Conseil général vétérinaire
(4 avril 2001) -
Audition de M. Jean-Marc BOURNIGAL,
Attaché agricole à l'Ambassade de France à Rome
(4 avril 2001) -
Audition de M. Philippe VASSEUR,
ancien ministre de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation
(4 avril 2001) -
Audition de M. Henri NALLET,
ancien ministre de l'Agriculture et de la Forêt
(4 avril 2001) -
Audition de M. Jean-Philippe DESLYS,
Responsable du groupe de recherche sur les prions au CEA
(4 avril 2001) -
Audition de M. Bernard KOUCHNER, Ministre
délégué à la
Santé
(4 avril 2001)
N°
321
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001
Rapport remis à Monsieur le Président du Sénat le 10 mai
2001
Dépôt publié au Journal officiel du 11 mai 2001
Annexe au procès-verbal de la séance du 15 mai 2001
RAPPORT
de la commission d'enquête (1) sur les conditions d' utilisation des farines animales dans l' alimentation des animaux d'élevage et les conséquences qui en résultent pour la santé des consommateurs , créée en vertu d'une résolution adoptée par le Sénat le 21 novembre 2000,
Tome II :
Auditions
Président
M. Gérard DERIOT
Rapporteur
M. Jean BIZET
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jean Bernard, Jacques Bimbenet, Jean Bizet, Paul Blanc, Bernard Cazeau, Gérard César, Yvon Collin, Gérard Deriot, Bernard Dussaut, Jean-Paul Emorine, Bernard Fournier, Georges Gruillot, Jean-François Humbert, Gérard Le Cam, Serge Lepeltier, Roland du Luart, François Marc, Gérard Miquel, Philippe Nogrix, Jean-Marc Pastor, Michel Souplet.
Voir
les numéros :
Sénat
:
73
,
88
,
81
et T.A.
27
(2000-2001).
Agroalimentaire. |
Audition de M. Dominique DORMONT
Chef du service de neurovirologie du
Commissariat à l'énergie
atomique
(6 décembre 2000)
M.
Gérard Dériot, président
- Nous allons commencer la
première audition de l'après-midi. Je vous rappelle qu'il s'agit
de M. Dominique Dormont, chef du service de neurovirologie du Commissariat
à l'énergie atomique, président du comité sur les
encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles et les
prions.
M. Dormont, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.
Comme vous le savez, nous sommes en commission d'enquête parlementaire.
Je me dois par conséquent de vous lire une formule officielle. Je vous
demanderais ensuite de bien vouloir prêter serment.
« Je vous rappelle que le dernier paragraphe de l'article 6 de
l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des
assemblées parlementaires, modifié par la loi du 20 juillet 1991,
dispose que les auditions auxquelles procèdent les commissions
d'enquêtes sont publiques et que les commissions organisent cette
publicité par les moyens de leur choix.
La commission d'enquête du Sénat sur les conditions d'utilisation
des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage et les
conséquences qui en résultent pour la santé des
consommateurs a ainsi organisé la publicité de ces auditions,
sous réserve des demandes expresses de huit clos émanant des
personnes auditionnées. Ces auditions sont donc ouvertes à la
presse et font l'objet d'un enregistrement audiovisuel intégral
assuré par la chaîne de télévision du Sénat
et leur compte-rendu intégral sera en outre publié en annexe du
rapport écrit, sauf opposition de la personne auditionnée.
Je vous rappelle également que l'ordonnance du 17 novembre 1958,
précise que toute personne dont une commission d'enquête a
jugé l'audition utile est entendue sous serment. En cas de faux
témoignage, elle est passible des peines prévues par l'article
434-13 du code pénal. En conséquence, je vais vous demander de
bien vouloir prêter serment, de dire toute la vérité et
rien que la vérité, de lever la main droite et de dire :
«je le jure». »
M. Dominique Dormont
- Je le jure.
M. le Président
- Je vous remercie. Puis-je connaître votre
avis au sujet de la présence de la presse à cette audition.
M. Dominique Dormont -
Je n'ai aucune objection concernant la
présence de la presse. En revanche, je ne souhaite pas que cette
audition donne lieu à la diffusion d'images, de quelques natures
qu'elles soient.
M. le Président
- Très bien. Cette audition sera donc
enregistrée, mais cet enregistrement nous sera ensuite remis. Aucune
image ne sera par conséquent diffusée.
M. Dormont, je vous remercie à nouveau d'avoir accepté de venir.
Je vais commencer par vous passer la parole, afin que vous puissiez nous mettre
au courant de l'état actuel de nos connaissances. Notre commission a en
effet choisi de commencer par procéder à une mise au point des
connaissances scientifiques actuelles concernant l'ESB en particulier et les
prions en général.
M. Dominique Dormont
- Comme vous le savez, les maladies à prions
touchent aussi bien l'homme que l'animal. Quatre maladies sont aujourd'hui
répertoriées chez l'homme. Il s'agit de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob, du Kuru, du syndrome de Gerstmann-Sträusler-Scheinker
et enfin l'insomnie fatale familiale. Ce sont des maladies extrêmement
rares et qui, dans l'état actuel de nos connaissances, sont
transmissibles mais pas contagieuses.
Cinq maladies du groupe des encéphalopathies subaiguës spongiformes
transmissibles ont été répertoriées dans le monde
animal. Tout d'abord, la tremblante naturelle du mouton et de la chèvre
qui a été décrite pour la première fois en 1732. Il
s'agit donc d'une vieille maladie, présente partout dans le monde, sauf
en Australie et en Nouvelle-Zélande, ces deux états ayant
réussi à l'éradiquer. L'encéphalopathie spongiforme
bovine est apparue au milieu des années 1980 au Royaume-Uni.
L'encéphalopathie féline spongiforme est liée quant
à elle à la contamination des chats britanniques par l'agent de
la maladie de la vache folle. Cette dernière encéphalopathie a
constitué le premier signe d'alerte pour les scientifiques, lorsqu'elle
a été décrite en 1989-1990. En effet, l'apparition de
cette maladie de façon quasiment exclusive sur le sol britannique a fait
émettre l'hypothèse que l'agent de la maladie de la vache folle
pouvait être transmissible à des carnivores, au travers de
l'alimentation. Cette hypothèse a probablement pesé lourd dans la
décision des autorités françaises de
décréter un premier embargo à l'époque.
L'encéphalopathie transmissible du vison touche quant à elle les
visons d'élevage. Ces derniers sont nourris avec des carcasses de bovins
et d'ovins récupérées dans les abattoirs. Il suffit par
conséquent que l'une de ces carcasses provienne d'un animal
infecté pour que le vison s'infecte à son tour. Il lui faudra
ensuite 7 mois en moyenne pour qu'il meure d'une maladie du type maladie
à prions. Il sera alors souvent mangé par les animaux
enfermés dans la même cage, qui seront ainsi également
contaminés. Enfin, la dernière maladie est très bizarre.
Il s'agit de la maladie du dépérissement chronique des ruminants
sauvages. Celle-ci touche le daim et le cerf, dans les forêts de deux
états américains, le Wyoming et le Colorado. Celle maladie est le
seul exemple d'une maladie à prions d'un animal sauvage. Cette
spécificité nous pose d'ailleurs de gros problèmes en
termes d'appréhension des mécanismes de transmission de cette
maladie.
Les maladies à prions possèdent un certain nombre de
caractéristiques communes. La première d'entre elles
réside dans une période d'incubation extrêmement longue au
regard de l'espérance de vie de l'individu considéré. Par
exemple, cette période d'incubation peut dépasser 40 ans chez
l'homme. Durant cette période, aucun symptôme clinique n'est
visible. Par ailleurs, l'état actuel de la technologie ne nous permet
pas de détecter la présence de l'agent infectieux. Lorsque les
signes cliniques apparaissent, ils sont liés à l'atteinte
exclusive et privilégiée du système nerveux central :
les organes comme le coeur, le foie, les poumons ou les reins ne sont donc pas
cliniquement atteints. Tous les signes objectivés sont liés
à l'atteinte du système nerveux central. L'évolution se
fait selon un mode subaigu : aucune rémission n'est par
conséquent possible. L'état du patient s'aggrave très
régulièrement au fur et mesure de l'évolution de la
maladie. Ces maladies sont par ailleurs au-dessus de toute ressource
thérapeutique. Elles sont mortelles dans 100 % des cas, autant chez
l'homme que chez l'animal. L'une des caractéristiques primordiales de
ces maladies est de ne pas induire de réponse du système
immunitaire. Le système immunitaire ne répond pas en effet
à la multiplication de l'agent infectieux, alors même que nous
savons que ce dernier peut se trouver dans le système immunitaire. C'est
donc un des paradoxes auquel la recherche actuelle est confrontée. Il
n'existe donc pas de test de dépistage simple, comparable à ceux
appliqués dans le cas du VIH ou de l'hépatite C.
Enfin, il faut savoir que personne n'a jamais vu l'agent infectieux, quelle que
soit la puissance des microscopes qui ont été utilisés.
Personne n'a jamais vu le prion, malgré l'importance du titre infectieux
dans le système nerveux central (je rappelle que celui-ci comprend le
cerveau, le cervelet, le tronc cérébral et la moelle
épinière). Les titres infectieux sont pourtant faramineux :
par exemple, si nous inoculons l'agent de la tremblante du mouton à un
hamster, il est alors possible d'observer 10
10
à 10
11
unités infectieuses par gramme de tissu. Cela veut dire qu'avec un
gramme de cerveau de hamster malade, il est possible de tuer 10 à 100
milliards de hamster sains. Malgré ces titres infectieux
extrêmement importants, il n'est pas possible de voir l'agent infectieux
au microscope.
Le seul élément que nous soyons capables de mettre en
évidence dans ces maladies est la modification du métabolisme de
certaines protéines du sujet infecté. Le sujet infecté se
met en effet à accumuler quelques protéines. Parmi ces
protéines, l'une d'entre elles est intéressante pour deux
raisons. 1) Tout d'abord, elle s'accumule uniquement dans les maladies à
prions. 2) De plus, elle s'accumule proportionnellement au titre infectieux.
Ainsi, lorsque nous essayons de purifier l'agent infectieux, nous purifions
cette protéine, appelée protéine PrP (Protéine du
Prion). Si cette protéine du prion est enlevée des fractions
infectieuses, l'infectiosité résiduelle est alors quasi nulle.
L'hypothèse actuelle est par conséquent que la protéine
est l'agent infectieux lui-même. Cette hypothèse constitue
l'hypothèse du prion. Je répète néanmoins que nous
sommes dans un état d'incertitude par rapport à la nature exacte
de l'agent infectieux : le prion est l'hypothèse la plus probable,
mais la réalité de cette hypothèse n'est pas
démontrée.
L'autre caractéristique des maladies à prion réside dans
l'extrême résistance de ces agents infectieux aux
procédures d'inactivation. Cette caractéristique constitue
l'essentiel du problème de santé publique auquel nous sommes
confrontés. Par exemple, la chaleur sèche est très
faiblement inactivante. En effet, le fait de soumettre les prions à une
chaleur de 180° durant 24 heures ne permet pas d'inactiver les prions. De
même, une chaleur de 320° durant une heure ne permet pas d'inactiver
les prions, pas plus qu'une chaleur de 600° durant 15 minutes. Je
précise qu'une très grande partie d'entre eux sera
inactivée. Il restera cependant toujours une petite quantité qui
demeurera infectieuse. Ce type de traitement permettra donc de diminuer le
titre infectieux, mais pas de « tuer » totalement l'agent
transmissible.
Trois procédures ont toutefois une certaine
efficacité : la chaleur humide à 134 ou 136°
pendant au moins 18 minutes, l'eau de Javel pure ou au demi durant une heure,
ainsi que la soude normale, également durant une heure. Ces trois
procédures ont une certaine efficacité dans l'inactivation des
prions.
Je dois dire que les procédés physiques d'inactivation ont une
efficacité qui varie d'une souche de prion à une autre souche de
prion. Par exemple, certaines souches de tremblante du mouton sont
inactivées tout à fait correctement par l'autoclavage à
136° durant 18 minutes. Le titre infectieux est en effet réduit
d'un facteur 1 million. Ceci est parfaitement compatible avec par exemple, ce
qu'on attend d'un processus de stérilisation appliqué dans les
hôpitaux. L'agent de l'encéphalopathie bovine spongiforme est
toutefois à peine inactivité d'un facteur 1000. Cela veut dire
qu'il ne pas possible de considérer qu'un procédé
d'autoclavage est suffisant pour assurer la sécurité d'un
dérivé d'origine bovine suspect d'être fortement
contaminé. Par conséquent, si vous souhaitez assurer la
sécurisation des farines de viandes, vous devez non seulement appliquer
le procédé dit « 133 degrés, trois bars, 20
minutes » proposées par l'Union Européenne, mais aussi
trier les matières premières, de façon à ce que la
charge infectieuse de départ soit la plus faible possible, afin de
permettre à ce procédé d'être efficace.
Nous savons aujourd'hui que le cerveau d'une vache contaminée contient
10 millions d'unités infectieuses par gramme. Il est donc clair que si
nous appliquons un procédé de réduction d'un simple
facteur 1000, il restera donc 10 000 unités infectieuses par gramme de
cerveau. En revanche, si nous enlevons le système nerveux central, nous
enlevons environ 90 % de l'infectiosité, nous avons donc
considérablement réduit notre charge infectieuse. Le
procédé d'autoclavage aura donc des chances raisonnables
d'être efficace. La sécurité d'un produit d'origine
biologique, qu'il s'agisse d'un médicament ou des farines
carnées, dépend donc essentiellement du tri contrôlé
des matières premières, puis de l'application d'un
procédé de stérilisation. Cette sécurité
dépend enfin de l'application d'un test de dépistage de l'agent
infectieux sur le produit fini. Nous ne disposons toutefois pas de ce test
à l'heure actuelle. Le tri des matières premières est par
conséquent fondamental.
Je suis à votre disposition.
M. Philippe Nogrix
- Cette protéine se développe-t-elle
uniquement sur le système nerveux ? Il est dit partout en effet que
le muscle ne présente aucun risque. Cela est-il vrai ?
M. Dominique Dormont
- Ce genre de questions et les réponses qui
en découlent dépend de l'acquis de la pathologie
expérimentale. La protéine du prion normale est nécessaire
pour l'infection d'un prion anormal. Si vous n'êtes pas porteur de la
protéine PrP normale à la surface de vos cellules, vous ne
pourrez pas être infectés par les prions. Cela a été
très bien montré par les chercheurs suisses, qui ont
génétiquement modifié des souris, pour empêcher le
gène de la protéine du prion de s'exprimer. Il est apparu que ces
animaux sont résistants à l'infection du prion. Il est donc
nécessaire d'exprimer la protéine PrP normale à la surface
de ses cellules pour être infectable par l'agent infectieux.
Il est s'agit ensuite de localiser la protéine PrP, puisque c'est elle
qui conditionne la susceptibilité à l'infection. Cette
protéine est majoritairement présente dans le système
nerveux central. Je précise qu'au sein même du système
nerveux central, elle est environ cinquante fois plus présente dans les
neurones que dans les autres cellules du système nerveux. En dehors du
système nerveux central, cette protéine est présente un
peu partout, mais essentiellement dans le système
réticulo-endothélial, qui correspond approximativement au
système immunitaire.
Lorsqu'une vache est infectée par voie orale, il faut savoir qu'une
phase d'éclipse apparaît au cours des mois qui suivent l'infection
et durant laquelle il n'est pas possible de repérer l'agent infectieux.
A partir du cinquième ou du sixième mois, il est ensuite possible
de trouver l'agent dans la fraction terminale de l'intestin grêle,
appelée iléon distal. Cette infectiosité durera ensuite
durant toute la période d'incubation, ainsi que durant toute la maladie
clinique. Cette infection est faible, mais demeure détectable.
Ensuite, à partir des filets nerveux de nerfs qui innervent le tube
digestif, l'agent infectieux rentrera dans les terminaisons nerveuses et
utilisera les nerfs pour remonter vers la moelle épinière,
où il arrivera entre le 32e et le 34e mois après l'exposition du
bovin. L'agent infectieux sera ensuite détectable à partir du 36e
mois dans l'ensemble du système nerveux central. L'animal mourra aux
environs du quarantième mois.
Cette chronologie a deux significations. Tout d'abord, lorsqu'un animal ou un
homme est exposé à un prion par voie périphérique
et non pas par voie intracérébrale, le premier tissu
infecté sera alors le système immunitaire. C'est le bovin, il
s'agit de cette énorme formation associée à l'iléon
distal. La présence de tissu nerveux dans cette zone permet de
réaliser facilement des connexions, grâce auxquelles l'agent
pourra infecter le système nerveux central. De plus, il faut se rappeler
que durant la plus grande partie de la période d'incubation chez le
bovin, l'agent n'est pas dans le système nerveux. Par conséquent,
lorsqu'on applique un test de dépistage tel que nous savons le faire
actuellement, nous recherchons la protéine anormale dans une zone du
cerveau. Un test ne sera par conséquent positif que si l'animal a le
temps d'acheminer son agent vers le cerveau et si les performances du test
permettent d'obtenir des résultats satisfaisants. Un test positif a par
conséquent une signification. Un test négatif n'en a aucune. Nous
ne pouvons donc pas nous en servir pour certifier un animal. Ai-je suffisamment
répondu à votre question ?
M. Jean Bizet, rapporteur
- M. le Président, avez-vous une
approche des caractéristiques de la protéine PrP ?
M. Dominique Dormont
- La protéine PrP est une protéine
dont nous ignorons le rôle chez l'individu non infecté. Cette
protéine est située à la face externe de la cellule.
Celle-ci l'exporte jusqu'à la membrane et s'accroche ensuite à la
face externe de la membrane. Cette protéine peut donc interagir avec
d'autres cellules ainsi qu'avec l'environnement cellulaire et servir de
récepteur pour transmettre des signaux à la cellule.
Nos collègues de l'Institut Pasteur et de l'hôpital
Lariboisière ont d'ailleurs publié récemment un excellent
travail dans la revue
Science
. Ils ont en effet montré que la
protéine PrP est capable de transmettre des signaux à la cellule
normale. J'insiste sur le fait qu'il s'agit d'une protéine normale. Il
faut donc à présent savoir comment est faite cette
protéine normale. Sa structure dans l'espace peut être
comparée à un yo-yo, constitué d'une partie globulaire
très dense, difficilement modifiable dans sa structure
tridimensionnelle, et d'une grande ficelle capable de prendre toutes les formes
possibles dans l'espace. La protéine PrP ressemble à peu
près à cette figure.
L'hypothèse du prion postule que cette protéine change de forme
lorsqu'elle devient anormale. Ce changement de forme est lié à
l'interaction directe, à l'accrochage direct de la protéine
anormale à la protéine normale. Cet accrochage de la
protéine normale à la protéine anormale fait que la
protéine normale change de forme et adopte la forme de la
protéine anormale à laquelle elle s'est fixée. C'est la
théorie du prion. Je dois dire qu'un certain nombre de scientifiques,
certes minoritaires, n'adhèrent pas à cette théorie. En
particulier, le découvreur suisse de la structure tridimensionnelle de
la protéine pense que la protéine ne se modifie pas dans sa
forme. D'autres facteurs assurent la propagation de l'agent infectieux. Il ne
s'agit toutefois que de querelles d'école. Il me paraît toutefois
important de préciser que la situation n'est en aucun cas figée
et que les connaissances n'ont pas encore abouti sur ce point. Nous ne
connaissons pas en effet la structure tridimensionnelle de la protéine
anormale. Nous ne pouvons donc pas affirmer que l'hypothèse du prion
soit la bonne.
M. le Rapporteur
- Existe-il toutefois des approches virales,
conformément à ce qu'il avait été sous-entendu
à une certaine époque ?
M. Dominique Dormont
- Je ne pense pas qu'une approche virale,
ressemblante par exemple à celle de la grippe, puisse être mise en
application. Je ne connais en effet aucun virus capable de résister
à 180 ° pendant 24 heures.
En revanche, vous ne pouvez empêcher que la protéine anormale
interagisse avec les quelques centaines de virus endogènes dont nous
sommes porteurs. Je rappelle que notre génome contient des
séquences de virus dont nous avons hérité au cours de
l'évolution et qui se sont stabilisés dans notre code
génétique. Il arrive parfois que cette partie d'origine virale de
notre propre génome se dérégule et se met à induire
des maladies. Sous cet angle, il n'est donc pas possible d'éliminer
formellement ce problème. Je répète que cette
hypothèse n'est toutefois pas considérée actuellement
comme la plus probable.
M. Paul Blanc
- Avez-vous pris connaissance de l'article du Professeur
Montagnier, paru dans le numéro de Paris Match de la semaine
dernière ?
M. Dominique Dormont
- Non, Monsieur.
M. Paul Blanc
- Cet article semble aller tout à fait dans votre
sens.
M. Dominique Dormont
- Je regrette de ne pas l'avoir lu.
M. Gérard César
- Je voudrais poser une question à
M. Dormont concernant la décision qui a été prise hier au
conseil des ministres de Bruxelles. J'aimerais que vous puissiez nous donnez
votre avis sur le paragraphe suivant.
« (...) En second lieu, le comité scientifique et directeur se
penchera sur les mesures nationales de retrait des matériels à
risque spécifié et allant au-delà de la
réglementation communautaire. Le retrait de la colonne
vertébrale, du thymus, de la rate, de T-bone, des graisses issues des
farines animales pratiqué par certain Etat membres tels l'Allemagne, la
Grèce et la France. (...) ». L'avis du comité
scientifique est attendu pour le 15 janvier 2001.
Qu'en pensez-vous. ?
M. Dominique Dormont
- Il m'est difficile de vous répondre sur le
fait. Ces problèmes sont en effet avant tout politiques et
administratifs. Ils sortent donc du champ scientifique, seul domaine pour
lequel je bénéficie d'une petite légitimité. Il
m'est donc impossible de répondre à votre question autrement
qu'à titre de citoyen. Je peux dire toutefois que le retrait des abats
à risques spécifiés est une mesure recommandée par
les scientifiques depuis des années. Nous avons donc été
très soulagés lorsque nous avons su, le 1
er
octobre
2000, que l'Europe acceptait enfin de mettre en place cette mesure. Il s'agit
de la mesure la plus importante qu'il fallait mettre en place. En effet, c'est
dans ces abats à risque spécifiés que peu se trouver
potentiellement 99,9 % de l'infection.
M. Michel Souplet
- Le muscle est-il sain dans tous les cas ? Cette
précision serait importante pour nous permettre de rassurer le
consommateur.
M. Dominique Dormont
- Si vous le voulez bien, je répondrais
à votre question en deux temps. L'une des caractéristiques des
maladies à prion est que la distribution de l'agent infectieux en
périphérie (je ne parle pas en effet du système nerveux)
varie selon le type de prion et selon la génétique de
l'hôte.
Par exemple, si nous inoculons le prion de l'agent bovin à une
vache lorsque la vache est malade, l'infection est uniquement
détectée dans le système nerveux central, la rétine
et dans de moindres proportions dans l'iléon terminal. Le même
prion inoculé à un mouton induira une infectiosité dans
l'ensemble des formations lymphoïdes de l'organisme. L'agent est pourtant
le même. Il est par conséquent impossible d'extrapoler les
résultats obtenus dans un modèle avec un même prion dans
une autre espèce ou à un autre prion dans une même
espèce. Cela est en effet relativement compliqué.
J'en arrive à présent à la question de savoir s'il y a de
l'infection associée au muscle squelettique. Dans des circonstances de
laboratoire, c'est-à-dire dans un endroit où l'on prend soin de
disséquer correctement le muscle et si l'agent est inoculé par
voie intracélébrale dans le muscle de plusieurs animaux
appartenant à la même espèce, ce qui constitue le test le
plus sensible à l'heure actuelle pour détecter l'infection, alors
j'affirme que l'infection n'a pour le moment jamais été
transmise, et ce dans toutes les espèces pour lequel ce test a
été réalisé.
Cette expérience n'est toutefois pas encore terminée en ce qui
concerne la maladie bovine. Il faut savoir par ailleurs que les Britanniques
ont inoculé du muscle bovin à des souris de laboratoire.
Là encore, aucune infection n'a été
détectée. Il faut néanmoins savoir que lorsque l'on change
d'espèces, il existe un phénomène de barrière
d'espèce qui fait qu'il n'est pas possible de détecter l'agent en
dessous d'une certaine quantité d'unités infectieuses. Par
exemple, le fait de transmettre l'infection du bovin à la souris divise
l'efficacité de transmission par un facteur 1000. Lorsque la souris
n'est pas malade, il n'est donc pas possible d'affirmer qu'il n'y a pas
d'infection. Il s'agit plus précisément de dire qu'il existe dans
l'organisme de cette souris moins de 1 000 unités infectieuses.
Les expériences les plus efficaces consisteraient à inoculer des
bovins avec du muscle de bovin. Ces expériences sont en cours, mais
elles sont extrêmement longues à réaliser. Je rappelle en
effet que la durée d'incubation moyenne du bovin est de cinq ans. Nous
devons donc attendre plusieurs années avant de savoir si les
résultats seront positifs ou négatifs. En effet, en ce qui
concerne les maladies à prion, plus la quantité d'agent
infectieux est faible, plus le temps d'incubation est long.
Je voulais donc vous faire connaître les limites de nos connaissances
actuelles. Je pense que nous pouvons toutefois affirmer que le risque est
actuellement minime. Il n'est toutefois pas possible de l'exclure totalement,
puisque l'expérience n'est pas terminée. Dans toutes les autres
maladies à prion, qu'elles soient humaines ou animales et dans
lesquelles nous disposons d'un certain recul, l'infection n'a jamais
été transmise à partir du muscle squelettique.
M. Michel Souplet
- Le lait constitue-t-il un danger ?
M. Michel Dormont
- La transmission ne semble pas plus s'effectuer par
le lait que par le muscle. Je précise toutefois que le colostrum a
parfois transmis l'infection.
M. Roland du Luart
- Je voulais poser une question au sujet du
délai d'expérimentation, mais le professeur y a en partie
répondu. Dans l'état actuel de nos connaissances, vous nous dites
par conséquent qu'il est nécessaire d'attendre cinq ans minimum
pour avoir une certitude absolue sur la transmissibilité du muscle bovin.
M. Dominique Dormont
- Je pense qu'un délai de 10 ans serait plus
raisonnable. Il existe toutefois des modèles alternatifs
expérimentaux qui sont en cours de mise au point. Ces modèles
consistent à prendre le gène de la protéine du prion du
bovin et à l'insérer dans le patrimoine génétique
de la souris. Il est par conséquent possible de fabriquer des souris
transgéniques exprimant la protéine PrP du bovin. La souris
devient alors hautement sensibles à l'agent bovin. Elle se comporte
comme une vache vis-à-vis du prion bovin.
Ces souris sont « construites » en Californie, en Allemagne
et en France. Le modèle est en train d'être validé. Je
pense que d'ici un an ou deux, nous disposerons d'outils plus rapides
permettant de répondre à ce type de question.
M. Roland du Luart
- Pouvons-nous créer une souris ayant les
mêmes caractéristiques que l'homme dans ce domaine ?
M. Dominique Dormont
- Absolument. Nous nous heurtons toutefois aux
limites scientifiques actuelles dans ce domaine. Il demeure qu'une souris
transgénique exprimant la protéine PrP humaine réagira
comme un homme vis-à-vis des prions. Les auteurs américains et
britanniques ont en effet montré que l'infection par l'agent de la
maladie de Creutzfeldt-Jakob était parfaitement répliquée
par ce type de souris. Seul le nouveau variant n'était pas
détectable. En revanche, la souris exprimant la protéine PrP du
bovin détecte dans 100 % des cas la nouvelle forme de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob, ce qui montre bien que cette maladie est d'origine bovine.
M. Gérard Le Cam
- M. le Professeur, vous avez
évoqué tout à l'heure la maladie du vison. Or nous savons
le ragondin pullule actuellement dans nos cours d'eau. Des recherches ont-elles
été effectuées dans ce sens ? Je pense
également aux félins et je me demande si des liens ne doivent pas
être établis. Je me demande enfin pourquoi il n'est pas possible
de réaliser le test directement au niveau des nerfs. Enfin, pouvez-vous
nous dire si la présence des nerfs dans le muscle peut-être
porteuse de prions.
M. Dominique Dormont
- Nous n'en avons pas trouvé pour le moment
de maladie à prions chez les espèces sauvages, en dehors des
cerfs, des élans et des daims que j'évoquais tout à
l'heure. La recherche de la maladie chez les animaux sauvages est toutefois
très difficile. Il faut vraiment que nous soyons confrontés
à une mini-épidémie pour que nous commencions à
diagnostiquer l'apparition d'une maladie. Je précise toutefois que dans
le cadre de la surveillance de la rage dans notre pays, des
prélèvements seront effectués sur le cerveau des animaux
sauvages. Je dois dire cependant que les résultats dont nous disposons
actuellement sont anecdotiques et ne permettent pas de répondre avec
certitude à votre question.
J'en viens à présent au problème de la détection de
l'infection dans l'iléon. Deux éléments doivent être
retenus dans ce domaine. Tout d'abord, il faut savoir qu'en ce qui concerne la
vache infectée expérimentalement avec de fortes doses, les
Britanniques ont montré qu'il existait de l'infectiosité dans
l'iléon. En revanche, il n'a pas encore été trouvé
d'infectiosité dans l'iléon chez les vaches naturellement
malades. Par ailleurs, la quasi-totalité des tests validés
à l'heure actuelle pour la vache infectée
expérimentalement ne sont pas en mesure de détecter la
protéine pathologique dans l'iléon. Ceci à la fois pour
des raisons de niveau de sensibilité, et en raison du fait que la
texture du tissu n'a rien à voir avec le système nerveux central.
De plus, la première phase qui est une phase d'extraction des
protéines doit être revisitée et adaptée à
l'iléon. Des recherches sont menées dans ce sens actuellement,
mais n'ont pas encore abouti.
En ce qui concerne les nerfs dans les muscles, je vous invite à vous
reporter à la classification des organes selon l'OMS afin de constater
qu'en classe 3 B se trouve le nerf sciatique. Ce dernier représente un
gros tronc nerveux. Effectivement, dans certains cas, il est arrivé
qu'un peu d'infectiosité soit détectée, associée au
gros tronc nerveux. Jusqu'à présent, le muscle squelettique
inoculé aux animaux n'était pas dénervé. Seuls un
peu de sang, de muscles et de nerfs ont en fin de compte étaient
inoculés. Je pense par conséquent que si quelque chose doit
être infectée, celle-ci se trouve en dessous de la dose
infectieuse intra-spécifique. Elle est donc très en dessous de la
dose infectieuse interspécifique.
Les Suisses ont néanmoins récemment montré qu'en
manipulant génétiquement certaines souris, ils pouvaient faire
augmenter considérablement au cours de l'embryogenèse la mise en
place de l'innervation au niveau de la rate. Les nerfs de la rate peuvent en
effet être multipliés de façon considérable. Lorsque
ces souris sont infectées, le titre infectieux de la rate est
multiplié par mille, du fait de la présence de cette forte
innervation. Ce modèle est toutefois extrêmement artificiel. Je
pense que nous devons considérer ce résultat comme
scientifiquement intéressant, nous ne devons toutefois pas en tirer trop
de conséquences de santé publique.
M. Paul Blanc
- En 1996, vous présidiez un comité
scientifique qui a préconisé, au nom du principe de
précaution, l'interdiction de l'utilisation des cadavres à risque
pour la fabrication des farines animales. Dans un texte publié au
journal officiel le 28 novembre 1996, le gouvernement a certifié avoir
pris dans mesures allant dans ce sens. Pensez-vous que ces mesures aient
été effectivement et efficacement prises ?
M. Dominique Dormont
- Nous sortons du domaine de la science. Cela fait
toutefois parti de votre rôle. Il n'est toutefois pas possible de
demander à un chercheur de se prononcer sur la pertinence de
l'application des mesures administratives et du respect des lois. Ce n'est pas
notre métier. En effet, lorsqu'un responsable opérationnel
m'explique les raisons qui président à l'application d'un
règlement, je lui accorde crédit naïvement, car je n'ai
malheureusement pas les moyens d'avoir une approche critique de ce qui est
présenté. Les scientifiques sont obligés de partir du
postulat selon lequel les règlements sont appliqués. J'ajoute que
l'ensemble des avis que nous avons rendus sont systématiquement
prononcés sous réserve du contrôle de l'application des
mesures. Nous ne sommes toutefois pas capables d'apprécier l'application
des mesures sur le terrain. C'est en effet un autre métier que celui
d'apprécier l'efficacité des contrôles. Il ne s'agit en
aucun cas d'un métier de chercheur. Tant que les abats à risque
ne sont pas retirés du marché, conformément à ce
que prévoit la loi, alors qu'il est clair que les farines ne seront pas
sûres. Au contraire, si la loi est appliquée, alors les farines
sont sûres. Nous devrons néanmoins attendre 2002 pour savoir si
ces mesures ont été appliquées. En effet, la maladie met
cinq ans à incuber et le décret de 1996 n'a pas pu rentrer en
application avant l'année 1997.
M. Paul Blanc
- Ce décret date de mars 1996.
M. Dominique Dormont
- L'élimination des cadavres demeure
toutefois postérieure. Nous ne pourront donc pas avoir de conclusions
avant 2002.
M. Paul Blanc
- L'enquête le déterminera.
M. Dominique Dormont
- L'enquête actuelle ne vous permettra que de
détecter les cas qui sont nés il y a cinq ans en moyenne.
M. Paul Blanc
- L'enquête nous permettra toutefois de savoir si
toutes les précautions ont été prises.
M. Dominique Dormont
- Je pense que nous touchons là un
problème important. Je ne serais pas surpris que nous trouvions quelques
animaux développant une ESB, tout en étant né après
la mise en place effective des mesures sur les farines de viande. Cela est en
effet inévitable. Le problème réside dans le nombre des
animaux malades qui seront détectés. S'ils sont plusieurs
dizaines, alors cela sera clairement inquiétant. Si au contraire, ils ne
sont que deux ou trois, alors le problème restera anecdotique et
correspondra à l'extinction d'un phénomène. Cette notion
quantitative me paraît en effet importante.
Nous allons devoir regarder avec beaucoup d'attention les âges des bovins
qui sont trouvés positifs. Si la majorité des bovins
trouvés positifs était née après le
1
er
janvier 1997, alors il y aurait de réelles raisons
de s'inquiéter. Si en revanche, la majorité des bovins
trouvés positifs était née après le 1
er
janvier 1997, cela signifiera alors qu'il sera encore nécessaire
d'attendre pour savoir si les mesures ont réellement été
appliquées.
M. Jean Bernard
- Je voudrais savoir comment les Australiens ont
réussi à éradiquer la tremblante du mouton de leur
territoire.
M. Dominique Dormont
- Je pense que Madame Brugère-Picoux est
plus qualifiée que moi pour vous le dire. Elle est
vétérinaire alors que je ne suis médecin.
M. le Rapporteur
- Pourriez-vous nous expliquer
l'éventualité de la fameuse troisième voie
évoquée par M. Glavany voilà un an ? De même,
je souhaiterais obtenir plus de détails sur le mode de transmission
verticale mère-veau.
Je voudrais également que vous évoquiez la difficulté de
mettre en place les tests, compte tenu de la non-réponse de l'organisme
infecté et que vous compariez les trois tests actuellement sur le
marché. Je voudrais enfin connaître votre analyse concernant le
souhait du politique de généraliser les tests sur les animaux de
plus de 3 mois, ceci vis-à-vis d'une médiatisation à
l'adresse du consommateur.
M. Dominique Dormont
- Je pense que nous devons replacer la situation
dans son contexte. Il a été demandé aux scientifiques de
déterminer les hypothèses pouvant expliquer l'apparition des cas
d'ESB chez les animaux nés après l'interdiction des farines.
Les scientifiques ont répondu que ces cas seraient premièrement
dus à une exposition illicite et frauduleuse. Ils pourraient ensuite
être dû à des contaminations accidentelles. Ces
hypothèses nous ont paru être les deux plus importantes, en
particulier en ce qui concerne les contaminations croisées, que
celles-ci est d'ailleurs lieu à l'usine d'aliment, durant les transports
ou à la ferme.
Une analyse scientifique cohérente nécessite toutefois de faire
des hypothèses. Ces deux premiers cas supposent par conséquent
que des erreurs aient eu lieu dans la distribution des farines. Toutefois, si
nous admettons qu'il n'y a pas eu d'erreur, alors nous sommes obligés de
faire d'autres hypothèses, telles que celle de la transmission
mère-veau. L'étude ayant mis en avant ce mode de transmission
n'est toutefois pas très concluante. En d'autres termes, la transmission
mère-veau est très faible, lorsque toutefois elle existe. De
plus, elle n'intervient qu'au cours des six derniers mois de la période
d'incubation de la mère. Nous n'en sommes toutefois pas certain,
même si nous avons un doute.
Ces hypothèses ne sont toutefois pas suffisantes pour expliquer le
nombre de 40 000 veaux contaminés apparus en Grande-Bretagne
après que les farines aient été interdites.
Une autre hypothèse doit alors être élaborée. Il
peut en effet exister une voie inconnue de contamination. Voilà ce que
M. Glavany a appelé la troisième voie.
Certaines hypothèses sont hautement probables parce que l'action des
vétérinaires, des gendarmes et des juges semble leur donner
raison et montre que des circulations de farine de viande contaminés ont
eu lieu au détriment du respect de la santé publique. La
transmission mère-veau ne doit pas être laissé de
côté pour autant.
Les autres hypothèses devront être prises en considération
le jour où l'administration aura la certitude que ses
réglementations sont appliquées, tout en constatant que les cas
d'ESB continuent.
M. le Rapporteur
- Peut-on imaginer que l'utilisation de la farine de
viande dans l'assolement pourrait nous conduire à une maladie tellurique
et par conséquent à un ensemencement des sols et des nappes
phréatiques.
M. Dominique Dormont
- Nous ne disposons pas des éléments
scientifiques suffisants pour répondre à cette question. Nous
savons toutefois que le prion est capable de survivre dans des conditions
étonnantes.
L'exemple du chercheur américain qui a montré qu'il fallait plus
de trois ans pour éliminer une souche de tremblante enterrer dans un pot
de fleur est à ce sujet célèbre. Il ne s'agit toutefois
que d'un fait expérimental encore relativement anecdotique.
Par ailleurs, il faut savoir que si l'environnement avait réellement
été contaminé, nous n'assisterions pas alors à la
décroissance des cas britanniques tels qu'elle existe actuellement.
Néanmoins, l'effet des farines est si important qu'il peut parfois
masquer des petites voies de contamination alternative qui nécessiteront
peut-être 10 ou 15 ans de travaux avant de pouvoir les identifier. Nous
ne disposons toutefois à l'heure actuelle d'aucun élément
allant dans ce sens.
La durée d'incubation des ESB naturelle est d'environ quatre ans. Avec
un peu de chance, il peut être possible de détecter la
protéine 6 à 8 mois avant l'apparition des signes cliniques. Le
fait de tester les bovins les plus âgés fait donc appel à
un rationnel scientifique certain. En revanche, il n'y aurait aucune
rationalité scientifique à aller tester les animaux de 6 mois,
car les tests dont nous disposons aujourd'hui ne nous le permettent pas.
Quels sont les tests dont nous disposons aujourd'hui ? trois tests ont
été validés par l'Union européenne : un test
de la société irlandaise Enfer, un test mis au point par la
société suisse Prionics, et un dernier test créé
par le commissariat à l'énergie atomique et dont le
développement industriel a été pris en charge par la
société Sanofi. Je précise toutefois que pour des raisons
de réorganisation de l'industrie pharmaceutique, cette partie de Sanofi
est désormais contrôlée par l'américain Biorad. Le
test est donc commercialisé par cette dernière
société.
L'étude pilotée en aveugle par l'Union européenne a
montré que les trois tests détectent 100 % des animaux
malades. L'étude n'a en effet porté que sur les animaux malades.
En prélevant le cerveau des animaux malades et en le diluant, il est
possible d'avoir une idée de la quantité de protéine
détectable. Le test Enfer est cinq à 6 fois, voire 10 fois plus
sensible que le test Prionics. De son côté, le test Biorad est 30
fois plus sensible que le test Prionics. Aujourd'hui, dans l'état de la
technologie des tests mis actuellement sur le marché et validé
par l'Europe, le test Biorad est donc le plus sensible.
M. le Rapporteur
- Sa mise en application n'est-elle pas plus difficile
que le test Prionics ?
M. Dominique Dormont
- Il est possible qu'un problème de
faisabilité ait influé sur la décision de prendre un test
qui n'était pas le plus sensible. Il est vrai que le test Prionics
était utilisé sur le terrain en Suisse depuis plusieurs mois. Il
avait donc démontré sa praticabilité sur le terrain. Les
deux autres tests n'avaient en effet été utilisés qu'en
laboratoire. Votre argument peut effectivement être pris en
considération.
Je voudrais toutefois faire une réflexion allant au-delà du choix
des tests. Il est vrai que les scientifiques apprécient d'utiliser les
tests les plus sensibles. De même, l'administration aime bien utiliser
des tests qui ont déjà eu l'occasion de faire leur preuve. Dans
le cas qui nous intéresse, il faut savoir que nous disposions de deux
test de qualité, l'un étant toutefois plus sensible que l'autre.
Le plus important a toutefois été de prendre la décision
de procéder à cette campagne de test et de prendre à
pleines mains ce problème de santé publique. C'est en effet parce
que la France a pris la décision d'appliquer ces tests que l'Europe a
été finalement contrainte de lancer sa première campagne
de test, qui toutefois a été insuffisante. En effet, elle
n'aurait probablement pas permis de détecter l'épidémie du
Portugal. Un premier pas a toutefois pu être ainsi franchi et a permis
à la commission de proposer une politique cohérente à tous
les pays de l'Union. Il appartient toutefois aux ministres de prendre une
décision. Je pense cependant que cette campagne de test a permis de
faire évoluer les mentalités. Je pense qu'il est surtout
important de retenir ce point de vue.
M. le Président
- Les tests ne risquent-ils pas au contraire de
renforcer le sentiment d'insécurité ?
M. Dominique Dormont
- Il est vrai qu'il n'est pas suffisant que le
résultat d'un test soit négatif pour que la
sécurité alimentaire soit de fait assurée. Cette
réalité est de plus valable pour les trois tests. L'un d'entre
eux permet de détecter un plus grand nombre de cas, cela ne signifie pas
pour autant que les bovins qui auront été déclarés
négatifs ne seront pas en réalité infectés.
M. François Marc
- Quel crédit peut-on accorder aux
affirmations selon lesquelles certains cas humains recensés en
Grande-Bretagne ainsi que l'un des trois cas constaté en France auraient
été infectés
via
l'injection d'hormones de
croissance et autres produits pharmaceutiques ?
M. Dominique Dormont
- Je pense que vous faites allusion à
l'hormone de croissance bovine et non pas à l'hormone de croissance
humaine.
M. François Marc
- Il semble toutefois que plusieurs vaccins
pourraient poser problème.
M. Dominique Dormont
- Il est vrai que certains vaccins peuvent contenir
des constituants d'origine bovine. L'albumine bovine peut en effet servir
à stabiliser les vaccins. Par ailleurs, les sérums de voeu
peuvent servir à faire pousser les cellules permettant de fabriquer les
virus atténués qui servent ensuite de vaccin. Il s'agit en effet
d'une technique très classique dans le domaine des biotechnologies.
Toutefois, l'hormone de croissance et autres médicaments ne doivent pas
être mis en cause, pas plus d'ailleurs que les vaccins. Je pense qu'il
s'agit d'un des rares domaines dans lequel nous pouvons être presque
affirmatif.
M. le Président
- Voilà au moins une certitude.
M. Dominique Dormont
- C'est en tout cas une quasi-certitude.
M. le Président
- Les différents organismes qui se
consacrent à la recherche sur les maladies à prion
coordonnent-ils leurs travaux ?
M. Dominique Dormont
- Le programme de recherche sur les prions a
été dès sa création un programme inter-organismes.
Les budgets étaient décidés par le comité
interministériel sur les maladies à prions. La situation a
toutefois changé à présent. Je ne sais toutefois pas
précisément comment va évoluer la situation. Je ne peux
donc vous parler que de la situation telle qu'elle était au 30 novembre.
Deux facteurs ont à mon avis été importants en ce qui
concerne la recherche pour les maladies à prions. L'Europe a tout
d'abord été un moteur considérable. En effet, cette
dernière a débloqué des fonds importants. De plus, les
projets européens ne sont recevables que s'ils ont pour cadre un
réseau de laboratoires issus de plusieurs pays différents. Les
différents laboratoires européens sont donc obligés de
collaborer. L'appât du gain ainsi que la nécessité de
coopérer ont donc considérablement renforcé la
collaboration entre les laboratoires publics des états membres.
De plus, la nature du programme français était d'être
inter-organismes. De nombreux projets ont donc été
présentés en partenariat. Par ailleurs, les projets de recherche
en réseau représentent une innovation très constructive du
programme prion. Il s'agit toutefois de soumettre aux autorités une
technologie plutôt qu'un projet de recherche. Les laboratoires sont ainsi
invités à faire la démonstration de leur savoir faire.
Après examen d'une commission scientifique, les différents
laboratoires étaient regroupés au sein de projet de recherche en
réseau. Cela a permis d'éviter les doublons dans la fabrication
des animaux transgéniques et des anticorps. Cette organisation a
également permis de développer le test. Une telle structuration
de la recherche n'existait pas jusqu'à présent dans les autres
programmes précédemment mis en place.
M. le Président
- Cette organisation est donc globalement bien
faite.
M. Dominique Dormont
- De mon point de vue, oui.
Je crois néanmoins que la recherche en France souffre d'un
problème structurel. Il est en effet impossible de faire appel aux
compétences des chercheurs post-doctorants. La recherche n'est en effet
pas initiée par les patrons, mais par les jeunes chercheurs. Les
thésards et les post-doctorants ne peuvent toutefois pas être
statutaires. La seule possibilité est de les faire
bénéficier de bourse post-doctorante. Le droit du travail
français est tel qu'il n'est pas possible d'employer ces jeunes
chercheurs dans des organismes publics plus de 18 mois. Cette situation est
absolument ingérable dans des thématiques comme celles du prion.
Je précise toutefois que ce problème n'est pas particulier
à la recherche sur les prions. Il s'agit d'un problème
général de la recherche française. Il n'est en effet pas
possible de signer des contrats de 3 à 5 ans avec des chercheurs et des
techniciens supérieurs. Ces personnes ont donc tendance à
émigrer en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis.
M. le Président
- Nous ferons passer votre message. Quel est
votre jugement sur l'action de l'AFSSA et quelles sont les relations que vous
entretenez avec elles ?
M. Dominique Dormont
- Nous entretenons avec l'AFSSA les mêmes
relations qu'avec l'ensemble de nos tutelles. Le Directeur
général de l'AFSSA pose en effet des questions au comité
interministériel, lorsque le gouvernement le saisit d'un problème
ayant trait aux maladies à prion. D'une certaine façon, nous
sommes le bras de l'expertise scientifique de l'AFSSA. En ce qui concerne les
autres domaines de son expertise, l'AFSSA dispose en interne de ses propres
ressources. Par exemple, nous avions émis une expertise au sujet de
l'intestin il y a quelques années. Le gouvernement a ensuite voulu
bénéficier d'une actualisation de ces avis. Il a donc fait appel
à l'AFSSA comme la loi l'y oblige. L'AFSSA s'est ensuite tournée
vers le comité interministériel. Nous avons donc répondu
au Directeur général de l'AFSSA.
M. Jacques Bimbenet
- Vous avez dit tout à l'heure qu'il n'avait
encore jamais été vu de prion. Comment est-il alors possible de
diagnostiquer une maladie à prion ?
M. Dominique Dormont
- C'est une bonne question. Il existe deux
façon de détecter une maladie à prions. L'une est efficace
à 100 %. Il suffit d'inoculer un animal de la même
espèce et de montrer que ce dernier tombe malade. Il faut ensuite
prélever le cerveau de l'animal malade, le broyer et l'inoculer
directement dans le cerveau de l'animal receveur. Quelques mois ou quelques
années plus tard, l'animal receveur développera une maladie
comparable à celle d'origine. Le développement de la maladie sera
la preuve de la transmissibilité.
Il existe également des méthodes biochimiques consistant à
mettre en évidence la protéine sous sa forme anormale. Il se
trouve que la protéine sous sa forme anormale résiste aux enzymes
qui dégradent habituellement la protéine normale. Il faut
prélever le cerveau d'un sujet malade, le broyer, le traiter avec les
enzymes qui dégradent la protéine normale. S'il reste ensuite de
la protéine, alors cela signifie que celle-ci est anormale. Je
précise toutefois que si nous savons qu'il existe de
l'infectiosité, nous ne connaissons toutefois pas le support biologique
de l'infectiosité.
M. Michel Souplet
- Mangez-vous de la viande de boeuf sans aucune
appréhension ?
M. Dominique Dormont
- On me pose souvent cette question. A chaque fois
je réponds qu'il existe bien des cancérologues qui fument.
M. le Président
- Je vous remercie infiniment. Nous avons
apprécié l'ensemble des renseignements que vous nous avez
apportés. Nous restons toutefois inquiets à cause du nombre
d'incertitudes qui demeurent. Celles-ci sont d'ailleurs la preuve de la
complexité du problème. Il semble par conséquent que vous
avez encore beaucoup de travail devant vous.
Je vous demande de bien vouloir nous informer de l'évolution des
connaissances au cours des six mois que durera notre commission
d'enquête, afin que nous puissions les intégrer à notre
réflexion.
M. Dominique Dormont
- Je me tiens à votre disposition pour
répondre à toutes les questions que vous pourriez vous poser.
Audition de Mme Jeanne BRUGÈRE-PICOUX,
Professeur de pathologie du
bétail
à l'École nationale vétérinaire de
Maisons-Alfort
(6 décembre 2000)
M.
Gérard Dériot, président
- Nous accueillons à
présent Mme Jeanne Brugère-Picoux, professeur de pathologie du
bétail à l'École nationale vétérinaire de
Maisons-Alfort. Je vous remercie d'avoir accepté de venir. Je rappelle
que vous avez également accepté que la presse et les
caméras assistent à votre audition.
Nous avons décidé de commencer par auditionner les scientifiques,
afin que chacun puisse faire le bilan de ses connaissances dans ce domaine.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à Mme
Brugère-Picoux
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- Je vais brièvement vous
rappeler mon expérience concernant l'ESB. J'ai travaillé sur la
tremblante du mouton à l'époque où cette maladie
intéressait peu de monde. La maladie de Creutzfeldt-Jakob
intéressait seulement quelques personnes à l'hôpital
Saint-Louis. J'avais accepté de collaborer à un travail sur la
génétique de la tremblante du mouton. A l'époque, nous
commencions tout juste à comprendre que ces maladies avaient un double
déterminisme génétique et infectieux et à
identifier les facteurs génétiques en cause. Jean-Louis Laplanche
assurait cette étude génétique à la faculté
de pharmacie de Paris chez l'homme et chez le mouton. De mon côté,
j'enseigne depuis plus de 25 ans les aspects cliniques de la tremblante.
Lorsqu'en novembre 1987, la première publication sur l'ESB est parue,
nous avons commencé par considérer cela comme une
curiosité scientifique. Les cas se sont toutefois multipliés
dès le début de 1998, pour finalement atteindre le chiffre de 455
cas au mois de mai 1988 pour 10 à 13 millions de bovins. Ces chiffres
commençaient par conséquent à devenir inquiétants.
Les Anglais ont d'ailleurs très vite découvert que les farines
animales étaient à l'origine de ce problème. Ils les ont
interdites dès le mois de juin 1988. La même décision n'a
malheureusement pas été prise en France.
Je signale toutefois que dès le début de 1989, le
rédacteur en chef du Bulletin des groupements techniques
vétérinaires avait pris conscience de l'importance de l'ESB, et,
souhaitant une publication plus rapide d'un texte qui nous lui avions
confié, il l'avait proposé à la Dépêche
vétérinaire . Le responsable de cette revue n'avait toutefois pas
jugé pertinent d'accepter ce sujet qu'il estimait relever de la simple
curiosité scientifique.
J'ai néanmoins écrit un article sur l'encéphalopathie
spongiforme bovine (ESB) afin que les vétérinaires puissent
identifier la maladie au cas où celle-ci se développerait sur
notre territoire. Cet article est paru en décembre 1989 dans le Bulletin
de la Société vétérinaire pratique. Mes conclusions
étaient très simples. Je préconisais simplement de ne rien
importer d'Angleterre parce que cette maladie du cheptel britannique
menaçait le cheptel français. Dès cette époque,
nous mettions en avant le fait qu'il ne fallait pas exclure l'hypothèse
d'une zoonose, c'est-à-dire d'une maladie transmissible de l'homme vers
l'animal. Cette recommandation est toutefois restée au niveau du simple
avis scientifique.
Le nombre de cas a malheureusement continué à augmenter. La
première crise liée à l'ESB est survenue le
10 mai 1990. Les Anglais ne voulaient plus en effet que la viande de
boeuf soit servie dans les cantines scolaires. Un avis de l'Académie
vétérinaire de France a été rédigé
à l'époque par mon époux, professeur de physiologie
à l'École vétérinaire d'Alfort et
académicien. Cet avis signalait qu'il existait un risque potentiel pour
l'homme et recommandait la plus grande prudence quant aux importations de
produits bovins destinés à l'alimentation humaine ou animale.
Les scientifiques peuvent parfois se tromper. En effet, en 1995, nous nous
inquiétons du nombre de fermiers anglais atteints par la maladie de
Creutzfeldt-Jakob. Or, les quatre ou cinq fermiers anglais malades n'ont
été atteints que par la forme classique de cette maladie (forme
sporadique). Je me souviens avoir alors conseillé à mon
époux, chargé de préparer l'après-midi
« vétérinaire » des « Entretiens de
Bichat » , de suggérer aux médecins de
s'intéresser au problème des encéphalopathies, car on
pouvait pressentir que la crise était proche du fait de l'annonce de
deux cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob chez deux jeunes britanniques. Les
médecins avaient alors refusé en considérant que
c'était une histoire ancienne déjà traitée dans ce
colloque. L'Académie nationale de médecine s'est néanmoins
préoccupée de la situation en décembre 1995. J'ai
d'ailleurs été auditionnée par une commission sur ce
sujet. De leur côté, les Anglais, ayant découvert un risque
lié aux tissus lymphoïdes chez les jeunes bovins, avaient interdit
la vente et la consommation des intestins et des ris de veau des animaux
âgés de moins de 6 mois à partir de septembre 1994.
En France, nous avons continué à introduire des veaux anglais et
à appliquer des mesures différentes. Je dois dire que
j'étais profondément choquée par la situation. Je savais
en effet qu'il existait un risque infectieux important au Royaume-Uni et je
m'inquiétais des conséquences que cela pouvait avoir sur l'homme.
En février 1996, l'Académie nationale de médecine a
émis un avis concernant les mesures à prendre à
l'égard du veau anglais, en recommandant que les mesures de
précaution appliquées au Royaume-Uni le soient aussi en France
pour les veaux importés de ce pays
Tout le monde se rappelle évidemment la crise de mars 1996 avec
l'annonce de 10 cas de la nouvelle forme variante de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob pouvant être liés à l'agent bovin.
Personne n'est cependant capable de connaître le nombre de cas
susceptibles de se déclarer dans les années à venir. Nous
en sommes aujourd'hui à 87 cas pour l'Angleterre, dont 5 sont
toujours vivants. Trois autres cas ont officiellement été
déclarés, deux en France et un en Irlande. Nous savons aussi
qu'un troisième cas français est actuellement en phase terminale.
Concernant le nombre de cas susceptibles de survenir dans l'avenir, il faut
savoir que la plus grande imprécision règne en la matière,
puisque les épidémiologistes nous présentent des nombres
variant de 2 à 6 chiffres. Il est toutefois certain que nous serons
confrontés à cette maladie pendant encore longtemps. En effet, le
temps d'incubation du Kuru, encéphalopathie spongiforme humaine
liée à un endocannibalisme rituel, dépasserait 45 ans et
il s'agit d'une contamination homme-homme. Du fait de la
« barrière d'espèce », nous savons que le
temps d'incubation dans le cas d'une première transmission de l'agent
d'une espèce donnée à une espèce différente
sera toujours plus long que lors d'une transmission ultérieure de cet
agent au sein de la même espèce. Si l'on est optimiste, il est
possible de se dire que ce temps d'incubation peut dépasser notre
espérance de vie.
Je suis cependant surprise du fait que nous ne parlions que des importations de
farines anglaises, en oubliant que d'autres produits bovins ont
été importés. En effet, à partir de 1988, les
importations des abats britanniques ont été multipliées
par 13 ou 15. Or, il pouvait s'agir d'une contamination directe pour l'homme.
En effet, ces tonnes d'abats importés ont pu contenir des
matières à risques spécifiés ayant un taux
infectieux important, comme la cervelle et la moelle épinière.
A ce propos, je vous conseille d'interviewer M. Kerveillant, qui était
vétérinaire à Rungis à cette époque et qui
fut le premier à tirer la sonnette d'alarme sur les risques liés
à de telles importations. Je rappelle que ces produits ont
été considérés à risque et interdits
à la vente en Angleterre à partir de novembre 1989. C'est
à cette époque que Monsieur a constaté que l'importation
de têtes de bovins britanniques ne s'était pas
arrêtée immédiatement pour autant sur notre territoire.
M. le Rapporteur
- Jusqu'à quelle date avons-nous importé
ces abats ?
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- L'importation de ces abats a
été interdite le 15 février 1990 en France, et en
mars de la même année pour l'ensemble de l'Europe. Durant deux
ans, un risque beaucoup plus important que celui lié aux importations
de farines a donc existé. La situation est par ailleurs la même en
ce qui concerne les importations à base de viande préparée
avec des abats. De plus, la France était le plus gros importateur
d'abats. Je dois dire que cette importation d'abats est beaucoup plus
importante que l'importation des farines.
Les responsables de la commission des toxiques des supports de culture du
Ministère de l'agriculture se sont toutefois inquiétés en
1991, lors de la publication de l'article de Paul Brown signalant qu'un agent
restait infectant après trois ans d'enterrement (100 fois moins). C'est
pourquoi ils ont demandé d'homologuer les engrais. J'ai fait partie des
experts qui ont été consultés à cette occasion. A
partir de 1992, les farines de viandes d'origine bovine auraient du être
interdites pour la fabrication des engrais. Je regrette toutefois qu'aucune
précaution n'est été prise à l'égard des
abats de veau anglais âgés de moins de 6 mois à cette
époque.
M. le Rapporteur
- A quelle utilisation étaient destinés
les abats à risque ?
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- J'ai beaucoup de mal à le
savoir moi-même. Certains affirment qu'ils servaient à la
fabrication des viandes hachées. Je n'en ai malheureusement aucune
preuve. Cela pourrait toutefois expliquer pourquoi des jeunes gens ont
été atteints. Cela m'inquiète énormément,
car je suis moi-même mère de famille. Je pense que la production
industrielle de viande hachée s'est peut-être effectuée
dans des conditions risquées. Il faudrait que les industriels acceptent
de dire s'ils utilisaient ou non de tels abats comme liants dans leurs
préparations.
M. le Rapporteur
- Le rôle de notre commission est
précisément de faire la lumière sur ce point. Pouvons-nous
connaître votre avis au sujet de la cosmétologie ?
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- L'industrie agroalimentaire a
été la première à interdire l'utilisation de
cervelles d'animaux. Les sociétés importantes étaient en
effet très conscientes de la perte de confiance du consommateur que
pouvait déclencher une campagne médiatique sur le problème
de la vache folle. Il est donc très important de savoir que des
précautions ont été prises en amont de toute
décision officielle.
L'industrie cosmétique s'est également inquiétée
très tôt. Les enjeux financiers dans ce secteur sont en effet
énormes. Il ne faut pas oublier que la cosmétologie vend avant
tout du rêve. Il était donc très important de ne pas briser
ce rêve en évitant de fabriquer un produit de luxe avec des
produits dangereux. Je suggère d'ailleurs que vous rencontriez quelques
responsables de l'Oréal. La fabrication de leurs produits a en effet
été profondément modifiée. Certains industriels de
ce secteur ont même privilégié l'emploi du poisson. Une
réelle prise de conscience du risque s'est donc opérée
dans le secteur. J'ajoute que l'emploi d'un produit cosmétique sur une
peau saine ne représente pas un danger, surtout si la matière
première n'est pas un tissu à risque puisqu'il ne s'agit pas de
protéines. De plus, pour que l'infection ait lieu au niveau de la peau,
il faudrait que celle-ci s'opère sur une plaie cutanée profonde,
saignante et à partir d'un agent infectieux très
concentré.
M. le Rapporteur
- Des études ont-elles été
réalisées sur le problème de la transmission
transcutanée ?
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- Des expériences ont
été réalisées chez la souris et ont
démontré qu'il était plus facile de reproduire la maladie
par une scarification des gencives lors d'une infection par la voie orale. Il
me semble par ailleurs que des études ont été aussi
réalisées à partir de peaux saines chez des souris, sans
résultat. Celles-ci ont démontré que seul le
dépôt de prions sur une peau ayant eu des scarifications
permettait d'être contaminant. Je crois me souvenir que cette publication
de Taylor date de trois ou quatre ans.
M. le Président
- La concentration du prion était-elle
élevée ?
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- La concentration du prion
était en effet élevée, car il s'agissait de
vérifier s'il existait un risque transcutané.
M. le Président
- Messieurs, avez-vous des questions ?
M. Jean Bernard
- Comment la tremblante a-t-elle été
éliminée de Nouvelle-Zélande et d'Australie ?
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- Je pense que ces pays
prétendent avoir éliminé la tremblante et qu'il est
difficile de vérifier si il n'existe pas de cas encore sporadiques.
L'élevage dans ces pays est en effet extensif. Je ne suis donc pas
certaine que l'intérêt des néo-zélandais et des
Australiens soit de vérifier systématiquement de quoi leurs
animaux sont morts. J'ajoute que dans les années 50, les mêmes
moutons britanniques avaient été envoyés en
Amérique du Nord, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Seul le
continent nord-américain admet ne pas avoir réussi à se
débarrasser de la tremblante. Je me souviens que cette question avait
déjà été posée en 1991 lors d'un
congrès sur les maladies à prions à Londres, et je peux
vous assurer que le scientifique britannique qui a répondu à
cette même question (David Westaway, alors de l'équipe de
Prusiner) doutait fortement du fait qu'il n'y ait plus de risque de tremblante
en Australie et en Nouvelle-Zélande. Nous n'en avons cependant pas la
preuve.
M. le Rapporteur
- Quelle est votre approche concernant
l'éventualité d'une troisième voie et la présence
de farine dans les engrais, ainsi que la durée que pourrait durer une
telle infection ?
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- Je pense que nous devrons
certainement nous poser la question d'ici un an ou deux, si de nouveaux cas
apparaissent chez des bovins nés après la mise en place des
importantes mesures prises en 1996. Nous sommes actuellement à une
période charnière. Nous devons cependant rester optimistes et
espérer que ces mesures permettront à terme de diminuer le nombre
de cas d'ESB. Car si tel n'était pas le cas, il faudra alors se poser
des questions sur les éventuelles fraudes qui auront pu avoir lieu.
N'oublions pas aussi que, si la France a pris des super-mesures, tous les
autres pays européens ne l'ont pas fait. Les éleveurs
eux-mêmes reconnaissent qu'il leur est arrivé de se voir proposer
des aliments concentrés moins chers en provenance d'autres pays.
L'hypothèse de la transmission maternelle ne doit pas non plus
être écartée. Cette question est toutefois difficile. Une
étude américaine portant sur le mouton et une étude
anglaise portant sur plus de 600 veaux ont permis d'estimer que le risque de
transmission par cette voie pouvait atteindre 10 %. Cependant, l'exemple
du Kuru chez l'homme n'a jamais pu permettre de démontrer la
possibilité d'une telle voie de transmission. En ce qui concerne les
ruminants, Pattison a démontré dès la fin des
années 60 qu'il était possible qu'une contamination
s'opère via le placenta. Ses travaux ont été
publiés en 1972. Il a été ainsi pensé que la
tremblante du mouton pouvait demeurer pérenne dans les troupeaux
contaminés à cause d'une contamination de l'environnement par les
placentas. Rien n'a toutefois pu être démontré en ce qui
concerne les excréments et les farines de viande. Ces dernières
sont en effet utilisées dans les engrais. Je pense néanmoins que
le facteur de dilution est très important sur le sol. Il est
également possible que l'origine de la maladie animale soit parfois
génétique, avec des cas familiaux comme en médecine
humaine.
Vous pouvez constater qu'il existe de nombreuses explications permettant
d'illustrer l'hypothèse de la troisième voie. Il ne faut
toutefois pas oublier que nous sommes face à une maladie rare, existant
depuis longtemps. Dès 1883, la Revue de médecine
vétérinaire de Toulouse a signalé un cas de tremblante
chez un boeuf en Haute-Garonne. Les Américains eux-mêmes ne sont
pas considérés comme exempts du risque
« ESB ». Ils ont en effet contaminé un
élevage de visons ayant eu pour aliment des carcasses de vaches
éliminées du fait d'un syndrome de la vache couchée. Or,
ce syndrome présente un risque minime (1%) d'être dû
à une atteinte du système nerveux central. Le plus
fréquemment, cette affection est la conséquence d'une maladie
d'origine métabolique ou d'un accident survenu au moment du
vêlage. Les Américains ont été ainsi les premiers a
suspecter l'ESB après cet épisode dans un élevage de
vison. C'est pourquoi ils ont reproduit expérimentalement cette maladie
bovine à partir du cerveau des visons atteints avant 1985. Ceci
démontre que la maladie bovine était une maladie rare dans de
nombreux pays. J'espère qu'elle le redeviendra, du moins en Europe. Il
faut toutefois accepter le fait que celle-ci ne disparaîtra pas. Nous
allons donc devoir apprendre à vivre avec.
M. Georges Gruillot
- Madame, vous venez de répondre
partiellement à la question que je souhaitais vous poser. J'ai
moi-même été vétérinaire praticien dans une
région avec une clientèle bovine. Je peux vous assurer que j'ai
vu tout au long de ma carrière des symptomatologies identiques à
celles que nous avons tous pu voir à la télévision ces
dernières années. Nous estimions alors que nous étions
face à des cas d'encéphalite. Nous savions que cette maladie
était totalement incurable. Nous envoyions par conséquent ces
bêtes le plus vite possible à l'abattoir, afin de les livrer
à la consommation. Nous ne nous posions pas plus de question.
Dans le même temps, des personnes présentaient les symptômes
de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et mourraient à l'hôpital. Je
pense par conséquent que dans certain cas, nous étions
déjà confrontés à des risques d'ESB. Il est vrai
cependant que nos analyses n'étaient pas très poussées.
Je précise néanmoins qu'à partir de 1970-72, lorsque
l'épidémie de rage a envahi la France, des
prélèvements de cerveaux ont été effectués
sur les animaux d'abattoirs, afin de réaliser des diagnostiques de rage.
Le prion n'était en aucun cas recherché, d'autant plus que nous
ne savions pas à l'époque que ce dernier pouvait exister. Je
pense cependant que nous avons affaire à une maladie qui existe depuis
toujours.
Il est vrai qu'il demeure possible qu'une éventuelle transmission ait eu
lieu à l'époque par l'intermédiaire des farines animales.
Je précise cependant que l'alimentation des animaux était
rarement enrichie de farines animales. Des apports protéiques sous forme
de tourteaux végétaux complétaient en effet la nourriture
des bêtes. Je regrette que la presse alimente la psychose actuelle en
sous-entendant que l'ESB est apparue récemment. Je crois qu'il serait
bon que nous fassions savoir que cette maladie existe depuis toujours. Cela
permettait à mon avis de réduire la panique de nos concitoyens.
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- J'essaie moi-même de faire
connaître cette réalité depuis longtemps. Il existe depuis
toujours des cas sporadiques. De plus, l'exemple américain montre
qu'aucun pays ne peut être à l'abri de la contamination. De
nombreux vétérinaires reconnaissent avoir été
confrontés à cette maladie bien avant la crise. Les cas
repérés n'étaient toutefois considérés que
comme des curiosités scientifiques. Il faut être franc sur le
sujet. Par ailleurs, nous ne connaissions pas le risque pour l'homme.
N'oublions pas que ce n'est qu'en 1959 qu'un vétérinaire
américain a émis l'hypothèse que le Kuru pouvait
être transmissible, en signalant à Gajdusek que les lésions
constatées dans cette affection humaine ressemblaient à celles de
la tremblante. C'est ainsi que nous savons seulement depuis les années
60 que la maladie de Creutzfeldt-Jakob peut être transmissible.
M. Michel Souplet
- Notre commission voudrait montrer au consommateur
non pas que le risque est nul, mais qu'il est beaucoup trop grossi à
l'heure actuel. Moi-même, en tant qu'éleveur de mouton et de
vache, j'ai souvent eu à faire à des animaux atteints de
tremblante. Lorsqu'un mouton était atteint par cette maladie, nous le
tuions et nous le mangions. Nous étions donc les premiers à
pouvoir être contaminés. Or, je suis toujours parmi vous.
Je me demande toutefois si nous sommes capables de redonner confiance aux
consommateurs en prenant des mesures minimales. Je pense par exemple à
la disparition des farines animales. Je crois que nous devons absolument les
détruire et non plus se contenter de les remettre dans la terre. Je
pense que les farines animales devraient totalement disparaître. Il faut
également éviter de consommer les abats à risque.
Par ailleurs, tant que le prion n'aura pas été trouvé dans
le muscle, il sera possible de redonner confiance aux consommateurs et de
favoriser l'achat de viande rouge. Nous n'avons pas intérêt en
effet à affoler inutilement les gens.
Il faudra enfin que le consommateur se rende compte que la consommation
représente à peine 15 % du budget des ménages. Le
coût de l'alimentation augmente toutefois de façon très
sensible dès qu'il s'agit d'une consommation de qualité.
L'agriculture est capable de produire une alimentation de très grande
qualité. Il faut cependant admettre que le coût de celle-ci puisse
augmenter, tout en rappelant que le risque zéro n'existe pas.
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- Je suis moi-même née
dans une ferme d'élevage, je suis donc totalement d'accord avec vous. De
mon côté, j'essaie d'adopter une position analogue à la
vôtre. Cela n'est toutefois pas facile, car peu de spécialistes
accepte de répondre aux questions des journalistes dans le contexte
actuel. En effet, toute prise de position filmée peut se retourner
contre son auteur si par malheur il s'est trompé. Nous ne sommes donc
pas nombreux à oser comme moi aller au feu.
M. Michel Souplet
- J'ai été dix ans président du
Salon de l'agriculture. Mon suppléant et ami est actuellement
Président du Salon de l'agriculture et du cheval. Nous nous sommes vus
cet après-midi afin de nous demander comment présenter au public
une agriculture française saine.
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- Les risques en France demeurent
sporadiques, à la différence de la situation britannique, qui
présente des risques réels. Il ne faut pas oublier que
l'Académie nationale de médecine a eu le courage de se prononcer
contre la levée de l'embargo, huit mois avant que l'AFSSA ne le fasse
à son tour.
M. Roland du Luart
- Vous venez de confirmer l'une de nos
inquiétudes. En effet, nous estimons que la communication sur cette
affaire a été désastreuse. Nous regrettons notamment que
la FNSEA ait demandé que tous les animaux de plus de trente mois soient
abattus.
Je voudrais vous demander si vous estimez que les trois tests sont fiables et
si l'un d'entre eux est meilleur que les deux autres. Quel mode de
communication préconisez-vous en cas de généralisation de
ces tests ? Le Professeur Dormont nous a en effet fait savoir que le fait
qu'un test s'avère négatif ne signifie pas pour autant que
l'animal n'est pas atteint. Nous n'avons toutefois pas le droit de tromper de
consommateur. Or nous souhaitons tous pouvoir communiquer de façon
positive afin de pouvoir inciter le consommateur à continuer à
manger de la viande.
Je voudrais enfin savoir si vous-même vous continuez à manger de
la viande.
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- Non seulement, je continue à
manger de la viande, mais de plus, je regrette énormément
l'interdiction des ris de veau. En effet, tant que je ne savais pas si le ris
de veau que nous mangions était anglais ou français, je n'en
mangeais plus. J'ai toutefois recommencé à manger à partir
du moment où l'embargo a été décidé. Chacun
est libre en effet du prendre des risques. J'estime que le risque est moins
important en consommant des produits d'origine française que des
produits d'origine britannique.
En ce que concerne votre question sur les tests, je précise qu'une
évaluation a été effectuée par la Commission
européenne. Trois tests ont été retenus. Le test
français s'est montré le plus sensible des trois. Le test
irlandais Enfer a obtenu un classement intermédiaire. Le test Prionics
s'est révélé être le moins sensible des trois. De
plus, ce dernier test présente l'inconvénient de
nécessiter des immunoélectrophorèses et fait appel
à une méthode d'application relativement compliquée. De
leur côté, les tests irlandais et français font appel
à la méthode Elisa. Cette méthode est utilisée pour
établir des diagnostiques permettant de rechercher certains virus
animaux. Cette méthode est très simple et présente
l'avantage de pouvoir être automatisée. En tant que scientifique,
je regrette par conséquent qu'un test permettant une telle
automatisation n'ait pas été choisie.
Je pense néanmoins que les tests français et suisses doivent
être comparés. Nous saurons ainsi si le test français est
réellement plus sensible que le test suisse.
M. le Rapporteur
- Savez-vous quand nous pourrons connaître les
résultats de cette comparaison ?
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- Cette comparaison n'a malheureusement
pas encore commencé.
M. le Rapporteur
- Confirmez-vous que le test Biorad peut être
beaucoup plus informatisé que le test Prionics ou que le test Enfer.
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- Le test Enfer présente un
inconvénient par rapport au test Biorad, car il utilise des anticorps
polyclonaux, alors que le test Biorad fait appel à deux anticorps
monoclonaux. Il est cependant important de pouvoir comparer les tests sur le
terrain. Plusieurs pays ont néanmoins choisi le test Biorad. Je crois
par exemple que la Belgique a choisi ce test.
Nous ne pouvons toutefois pas garantir qu'il n'y ait pas de prion chez les
animaux insensibles au test. Cela est en particulier valable pour le test
Prionics. Nous savons en effet que les études menées sur les 25
cas détectés en Suisse en 1999 ont montré qu'un tiers de
ces animaux étaient atteints d'une ESB classique, et qu'un autre tiers
était malade d'une ESB un peu plus difficile à diagnostiquer,
mais comportant des critères cliniques d'ESB. Le dernier tiers
concernait encore des animaux malades, mais présentant des
symptômes différents de ceux de l'ESB. L'intérêt des
tests n'est pas seulement de contrôler une éventuelle fraude. Ils
permettent également de confirmer qu'un animal fortement
contaminé n'entre pas dans la chaîne alimentaire.
M. Roland du Luart
- D'après votre logique, il est donc
préférable de préconiser le test le plus sensible.
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- Tout à fait.
M. le Rapporteur
- Le test Prionics détecte l'infection à
partir des six derniers mois d'une incubation qui dure plus de cinq ans. Je
voudrais connaître la capacité de détection du test Biorad
en termes de délais d'incubation.
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- Il faudrait pour cela que vous
interviewiez Jean-Philippe Deslys, qui est l'inventeur du test Biorad.
M. le Rapporteur
- Nous avons effectivement prévu de le faire.
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- Il vous parlera plus facilement que
moi. Certains éléments sont en effet confidentiels, je ne peux
donc pas tout vous dire. Je pense que néanmoins nous avons
intérêt à utiliser le test le plus sensible. Il faut en
effet savoir que nous n'avons pas la preuve que le test Prionics est capable de
détecter l'infection six mois avant l'apparition des premiers
symptômes. Prionics avance cela comme simple argument commercial.
M. le Rapporteur
- Cela est par conséquent éminemment
dangereux dans le cadre d'une information à l'adresse du consommateur.
Nous n'avons pas le droit en effet de nous tromper deux fois.
M. le Président
- Il faut également se garder de se donner
trop bonne conscience en décidant de procéder à des tests
systématiques. En effet, comme vous l'avez dit, ce n'est pas parce qu'un
test est négatif que nous pouvons être certain que l'animal en
question n'a pas été contaminé.
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- Il est important de maintenir
l'interdiction des abats à risque.
M. le Rapporteur
- Je parle sous le contrôle de notre ami
Gérard César. Je crois en effet que la décision du Conseil
agricole de la nuit dernière préconisait la détection
systématique de l'ESB sur les animaux de plus de30 mois à partir
du 1er juillet 2001.
Pensez-vous que le comité européen d'évaluation ait le
temps de valider la généralisation des tests à partir du
test Biorad ?
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- Il faut savoir que plusieurs
laboratoires privés ont souhaité utiliser ces tests. Le 2 octobre
dernier, une commission élevage s'est réunie à
l'Académie vétérinaire de France. Il y a entre autres
été question des problèmes d'abattage partiels ou
d'abattage total. L'utilisation du test le plus sensible y a été
préconisée. L'intérêt de faire un sondage à
l'abattoir a également été mis en avant. Il est
regrettable que nous ayons seulement effectué des tests sur des animaux
trouvés morts ou abattus d'urgence et qu'au contraire des Suisses, nous
n'ayons pas réalisé de sondages à l'abattoir, car cette
pratique est fort dissuasive à l'égard des fraudes. Les Suisses
ont trouvé trois cas en 1999. Ils n'en ont déploré aucun
en 2000.
M. Michel Souplet
- Nous avons demandé au ministre de faire
servir de la côte de boeuf à tous les repas officiels, afin de
redonner confiance au consommateur.
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- La côte de boeuf ne
présente aucun risque.
M. le Président
- Vous avez expliqué devant la mission
d'information de l'Assemblée Nationale, le 17 septembre 1996, que vous
étiez membre officieux du comité interministériel de
l'ESB. Êtes-vous devenue aujourd'hui membre officiel ?
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- La liste de membres n'a pas
été renouvelée. J'ai cependant toujours fait partie des
membres de ce comité. Il se trouve que mon nom a simplement
été barré de la liste.
M. le Président
- Il existe de nombreux organismes s'occupant de
la recherche sur l'ESB. Pensez-vous que cela soit préjudiciable ou qu'au
contraire, ces différents organismes ont réussi à mettre
en place une collaboration fructueuse ?
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- J'ai toujours du mal à
répondre à cette question. Je surnomme en effet l'INRA, l'INSERM
ou encore le CNRS, les grands corps sans âme. En effet, ces structures
ont accaparé la majorité des moyens de recherches, au
détriment du travail réalisé de leur côté par
les universitaires.
M. Bernard Dussaut
- Cela signifie-t-il qu'aucune concertation n'a lieu
à l'échelon national ou à l'échelon
européen ?
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- Il existe des échanges entre
homologues européens. Je collabore moi-même à des projets
européens. Il est néanmoins parfois plus facile de faire
équipe avec des Européens plutôt qu'avec des
Français.
Je signale à ce propos que j'étais à la tête d'un
laboratoire INRA, créé en 1989 pour travailler sur les
problèmes de tremblante. J'avais intitulé ce laboratoire
« Pathologie et immunogénétique ». L'INRA a
cependant décidé en 1990 de ne plus travailler sur la tremblante,
car ce sujet n'était pas suffisamment important. Mon laboratoire a donc
été totalement déménagé chez le directeur de
l'école en 1992-93.
M. le Président
- Nous avons malheureusement constaté que
ce type d'affrontement entre les organismes universitaires et les autres
structures de recherche était fréquent.
M. le Rapporteur
- Existe-il une prédisposition de certaines
races bovines par rapport à d'autres ?
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- Nous n'en savons rien en ce qui
concerne le bovin.
Au sujet du mouton, il a été démontré qu'il
était possible de sélectionner génétiquement des
animaux sensibles ou résistants à la tremblante. Cette
résistance pourrait toutefois correspondre à la période
d'incubation. Cela vient d'être démontré par une
étude sur les souris.
M. le Rapporteur
- Que pensez-vous de la modélisation des
épidémiologistes, notamment anglo-saxons, concernant
l'épidémie humaine ?
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- L'épidémiologie n'est
pas une science exacte. Roy Anderson est toutefois l'un des meilleurs
épidémiologistes dans le monde. Il ne s'agit néanmoins que
de modélisations mathématiques. Il suffit par conséquent
les critères changent pour les prévisions changent
également.
M. le Rapporteur
- Quelle est votre analyse au sujet de propos de
Mme Gillot ?
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- Je ne pourrais avoir aucun avis avant
de savoir si les études de Madame Alpérovitch ont tenu compte
des importations d'abats pratiquées en France. Il faudrait en effet que
nous puissions déterminer si ces abats importés jusqu'en
février 1990 étaient réellement sains.
M. François Marc
- L'hypothèse de la transmission par les
insectes est-elle vraisemblable ?
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- Les Islandais ont été
les premiers à s'intéresser au rôle que pouvaient jouer les
acariens du fourrage. Cette hypothèse demande toutefois a être
confirmée. Peut-être s'agit-il d'une mutation
spontanée ? Comment en effet expliquer les cas sporadiques de la
maladie de Creutzfeldt-Jakob ? S'agit-il d'une maladie familiale ? La
transmission d'une maladie dont la durée d'incubation peut-elle
être si longue que nous ne puissions pas en déterminer
l'origine ?
M. le Président
- Nous vous remercions infiniment de votre
participation. N'hésitez pas à nous tenir au courant des
évolutions qui interviendraient au cours des six prochains mois, afin
que nous puissions, de notre côté, mettre à jour nos
connaissances.
Mme Jeanne Brugère-Picoux
- Je vous ferais parvenir les chiffres
des douanes britanniques.
Audition de Mme Brigitte CHAMAK
Biologiste et historienne des sciences
à
l'INSERM
(6 décembre 2000)
M. le
Président
- Nous accueillons Mme Brigitte Chamak, biologiste et
ingénieur de recherche à l'INSERM. Nous vous remercions de venir
apporter votre témoignage à notre commission d'enquête.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à Mme
Brigitte Chamak.
Mme Brigitte Chamak
- Je précise que je suis ici en tant
qu'historienne des sciences plutôt qu'en tant que biologiste. Je
travaille sur l'histoire de la recherche sur les encéphalopathies.
Je vous propose de procéder à un petit historique des mesures
prises en Angleterre et en France au sujet des farines animales.
Chacun sait que les premiers cas d'encéphalopathie spongiforme bovine
ont été identifiés dans le Sud de l'Angleterre en 1985 et
1986. Il n'est toutefois pas impossible que des cas soient apparus plus
tôt. Le rapport britannique publié en octobre 2000 signale une
rétention d'information : les premiers articles parus sur l'ESB ne
datent que de la deuxième moitié de l'année 1987.
En avril 1988, paraissent les résultats d'une enquête
épidémiologique conduite par John Wilesmith. Ce dernier pensait
que l'exposition pouvait dater des années 1981-1982 et que l'origine de
cette épidémie était due à l'utilisation de farines
animales. Il recommandait donc d'interdire provisoirement les farines animales
dans l'alimentation du bétail.
Il avait constaté que dans les années 1980-1882, le nombre de
moutons contaminés par la tremblante avait augmenté, que la
température de traitement des farines animales avait diminué et
que certains solvants utilisés auparavant dans leur fabrication avaient
été abandonnés. Par la suite, certaines des
hypothèses qu'il avait formulé ont été remises en
question, notamment celle faisant reposer l'origine de la contamination sur la
tremblante. Wilesmith pensait en effet que les carcasses de moutons atteints de
la tremblante avaient contaminé les farines, et que, du fait des
modifications intervenues dans la fabrication de ces dernières, la
maladie était passée à la vache.
Les résultats actuels permettent de nous rendre compte que l'ESB et le
nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob sont dus à un agent
d'une même souche, alors que les souches de la tremblante sont
variées. Le typage biochimique de cette souche est particulier, puisque
les groupements glycosylés sont différents des autres souches de
prions, telles que celles qui contaminent par exemple le mouton ou celles qui
sont responsables de la maladie de Creutzfeldt-Jakob classique.
Ces résultats établissent qu'il existe une différence
entre la tremblante et l'ESB. Il est probable que la contamination ait eu lieu
par l'intermédiaire d'une nouvelle encéphalopathie, apparue
peut-être à la suite d'une mutation chez la vache. Des bovins
contaminés ont pu l'être au début des années 80,
voire à la fin des années 70. La maladie n'a toutefois pas
été observée tout de suite : les animaux ont pu
être tués avant que les symptômes n'apparaissent,
étant donné la longue durée du temps d'incubation. Les
carcasses de ces animaux ont pu être utilisées pour produire des
farines, lesquelles ne bénéficiaient pas de traitements
suffisants pour tuer l'agent infectieux. La maladie a donc pu se propager de
cette façon.
Permettez-moi de vous exposer les différents traitements utilisés
dans la fabrication des farines. Le traitement le plus ancien est la
fabrication en discontinu. Les matériaux d'équarrissage bruts
sont d'abord broyés. La préparation est ensuite cuite à
une température maximale variant de 120 à 135 degrés,
durant trois heures et demie. Il existe une variante de cette cuisson, avec une
pression de deux bars à 141 degrés pendant 35 minutes.
Après ce traitement, un solvant peut être utilisé pour
augmenter le rendement d'extraction des graisses. Ceci nécessite une
étape supplémentaire de chauffage à 100 degrés. Le
traitement est par conséquent relativement lourd.
Les traitements des farines ont été modifiés à
partir du début des années 80, pour des raisons de coût
et/ou de sécurité. La suppression du solvant permet, en effet, de
faire des économies et d'éliminer les dangers liés
à sa manipulation. Il est enfin possible de supprimer ces solvants,
ainsi que de baisser la température de cuisson pour permettre aux
farines de devenir plus nutritives, car les acides aminés seront mieux
conservés.
De nouveaux traitements ont donc été mis en place. L'un d'entre
eux s'appelle le Stord Duke System. Ce procédé est largement
utilisé en France. Il consiste à cuire les déchets
d'animaux, après leur broyage, dans un bain d'huile à une
température variant de 135 à 145 degré, pendant au moins
30 minutes. Le matériau protéique obtenu est envoyé sous
filtre-presse afin d'éliminer la phase huileuse, puis broyé pour
obtenir de la farine.
Un autre traitement est le Stord Bartz System. Il consiste à chauffer le
broyage à 125 degrés par de la vapeur. Ce traitement thermique
dure en moyenne de 22 à 35 minutes.
Un autre système est le Anderson Carver-Greenfield System pour lequel la
température est de 125 degrés. La cuisson s'effectue sous un vide
partiel pendant 20 à 25 minutes.
Un dernier système est le Protec De-Watering System : le produit
brut préalablement broyé est chauffé pendant trois
à sept minutes à 95 degrés. Une déshydratation est
ensuite effectuée par un chauffage à 120 ou 130 degrés.
Le premier traitement des farines était beaucoup plus drastique et
permettait de détruire certains agents infectieux.
Je précise qu'en médecine, tous les instruments ayant servis aux
soins des malades atteints de la maladie de Creutzfeldt-Jakob sont
décontaminés de façon drastique. Le traitement
utilisé pour éliminer l'agent infectieux est un traitement par la
soude, pendant plus d'une heure à 20 degrés, ou un traitement
à l'eau de Javel, pendant une heure. Il faut également signaler
la possibilité d'effectuer un passage à l'autoclave, à une
température supérieur à 134 degrés, pendant au
moins 30 minutes.
Vous avez sûrement entendu parler des normes émises pour traiter
les farines. Ces normes sont actuellement de 133 degrés pendant 20
minutes. Je ne sais pas comment ces normes ont été
établies mais elles ne correspondent pas à celles
utilisées en médecine.
Permettez-moi à présent de reprendre l'historique de la crise. En
avril 1988, John Whilesmith recommande l'interdiction provisoire des farines
animales. Les farines ne sont toutefois pas interdites immédiatement. Un
délai de grâce est laissé aux entreprises afin de leur
permettre d'écouler leurs stocks.
Le 18 juillet 1988, les farines animales sont interdites pour l'alimentation
des ruminants. Cette interdiction ne concerne toutefois pas l'alimentation des
porcs ou des volailles. Il n'est pas non plus demandé aux entreprises
qui ont fabriqué des farines de reprendre leurs anciens lots.
Le comité Southwood, qui s'est réuni le 20 juin 1988, constate
avec étonnement qu'à cette date, les animaux atteints
d'encéphalopathie ne sont pas encore éliminés. Ce
comité recommande par conséquent de détruire les carcasses
des animaux atteints. Cette interdiction intervient le 8 août 1988. Ce
comité reprend les résultats de l'enquête
épidémiologique et considère que ce sont effectivement les
farines animales qui sont à l'origine de cette épidémie.
Il reprend l'hypothèse de la contamination des bovins par
l'intermédiaire des carcasses de mouton atteints de tremblante. Cette
hypothèse a pour conséquence de minimiser le danger
représenté par l'encéphalopathie bovine spongiforme. En
effet, puisque les moutons atteints de tremblante n'ont jamais contaminé
l'homme, le comité conclut qu'il est par conséquent peu probable
que l'homme soit atteint à son tour. Cette hypothèse de
départ a eu des conséquences importances.
De janvier à juillet 1989, la France importe plus de 16 000 tonnes de
farine. Il faut savoir que si le Royaume-Uni avait interdit l'utilisation des
farines animales sur son territoire, il n'a pas interdit leur exportation. Par
ailleurs, il n'a pas réellement informé les pays de l'Union
européenne sur les dangers liés à l'utilisation de ces
farines. Le 13 août 89, la France restreint les importations de
farines en provenance du Royaume Unis. Un premier avis aux importateurs des
farines animales est donc publié dans le journal officiel. La
possibilité d'importer ses farines pour l'alimentation des porcs et des
volailles est néanmoins maintenue. Le 15 décembre 1989, un
deuxième avis est publié au journal officiel. Cet avis
étend l'interdiction à l'Irlande et limite les dérogations
accordées par les services vétérinaires aux seules usines
ne produisant pas d'aliments pour ruminants. La possibilité d'importer
ces farines pour l'alimentation des porcs et des volailles est néanmoins
maintenue.
Un coup de théâtre survient en 1990. Des chats sont en effet
contaminés au Royaume-Uni. Cet incident amène certains
élus britanniques à supprimer le boeuf dans les cantines
scolaires. Informée de cette situation, la France interdit, le 30 mai
1990, l'importation de produits d'origine bovine en provenance du Royaume-Uni.
Le 24 juillet 1990, un arrêté interdit l'utilisation des farines
dans la fabrication d'aliment pour bovin.
Le 22 mars 1991, il est constaté qu'un animal né après
l'interdiction des farines au Royaume-Uni est atteint d'ESB. Il apparaît
aujourd'hui que malgré l'interdiction de l'utilisation des farines
animales dans l'alimentation des bovins, les autorités britanniques
n'ont pas réellement mis en place des moyens de contrôle suffisant
pour que cette interdiction soit réellement appliquée. Ces
farines seront en réalité utilisées jusqu'en 1996. Il faut
en effet savoir que l'interdiction de ces farines ne s'est pas
accompagnée d'une campagne de presse alarmiste. Les industriels ont par
conséquent eu des difficultés à croire au danger que
représentaient réellement ces farines. Ils ont pensé qu'il
n'était pas urgent de prendre toutes les dispositions nécessaires
pour respecter cette interdiction. Les éleveurs ont continué
à utiliser leur stock. De plus, certains éleveurs ont jugé
préférable de vendre leurs animaux dès l'apparition des
premiers symptômes, plutôt que de risquer de voir leur prix de
vente baisser de 50 %. La compensation financière en cas d'abattage
préventif n'a en effet atteint 100 % qu'en février 1990.
En 1992, la France interdit les tissus à risque dans les aliments pour
les jeunes enfants. Un nouvel avis aux importateurs paraît en 1993. Il
autorise cette fois les importations de farine en provenance d'Irlande.
M. le Rapporteur
- L'interdiction des tissus à risque
n'intervient donc qu'en 1992.
Mme Brigitte Chamak
- Tout à fait. Il faut savoir que les farines
de viande et d'os issues des pays de la communauté européenne
n'ont pas été interdites d'importation. Des farines britanniques
ont donc pu être par exemple achetées par les Belges, qui les ont
ensuite exportées en France.
En septembre 1994, la France prend une décision à l'égard
des bovins de moins de 6 mois en provenance de Grande-Bretagne. En 1994, les
Anglais se sont en effet aperçus qu'il suffisait d'un gramme de
matériel infecté pour transmettre l'ESB. Un changement d'attitude
intervient alors en Grande-Bretagne.
En novembre 1995, le ministère britannique se rend compte qu'il existe
des contaminations croisées : des farines normalement
destinées aux porcs ont pu être utilisées pour les bovins.
En mars 1996, le ministre anglais de la santé annonce que 10 personnes
sont suspectées d'être atteintes d'une nouvelle variante de la
maladie de Creutzfeldt-Jakob et que se pose la question du passage de l'ESB
à l'homme. Le 29 mars 1996, la Grande-Bretagne interdit d'utiliser les
farines de viande pour nourrir l'ensemble des animaux d'élevage. En
effet, il apparaît que de nombreux animaux nés après la
première interdiction sont en réalité atteints de la
maladie. A la fin du mois de juin 2000, plus de 40 000 animaux nés
après l'interdiction des farines sont déclarés atteints
d'ESB.
Plusieurs hypothèses ont été lancées concernant la
transmission de la maladie au veau par la mère. Il n'a toutefois pas
été tenu compte du fait que le respect de l'interdiction n'a pas
été contrôlé et que les farines ont pu ainsi
être utilisées. En 1996, un article de Lasmezas montre que des
injections intra-célébrales de cerveau d'un animal atteint
d'encéphalopathie spongiforme bovine à un macaque provoquent sur
ce dernier des signes cliniques, neuropathologiques et des
caractéristiques moléculaires similaires au nouveau variant de la
maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il est donc possible de conclure qu'une
même souche est responsable de ses pathologies et que l'origine de
l'infection ne doit pas être cherchée auprès des moutons
atteints de tremblante, mais bien directement auprès des bovins.
Des études en électrophorèse permettent également
d'aboutir à la même conclusion. Ce type d'analyse permet en effet
de visualiser trois bandes du prion résistant aux protéases que
le groupe de Collinge appelle Type 4, lequel correspond à une
protéine avec des groupements glycosylés particuliers.
Il existe donc différents types de prions. Certains contaminent
uniquement les moutons, d'autres sont pathogènes pour les humains. Une
souche est toutefois différente. Nous la retrouvons à la fois
dans le cerveau des bovins atteints d'ESB et dans le nouveau variant de la
maladie de Creutzfeldt-Jakob. Deux particularités doivent par
conséquent être relevées : l'une relève de
l'histologie, spécifique du nouveau variant et appelée plaque
floride, l'autre est d'ordre biochimique.
M. le Président
- Il est important que nous disposions de toutes
les dates que vous nous avez indiquées, afin que nous puissions
connaître parfaitement la chronologie des différentes
décisions.
Il est inquiétant de constater que l'utilisation des abats à
risques dans les petits pots pour bébé n'a été
interdite qu'en 1992.
Mme Brigitte Chamak
- Je précise que j'ai trouvé ces
informations à la fois dans le rapport anglais et dans le rapport
Guilhem-Mattéi, ainsi que dans les diverses publications auxquelles
chacun peut avoir accès.
M. Paul Blanc
- Vous nous avez indiqué qu'une première
interdiction a eu lieu en France, le 30 mai 1990, ainsi qu'Allemagne, en Italie
et en Autriche, de tous les produits d'origine bovine en provenance du
Royaume-Uni. Cette interdiction a pourtant été levée le 6
juin 1990. Est-ce exact ? Je voudrais également connaître la
raison de cette levée d'interdiction.
Mme Brigitte Chamak
- Je n'ai pas ici d'information sur cette
levée d'interdiction mais je vais me renseigner.
M. le Président
- Nous ferons des recherches de notre
côté.
Mme Brigitte Chamak
- Je pense qu'il serait bon de se pencher sur les
problèmes spécifiques à l'Union européenne. Le
rapport Mattéi montre en effet qu'il existe d'importantes anomalies dans
la gestion de cette crise au sein de l'Union européenne. Il faut se
rappeler que cette affaire arrive au moment de la création du
marché unique, période où il paraît de
première importance de favoriser la liberté de circulation des
produits. La prise en compte du contexte politique est essentielle pour
comprendre cette histoire.
M. Paul Blanc
- Cette décision politique est donc
franco-française, puisque nous avons été les seuls
à prendre la décision d'interdire l'importation des farines
britanniques.
Mme Brigitte Chamak
- Concernant le fonctionnement de la
communauté européenne, je vous renvoie au rapport
Guilhem-Mattéi, au chapitre détaillant les épisodes de
cette crise, qui signale que les commissaires en charge de la santé sont
beaucoup moins nombreux que ceux qui s'occupent de l'agriculture. La
priorité a donc été accordée aux problèmes
agricoles, plutôt qu'aux problèmes de santé.
M. le Rapporteur
- `Cet aspect des choses est très important.
M. le Président
- Avez-vous d'autres questions ?
M. Paul Blanc
- A quelle date a été décidé
l'embargo français ?
Mme Brigitte Chamak
- Cet embargo a été appliqué en
mars 1996.
M. Paul Blanc
- Cela a donc été une décision
communautaire.
M. le Rapporteur
- Il est important que nous puissions nous assurez de
la cohérence des dates.
M. le Président
- Avez-vous remarquer certaines
négligences au niveau des décisions prises par certains
gouvernements ?
Mme Brigitte Chamak
- A titre personnel, j'estime que le comportement du
gouvernement britannique n'a pas été respectueux des principes
d'éthique et de déontologie : à partir du moment
où il suspectait les farines animales d'être à l'origine de
l'épizootie sur son territoire et en interdisait l'utilisation pour les
ruminants, il aurait dû interdire l'exportation de ses farines pour
éviter l'expansion, en Europe de ce problème.
M. le Rapporteur
- Je pense que vous faites référence aux
16 000 tonnes exportées entre janvier et juillet 1989.
M. Georges Gruillot
- La dérive la plus grave concerne la vente
d'abats.
M. le Rapporteur
- Connaissez-vous les chiffres exacts de la vente de
ces abats ?
Mme Brigitte Chamak
- Les Anglais interdisent la vente des abats bovins
le 13 novembre 1989.
M. le Rapporteur
- Jusqu'à quelle date en exportent-ils ?
Mme Brigitte Chamak
- Je n'ai malheureusement pas cette information.
M. le Rapporteur
- Je crois que nous en avons acheté jusqu'en
1993 ou 1994.
Mme Brigitte Chamak
- Je ne dispose malheureusement pas des chiffres.
M. le Rapporteur
- Pourriez-vous nous les communiquer le cas
échéant ?
M. Paul Blanc
- La première interdiction des produits d'origine
bovine en provenance du Royaume-Uni date de 1990. Cet embargo est toutefois
levé 6 jours après sa promulgation. Cela signifie donc que du
30 mai 1990 jusqu'en 1996, les Britanniques ont continué
à exporter de la viande et des abats.
Mme Brigitte Chamak
- Je dois vérifier ce point.
M. Paul Blanc
- Le 21 septembre 1990, les Anglais ont interdit
l'utilisation des abats de viande bovine sur leur propre territoire.
M. le Président
- Nous allons vérifier toutes ses
informations, afin que nous puissions être certains de disposer des
bonnes dates et des bons chiffres. Il semble que des transactions douteuses ont
été effectuées durant deux ans.
M. le Rapporteur
- Je crois qu'il faudra que nous formalisions cela avec
beaucoup de précisions, tant sur les quantités que sur les dates,
ainsi qu'en ce qui concerne les trois catégories de produits que sont
les farines, les carcasses et les abats.
Mme Brigitte Chamak
- Je vous rappelle que le 13 juin 1996,
Le Monde
a publié un article expliquant que la Grande-Bretagne a massivement
exporté des farines de viandes contaminées. La France en a
été le principal acheteur. Cet article précisait que
153 900 tonnes de farine animales en provenance de Grande-Bretagne
étaient arrivées en France. Ce chiffre correspond
néanmoins au total des importations originaires de l'Union
européenne. Il semble d'ailleurs qu'il s'agisse plutôt de
170 000 tonnes. Il est toutefois très difficile de disposer des
chiffres exacts.
Vous pourrez par exemple constater que dans le rapport Mattéi, les
chiffres diffèrent en fonction des interlocuteurs. D'après le
contrôle des douanes, il semble toutefois que sur les 170 000 tonnes,
seules 3 600 seraient d'origine britannique. De plus, seules 53 tonnes de ces
3 600 tonnes seraient illicites.
M. Paul Blanc
- Que dire cependant des farines animales belges d'origine
irlandaise ?
M. le Président
- Nous touchons effectivement un point sensible.
Nous allons donc vérifier toute cette chronologie, afin que nous
puissions avoir des informations crédibles à l'esprit.
Mme Brigitte Chamak
- Il me semble également important de tenir
compte de la qualité des contrôles effectués. Ces
contrôles sont effectués pas trois organismes: les services
vétérinaires du ministère de l'agriculture, la direction
générale de la concurrence, de la consommation et de la
répression des fraudes, et la direction générale des
douanes.
Les contrôles effectués par les services
vétérinaires de l'agriculture n'ont toutefois donné lieu
à aucune transmission de procès-verbaux. Je pense que ce fait
mérite d'être relevé. La direction générale
de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a
effectué de son côté 10 500 contrôles, 61
procès-verbaux ont été rédigés, dont 7
concernant les viandes estampillées viande française et qui
étaient en fait des viandes britanniques. Là encore, le rapport
Mattéi vous permettra d'obtenir plus d'information.
M. le Président
- Je vous remercie.
Audition de Monsieur Gérard PASCAL
Directeur du Centre national
d'études et de recommandations
sur la nutrition et
l'alimentation
(13 décembre 2000)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Pascal, nous
sommes heureux de vous accueillir. Nous vous remercions d'ores et
déjà d'avoir répondu à cette convocation. Vous
êtes directeur du centre national d'études et de recommandations
sur l'alimentation et la nutrition. C'est à ce titre que nous vous avons
invité afin que vous puissiez nous dire quel est votre sentiment sur
l'utilisation des farines animales. Nous souhaitons également que vous
puissiez nous commenter l'action menée par votre organisation pour
lutter contre le problème posé par les farines de viande.
Après votre intervention, mes collègues vous poseront quelques
questions.
Je vous rappelle que nous sommes dans le cadre d'une commission d'enquête
du Sénat. Dans ce cadre, toutes les interventions se font sous serment.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Pascal.
M. le Président
- Je vous remercie. Je vous laisse maintenant la
parole.
M. Gérard Pascal
- Je souhaiterais, tout d'abord, me
présenter et préciser quels sont mes différents champs
d'activité. J'espère que le changement du cadre de mes
activités, depuis la période où je dirigeais le centre
national d'études et de recommandations sur la nutrition et
l'alimentation, rendra tout de même utile mon audition. Aujourd'hui, mes
activités sont de diverses natures.
Je suis directeur scientifique chargé des problèmes de nutrition
humaine et de sécurité alimentaire à l'Institut de la
Recherche Agronomique. Toutefois, je ne pense pas que ce soit à ce titre
que vous ayez souhaité m'entendre dans la mesure où nous ne
développons pas de travaux en rapport direct avec les risques
liés à l'utilisation de farines carnées en alimentation
animale dans les départements dont j'ai la charge.
Je préside, par ailleurs, le conseil scientifique de l'Agence
Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA).
Cette fois encore, je ne pense pas que ce soit à ce titre que vous ayez
souhaité m'auditionner dans la mesure où ce conseil scientifique
n'a, en aucun cas, été impliqué dans les avis
donnés par l'AFSSA sur les problèmes de «vaches
folles». Ce conseil scientifique, totalement indépendant de la
hiérarchie de l'AFSSA, a pour principal objectif de s'assurer de la
qualité des travaux de recherche et de la cohérence des avis
scientifiques. Du fait de la récente création de l'AFSSA, force
est de reconnaître que cette mission du conseil scientifique n'a pas
encore très largement été mise en oeuvre. Nous attendons
qu'un nombre d'avis plus important émane de l'AFSSA pour porter un avis
motivé sur la cohérence de ses différentes
décisions.
Enfin, je préside, au niveau de l'Union européenne, le
comité scientifique directeur. Ce comité a pour rôle de
donner la totalité des avis à la Commission européenne
concernant les problèmes d'encéphalite spongiforme transmissible.
Il propose également des mesures à prendre pour protéger
la santé des consommateurs et la santé animale. C'est en tant que
président du comité scientifique directeur que je souhaite
intervenir aujourd'hui.
Je commencerai par vous dire quelques mots de mes activités à
Bruxelles. De 1992 à 1997, j'ai présidé le comité
scientifique de l'alimentation humaine. Ce dernier n'a que peu parlé
d'Encéphalite Spongiforme Bovine (ESB). En effet, ce comité
scientifique était essentiellement chargé de donner des avis sur
les produits ayant subi une transformation industrielle. Il ne lui incombait
pas de donner des avis sur les matières premières produites par
l'agriculture n'ayant subi aucune transformation. En 1995, nous avons
été saisi de questions concernant l'ESB. ces questions portaient
sur la présence d'abats particuliers dans les aliments pour
bébés. A l'époque, ces abats n'étaient pas encore
qualifiés de «matériaux à risque
spécifié». En l'occurrence, c'est parce que les aliments
pour bébé sont des aliments industriels que nous avons
été consultés. C'est à cette période que
j'ai pris connaissance des problèmes et des mécanismes
biologiques aujourd'hui en cause.
Nous avons, de nouveau, été sollicités par la commission
en 1996. Cette fois, il s'agissait de porter un avis sur la gélatine qui
est un produit industriel fabriqué, en particulier, à partir de
sous-produits bovins. C'est à cette période que le comité
d'alimentation humaine s'est ému de la façon dont la Commission
européenne semblait traiter ces problèmes d'ESB. Nous avons
d'ailleurs émis un avis à ce sujet en 1996. Ces
événements se sont produits quelques jours avant que la
Grande-Bretagne n'annonce la possible transmission de l'agent de l'ESB à
l'homme et la responsabilité de cette transmission dans l'apparition des
nouvelles variantes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. La crise a alors
éclaté très rapidement à Bruxelles sur la
façon dont la Commission gérait les avis scientifiques.
Au mois de juillet 1996, j'ai été nommé dans un
comité dont l'existence a été relativement
éphémère. Il n'a siégé que jusqu'au mois
d'octobre 1997. Il s'agissait d'un comité multidisciplinaire
scientifique sur les problèmes d'ESB, directement placé
auprès du Secrétariat général de la Commission.
L'objectif était de placer ce comité en dehors des directions
générales car celles-ci devaient, à la fois, donner des
avis scientifiques en termes d'évaluation de risques et prendre des
décisions en termes de réglementation dans le domaine de
l'agriculture comme de l'industrie. Ce comité était
composé de sept ou huit membres. Je vous avoue que je n'ai pas
vérifié le nombre exact de ces membres. Toutefois, je peux vous
dire que ce comité comptait deux candides : le président de
la commission et moi-même. Étaient également membres de
cette commission les meilleurs spécialistes des maladies à prions
dont le Professeur Dormont pour la France. Nous avons travaillé pendant
plus d'une année dans ce cadre. Pendant ce temps, la Commission a pu
réorganiser ces comités scientifiques et mettre en place, fin
1997, un comité scientifique directeur plus spécifiquement
chargé de suivre les problèmes d'ESB et les maladies à
prions.
Ce comité scientifique directeur a mis en place immédiatement un
groupe de travail, dit groupe ad hoc, constitué des meilleurs
scientifiques européens spécialisés dans les maladies
à prions. Ce comité est composé de scientifiques de bon
niveau quoiqu'ils ne sont pas, pour la plupart, spécialistes des
maladies à prions. C'est pour cette raison qu'il était
nécessaire qu'ils s'appuient sur les conclusions d'un groupe de travail
spécialisé pour émettre leurs avis. Ce comité
directeur était néanmoins en mesure de prendre un certain recul
par rapport à une connaissance scientifique extrêmement pointue
afin d'essayer d'embrasser l'ensemble des facteurs qui sont à prendre en
compte dans la protection de la santé publique et de la santé
animale. J'ai eu l'honneur d'être élu à la
présidence de ce comité au mois de novembre 1997. Ce
comité vient d'être renouvelé et j'ai, de nouveau, eu
l'honneur d'être élu à sa présidence la semaine
dernière. Ce comité a commencé à travailler sur la
base des éléments scientifiques analysés par le groupe de
travail. Nous avons essayé de construire une méthodologie valable
pour l'ensemble du phénomène de façon progressive et
collective.
Comment pouvons-nous, à terme, protéger la santé de
l'homme ? En premier lieu, c'est en essayant d'éradiquer la maladie
animale. C'est dans ce sens que le comité a essayé de conseiller
la Commission en lui indiquant des mesures à prendre pour
protéger la santé animale sachant que ces mesures ne se
traduiraient en termes de réduction de risques chez l'homme qu'à
terme. En deuxième lieu, pour protéger la santé de
l'homme, il convenait de mettre en place des procédures permettant de
s'assurer qu'aucun animal malade n'entrait dans la chaîne alimentaire
humaine. Dans la mesure où il n'était pas possible de garantir
à 100 % que ces mesures seraient efficaces, il s'est
avéré nécessaire également de garantir que les
tissus et organes les plus susceptibles de renfermer des quantités
importantes de prions dangereux soient éliminés de la
consommation humaine. Nous avons donc adopté une approche de bon sens
basée sur les connaissances scientifiques du moment.
Progressivement, le comité directeur a construit un système
d'évaluation des risques. Le système que nous avons conçu
a identifié les facteurs de risques vis-à-vis de la santé
animale, à savoir l'importation de farines animales mais
également d'animaux vivants en provenance de Grande-Bretagne. Pour
d'autres pays, il pouvait s'agir de l'importation d'animaux ou de farines en
provenance de pays dans lesquels cette maladie de «la vache folle»
existait. Ces deux facteurs constituaient les deux voies d'introduction de la
maladie dans un État. Ensuite, nous avons analysé le
phénomène de reproduction extrêmement rapide de l'agent
prion pathologique au sein de l'espèce bovine. Ainsi, nous avons
identifié un certain nombre de facteurs qu'il était essentiel de
contrôler si nous voulions réduire le risque de transmission de la
maladie et avoir une chance de l'éradiquer.
Le premier de ces facteurs est la surveillance épidémiologique et
la qualité de la surveillance. Ces mesures ont pour but d'identifier les
animaux malades et soit d'abattre l'ensemble du troupeau auquel appartient cet
animal, soit d'abattre de façon plus ciblée les populations
d'animaux à risque. Nous nous sommes également engagés
à éliminer les matériaux à risque
spécifié de la fabrication de farines de viande et d'os. Il
s'agit, en l'occurrence, des tissus et des organes les plus susceptibles de
renfermer des quantités importantes de prions, à savoir le
système nerveux central, le cerveau, la moelle épinière,
les yeux, un certain nombre de ganglions et une partie de l'intestin. Le
premier travail du comité directeur a été d'établir
une liste de ces matériaux. Dès la fin 1997 nous avions
évoqué la possibilité de moduler cette liste en fonction
du niveau de risque encouru dans les différents États de l'Union
européenne. Ensuite, nous avons élargi notre réflexion au
monde entier.
Le deuxième facteur portait sur la structure de la population bovine
puisque nous savions que les animaux les plus susceptibles de consommer des
farines de viande et d'os étaient les vaches laitières. En effet,
une production importante de lait nécessite d'apporter aux vaches des
protéines supplémentaires en quantité suffisante. C'est
pour cette raison que le risque est plus grand pour les vaches laitières
que pour les animaux élevés pour la production de viande.
Le troisième facteur portait sur la méthode de préparation
des farines de viande et d'os, c'est-à-dire sur leurs conditions de
température, de pression et de durée de traitement. Il nous
incombait également de contrôler l'interdiction de l'utilisation
de farines de viande et d'os dans l'alimentation des bovins.
Je suis en mesure de vous laisser quelques documents à ce sujet. Je suis
néanmoins au regret de vous dire que ces documents sont
rédigés en anglais puisque les rapports du comité
scientifique directeur sont tous rédigés dans cette langue. Ces
documents sont publiés dès leur adoption et sont également
disponibles sur Internet. Je suis le premier à regretter que ces
documents ne soient pas traduits dans une autre langue que l'anglais.
Vous trouverez la méthodologie que nous avons utilisée dans le
document que je vous remettrai. Ce dernier a été adopté
pour établir une évaluation comparative du risque
géographique dans les pays de l'Union européenne et dans un
certain nombre de pays tiers qui avaient souhaité faire évaluer
leur situation. Nous avons demandé à l'ensemble des États
de remplir un dossier. Quatorze États de l'Union européenne se
sont exécutés à l'exclusion de la Grèce qui n'a pas
souhaité produire un dossier et nous fournir les renseignements
nécessaires pour effectuer les évaluations. A l'issue de ces
évaluations portant sur quatorze pays de l'Union européenne et
douze pays tiers dont les Etats-Unis, le Canada, la Nouvelle-Zélande,
l'Australie et l'Argentine, nous avons publié nos rapports au cours du
mois de juillet 2000. Ces analyses ont permis de démontrer qu'aucun pays
de l'Union européenne ne pouvait prétendre être totalement
exempt de la présence de l'agent de l'encéphalite spongiforme
bovine. Nous avons, à cet égard, été des
précurseurs puisque nos premiers projets de rapports ont
été publiés au cours du printemps 2000. Nos remarques
portant sur le Danemark se sont confirmées. En effet, quelques jours
après l'envoi du rapport, le premier cas danois d'ESB a
été signalé. Nous avions également anticipé
le déclenchement de la crise en Espagne et en Allemagne. Aujourd'hui,
nous serions extrêmement surpris que la maladie ne se déclare pas
en Italie.
Nous avons établi un classement des différents États de
l'Union européenne en termes de risques pour l'animal. Le Royaume-Uni et
le Portugal figurent dans la catégorie de pays à risque le plus
élevé. La deuxième catégorie comprend les pays dans
lesquels nous ne pouvons croire que l'ESB n'existe pas que les animaux malades
aient été identifiés ou non. Dans cette catégorie,
nous retrouvons la France, le Bénélux, l'Espagne, l'Italie et
l'Allemagne. Ce sont soit des pays qui comptaient des cas
déclarés au mois de juillet dernier, soit des pays qui n'en
comptaient pas à l'époque comme l'Espagne ou l'Allemagne. Force
est de reconnaître que ce système a montré son
efficacité en termes de prédiction. L'objectif de ce
système n'était pas de montrer du doigt les pays dans lesquels il
existait un risque important. Ce système avait plutôt pour
objectif de prodiguer des recommandations visant à améliorer les
filières bovines de manière à réduire le risque.
Aujourd'hui, les résultats qui viennent d'être publiés par
l'AFSSA concernant la France ne nous surprennent absolument pas. Dans la
conclusion de notre rapport, nous les avions prévus même si nous
n'avions pas fourni de données chiffrées. Nous avions
prévu que le nombre de cas en France devait continuer à augmenter
mais que la situation était stabilisée. La tendance était
même à la diminution du risque. Cette diminution claire du risque
ne se manifestera, en termes d'incidence de la maladie, que dans un an, voire
deux.
En conclusion, je souhaiterais souligner l'importance de bien prendre en
considération le facteur temps dans la crise de l'encéphalite
spongiforme bovine et de maladie de Creutzfeldt-Jakob. L'incidence actuelle de
la maladie chez les bovins correspond à un risque auquel ont
été exposés ces bovins, il y a cinq ans en moyenne, voire
plus de dix ans pour certains animaux. Il ne faut pas s'appuyer uniquement sur
l'incidence de la maladie pour évaluer le niveau de risque auquel sont
exposées aujourd'hui les populations animales. Nous ne savons pas
très bien quelle est la durée de la période d'incubation
de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l'homme. Nous
pensons qu'elle est comprise entre dix et trente ans. Par conséquent,
les cas observés aujourd'hui en Grande-Bretagne résultent d'une
exposition à l'agent de l'ESB datant de dix, vingt, voire vingt-cinq ans
en arrière. Le nombre de cas actuel n'offre pas une image exacte du
risque que court la population britannique aujourd'hui en consommant de la
viande bovine. Assimiler la situation épidémiologique humaine ou
animale actuelle au niveau de risque serait nier toute efficacité des
mesures qui ont été prises ces cinq dernières
années chez l'animal et ces dix ou quinze dernières années
chez l'homme. Il est essentiel de bien comprendre cette caractéristique
de la maladie. Cette dernière est différente d'autres maladies
qui peuvent toucher l'homme, en particulier le virus VIH. Si la contamination
par le virus du sida se détecte extrêmement rapidement
après la contamination, une contamination par l'agent de l'ESB ne va se
traduire par des symptômes cliniques que dix, quinze ou vingt ans plus
tard. Cette différence est fondamentale pour comprendre les niveaux de
risque actuels et proposer des mesures efficaces de réduction des
risques.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Vous avez précisé que vous
aviez procédé à une consultation sur l'alimentation des
bébés et des gélatines. Pouvez-vous nous parler plus
précisément des résultats de ces consultations ?
M. Gérard Pascal
- Ce n'était pas véritablement une
consultation mais plutôt une évaluation du risque. Notre
comité était relativement à l'aise pour fournir un avis
à la Commission. A titre personnel, j'étais d'autant plus
à l'aise que j'avais présidé la section alimentation du
Conseil supérieur d'hygiène publique de France de 1988 à
1992. Au cours de cette période, le Conseil avait émis un avis
qui a été suivi d'un arrêté d'interdiction
d'utilisation d'un certain nombre d'abats dans les aliments pour enfant.
M. le Rapporteur
- A quelle date exacte cet arrêté a-t-il
été pris ?
M. Gérard Pascal
- L'interdiction date de 1989. La date exacte
reste à vérifier. A l'époque, les fabricants
français avaient déjà pris la décision
d'éliminer ce type de matières premières. Certes, la
décision des fabricants était récente. Néanmoins,
ils l'avaient d'ores et déjà prise. Même si nous
n'étions pas des spécialistes de la maladie, nous savions que des
concentrations importantes d'agents de l'ESB figuraient dans un certain nombre
d'abats et en particulier dans le système nerveux central. Par
conséquent, nous avions conseillé d'éliminer
systématiquement les cervelles dans les aliments pour enfant. Notre
attitude était déjà relativement prudente puisque notre
décision portait sur les cervelles bovines. Nous ne pouvions nous
empêcher de penser à la tremblante du mouton même si rien
n'avait encore été signalé en termes de risque pour
l'homme.
M. le Rapporteur
- C'est essentiellement la cervelle qui était
utilisée dans ce type d'aliments pour bébé.
M. Gérard Pascal
- Les nutritionnistes ont toujours
recommandé la cervelle aux enfants à cause de la présence
importante d'un certain nombre d'acides gras poly-insaturés dans sa
composition. Ces acides gras jouent un rôle essentiel dans le
développement du système nerveux central. Nous pensions donc que
la cervelle était recommandée sur le plan nutritionnel. Puis,
nous nous sommes aperçus qu'il y avait des risques supérieurs aux
avantages nutritionnels. Sur les pots pour bébé, notre action a
été relativement facile.
Concernant la gélatine, nous avons essayé de nous livrer à
une petite enquête. C'est à ce moment que nous avons mis en
évidence les dysfonctionnements de la Commission. Pour mener notre
enquête, nous nous étions adressés à une
interprofession qui représentait l'ensemble des fabricants
européens. Cependant, les modes de production de gélatine sont
divers d'un pays à l'autre. Toutes les usines ne sont pas construites
sur le même modèle. Elles n'utilisent pas exactement les
mêmes technologies. Or un syndicat interprofessionnel s'exprime au titre
de la profession dans son ensemble. Cette
hétérogénéité rendait notre enquête
d'autant plus complexe qu'il était déjà difficile
d'obtenir des informations précises sur la variabilité des
technologies utilisées.
A l'époque, la profession avait entrepris des tests sur
l'efficacité des différentes étapes de préparation
de la gélatine dans la destruction de l'agent de l'ESB. Une
première série de résultats nous avait été
fourni. Nous savions également que d'autres études étaient
en cours puisque ces premiers résultats ne nous permettaient pas de
conclure à l'efficacité du traitement de fabrication de
gélatine. Or ces résultats n'arrivaient pas. Nous avons appris,
quelque temps après, que ces résultats étaient bien
arrivés à la Commission mais qu'ils n'avaient pas
été transmis. Lorsque nous avons pris connaissance de ces
résultats, nous nous sommes aperçus qu'ils auraient
été de nature à moduler notre opinion.
En effet, loin de rassurer -même s'ils n'étaient pas non plus
très inquiétants-, ces résultats démontraient que
certaines étapes de fabrication de la gélatine
n'entraînaient pas une destruction aussi importante que prévue de
l'agent de la maladie. Depuis lors, dans le cadre du comité scientifique
directeur, nous avons demandé que la profession poursuive les
études. Nous avons demandé, en particulier, qu'elle fasse une
étude sur l'ensemble de la chaîne de production de manière
à ce que nous puissions voir quelle était l'efficacité de
la totalité du traitement le plus souvent pratiqué pour la
fabrication des gélatines. Ces études sont en cours. Aujourd'hui,
nous ne disposons pas encore de leurs conclusions.
A cette époque, le Parlement européen avait menacé la
Commission de prendre des mesures à son encontre. Ces
événements ont conduit la Commission à réorganiser
totalement ces comités scientifiques et à les soustraire des
directions générales qui avaient comme double mission de juger de
l'évaluation des risques et de juger de la réglementation dans
les domaines concernés.
M. le Président
- De quand date cette décision ?
M. Gérard Pascal
- Cette décision a été
prise en 1996. Elle a conduit à la mise en place, au mois de juillet
1996, d'un comité scientifique particulier rattaché directement
au Secrétariat général de la Commission. Ce comité
a travaillé jusqu'au mois d'octobre 1997, année de la mise en
place de l'ensemble de la structure actuelle d'évaluation scientifique.
M. le Rapporteur
- A partir de quelle date peut-on raisonnablement
imaginer que le processus de fabrication de la gélatine a
été correctement amélioré ?
M. Gérard Pascal
- Je n'affirmerai pas que le
procédé de fabrication de la gélatine a été
amélioré. Je ne pense pas que le processus ait été
modifié. En fait, sa production ne nous semblait pas présenter de
risques majeurs sous certaines conditions. Nous voulions savoir quel
était le niveau de destruction de l'agent prion par le processus. Sous
quelles conditions estimions-nous qu'il n'y avait pas de risques ? Il est
évident qu'une seule technologie n'est jamais suffisante pour
réduire le risque aussi bas que nous le souhaitons. C'est donc un
ensemble de mesures qu'il convenait de prendre. A l'instar des farines
animales, nous avons pris la décision d'éliminer les
matériaux à risque spécifié. A la fin de
l'année 1996 et au début de l'année 1997, j'avais eu
écho du fait que certaines usines européennes utilisaient des
crânes pour fabriquer leur gélatine. De temps en temps, ces
crânes n'étaient pas fendus et renfermaient donc la
totalité du cerveau. Ce dernier point nous paraissait aussi dangereux
qu'une technologie pas tout à fait au point.
Pour réduire le risque lié aux farines de viande et d'os, nous
avons pris un ensemble de mesures. L'élimination des cadavres
était l'une de ces mesures. J'entends sous le vocable de
«cadavres» ce que les Anglais qualifient de «fallen stocks»
c'est-à-dire non seulement les cadavres de bovins mais aussi les animaux
de laboratoires, les chats et les chiens euthanasiés dans les cabinets
des vétérinaires ou encore des animaux de zoos
décédés. La première mesure a été
d'éliminer des matériaux à risque spécifié
de tous les animaux dont on ne savait rien en termes de santé. La
deuxième mesure consistait à éliminer les matériaux
à risque spécifié des autres animaux
considérés aptes à la consommation humaine quel que soit
le pays d'origine. Certes, notre analyse n'avait pas tout à fait abouti.
Toutefois, elle nous conduisait à penser qu'il y avait un risque de
présence de l'agent de l'ESB en Italie, en Espagne et en particulier en
Allemagne. La troisième mesure consistait à mettre en oeuvre des
conditions technologiques permettant d'éliminer au maximum l'agent de
l'ESB. Ainsi, il est recommandé de chauffer les farines à 133
degrés, sous 3 bars et pendant 20 minutes. Cependant, nous savions
dès 1997 que ce procédé n'était pas d'une
efficacité totale. Ce procédé permettait, certes, de
réduire d'un facteur au minimum de 1 000 la contamination sans toutefois
annuler totalement le risque.
Les Allemands ont prétendu jusqu'à, il y a quelques semaines, que
cette technique était totalement fiable et détruisait 100 %
des agents. Une guerre économique et commerciale a été
lancée par nos voisins allemands puisque ces derniers ont toujours
soutenu que cette technique était infaillible. Ils ont même
pesé d'un certain poids au niveau de Bruxelles pour faire adopter ces
conditions harmonisées de traitement des farines à 133
degrés, 3 bars et 20 minutes. Il est évident que cette technique
est la plus efficace que nous connaissions aujourd'hui. Néanmoins, elle
n'est pas totalement efficace. Par conséquent, nous ne pouvons envisager
cette seule technique. C'est un ensemble de facteurs qui, appliqués et
contrôlés correctement, peuvent permettre de réduire le
risque lié à la consommation de farines par d'autres
espèces animales.
La Commission européenne a fait très rapidement une proposition
de décision aux États membres pour harmoniser
l'élimination des matériaux à risque
spécifié. Beaucoup d'États membres ont
résisté arguant du fait qu'ils n'avaient pas d'ESB sur leur
territoire et que leur technique de traitement des farines était
infaillible. A la fin du mois de juin, la Commission est parvenue à
obtenir une majorité qualifiée pour faire passer son projet
d'harmonisation de l'élimination des matériaux à risque
spécifié. La décision relative à
l'élimination des cadavres est, quant à elle, encore plus
récente. Toutefois, force est de reconnaître que cette mesure
était en vigueur en France depuis quelque temps déjà et
que la Grande-Bretagne avait été le premier État à
prendre cette mesure compte tenu de la gravité de sa situation
nationale. Malheureusement, les autres États membres n'ont pas suivi.
J'ai souvent entendu des critiques violentes formulées à
l'encontre de la Commission européenne. Toutefois, je souhaite vous
rappeler que ce n'est pas la Commission européenne qui a refusé
d'harmoniser les mesures mais ce sont une majorité d'Etats membres.
M. le Rapporteur
- Compte tenu du poids et de la présence du
comité scientifique directeur, pensez-vous qu'il est désormais
plus facile de parvenir à une cohérence en ce domaine ?
M. Gérard Pascal
- Certes, notre approche a été
énormément critiquée puisqu'elle a eu des
conséquences économiques et commerciales évidentes dans
certains pays de l'Union. Toutefois, cette méthodologie a
démontré également qu'elle permettait de prévoir et
d'anticiper les crises éventuelles. Par conséquent, nous pouvons
affirmer qu'elle n'est pas complètement aberrante. Il est
désormais possible de s'appuyer sur cette méthodologie non
seulement pour juger de la situation des États de l'Union mais aussi
pour juger de la situation de pays tiers. Ainsi, nous pouvons désormais
affirmer qu'il n'y a pas qu'en Europe que cette maladie existe. En effet, la
majorité des pays avec lesquels nous échangeons des
matériaux d'origine bovine ne peuvent prétendre être
totalement «propres».
Il y a un an, la crise entre la France et la Commission à l'occasion de
la discussion sur la levée de l'embargo sur la viande en provenance du
Royaume-Uni n'était pas, à mon sens, un désaccord profond.
C'était plutôt un désaccord mineur entre scientifiques.
Cependant, ce désaccord a été exacerbé par un
certain nombre de facteurs, en particulier les médias et le monde
politique. Cette crise a montré aux scientifiques qu'il était
nécessaire d'avoir des échanges entre eux. Elle a
démontré la nécessité de profiter de
l'expérience et des compétences existant dans chacun des
États. Il était nécessaire d'organiser un débat
scientifique avant de prendre des décisions politiques. A l'avenir, un
tel débat ne pourra que faciliter la cohérence et la concordance
des avis scientifiques. Ceci ne veut pas dire que les décisions
politiques seront forcément harmonisées. En effet, bien d'autres
facteurs doivent être pris en compte. La seule évaluation du
risque n'est pas suffisante. Néanmoins il me semble que nous avons
tiré un certain nombre de leçons des difficultés
rencontrées dans les dix-huit derniers mois.
M. Paul Blanc
- Dans la mesure où le comité
vétérinaire permanent dispose d'un nombre de voix en fonction des
pays qui le représente, ne pensez-vous pas que le poids de certains pays
comme l'Angleterre ou l'Allemagne peut considérablement influencer le
comité scientifique ?
M. Gérard Pascal
- J'ai omis de préciser que les
comités scientifiques auxquels je me réfère,
c'est-à-dire le comité scientifique directeur et le comité
de l'alimentation humaine et de l'alimentation animale, ne sont pas des
comités permanents. Par conséquent, les scientifiques, membres de
ces comités, y siègent à titre strictement personnel. Ils
ne représentent rien d'autre qu'eux-mêmes. Il n'y a ni
pondération des voix ni vote. Ainsi, toutes les questions ont
été débattues jusqu'à ce que tous les membres se
rangent à un avis commun. Ceci étant, les hommes sont les hommes
et personne n'oublie totalement sa nationalité. L'expérience m'a
cependant montré qu'avec un collectif de seize membres dans lequel les
hommes ont appris à s'apprécier, lorsque l'un d'entre nous
défend, à l'évidence, des positions nationales, un autre
membre lui rappelle systématiquement la dérive de son discours.
Il serait malhonnête d'affirmer que les prises de position nationales
n'existent pas, cependant le débat tend à réguler
naturellement cette dérive.
L'an dernier, au moment de la crise entre la Commission et la France, la presse
avait indiqué qu'il y avait davantage d'Anglais dans le comité
scientifique directeur que de Français. Cette situation ne tient pas une
représentation quelconque. En fait, huit des seize membres du
comité sont nommés par la Commission sur appel à
candidature après étude d'un dossier scientifique. Ceux-ci ne
sont membres d'aucun autre comité. Ces huit autres membres sont les
présidents des huit comités scientifiques dont le comité
directeur coordonne les activités. Il se trouve que beaucoup
d'anglo-saxons sont élus président de conseils scientifiques en
raison de leurs qualités scientifiques et de leur expérience
internationale.
M. Paul Blanc
- Dans une interview publiée dans Le Monde du 16
janvier 2000, je crois avoir lu que les viandes de tous les pays de l'Union
présentaient le même niveau de risque. Par ailleurs, je crois
savoir que l'Allemagne ne retire pas les abats de la fabrication de ses
saucisses. Est-ce exact ?
M. Gérard Pascal
- C'est exact. Cependant, aujourd'hui, je ne
dispose pas des résultats des inspections vétérinaires
conduites récemment. Au deuxième trimestre 1999, nous avions
émis un avis sur le risque d'exposition humaine. Nous avions alors
trouvé des publications d'un laboratoire allemand qui lui-même
avait mis en évidence, par des méthodes immunologiques, la
présence de cerveau d'origine bovine dans des saucisses et dans des
pâtés allemands. Je pense néanmoins que ces produits n'ont
pas été exportés car ils étaient très
spécifiques de certaines régions allemandes. Les risques encourus
par la population allemande étaient probablement loin d'être
négligeables, il y a quelques années. Prétextant l'absence
de la maladie et l'efficacité totale de leurs technologies, aucune
précaution n'avait été prise ni pour l'homme ni pour
l'animal.
M. Paul Blanc
- J'ai cru comprendre dans votre propos introductif que
vous aviez en charge, aujourd'hui, des départements qui n'utilisent pas
ou qui n'ont pas utilisé de farines animales. Si cette affirmation est
exacte, quels sont ces départements ?
M. Gérard Pascal
- Je me suis peut-être mal exprimé.
En tant que responsable scientifique de la coordination et de l'animation des
programmes scientifiques de l'INRA dans le domaine de la nutrition humaine et
de la sécurité alimentaire, je n'ai pas en charge les
problèmes d'alimentation animale. Je ne suis pas directement responsable
de recherche menées dans le domaine de l'alimentation des animaux.
Toutefois, l'INRA a mené, il y a quelque temps, un certain nombre de
travaux portant sur la substitution de produits d'origine
végétale aux produits d'origine animale et sur le soja
américain. Nous avons donc déjà beaucoup travaillé
sur la culture de protéo-oléagineux tels que le pois, la
féverole et le tournesol. Ces travaux avaient eu des résultats
positifs. Malheureusement, à l'époque, ils n'étaient pas
économiquement exploitables par rapport aux farines animales. Nous avons
également beaucoup travaillé sur la production de
protéines par des organismes unicellulaires à partir de substrats
divers dont les matières premières agricoles. Nous essayons,
aujourd'hui, de ré-exploiter ce fonds scientifique le plus rapidement
possible.
En revanche, nous n'avons pas développé de travaux portant sur la
technologie de traitement des farines à l'INRA. Néanmoins, nous
disposons de tous les éléments pour connaître les besoins
des animaux selon la production attendue. S'il nous est demandé de
produite 3 000 litres de lait par an, nous vous répondrons qu'il n'est
pas nécessaire d'utiliser des compléments protéiques. En
revanche, pour produire 7 000 litres de lait par an, il sera nécessaire
de trouver une solution adéquate.
M. Gérard Miquel
- Je souhaiterais aborder à nouveau la
question de la gélatine. Si mes informations sont exactes, la France est
l'un des pays, sinon le pays, le plus gros consommateur de gélatine par
tête d'habitant. A cet égard, les propos que vous avez tenus ne me
semblent pas très rassurants. Les fabricants de gélatine sont
dans l'obligation d'acheter des os dans d'autres pays puisque la France n'en
dispose pas en quantités suffisantes. On m'a laissé entendre que
certains fabricants allaient acheter des os en Inde ainsi que dans d'autres
pays du monde. Est-ce exact ? Par ailleurs, sommes-nous aujourd'hui
assurés que les techniques de fabrication de gélatine nous
mettent à l'abri d'une contamination ?
M. Gérard Pascal
- Pour être à l'abri de la
contamination, il faudrait s'assurer qu'il n'entre pas d'agents de l'ESB dans
les matières premières utilisées. Pour en être
certain, il faut mettre en oeuvre plusieurs moyens. Dans toute filière,
il y a des failles et il peut y avoir des fraudes. Il peut également se
produire des erreurs humaines. Or l'erreur humaine est inévitable. Par
conséquent, il faut s'accorder le maximum de moyens pour s'assurer que
cet agent ne rentre pas dans les matières premières qui vont
servir à fabriquer la gélatine.
Pour garantir une sécurité de la filière, il faut
s'assurer de l'origine des animaux. En effet, les animaux destinés
à la consommation humaine comportent un risque considérablement
réduit par rapport aux animaux qui seraient éliminés de la
consommation humaine. Il faut ensuite s'assurer de l'élimination
sérieuse et contrôlée des matériaux à risque
spécifié. Cependant, je n'ai aucune compétence pour vous
donner des informations concernant le contrôle des animaux. Je ne suis
pas inspecteur vétérinaire. Je ne suis pas la
traçabilité des matières premières utilisées
pour la fabrication de la gélatine.
Pour avoir suivi de près un rapport d'inspection
vétérinaire réalisé par l'inspection de la
Commission européenne en Angleterre, je sais que ce travail est
extrêmement difficile. Ce rapport montrait qu'il était quasiment
impossible de s'assurer de la traçabilité totale des
matières premières utilisées. J'ai moi-même
étudié le circuit des matériaux d'origine française
utilisés dans les usines française. Les documents qui m'ont
été fournis m'ont rassuré. Ces documents indiquaient une
traçabilité et précisaient par quel camion les
matériaux avaient été transportés.
En dehors du contrôle des animaux, il faut utiliser une technologie
performante de fabrication et de traitement des farines. La technologie est
d'autant plus importante que nous ne pouvons être sûrs qu'aucun
agent porteurs de l'ESB ne va être utilisé. A cet égard,
nous attendons les résultats d'une étude très importante
mise en oeuvre par un laboratoire travaillant sous assurance-qualité
dans lequel nous plaçons toute notre confiance. Nous ne disposons pas
encore des résultats de cette importante expérimentation. Ce
laboratoire contamine des matières premières et teste la
gélatine obtenue grâce au modèle «souris» afin de
voir s'il reste de l'infectivité dans cette gélatine.
Par conséquent, il est indispensable d'avoir une
traçabilité totale des matières premières. Ensuite,
il faut suivre le procédé de fabrication et le contrôler
sérieusement. Il faut enfin avoir des installations en état pour
s'assurer que des matériaux à risque spécifié ne
puissent pas rentrer dans ce circuit. C'est sans doute au niveau de l'abattoir
que les points critiques sont les plus nombreux. C'est donc à ce niveau
qu'il est nécessaire de mener le plus de contrôles.
M. Georges Gruillot
- Nos voisins européens, qui
déclaraient n'avoir aucun cas d'ESB, commencent maintenant à
déclarer des cas d'animaux malades. Vous dites que ces pays en avaient
probablement depuis un certain nombre d'années. Je partage tout à
fait votre analyse. Depuis quelques années, la France a, dans la
majorité des cas, mieux respecté les réglementations et
les recommandations européennes que les autres pays membres de l'Union
européenne.
Il y a quelques années, le Sénat avait mis en place une
commission portant sur l'application des règles en matière de
quotas laitiers en Europe. J'avais eu l'honneur de présider cette
commission. Nous avions effectué des visites dans divers pays
européens. Nous avions été effaré de constater que
les pays du sud de l'Europe respectaient la réglementation de
manière extrêmement laxiste. Dans certains pays comme la
Grèce, on ne savait même pas que la réglementation
existait. De plus, en Allemagne, qui se targue d'être un donneur de
leçons, nous avions constaté que les réglementations
européennes étaient quasiment ignorées.
Aujourd'hui, en France, le marché de la viande bovine est
complètement déstructuré. Je souhaiterais avoir l'opinion
du chercheur de l'INRA sur cette question. L'opinion publique est
bouleversée par les affirmations des médias d'autant plus que ces
derniers ont, à mon sens, exagéré l'affaire. L'opinion
publique semble accréditée une thèse qui me semble fausse.
Beaucoup sont persuadés que si nous voulons la sécurité,
il faut que la population se tourne de plus en plus vers les petits produits de
terroir et vers des produits de type biologique. Or, dans nombre de
régions françaises, l'avenir de l'agriculture passe par des
produits spécifiques de qualité bénéficiant d'un
AOC. Il ne faut pas commettre l'erreur de faire la promotion des
filières du terroir et des produits biologiques sans être certains
de leur sécurité alimentaire. Nombre de personnes croient que la
sécurité alimentaire existe dans ce type de produits. Or,
à mon sens, elle n'existe pas ou elle existe moins qu'ailleurs. Quel est
votre sentiment à ce sujet ? Comment devons-nous réagir dans
la mesure où à terme cette croyance risque d'être nuisible
à l'agriculture française ?
M. Gérard Pascal
- La France, en tant que premier producteur
agricole de l'Union européenne, ne peut se permettre de ne produire que
des produits biologiques et des produits du terroir. L'économie
française n'y résisterait effectivement pas. Notre agriculture,
si elle doit devenir raisonnée, doit également rester
compétitive. Il faut donc trouver un équilibre harmonieux entre
des produits du terroir et d'autres méthodes de production agricole et
une production agricole raisonnée mais économiquement
compétitive.
L'INRA a engagé un programme d'expérimentation pour comparer les
résultats entre ces deux modes d'agriculture. Ces travaux sont
menés à la fois sur le terrain et sur des parcelles
expérimentales. Il ne faut pas généraliser la
portée des résultats d'analyse de terrain. En effet, cette
année a été une très mauvaise année en
termes de climat et de développement de mycotoxines, en particulier pour
le déoxynivalénol. Des teneurs extrêmement fortes ont
été trouvées dans tous les produits quel que soit le mode
d'agriculture utilisé. Cependant, des concentrations, en moyenne, plus
fortes ont été trouvées dans des produits d'agriculture
biologique.
A l'inverse, les premiers résultats expérimentaux - qu'il est
nécessaire également d'analyser avec prudence - montrent que les
travaux de l'INRA sur une agriculture biologique sans nitrates ont conduit
à des résultats contraires. Les produits de l'agriculture
biologique comportaient des teneurs en mycotoxines inférieures aux
produits d'une agriculture même raisonnée.
Ainsi, il semble que ce n'est pas un type d'agriculture qui va conduire
à un type de résultats. C'est vraiment toute la conduite de la
culture qui va conditionner le résultat. Nous pouvons obtenir des
résultats excellents dans une agriculture raisonnée mais
compétitive et des résultats excellents en agriculture
biologique. Nous pouvons également obtenir des résultats
extrêmement mauvais en termes de teneurs en nitrate dans l'agriculture
biologique comme dans l'agriculture conventionnelle.
Nous essayons désormais de mieux comprendre quels sont les facteurs qui
entrent en jeu. Nous cherchons comment nous pouvons apprendre à les
maîtriser de manière à assurer le meilleur niveau de
sécurité possible en termes de contaminants. Cette mission
transversale de l'INRA commence à mobiliser un certain nombre de
chercheurs. Aujourd'hui, il est extrêmement difficile de se prononcer sur
cette question.
M. le Rapporteur
- Quelle est votre analyse sur les derniers propos
tenus par le commissaire européen à l'agriculture Franz
Fischler ? Celui-ci dédouanait quelque peu les farines animales et
laissait entendre qu'il existerait une autre approche de cette
épidémie ESB au niveau mondial. Disposez-vous de quelques
informations scientifiques sur ce point ? Son opinion a fait l'objet, il y
a quelques jours, d'un article dans un grand quotidien national. Il
considérait qu'il s'agissait davantage d'un problème de mutation
génétique.
M. Gérard Pascal
- Je répondrai à votre question
par une boutade. Nous étions en réunion du comité
scientifique directeur lorsque nous avons pris connaissance de cet encart. Nous
avons alors dit : «Tiens ! Nous ignorions qu'il y avait un
dix-septième membre au comité scientifique directeur !».
M. le Président
- Nous vous remercions de votre intervention et
des éclaircissements que nous vous avez apportés même si
certains étaient un peu inquiétants puisque nous avons
noté des décalages et des différences
d'interprétation d'un pays à l'autre.
Audition de M. Pierre CHEVALIER, Président de la FNB et de
l'OFIVAL,
et de M. Pierre FOUILLADE, Directeur de
l'OFIVAL
(13 décembre 2000)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Pierre Chevalier,
vous êtes président de la Fédération Nationale
Bovine (FNB) et de l'Office National Interprofessionnel des Viandes, de
l'Élevage et de l'Aviculture (OFIVAL). Monsieur Pierre Fouillade, vous
êtes, quant à vous, directeur de l'OFIVAL. Vous êtes deux
tous présents dans le cadre de la commission d'enquête du
Sénat sur les farines animales. Cette audition se fait sous serment.
C'est pourquoi je vais être obligé, pour l'un et pour l'autre, de
vous lire le texte rituel. Puis, je vous demanderai de bien vouloir jurer que
vous direz toute la vérité, rien que la vérité.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à MM.
Chevalier et Fouillade.
M. le Président
- Monsieur Chevalier, quel est votre sentiment
sur le problème posé par les farines animales ? Au nom des
organismes que vous représentez, quelle est votre opinion sur
l'épidémie de l'ESB qui aujourd'hui s'est
développée dans notre pays ainsi que dans toute l'Europe.
M. Pierre Chevalier
- M. le Président, si vous le permettez nous
allons nous répartir la mission entre Monsieur Fouillade, directeur de
l'OFIVAL et moi-même, président du Conseil de direction de cet
établissement public. J'interviendrai dans un premier temps en tant que
président de la fédération nationale bovine,
fédération qui est favorable à tous travaux et à
toutes initiatives permettant d'approcher la vérité sur les
conditions dans lesquelles le cheptel français a été
pollué par ces farines animales contaminées.
C'est au mois d'avril 1989 que la FNB a été avertie de cette
nouvelle maladie, apparue en Grande-Bretagne. Au mois de mai 1989, nous avons
demandé, auprès de la direction générale de
l'alimentation, l'interdiction d'introduire les farines anglaises. A cette
époque, nous avons été déçus par la
décision qui avait été prise. En effet, seul un avis aux
exportateurs avait été pris.
L'image de l'agriculture a été gravement
détériorée par l'encéphalite spongiforme bovine. Je
regrette que l'opinion publique ait une représentation simplifiée
de la filière. L'éleveur est considéré comme
responsable, voire comme un empoisonneur. C'est malheureusement l'image qui est
ressortie de cette crise. Pourtant, quels que soient les gouvernements, nous
avons bénéficié de la meilleure réglementation au
sein de l'Union européenne. Cependant, force est de reconnaître
que nous ne bénéficions plus de notre capital de confiance.
Les éleveurs ont le sentiment d'être des victimes dans cette
affaire. La dernière décision relative au retrait des bovins
accidentés du circuit de l'abattage, décision prise lundi matin,
renforce quelque peu cette situation. La déclaration très limpide
faite par Monsieur Martin Hirsch, directeur de l'AFSSA, et Madame Catherine
Geslain-Lanéelle, directrice de la DGAL, exprimés devant la
presse de façon très transparente, a été reprise
par la presse de façon erronée. Les médias ont, en effet,
affirmé que 2 â de l'ensemble des 21 millions de bovins
français étaient contaminés ! Si la commission
d'enquête peut faire progresser la vérité sur ces aspects,
alors elle aura vraiment atteint un objectif.
M. le Président
- Pouvez-vous repréciser quel est le
nombre exact d'animaux concernés ?
M. Pierre Chevalier
- Le taux de 2 â ne concerne pas, bien
entendu, l'ensemble des bovins mais 15 000 animaux testés. Il ne s'agit,
en aucun cas, de 2 â bovins malades sur les 21millions de têtes de
bétail que nous comptons en France.
Sur le plan réglementaire, c'est au mois d'août 1989 que la
suspension de la dérogation générale d'introduction des
farines anglaises a été décidée. L'introduction de
farines en provenance du Royaume-Uni était désormais soumise
à dérogation particulière. Les farines étaient
acheminées dans des usines spécialisées pour
l'alimentation des animaux monogastriques. La dernière dérogation
délivrée par la France date du mois de février 1990. Au
cours du mois de juillet 1990, l'interdiction des farines d'origine animale
dans l'alimentation des bovins a été décidée en
France. Au mois de juin 1996, la France a décidé d'exclure les
matériaux à risque des cadavres et des saisies de l'alimentation
des farines destinées aux volailles, aux porcs et poissons. Cependant,
ce n'est que le 1er octobre 2000 que l'Allemagne a décidé
d'interdire l'introduction des cadavres dans la composition des farines
animales. Force est donc de reconnaître les différences qui
existaient entre les différents États membres de l'Union
européenne.
Au plan des démarches volontaires, en 1997, la FNB a obtenu l'obligation
du référencement des fabricants dans le cadre des cahiers des
charges des certifications produits. Les fabricants sont tenus de respecter un
code de bonnes pratiques pour éviter les contaminations croisées.
En 1998, l'obligation du référencement a été
élargie dans le cadre de la charte des bonnes pratiques
d'élevage. Il s'agit d'un cahier des charges que nous avons mis en place
de façon volontaire dans nos élevages comportant une obligation
de référencement des fabricants.
Sur le plan judiciaire, la fédération nationale bovine a
déposé une plainte contre X et a constitué partie civile
au mois de juillet 1996 auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris.
La fédération se porte partie civile dans toutes les affaires
transmises au parquet par la brigade nationale d'enquête
vétérinaire ou par la répression des fraudes. La
communication de l'avancement des enquêtes judiciaires a mis en
évidence que beaucoup de travail restait à faire. Les moyens dont
dispose le juge Boizette aujourd'hui sont-ils suffisamment importants eu
égard à la complexité de l'affaire ? Madame le juge
elle-même nous a fait part de ses préoccupations à ce
sujet.
Voici Messieurs les quelques propos introductifs que je souhaitais formuler. Je
reste, bien entendu, à votre entière disposition pour toute
question complémentaire.
M. Pierre Fouillade
- L'OFIVAL est un établissement public
industriel et commercial. Il compte environ 300 personnes. Son budget est de
l'ordre de 6 milliards de francs, dont 1 milliard provient du budget national
et 5 milliards proviennent de fonds communautaires. Nous gérons pour le
compte du FEOGA un certain nombre de procédures. Nous gérons
principalement l'intervention publique comme les mesures de retrait et les
aides à l'exportation. Nous gérons également pour le
compte du FEOGA le versement aux éleveurs de certaines aides concernant
les bovins et les ovins. Enfin, les crédits nationaux sont plutôt
utilisés pour le renforcement de la compétitivité de la
filière dans son ensemble, de l'élevage à la distribution.
Cette somme s'élève à environ de 1 milliard de francs
sachant que, sur cette somme, nos frais de fonctionnement sont de l'ordre de
150 millions de francs par an.
Notre préoccupation essentielle est au coeur de la gestion des
marchés et de l'économie de la filière bovine en
général. Notre préoccupation essentielle concerne les
niveaux de prix, la compétitivité de la filière, les
possibilités d'exportation et le positionnement de la filière
française par rapport aux autres filières européennes et
mondiales.
Le problème des farines animales nous concerne bien évidemment.
Au-delà de l'aspect réglementaire rappelé par le
Président Chevalier, nous sommes concernés par l'incidence
économique des dispositions. L'actuelle suppression concerne 400 000
tonnes de farines animales destinées à l'alimentation du
bétail. Cette mesure a une incidence certaine au niveau des abattoirs
puisque les produits qui servaient à fabriquer les farines animales
étaient pour certains valorisés et vendus aux fabricants de
farines. Aujourd'hui, ils ne peuvent plus l'être. La perte
économique au niveau de l'abattage est de l'ordre de 2 milliards de
francs.
Le plus grand impact économique concerne la filière volailles. La
France est le premier exportateur européen de volailles dans le monde.
L'alimentation de ces animaux utilisait des farines. Nous allons être
aujourd'hui dans l'obligation de les remplacer par des produits plus
onéreux. Les abattoirs utilisaient également les plumes ainsi
qu'un certain nombre d'autres coproduits pour fabriquer des farines. Cette
transformation était source d'une recette. Aujourd'hui, les
études réalisées montrent que cette disposition induira
une augmentation du prix de revient du poulet de l'ordre de 0,45 francs par
kilogramme, soit une augmentation de 8 % du prix. Sur la filière
porcine qui consommait jusqu'ici des farines animales, même s'il
s'agissait de quantités moindres comparée à la
filière volailles, l'incidence sur le prix de revient est bien plus
faible. Elle est de l'ordre de 1 %.
M. le Rapporteur
- Quelle était votre approche en matière
de sortie de crise ? Allez-vous inciter les membres de la filière
à s'orienter davantage vers un mode d'élevage extensif ?
Allez-vous, au contraire, continuer sur cette même lancée sachant
qu'il existe une incompréhension entre le monde rural et le monde
urbain ?
M. Pierre Chevalier
- Depuis la seconde guerre mondiale, nous avons
été contraint de nous diriger vers l'autosuffisance agricole.
Nous étions dans une situation déficitaire. C'est la raison pour
laquelle nous nous sommes lancés dans une amélioration
technologique des productions agricoles. Cette amélioration était
souhaitable pour que la France parvienne à une indépendance
alimentaire. Il me paraît néanmoins difficile d'établir un
parallèle entre la crise de l'ESB, la contamination par des farines
animales et l'intensification des cultures, même si elle fut certes
parfois excessive.
A l'origine, pourquoi avons-nous eu des farines animales contaminées en
provenance de Grande-Bretagne ? C'est parce que les entreprises anglaises
n'ont pas respecté la technologie conseillée par les
scientifiques, à savoir traiter les farines à 133 degrés
pendant 20 minutes sous 3 bars. Pourquoi avons-nous continué d'importer
des farines animales anglaises alors que la Grande-Bretagne avait
arrêté l'incorporation des farines animales en 1988 ?
Pourquoi avons-nous arrêté de les importer en 1990 ? Pourquoi
avons-nous importé entre 1987 et 1990 des abats contaminés en
provenance de Grande-Bretagne ? Les quantités de farines
importées nous conduiront peut-être, demain, à recenser
d'autres cas de maladies de Creutzfeldt-Jakob. Nous espérons
néanmoins que cela ne se produira pas.
Les éleveurs se demandent également pourquoi des contaminations
croisées se sont produites. Pourquoi 90 % de nos cas d'ESB se
retrouvent chez des animaux nés entre 1993 et 1995 alors qu'ils n'ont
pas consommé de farines animales puisque celles-ci étaient
interdites depuis 1990 ? Les exploitants possédant une production
porcine ont-ils donné de l'alimentation de porc à leurs
bovins ? C'est possible, voire évident. Les citernes ayant
livré de l'alimentation de poulets ont-elles contaminé des cuves
d'aliments destinés aux bovins ? Comment est fait le liant des
condiments minéraux donnés à nos bovins ? En effet,
ce liant est fait à base de graisses animales. Comment est faite la
matière grasse animale ? Elle est faite avec la colonne
vertébrale fondue et transformée en matière grasse. A-t-il
pu y avoir transmission à partir de la matière grasse animale
avant 1996 ?
Lorsque j'avais eu une mise à bât difficile sur mon exploitation,
j'étais dans l'obligation de donner du lait reconstitué à
mon veau. La matière grasse animale contenue dans le lait
reconstitué pouvait-elle être contaminée ? C'est
possible. Sur ma ferme, j'ai pu donner un aliment complémentaire
à mes broutards et à mes génisses. Ce complément
pouvait-il contenir des farines animales contaminées ?
Sur ma propre ferme où je produis du Charolais, je ne donne que de
l'herbe et de l'ensilage d'herbe. Je ne donne absolument pas de farines
animales à proprement dit. Pourtant, j'ai pu donner, avant 1990, des
farines animales à mes génisses. Par conséquent, si un cas
se déclarait aujourd'hui dans mon exploitation, il n'y aurait rien de
surprenant.
Les condiments minéraux que j'ai pu donner après 1990 pouvaient
être contaminés. Le lait reconstitué que j'ai donné
occasionnellement suite à une mise bât difficile a pu contaminer
un de mes veaux sans que je ne le sache.
Par ailleurs, le comportement sociologique du consommateur dans notre
société a considérablement changé. Je crois que
nous avons pris un virage considérable depuis 1996. Depuis cette date,
le consommateur veut savoir quelle est l'origine, la provenance et la
façon dont a été produite la viande qu'il retrouve dans
son assiette. En partant de ce constat, nous devons nous diriger non pas vers
une agriculture biologique car ce n'est pas ainsi que nous solutionnerons les
problèmes. L'agriculture biologique ne représente que 1 % de
l'agriculture française. De plus, demain, nous risquons de rencontrer
des problèmes en matière de sécurité alimentaire.
Aujourd'hui, nous devons aller vers une agriculture plus raisonnée qui
tient compte des préoccupations de l'ensemble de la population en
matière d'aménagement du territoire et d'entretien de l'espace.
Il est nécessaire d'agir avec plus de transparence. L'intensification
à outrance ne correspond plus à la demande de la
société en France, en Europe et dans le monde.
L'agriculture raisonnée doit s'appliquer dans l'ensemble des
États membres de l'Union européenne. En effet, si la France
applique seule une agriculture raisonnée, d'autres États membres
s'empresseront de prendre nos parts de marché. C'est la raison pour
laquelle j'ai toujours dit, suite à la négociation de l'OMC,
qu'il fallait associer les consommateurs à l'Organisation Mondiale du
Commerce. La France n'a pas le droit de perdre des parts de marché
vis-à-vis de ses voisins européens. L'Europe n'a pas le droit non
plus de perdre des parts de marché vis-à-vis des pays tiers
émergents.
M. Paul Blanc
- La composition exacte des farines animales est-elle
indiquée directement sur les sacs ?
M. Pierre Chevalier
- Sur les sacs de farines animales, il est
uniquement mentionné «protéines animales».
M. Paul Blanc
- L'origine est-elle indiquée ?
M. Pierre Chevalier
- Non.
M. Paul Blanc
- Estimez-vous que l'étiquetage est suffisant ?
M. Pierre Chevalier
- Après 1996, les éleveurs auraient
souhaité que l'on impose une traçabilité des farines
animales telle que nous l'avions fait pour la viande bovine. En effet, nous
aurions souhaité retrouver les indications suivantes : où
l'animal est-il né, où a-t-il été
élevé, quel est son âge, quelle est sa race, son sexe et le
nom de l'éleveur. Nous estimons que nous aurions dû exiger ces
renseignements de la part des fabricants d'animaux pour bétail d'autant
plus que la majorité des fabricants y sont aujourd'hui favorables.
M. Paul Blanc
- Qui conseille l'éleveur en matière
d'alimentation ? Est-ce le fabricant de produits ? Est-ce le
vétérinaire ? Est-ce la coopérative ou encore le
conseiller agricole ?
M. Pierre Chevalier
- En France, le développement fait dans le
cadre des chambres d'agriculture est un développement sans connotation
sectorielle. Les SUAD (Services d'Utilité Agricole de
Développement) peuvent fournir des conseils sur l'ensemble des
productions qu'elles soient animales ou végétales. Ce conseiller
n'a pas d'intérêt particulier si ce n'est le respect de
l'équilibre économique de l'exploitation. Il peut apporter son
conseil en matière d'alimentation, de progrès
génétique et également sur des aspects sans grande
connotation technique.
Les organisations économiques apportent également des conseils.
C'est le cas notamment des groupements de producteurs. Il s'agit souvent d'un
conseil technique objectif fourni par des techniciens et des ingénieurs.
Ces conseils sont davantage spécialisés pour un secteur de
production donné. Ils sont spécialisés soit sur la
production bovine, soit sur la production ovine, soit sur la production
porcine, soit sur la production avicole.
Des ingénieurs et techniciens appartenant à des firmes
industrielles peuvent également apporter leurs conseils. Ici, le conseil
a une connotation commerciale plus affirmée.
M. Paul Blanc
- Tout le monde peut donc apporter son conseil.
M. Pierre Chevalier
- Plusieurs acteurs peuvent intervenir.
Néanmoins, leur conseil peut être différent. En France, le
suivi vétérinaire des élevages est d'une grande rigueur.
Le docteur vétérinaire praticien a un mandat libéral pour
intervenir au niveau de l'élevage. Il a aussi un mandat sanitaire
confié par l'Etat pour suivre les prophylaxies à caractère
obligatoire. Dans ce cadre, il apporte un conseil sous contrôle du
directeur des services vétérinaires.
M. Paul Blanc
- Vous avez évoqué l'agriculture
raisonnée. Jusqu'à présent, en particulier dans les zones
de montagnes, il existait une prime « à la vache
tondeuse » . Cette prime n'était-elle pas de nature à
augmenter le nombre de têtes de bétail au détriment de la
surface cultivée ? N'incitait-elle donc pas à utiliser des
aliments de substitution ?
M. Pierre Chevalier
- J'ai parcouru de nombreuses régions
françaises y compris les zones que l'on qualifie d'intensive ou
d'extensive. Je n'ai pas objectivement rencontré ce type de situations.
Dans les productions bovine, ovine ou porcine, je ne suis pas persuadé
que les résultats économiques d'une exploitation peuvent
êtres basés sur de grandes surfaces même s'il peut exister
quelques cas particuliers.
M. Paul Blanc
- La situation s'est améliorée. Toutefois,
je puis vous dire qu'avant 1992 il y avait des chasseurs de primes.
M. Pierre Chevalier
- Je viens du Massif Central. Tous les
résultats technico-économiques de nos exploitations de production
de viande bovine ne présentent pas d'ambiguïté. Nos
structures d'exploitation sont moyennes. Tous les éleveurs qui ont
cherché à agrandir leurs troupeaux et leurs surfaces sans tenir
compte des critères d'amélioration génétique et de
conduite du troupeau avec rigueur obtiennent des résultats
économiques catastrophiques.
M. Michel Souplet
- Lorsque l'on écoute certains éleveurs
ou certaines organisations de consommateurs, il est légitime
d'être affolés. On doit même être affolé. Selon
eux, on ne devrait plus rien manger du tout. Le danger découvert
aujourd'hui existe peut-être depuis dix ou quinze ans, voire plus,
puisque la tremblante du mouton existe depuis le 18ème siècle.
J'estime qu'il faudrait relativiser ces problèmes. Ceci passe
nécessairement par l'information. Actuellement, la désinformation
tous azimuts règne. Il faudrait une information objective et
réaliste qui redonne confiance aux consommateurs.
Aujourd'hui, nous risquons de voir nos marchés occupés par des
viandes d'importation venant d'autres pays sans aucune
traçabilité. Je ne suis pas persuadée que si nous
effectuions des tests en Argentine, nous ne trouverions pas des microbes. Je me
demande si nous ne pourrions pas envisager une campagne médiatique qui
coûtera peut-être cher mais que les organisations professionnelles
peuvent peut-être financer.
Certes, les chercheurs nous mettent en garde. Toutefois, lorsque nous leur
demandons s'ils mangent de la viande de boeuf, ils nous répondent par
l'affirmative. C'est uniquement sur les abats qu'ils ne peuvent apporter une
réponse. Si nous pouvions redonner confiance sur le muscle alors la
confiance reviendrait progressivement. Je crois que la France a apporté
la preuve qu'elle était capable de garantir la sécurité
alimentaire. Nous sommes aujourd'hui capables d'assurer par la
traçabilité une qualité exceptionnelle des productions
alimentaires. Toutefois, nous ne serons jamais capables de garantir le risque
zéro puisqu'il n'existe pas.
Il faut également que le consommateur sache que ceci coûtera plus
cher et qu'il peut toujours y avoir un risque, même infime. Cette affaire
doit être relativisée. Cependant, je ne sais pas comment nous
pourrions diffuser une information objective qui redonne confiance aux
consommateurs. Par ailleurs, comment pouvons-nous insister sur
l'impérieuse nécessité d'être aussi exigeant sur les
produits importés que sur les produits internes à la
communauté ?
M. Pierre Chevalier
- Je crois qu'en plein coeur de la crise la vache
folle il n'y avait rien à faire. Maintenant, nous allons peut-être
pouvoir commencer à travailler. Au centre d'informations des viandes,
nous menons une enquête SOFRES hebdomadaire sur la confiance des
consommateurs. Je vous donne un exemple pour étayer mes propos.
L'annonce du retrait des farines animales en France a fait chuté
l'indicateur de perte de confiance des consommateurs de 70 % à
53 %. Pourtant, nos animaux ne mangent plus de farines animales depuis
1990. Ce résultat est donc incompréhensible. Je pense que la mise
en place des tests systématiques produira le même effet même
si au-delà de six mois les tests ne sont pas garantis.
Le ministère de l'Agriculture a entrepris une campagne de communication.
Le directeur de l'OFIVAL peut vous parler de cette campagne de communication
cofinancée par l'interprofession bovine française et les pouvoirs
publics. Nous avons investi 15 millions de francs chacun dans cette campagne.
Cette dernière sera menée auprès de nos consommateurs.
Nous essayerons dans ce cadre d'expliquer des principes simples dans
l'état actuel des connaissances scientifiques. Nous
répéterons que le muscle n'est, en aucun cas, porteur du prion.
Certes, l'information est essentielle. Toutefois, pendant la crise, une
campagne de communication ne pouvait être réalisée.
M. Pierre Fouillade
- Nous allons mener une campagne financée
pour moitié par l'OFIVAL et le CIV. Cette campagne s'élève
à 30 millions de francs. Vous avez peut-être déjà lu
un certain nombre de pages dans le quotidien Le Monde expliquant des choses
très simples dans le but de redonner confiance aux consommateurs.
M. Bernard Cazeau
- En tant que président de la FNB et en tant
qu'éleveur, que pensez-vous de la déclaration qui
préconise la suppression des animaux de plus de 54 mois ?
M. Pierre Chevalier
- Vous parlez sans doute de la préconisation
faite par Monsieur Fischler et par Monsieur Byrne lors d'une conférence
de presse à Bruxelles.
M. Bernard Cazeau
- Non, je veux parler de la déclaration qui a
été faite par Monsieur Luc Guyau, il y a quelques jours.
M. Pierre Chevalier
- Je vous remercie de me poser cette question. Le
lundi 6, 6 millions de téléspectateurs avaient regardé
l'émission spéciale consacrée à la vache folle
diffusée sur M6. La semaine précédente, une
majorité de maires de France avait retiré la viande bovine des
cantines. Dans mon propre canton où je suis Conseiller
général, commune de 200 habitants uniquement rurale, les enfants
ne mangeaient plus de viande bovine à la cantine. Pourtant, le maire est
exploitant agricole et la responsable de l'association des parents
d'élève est fille d'un éleveur de vaches limousines.
Le mardi 7, nous constations une chute de 54 % de l'activité des
abattoirs. La consommation de boeuf en grande distribution chutait de 50
à 60 % . La consommation de viande bovine en restauration hors
foyer, qui représente 30 % de la consommation en France, baissait
de 50 %. La boucherie traditionnelle chutait également de
25 %.
La France consomme 1,5 million de tonnes de viande bovine. Nous enregistrions
donc un excédent structurel de 750 000 tonnes de viande bovine ce
jour-là. Après avoir consulté les scientifiques et les
experts économistes, l'ensemble de la filière composée des
éleveurs, des abattoirs, des industriels, des coopératives, des
groupements de producteurs, des distributeurs (grandes surfaces, restauration
hors foyer et boucherie traditionnelle) et des associations de consommateurs
s'étaient regroupés.
La proposition formulée par Monsieur Guyau était
l'émanation de l'ensemble de la filière. Toutefois, cette
proposition a été annoncée de façon brutale. En
effet, il n'a pas été précisé que nous envisagions
de retirer les animaux les plus âgés en priorité. Il n'a
pas été dit que ce plan se faisait sur dix ans ni que l'animal
continuait de produire son veau ou son lait. Il n'a pas non plus
été indiqué qu'en priorité nous allions faire
consommer les animaux sous signe officiel de qualité. Nous proposions un
véritable plan de retrait.
Quinze jours après cette déclaration, Messieurs Byrne et Fischler
annoncent, non pas le retrait des animaux nés avant 1996, mais le
retrait des animaux de plus de 30 mois ou des animaux testés. Le
commentaire unanime de l'ensemble des médias à l'issue de cette
déclaration a été : «Enfin, une bonne
proposition de la commission».
Cette nuit, suite au conseil des ministres agricoles de la semaine
passée, le comité de gestion en application de l'article 38 a
décidé de retirer, à partir du 1er janvier 2001, tous les
animaux de plus de 30 mois non testés. Êtes-vous prêts dans
vos départements à tester tous vos animaux de plus de 30 mois,
soit 3 millions de bovins, à partir du 1er janvier ? Aucun
commentaire n'est fait aujourd'hui. Pourtant, la proposition de l'ensemble de
la filière allait plus loin que cette mesure. En fait, il semblerait que
nous ayons eu tort d'avoir eu raison trop tôt.
M. le Président
- La décision est donc la même.
M. Pierre Chevalier
- Notre proposition allait encore plus loin.
L'Europe consomme 6 millions de tonnes de viande bovine. Nous enregistrons
environ 50 % de baisse de la consommation dans tous les pays d'Europe. Si
nous ne retirons pas de viande, nous risquons d'avoir 3 millions de tonnes dans
les entrepôts frigorifiques de la Communauté européenne
d'ici un an ou un an et demi.
En 1991, nous avions entreposé 1,3 million de tonnes stockées en
Europe. Pourquoi notre situation était-elle équilibrée
depuis 1997 et jusqu'en 1999 ? C'est parce que nous avions retrouvé
l'équilibre d'autosuffisance de production de viande bovine en Europe.
Aujourd'hui, notre objectif est de retrouver cet équilibre le plus vite
possible. Si nous ne retrouvons pas cet équilibre, nous allons
traîner les stocks pendant des années, stocks qu'on ne pourra
jamais commercialiser.
Aujourd'hui, nous mettons en stockage privé des animaux que nous
achetons à 11 francs le kilogramme. On les achète à 12
francs à l'éleveur comprenant les frais de mise en stockage. Au
bout de deux ans, les frais de stockage s'élèvent à 5
francs par kilogramme. Ainsi, des animaux qui coûtent 12 francs et qui
sont de basse catégorie devront être revendu à 17 francs
dans deux ans si nous ne voulons pas perdre d'argent. Qui va acheter ce type de
viande à ce prix ? Je crois que personne ne le fera.
M. Jean-Marc Pastor
- Dans vos propos préliminaires, vous avez
parlé de l'éleveur comme une victime. Je partage plutôt
votre sentiment. La dernière déclaration du président de
l'AFSSA a pu inquiéter le consommateur. Je souhaiterais connaître
votre sentiment, en tant que FNB, par rapport à la position du
gouvernement sur cette question de l'ESB.
Le gouvernement a semblé jouer le rôle de fer de lance par rapport
aux autres pays européens. Le gouvernement a en effet osé parler
de l'affaire et imposer un certain nombre de tests. Quel est votre sentiment
par rapport à la position du gouvernement ? Quel est votre
sentiment général par rapport à la déclaration du
Président de la République qui a conduit un certain nombre de
maires à prendre des arrêtés d'interdiction ?
M. Pierre Chevalier
- Je ne souhaite pas revenir sur les raisons pour
lesquelles nous avons continué d'importer entre 1987 et 1999. Il incombe
à la justice de répondre à ces questions. Pourquoi
n'avons-nous pas interdit l'importation des abats contaminés avant 1990
alors que l'interdiction existait en Grande-Bretagne ? La France n'est
apparemment pas le seul pays en cause. Nous pouvons également nous
demander pourquoi l'Allemagne a continué à importer. Pourquoi
l'Allemagne a caché ses cas d'ESB ? Pourtant, le comité
scientifique directeur a classé à taux à risque l'ensemble
des pays de l'Union européenne. De plus, l'Allemagne est classée
en taux de risque identique à la France, tout comme l'Italie, l'Espagne
ou encore la Belgique ou la Hollande. Seuls le Portugal et la Grande-Bretagne
présentent un taux de risque supérieur. Quant aux trois pays
d'Europe du Nord, ils sont moins exposés au problème.
Dans la gestion de l'ESB depuis 1996 jusqu'à la crise actuelle, je crois
que les trois précédents ministres de l'Agriculture, Messieurs
Vasseur, Le Pensec et Glavany, ont fait un parcours sans faute. En 1996, la
France a pris des décisions courageuses. Pourtant les critiques ont
été nombreuses à l'encontre de l'embargo mis en place par
Philippe Vasseur. La France s'est retrouvée complètement
isolée. Ce n'est que par la suite que tous les autres pays nous ont
suivi. La France a, par ailleurs, été le seul pays en Europe
à mettre en place un système de traçabilité
indiquant où a été élevé et abattu l'animal
et indiquant toutes ces caractéristiques.
La Commission européenne propose aujourd'hui d'harmoniser les normes de
traçabilité. Toutefois, les représentants des associations
de consommateurs, en particulier Madame Nicoli, ne souhaitent pas accepter les
propositions de la Commission portant sur l'étiquetage de la viande
bovine en Europe. En effet, il est proposé d'appliquer des normes de
traçabilité inférieures à celles qui existent
actuellement en France. Les consommateurs veulent conserver l'étiquetage
et la traçabilité dont nous bénéficions
aujourd'hui.
Notre position a toujours été de dire que nous étions en
faveur de la sécurité alimentaire. A cet égard, nous avons
consenti des efforts considérables au niveau de l'ensemble de la
filière. Ces efforts d'étiquetage ont coûté beaucoup
d'argent même aux éleveurs. La seule erreur commise par la France
est d'avoir démarré les tests sans qu'il n'y ait d'harmonisation
communautaire. Aujourd'hui, tous les pays nous rejoignent. Ils avaient tous
importé des farines contaminés et présentent aujourd'hui
des cas d'ESB. Ces pays l'avaient jusqu'alors caché.
En France, la crise a démarré plus tôt. Maintenant elle se
propage à l'ensemble de la Communauté européenne. Je
regrette un peu le dysfonctionnement de l'Europe. Est-il normal de vouloir un
élargissement et un renforcement de l'Europe alors que nous ne sommes
pas capables d'assurer une sécurité alimentaire dans l'ensemble
des États membres ? Ceci dénote d'un certain
dysfonctionnement de l'Europe. Soit nous ne devions pas prendre des mesures de
façon isolée, soit les autres États membres ont eu un
comportement anormal par rapport à cette situation. Nous sommes
véritablement des victimes. Les efforts consentis en France avaient
permis d'augmenter de 1,6 % la consommation de viande bovine par habitant
par rapport à la situation antérieure au 20 mars 1996. Nous
étions parvenu à obtenir un résultat extraordinaire.
Malheureusement, tout s'est effondré en l'espace de quelques heures
suite à cette situation qui a créé des disparités
intra-communautaires. Avant que la crise n'éclate en Allemagne, des GMS
sur Toulouse distribuaient de la viande bovine allemande en certifiant qu'elle
était sans ESB. Dans ma propre région, j'ai vu Leader Price faire
de la publicité pour de la viande bovine d'origine espagnole.
M. Jean-Paul Emorine
- Vous avez beaucoup parlé de communication.
J'ai entendu dire que vous alliez investir lourdement en communication.
Toutefois, il me semble nécessaire de communiquer sur des produits
sérieux pour lesquels vous pourrez toujours apporter la preuve de la
traçabilité. Par ailleurs, le terme
«traçabilité» est aujourd'hui devenu à la mode.
Les bovins bénéficient d'un document d'accompagnement. Cependant,
pour ma part, je pense que c'est largement insuffisant pour les
décennies à venir. La loi d'orientation agricole de 1999 a
prévu de mettre en place l'indication géographique
protégée. Il s'agit d'un engagement des éleveurs
consigné dans un cahier des charges. Il s'agit également d'un
engagement des fabricants d'aliments et des vétérinaires ou des
groupements de défense sanitaire afin de qualifier un élevage
dans son ensemble. Cette procédure recevra l'aval des NAO. Toutefois, il
faudrait que cette procédure soit activée au niveau des
organisations professionnelles. Je suis, pour ma part, assez sensible aux
actions menées par les techniciens des chambres d'agriculture. Je
souhaite qu'ils s'engagent rapidement vis-à-vis de ces indications
géographiques protégées. Comment voyez-vous la mise en
oeuvre de ces indications géographiques protégées ?
Il me semble que ces indications présenteraient une
traçabilité de fond afin qu'en cas de problème nous
puissions retourner dans la chaîne. Par ailleurs, que pensez-vous de la
maîtrise de la production entre le cheptel allaitant et le cheptel
laitier ?
M. Pierre Chevalier
- Au sein de la fédération nationale
bovine, nous allons orienter nos éleveurs vers la qualification des
élevages. Nous souhaitons véritablement les orienter dans cette
direction même si ces contraintes sont fortes. Nous allons mettre en
place une charte des bonnes pratiques d'élevage même si le cahier
des charges de cette charte représente à peu près ce que
doit faire l'éleveur quotidiennement dans son exploitation. Nous
souhaitons mettre en place la qualification des élevages qui permettra
d'avoir toute la transparence sur la conduite sanitaire de l'élevage. Le
cahier des charges prendra en compte l'alimentation et obligera le fournisseur
d'alimentation à apporter toute transparence. Le cahier des charges
portera sur la conduite de l'élevage en général et sur les
conditions ambiantes de l'élevage comme la ventilation. Nous souhaitons
nous diriger dans cette direction afin également de répondre
à la demande forte des consommateurs vers davantage de transparence.
C'est en agissant de cette manière que nous allons renouer notre contrat
de confiance avec le consommateur même si cela risque de prendre du
temps. Force est de constater que nous avons de plus en plus d'élevages
qualifiés.
Concernant la maîtrise de la production, notre situation est relativement
équilibrée. Le cheptel laitier s'est stabilisé, voire
diminué compte tenu des progrès génétiques
réalisés dans ce secteur. La production laitière est de
plus en plus maîtrisée compte tenu des quotas. Par
conséquent, nous avons plutôt tendance à voir diminuer
l'ensemble des animaux laitiers type reproducteurs. En Europe, nous assistons
à une sensible augmentation du troupeau des races à viande. Nous
comptons 11 millions d'animaux de races à viande en Europe dont 4,2
millions, soit 40 % en France. Si nous devons mener une politique de
maîtrise de la production, doit-on éviter la production du jeune
bovin type laitier pour lequel la consommation en France est seulement de
10 % ?
Nous proposons de remettre en place le retrait des veaux de 8 jours laitiers.
Nous avons des quotas de vaches allaitantes qui permettent d'éviter des
dépassements irrationnels de la production de viande bovine issue des
races à viande. C'est une forme de maîtrise. Concernant la
production de jeunes bovins, la France a une référence de
1,75 million de francs de primes au jeune bovin. Sur le plan
économique, il est inconcevable de produire du jeune bovin laitier ou
allaitant s'il n'y a pas la possibilité d'avoir une contribution
financière et un soutien de la communauté européenne.
La production était maîtrisée avant la crise. Dans le cadre
des négociations de l'OMC, l'Europe doit faire entendre sa voix par
rapport aux Etats-Unis et aux autres pays producteurs, en particulier face au
groupe de Cairns. L'Europe doit affirmer sa position économique sur les
marchés des pays tiers ou sur les marchés des pays en voie de
développement.
Roland du Luart
- Je regrette que la confiance que les gouvernements
successifs ainsi que la FNB avaient réussi à rétablir soit
aujourd'hui remise en cause. Nous rencontrons un problème financier.
Vous avez évoqué le retrait du veau de 8 jours. Je crois que
c'est une bonne mesure. Cependant, elle a un coût. Nous évoquons
également au niveau européen l'abattage des animaux de plus de 30
mois n'ayant pas subi de tests. Pourtant, nous savons que le test a, au
maximum, une sécurité de 6 mois. Comment peut-on financer cet
abattage systématique des animaux de plus de 30 mois ? Où
va-t-on trouver l'argent nécessaire ? Je comprends la
nécessité d'assainir le marché. Toutefois, a-t-on
réellement les moyens de payer l'éleveur ? Je viens d'un
département dans lequel la filière bovine est très
importante. Le retrait de tous les quartiers de viande qui étaient
valorisés représente un déficit de près de 2
milliards de francs non compensés. Quels sont les moyens financiers dont
nous disposons pour sortir de la crise ? La mission essentielle de notre
commission d'enquête est certes de rétablir la confiance.
Toutefois, il faut également trouver les équilibres et
éviter que l'ensemble des éleveurs soit ruinés et que les
autres acteurs de la filière le soient également.
M. Pierre Fouillade
- Concernant le rétablissement du
marché, le chiffre de 3 millions de tonnes correspond à une
année pleine. Peut-être péchons-nous par excès
d'optimisme. Aujourd'hui, nous nous situons au creux de la vague. Nous voyons
néanmoins refleurir un peu la consommation. En effet, les derniers
résultats des panels Secodip montrent que la consommation est en train
de repartir progressivement. Néanmoins, il est difficile de faire des
prévisions. Nous n'allons pas rester avec une chute de la consommation
de 50 %. Nous n'allons pas conserver 3 millions d'excédents.
Les décisions qui viennent d'être prises au comité de
gestion de Bruxelles, le 12 décembre, en termes de volume de retrait du
marché et de stockage public concernent 625 000 tonnes. Ce chiffre a
été proposé dans le cadre budgétaire actuel.
Certes, ce volume ne sera peut-être pas suffisant. Ceci dépendra
de la vitesse à laquelle la consommation va reprendre. Nous pouvons
espérer que dans les six prochains mois, la consommation remontera
à 80 %. C'est, bien entendu, une hypothèse et non pas un
calcul de probabilité. Nous savons néanmoins que ce chiffre ne
remontera pas à 100 % immédiatement. De plus, certains
consommateurs ont arrêté de manger de la viande bovine et ne
souhaitent pas en reprendre. La baisse de la consommation est assez liée
à la baisse du nombre de personnes qui consomment plus qu'à la
diminution de la quantité consommée. Avec ces 625 000 tonnes,
nous disposons des moyens d'agir. Nous disposons également de mesures de
ponction immédiate, de mesures d'abattage et de mise en intervention des
broutards pour rétablir l'équilibre.
Il est souvent dit que ce sont les entreprises disposant de vrais
marchés et de vrais produits qui se défendent mieux. Cependant,
force est de reconnaître que ce sont les entreprises qui ont les
coûts fixes les plus élevés. Ce sont elles qui transforment
le plus et qui apportent le plus de valeur ajoutée. Par
conséquent, ces entreprises sont les premières à
être mises en difficulté par la baisse de l'activité
brutale de 50 %. La situation est assez différente pour les petites
entreprises qui travaillent encore sur des filières de qualité ou
qui ont des débouchés avec le commerce de détail plus
qu'avec les grandes surfaces. Celles-ci sont peut-être un peu moins
touchées par la crise. Les entreprises les plus affectés sont
celles qui font beaucoup de transformation et notamment du steak haché.
Pour ce produit, la baisse de la consommation peut atteindre 60 à
70 %.
Le problème est d'abord de retrouver de l'activité. Le
gouvernement s'est donc attaché à effectuer de l'abattage. Tous
ces animaux devraient aller à l'abattoir à un moment ou à
un autre. Une circulaire devrait sortir prochainement portant sur des
prêts bonifiés pour les entreprises. Ces prêts constitueront
une aide immédiate. Ils devraient largement dépasser les 500
millions de francs qui avaient été évoqués lors des
négociations.
Nous rencontrons également un problème plus structurel dans la
mesure où le secteur de la viande bovine était déjà
en très légère surcapacité avant que ne se
déclare la crise actuelle. Nous sommes en train de rebâtir un
programme de restructuration et de reconversion de certains outils dans le
cadre d'une réorganisation d'ensemble de la filière. Nous
souhaitons bâtir un dossier et le faire valider par la Communauté
pour pouvoir aider les entreprises.
M. le Rapporteur
- Je souhaiterais revenir sur les propos tenus par nos
collègues, en particulier ceux tenus par Monsieur Emorine sur la
traçabilité. Nous connaissons tous l'excellence de l'approche
française. Néanmoins, auriez-vous des propos à formuler en
ce qui concerne à la fois «le vif» et «le
mort» ? Concernant «le vif», le document d'accompagnement
bovin (DAB) date maintenant un peu. Je crois que nous pouvons imaginer quelques
concepts nouveaux en ce domaine. J'aurais d'ailleurs pour ma part quelques
suggestions à faire à la fin de cette commission d'enquête.
Pour «le mort». Je pense en particulier au problème de la RHF
(Restauration Hors foyer). La première phase initiée par Monsieur
Vasseur avait été certes excellente. Je crois que nous avons des
propositions supplémentaires à faire.
M. Pierre Chevalier
- Il est peut-être envisageable de modifier ou
d'adapter le document d'accompagnement des bovins que nous avons appelé
depuis 1996 la carte d'identité ou le passeport afin que ce soit
davantage compréhensible par les Français. Nous pouvons
peut-être également envisager de modifier le livret de
santé. A titre personnel, je n'y suis pas opposé. Sur le plan
technique, des instituts ont travaillé sur la modernisation des boucles.
M. le Rapporteur
- C'est juste une proposition que je souhaite faire au
terme de cette commission d'enquête. Il me semble, en effet, qu'il
pourrait exister une autre approche.
M. Pierre Chevalier
- L'harmonisation communautaire nous a conduit
à tendre vers la suppression du tatouage. Cette mesure rend plus
difficile la tâche des abattoirs qui rencontrent des problèmes de
lisibilité. Jusqu'à aujourd'hui, les boucles ont prévalu.
Si nous pouvions installer une puce électronique sur chaque bovin, la
lisibilité serait meilleure. Dans ce domaine, nous avons mené des
recherches sur le cheval. Cependant, la recherche n'a pas encore donné
satisfaction. Néanmoins, il est évident qu'une telle mesure
pourrait amener davantage de transparence. Après la gestion de
l'inventaire du cheptel, nous vivons une évolution même si
celle-ci est relativement lente. Avec l'essor d'Internet dans les
exploitations, dès qu'un animal naît, il est possible de
l'enregistrer directement au fichier central départemental
lui-même connecté au fichier national. Ainsi, il est possible
d'avoir un inventaire de cheptel géré en temps réel.
Certes, toutes les exploitations ne disposent pas de cette technologie et
peut-être ne pouvons-nous pas le mettre rapidement en place dans les
fermes. De toute façon, pour que le système soit plus
transparent, nous sommes disposés à étudier toute
proposition.
Concernant la traçabilité et l'étiquetage, il est
nécessaire d'introduire la plus grande transparence possible dans la
RHF. Il est certain que nous ne pourrons restaurer la confiance du consommateur
tant que des mesures ne seront pas prises. Dans les cantines, comment
restaure-t-on la confiance des parents d'élèves ? C'est en
disant que l'on fera manger de la viande de la région. De plus, dans la
RHF on ne trouve pas toujours les produits qui incitent à manger plus de
viande. Nous pourrions hausser la qualité de la viande. J'espère
que le retrait des animaux de plus de 30 mois se fera d'abord par ceux qui ont
la moindre qualité gustative. Je souhaite que de cette crise nous
puissions ressortir par le haut.
M. Paul Blanc
- Que proposez-vous pour suivre la
traçabilité des steaks hachés ?
M. Pierre Chevalier -
Il faut procéder de la même
façon en hissant la qualité vers le haut. Le sénateur du
Luart devrait demander aux industriels de son département de rehausser
la qualité des produits hachés qu'ils fabriquent.
M. le Président
- Tout dépend de quels industriels vous
voulez parler. Les industriels sont les mêmes dans l'Allier et dans la
Sarthe. Certains de ces industriels ont travaillé correctement.
M. Pierre Chevalier
- Lorsque les industriels importent de la viande
bovine en provenance d'Espagne, lorsque la moelle épinière n'est
pas retirée des carcasses, je pense que la viande ne devrait même
pas franchir la frontière. Certes, ce n'est pas la faute de l'entreprise.
M. Pierre Fouillade
- Je souhaitais ajouter un mot sur la
traçabilité et sur l'harmonisation des DAB. Une étude est
actuellement menée dans ce sens. C'est le projet IDEA. Je me tiens
à l'entière disposition de la commission d'enquête pour
vous fournir des informations à ce sujet.
M. le Président
- Le fait que les éleveurs soient les
victimes de cette crise m'inquiètent. Je crains que demain les
éleveurs soient victimes d'un autre scandale et que vous vous retrouviez
à nouveau impuissants face à la situation. Il est
nécessaire de faire un travail en amont pour être certain de la
sécurité de l'alimentation.
M. Pierre Chevalier
- Aujourd'hui, je suis présent en tant que
représentant de la FNB. Toutefois, on peut dire que l'ensemble de la
filière est victime. Certaines entreprises qui emploient 300
salariés se retrouvent dans l'obligation de mettre 250 personnes au
chômage technique. Pourtant, ce type d'entreprises contribuent grandement
au fonctionnement de l'économie rurale. Aujourd'hui, toute
l'économie rurale - artisans, commerçants, professions
libérales - est affecté. Si des agriculteurs viennent à
disparaître, nous ne pourrons plus mener la même politique
d'aménagement du territoire dans nos communes rurales. Cette situation
est d'autant plus dramatique que le secteur de l'élevage se situe
essentiellement dans des zones de faible densité de population.
M. le Président
- Je vous remercie de votre présence et de
votre témoignage.
Audition de M. Laurent SPANGHERO
Président de la
Confédération des entreprises bétail et viande
(CEBV)
(13 décembre 2000)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Spanghero, vous
êtes président de la Confédération des entreprises
bétail et viande (CEBV). Vous êtes auditionné dans le cadre
de la commission d'enquête du Sénat sur les farines animales.
Cette audition se fait sous serment. C'est pourquoi je vais être
obligé de vous lire le texte rituel. Puis, je vous demanderai de bien
vouloir jurer que vous direz toute la vérité, rien que la
vérité.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Spanghero.
M. le Président
- Je vais dans un premier temps vous demander de
parler du problème tel que vous le vivez. Ensuite, nous passerons la
parole aux sénateurs afin qu'ils puissent vous poser des questions.
M. Laurent Spanghero
- J'ai eu l'honneur de rencontrer Monsieur le
Premier ministre hier pour lui exposer les difficultés que rencontre la
filière. Je peux laisser à votre disposition quelques documents
que je lui ai remis.
Les transformateurs et les abatteurs se trouvent au milieu de la filière
bovine. Nous vivons une période que nous avions jamais vécu
jusqu'alors. Je travaille dans ce secteur depuis trente ans. J'emploie 600
personnes. Aujourd'hui, nous enregistrons des baisses d'activité qui
vont jusqu'à 70 %. Il est presque difficile d'imaginer avoir des
baisses aussi brutales. Je pense que la période du 4, 5 et 6 novembre
2000 a été fatale pour la filière avec plusieurs
étapes. La première fut la décision des maires de retirer
la viande bovine des cantines. Cet événement fut
extrêmement important. La deuxième étape dut
peut-être l'émission diffusée sur M6. Ce programme fut en
effet catastrophique d'autant plus que cette émission contenait beaucoup
de contrevérités. Une troisième phase serait
peut-être encore quelques paroles malheureuses déclarées
par Madame le ministre de la Santé qui a affirmé qu'il y aurait
quelques dizaines de morts. Tous ces éléments se sont
additionnés et ont renforcé le sentiment de méfiance des
consommateurs.
Il faut reconnaître qu'aujourd'hui les consommateurs n'ont plus confiance
dans la viande. Au moins une personne sur deux est aujourd'hui très
préoccupée par la qualité de la viande. Nombreux sont ceux
qui ne souhaitent pas consommer de boeuf tant que la situation reste ce qu'elle
est aujourd'hui. Je pense que nous aurons beaucoup de difficultés
à retrouver les volumes que nous avons connus auparavant. Nous aurons
des difficultés à revenir à 80 ou 85 % de ce que nous
avons connu antérieurement. Aujourd'hui, nous ne trouvons pas dans une
crise de surproduction. Nous sommes dans une crise de consommation. La perte de
la consommation est au minimum de 20 % sur les huit derniers mois. Ces
pertes sont, bien entendu, dramatiques pour la filière.
Je souhaite vous rappeler que la filière viande représente 100
milliards de francs de chiffre d'affaires. Elle emploie 65 000 personnes. Si
nous perdons 20 % de chiffre d'affaires, nous risquons de nous
séparer de 20 % de notre personnel. L'aménagement du
territoire est également en cause. Les 350 ou 400 entreprises qui
représentent ce secteur sont réparties sur l'ensemble du
territoire. Il y a 350 abattoirs et 1 400 marchands de bestiaux sans compter
les éleveurs. Aujourd'hui, les acteurs de la filière les plus
touchés ne sont pas paradoxalement les éleveurs puisque tant que
ces derniers n'ont pas vendu ils ne savent quelle est l'ampleur de leurs
pertes. En ce qui nous concerne, depuis le début de la crise, nous
savons ce que nous perdons. Un de mes collègues perd entre 8 et 9
millions de francs par semaine. En ce qui me concerne, je perds entre 500 000
et 600 000 francs par semaine. Cette crise dure depuis sept semaines. Nous ne
pouvons pas continuer ainsi.
J'ai donc expliqué au Premier ministre ces propos. Ce dernier n'avait
peut-être pas appréhendé aussi largement l'ampleur de cette
crise. Aujourd'hui, cette crise n'est plus seulement française. La
France, à cet égard, semble avoir joué le rôle d'un
pyromane puisque aujourd'hui cette crise s'est étendue à
l'ensemble de l'Europe. Les baisses de consommation enregistrées en
Italie ou en Espagne sont encore plus importantes que ce qu'elles ne sont en
France. Nous avons quasiment perdu définitivement le marché grec
alors qu'il s'agit d'un important marché.
Nous sommes extrêmement pessimistes. Nous savons qu'il va y avoir des
solutions de stockage public et de la destruction de viande. Hier, Bruxelles a
décidé de l'élimination de 500 000 tonnes de viande de la
communauté. C'est donc un énorme gâchis.
Par ailleurs, le principe de précaution mis en place a, à
certains égards, été poussé trop loin, selon moi.
La France est le seul pays en Europe à avoir supprimé les ris de
veau. Il paraît anodin de se focaliser sur ce seul morceau. C'est un
produit noble qui fait partie de notre gastronomie. En supprimant les ris de
veau, nous avons dévalorisé tout ce qui touche à la viande
de veau. Les pertes sont aujourd'hui de 300 à 400 francs par animal. Or
nous avons 1,9 million de veau en France. Sur un seul lot d'élevage de
cinq mois, il en coûte 250 millions à la filière. Qui va
payer cette somme ? Personne ne peut me répondre. C'est un
énorme gâchis pour la seule raison que l'AFSSA a
décidé d'appliquer le principe de précaution sachant que
nous n'avons jamais trouvé de prion dans le ris de veau.
J'essaie en tant que président de la Confédération de
plaider la cause de notre profession auprès des autorités
publiques. Le ris de veau est quelque chose qui me tient à coeur.
Personnellement, je suis producteur de 20 000 veaux par an. Le retrait des ris
va me coûter entre 5 et 6 millions de francs pour une année
pleine. Dans ces conditions, comment voulez-vous qu'une entreprise puisse
supporter une telle perte ?
Nous savons, depuis 1988, qu'il y avait des problèmes avec les farines.
Au mois de juillet 1989, le ministre de l'Agriculture, Henri Nallet, avait
tenté une première fois d'interdire les farines animales en
provenance d'Angleterre. Il n'y était pas parvenu mais il avait
néanmoins réussi à obtenir des dérogations. Les
faines animales qui provenaient d'Angleterre en 1989 étaient uniquement
autorisées pour l'alimentation des volailles et des porcs.
Néanmoins, nous ne sommes pas certains de ce qu'ont fait ensuite les
fabricants de farines.
En 1990, est appliquée l'interdiction totale des farines animales pour
l'alimentation des bovins. A la date du 1er janvier 1993, naît le
marché unique, c'est-à-dire la liberté de circulation des
biens et des personnes. Les farines animales sont donc rentrées en
France par des voies détournées. La Belgique a joué, dans
cette affaire, le rôle d'une plaque tournante. C'est par
conséquent entre 1993 et 1995 que l'on retrouve les animaux les plus
infectés dans nos élevages. Avec certains de mes
collègues, nous pensions qu'il ne faudrait pas introduire les animaux
nés entre 1993 et 1995 dans la chaîne alimentaire. Dès le
1er janvier 2001, les animaux seront testés.
Au mois de mars 1996, lors de la première crise de la vache folle et de
l'embargo, la fédération a porté plainte contre les
fabricants d'aliments. Nous avons été entendu le 7
décembre 2000, soit quatre ans et demi après ! On nous dit que,
compte tenu du surcroît de travail, il n'était pas possible de
traiter le dossier plus rapidement. Il est inconcevable que la procédure
ait été aussi longue.
A l'époque, je reste persuadé que cette catastrophe aurait pu
être évité avec un peu plus de précaution.
Aujourd'hui, a contrario, nous sommes peut-être allés trop loin
dans le principe de précaution. En 1992 sachant qu'ils avaient une
épidémie, les Anglais ont décidé de ne plus mettre
sur le marché des viandes avec os. Ils ont alors désossé
la viande chez eux. Ainsi, les importateurs de viande anglaise, dont je faisais
partie, étaient dans l'obligation à partir de 1992 de n'importer
que des viandes désossées qui ne convenaient pas à notre
activité. A partir de ce moment-là, nous avons
décidé d'arrêter d'acheter de la viande anglaise. C'est ce
qu'ont fait également les Allemands. Aucun embargo n'a été
établi entre l'Allemagne et l'Angleterre. Il y a eu un arrêt
d'achat de facto qui équivalait à un embargo mais qui
n'était pas officiel.
Les étapes de la crise sont essentielles. La déclaration d'Henri
Nallet date de 1989. En 1992, les Anglais interdisent d'acheter de la viande
avec os. En 1993, est lancé le Marché Unique. Toutes ces dates et
événements concordent avec ce qui se passe aujourd'hui. Les
farines animales sont manifestement en cause. Des malfaçons ont
été faites dans la filière de production de farines. Les
éleveurs et les transformateurs sont victimes de cette affaire.
M. le Rapporteur
- Au sein de votre entreprise, les dernières
mesures sanitaires imposées par les pouvoirs publics vous ont-elles
posé des problèmes techniques ? Par ailleurs, que
pouvez-vous nous dire sur l'utilisation de graisse dans la fabrication de
viande hachée ?
M. Laurent Spanghero
- Le retrait des matériaux à risque a
été fait de façon sérieuse. Certes, la situation
est certainement beaucoup plus compliquée dans un petit abattoir que
dans un abattoir moyen ou grand. Les très gros abattoirs en France
traitent 50 à 60 000 tonnes. Les abattoirs moyens traitent des volumes
de 10 à 15 000 tonnes. Moins de 200 abattoirs font mois de 5 000 tonnes.
Les petits abattoirs peuvent parfois poser problème dans la mesure
où les contrôles vétérinaires ne peuvent être
faits de façon aussi assidue qu'ils ne le sont dans les abattoirs
moyens. Dans certains abattoirs, les vétérinaires sont
vacataires. Ceci pose également le problème des abattoirs
dérogataires. C'est le cas de 30 ou 40 abattoirs en France. Ces derniers
ne sont pas aux normes sanitaires mais bénéficient d'une
dérogation avant de pouvoir se soumettre aux normes en vigueur. De
façon générale, je pense que les matériaux à
risque ont été bien appréhendés. En revanche, dans
les autres pays européens, la situation est différente. Les
matériaux à risque n'y sont interdits que depuis quelques
semaines. En Espagne, les contrôles ne sont pas effectués de
façon aussi rigoureuse qu'en France.
Le steak haché est aujourd'hui mis au pilori. M6 en a d'ailleurs fait
son cheval de bataille. Il faut absolument faire la différence entre le
steak haché et les préparations à base de viande
hachée. Le steak haché pur boeuf est un produit fait à
partir de muscles. La graisse qu'il contient est entièrement naturelle.
Les mélanges, quant à eux, sont faits à partir de muscles
plus ou moins gras ce qui permet d'obtenir des teneur en matières
grasses différentes. En revanche, il n'y a aucun ajout de graisses
autres dans les steaks hachés consommés frais.
Concernant les préparations à base de viande dans lesquelles nous
pouvons incorporer des matières d'origine végétale, la
législation n'était pas suffisamment rigoureuse. Je ne dis pas
que les produits qui entraient dans la composition de ces préparations
n'étaient pas propres à la consommation. En revanche, je souhaite
que nous soyons davantage rigoureux de telle sorte que les produits soient bien
mieux identifiés. Dans les préparations hachés à
base de viande, nous devons savoir quels sont les ingrédients qui
entrent dans la composition en dehors de la viande de boeuf.
M. le Rapporteur
- Concernant la préparation de steak
haché, nous avons entendu parler, à une certaine époque,
de la fabrication par extraction mécanique. Quel était le
pourcentage éventuel de steak hachés fabriqués suivant ce
procédé ?
M. Laurent Spanghero
- Il s'agit de viande séparé
mécaniquement (VSM). Ce procédé était
utilisé à l'époque beaucoup plus fréquemment pour
la volaille que pour le bovin. A partir d'os et de carcasses obtenus
après désossage, il s'agissait de mettre les carcasses dans un
appareil qui extrayait les protéines de viande. Nous obtenions ainsi une
viande très fine. Cette viande séparé mécaniquement
était ensuite incorporée dans les steaks hachés
surgelés. En effet, elle ne pouvait être introduite dans les
produits frais. Il est possible que quelques fabricants aient émis 5
à 10 % de ces VSM dans les steaks hachés. Cette pratique est
aujourd'hui interdite.
M. le Rapporteur
- De quand date cette interdiction ?
M. Laurent Spanghero
- Je pense que la décision a
été prise dans les années 1990 ou 1992. Néanmoins,
je ne peux vous affirmer la date exacte. Aujourd'hui, deux groupes de travail
réfléchissent sur le steak haché. Nous souhaitons
davantage de clarté dans la fabrication du steak haché puisque
c'est un produit noble. En effet, c'est un produit valorisant pour l'ensemble
de la carcasse dans la mesure où peu de personnes consomment de la
viande à bouillir ou de la viande à braiser. Le steak
haché valorise ainsi ce type de morceaux. Nous avons cassé
l'image du steak haché. Il a été dit qu'on avait
trouvé des esquilles d'os dans le steak hache alors que c'est totalement
faux.
M. le Rapporteur -
Quelle proposition feriez-vous en matière de
traçabilité sur le steak haché ?
M. Laurent Spanghero
- Selon moi, il faut tout d'abord identifier
l'origine du produit et savoir de quel animal il provient. Je crois que le
Premier ministre va encore préciser, ce soir, comment nous allons
renforcer l'étiquetage. Il s'agit de préciser la
catégorie, l'origine, peut-être même le type racial. Il faut
surtout que le steak haché ne soit fait qu'à partir du muscle. Il
n'est pas possible d'incorporer dans un produit frais autre chose que de la
viande de boeuf. La seule autorisation est le droit d'y incorporer 1 % de
sel. La plupart des fabricants ne se servent pas de cette autorisation. Dans
tous les cas, nous devons respecter un cahier des charges très
précis mais transparent afin que tout le monde sache ce que nous devons
respecter.
Le steak haché a également été mal
considéré car les Anglais ont des habitudes que les
Français n'ont pas. Les Anglais incorporaient de la cervelle de boeuf
dans le steak haché. Cette cervelle a été le vecteur de la
maladie en Angleterre. Jamais nous n'avons fait de tels mélanges en
France. En revanche il est autorisé de mettre certains abats notamment
du coeur de boeuf qui est un muscle dans la composition du steak. Il
nécessaire de le dire. Nous sommes en faveur d'une plus grande
transparence et clarté dans la traçabilité du steak
haché.
M. le Président
- En France, nous n'avons jamais rajouté
d'abats de type cervelle dans le steak haché. Le confirmez-vous ?
M. Laurent Spanghero
- En France, cela ne s'est jamais fait. Cette
méthode de préparation relève d'une tradition culinaire
britannique.
M. le Président
- Dans les hamburgers, aucun rajout n'est
opéré non plus.
M. Laurent Spanghero
- Non, M. le Président. Dans le hamburger,
les fabricants sont uniquement autorisés à ajouter des
protéines d'origine végétale et quelques abats comme le
coeur de boeuf. Je crois néanmoins qu'il faut bannir ces pratiques
aujourd'hui afin que notre système soit davantage transparent. Moins il
entrera d'ingrédients dans la composition d'un produit, plus il sera
facile d'établir sa traçabilité. Je demande donc à
ce que seule la viande de boeuf pur muscle entre dans la composition du steak
haché.
M. Gérard César
- Quel est votre point de vue pour
relancer la consommation ? Vous avez fait un état des lieux de la
situation passée. Aujourd'hui, pour redonner confiance aux
consommateurs, que faut-il faire ?
Par rapport aux contrôles qui deviendront obligatoires à partir du
1er janvier 2001, disposons-nous en France des moyens pour exécuter et
suivre ces contrôles avec toute l'efficacité requise ?
En outre, comment envisagez-vous la modification des appels d'offre sachant
que, pour les grandes collectivités, il est nécessaire de faire
des appels d'offres européens qui n'apportent pas la garantie de la
traçabilité des produits ?
M. Laurent Spanghero
- J'estime que la consommation ne peut que remonter
car nous aurions grand peine à descendre plus bas. Hier, le Premier
ministre nous a demandé notre opinion sur les tests. J'ai répondu
qu'il s'agissait du dernier joker dont nous disposions et qu'il fallait
s'empresser de l'utiliser. Il peut être utilisé comme un
élément servant à restaurer la confiance du consommateur.
Je regrette que les médias aient mal traduit le commentaire
formulé par l'AFSSA hier. Ces médias ont affirmé qu'une
fois de plus nous avions eu des animaux malades dans la chaîne
alimentaire alors que c'est faux. Or le professeur Brugère-Picoux ainsi
que d'autres spécialistes ont affirmé que le muscle
n'était pas atteint. Par ailleurs, les tests sont un
élément supplémentaire. C'est la raison pour laquelle nous
souhaitons que les contrôles soient accélérés.
De plus, nous devons absolument lever la suspicion sur le steak haché.
C'est un élément capital. Il faut donc fournir des efforts
importants, établir un cahier des charges draconien et communiquer afin
de réellement relancer la confiance. Le steak haché est
consommé par les enfants, par les vieillards et par des malades.
La troisième chose est que nous devons améliorer la
qualité de nos produits. Nous ne pouvons pas obtenir de la bonne viande
avec de vieux animaux. La bonne viande ne provient pas nécessairement
d'un animal très jeune. Une viande est meilleure lorsqu'elle vient d'un
animal de quatre ou cinq ans bien maturé. Nous devons revenir aux
règles de base et aux fondamentaux de notre métier. Nous devons
proposer à nos consommateurs des viandes de qualité. Il faut que
les consommateurs retrouvent le plaisir de manger de la viande de boeuf.
A partir de ces trois éléments, il me semble que nous pourrons
regagner la confiance des consommateurs. La traçabilité n'est pas
suffisante pour le consommateur. Ce dernier veut savoir un certain nombre de
choses. Il ne cherche pas à savoir si l'animal a été
élevé par Monsieur Dupont ou Monsieur Dubois. En revanche, il
souhaite savoir ce qu'elle a consommé, connaître son origine ainsi
que d'autres éléments clairs et pratiques que le consommateur
puisse comprendre facilement. Il serait alors nécessaire de simplifier
la carte de l'animal et de l'expurger de tous ces numéros de
référence d'abattoirs qui ne servent à rien. Il faut
uniquement que le consommateur puisse identifier le produit.
Concernant les appels d'offre des collectivités, je serai assez
sévère. Les collectivités ont amené la
filière à proposer des viandes qui sont indignes de notre pays.
Tout ce qui était le moins bon dans la filière viande partait en
direction des hôpitaux et des écoles. Cette situation n'est pas
acceptable. Pourquoi sommes-nous arrivés à cette situation
déplorable ? C'est parce qu'on nous demandait des viandes toujours
moins chères. Je l'ai dit aux maires. Il est nécessaire
d'être sérieux. Nous ne pouvons pas offrir une viande de
qualité à un prix très bas. Il est
préférable de donner moins de viande par semaine mais de donner
de bons produits. Il faut reconnaître que c'était les animaux les
moins bien engraissés qui étaient donnés aux vieillards,
aux malades, aux enfants et aux militaires.
Par conséquent, nous devrions peut-être préciser dans le
cahier des charges que les viandes doivent venir de la région. Elles
doivent être de telle qualité.
Enfin, ,je souhaite rappeler que dans une viande de qualité, il y a
trois critères fondamentaux : l'âge, l'état
d'engraissement et la maturation. Un fruit ou un fromage par mûrs ne sont
pas bons à manger. La viande respecte la même loi. Je rappelle que
la maturation est en fait le délai qu'il convient de respecter entre le
moment de l'abattage et la consommation. Ce délai doit normalement
être compris entre 12 et 14 jours. Ce délai n'est plus
respecté aujourd'hui. Les bouchers respectaient même ce
délai au-delà puisqu'ils laissaient maturer la viande
jusqu'à 21 jours. Aujourd'hui, même l'artisan boucher actuel ne
respecte plus ce délai.
M. le Président
- Je crois qu'il est nécessaire de
préciser ce point. Dans l'esprit du grand public, la qualité
d'une viande est liée à sa fraîcheur. C'est faux. Il faut
donc bien préciser ce que vous entendez par maturité. A la
différence du poisson, la viande est meilleure si nous respectons un
délai raisonnable entre l'abattage et la consommation.
M. Laurent Spanghero
- Nous avons mis beaucoup de temps à
convaincre les pouvoirs publics qu'il fallait mener des tests
systématiques. Depuis un mois et demi, nous avons
répété constamment au ministère de l'Agriculture,
à la DGL et à la DPEI qu'il fallait accélérer les
tests. Les tests ont été déclenchés, il y a
à peine dix jours. Maintenant, en vingt jours nous devons faire ce que
nous aurions pu réaliser en trois mois. Une course de vitesse est
lancée d'ici le 2 janvier 2001. Heureusement, nous avons treize
laboratoires agréés et trois ou quatre laboratoires privés
en construction ainsi qu'une vingtaine de laboratoires privés qui sont
susceptibles d'être agréés en quelques jours. Nous
disposons également d'une partie du personnel préalablement
formés pour réaliser les tests. Je pense que nous pourrons
démarrer au 2 janvier. Cependant, il faudra que les entreprises
vétérinaires comme les entreprises se mettent à jour pour
que les contrôles se fassent efficacement.
Par ailleurs, les tests ont également un coût non
négligeable. Verser 500 francs par animal est dérisoire.
Nous abattons deux millions d'animaux en France tous les ans, voire davantage.
Qui va payer ces pertes ? L'Europe versera 100 francs par animal, soit 15
euros. Il en manquera encore. La filière ne dispose pas des moyens
d'investir dans les tests. Au-delà des problèmes de
fonctionnement, il existe également un problème lié au
coût.
M. le Président
- Vous avez réclamé à cors
et à cris des tests. Connaissez vous cependant leur limite ?
N'est-ce pas un moyen de vous donner bonne confiance sans mesurer l'ampleur des
risques ?
M. Laurent Spanghero
- Dans la mesure où la période
d'incubation de ce prion est de quatre ou cinq ans, le test ne pourra pas
déceler le prion au tout début de la maladie. Toutefois, les
scientifiques s'accordent sur le fait que le test est valable pour les animaux
jeunes de moins de trente mois ou moins de 24 mois. Il y a aujourd'hui
2 pour mille animaux testés malades ou morts de mort naturelle.
Lorsque nous allons rentrer dans le schéma de tests
systématiques, les résultats vont être infimes. Nous allons
ainsi encore éliminer un certain nombre d'animaux qui seraient
aujourd'hui dans la chaîne alimentaire.
Nous allons également éliminer toutes les farines animales.
J'avoue, à titre personnel, que c'est une hérésie de
supprimer toutes ces protéines. Aujourd'hui, nous retirons tous les
matériaux dits à risque pour tous les bovins même pour les
animaux de moins de 30 mois. Les cervelles, les rates, les moelles
épinières et les intestins sont systématiquement
retirés y compris pour le veau. Aujourd'hui, le test et le retrait des
matériaux à risque font que nous bénéficions d'une
sécurité optimale sur nos produits.
M. Paul Blanc
- Nous pouvons être assuré de la
traçabilité de l'éleveur jusqu'à l'abattoir.
Peut-on assurer cette traçabilité de l'abattoir jusqu'à
l'étal du boucher ? Cette question est d'autant plus importante du
fait qu'un boucher ne consomme pas une bête entière mais que les
morceaux de l'animal sont disséminés chez les uns et les autres.
Dans la mesure où les morceaux d'un même animal sont
disséminés, pouvez-vous assurer qu'une traçabilité
existe de l'abattoir à l'étal du boucher ?
M. Laurent Spanghero
- Aujourd'hui, notre système de
traçabilité, mis en place depuis deux ans et demi voire trois ans
dans les entreprises, va jusqu'au steak et non pas uniquement jusqu'à la
cuisse de l'animal. Aujourd'hui, nous sommes capables, à partir d'un
steak, de savoir d'où vient l'animal. Je n'affirme pas que ce
système de traçabilité est fiable à 100 % dans
tout le pays. Néanmoins, nous pouvons nous féliciter
d'avancées très significatives dans la mesure où nous
sommes le pays en Europe le plus avancé dans ce domaine. Lorsque
l'animal part en morceaux, il comporte au minimum huit étiquettes. Nous
sommes en mesure de découper l'animal en huit morceaux. Dès le
moment où il est dépecé en steak ou en rôtis, nous
garantissons une traçabilité par lot. Cette dernière est
parfaite. Je pense que nous ne devons pas avoir de doute sur la
traçabilité. Nous sommes en avance dans ce domaine.
M. Paul Blanc
- Ce type de mesures me paraît être un
élément fondamental permettant de rétablir la confiance.
M. Laurent Spanghero
- Vous avez tout à fait raison.
Paradoxalement, parmi les 17 ou 18 000 bouchers existant en France, à
peine un tiers d'entre eux, voire un quart ont une traçabilité
alors que les supermarchés et les hypermarchés sont beaucoup
mieux tracés. Nous ne pouvons pas livrer un kilogramme de viande dans un
hypermarché sans traçabilité. En effet, dans ce cas, la
barquette de viande nous serait renvoyée. Le boucher, quant à
lui, vend sa viande.
M. Paul Blanc
- Il y a quand même un effort à faire au
niveau des détaillants.
M. Laurent Spanghero
- C'est la raison pour laquelle j'ai
précisé que la situation n'était pas parfaite partout.
Aujourd'hui, les détaillants représentent 15 à 18 %
de la masse de viande vendue en France. Toutefois, c'est avec ces derniers que
nous rencontrons le plus de difficultés dans la mesure où ils
sont plus indépendants.
M. Paul Blanc
- C'est la raison pour laquelle je vous ai demandé
si la traçabilité était applicable jusqu'à
l'étal du boucher.
M. Laurent Spanghero
- La possibilité de tracer les viandes
existe. Toutefois, ceci dépend aussi de l'artisan boucher qui doit
ensuite faire son travail.
M. Bernard Cazeau
- Je crois que la traçabilité est
véritablement essentielle. Vous parliez du cas du veau, il y a un
instant. Avec le ministre de l'Agriculture, j'ai eu l'occasion, il y a trois
jours de faire le tour des éleveurs de mon département, la
Dordogne, en particulier pour les veaux de lait élevés sous la
mère pour lesquels il y a une traçabilité très
élevé depuis de nombreuses années. Contrairement à
ce que vous disiez précédemment, lorsque l'on sait que c'est la
viande de Monsieur Dupont qui se retrouve dans la boucherie de Monsieur Durand,
la traçabilité est meilleure.
Dans cette filière, il n'y a pratiquement pas, au moins dans mon
département, de diminution de vente de la viande. Comment peut-on suivre
la traçabilité du steak haché industriel ? Par
ailleurs, comment peut-on faire penser aux consommateurs que cette
traçabilité est véritablement sans faille ? C'est, en
effet, la confiance qui relancera la consommation. Je ne veux pas vous
inquiéter outre mesure. Néanmoins, je me demande si le steak
haché industriel continuera d'être acheté. Peut-être
qu'à l'avenir les consommateurs tendront à hacher le steak par
eux-mêmes. Peut-être que le steak haché est condamné
à moins de ne parvenir à rétablir cette confiance. Je
pense qu'il faut aller plus loin dans la traçabilité. Il ne
suffit plus de dire si la viande vient d'Auvergne ou de Dordogne ou des
Pyrénées. Mais les consommateurs veulent savoir d'où vient
la viande.
M. Laurent Spanghero
- Je souhaite ajouter quelques chose que peu de
gens savent. Les Néo-zélandais sont certainement les meilleures
entreprises du monde dans le domaine du mouton. Les Danois et les Hollandais
sont sans doute les meilleures entreprises dans le domaine du porc. Les
Français sont les meilleures entreprises du monde dans le domaine du
boeuf. Je peux vous inviter un jour à visiter les entreprises qui
produisent du steak haché. Vous serez étonné par les
lieux. Je pense que vous êtes moins exigeants à l'égard de
l'hôpital où vous vous faites soigner qu'ils ne le sont dans leurs
usines. Je connais deux entreprises où l'on fabrique du steak
haché dans lesquels avant de rentrer dans la salle de production il est
nécessaire de se doucher.
Aujourd'hui, on jette le discrédit sur l'industrie de la viande. Or la
fabrication est réellement faite dans des conditions optimales.
L'artisan boucher ne fait pas mieux. Je ne dis pas non plus qu'il fait moins
bien. Le steak haché est certes un produit fragile du moment où
on hache beaucoup la viande. Il faut par conséquent que la viande soit
fraîche. Le boucher fait encore du steak haché avec de la viande
qui date de quatre ou cinq jours. Pour le steak haché industriel, la
viande n'est conservée que pendant 24 heures. La viande est
hachée et vendue immédiatement et mise sous emballage
contrôlé. Sur le plan de la microbiologie et de l'hygiène,
il n'y a rien à dire. En revanche, les entreprises souffrent de la
mauvaise image de marque de l'industrie.
M. Bernard Cazeau
- Je ne doute pas des conditions d'hygiène de
ces usines. J'ai pour ma part visité plusieurs entreprises de ce type.
En revanche, la plupart des consommateurs n'ont pas visité ces usines.
Les consommateurs veulent une traçabilité et souhaitent
peut-être connaître la traçabilité de Monsieur Dupont
à Monsieur Durand.
M. Laurent Spanghero
- Dans des situations de psychose comme c'est le
cas aujourd'hui, la traçabilité de Dupont à Durand
fonctionne. C'est pour cette raison que certains bouchers n'enregistrent que 5
à 15 % de baisse d'activité par rapport à la chute
des ventes de 30 à 40 % que l'on enregistre dans les grandes
surfaces.
La graduation des pertes de chiffre d'affaires suivant les lieux de vente est
la suivante. La restauration hors foyer enregistre une baisse de 60 %. En
hypermarchés, ce chiffre est de 45 à 50 %. En
supermarché, la baisse est de l'ordre de 40 %. Dans les
supérettes, les pertes sont de 30 %. Quant aux artisans bouchers,
leurs pertes sont de l'ordre de 10 à 15 %. Paradoxalement, la
restauration commerciale n'a enregistré qu'une baisse de l'ordre de 15
à 20 %. Un restaurant spécialisé comme Hippopotamus
n'a perdu que 20 % de son chiffre d'affaires. Pourtant il ne vend que de
la viande. C'est parce que les consommateurs font confiance à ce
restaurant et à son mode d'approvisionnement. Autrement dit, il s'agit
uniquement d'un problème de confiance et de suspicion.
M. le Président
- Je vous remercie. Certes, les chiffres que vous
nous avez fournis nous affolent tous et nous comprenons à quel point la
profession ainsi que toute la chaîne agroalimentaire est touchée.
C'est le cas en particulier de la profession que vous représentez. Je
vous remercie de nous avoir consacré une partie de votre temps. Sachez
que nous ferons le maximum pour vous apporter, à notre niveau, le plus
de possibilités possibles.
M. Laurent Spanghero
- M. le Président, j'ajouterai que je
souhaiterais que vous preniez en compte notre demande dans la mesure où
nous nous trouvons réellement en difficulté. Je ne souhaite pas
que l'on raye de la carte des pans entiers de notre économie qui sont
également des éléments de l'aménagement du
territoire.
M. le Président
- Nous sommes tous des élus de terrain.
Par conséquent, nous avons tous un exemple de ce type dans notre
département.
Audition de M. François TOULIS,
Président de la
Fédération nationale de Coopératives bétail et
viande
(FNCBV)
(13 décembre 2000)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Toulis, je vous
remercie d'avoir répondu à notre convocation. Je rappelle que
vous êtes président de la fédération nationale des
Coopératives bétail et viande (FNCBV). Vous êtes entendu
dans le cadre d'une commission d'enquête du Sénat. Dans ces
commissions, les auditions sont faites sous serment. C'est pourquoi je vais
être obligé de vous lire le texte rituel. Puis, je vous demanderai
de bien vouloir jurer que vous direz toute la vérité, rien que la
vérité.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Toulis.
M. le Président
- Dans un premier temps, je vais vous laisser la
parole. Vous nous parlerez des conséquences entraînés par
la consommation des farines animales et de la propagation de cette
épidémie chez les bovins. Dans un second temps, je passerai la
parole à mes collègues qui souhaiteront vous poser des questions.
M. François Toulis
- Merci Monsieur le Président. Je vais
commencer par me présenter plus précisément. Je m'appelle
François Toulis. Je suis agriculteur dans l'Ariège et
éleveur de bovins. C'est à ce titre que je préside ma
coopérative «Synergie Bétail et Viande» qui s'occupe de
la mise en marché et du conseil aux éleveurs ainsi que du suivi
des éleveurs au niveau de la production sur les départements du
sud-ouest. En tant que président de cette coopérative, je suis
également président de la FNCBV qui regroupe environ 300
groupements de producteurs bovin, ovin et porcin sur l'ensemble de la France et
27 entreprises d'abattage à statut coopératif. Notre mission au
niveau national est la défense de l'intérêt de nos
adhérents. Nous entretenons beaucoup de relations avec les autres
acteurs de la filière ainsi qu'avec les pouvoirs publics.
Pour nous, 1996 a été le début de la catastrophe pour
l'ensemble de notre filière. En 1996, la crise se limitait au territoire
de la Grande-Bretagne. C'est la raison pour laquelle ce pays avait rapidement
été isolé. La France s'est ainsi trouvée dans une
situation un peu protégée par rapport au reste de l'Europe
puisque notre fédération comme l'ensemble de l'interprofession
nationale avait décidé de mettre en place la
traçabilité sur les produits pour que les consommateurs puissent
disposer de l'ensemble de l'information sur les viandes VBF (Viande Bovine
Française).
Nous travaillions déjà depuis quelques temps au niveau de
l'interprofession sur l'identification de la viande française,
identification qui n'était pas toujours bien vue au niveau communautaire
car elle était considérée comme une mesure protectionniste
par rapport aux autres pays. Lorsque la crise a démarré, nous
travaillions depuis quelques jours sur la recherche de logos. Lorsque la crise
a démarré en 1996, devant l'urgence de la situation, nous nous
sommes mis d'accord sur ces points de détail en dépit de nos
quelques désaccords. Ces mesures nous ont ainsi permis d'isoler la
France. Malheureusement, nous ne pouvions nous douter de ce qui allait se
passer par la suite. En effet, les événements de l'année
2000 sont beaucoup plus dramatiques pour nous puisque cette fois ci la crise
s'est étendue à l'hexagone et la consommation a dramatiquement
chuté.
Au niveau professionnel, nous déplorons que les mesures communautaires
n'aient pas été prises plus tôt. Il a fallu que nous soyons
en pleine crise pour que soit décidé notamment
l'étiquetage des viandes. J'avais été entendu par la
commission d'enquête de l'Assemblée Nationale. La famille
professionnelle s'était plaint du fait que Bruxelles repoussait les
mesures portant sur l'étiquetage à l'année 2001. ce retard
nous a énormément nui. Aujourd'hui, les viandes
identifiées, à savoir les viandes sous label ou sous signe
officiel de qualité, bénéficiant d'une certification d'un
organisme tiers et d'un contrôle de l'Etat et de la DGCCRF, sont les
seules viandes que nous sommes parvenu à vendre ces jours-ci sans une
chute trop importante des cours. Ceci me semble être important car il
faut aller plus loin, à mon sens, dans l'identification et la
traçabilité des produits. Il faut aller dans ce sens afin de
restaurer la confiance et d'assurer un suivi rigoureux.
Malheureusement, les événements récents ont
été irrationnels. Dans un abattoir de notre groupe, la SOVIBA, un
cas d'ESB a été décelé. Pourtant, cet
établissement avait mis en place des mesures de
traçabilité jusque dans le magasin au point d'installer une borne
de contrôle où le consommateur pouvait retrouver l'origine de
l'animal. Ce cas prouve que les organismes de contrôle ont correctement
fonctionné. Malheureusement, cet événement s'est
retourné contre nous puisque les conférences de presse qui ont
suivi ont eu un effet désastreux.
M. le Président
- Pouvez-vous nous rappeler
l'événement que vous évoquez ?
M. François Toulis
- Depuis que la crise a
redémarré, nous faisons subir un contrôle des animaux avant
l'abattage. Les vétérinaires contrôle les animaux en
bouverie. Un animal a été incorporé dans une bouverie et a
été détecté positif par le
vétérinaire inspecteur. Cet animal présentait des signes
particuliers de faiblesse. Il a isolé l'animal et l'a testé. Cet
animal n'est pas rentré dans la chaîne alimentaire. Effectivement,
il s'est avéré positif au contrôle du test. Nous testons,
depuis le mois de juillet 2000, soit des animaux morts en exploitation, soit
des animaux à risque détectés par des signes cliniques.
Cet animal est ressorti positif et a été isolé.
Néanmoins aux yeux de la presse et du grand public, il a
été dit qu'un animal malade était entré dans la
chaîne alimentaire. Quelques-uns de ses compagnons d'étable
avaient été tués cinq ou six jours avant et étaient
entrés dans le circuit après avoir passé le
contrôle. Par mesure de précaution et après discussion avec
les services vétérinaires et la DGAL, nous avons
décidé de rechercher cette viande. Nous avons pu grâce au
système de traçabilité rechercher cette viande jusque chez
les distributeurs. Pourtant ces animaux n'étaient pas atteints. Dans
l'état actuel des connaissances, le muscle n'est pas contaminant et les
matériaux à risque sont enlevés. Néanmoins, c'est
cet événement qui a déclenché la crise que nous
vivons actuellement et la médiatisation qui a été faite
autour. C'est cette médiatisation qui a contribué à
l'écroulement de toute notre filière.
J'ai rencontré Laurent Spanghero. Je suppose que celui-ci a dû
tenir le même discours que le mien. Nous enregistrons une baisse de
50 % de notre activité. Notre filière s'est
écroulée au niveau économique. Nous ne savons pas non plus
combien de temps sera nécessaire pour sortir de cette crise. Je crois
que la France avait pris une bonne décision en prenant des mesures
très sécuritaires en décidant de mener
40 000 tests. La France a mis en place cette mécanique
rigoureuse. Aujourd'hui, nous en payons le tribut alors que nous recensons
uniquement 200 cas de vaches malades. Rappelez-vous que l'Angleterre compte 180
000 cas. Elle en déclare 34 par semaine. En France, nous faisons des
contrôles et nous testons notre bétail beaucoup plus que dans
d'autres pays.
Même si nous ne connaissons pas tout. Nous savons que les farines
animales ont été un élément propagateur de la
maladie. Toutefois, la maladie ne vient pas des farines animales. Les farines
animales ont certes permis la propagation de la maladie. Cependant, l'origine
de la maladie ne vient pas des farines. De plus, nous ne connaissons pas
aujourd'hui tous les modes de transmission de la maladie. Des cas nous posent
question. Dans certaines régions ou dans certaines exploitations, nous
n'arrivons pas à comprendre l'origine de la maladie si nous ne remettons
pas en cause la bonne foi de l'exploitant.
Nous ne comprenons pas non plus les mesures d'abattage systématique de
tout le troupeau. Par mesure de sécurité, nous pouvons
décider de tuer tous les animaux. Toutefois, l'abattage
systématique nous enlève le suivi des animaux et l'étude
de la fratrie de l'animal malade. Peut-être que cette position sera revue
par les pouvoirs publics français. Peut-être que lorsque nous
mettrons en place le test systématique, nous ne courrons plus le risque
de laisser passer un animal malade. Cette mesure nous permettra peut-être
de laisser vivre les autres animaux du troupeau et nous permettra d'analyser
d'où vient la maladie et comment elle peut être transmise.
Certes, des vaches laitières sont contrôlées positives. Ces
animaux sont élevés de façon plus intensive. Nous avons
également des cas sur des vaches allaitantes y compris dans ma
région sur une vache limousine dans l'Aveyron. Des anciens exploitants
affirment qu'autrefois ils voyaient également des vaches trembler.
Toutefois, le suivi n'était pas le même. Il est évident que
l'alimentation a été un vecteur de propagation de la maladie.
Toutefois, nous ne connaissons pas l'origine exacte du mal. De plus, le risque
zéro n'existe pas.
Je pense que très peu d'agriculteurs ne donnent aucun
complémentaire. Dans la mesure où les farines de viande sont
interdites depuis 1990, elles ne doivent plus être donnés. Mais il
existe d'autres aliments complémentaires. En effet, très peu
d'exploitants ne donnent que de l'herbe, de la luzerne et du foin à leur
bétail. Nous réalisons 99 % de l'alimentation avec notre
ensilage de maïs et de la paille. Toutefois, une alimentation
complémentaire de tourteau et de minéraux est également
donnée. Quand une ration complémentaire est construite, il y a
toujours un peu d'aliments en plus utilisés pour faire le lien entre les
tourteaux et les minéraux. Ces éléments
supplémentaires sont issus des céréales. Nous avons la
crainte, compte tenu des contaminations croisées, qu'usine d'aliment
mélange les aliments bovin et avicole. Il était concevable qu'une
telle contamination soit possible. Toutefois, nous ne savons pas si une telle
contamination croisée était suffisante. Nous avons donc de
nombreuses incertitudes.
D'autres éléments nous inquiètent également.
Normalement, depuis 1996, les farines sont traitées correctement. Dans
les faits, elles l'ont peut-être été qu'à partir de
1998. Même dans l'hypothèse d'une contamination croisée
d'aliments, ce ne sont que des aliments sains qui auraient dû se croiser.
Les matériaux à risque ont été retirés. Les
nouvelles normes ont été respectées. Par
conséquent, il n'aurait pas dû y avoir de problèmes. Je ne
peux vous en dire plus. Tout comme vous, je me pose des questions. Je me
demande si seules les farines de viande sont responsables de cette
épidémie.
Aux yeux des scientifiques, il semble clair que les farines ont propagé
le mal. En revanche, l'origine de la maladie n'est pas encore clairement
définie.
Dans notre filière, notre travail est de commercialiser les animaux.
Nous représentons le premier maillon de la chaîne puisque nous les
collectons dans les fermes. Puis, nous les livrons soit à l'abattoir
soit à l'élevage pour être vendu ou exporté. Nos
coopératives abattent et transforment le produit. Notre
fédération a été pionnière sur la
traçabilité et sur la demande de l'étiquetage des viandes.
Nous espérons désormais qu'un suivi se mettra en place au niveau
de toute l'Europe.
Certaines choses nous restent en travers de la gorge. Il y a encore quelques
semaines, nous interdisions l'ensemble des farines animales en France.
Cependant, il n'était pas interdit d'acheter du porc hollandais qui
avait consommé des farines animales. Il existe des incohérences
qu'il est nécessaire de régler au niveau européen. Le
déclenchement de la nouvelle crise aura au moins eu le
bénéfice de faire avancer la réglementation communautaire
puisque toute l'Europe applique désormais la même
réglementation.
A mon sens, je ne suis pas sûr que l'interdiction des farines ait
été une bonne chose pour tous les animaux. Dans un lycée
agricole, le responsable de l'établissement faisait en sorte que tous
les déchets de la cantine aillent nourrir une portée de cochons.
Or on lui interdit désormais de le faire. Les morceaux de viande que les
enfants laissent dans leurs assiettes ne peut être donné aux
cochons ! J'ai l'impression que l'on marche sur la tête. Nous prenons
parfois des mesures trop extrêmes. Certes, sous la pression de l'opinion
publique, les responsables politiques sont dans l'obligation de prendre
certaines mesures. Je regrette néanmoins que nous en arrivions à
prendre des mesures extrêmes qui nous posent de sérieux
problèmes à nous tous. En effet, il faut aussi traiter tous les
sous-produits. Cette destruction induit un coût non négligeable.
C'est aussi une perte pour notre filière puisque ces produits
étaient auparavant recyclés. Nous ne pouvons même plus en
donner aux chiens et aux chats. Or devant une telle crise, nous devrions
plutôt garder la tête froide et ne pas en être réduit
à prendre des mesures ridicules. Des tests ont été faits
sur des volailles et sur des porcs pour leur faire ingurgiter de force de la
viande contaminée. Or je crois que les scientifiques n'ont jamais
réussi à le faire. Certes, ils ont réussi à
contaminer le cochon en lui inoculant directement le prion au niveau
cérébral. En revanche, ces tests n'ont jamais fonctionné
sur la poule. C'est pourquoi, à mon sentiment ces mesures sont trop
extrêmes.
M. le Rapporteur -
Quelle est votre approche sur la
généralisation des tests systématiques de
dépistage ? Avez-vous reçu des assurances sur la prise en
charge de ces tests ?
M. François Toulis
- Notre approche est claire. Nous voulons les
tests le plus rapidement possible. Nous souhaitons que vous nous aidiez
à ce que ces tests soient opérationnels dès le 26
décembre. C'est possible et il faut le faire. A partir du
1er janvier 2001, comme l'a décidé la Commission
européenne hier, les viandes de plus de 30 mois non testées
seront interdites à la consommation. Par conséquent, tous les
animaux que nous élevons risquent d'être perdu s'ils ne sont pas
testés, que ces animaux bénéficient d'un label ou non. Le
fleuron des vaches françaises sera perdu à partir du 1er janvier
si les animaux ne sont pas testés. Nous ne pourrons consommer que des
vaches de moins de 30 mois. Cette décision est irraisonnée. Les
animaux élevés dans les meilleures conditions possibles
bénéficiant de labels et respectant de stricts cahiers des
charges seront perdus. J'ai expliqué encore aujourd'hui à Mme
Geslain-Lanéelle, directrice de la DGAL qu'il fallait qu'elle mette tout
en oeuvre pour que les tests commencent dès le 26 décembre
au moins sur une partie du cheptel en particulier sur les animaux de
qualité.
Si nous souhaitons que les viandes soient consommables dès janvier, il
faut entreprendre les tests dès le 26 décembre. De
surcroît, il y a déjà un moment que nous demandons les
tests. Nous ne comprenions pas pourquoi les pouvoirs publics français
n'avançaient pas plus vite. Nous comprenions leur sérieux et
l'importance qu'ils accordaient au fait que tout soit bien en ordre.
Néanmoins, nous avions pris conscience depuis déjà
quelques mois de la nécessité d'avancer sur ces tests. Je pense
que nous ne pourrons sécuriser le consommateur qu'en prenant de telles
mesures.
Aujourd'hui, entre les entreprises privées qui sont
équipées pour réaliser ces tests, plus les 13 laboratoires
agréés par la DGAL au niveau national, en mettant les
bouchées doubles, nous devons pouvoir tester en priorité les
animaux sous signe officiel de qualité et les animaux de race à
viande. Si nous devons perdre des animaux, il est préférable de
perdre la viande de vieilles vaches laitières que de jeter une bonne
bête à viande.
Par ailleurs, nous souhaiterions évidemment que le coût des tests
soit pris en charge. Néanmoins, nous ne savons plus où nous en
sommes. Nous enregistrons une baisse de notre activité de 50 %. Nos
entreprises sont sens dessus dessous. Aucune des mesures gouvernementales ne
est mise en oeuvre. Je ne dis pas qu'on ne travaille pas à leur mise en
oeuvre. Nous vivons notre huitième semaine de crise. Malheureusement,
aucune mesure n'est mise en oeuvre. Toutes les avances de trésorerie
prévues par le gouvernement et toutes les aides au dégagement ne
sont pas mises en oeuvre. En attendant que les pouvoirs publics honorent leurs
engagements, ce sont nos entreprises qui prennent en charge ces frais. Je pense
que cette crise n'est pas uniquement le fait de notre secteur. Cette crise est
globale. Dans la mesure où elle menace la santé publique, il est
normal que la collectivité nous aide à surmonter la crise. Il
faut bien évidemment que les coûts des tests soient pris en
charge. Il faudra également trouver une solution à
l'évacuation et la destruction de tous les produits en cause. Des
millions de francs sont ici en jeu. Avec quoi allons-nous payer ? La taxe
sur l'équarrissage de 850 millions de francs n'est pas suffisante. Comme
je le précisais précédemment, je pense que nous aurions pu
consommer une partie de ces viandes condamnées.
M. Paul Blanc
- Ne pensez-vous pas, ne serait-ce que sur un plan
scientifique, qu'il serait intéressant de faire un test
systématique sur l'ensemble du troupeau lorsqu'une bête malade a
été décelée ?
M. François Toulis
- Cette mesure a été entreprise
une ou deux fois. Dans un cas, il y a eu une pression forte des organisations
syndicales devant la destruction massive du troupeau de l'exploitant. Il a
alors été décidé de tout tester. Ces tests n'ont
rien donné de plus.
M. Paul Blanc
-
Je pense qu'une telle mesure pourrait être
intéressant du point de vue scientifique.
M. le Président
- L'animal testé est mort.
M. Paul Blanc
- Je veux dire qu'avant d'abattre tout le troupeau il
serait bon de pratiquer des tests afin de savoir si d'autres animaux sont
malades. Pensez-vous que la pratique systématique de ces tests pourrait
être intéressant ?
M. François Toulis
- Oui. Aujourd'hui, avec la nouvelle
procédure, je pense que nous serons dans l'obligation de tout tester. A
ma connaissance, les tests ont une sensibilité qui permet de
détecter les animaux en phase clinique, c'est-à-dire en phase
terminale. Par conséquent, ces tests ne permettent pas de remonter
suffisamment loin. Ainsi, les tests peuvent laisser passer des animaux porteurs
sains.
M. le Rapporteur -
A cet égard, allez-vous communiquer avec le
consommateur ? La généralisation des tests a pour but de
rassurer le consommateur. Mais il est nécessaire de leur dire toute la
vérité. Par conséquent, il faudrait dire aux consommateurs
que ces tests ne détectent la maladie que dans les six derniers mois.
M. François Toulis
- Il faudrait aussi peut-être passer
à un test dont on dit que la sensibilité est 30 fois
supérieure à celle de Prionics. Il serait nécessaire de
choisir le test le plus sensible. J'ai compris deux choses. Quand les animaux
sont jeunes, le temps qu'ils aient une dose suffisante dans l'organisme, il
s'écoule une certaine période de leur vie. Des discussions
scientifiques divergent entre 24 et 30 mois. La période
d'incubation ne semble pas encore complètement déterminée.
Après l'abattage de l'animal, un test peut permettre de revenir plus ou
moins proche de cette période. Les scientifiques qui ont mis au point
Bio-Rad disent que la sensibilité du test arrive à la liaison. Si
c'est vrai, alors il faut employer ce dernier test afin de pouvoir balayer les
risques à 98 %.
Pour rassurer les consommateurs, le plus important est de rappeler deux
choses : le muscle n'est pas contaminant et l'on enlève les
matériaux à risque. Il faut donc finir de régler le
problème de la souillure qu'on peut avoir du muscle par la fente de la
colonne vertébrale. En effet, c'est dans le cerveau et dans la moelle
épinière que se situe le danger. C'est la première
protection. Le test constitue une couverture supplémentaire. Ainsi, nous
serons certains de retirer tous les animaux en phase clinique qui sont à
ce stade le plus infectant. On resserre ainsi l'étau. néanmoins,
le risque zéro existe-t-il ? L'objectif est de rassurer les
consommateurs. D'ailleurs, les gens meurent plus fréquemment de
salmonelle et de listériose que de la nouvelle variante de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob.
M. Georges Gruillot -
Jusqu'à aujourd'hui, on admet dans la quasi
totalité des cas que la contamination vient des farines animales. Or il
n'est pas totalement exclu qu'il y ait également d'autres formes de
transmission. J'ai été donc intéressé par votre
exemple de la vache limousine de l'Aveyron. Quel âge avait cette
bête ? Était-elle née sur cette exploitation ?
A-t-on véritablement analysé son alimentation ? Avait-elle
consommé des farines de viande ? Si la réponse est positive,
quand en avait-elle consommé ?
M. François Toulis
- Je ne peux pas vous répondre
précisément sur ces points car je ne dispose pas de
données précises sur cette bête et sur l'élevage. Je
sais uniquement qu'il s'agissait d'une vache limousine d'un élevage sous
label.
M. Georges Gruillot
- Avait-elle consommé des farines ?
M. François Toulis -
L'exploitant n'a pas donné de farines
de viande. L'autre question est de savoir si la poudre de lait n'est pas en
cause. Ce n'est pas le lait en lui-même qui serait en cause puisqu'il
n'est pas contaminant. Les farines d'os et les suifs mis dans la composition de
la poudre de lait peuvent aussi être un contaminant.
M. Georges Gruillot
- En règle générale, les
poudres de lait sont peu données au veau des vaches limousine.
M. François Toulis
- En général ce n'est pas le
cas. Il y a peut-être 9 chances sur 10 pour que ce ne soit pas le cas.
Cependant, peut-être qu'il y a eu un cas particulier où
l'exploitant a donné du lait reconstitué. Quel est
l'élevage même allaitant qui ne dispose pas d'un sac de lait pour
faire téter deux veaux que la vache ne peut pas nourrir. Quel est
l'exploitant qui n'a jamais donné une poignée de
complémentaire ? Je ne peux pas vous apporter une réponse
précise sur cet animal en particulier. Je dis que, dans 98 % des
exploitations, il y a pu y avoir un peu de complémentaire ou de poudre
de lait.
M. Jean Bernard
- Nous avons également entendu parler d'une
contagion tellurique. En effet, les farines de viande existent depuis fort
longtemps. Les anciens équarrissages traitaient les carcasses et les
utilisaient comme engrais. Les scientifiques que nous avons auditionnés
ont évoqué la possibilité de transmission par le sol. Le
cas que vous évoquez soulève évidemment de nombreuses
questions dans la mesure où cet animal ne semble pas avoir
été en contact avec les farines.
M. François Toulis
- Si l'hypothèse que vous
évoquez était réellement possible, je pense que la maladie
se serait propagée beaucoup plus rapidement. En effet, de l'engrais se
trouve un peu partout. Certes, nous ne pouvons encore affirmer avec certitude
que la transmission par les engrais est impossible. Cependant, si tel
était le cas, je pense que nous recenserions beaucoup plus d'animaux
malades. Cette hypothèse me semble peu probable.
M. le Président
- Dans l'ensemble de vos coopératives,
vous faites également de la transformation de viande. Par exemple, vous
fabriquez également du steak haché. Pour vous, comment est fait
le steak haché ? A partir de quels ingrédients ?
Assurez-vous une certaine traçabilité dans vos steaks
hachés ?
M. François Toulis
- A partir du moment où le cahier des
charges est respecté, le steak haché doit être
fabriqué avec du muscle. De plus, le steak haché français
est bon par rapport à ce qui peut se faire ailleurs. Cependant, vous ne
pouvez pas empêcher que certaines personnes n'aient pas tout à
fait tout le sérieux professionnel requis. A ma connaissance, nos
entreprises respectent les règles établies dans ce domaine. Il
est certain que dans ce produit il est plus facile de mélanger d'autres
produits. Avant d'enlever tous les matériaux à risque
spécifique, les précautions n'étaient pas les mêmes.
M. le Président
- Aujourd'hui, quelles sont les origines de
viande permettant de faire le steak haché ?
M. François Toulis
- Le steak haché ne pose pas un
problème au niveau de la dangerosité du produit. C'est au niveau
de la traçabilité. Plus vous avez une unité industrielle
importante, plus vous avez des mélanges. Si l'artisan boucher hache la
viande devant vous, à condition que son hachoir respecte les conditions
d'hygiène, vous savez quels morceaux de viande est à l'origine de
ce steak. Dans les usines, les volumes sont différents. Les usines que
nous trouvons aujourd'hui en France sont des usines laboratoires. Dans ces
usines, des conditions strictes d'hygiène sont respectées. Pour
avoir une traçabilité sur le steak hache, il va falloir
surenchérir le coût. C'est un des produits que nous ne tracions
pas dans la filière par rapport à l'origine de la bête car
c'est très compliqué à réaliser. Il va falloir
faire des petits lots de bêtes destinés à faire du steak
haché puis arrêter et passer à un autre lot. Toutes ces
mesures sont faisables. Nous continuerons d'avancer dans ce sens. Certes, c'est
plus difficile à traiter que des céréales puisqu'il s'agit
de morceaux de viande mélangée. Néanmoins cette
traçabilité se fera. Je vous signale que, par rapport à
l'abattage sous test qui va démarrer au mois de janvier, on va faire des
séries d'abattage par lot de façon à ce que si un sujet
réagit nous puissions éliminer tous les abats non
identifiés du lot.
M. Paul Blanc
- On entend beaucoup parler de traçabilité.
Connaît-on la traçabilité des farines ? Savez-vous
d'où elles viennent ?
M. François Toulis
- Il ne faut pas me le demander. Je suis
simple utilisateur. On me livre un sac de farines avec une formule. J'ai
discuté ma formule quoiqu'il faut être exploitant d'une certaine
taille et avoir un certain poids économique sur le fournisseur pour
pouvoir obtenir du fabricant la formule. Nous sommes en GAEC et nous disposons
d'un grand élevage. Par conséquent, s'ils souhaitent que nous
restions leurs clients, ils ont tout intérêt à nous donner
la formule. En revanche, ils me garantissent que j'ai des tourteaux et des
minéraux et du maïs-grain. Toutefois, je ne connais pas le
procédé de fabrication.
M. Paul Blanc
- Par conséquent, vous ne disposez pas de la
traçabilité des farines.
M. François Toulis
- Sur de grosses exploitations, il est encore
possible de refaire des analyses pour vérifier la composition. Nous
n'effectuons pas ces tests pour vérifier l'alimentation mais pour
vérifier le taux de matière azotée et les taux de
tourteaux que nous commandons.
M. le Rapporteur -
Avez-vous reçu des assurances de la part des
pouvoirs publics concernant la prise en charge financière pour
l'abattage des animaux de plus de 30 mois qui n'entreront pas dans la
chaîne alimentaire ?
M. François Toulis
- La Communauté européenne a
pris un engagement hier.
M. le Rapporteur -
A quelle hauteur se fera cet engagement ? Il y a
quelques temps, la Communauté parlait de prendre en charge 70 ou
80 % des frais sans cependant préciser sur quelle assiette.
M. François Toulis
- J'ai un document un anglais si vous
souhaitez l'obtenir. Nous l'avons reçu ce matin. Deux décisions
ont été prises par la Commission. Nous disposons du
règlement de la Commission. Nous avons un autre document stipulant que
l'on nous reprendrait le prix d'achat des animaux en tenant compte de la valeur
par rapport à la qualification. Il nous faut savoir quelle valeur la
Commission va accorder à ces animaux. Certes, nous ne nous faisons pas
beaucoup d'illusion par rapport à ce qui s'est déjà
passé en Grande-Bretagne. Une partie va être payée par la
Commission. Une autre partie va être payé par l'Etat
français. Apparemment, le partage sera de 70 % pour la Commission
et 30 % pour la France. La destruction des animaux reste encore à
la charge de l'Etat. Les chiffres qui sont donnés concernent l'achat des
animaux par la Commission. Vous pouvez si vous le souhaitez faire une copie de
ce document. Pour une vieille vache frisonne laitière qui arrive en fin
de carrière, je suis certain qu'ils nous accorderont tout au plus 4 000
francs. Cette vache sera amortie. Par conséquent, ce n'est pas sur ce
type de vache que ce sera difficile pour nous. En revanche, pour des vaches
allaitantes ou pour des vaches sous label que nous vendions 10 000 francs, la
perte risque s'être douloureuse.
M. le Rapporteur -
Suite à la crise de l'ESB, allez-vous
réfléchir à une nouvelle approche de votre mode de
contractualisation avec la grande distribution.
M. François Toulis
- Nous plaidons pour une révision de
notre contractualisation. Nous demandons aux pouvoirs publics qu'ils utilisent
l'enveloppe de flexibilité. Lors de la réforme de l'OCM
(organisation commune des marchés) de viande bovine à Bruxelles,
il existait des aides à la vache allaitante et des aides au bovin
mâle. Une partie de cette enveloppe a été laissée
à discrétion des États membres pour distribuer un
complément de primes. Nous avons demandé au ministre, qui nous a
d'ailleurs donné un accord sur le principe sans pour autant mettre ce
principe en application, que nous aurions une aide pour les animaux sous signe
officiel de qualité, c'est-à-dire pour les animaux sous cahier
des charges. Concernant les vaches allaitantes, il existe de grosses
différences entre des charolaises ou des limousines
élevées naturellement. Lorsque vous les mettez sous signe
officiel de qualité, en tant qu'exploitant, vous signez un cahier des
charges alimentaire. Vous êtes sous contrôle d'un organisme
certificateur. Vous êtes sous contrôle de la DGCCRF. Vous
êtes donc obligés de suivre un protocole. Ces animaux sont ceux
qui ont résisté le mieux à la crise.
M. le Rapporteur -
Avez-vous une idée du montant de cette
enveloppe de flexibilité pour la France ?
M. François Toulis
- Je ne l'ai pas en mémoire.
M. le Rapporteur -
Pourriez-vous nous la faire parvenir rapidement ?
M. François Toulis
- Oui. Cette enveloppe peut permettre
d'accorder une surprime aux animaux sous signe officiel de qualité.
Cette prime inciterait les producteurs à entrer dans ce schéma et
d'accorder davantage d'attention à la qualité des produits. Par
exemple, dans notre région Midi-Pyrénées, nous avons
demandé que dans le cadre du contrat de plan nous ayons avec l'objectif
2 au niveau de Bruxelles des aides pour le reste de la filière
c'est-à-dire aussi bien au niveau du boucher que du chevillard. Nous
avons demandé ceci avant que ne survienne cette crise. Quand on dispose
d'un circuit label, le boucher ne peut distribuer que de la viande label.
Lorsqu'une grande surface installe un rayon label, il faut que nous suivions
toute la chaîne et la grande surface ne peut distribuer d'autres produits
que du label. Nous risquons donc de tourner en rond si nous ne disposons pas
suffisamment de production label. Des crédits venant de ce contrat de
plan ou de l'enveloppe de flexibilité peuvent aider la filière
à aller dans ce sens. Nous avons également demandé que les
CTE soient allégés ou simplifiés pour inciter les
exploitants à se tourner vers les schémas qualité avec une
ou deux mesures économiques liées à
l'identification-qualité du produit ainsi qu'une ou deux mesures
environnementales simples. Aujourd'hui, le système CTE est trop
complexe. Le ministre pensait disposer de 50 000 CTE alors que nous ne
disposons de rien. Nous souhaiterions plutôt avancer vers des
schémas simples.
M. le Rapporteur -
Vous n'avez pas évoqué la notion de
propriété du cahier des charges. Je sais que c'est un sujet
relativement conflictuel. Personnellement, je trouve assez éhonté
que la grande distribution veule se l'approprier.
M. François Toulis
- Il ne faut surtout pas laisser faire cela.
M. le Rapporteur -
Je trouve que la profession ne s'est pas
peut-être suffisamment battue dans ce sens. Je le dis clairement. Le jour
où vous abandonnerez cette propriété du cahier des
charges, vous aurez encore perdu une marge de valeur ajoutée.
M. François Toulis
- Nous nous sommes quand même battu car
la CNLC (Commission Nationale des Labels) a bloqué sur ce point.
Heureusement, les pouvoirs publics nous ont suivi. Les labels sont
propriétés de l'Etat. Ils n'appartiennent pas à un
distributeur. Il faut garder la propriété des marques
certifiées au niveau des groupements qualité et ne pas le laisser
à une enseigne. Tout ce que vous pourrez faire dans ce sens sera le
bienvenu. Les distributeurs ne cessent de se concentrer. Il ne reste plus que
cinq grandes enseignes de distribution aujourd'hui. Ils risquent encore de
continuer leur course à la grandeur au niveau européen. Nous n'en
aurons alors plus que cinq au niveau européen. Le rapport de force
devient complètement disproportionné par rapport à la
production ou aux outils d'abattage. Ils affirment pressurer les prix pour le
bien du consommateur. Cependant vue la part des dépenses alimentaires
dans le budget familial, il serait préférable de
privilégier la qualité. Nous demandons à élever des
animaux plus naturellement et de façon moins intensive. Mais force est
de constater que nous sommes pressurés. Ces excès doivent cesser.
Les assises de l'alimentation que le Premier ministre a présidées
et le colloque sur les régulations économiques peuvent nous aider
à réguler sans pour autant tout régenter.
M. le Président
- Je pense que nous avons fait le tour du
problème en ce qui vous concerne. Je vous remercie des informations que
vous nous avez apportées. Sachez de plus que vous pouvez aussi compter
sur nous pour vous aider à faire avancer un certain nombre de sujets que
vous nous avez signalés. Nous ferons le maximum. Je vous remercie.
Audition de M. Georges ROBIN, Président de la Fédération
nationale
des Industries de Corps gras
(FNCG)
(20 décembre 2000)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur le
Président, merci d'avoir répondu à notre invitation. A
partir d'aujourd'hui, nos auditions -comme vous en avez été
informé- seront retransmises en direct sur la chaîne du
Sénat.
Vous êtes entendu dans le cadre d'une commission d'enquête du
Sénat sur le problème des farines animales. Nous sommes avec mes
collègues là pour vous écouter, mais nous vous remercions
d'avoir répondu spontanément à notre invitation.
Vous êtes accompagné, comme vous l'avez signalé par
écrit, par M. Barsac, Secrétaire général de la
FNSG. Vous êtes vous-même le Président de la
Fédération nationale des industries de corps gras.
Notre commission -comme toutes les commissions d'enquête parlementaires-
se réunit sous serment. Je suis donc obligé de vous lire le texte
prévu à cet effet.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Robin
et Barsac.
M. le Président
- Merci, Monsieur le Président. Si vous le
voulez bien, je vais dans un premier temps vous passer la parole puis, mes
collègues et moi-même, nous vous poserons les questions qui nous
semblent utiles pour éclairer notre commission d'enquête.
M. Georges Robin
- Je suis à votre disposition.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, comme vous l'avez
constaté, je suis Président de la Fédération
Nationale des Industries de Corps Gras depuis 1994 et j'ai fait toute ma
carrière dans les corps gras.
La Fédération Nationale des Industries de Corps Gras regroupe
différentes organisations professionnelles ou utilisatrices, parfois
historiquement, des corps gras végétaux ou animaux :
Le Syndicat Général des Fabricants d'Huiles et de Tourteaux de
France.
Il s'agit de l'industrie de transformation des graines oléagineuses,
avec les activités de trituration (production d'huiles brutes et de
tourteaux), de raffinage et de conditionnement, soit une transformation
annuelle de près de 3 millions de tonnes de graines oléagineuses
(colza, tournesol et soja), avec une production de tourteaux de
1,5 million de tonnes, d'huiles brutes de 1,1 tonne et d'huiles
raffinées de 600 000 tonnes.
La Fédération de l'Industrie et du Commerce de l'Huile d'Olive,
dont les adhérents commercialisent un volume d'huile d'olive de l'ordre
de 50 000 tonnes.
Comme je vous l'ai indiqué dans mon CV, j'ai également
assumé pendant quatre ans la présidence de la
Fédération Européenne de l'Huile d'Olive.
La Chambre syndicale de la Margarinerie, qui regroupe les fabricants de
margarine et de matières grasses composées, soit une production
de 140 000 tonnes et une commercialisation de l'ordre de 200 000 tonnes, la
différence étant constituée d'importations.
L'Association des Industries de Savons et Détergents (AISD), dont les
adhérents commercialisent 1,5 millions de tonnes de détergents et
73 000 tonnes de savons.
Historiquement, dans le métier des corps gras (il y a cinquante ans ou
au début du siècle), les savons étaient fabriqués
à partir de corps gras animaux ou végétaux. C'est la
raison historique pour laquelle ils sont toujours parmi nous.
Le Syndicat Général des Fabricants de Bougies et Cierges, qui
produit 18 000 tonnes (pour l'emploi de l'acide stérique).
Le Syndicat des Industries Françaises de Coproduits animaux (SIFCO).
A ce sujet, vous recevrez à 17 heures M. Bruno Point, qui en est le
Président et qui est certainement le plus compétent pour vous
parler des questions relatives aux farines.
Le SIFCO est historiquement membre de la Fédération Nationale des
Corps Gras pour l'activité fondoirs, c'est-à-dire la production
de suif (128 000 tonnes), de saindoux (48 000 tonnes) et de graisse de
volaille, essentiellement de poulet, de canard et d'oie (50 000 tonnes).
Chacune de ces organisations professionnelles gère directement et de
façon autonome les dossiers spécifiques à l'industrie
qu'elle représente tant sur le plan français qu'européen.
Les missions de la Fédération Nationale sont les suivantes :
Représenter ces industries auprès du MEDEF, de l'ANIA et de
l'Union des Industries Chimiques.
Traiter les dossiers à caractère horizontal intéressant
plusieurs secteurs d'activité : la fiscalité, le transport,
le droit de la concurrence, le droit alimentaire, le Codex Alimentarius et le
droit social.
Représenter l'ensemble de ces activités dans le cadre des
négociations paritaires concernant l'évolution de la Convention
Collective des Industries Chimiques, dont la Fédération Nationale
des Corps Gras est cosignataire aux côtés de l'Union des
Industries Chimiques.
Organiser des travaux de recherche collective avec le concours de l'Institut
des Corps Gras, l'ITERG (Institut Technique d'Etude de Recherche sur les Corps
Gras), centre technique professionnel des industries de corps gras.
S'agissant plus précisément du SIFCO, il convient de distinguer
trois activités principales :
*L'équarrissage, qui depuis 1997 est réalisé dans le cadre
du service public de l'équarrissage.
*La collecte et transformation des coproduits animaux valorisables en farines
et graisses animales.
*La collecte et transformation des tissus adipeux en corps gras animaux (suif,
saindoux et graisse de volaille).
L'ensemble des dossiers spécifiques à ces activités est
directement géré par le SIFCO.
L'activité corps gras animaux bruts et raffinés figure quant
à elle dans le champ d'application de la Convention Collective Nationale
des Industries Chimiques.
Je suis prêt à répondre aux questions que vous voudrez bien
me poser sur l'activité de la Fédération, puis j'essaierai
d'aller plus loin dans d'autres domaines.
M. le Président
- Je pense qu'il vaut mieux poursuivre
immédiatement sur l'action proprement dite, car la
Fédération est une organisation professionnelle. Or, il s'agit en
l'occurrence d'un problème purement professionnel, ce qui nous
intéresse étant surtout l'action que vous menez, à travers
la fabrication et les différentes utilisations qui ont pu être
faites des graisses et farines animales.
M. Georges Robin
- Je tiens à préciser tout d'abord que
dans aucun cas les farines ne sont du ressort du SIFCO.
Les produits que nous avons pris en charge dans la filière fonte sont le
suif -ce qui s'inscrit dans le traitement des tissus adipeux du boeuf-, le
saindoux, pour le porc, et la graisse de volaille.
Deux circuits peuvent être mis en évidence pour les
matières grasses animales : le circuit fonte, qui provient du
traitement des tissus adipeux des animaux dont je viens de parler, et les
matières grasses de cuisson, que M. Point évoquera, ainsi que les
farines. Les matières grasses produites après la fonte et le
raffinage sont le suif, le saindoux et les graisses de volaille.
Qu'appelle-t-on le raffinage ? Il s'agit essentiellement de celui des
huiles, qui est un métier très simple.
Le raffinage physique (démucilagination) consiste en un traitement
à la vapeur, en une desacidification, en une décoloration et en
une anti-oxydation. Quant au raffinage chimique, il s'agit de fabriquer des
savons, comme pour les huiles, avec correction de l'acidité et
neutralisation. La décoloration se fait à l'argile et la
désodorisation sous vide, la matière première étant
du même type que celle utilisée pour les huiles
végétales raffinées.
M. Point vous précisera les quantités d'huile produites. Environ
125 000 tonnes de suif sont produites, à raison de 14 000
pour l'alimentation humaine, 53 000 tonnes pour l'alimentation
animale et 58 000 pour les applications industrielles (lipochimie et
savonnerie).
51 000 tonnes de graisse de volaille sont produites, à raison de
10 000 pour l'alimentation humaine et 41 000 pour l'alimentation
animale.
Pour le saindoux (graisse de porc), 48 000 tonnes sont produites, à
raison de 18 000 pour l'alimentation, 25 000 pour l'alimentation
animale et 5 000 pour une utilisation industrielle.
Vous avez tous utilisé à un moment quelconque le saindoux ou la
graisse d'oie, puisque l'on peut en acheter pour faire la cuisine, par exemple
pour un confit de canard ou des pommes de terre sarladaises.
On trouve souvent les premiers jus sous l'appellation « blanc de boeuf
» -ils servent à faire les frites-, car les corps gras animaux sont
constitués d'acide gras saturés qui résistent bien
à l'oxydation.
Ils sont utilisés pour leur stabilité thermique en friture et
dans l'industrie céréalière pour leurs qualités de
plasticité (rhéologiques), pour les biscottes, le pain de mie et
les biscuits. Quant à leur caractère organoleptique
(l'onctuosité), il sert pour les plats cuisinés (pour la
charcuterie ou les sauces). Ce sont les principaux débouchés de
ces graisses, qui ont toujours existé.
M. le Président
- Je vais si vous le voulez bien commencer par
vous poser quelques questions, ce que mes collègues pourront faire
également, mais je vais d'abord vous demander, Monsieur le Directeur, de
prêter serment et de dire la vérité rien que la
vérité et toute la vérité, de lever la main droite
et de dire je le jure. Je souhaite en effet que tout soit fait de façon
réglementaire si nous avons à vous interroger.
M. Barsac
- Je le jure.
M. le Président
- Vous avez décrit les différentes
graisses animales dont vous êtes fabricant et utilisateur, sachant que
les farines interdites actuellement contiennent également des graisses,
notamment sous forme de farines de viande. Quelles graisses sont-elles
interdites parmi celles que vous utilisez ?
M. Barsac
- Aucune des graisses qui viennent d'être
décrites ne sont interdites puisque sont interdites les graisses
animales issues de la fabrication de farines animales, une distinction
étant opérée entre celles-ci et les corps gras animaux
(suif, saindoux et graisse de volaille).
M. Georges Robin
- Je ne vous cache pas, Monsieur le Président,
que c'est une de mes préoccupations, car l'on tape à longueur de
journée sur les graisses animales, alors que le suif, le saindoux et la
graisse d'oie ne font pas partie des « métaux à risque
» spécifiques. Cela n'a jamais été mis en
évidence, alors qu'un amalgame est fait dans ce domaine. Des biscuits
sont condamnés parce qu'ils contiennent des graisses animales, mais ils
sont fabriqués avec des premiers jus.
M. le Président
- Il était en effet nécessaire de
le repréciser pour le grand public, car un amalgame est fait de par
l'information donnée. Les graisses qui ont été interdites
sont des graisses de cuisson issues des farines animales. En revanche, les
graisses directement prélevées sur le tissu adipeux de l'animal
ne sont pas interdites, et pour cause, car jusqu'à présent on n'y
a jamais trouvé de prions.
M. Georges Robin
- J'ai relu trois ans de travaux parlementaires avant
de venir vous voir. Depuis M. Dormont, toutes les commissions d'enquête
ou d'évaluation des risques n'ont jamais trouvé quoi que ce soit
en cette matière.
M. le Président
- En revanche, les graisses issues du tissu
adipeux de l'animal sont-elles utilisées pour l'alimentation humaine et
aussi dans d'autres domaines ?
M. Georges Robin
- Les graisses issues des tissus adipeux sont
utilisées pour l'industrie et essentiellement en lipochimie.
M. Barsac
- La lipochimie est la chimie des corps gras et peut par
exemple être utilisée pour les détergents. De même,
les suifs et les corps gras végétaux (huile de palme) sont
historiquement utilisés pour les savons, le suif se substituant parfois
à la palme. C'est une question de cours des matières
premières et de qualité des produits. La savonnerie et la
lipochimie sont les principaux aspects industriels.
Ces graisses servent également à l'industrie alimentaire et sont
par exemple utilisées pour la biscuiterie ou les plats cuisinés,
comme les quenelles. Il s'agit là aussi d'une utilisation historique qui
continue pour des raisons de prix et de caractéristiques techniques des
produits qui justifient leur utilisation.
De plus, ces graisses peuvent être utilisées directement par les
ménages, sous forme de saindoux ou de graisse de volaille.
Dans le cadre de l'utilisation en alimentation animale, il s'agit des suifs
pour les veaux, qui sont également un débouché important
pour toute l'industrie.
M. Georges Robin
- Les suifs et le saindoux sont utilisés en
savonnerie (pour les savons et détergents) et en lipochimie (pour les
acides et alcools gras, agents de surface et tensio actifs).
La graisse d'os est utilisée pour la lipochimie. On en fait des acides
et alcools gras, des agents de surface et des tensio actifs.
Elle est dans le laminage à froid employée pour les tôles
de carrosserie et les emballages métalliques.
Les acides gras sont utilisés pour la savonnerie (savons et
détergents) et en lipochimie pour la fabrication d'acides et d'alcools
gras.
Les autres graisses animales sont employées pour la lipochimie (acides
et alcools gras et agents de surface tensio actifs) et les cuirs bruts
(tannerie, semelles, etc.).
Pour l'ensemble des corps gras animaux, la lipochimie et la savonnerie sont des
emplois importants.
M. le Président
- Il faut apporter des précisions, car
j'ai eu l'impression que vous citiez deux sources de corps gras dont la
même utilisation est faite.
M. Barsac
- Les corps gras animaux sont utilisés pour l'industrie
alimentaire, l'alimentation animale et par les ménages. En revanche, les
graisses animales sont essentiellement utilisées dans l'alimentation
animale et en lipochimie.
M. le Président
- Cela signifie que ces deux sortes de graisses
peuvent être utilisées en lipochimie.
M. Barsac
- Oui, mais il apparaît au vu des chiffres que les
graisses animales sont essentiellement utilisées pour l'alimentation
animale.
Les graisses animales peuvent être valorisées pour
l'énergie, des voies étant à rechercher dans ce domaine.
De même, des utilisations peuvent être intéressantes en
lipochimie, étant entendu qu'il appartient à la recherche d'aller
plus loin dans ce cadre, bien entendu dans la mesure où cela ne
présente aucun risque pour la santé humaine.
M. le Président
- Le problème de l'interdiction des
farines de viande telle qu'elle a été récemment
décidée -donc des graisses qui en découlent- aura
néanmoins un impact économique, mais dans quel domaine sera-t-il
le plus important ?
M. Barsac
- Le Conseil Européen a interdit en décembre les
farines, mais non les graisses qui en découlent.
M. Michel Souplet
- Nous nous faisons en quelque sorte l'avocat du
diable, mais les farines animales sont interdites alors que les graisses qui en
découlent ne sont pas citées.
J'ai participé vendredi dernier, dans le cadre de la Chambre
d'agriculture de mon département, à une réunion
d'information à laquelle assistaient les consommateurs, les
organisations agricoles, la Chambre des métiers et la Chambre de
commerce. Énormément de monde était présent, et les
représentants des consommateurs ont été très
catégoriques sur le fait que l'on pouvait consommer de la viande sans
risque. Ils l'ont dit et redit.
En revanche, ils ont été très stricts sur l'utilisation
des farines de viande et de leurs dérivés ainsi que sur les
abats, sachant qu'il est souhaitable de limiter les risques partout où
c'est possible.
Les corps gras issus des farines animales représentent-ils un volume
important, auquel cas cela risque de poser problème, ou pourrions-nous
quasiment nous en passer ?
M. Georges Robin
- M. Point, qui est Président du SIFCO, vous
répondra.
Je vais peut-être un peu sortir du débat, mais je souhaite
répondre à votre question. Ce qui me préoccupe avant tout
aujourd'hui et que l'on mélange tout et que l'on fait un amalgame, ce
qui est grave, car vous mettez en cause les suifs alimentaires, le saindoux et
les graisses de volaille.
Il ne faut pas dire au public qu'il ne doit pas manger de foie gras ou de
graisse d'oie. Celle-ci provient du Sud-Ouest, elle est utilisée depuis
toujours et il n'a été démontré à aucun
moment que « l'oie folle » était à nos portes. Un
problème de fond se pose.
Je dispose des textes parus depuis le 14 juillet 1990 : ce qui me navre
est l'amalgame qui est fait, sachant que vous avez visité un certain
nombre d'abattoirs, l'industrie faisant sérieusement son métier.
Vous venez visiter nos usines quand vous le souhaitez, l'ANIA organisant chaque
année des opérations portes ouvertes.
S'il faut éliminer les graisses de cuisson -comme M. Point vous
l'expliquera-, nous le ferons, mais il faudra les remplacer par des suifs
alimentaires, qui pourront notamment être importés des Etats-Unis.
J'ai passé dix ans en usine et j'ai voulu retrouver ce qui était
notre standard de contrôle, les corps gras animaux étant
contrôlés, notamment s'agissant de leur teneur en eau et
matières volatiles -qui est définie par le Codex Alimentarius- et
de leur teneur en impuretés insolubles à l'hexane.
Trois pages de contrôles sont effectués, sachant que les graisses
animales destinées à l'alimentation humaine ne posent pas de
problème, mais j'ignore ce que nous ferons si elles sont
matraquées à longueur d'émissions
télévisées.
M. le Président
- Le problème réside dans le fait
qu'un amalgame est fait. En effet, on n'a jamais trouvé de prions dans
les graisses issues du tissu adipeux des animaux et l'on est à peu
près persuadé qu'il n'existe aucun risque. En revanche, dans la
mesure où des corps gras proviennent des graisses issues de la
fabrication des farines de viande, le problème se pose davantage pour
nous. C'est la raison pour laquelle nous vous demandons si ces corps gras ont
été interdits ou pas.
M. Georges Robin
- Les graisses issues de la fabrication de farines
animales sont interdites depuis le décret du 14 novembre 2000 en France
et en Allemagne et autorisées dans les autres états membres, le
Conseil ayant à travers sa décision du 15 décembre
interdit les farines mais non les graisses.
Il s'agit en France d'un volume de l'ordre de 220 000 tonnes. La substitution
se fera -c'est la raison pour laquelle la Fédération Nationale
des Corps Gras est intéressée- par des graisses
végétales, de même que l'interdiction des farines animales
a une incidence évidente sur les protéines d'origine
végétale.
M. Jean Bernard
- Je voudrais vous poser une question technique. On nous
indique que le prion est sensible à 140 degrés sous 3 bars, mais
les traitements dont les produits d'origine animale font l'objet sont-ils
susceptibles d'assurer une sécurité supplémentaire ?
M. Georges Robin
- L'un des rares traitements mis en évidence est
la soude, mais c'est à contrôler. En tout cas, les
problèmes après raffinage ne sont pas plus nombreux aujourd'hui
qu'avec une huile raffinée. C'est mon sentiment compte tenu des
connaissances que nous avons à ce jour en la matière. Les acides
gras et les impuretés sont éliminés et des contrôles
effectués.
M. le Président
- Les contrôles que vous effectuez ne
comprennent pas la recherche de prions, et pour cause.
M. Georges Robin
- Non, mais ils incluent la teneur en impuretés
insolubles à l'hexane. Cela fait référence au Codex
Alimentarius. Le raffinage est à ma connaissance certainement l'une des
méthodes qui apporte le plus de sécurité.
M. le Président
- Pouvez-vous rappeler grosso modo dans quelles
conditions physiques, chimiques et techniques se fait le raffinage ?
M. Georges Robin
- Le traitement est le même que pour la
saponification, celui effectué à la soude étant classique
pour les huiles. On désodorise en général à
180 degrés sous vide.
M. Barsac
- On pense automatiquement aux bovins quand on parle du
prion : un arrêté est sorti le 23 novembre qui précise
que les tissus adipeux traités doivent être exempts d'os de
ruminants. Cela signifie que le risque a été
éliminé à la collecte pour les tissus adipeux
valorisés sous forme de suif ou de saindoux.
De même, on élimine lors de l'opération de raffinage toute
impureté et toute protéine. Il n'y a donc a priori pas de raison
de trouver de prions dans ces graisses.
M. Paul Blanc
- Regroupez-vous tous les industriels au sein de votre
Fédération ou compte-t-elle également des
indépendants au nom desquels vous ne pouvez pas parler ?
M. Georges Robin
- Vous avez raison de poser la question, car une
organisation professionnelle comme l'huilerie compte un syndicat
indépendant.
M. Barsac
- Seul un fondoir du nord de la France n'est pas membre du
SIFCO. Nous devons en matière de production de farines et graisses
animales en être à 95 % de couverture des opérateurs.
M. Paul Blanc
- J'en conclus que vous ne pouvez pas vous porter garant
de ce que vous venez d'indiquer pour les 10 ou 15 % de personnes qui ne
font pas partie de votre confédération.
Vous avez par ailleurs évoqué l'utilisation des graisses dans
l'alimentation animale, mais à quoi cela correspond-il ?
M. Georges Robin
- Elles sont utilisées pour les
lacto-remplaceurs.
M. Barsac
- Il faut faire une distinction entre les corps gras animaux
et les graisses animales, ces dernières étant interdites pour les
ruminants et mammifères, étant entendu qu'elles n'étaient
utilisées que pour les volailles et les porcs.
Restent les corps gras animaux dont les suifs sont utilisés dans les
lacto-remplaceurs. Ils sont fabriqués dans les conditions prévues
pour l'alimentation par l'arrêté du 23 novembre, à savoir
des matières premières exemptes de tout os de ruminant.
M. Roland du Luart
- Le problème des stocks produits avant la
parution de l'arrêté reste posé. Vous avez indiqué
que si c'est nécessaire vous pourriez en importer des Etats-Unis,
sachant qu'ils ne sont pas soumis aux mêmes contrôles, ce qui pose
un vrai problème par rapport à la sécurité des
consommateurs.
M. Georges Robin
- Il faudra également trouver des
protéines végétales.
M. le Président
- La question qui vous a été
posée est très claire : comment appréhendez-vous le
problème des graisses importées par rapport à la
réglementation actuelle ?
M. Barsac
- Il s'agit d'un problème essentiel, quand des mesures
nationales sont prises, au regard de la santé, sachant que, si l'on
estime que cela présente un risque, c'est valable tout autant pour les
produits d'origine nationale que pour ceux qui sont importés. Il est
donc indispensable que les mesures soient identiques de part et d'autre de la
frontière.
Il faut aller jusqu'au bout du raisonnement. Quand on importe des produits
transformés, par exemple pour les biscuits, il est essentiel qu'ils
aient été produits avec des matières premières
fabriquées dans des conditions comparables à celles que nous nous
imposons chez nous.
Je mets l'aspect économique de côté, même s'il est
très important, mais il faut avoir la logique, dans le cadre des mesures
prises sur le plan de la santé, d'aller jusqu'au bout.
Le Gouvernement français a eu raison d'amener à Bruxelles les
autres états membres à prendre des mesures en matière
d'interdiction des farines, mais nous ignorons si les graisses animales
présentent un risque ou non.
L'AFSSA va se prononcer, mais je ne vois pourquoi elles présenteraient
un risque d'un côté de la frontière et pas de l'autre.
C'est un problème majeur qui concerne non seulement nos produits mais
aussi, de façon plus générale, tout le fonctionnement
européen.
M. le Président
- Vous avez également parlé de
l'huile végétale et nous connaissons les risques qui peuvent
exister, par exemple pour les huiles de palme importées de Malaisie ou
d'ailleurs. A votre avis, que pourrait-il se passer ?
M. Georges Robin
- L'industrie des huiles est confrontée à
ce type de problème depuis toujours. Elle n'est jamais parvenue à
avoir ce que l'on pourrait appeler des « tankers dédiés
», qui par exemple ne transporteraient que de l'huile d'Indonésie
en Europe, parce qu'ils repartiraient à vide.
La Fédération Européenne des Huiles a mis au point un
système de contrôle et d'analyse et des problèmes se sont
posés dans cette manière justement parce qu'un contrôle est
exercé, d'ailleurs aussi bien à l'arrivée dans les ports
que dans les usines.
Nous pouvons donc être raisonnablement rassurés, sachant que ce
contrôle doit aussi s'exercer en France. Il faut notamment trouver des
camions citernes à usage alimentaire pour le transport des huiles, etc.
M. le Président
- Le contrôle exercé porte
nécessairement uniquement sur les caractéristiques physiques ou
chimiques des huiles.
M. Georges Robin
- Non. Beaucoup de personnes disent que l'on trouve ce
que l'on cherche, ce qui est vrai pour la vache folle. Nous recherchons pour
notre part ce que nous estimons pouvoir constituer un risque, une huile pouvant
être polluée par un benzène.
Nous demandons des certificats concernant le nombre de transports
déjà effectués, mais nous effectuons également un
véritable contrôle. Par exemple, nous avons dernièrement
trouvé à Rotterdam un bateau qui venait d'Indonésie et
transportait de l'huile de palme présentant des traces d'hydrocarbure.
M. le Président
- Cela n'a rien à voir.
M. Barsac
- C'est un exemple intéressant, car nous avons
fonctionné de façon très transparente. Nous avons
signalé que nous avions trouvé du benzène dans l'huile
brute, la marchandise a été consignée et nous nous sommes
assurés que le bateau repartait en Indonésie.
Notre système d'alerte a parfaitement fonctionné, entre les
états membres et l'industrie, et nous avons fait en sorte que toutes les
huiles livrées soient récupérées, en
éliminant le circuit ce chargement de l'huile brute.
S'agissant du transport -c'est la réglementation européenne qui
le prévoit, ainsi que le Codex Alimentarius-, nous avons l'obligation
d'avoir connaissance des trois chargements précédents, qui ne
doivent en aucun cas avoir été constitués de produits
autres qu'alimentaires.
Le transport maritime fait l'objet d'un suivi très précis, le
transport communautaire, intra-communautaire et national étant
effectué dans des tanks ou citernes dédiés à celui
des huiles.
Notre préoccupation pour les huiles est de rechercher des traces de
contaminants, l'ITERG ayant réalisé des études pour que
nous disposions de tous les outils nécessaires en matière de
méthode d'analyse, pour détecter ces traces.
Les pesticides sont également l'une de nos préoccupations, notre
but étant de veiller à ne pas en retrouver de traces dans les
huiles brutes et a fortiori raffinées.
Sur le plan de la sécurité sanitaire, les contaminants et
pesticides sont une préoccupation permanente de l'industrie de
l'huilerie aujourd'hui, ce qui est vrai pour l'huile et les tourteaux,
utilisés dans l'alimentation animale.
M. Jean-François Humbert
- Si je vous ai bien
écouté, vous n'avez rien à voir avec la farine animale,
mais vous avez évoqué les lacto-remplaceurs. Dans la mesure
où je ne suis pas un spécialiste, pouvez-vous nous dire en
quelques mots de quoi il s'agit et de quelle façon vous conditionnez
leur fabrication ? Posent-ils des problèmes de cuisson, comme cela
a été évoqué à différentes reprises,
et si oui à quel degré ?
M. Georges Robin
- Il faut que ce soit clair : les
lacto-remplaceurs sont fabriqués par les fabricants d'aliments pour le
bétail.
La base des lacto-remplaceurs est de la poudre de lait
écrémé à laquelle un corps gras d'origine animale
ou végétale est ajouté. On enlève la crème
du lait ou la matière grasse à laquelle un corps gras est
ajoutée.
Je ne veux pas rentrer dans le détail, car j'avoue que je ne connais pas
tous les règlements communautaires, mais il existait des stocks de
poudre de lait écrémé, une des façons de l'utiliser
étant d'y ajouter des corps gras végétaux ou animaux et
d'en faire des lacto-remplaceurs. Cependant, mes amis en sauront un peu plus
que moi si vous voulez connaître le détail de l'opération.
M. Jean-François Humbert
- Vous dites vous même que l'on
utilise dans ce cadre non seulement du lait, mais aussi des corps gras
d'origine animale ou végétale : sont-ils fabriqués
dans vos entreprises et si oui comment ?
M. Georges Robin
- Il s'agit des premiers jus dont nous avons
parlé. De la même façon qu'ils servent à
l'alimentation humaine, ils peuvent servir à l'alimentation animale.
Cela ne pose aucun problème de type particulier.
Je voudrais pour terminer vous indiquer que le travail que vous faites est
passionnant, mais un certain nombre de points me soucient quand je lis tout ce
qui s'écrit, ce dont je vais m'ouvrir à vous.
J'ai lu dernièrement qu'un groupement d'intérêt
scientifique avait été créé dans le domaine de la
recherche, mais j'ai été étonné de ne pas trouver
qui en est le patron.
Or, dans l'industrie, quand un groupement d'études est
créé, un Président est nommé et a six mois pour
faire le travail, étant entendu qu'il est remplacé s'il n'y
arrive pas. Je suis peut-être brutal, mais c'est la méthode que
j'ai utilisée dans l'industrie .
M. le Président
- Le temps de vie de notre commission est de six
mois et un Président et un rapporteur ont été
nommés.
M. Georges Robin
- Nous devons essayer de bien mesurer les
conséquences et la cohérence des mesures que nous pouvons
être amenés à prendre.
J'ai appris récemment l'existence de la directive concernant
l'élimination des animaux de plus de 30 mois mais, quand je fais le
compte des tonnes, de la farine et de la matière grasse dans ce cadre,
je me pose la question de savoir ce qui sera mis en oeuvre.
Je sais que les stocks de farine de 1996 ont à peu près tous
été éliminés, mais qu'en ira-t-il des stocks
actuels ? Il faut essayer de penser d'une façon ou d'une autre
à la cohérence des mesures prises et à leur
conséquence. Je voudrais que vous interrogiez M. Point -qui
possède des usines- à ce sujet pour qu'il y
réfléchisse. Je suis véritablement un peu
désemparé.
M. le Président
- Ne mélangeons pas les sujets. Nous
enquêtons sur les origines d'une maladie transmise dans le cadre du
circuit alimentaire, ce qui aura effectivement des conséquences
économiques, ce dont tout le monde est parfaitement conscient. Le
rapport que nous publierons en tiendra bien entendu compte et vous y trouverez
sans doute les renseignements que vous attendez, tout au moins je
l'espère.
M. Jean-François Humbert
- Cette question rejoint celle que j'ai
posée précédemment. Pardonnez-moi d'insister, mais j'ai le
sentiment que vous n'y avez pas complètement répondu. Nous sommes
d'accord sur le fait que les lacto-remplaceurs contiennent du lait
écrémé, mais ils sont également constitués
en partie de graisse d'origine animale ou végétale. Vous nous
avez paré des premiers jus, mais comment cela se passe-t-il et à
combien de degrés sont-ils chauffés ?
M. le Président
- Il faut repréciser que vous parlez du
tissu adipeux de l'animal et non du résidu des farines animales.
M. Jean-François Humbert
- Le lait constitue l'essentiel du
lacto-remplaceur, mais il contient également des suifs. Or, si je vous
ai bien entendu, ce sont bien vos entreprises qui les fabriquent. Pourriez-vous
s'il vous plaît nous donner quelques détails sur cette
fabrication ? En effet, je ne suis pas un spécialiste et j'aimerais
comprendre.
De plus, nous sommes issus de différentes régions
françaises dans lesquelles nous avons essayé d'écouter les
éleveurs de bovins. C'est la raison pour laquelle, quand vous parlez de
lacto-remplaceurs, je me permets d'insister sur les graisses animales rentrant
dans leur fabrication.
M. Georges Robin
- Les tissus adipeux sont prélevés dans
les abattoirs et les centres de collecte puis fondus dans des
établissements agréés.
M. Barsac
- Ces établissements sont spécifiques et tout
à fait distincts de ceux qui créent des coproduits pour fabriquer
des graisses animales. Ils ont un agrément pour fabriquer des suifs dits
de premier jus qu'ils raffinent ensuite de façon physique ou chimique.
M. Jean-François Humbert
- A quelle température les suifs
sont-ils fondus ?
M. Barsac
- A 80 degrés, le raffinage étant
effectué à une température plus élevée.
Les suifs commercialisés auprès des entreprises d'alimentation
animale pour des lacto-remplaceurs sont de même qualité que ceux
à usage alimentaire.
M. Jean-François Humbert
- Vous parlez de 80 degrés pour
la fonte.
M. Barsac
- Vous me demandez quelles sont les conditions de fabrication
des suifs et je vous réponds dans quelles circonstances ils sont
fabriqués, sachant qu'il s'agit de coproduits contrôlés par
les services vétérinaires à l'abattoir et que depuis le
23 novembre ces matières premières sont exemptes de traces
d'os de ruminant.
M. Jean-François Humbert
- Quelles entreprises interviennent
à côté des vôtres en la matière ?
M. Barsac
- Je précise que notre industrie fabrique des produits
et les met à disposition des utilisateurs éventuels, étant
entendu qu'il appartient à chacun de faire le choix des matières
premières qu'il utilise ou non.
Nous apportons la garantie de la qualité des produits que nous livrons,
avec un cahier des charges bien précis que nous respectons. Le travail
fait et les produits commercialisés pour l'alimentation animale
répondent à un cahier des charges très précis, dans
le cadre de relations commerciales tout à fait normales.
M. Jean-François Humbert
- D'autres entreprises travaillent-elles
avec vous en complément de ce que vous faites, sachant que vous
fournissez la matière première ? Qui faudrait-il interroger
pour connaître « la fin du film », si vous me permettez cette
expression ?
M. Barsac
- Il faut, si vous voulez une réponse précise
à votre question, interroger les fabricants et utilisateurs de
lacto-remplaceurs dans les élevages. L'industrie ne fait jamais que
répondre à une demande. Il faut demander à l'utilisateur
final pourquoi il utilise le produit.
M. Jean-François Humbert
- C'est la raison pour laquelle je
m'étais permis de vous poser une nouvelle question.
M. le Président
- Je pense que nous avons à peu
près fait le tour du problème en ce qui vous concerne, les uns et
les autres ayant fait préciser quelle partie des graisses était
utilisée et mise ensuite sur le marché pour d'autres utilisateurs.
M. Georges Robin
- Pour des utilisations en direct.
M. le Président
- Je vous remercie. Espérons que cela
s'arrangera.
M. Georges Robin
- J'attends votre rapport.
Audition de M. Yves MONTÉCOT,
Président du Syndicat national
des Industriels de la Nutrition
animale
(20 décembre 2000)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Montécot,
vous êtes Président du Syndicat National des Industriels de la
Nutrition Animale (le SNIA).
Merci d'avoir répondu à notre invitation pour témoigner et
répondre aux questions que nous vous poserons sur les problèmes
traités par la commission d'enquête du Sénat sur les
farines animales.
Vous savez que toutes les commissions d'enquête parlementaires se
déroulent en prêtant serment. Je vais donc être
obligé de vous lire le texte réglementaire et de vous demander de
prêter serment. Par ailleurs, je voudrais que vous nous présentiez
la personne qui vous accompagne pour que je puisse également lui faire
prêter serment au cas où elle s'exprimerait.
M. Yves Montécot
- La personne qui m'accompagne est M. Radet,
cadre qui s'occupe des questions juridiques au SNIA.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à MM.
Montécot et Radet.
M. le Président
- Monsieur Montécot, si vous le voulez
bien, je vais dans un premier temps vous demander de nous parler
brièvement de votre organisation et de votre place dans la
filière agroalimentaire ainsi que du problème posé par les
farines animales.
L'important est que vous résumiez le plus possible, pour que l'ensemble
de nos collègues puissent vous poser le maximum de questions.
M. Yves Montécot
- Monsieur le Président, Mesdames et
Messieurs les Sénateurs, je suis Président du SNIA (Syndicat
National des Industriels de Nutrition Animale), qui représente le
secteur privé des fabricants d'aliments, celui des coopératives
étant représenté par le SYNCOPAC, que je crois vous
auditionnerez plus tard.
Je suis moi-même chef d'entreprise dans la Manche, où je
possède une entreprise de nutrition animale. Je fabrique à
90 % des aliments bovins. Je suis Président du SNIA depuis 1996.
Notre profession représente globalement 23 millions de tonnes d'aliments
par an, à raison de 60 % dans le Grand Ouest (Bretagne et Pays de
Loire) et de 40 % répartis sur l'ensemble du territoire.
En effet, les produits que nous fabriquons, compte tenu de marges de 80 %,
du prix de vente et de la matière première, voyagent peu et pas
plus de 150 kilomètres.
Dans la mesure où l'élevage se développe un peu partout en
France, les usines sont réparties sur tout le territoire, à
raison d'environ 300 fabricants, de l'entreprise familiale ou petite entreprise
à la multinationale, des Groupes comme Glon-Sanders ou Guyomarc'h
fabriquant respectivement 2 et 3 millions de tonnes. Il s'agit donc d'une
segmentation très élargie.
Nous sommes fabricants d'aliments pour les animaux et non de farines animales.
Je le répète toujours car, en particulier dans les médias,
nous constatons encore aujourd'hui une confusion totale.
C'est à ce titre que nous avons été amenés à
utiliser des farines animales lorsqu'elles étaient autorisées.
Elles représentent pour nous une matière première et une
source de protéines. En effet, quand elles arrivent en tant que
matière première chez nous, elles contiennent entre 50 et
60 % de protéines.
Un aliment doit être équilibré non seulement en fonction
des espèces, mais aussi des âges dans une même
espèce, les besoins n'étant pas les mêmes pour un jeune
poussin que pour un poulet en finition, de même façon pour les
vaches laitières. Pour ces dernières, qui nous
préoccupent, nous fabriquons généralement un
complément de la ration de base.
L'alimentation principale d'un bovin consiste en ressources qui se trouvent sur
l'exploitation (fourrages, maïs, etc.) et l'aliment n'intervient que pour
une faible partie. En considérant qu'une vache mange 50 kilos par jour,
l'aliment peut représenter au maximum 5 à 6 kilos, ce qui n'est
pas vrai pour les autres espèces, mais la digestion des bovins fait
qu'un encombrement et une ration de base sont nécessaires.
Un aliment est équilibré quand il répond aux besoins en
matière d'énergie, de protéines et de minéraux et
nous y parvenons en fonction de ce qu'apporte chaque matière
première. C'est la raison pour laquelle nous avons l'habitude de dire
que cette nutrition est parfois plus pointue et plus équilibrée
que celle de l'homme compte tenu des indications que je vous ai données.
Les principales matières premières sont les
céréales, 70 % de nos compositions étant
constituées de ces dernières. Nous sommes dans notre profession
le premier consommateur de céréales, en France et en Europe, et
nous en consommons plus que pour l'alimentation humaine. Elles sont notre
principale matière première, sachant que nous en consommerons
cette année en France plus de 10 millions de tonnes. C'est à
comparer à 400 000 ou 500 000 tonnes de farines animales lorsqu'elles
étaient utilisées.
Les céréales apportent l'énergie et l'amidon, tandis que
les protéines sont apportées par des tourteaux de colza, de
tournesol et de soja ainsi que par des pois et de la luzerne.
Qu'est-ce qu'un tourteau, qui représente la deuxième source de
protéines ? On extrait d'une graine de colza, de tournesol ou de
soja l'huile qui sert à l'alimentation humaine, ce qui reste constituant
le tourteau, qui est riche en protéines.
Pour bien repréciser la place des farines animales, elles rentraient
dans la composition des aliments, quand elles étaient utilisées
-car, même quand elles étaient légalement
autorisées, elles ne l'étaient pas forcément pour
ceux-ci-, entre 3 et 6 %.
Elles sont de moins en moins utilisées pour une raison simple. Par
exemple, toutes les productions labels qui ont été
créées dans les années 1960 interdisaient les farines
animales et, depuis la mise en place des signes de qualité en France
(les labels ou la certification de conformité), de plus en plus de
cahiers des charges volontaires les interdisent. Elles sont donc de moins en
moins utilisées, nonobstant le problème de sécurité
sanitaire qui se pose, s'il existe.
Pour en revenir aux farines animales par rapport à notre profession,
nous n'avons pas attendu la crise de l'ESB -que nous pouvons situer dans les
années 1990- pour nous intéresser à la qualité des
farines animales, puisqu'elles sont un produit qui a fait l'objet d'accords
interprofessionnels dans les années 1980 et même avant, un accord
interprofessionnel résidant dans la rencontre entre des fournisseurs et
des utilisateurs qui définissent un cahier des charges d'utilisation des
matières premières.
Notre profession utilise un terme très ancien : « SLM ».
Dès que nous concluons une affaire -qui est généralement
confirmée par écrit-, cela correspond à la mention «
SLM », depuis l'origine de la profession, ce qui signifie : «
Sain, loyal et marchand ». C'est l'une de nos attentes.
Pour notre profession -et en particulier pour le SNIA-, la qualité des
matières premières est très importante. A titre d'exemple,
nous avons commencé dans la profession à nous intéresser
en 1990 à la certification d'entreprises (ISO 9000), 60 % des
industriels étant aujourd'hui certifiés ISO 9000.
De plus, en 1989, la profession, à travers un mot d'ordre professionnel,
décidait un an avant la réglementation de ne plus utiliser de
farines animales dans l'alimentation des bovins. Je tiens à la
disposition des membres -je n'étais alors pas Président- le
courrier de mon prédécesseur à ce sujet.
C'est la raison pour laquelle nous sommes un peu ulcérés -mais je
pense que nous y reviendrons à travers vos questions- de constater
certains excès médiatiques. Nous sommes accusés de n'avoir
rien fait ou d'être des empoisonneurs, sachant que nous ne sommes pas du
tout décidés à nous laisser faire et que nous avons
déposé il y a quelques jours deux plaintes en diffamation.
M. Roland du Luart
- Contre X ?
M. Yves Montécot
- Non, contre M. José Bové et M.
Jean-Claude Jaillette, un journaliste de « Marianne ».
Des mesures de précaution ont été prises très
tôt en France, d'où le différentiel important qui existe
entre notre pays et le Royaume-Uni. Environ 200 000 cas ont
été répertoriés au Royaume-Uni contre un peu plus
de 200 en France pour la même période, le cheptel français
étant deux fois plus important.
Les mesures qui ont été prises, à la fois par les
professionnels et les Pouvoirs publics qui se sont succédés, ont
été efficaces du fait de ce différentiel très
important.
M. le Président
- Merci pour cette entrée en
matière.
Savez-vous à peu près depuis quand les farines animales sont
utilisées dans l'industrie ?
M. Yves Montécot
- J'ai retrouvé une revue agricole de
1913 -que je pourrai vous fournir si cela vous intéresse- dans laquelle
il était recommandé aux futurs agriculteurs de donner 30 ou 40
grammes de farine animale par jour à une truie. Nous pouvons donc dire
que les farines animales ont été utilisées dès le
début du siècle, sachant que l'espèce des bovins est
certainement celle pour laquelle elles l'ont été le moins, mais
beaucoup de fabricants traditionnels ou qui produisent des aliments bovins
n'ont jamais utilisé de farines animales.
Les farines animales ont été utilisées pour les bovins
dans les années 1970-1975 sur les conseils de l'INRA, leur
caractéristique résidant dans le fait qu'elles sont riches en
méthionine, acide aminé qui protège. Elles ont
été utilisées un peu avant les tourteaux tannés -la
digestion des bovins, qui ont plusieurs estomacs, générant une
déperdition de la protéine-, notamment durant les pics de
lactation, quand l'animal a le plus besoin d'acides aminés, de l'ordre
de 2 à 3 %.
M. le Président
- Pour des animaux producteurs de lait ou de
viande ?
M. Yves Montécot
- Plutôt producteurs de lait, car les
besoins en termes de lactation concernent beaucoup plus les cheptels laitiers.
Cependant, la situation n'est pas la même au Royaume-Uni -la
différence étant d'importance-, ce pays ayant très peu
utilisé les tourteaux tannés, qui étaient une
découverte de l'INRA en France et ont été très
protégés pendant longtemps.
Dans la mesure où le Royaume-Uni n'avait pas accès aux tourteaux
tannés, il était un plus gros consommateur de farines animales,
sachant que les rations pouvaient aller de 10 à 11 %.
M. le Président
- Cela a été vérifié.
Cela signifie que, quand on utilisait en France de 2 à 3 % de
farines animales, on en utilisait à peu près 10 % en
Angleterre.
M. Yves Montécot
- Cela provient du fait qu'au départ le
tannage des protéines a fait l'objet d'un brevet de l'INRA qui a
été protégé.
Le tannage des protéines consiste à utiliser un peu de formol
à température pour protéger le tourteau et en particulier
le soja. Cela empêche que la protéine soit détruite dans le
premier estomac de la vache et permet de la protéger pour qu'elle soit
totalement assimilée. C'est en quelque sorte un emballage qui retarde la
digestion, qui n'est bien entendu utilisé que pour les bovins.
M. le Président
- Quand les farines animales étaient
autorisées, qu'indiquiez-vous sur l'étiquetage des sacs
d'aliments ?
M. Yves Montécot
- Nous indiquions jusqu'en 1992 « farine de
viande » ou « de poisson », mais un texte européen
est paru en 1992 qui demandait que les étiquettes soient
uniformisées en Europe à travers la mention « farine
d'animaux terrestres » ou « marins ». C'est la raison pour
laquelle je bondis quand j'entends des éleveurs qui me disent parfois
qu'ils ne savaient pas ce que contenaient les farines.
Je tiens à préciser à cet égard que les textes sur
l'étiquetage des aliments du bétail en France, qui datent des
années 1940, doivent être au nombre d'une quarantaine, la
réglementation étant dans ce domaine beaucoup plus stricte que
pour l'étiquetage relatif à l'alimentation humaine.
Pas un sac d'aliments ne part sans être étiqueté. Les
étiquettes sont cousues sur celui-ci au moyen d'un système
inviolable et chaque étiquette accompagne le bon de livraison quand il
s'agit de vrac.
M. le Président
- Les « animaux terrestres » sont
nombreux ! Cela signifie qu'il peut part exemple s'agir de chien ou de chat.
M. Yves Montécot
- Il faut préciser s'agissant de
l'étiquetage que nous devions jusqu'en 1992 faire figurer la liste des
ingrédients que nous utilisions en ordre décroissant pour
terminer par les vitamines.
Cependant, l'harmonisation européenne nous a donné deux
possibilités en 1992 : soit continuer à le faire, soit
passer à des catégories définies et réglementaires,
toujours par ordre décroissant. C'est la raison pour laquelle la
catégorie « farines d'animaux terrestres » regroupe
l'ensemble des farines de viande et de volaille- sachant que ces
dernières n'étaient pas concernées jusqu'au 14 novembre-,
les farines de plumes et les cretons, qui sont les farines d'animaux terrestres
provenant d'autres espèces que des bovins ou des porcs.
M. le Président
- Par qui les recommandations nutritionnelles
appliquées par la filière en termes de quantité
d'éléments protéiques et ensuite présents dans
l'alimentation animale sont-ils déterminés ?
M. Yves Montécot
- Vous faites référence à
ce que l'on appelle les tables de l'INRA, qui consistent en un livre important
qui détermine les valeurs nutritionnelles de chaque produit, mais il
peut également être tenu compte d'équations personnelles,
certaines firmes disposant de stations de recherche et pouvant mener leurs
propres recherches. Cependant, les tables de l'INRA représentent la base
de la formulation.
M. le Président
- Des normes existent-elles en matière de
quantité de produits ?
M. Yves Montécot
- C'est ce que l'on appelle le système de
formulation, sachant que les matières premières sont connues et
définies : l'énergie, les protéines, les acides
aminés et les minéraux.
Ensuite, en fonction des espèces et de l'âge, les besoins des
animaux sont également définis dans ce que nous appelons des
« matrices de formulation ». On estime par exemple qu'un jeune
poussin a besoin de 3 200 calories, les protéines étant en
général gérées dans des fourchettes.
Cependant, il existe également des interdits, des bornes étant
fixées pour toutes les matières premières. Elles
s'échelonnent de 0 à 100 quand cela ne présente aucune
difficulté, mais des maximums sont aussi fixés.
Par exemple, en France, l'oeillette sert pour la pharmacie et le tourteau
d'oeillette est un excellent produit en termes nutritionnels, mais les bovins
ne l'aiment pas, raison pour laquelle il est interdit.
Le principe est que des matières premières sont proposées
à l'intérieur de ces bornes, un calcul étant
effectué pour obtenir un résultat qui soit le plus
économique possible. Il nous est indiqué
généralement que nous faisons en sorte d'opter pour le moins
cher, mais c'est faux. L'essentiel est de satisfaire les besoins, étant
entendu que nous reprenons évidemment dans les fourchettes de
satisfaction ce qui est le moins cher. Nous définissons les besoins, le
prix n'intervenant qu'en dernier lieu, alors que le reproche inverse nous est
souvent fait.
Nous procédons informatiquement, mais il y a trente ans c'était
fait à la main et il fallait presque deux ou trois heures pour
équilibrer une formule. C'est un calcul très pointu ; nous
tenons compte en général de 25 à 30
caractéristiques en termes de besoins.
M. le Président
- Qui contrôle votre entreprise à
part vous ? Etes-vous contrôlé par un organisme quelconque
qui vérifie si vos formules et la réalisation sont bien conformes
à ce que vous annoncez ?
M. Yves Montécot
- L'une des caractéristiques de notre
profession est que nous sommes contrôlés, par rapport aux services
de l'Etat, par deux Directions totalement différentes : la DGCCRF
(répression des fraudes) et les services vétérinaires (les
DSV).
Je vous ai indiqué par ailleurs que les cahiers des charges
privés, signe de qualité, étaient nombreux, les labels ou
la certification de conformité étant contrôlés par
des organismes certificateurs accrédités par le COFRAC
(comité français d'accréditation).
Une entreprise de taille moyenne subit à peu près entre 20 et 30
contrôles par des organismes différents par an en dehors des
contrôles officiels, car tous les fabricants ont des cahiers des charges
labels et certifiés.
Nous organisons nos propres auto-contrôles en interne, 60 % de la
profession étant sous certification, notamment à travers des
manuels qualité.
Enfin, sur la base d'une directive européenne, tous les fabricants
devront être agréés dans quelques mois, cette notion
d'agrément européen étant en cours depuis plusieurs
années.
Nous sommes vraisemblablement une des professions où la
traçabilité est la plus grande. Par exemple, si vous me demandez
quels aliments j'ai fabriqués le 23 décembre 1979 à 3
heures du matin, je serai capable de retrouver ceux que nous avons
fabriqués à cette heure-là, les matières
premières que nous avons utilisées et la
traçabilité des formules.
Nous disposons généralement d'une traçabilité
écrite, peu de secteurs pouvant remonter aussi loin, ce qui est suivi
à travers des enregistrements de stocks permanents en matière
d'utilisation, de fabrication et de mise à jour. En effet, soit
manuellement, soit informatiquement, il est aujourd'hui nécessaire de
suivre précisément les utilisations de matières
premières et les stocks. Cela a eu beaucoup d'importance s'agissant des
contrôles effectués par la DGCCRF dans les années 1993,
1994, 1995 et 1996, mais je pense que nous aurons l'occasion d'y revenir dans
la mesure où tous ces éléments ont été
repris.
M. Paul Blanc
- J'ai une série de questions à vous poser.
La première concerne votre accord interprofessionnel d'octobre 1989,
dans le cadre duquel les professionnels se sont engagés à ne plus
utiliser les farines animales pour les aliments pour ruminants. Pouvez-vous
vous engager pour l'ensemble des professionnels de votre syndicat ?
M. Yves Montécot
- C'est une réponse bien entendu
difficile pour un Président, mais je vais spontanément vous dire
oui, en ajoutant néanmoins -ce que j'ai toujours déclaré
depuis que je suis Président- que s'il s'avérait qu'un de nos
adhérents avait fauté ou fraudé, nous nous porterions
partie civile.
Ce n'est d'ailleurs pas resté lettre morte, puisque depuis que je suis
Président, en 1996, le SNIA s'est porté partie civile dans le
cadre de 14 affaires. Il s'agissait non pas d'affaires de farines animales
-sinon je ne pourrais pas vous répondre oui-, mais d'hormones, etc.,
dont certaines sont encore en cours. Je souhaite bien entendu que le chiffre
que je vous ai indiqué reste confidentiel, sachant qu'il m'est
arrivé de me porter partie civile par rapport à un
adhérent que nous avons exclu.
M. Paul Blanc
- Vous nous avez indiqué que vous aviez une
parfaite traçabilité de vos produits : cela signifie donc
que vous pouvez nous indiquer quelle était l'origine des farines
animales que vous incorporiez aux éléments auparavant.
M. Yves Montécot
- C'est un point important, mais j'ai toujours
pour habitude de dire qu'il faut relativiser. Les farines animales valent au
meilleur des cas 1,50 F le kilo. Elles sont importées par bateaux de 2
000 à 3000 tonnes ou arrivent par camions, mais de toute façon
elles ne passent pas inaperçues.
Par ailleurs, l'ouverture du marché commun a un peu modifié la
donne, mais ce n'était pas encore le cas dans les années qui nous
intéressent, et des feuilles de route ainsi que des documents de douane
accompagnaient les produits, chaque camion qui arrive faisant encore
aujourd'hui l'objet d'un accompagnement, la provenance de la matière
première étant indiquée, ainsi que sa dénomination
et ses caractéristiques.
M. Paul Blanc
- Pouvez-vous nous indiquer quel pourcentage de farine
provient d'Angleterre ?
M. Yves Montécot
- Le Royaume-Uni exportait de l'ordre de 10 000
tonnes par an dans les années 1986, mais c'est ridicule en pourcentage.
La France fabrique globalement un million de tonnes et en utilisait dans ces
années-là 600 000, ce qui signifie que 2 % des farines
provenaient d'Angleterre. Je fais référence aux documents des
douanes repris par la mission parlementaire de l'Assemblée Nationale.
M. Paul Blanc
- Avons-nous la garantie que les farines étaient
saines avant le 14 novembre 2000 ?
M. Yves Montécot
- La date la plus importante avant le 14
novembre 2000 est le 26 juin 1996, quand tous les matériaux à
risque ont été supprimés, ce qui est une
originalité française. Les abats à risque ont
été supprimés et de plus chauffés à
température.
M. Paul Blanc
- Votre syndicat a-t-il agi dans ce cadre auprès du
ministère pour éviter l'interdiction totale de ces farines
animales ?
M. Yves Montécot
- Ma position n'a pas changé depuis 1996,
date à laquelle je suis devenu Président. Je vous laisserai si
vous le souhaitez des articles de presse qui datent de juin 1996 : j'ai
déclaré alors -comme je l'ai fait en novembre- que si les farines
animales présentaient un risque il fallait les interdire.
M. Paul Blanc
- Vous avez fait une déclaration, mais vous
êtes-vous lancé dans une démarche ?
M. Yves Montécot
- Oui, nous avons adressé des courriers.
Notre position est qu'il faut interdire les farines animales si elles
présentent un risque et que si ce n'est pas le cas il faut les
tolérer.
Nous avons fait plusieurs démarches auprès des différents
ministres dans le cadre de l'harmonisation européenne et nous leur avons
écrit dès le départ, dès 1996. Je reprendrai les
courriers avec les dates si vous souhaitez avoir des précisions.
M. le Président
- Pourrez-vous nous laisser ces courriers ?
Nous avons besoin de pièces.
M. Yves Montécot
- Cela ne pose pas de problème, sachant
qu'il s'agit dans certains cas de courriers communs avec le SYNCOPAC.
Nous avons écrit au Directeur général de la Consommation
en avril 1998 pour lui réclamer l'harmonisation, mais nous sommes
même allés plus loin. En effet, les farines étaient
chauffées et séparées en France, mais celles de pays de la
Communauté pouvaient entrer sur le territoire. Nous avons donc pris la
décision professionnelle, à l'époque, de ne pas
procéder à des échanges avec les pays de la
Communauté si les produits n'étaient pas conformes aux
spécifications françaises, en établissant un avenant aux
accords interprofessionnels dans ce cadre.
Les différents courriers que nous avons pu rédiger portaient
toujours sur l'harmonisation et nous demandions aux ministres concernés
qu'ils nous assurent que les farines animales n'étaient pas dangereuses.
Enfin, nous sommes intervenus avant la crise sur la notion de traces et de
tolérance analytique. En effet, nous savons au-dessous de 3 pour
1 000 que quelque chose se passe, mais nous ignorons s'il s'agit de
farines animales et nous ne pouvons pas le quantifier. Nous avions
demandé au ministre de l'Agriculture par un courrier précis de
s'engager sur cette notion.
M. Paul Blanc
- M. Robin nous a indiqué que les graisses animales
avaient parfois été utilisées dans les aliments pour le
bétail : le confirmez-vous ?
M. Yves Montécot
- Notre métier inclut des métiers
différents. Par exemple, les aliments d'allaitement n'en font pas partie.
M. Paul Blanc
- M. Robin nous en a parlé.
M. Yves Montécot
- Nous en commercialisons, mais ils ne font pas
partie de notre activité. Nous commençons avec les aliments
grossiers. Je confirme que des farines animales ont pu être
utilisées dans certain cas, mais à de faibles pourcentages et
beaucoup plus comme adjuvants de fabrication.
M. Paul Blanc
- Selon vous, par quoi les contaminations croisées
ont-elles été rendues possibles ?
M. Yves Montécot
- Je préfère parler de «
mélanges fortuits », les éviter étant l'une des
caractéristiques de notre métier.
Je vais si vous le permettez, pour vous montrer l'importance que nous avons
toujours accordée à cela dans notre profession, prendre un
exemple. Nous utilisons pour certaines volailles des anti-parasitaires à
raison de 10 ppm pour 100 kilos pour un aliment destiné à un
poussin de 50 grammes. Or, si un bovin de 600 kilos avale la même dose,
il ne résiste pas.
Notre profession est justement, par définition, de gérer ce type
de situation par des interdits, des précautions, des ruptures de la
chaîne de fabrication, etc. J'ai toujours considéré en tant
que chef d'entreprise que les risques d'erreur ou de mauvaise manipulation
étaient très graves, l'absence de mélanges fortuits
étant un point important dans notre profession, ce qui se gère
par des lots, des séparations ou des rinçages de circuits.
Cependant, des accidents peuvent se produire. Je vous ai cité l'exemple
des anti-parasitaires chez les bovins pour l'avoir vérifié
personnellement dans mon entreprise sur la base d'un accident, sachant que dans
certains secteurs les accidents peuvent être liés à une
absence de précautions dans la mesure où le risque n'est pas
connu.
A ce sujet, nous avons élaboré en 1996 un guide professionnel de
bonnes pratiques pour éviter les contaminations croisées. Il a
été rapidement mis en place avec des professionnels et nous avons
demandé aux deux administrations que j'ai citées de le valider,
ce qui a été fait en 1997.
M. Paul Blanc
- Vous n'avez pas à ma connaissance rappelé
les sacs de farine, de viande et d'os pour les ruminants qui avaient
été vendus avant juillet 1990, mais les éleveurs ont-ils
été suffisamment informés ? En effet, le syndicat a
décidé de ne plus les utiliser en octobre 1989, mais auparavant
certaines farines avaient été confectionnées.
M. Yves Montécot
- Je dois corriger votre propos : je n'ai
pas à rappeler des sacs de farine et d'os car je n'en vends pas.
M. Paul Blanc
- Avez-vous conseillé aux vendeurs de les
rappeler ?
M. Yves Montécot
- Nous n'avons pas rappelé les aliments
pouvant contenir 1 ou 2 % de farines animales. J'ai le texte du 27
novembre 1989 sous les yeux. Il s'agissait d'une part d'écarter
l'utilisation de toute farine de viande importée ou
métropolitaine dans les formules destinées aux ruminants et
d'éviter dans les usines polyvalentes la fabrication de formules
destinées aux ruminants après des formules comportant des farines
de viande.
M. Paul Blanc
- J'entends bien qu'il n'existait pas d'interdit, mais
vous aviez professionnellement, dès octobre 1989, décidé
qu'il valait mieux ne pas adjoindre de farines animales à la
fabrication, sachant que vous n'aviez si j'ai bien compris aucune raison
d'être inquiet. Vous avez simplement pris une précaution.
M. Yves Montécot
- C'était en effet un principe de
précaution, étant entendu qu'en 1989 il n'était pas du
tout question de contamination. C'était apparenté à la
« tremblante du mouton », qui existait depuis longtemps.
M. Paul Blanc
- Si je ne m'abuse, les importateurs ont été
avisés le 17 juin 1993 que les importations de farines irlandaises
étaient à nouveau autorisées. Votre syndicat avait-il
été consulté ou avait-il émis un avis à ce
sujet ?
M. Yves Montécot
- Je n'étais pas Président
à l'époque et je n'ai pas retrouvé de traces de cela, mais
nous ne sommes en général pas concernés par ce type
d'avis. Il faut préciser que l'embargo avait été mis en
août 1989, en même temps qu'en Angleterre, et qu'ensuite il a
été levé en 1993.
Il a été levé parce qu'à l'époque la
situation en Irlande n'était pas du tout la même qu'en Angleterre,
le process de fabrication de la République d'Irlande étant plus
proche de celui de la France que de celui de l'Angleterre.
Il existe deux cas typiques. Je suis normand et fais du bateau dans les
îles anglo-normandes : à Jersey, 680 cas de vache folle ont
été répertoriés sur 5 000 vaches, soit trois fois
plus qu'en France.
En Irlande, caillou de 5 kilomètres de long sur 3 kilomètres de
large, plus de 200 cas de vache folle ont été
répertoriés, car ce pays a toujours travaillé avec les
Anglais, pour des raisons dont je ne débattrai pas ici, mais le
processus de fabrication de farines animales irlandaises est presque le
même qu'en France.
L'embargo a été levé car l'Irlande n'est pas
considérée comme un pays à haut risque, comme
l'Angleterre.
M. Paul Blanc
- Il subsiste néanmoins des doutes sur le fait que
des farines anglaises soient allées en Irlande et d'Irlande soient
venues chez nous. Quel est votre avis sur la question ?
M. Yves Montécot
- Cela a été vérifié
et contrôlé par les services des douanes et nous-mêmes,
sachant que nous surveillons les importations et les mouvements.
Dans les années 1993, 1995 et 1996, tous les mouvements ont
été étudiés par les services de douanes et
retrouvés, ce qui a permis fin 1996 et début 1997 au ministre de
l'époque, M. Galland, de préciser après
vérification qu'il n'y avait eu ni importations ni utilisations
illicites.
Il est vrai que les volumes ont augmenté, mais c'est normal puisqu'une
source s'est tarie, sachant que le marché anglais fournissait environ 10
000 tonnes par an. Le marché français utilisait des farines
animales et s'est approvisionné à ce moment-là en Belgique
et même dans certains cas au Danemark. Cela faisait partie des
échanges commerciaux normaux.
M. Paul Blanc
- Oui, mais nous n'avons pas de moyens de contrôle
pour savoir si les échanges entre l'Angleterre et l'Irlande ne se sont
pas accélérés. Je pense que vous avez prévu un
voyage en Angleterre, Monsieur le Président, pour que nous en sachions
plus à cet égard.
M. Yves Montécot
- Il faut en effet poser la question à
l'Irlande et aller voir ses services de contrôle. Il a été
indiqué que les importations en provenance de Belgique avaient
été multipliées par cinq, mais il faut savoir que nous
importions 2 000 tonnes et que nous sommes passés à 10
000, à ramener à 600 000 tonnes.
Par ailleurs, des produits d'Angleterre qui valent 1,50 F passent par
l'Irlande, la Belgique et même par le Danemark. Or, il faut qu'il y ait
intérêt pour qu'il y ait fraude, l'accumulation des frais de
transport enlevant tout intérêt aux produits.
Nous entendons souvent dire que dans les années 1989 nous avons en tant
que professionnels acheté des farines animales anglaises parce qu'elles
étaient bon marché. Cependant, j'ai fait établir sur une
période longue -de 1985 à 1995- une courbe pour le prix du soja
et une autre pour celui des farines animales et vous constaterez
vous-mêmes qu'elles sont parallèles. C'est dû au fait que ce
qui fait le prix des protéines dans le monde est le soja et le dollar.
Quand le soja et le dollar augmentent, les autres protéines font de
même, avec les conséquences que cela a eu le 14 novembre.
Dans la période incriminée, qui est la plus critique, en 1989,
les cours du soja étaient au plus bas, ce qui explique qu'il en allait
de même pour les farines animales, les courbes relatives aux farines de
viande et de soja étant parallèles sur une période qui va
de janvier 1986 à juillet 2000.
M. le Président
- Le problème réside dans le fait
que, si les farines de viande disparaissent, plus rien ne limitera ou encadrera
le cours du soja, puisque c'était la compétition de ces deux
produits qui faisait que les cours se maintenaient.
M. Yves Montécot
- Tout à fait. Le soja avait d'ailleurs
déjà augmenté, mais il a connu une nouvelle augmentation
(située entre 15 et 20 %) le 14 novembre. Nous avons diffusé
hier un communiqué à destination de la presse et de
l'environnement indiquant que les aliments et le prix de revient des
productions animales augmentaient de 20 %.
Le soja valait 1 F en juillet 1989 en port rendu contre 1,80 F en
décembre 2000. Ce n'est pas uniquement dû à la
décision du 14 novembre, car le marché était haussier,
mais il s'agit aussi d'un marché d'offres et de demande, de telles
décisions conduisant à une augmentation.
M. Jean-François Humbert
- Par rapport à ce que vous nous
avez indiqué il y a un instant concernant les statistiques
douanières, à partir du moment où l'on est dans le cadre
d'un marché unique européen, quelles sont les douanes qui
fournissent les informations, les douanes françaises ou les douanes
belges ?
En effet, la libre circulation des biens et des personnes fait que par exemple
je ne suis pas certain qu'il existe des vérifications douanières
entre la Belgique et la France.
M. Yves Montécot
- Un suivi documentaire est effectué,
mais les services des douanes peuvent aussi procéder à des
vérifications dans les pays concernés sous forme de
contrôles. En tout cas, notre traçabilité est documentaire,
à travers des documents d'accompagnement systématiques.
M. Jean-François Humbert
- Quelle est la force probante de ces
documents ?
M. Radet
- Les documents font l'objet d'un étiquetage
particulier, notamment les déclarations d'échanges de biens quand
ils changent de pays, comme pour tout document commercial.
Ils ont d'ailleurs fait l'objet de vérifications par le biais d'une
réquisition, donc d'une procédure judiciaire. Dans le cadre des
éléments de traçabilité évoqués par
M. Montécot, les fabricants ont dû donner différents
documents par rapport à leur comptabilité interne s'agissant de
ce qui entrait et était utilisé dans l'entreprise, les
déclarations d'échanges de biens indiquant l'origine des produits.
M. Yves Montécot
- Cette réquisition du Juge Boizette a eu
lieu en 1997. L'ensemble des fabricants français ont fourni des
déclarations d'échanges camion par camion, toute transaction
correspondant à un mouvement, nonobstant tous les contrôles
aléatoires que peuvent effectuer les services.
Je dois compléter la réponse faite sur les utilisations en
évoquant les contrôles effectués dans les entreprises par
les services des fraudes, qui ont concerné presque tous les fabricants,
étant entendu qu'il ne s'agissait pas de contrôles de routine. Ils
ont duré presque un mois, avec 2 ou 3 fonctionnaires, toutes les
entrées et sorties de l'entreprise ayant été reprises,
avec vérification des documents correspondants.
M. Jean-François Humbert
- Parmi vos 200 adhérents,
combien ont une taille européenne, à savoir des
établissements dans plusieurs états de l'Union Européenne,
et quels sont-ils ?
M. Yves Montécot
- Un certain nombre d'entre eux ont une taille
européenne. Il s'agit dans l'ordre de Glon-Sanders, de Guyomarc'h, du
Groupe Trouw Nutrition, de fabricants comme Verzel-Laga, qui sont
implantés en France et dans d'autres pays, d'Agribands, adhérent
américain, et de Central Soya, puis nous passons à de grandes
entreprises de taille régionale, comme Univor et Huttepain, qui
produisent 500 000 tonnes par an.
Suivent les petites entreprises, comme l'une des miennes, qui travaillent sur
4 ou 5 cantons.
Je tiens néanmoins à préciser que la
sécurité et la fiabilité des entreprises n'a pas de lien
avec la taille. C'est mon privilège à la fois de Président
et de chef d'entreprise. Il n'existe pas de corrélation entre ces deux
éléments.
M. Jean-François Humbert
- Ma question n'avait pas pour but
d'établir une corrélation. Je souhaitais simplement savoir s'il
existait des possibilités de passage au sein d'un même groupe
entre différents pays européens.
M. Yves Montécot
- L'aliment ne voyage pas, contrairement aux
matières premières, notamment le soja, qui est le plus cher.
M. François Marc
- La question de l'importation des
matières dangereuses est intéressante, mais je voudrais surtout
évoquer l'application par les entreprises des dispositions interdisant
les farines animales pour les bovins depuis déjà un certain
nombre d'années. Malgré cette interdiction, il semble que de
nombreux bovins aient consommé des aliments comportant des farines
animales.
Les techniciens d'élevage des entreprises, qui passent chez les
producteurs, leur donnent un certain nombre de conseils et leur vendent des
produits, ont-ils été conduits au cours des dernières
années à conseiller parfois aux agriculteurs de donner de
l'aliment porc à des bovins parce que cela faisait mieux grandir les
veaux ? C'est une question précise qui fait écho à un
certain nombre de propos entendus par des agriculteurs.
Je sais que la prise de conscience n'était pas la même il y a dix
ans, mais les conseils qui ont été donnés aux
éleveurs n'ont-ils pas parfois été empreints d'un certain
laxisme ?
M. Yves Montécot
- Votre question est importante et je vais y
répondre sur deux points. Des méthodes permettent depuis 1998 de
savoir ce qui est mélangé ou pas, ce qui fait
référence aux fameux « 3 pour 1000 ».
Les derniers chiffres de la DGCCRF, qui datent d'avant la crise et concernent
la période du 1er janvier au 30 juin 2000, indiquent que, sur 280
contrôles effectués en entreprise, aucun n'était en dehors
de la limite, alors qu'en 1999 une dizaine d'entreprises frôlaient
celle-ci.
Quant au fait qu'un technicien préconise à un éleveur de
donner à des bovins des aliments volaille, je n'y crois personnellement
pas, car je suis un homme de terrain, sachant qu'ils sont
généralement plus chers que les aliments bovin et porc. De plus,
ils sont mauvais nutritionnellement. Cela a pu se passer à certaines
périodes, quand les éleveurs n'étaient pas
sensibilisés au problème, mais je ne pense pas que cela ait
été fréquent.
J'ai beaucoup entendu dire qu'il peut arriver, quand un éleveur produit
de la volaille à côté d'un cheptel de bovins, qu'en fin de
bande, s'il reste une tonne, 500 ou 100 kilos dans le silo, des aliments
volaille soient donnés, mais je n'y crois pas, car nutritionnellement
les besoins ne sont pas du tout les mêmes. De plus, ce n'est pas
économiquement judicieux.
M. François Marc
- Pouvez-vous nous préciser si, dans un
granulé pour bovin, il peut exister une dose suffisante pour le
contaminer ? En effet, 1 cm3 de cervelle étant
considéré comme contaminant, nous pouvons penser qu'un seul
granulé contient une dose suffisamment forte.
M. Yves Montécot
- J'avoue qu'il vaut mieux que vous posiez cette
question aux scientifiques, mais il faut savoir que les farines
françaises étaient sécurisées, les abats à
risque ayant été supprimés.
Si un ou des granulés sont contaminants, à une dose que les
scientifiques ne connaissent pas encore, cela signifie que les farines
françaises sont très contaminées.
La méthode d'analyse est la suivante pour les fameux « 3 pour 1 000
» : quand on trouve 1 pour 1 000 d'os, on en déduit que la
viande contient 3 pour 1 000 de farines animales. On recherche en fait les
fragments d'os. Le niveau de la recherche et de l'analyse est donc bien 1 pour
1 000 et non 3 pour 1 000, mais la viande est considérée comme
conforme jusqu'à 3 pour 1 000, car on ne peut pas quantifier.
M. Michel Souplet
- 200 cas de vache folle ont été
répertoriés en France jusqu'à présent : il
serait intéressant de savoir pour ceux-ci chez qui les éleveurs
de ces animaux se fournissaient en farines. En effet, logiquement, on n'aurait
pas dû trouver de cas -à une bavure près- chez tous ceux
qui se fournissent en farines chez les adhérents du SNIA, puisque depuis
1989 il ne se fabrique plus d'aliments pour bovins contenant des farines
animales. Il serait intéressant de pouvoir se dire qu'après tout
cela provient de l'étranger ou d'autres éleveurs qui
étaient moins sérieux.
M. Yves Montécot
- Je vais vous répondre, mais sans vous
suivre forcément dans votre raisonnement, car je n'ai pas pour habitude
de dire : « Ce n'est pas nous, ce sont les autres » ; je
pense qu'il existe d'autres explications.
Premièrement, nous avons connaissance de tous les cas, mais nous ne
savons pas forcément qui était le fournisseur, certains
éleveurs en ayant très souvent plusieurs. Par ailleurs, certains
éleveurs n'ont jamais utilisé de tels aliments.
Deuxièmement, la contamination par les farines animales n'est pour
l'instant que l'hypothèse la plus probable.
J'ai alerté l'Administration au plus haut niveau, car j'ai toujours
été surpris qu'il soit considéré qu'en Angleterre
12,5 des cas sont liés à la transmission parentale alors qu'en
France celle-ci n'est pas reconnue, la reproduction des vaches en Angleterre et
en France me paraissant assez semblable.
Enfin, il faut savoir que le premier cas de vache folle qui ait
été diagnostiqué et retrouvé date de 1833, à
Bordeaux ; c'est ce que nous appelons « les cas
sporadiques ».
Cependant, je précise que la situation en France n'est pas la même
qu'au Royaume-Uni. Nous savons ce qui s'est passé au Royaume-Uni :
à partir d'un brevet américain, le produit a été
chauffé à 80 degrés au lieu de 130, sachant que ce
procédé n'a jamais été utilisé en France.
Je pense que vous avez remarqué que je ne fais pas de commentaires dans
la presse depuis la décision du 14 novembre sur la suppression des
farines animales, même si j'en fais sur les conséquences et les
coûts que cela entraîne.
En revanche, j'interviens fortement -j'ai encore donné une interview
à la télévision hier- quand on dit que les fabricants ont
importé illégalement et que nous avons empoisonné.
En effet, nous savons comment se terminera cette affaire. Soit les personnes
qui avancent cela ont des preuves, auquel cas il appartiendra à la
justice d'agir, soit elles n'en ont pas et il ne faudra pas les laisser faire,
car cela porte un discrédit sur l'ensemble de la profession.
3 cas concernent des animaux nés en 1996. Cependant, si des animaux
nés après le 26 juin 1996 sont atteints, il faudra trouver
d'autres explications que les farines animales.
M. le Président
- Les conséquences sont financières
pour vos entreprises, car le coût des matières premières
est plus élevé, mais cela vous pose-t-il également des
problèmes sur le plan technique ?
M. Yves Montécot
- J'ai toujours déclaré que l'on
pouvait agir rapidement, en quelques jours, voire en quelques heures, ce qui a
été fait. Quand nous avons donné des explications, nous
pensions beaucoup plus aux conséquences pour l'élevage en France
(par rapport à la perte de valorisation des cinquièmes quartiers,
etc.), aux problèmes d'environnement et au coût de la destruction
qu'à notre profession.
Les conséquences pour nous résident dans le fait que la
décision prise entraîne sur le marché mondial du soja un
besoin supplémentaire de 3 millions de tonnes en Europe, qui en importe
30 millions.
Cela représente un très fort bénéfice pour les
Etats-Unis et pour le Brésil, le prix des graines ayant remonté
de la même façon, la France s'approvisionnant plutôt au
Brésil qu'aux Etats-Unis, même si c'est plutôt l'inverse en
Europe.
Les protéines françaises (soja, colza et tournesol) ont aussi
beaucoup augmenté, la différence entre les protéines
françaises ou européennes et américaines résidant
dans le fait que nous n'avons pas de disponibilité en Europe.
Cela signifie que les 3 millions d'appels qui seront faits vont aller vers le
soja, ce qui nécessite que des décisions soient prises pour que
la culture des protéines puisse être développée et
encouragée en Europe.
Les conséquences économiques sont donc très fortes,
80 % de notre prix de vente provenant des matières
premières. Si celles-ci augmentent de 20 % alors que la marge de la
moyenne de la profession est de l'ordre de 1 %, nous ne pourrons que
répercuter et augmenter les prix, ce qui renchérira d'autant ceux
des productions et des viandes qui se trouvent sur le marché .
M. le Président
- Il nous reste à vous remercier
infiniment.
Audition de M. Daniel RABILLER, Président de la
Fédération Nationale des Coopératives de Production et
d'Alimentation Animale
(SYNCOPAC)
(20 décembre 2000)
M.
Gérard Dériot, président
- Nous allons maintenant
pouvoir entendre M. Daniel Rabiller, Président de la
Fédération Nationale des Coopératives de Production et
d'Alimentation Animale, et M. Merlot, Directeur de cet organisme.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à MM.
Rabiller et Merlot.
M. Daniel Rabiller
- Je suis Président du Syncopac en tant que
représentant d'une coopérative française et
agriculteur-éleveur en Vendée.
Mon propos est de bien spécifier l'avant 1996 par rapport à
l'après 1996.
Avant 1996, la réglementation concernait l'alimentation animale, alors
que depuis 1996 elle a davantage trait à l'aspect sanitaire pour
l'homme. Il est clair qu'avant 1996 personne ne s'était soucié
des retombées possibles sur la santé humaine, ce qui a valu en
1989, en Angleterre et en France, de réglementer les importations de
farines anglaises, la France ayant pris en 1990 la décision d'interdire
toute farine animale chez le ruminant.
En 1989, seules certaines entreprises avaient la possibilité d'importer
des farines anglaises, à certaines conditions et sous le contrôle
des services vétérinaires français, pour des utilisations
bien précises.
Les fabricants d'aliments et toute la société française
ont vécu jusqu'en 1996 avec la réglementation qui datait de 1990
et interdisait toutes les farines animales pour les ruminants, l'Europe n'ayant
pris la décision que je viens d'évoquer qu'en 1994.
Des dispositions ont été prises entre 1989 et 1996 pour assurer
la sécurité sanitaire des animaux, mais rien n'a
été fait pour assurer celle des hommes. En effet, pendant toute
la période durant laquelle toutes les importations de farines anglaises
ont été interdites -ce qui était normal-, l'on n'a jamais
interdit en France les importations de viande et d'abats anglais, qui ont
été consommées de façon tout à fait normale
par les Français, celles-ci (notamment s'agissant des abats) ayant
fortement augmenté en 1993, 1994 et 1995.
On parle toujours des contaminations croisées qui ont pu se produire
depuis 1996 mais, si un certain nombre de fraudes ont été
commises avant 1996, nous souhaitons que la transparence soit faite le plus
vite possible et que des sanctions soient prises, ce qui est le problème
de la justice.
En 1996, avec la prise de position du ministre anglais, qui a
considéré que la maladie de la vache folle pouvait être
transmise à l'homme, un certain nombre de dispositions ont
été prises en France. Elles sont toutes résumées
dans le rapport Dormont et ont été appliquées à
partir du 1er juillet 1996. Nous pouvons considérer qu'à partir
de là les farines animales n'ont plus du tout été les
mêmes.
Ce rapport comporte trois points importants :
L'élimination des cadavres et des saisies de farines animales. Nous nous
apercevons aujourd'hui, après les tests qui ont été
réalisés, que certains animaux étaient plus à
risque que d'autres.
La mise aux normes des équarrisseurs, celle-ci n'ayant été
malheureusement appliquée qu'en 1998, à la suite d'une position
réitérée de la part de la part de la Communauté
Européenne, à travers l'obligation faite à la France par
l'Europe de se mettre aux normes.
La séparation, dans les fabrications d'aliments, entre les aliments pour
ruminants et les autres sortes d'aliments pouvant contenir des farines
animales, point qui nous concerne plus particulièrement en tant que
fabricants d'aliments.
Nous aurions souhaité en 1996 qu'une réglementation beaucoup plus
stricte aille jusqu'à indiquer qu'il fallait vraiment séparer les
usines de fabrication et interdire quasiment la fabrication d'aliments aux
ruminants dans une usine polyvalente car cela présentait un risque de
mélange.
Nous avons à la demande de l'Administration -qui n'était pas
favorable à cette prise de position- établi avec nos
collègues du SNIA un guide de bonnes pratiques qui consiste à
définir très précisément qu'elles doivent
être les méthodes de fabrication dans nos usines d'aliments, pour
répondre au rapport Dormont et afin d'éviter tout mélange
possible entre les aliments pour ruminants et ceux pour volailles ou cochons.
Ce guide de bonnes pratiques évoque un certain nombre de points :
le nettoyage des camions qui transportent les matières premières,
celui des cuves après réception d'une farine animale et les
moyens relatifs à la distribution, par exemple la vidange des camions
qui ont livré un aliment pour volailles ou porcs avant d'en livrer un
pour ruminants.
Il est évident que, dans une usine polyvalente, le risque de retrouver
une trace est grand. En effet, vous avez beau prendre toutes les
précautions possibles, étant donné les méthodes
d'analyse et de recherche actuelles, on retrouvera toujours une trace, dans un
camion qui n'aura pas été bien nettoyé, etc.
De 1996 à aujourd'hui, seule la France a pris des dispositions aussi
rigoureuses. En effet, elle a pris en matière d'alimentation animale et
de sécurité dans ce domaine des précautions très
strictes qui je crois ont été appliquées par l'ensemble
des fabricants d'aliments.
Ces précautions ont entraîné parallèlement nos
adhérents à prendre un certain nombre de dispositions rigoureuses
pour éviter le risque de mélange, sachant que certains d'entre
eux, compte tenu du risque et de la pression des contrôles
effectués dans nos usines d'aliments par la DGCCRF et les services
vétérinaires, avaient déjà supprimé depuis
trois ou quatre ans toutes les farines animales dans leurs usines pour opter
pour le 100 % végétal. De même, certaines entreprises
qui possédaient plusieurs usines les ont spécialisées,
toujours dans la perspective d'éviter les mélanges.
Nous avons demandé le 11 juillet au ministère de l'Agriculture de
nous préciser ce qu'il fallait retenir en termes de traces dans
l'alimentation animale, en lui précisant que faute de quoi nous serions
amenés à prendre des dispositions et à faire des
recommandations à nos adhérents pour les inciter à ne plus
utiliser les farines animales, mais nous n'avons jamais eu de réponse
précise sur ces normes.
Nous avons d'ailleurs recommandé tout début octobre à nos
adhérents et à toutes les usines polyvalentes, avant que la crise
éclate -compte tenu de la pression forte qui était exercée
sur nous-, de ne plus utiliser du tout de farines animales, sachant que
début octobre, selon une enquête rapide que nous avons
menée auprès de nos adhérents, nous avons constaté
que 75 % d'entre eux ne le faisaient plus.
Nos adhérents ont également pris d'autres mesures, la plupart
d'entre eux étant depuis 1996 certifiés ISO 9002 et utilisant les
mêmes méthodes de suivi de fabrication que n'importe quelle usine
agroalimentaire ou ayant une activité économique.
Nous avons toujours constaté par rapport aux risques pouvant exister une
sorte d'absence de position bien définie de la part des Pouvoirs publics
concernant l'ensemble de ces réglementations.
En effet, comme je vous l'ai indiqué, nous avons demandé le 11
juillet des précisions sur les problèmes de traces et nous
n'avons pas eu de réponse. De même, nous avons fait depuis 1996 un
certain nombre de demandes sans que les positions de l'Administration aient
jamais été très bien établies et très
claires en la matière, ce qui nous a amenés à aller un peu
plus loin que la réglementation, jusqu'à supprimer les farines
animales dans un certain nombre de cas.
Il est beaucoup question depuis 1996 des farines qui provenaient d'Angleterre
et qui étaient paraît-il la cause d'une contamination
croisée, mais a-t-on parlé des farines françaises et
celles-ci étaient-elles véritablement saines ?
En effet, dans le début des années 1990, quand des viandes et
abats anglais ont été importés massivement, je suppose que
tous ces déchets sont rentrés dans les farines françaises.
Enfin, par rapport au cinquième point du rapport Dormont, qui
évoquait la séparation stricte de la fabrication d'aliments pour
ruminants de celle pour d'autres espèces, si des traces
présentaient à l'époque un risque important, il fallait
éliminer tout de suite les farines animales, car on ne peut pas jouer
avec un problème de santé.
Notre profession a beaucoup servi de bouc émissaire depuis 1996, et nous
avons été pendant très longtemps accusés
d'être responsables de tout ce qui se passait. De plus, nous sommes mis
avant s'agissant de contaminations croisées qui auraient pu avoir lieu
depuis 1996, alors que le problème de fond se pose avant 1996 puisque
toutes les vaches atteintes d'ESB sont nées en 1993, 1994 et 1995.
Cette époque correspond également au constat d'une faillite
européenne. Jamais l'Europe, alors que nous sommes dans une
communauté européenne pratiquant le libre échange, n'a
pris de véritables mesures strictes et rigoureuses pour éviter
tout risque de mélange à quelque niveau que ce soit, sans parler
du problème anglais, ce qui s'est passé depuis 1986 étant
relativement inquiétant.
Le consommateur réagit et fait payer de façon injuste toute la
production bovine, ce qui est grave. Nous faisons de nombreux efforts, mais
malgré tout il se sent trompé, ce qui est extrêmement
inquiétant.
M. le Président
- Quelle mention les sacs d'aliments que vous
prépariez avant interdiction étaient-elles portées sur les
étiquettes ?
M. Daniel Rabiller
- Nous avons toujours affiché la
réglementation française et européenne, qui a toujours
été très stricte en matière d'étiquetage de
l'alimentation animale, celui-ci étant très proche de celui
relatif à l'alimentation humaine.
Cependant, l'harmonisation européenne nous a obligés à
revenir en arrière à une certaine période, ce qui est
regrettable, sachant que la France appliquait une réglementation par
ingrédients en matière d'étiquetage.
Cependant, nous en revenons aux ingrédients. Nous avons d'ailleurs
recommandé début octobre à tous nos adhérents,
même si la réglementation ne les y oblige pas, à indiquer
sur les étiquettes de sacs d'aliments pour animaux tous les
ingrédients qui rentrent dans la composition de ceux-ci et non plus
uniquement les catégories.
M. le Président
- Qui élabore les recommandations
nutritionnelles suivies par l'ensemble de la filière en termes de
quantités et d'éléments protéiques mis dans les
aliments pour animaux ?
M. Daniel Rabiller
- La formulation des aliments est un domaine
d'activité qui a été très étudié par
l'INRA, toute la recherche relative à l'alimentation animale, à
travers la connaissance de la vie de l'animal et l'analyse des matières
premières, provenant toujours de celui-ci.
De même, nous comptons dans nos entreprises des services de recherche qui
ont toujours travaillé en étroite collaboration avec l'INRA ainsi
qu'avec d'autres chercheurs étrangers, notamment aux Etats-Unis et
partout où il existe des données technologiques importantes quant
à la connaissance des matières premières dans le domaine
de la nutrition et de l'animal.
Nous nous intéressons systématiquement à tout ce qui se
passe pour pouvoir adapter l'alimentation des animaux de façon à
obtenir une meilleure croissance de chacun d'entre eux tout en
préservant leur bien-être.
M. le Président
- Qui contrôle la composition et la bonne
réalisation des formules ?
M. Daniel Rabiller
- Hormis les systèmes d'auto-contrôle
que chaque usine possède, le secteur de l'alimentation animale est
contrôlé par la Direction des services vétérinaires
et la répression des fraudes, qui examine occasionnellement ce qui se
passe dans n'importe quelle usine d'alimentation, sans oublier par ailleurs
tous les cahiers des charges demandés à nos usines d'aliments par
la grande distribution ou par des groupements d'éleveurs, qui sont
définis par l'ensemble de la profession ainsi que par ceux qui nous les
demandent et qui sont contrôlés par les organismes certificateurs.
Les contrôles, qui sont effectués par un ensemble de personnes,
sont réguliers et encore beaucoup plus importants depuis 1996.
M. Paul Blanc
- Vous êtes vous-même éleveur.
Estimez-vous en tant que Président du Syncopac que l'ensemble de la
profession des éleveurs a été bien informée
s'agissant de la composition des aliments et de la présence de farines
animales ?
M. Daniel Rabiller
- Je l'ignore. Il faut se replacer dans le contexte
de la fin des années 1980 et du début des années 1990. Il
ne s'agissait pas alors d'un problème d'ordre public.
M. Paul Blanc
- Il a commencé à faire son apparition entre
1990 et 1996.
M. Daniel Rabiller
- Seuls les professionnels étaient vraiment au
courant, sachant qu'à l'époque je n'étais pas
mêlé à l'alimentation animale comme je le suis depuis 1995,
même si je suivais la question en tant que Président d'une
coopérative qui fabriquait des aliments.
J'avais connaissance de tout ce qui se passait en Angleterre et je savais que
la farine animale était interdite pour les ruminants, mais je ne suis
pas certain que les éleveurs connaissaient pertinemment toutes les
conséquences de cela.
M. Paul Blanc
- Des formations n'ont pas été
dispensées.
M. Daniel Rabiller
- A ma connaissance, aucune formation ou information
n'a été donnée et aucun débat public n'a jamais eu
lieu sur ce problème. C'est la raison pour laquelle j'ai insisté
dès le départ sur l'avant et l'après 1996.
Un problème de santé animale se posait en Angleterre avant 1996,
mais cela ne concernait pas la France pour l'éleveur que je suis ou mes
collègues qui travaillaient dans leur exploitation.
En effet, nous savons parfaitement ce qui se passe chez nos voisins en France
et nous savions qu'un problème de maladie se posait en Angleterre, mais
cela ne nous concernait pas tant que c'était chez les autres, sachant
qu'alors personne ne savait très bien comment la maladie pouvait se
transmettre. Le souci n'était pas extrêmement profond.
M. Paul Blanc
- Vous avez été très clair en
indiquant que, d'une façon que vous avez explicitée, des
contaminations accidentelles avaient pu se produire, mais pensez-vous
également que les farines animales aient pu être utilisées
de façon frauduleuse ?
M. Daniel Rabiller
- Il ne m'appartient pas de dire si des farines
animales ont été utilisées ou non de façon
frauduleuse. C'est à la justice de démêler ce genre
d'affaire si cela a été le cas, sachant que nous avons toujours
indiqué très clairement que si fraudes il y a eu elles doivent
être sanctionnées. Un représentant de notre profession ne
peut pas supporter l'idée que l'un de nos adhérents ait
incorporé dans un aliment quelconque -quel que soit le produit- une
matière première qui était interdite.
M. Paul Blanc
- Se pose également le problème des farines
de viande et d'os utilisées pour les ruminants et vendues avant 1990. Je
suppose que vous avez aussi signé l'accord interprofessionnel pour
exclure toutes les farines animales en 1989, mais certaines d'entre elles ont
été fabriquées et distribuées en 1989. Avez-vous
mené une action pour alerter éventuellement vos
adhérents ?
M. Daniel Rabiller
- Je ne sais pas si un accord interprofessionnel a
été signé en 1989, car mes prédécesseurs ne
me l'ont pas précisé et parce que je n'en ai pas retrouvé
de trace. En revanche, je sais qu'en 1990 il a été interdit
d'utiliser toute farine animale pour les ruminants, ce qu'il faut retenir, les
adhérents de nos entreprises en ayant bien entendu été
largement informés. C'est à partir de là que la justice
doit pouvoir faire son travail si fraudes il y a eu.
M. Paul Blanc
- Au-delà, vous auriez pu éventuellement
donner une information sur les farines fabriquées avant cette
interdiction qui contenaient des farines animales et conseiller de ne plus les
utiliser, de les détruire ou de les rapatrier.
M. Daniel Rabiller
- Quand il a été interdit d'utiliser
les farines animales le 14 novembre, les éleveurs ont
été autorisés, selon des normes bien précises,
à utiliser leurs stocks et les fabricants d'aliments à
procéder à des fabrications avec leurs matières
premières jusqu'au 30 novembre et parfois jusqu'au 15 décembre.
M. Paul Blanc
- N'avez-vous pas eu connaissance de la même
façon de procéder en 1990 ?
M. Daniel Rabiller
- J'imagine que la même chose a dû se
produire, sachant que cela ne représente pas forcément de grosses
quantités. Le phénomène actuel de la vache folle concerne
les bovins nés en 1993, 1994 et 1995, et il faudra s'interroger sur les
cas humains dans la mesure où la durée d'incubation est de 12 ans.
M. Paul Blanc
- L'avis du 17 juin 1993 a autorisé les
importations de farines irlandaises. Avez-vous une explication à nous
donner à ce sujet ?
M. Daniel Rabiller
- Non, car nous ne sommes pas importateurs. Nous
sommes des fabricants d'aliments et achetons des matières
premières en France et à des importateurs. Ce problème
concerne ces derniers et l'Etat.
M. Paul Blanc
- Vous connaissez la provenance des farines.
M. Daniel Rabiller
- Je ne suis pas certain qu'à l'époque
les acheteurs de matières premières demandaient aux importateurs
un cahier des charges précis.
M. Paul Blanc
- Vous n'avez pas la possibilité de disposer d'une
traçabilité s'agissant des importateurs.
M. Daniel Rabiller
- A chacun son métier, sachant que depuis 1996
nous nous soucions fortement de la traçabilité des
matières premières compte tenu de la pression de plus en plus
forte exercée sur nous.
Pour des raisons de sécurité et pour rassurer le consommateur et
nos éleveurs, nous recherchons par tous les moyens une
traçabilité des matières premières. C'est l'un de
nos soucis majeurs, comme vous pouvez le voir avec le soja. La question des
farines animales ne se pose plus du tout aujourd'hui, mais que se passait-il
à ce moment-là ?
M. le Président
- Comme vous l'avez rappelé, un certain
nombre d'entreprises ont obtenu des dérogations pour importer des
farines britanniques après 1989. Cela a-t-il été le cas
dans votre syndicat ?
M. Merlot
- En principe non.
M. Daniel Rabiller
- C'était destiné à des usines
spécialisées pour des productions de volailles et de porcs.
Notre Fédération regroupe un peu plus de 50 % des fabricants
d'aliments en France, mais le pourcentage était très
inférieur à l'époque, les coopératives occupant une
position très forte depuis le début des années 1990 en
matière d'alimentation animale. Nous n'avons pas la liste des
entreprises que vous évoquez, mais elle existe.
M. François Marc
- Vous avez, Monsieur le Président,
reconnu avec beaucoup d'honnêteté que les risques de
mélanges fortuits ne pouvaient pas être complètement
éliminés. Or, dans la mesure où nous savons que les
farines ont été interdites depuis 1990, la bonne décision
n'aurait-elle pas été de spécialiser chaque filière
de fabrication d'aliments pour les activités porcs, bovins et
volailles ? Cela aurait représenté une garantie
satisfaisante.
M. Daniel Rabiller
- Nous pourrions même aller jusqu'à
envisager des éleveurs spécialisés qui ne produisent pas,
car le risque existe parmi ceux-ci, notamment par rapport aux fonds de silos.
Nous aurions souhaité en 1996 que la décision aille jusque
là.
Cependant, un adhérent m'a indiqué qu'il avait appliqué
ces dispositions en 1996 et la firme service dans laquelle je travaille avait
fait de même en demandant à ses adhérents de prendre de
multiples précautions, y compris pour les graines, sachant que nous
avons eu à ce moment-là la garantie, de la part des Pouvoirs
publics et du ministre de l'Agriculture, que nos farines françaises
étaient saines.
Il faut se resituer dans le contexte de 1996, seule la France ayant pris des
mesures draconiennes à travers l'élimination des cadavres,
saisies et de tous les abats à risque, ce qui était une
nouveauté. Nous avons éliminé 99 % du risque.
Il faut toujours se replacer dans l'époque où ces
décisions ont été prises. Personne en France ne parlait
alors du risque en matière de santé humaine ; cela
concernait l'Angleterre.
Dans toutes les informations que nous avons pu avoir entre septembre et
octobre, il n'était question que de traces de 0,1 à 0,3 %,
ce qui est très minime. Cependant, même si ce sont des traces de
farine animale qui ont été à l'origine de la maladie chez
l'animal, il est extrêmement grave d'avoir laissé une
matière première sur un marché, la question étant
de savoir si cela ne provient pas d'une absence de position forte de la part
d'un certain nombre de scientifiques ou d'administrations.
Je ne veux pas rejeter la pierre, mais nous sommes dans un pays où
chacun a son travail à faire. Vous avez le nôtre et nous le
nôtre, comme les administrations et les scientifiques.
Nous pouvons nous interroger sur la volonté de ne pas vouloir prendre de
dispositions rigoureuses parce que cela allait entraîner des
conséquences économiques. De plus, il n'existe pas en Europe de
véritable harmonie sanitaire.
C'est un problème extrêmement grave car, si l'on veut parler de
problèmes de santé animale et humaine, à plus forte raison
dans une communauté de pays où le libre échange existe, il
est urgent d'avoir une harmonie sanitaire.
M. François Marc
- Ce que certains appellent la contamination
croisée, que d'autres qualifient de « mélanges fortuits
», est possible dans une usine et ensuite sur l'exploitation, quand
différentes activités d'élevage sont rassemblées
sur celle-ci.
Avez-vous des précisions à nous donner sur le comportement des
entreprises depuis 1990, date d'interdiction des farines pour les bovins, quant
aux conseils qui ont pu être donnés aux éleveurs ? Une
campagne de sensibilisation et de formation des techniciens d'élevage
dans le cadre de leur travail vis-à-vis des exploitants a-t-elle
été organisée ?
Nous avons en effet eu des échos de conseils donnés à des
éleveurs qui n'étaient pas toujours très rigoureux
s'agissant du respect de l'interdiction totale de farines animales pour les
ruminants.
M. Daniel Rabiller
- Les conseils des techniciens sont professionnels,
ceux donnés à un éleveur de bovins n'étant
évidemment pas du tout les mêmes que ceux donnés à
un éleveur de volailles ou de porcs.
Je pense que vous faites allusion à des propos consistant à dire
que les techniciens auraient conseillé de donner des aliments bovins
à des volailles, mais cela me paraît utopique, car il ne s'agit
pas du tout du même animal. Les matières premières sont les
mêmes à 95 %, mais des formulations changent dans la mesure
où des matières premières ne sont pas recevables par telle
ou telle espèce.
Je tiens à préciser que, durant tout le début des
années 1990, personne ne s'est soucié vraiment de lancer une
campagne d'information sur ces risques, ni vous ni nous. Même
après 1996 -ce qui est sans doute plus grave-, parce que le
problème a toujours été imputé aux fabricants
d'aliments, étant entendu que nous avons servi de bouc émissaire,
des précautions ont-elles été prises et des campagnes
d'information ont-elles été lancées auprès des
éleveurs polyvalents ?
Jusqu'en 1997-1998, des éleveurs de toute bonne foi qui avaient des
élevages de volailles et de bovins pouvaient fort bien faire consommer
des fonds de silos à ces derniers ; personne ne leur avait rien dit.
C'est à la marge, mais je tenais à insister sur l'absence de
précautions prises, même si l'on a voulu que les fabricants
d'aliments en prennent beaucoup, sachant que nous sommes allés
jusqu'à spécialiser nos camions de livraison, ceux qui livrent
des aliments pour les ruminants ne livrant plus d'aliments pour les volailles
et les porcs. Nous ne nous soucions de façon forte de ce risque dans ce
pays, et ce à tous les niveaux, que depuis un ou deux ans.
M. Gérard Le Cam
- Nous allons visiter des établissements
de fabrication d'aliments dans le cadre de notre enquête
(coopératives ou entreprises privées) et j'aimerais avoir dans ce
cadre accès aux documents commerciaux (bons de commande et de livraison
et ceux qui établissent l'origine des produits) datant d'avant et de
juste après l'interdiction. Pensez-vous que ce sera possible ? Les
entreprises les ont-elles conservés ?
M. Daniel Rabiller
- Absolument. Tous ces documents sont
conservés et font régulièrement l'objet d'analyses de la
part de la brigade d'enquête des services vétérinaires.
Non seulement pour le Juge Boizette, mais aussi à chaque fois qu'un cas
de vache folle se présente dans une région donnée, l'usine
est analysée d'un bout à l'autre, par rapport à tous ses
documents comptables et non à sa conception matérielle, toute
entreprise ayant l'obligation de les conserver.
Je puis vous assurer que toutes les usines ont préparé leurs
dossiers il y a longtemps et qu'elles sont prêtes à les remettre
aux services d'enquête, étant entendu que vous les aurez dans la
mesure où vous faites partie d'une commission d'enquête. Le
contraire serait anormal.
M. le Président
- Nous vous remercions infiniment.
Audition de M. Bruno POINT,
Président du Syndicat des Industries
Françaises de Coproduits Animaux
(SIFCO)
(20 décembre 2000)
M.
Gérard Dériot, président
- Merci, Monsieur Point,
d'avoir répondu à notre invitation.
Je rappelle que vous êtes Président du Syndicat des Industries
Françaises de Coproduits Animaux le (SIFCO).
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Point.
M. le Président
- Nous vous demandons au titre de votre fonction
de nous rappeler comment vous fonctionnez, surtout par rapport au
problème des farines animales puisque c'est le sujet de notre commission
d'enquête.
M. Bruno Point
- Je me permets de vous remettre un document comportant
des chiffres.
Je représente le SIFCO (Syndicat des Industries Françaises de
Traitement des Coproduits Animaux).
Ce syndicat regroupe 23 entreprises qui représentent grosso modo un
chiffre d'affaires de 4 MDF. Sont adhérents 30 sites de production qui
fabriquent des farines, des graisses et des suifs. Ces farines et ces graisses
sont concernées par l'objet de votre enquête et étaient
commercialisées, notamment auprès de fabricants d'aliments pour
animaux.
Ces 30 sites de production sont répartis sur le territoire
français, 10 sites de production travaillant en parallèle sur les
produits concernés par le service public de l'équarrissage. Je
vous ai remis à cet égard deux tableaux simples et
synthétiques donnant un petit schéma des filières et
rappelant les volumes concernés par l'une et l'autre de ces
activités.
Le service public de l'équarrissage a été institué
en 1996 suite aux arrêtés du 28 juin 1996 et a fait l'objet d'une
loi en décembre 1996. Il concerne les cadavres d'animaux, les saisies
d'abattoirs et les MRS, c'est-à-dire les matières ou
matériels -selon la traduction de l'anglais- à risques
spécifiés que sont les systèmes centraux nerveux des
ruminants.
Je ne vais pas vous énoncer les quantités que vous avez sous les
yeux, mais cela correspond très globalement à de 3 à 3,5
tonnes de coproduits valorisables jusqu'au 14 novembre 2000, après un
départ à 600 000 tonnes, le service public de
l'équarrissage ayant beaucoup évolué puisqu'il a fait
l'objet d'arrêtés complémentaires sur de nouveaux produits,
le dernier en date concernant les boyaux de bovins, qui portent ces volumes
à 850 000 tonnes.
Pour mémoire, la production globale des farines et des graisses animales
est en Europe de l'ordre de 3 millions de tonnes pour les farines et de 1,5
tonne pour les graisses, chiffre grossier mais qui situe le niveau de
production.
Je vous ai fait une description très générale et
synthétique des entreprises adhérant à notre syndicat, qui
représente la quasi-totalité des producteurs.
Il s'agit d'entreprises spécifiques de production de farines et de
graisses animales à partir des coproduits et d'ateliers
intégrés au sein des abattoirs dont l'activité marginale
est connexe. Il s'agit en général de grands groupes de viande qui
se sont équipés eux-mêmes en annexe de leur production de
viande et de leur travail sur les coproduits.
Notre profession a vu sa réglementation profondément
évoluer depuis 1990. Je pense que vous avez analysé tous les
textes, le texte principal étant celui de 1990, qui interdit
l'utilisation des farines de viande dans l'alimentation des bovins et qui a
été repris en 1994 pour être élargi aux ruminants.
De même, la directive européenne 667 de 1990 est très
importante, car elle définit l'encadrement général de
notre profession. Elle a été reprise en France en 1991.
Nous appelons cela dans notre métier « l'arrêté de
1991 », qui définit les produits, donc les matières
(c'est-à-dire les produits et sites à bas et haut risque) et
détermine les procédures d'agrément pour tous ceux-ci.
C'est un texte clé qui encadre toute la profession européenne et
française.
En 1994, une directive européenne importante a défini les
conditions exactes de traitement des coproduits animaux, en déterminant
les paramètres de traitement, notamment en termes de temps, de
température et de pression. Il a été
complété en 1996 sur le plan européen et en 1998 sur le
plan français, à travers la stérilisation sous pression
à 133 degrés, 3 bars et 20 minutes.
J'ai déjà fait allusion au retrait, en 1996, des cadavres
d'animaux, des saisies d'abattoirs et des systèmes centraux nerveux des
ruminants, suivi le 30 décembre de la loi sur le service public de
l'équarrissage.
En conclusion -j'ai avec moi une liste de textes, mais je suppose que vous en
disposez-, il a été interdit le 14 novembre 2000 d'utiliser les
farines de viande et les graisses animales dans l'alimentation des animaux
d'élevage et dans celle des animaux de compagnie, avec quelques
exceptions pour ces derniers.
Plus récemment, l'interdiction européenne n'est applicable qu'aux
farines, sachant que l'Allemagne a pris la décision d'interdire les
graisses complémentaires, à l'image de la France.
Je vais maintenant vous dire quelques mots de l'encadrement de notre profession
par rapport aux textes français. Jusqu'en 1996, avec la loi du 30
décembre, nous étions sous le régime de celle de 1975,
dite d'équarrissage, qui définissait notre profession en mettant
en place la nécessité pour chaque Préfet d'appliquer 3
arrêtés préfectoraux départementaux.
Le premier définissait une commission dite d'équarrissage
présidée par le Préfet, dans laquelle siégeaient
les administrations, notamment de l'agriculture et des fraudes, le Conseil
Général et les professions, c'est-à-dire les
éleveurs, les abattoirs et nous-mêmes.
Le second était un arrêté préfectoral dit de
périmètre. Le Préfet devait faire en sorte que, dans tout
son département, l'intégralité des cadavres et des
déchets animaux issus des abattoirs soit collectée par un
équarrisseur, sachant qu'en son temps l'application de cette loi nous a
beaucoup été reprochée. On considérait qu'elle
était à notre bénéfice, puisque chaque entreprise
se voyait attribuer un périmètre dans le cadre de laquelle elle
avait apparemment l'exclusivité en matière de collecte.
C'est un débat passé sur lequel nous ne reviendrons pas, mais
cela cadrait le système. Il y avait là une volonté claire
du législateur de s'assurer que tous les cadavres et coproduits animaux
étaient bien récupérés et que les abattoirs
disposaient d'un service obligatoire de collecte de ces derniers.
Enfin et très accessoirement, le Préfet devait appliquer un
arrêté de tarification quand des problèmes
d'indemnité se posaient.
Cependant, tous ces éléments ont été
modifiés par la loi de 1996, qui a institué le service public de
l'équarrissage, mais qui ne traite que des cadavres d'animaux, des
saisies d'abattoirs et des matières à risque
spécifié, dont l'objectif était la santé humaine,
c'est-à-dire le retrait volontaire de la chaîne alimentaire
d'abats et de coproduits susceptibles de véhiculer des prions.
Les autres coproduits sont à considérer sous l'angle d'un
déchet qui n'a pas de définition légale précise si
ce n'est d'être un déchet.
En conclusion, maintenant que ces produits sont interdits et après que
nous ayons travaillé pendant dix ans -nous l'avions déjà
fait auparavant- à sécuriser notre profession, à mettre en
place des outils de traitement ainsi que les tris en abattoirs, à
établir des guides de bonnes pratiques avec ces derniers et à
répondre à toutes les sollicitations des administrations en
matière d'informations techniques quant à la
réalité et à la diversité de notre métier,
nous avons aujourd'hui un autre objectif, qui consiste à gérer le
maintien de la collecte des coproduits en abattoirs et en boucheries et leur
destruction, sans parler de leur stockage intermédiaire pendant la
période un peu trouble que nous allons traverser.
C'est probablement à ce prix, en étroite concertation avec les
Pouvoirs publics et beaucoup d'élus locaux, que nous arriverons à
gérer ce nouveau problème.
M. le Président
- Nous constatons que cohabitent à
l'intérieur des mêmes usines et des mêmes
établissements deux activités différentes : d'une
part le service public de l'équarrissage -comme vous l'avez
rappelé- et, parallèlement, la fabrication de farines
destinées à l'alimentation animale. Cela a-t-il pu favoriser des
mélanges de farines saines et « contaminées » ?
Pensez-vous que cette organisation à l'intérieur de chaque usine
ait été mise en place suffisamment tôt ?
M. Bruno Point
- Des collectes distinctes se sont très rapidement
mises en place en 1996, effectuées dans des véhicules distincts,
et les usines se les sont réparties, sachant qu'il n'existe plus
aujourd'hui que deux usines mixtes, c'est-à-dire à
l'intérieur desquelles s'exercent ces deux activités. Les 8
autres ne traitent que les coproduits afférents au service public de
l'équarrissage.
Ceci s'est fait au fil des mois, mais la contrainte qui a été la
nôtre depuis notamment deux ans a plutôt consisté à
affecter de nouvelles usines au service public de l'équarrissage
étant donné l'augmentation des volumes apportés du fait
que, l'équarrissage au sens de la collecte des cadavres devenant un
domaine public, nous avons vu leur nombre augmenter peu à peu, mais de
façon très régulière et importante, l'Etat ayant
été le premier surpris.
Nous avons vu dans les deux années qui ont suivi le nombre
d'enlèvement de petits animaux augmenter de beaucoup, mais ce n'est pas
du tout vrai pour les bovins, qui étaient parfaitement collectés.
La commercialisation des farines et des graisses animales est interdite, mais
-c'est en tout cas le principe arrêté aujourd'hui et il semble que
cela doive être maintenu- les cadavres, les saisies et les MRS
(c'est-à-dire des produits potentiellement à risque) font
toujours l'objet d'une loi et doivent être traités distinctement,
sachant que cela devrait probablement durer.
Nous constatons en revanche une augmentation très importante des
volumes, notamment s'agissant des boyaux de bovins, et il nous faut, au fil des
mois ou des années, y affecter des usines, ce qui n'est pas simple.
Cela signifie qu'une usine qui traite des produits valorisables doit être
débaptisée parce qu'elle traite des produits dits dangereux, tout
au moins dans l'opinion des médias et de l'opinion publique, ce que nous
concevons, cette opération ne se faisant pas sans douleur, de nombreux
freins étant préoccupants pour nous.
Pour répondre à l'aspect premier de votre question, la collecte
est tout à fait distincte, de même que les usines, à
l'exception de deux d'entre elles, qui sont mixtes. Je n'en suis pas
l'inspecteur, mais je crois pouvoir dire qu'elles sont parfaitement
étanches. En tout cas, la réglementation est précise
à ce sujet : il faut qu'une séparation existe à
l'intérieur de ces usines.
M. le Président
- Ce n'est pas fait actuellement.
M. Bruno Point
- Il reste deux usines dites mixtes.
M. le Président
- Qu'en était-il avant 1996 ?
M. Bruno Point
- Toutes les usines étaient communes.
M. le Président
- Pensez-vous que des contaminations aient pu se
produire avant 1996 ?
M. Bruno Point
- Avant 1996, tous les produits étaient
traités et commercialisés au sein des mêmes usines. Par
conséquent, si des matières à risque contenaient des
prions et que toutes les interrogations des scientifiques sont fondées
-étant entendu que je me garderai d'émettre la moindre opinion
sur ces sujets-, il est clair que ces produits ont été
travaillés et commercialisés jusqu'en 1996.
M. le Président
- Il est vrai qu'il n'existait pas d'interdiction.
Vous nous avez rappelé qu'en France les types de traitement, en
matière de chauffage, de temps et de pression, sont restés les
mêmes.
M. Bruno Point
- En effet. J'ai même l'intime conviction -mais
cela n'engage que moi et c'est très subjectif- que la France -il
apparaît au vu des chiffres qu'elle est un pays très important
s'agissant du cheptel bovin- était un pays très important jusque
dans les années 1994-1995 en termes d'utilisation de farines de viande.
En effet, dans la mesure où elle avait un grand élevage,
notamment de volailles, elle avait un besoin en protéines et utilisait
donc les protéines animales de façon assez performante.
Les procédés de cuisson -que je connais au-delà de la
réglementation de par ma profession- étaient à haute
température. Il existait notamment à l'époque de
façon assez large, en particulier dans les grandes régions de
production, des outils de traitement dans un bain de graisse à 150
degrés.
Il ne s'agit pas sur le plan scientifique de 133 degrés, de 3 bars et de
20 minutes, et je me garderais de dire que cela inactive les produits,
mais j'ai le souvenir d'avoir vu mes aînés être dans cette
profession très attentifs à ce que l'on appelait les incuits. Ils
prenaient garde à ce que le produit soit cuit ; cela faisait partie
de la tradition française.
De même, nous avons toujours connu des contrôles en matière
bactériologique, même s'ils ont évolué. Un
contrôle était effectué tous les mois, il y a 25 ans,
contre un par semaine il y a 20 ans et un tous les jours il y a 15 ans.
La situation a évolué, mais les Directeurs des services
vétérinaires ont toujours suivi la bactériologie de nos
produits. Je ne suis pas certain que ce soit le cas au Royaume-Uni, mais en
tout cas j'ai toujours été surpris que cela n'ait pas
été mis en avant.
Il a été mis en avant que le procédé à basse
température, qui a fait l'objet d'un investissement massif au
Royaume-Uni, était l'une des sources probables de la diffusion du prion,
mais j'ai toujours été surpris que l'on ne s'interroge pas sur la
destruction de la bactériologie simple, banale et courante, pour tout
l'agroalimentaire au sens large, dans le cadre de ce procédé
thermique, parce que les températures utilisées ne permettaient
pas, par exemple, de détruire les clostridiums, ce qui n'aurait jamais
pu arriver en France, car cela ne faisait pas partie de notre esprit et de
notre culture et parce que des contrôles ont toujours été
effectués, même s'ils étaient il y a vingt ans moins
importants qu'aujourd'hui.
M. Paul Blanc
- Vous avez à plusieurs reprises fait
référence à la loi du 31 décembre 1996,
sachant que les critiques sont nombreuses sur la concentration excessive des
entreprises d'équarrissage dans votre secteur. Pensez-vous que cette loi
a renforcé cette concentration et êtes-vous au courant de ces
critiques ?
M. Bruno Point
- Oui, nous les entendons régulièrement,
davantage sous un angle économique.
M. Paul Blanc
- Pensez-vous que la loi a pu renforcer ces
concentrations ?
Par ailleurs, vous avez indiqué par rapport à cette loi, ce qui
m'a fait sursauter, que l'élimination des carcasses et des abats
(notamment de produits à risque) avait été en quelque
sorte systématiquement ordonnée et coordonnée
vis-à-vis du risque que présentent les prions. En était-il
donc déjà question en 1996 ?
M. Bruno Point
- On en parle depuis 1990, ou en tout cas de l'ESB.
Peut-être n'ai-je pas employé le mot adéquat.
M. le Président
- Vous ne l'auriez pas employé à
l'époque.
M. Bruno Point
- En effet, j'emploie le langage d'aujourd'hui et non
celui de 1996. Vous faites bien de le souligner, car cela me permet
d'être plus précis.
M. Paul Blanc
- A ma connaissance, on ne parlait pas de prions en 1996
et par conséquent on ne pouvait pas parler d'élimination d'abats
à risque, de contaminations dans le cadre de maladies humaines et de
l'ESB. C'était le cas pour d'autres maladies à risque (la
brucellose notamment), mais certainement pas pour l'ESB, car le prion
n'était pas connu à ce moment-là.
Estimez-vous que le stockage des farines est aujourd'hui effectué de
façon satisfaisante ? En effet, nous en avons vu et entendu
beaucoup à ce sujet.
M. Bruno Point
- Votre propos contient deux questions, la
première ayant trait aux concentrations liées à la loi. Je
pense que cette dernière a pu favoriser la poursuite de ces
concentrations, mais j'estime que c'est l'évolution des normes qui les a
générées au fil des années.
En effet, les normes devenant de plus en plus pointues, techniques et
exigeantes, elles nécessitent des moyens humains, sachant que nous
sommes passés en trente ans de l'artisanat à l'industrie et de
l'industrie de production à l'industrie de sécurité et
sanitaire. C'est le métier qui veut cela.
Je ne dis pas que la faute en revient aux normes, mais l'évolution
générale de la société et des métiers
nécessite des moyens humains, techniques et financiers.
Il est par ailleurs certain que la scission entre les produits à
détruire et ceux qui restaient valorisables jusqu'à ce jour a
aussi posé des problèmes. J'ai notamment parlé des usines
mixtes : les opérateurs n'ont pas la vocation économique de
les maintenir, mais il arrive qu'une région ne compte qu'une usine.
Il pourrait être envisagé de construire une deuxième usine,
mais ce serait un parcours du combattant au regard des textes qu'il importe de
respecter en matière de procédures d'établissements
classés. De même, il faudrait trouver un site d'accueil, dire que
c'est impossible étant une banalité. En tout cas, nous ne sommes
pas invités, donc ce serait un combat.
M. Paul Blanc
- Ma deuxième question portait sur le stockage.
M. Bruno Point
- Nous avons des réunions régulières
avec M. le Préfet Proust, qui mène une action tout à fait
coordonnée et très volontaire. A ce jour, le stockage correspond
à la production, mais il est certain que de toute façon
l'équation que M. le Préfet Proust doit gérer consiste
à mettre en place des débouchés d'incinération, au
fil des mois qui viennent, pour stocker ce qu'il est nécessaire de
stocker mais pas plus.
En effet, s'il ne se brûle pas un kilo de plus dans les mois qui
viennent, nous devrons faire face à 700 000 ou un million de tonnes dans
un an, le potentiel de stockage homologué faisant l'objet de
procédures d'établissements classés et correspondant
à un cahier des charges assez strict, dont la dernière copie nous
a été remise ce matin. Cela fonctionne, mais il ne faudrait pas
que cela dure six mois. Si un système d'incinération n'est pas
mis en place d'ici là, cela n'ira pas.
M. Paul Blanc
- Nous avons vu à la télévision des
images de stockages assez agressives pour le public, avec des risques de
ruissellement, etc.
M. Bruno Point
- Il s'agissait de stockages anciens, les médias
utilisant très souvent les mêmes sources. Nous voyons les
mêmes images -qui sont les moins satisfaisantes- depuis trois ans, mais
c'est un peu symbolique, le Gouvernement ayant nommé un Préfet
pour ne pas renouveler les difficultés et les errements du passé.
Ceci dit, cela permet de passer le message qu'il est fondamental que, lorsque
des mesures sont prises, elles le soient en coordination avec nos professions
afin que nous puissions pour le moins -chacun faisant son travail- exposer ce
que nous pensons devoir être les soucis qui se profilent à
l'horizon.
Par exemple, l'abattage des bovins de plus de 30 mois est une mesure
européenne -sur laquelle je n'entends absolument pas porter de jugement
parce que ce n'est pas mon propos- reprise en France. Or, je n'ai pas lu
à ce sujet un mot concernant les procédures d'élimination.
En revanche, les contraintes sont mentionnées, sachant qu'il faut
veiller à ce que même le suif soit éliminé,
étant entendu -nous avons assisté à une réunion
à ce sujet ce matin- que nous ne pouvons pas en France gérer
cette mesure immédiatement. Je ne dis surtout pas que la profession
n'entend pas s'y associer, mais nous ne saurons pas le faire au 1er janvier.
M. Paul Blanc
- Si je ne m'abuse, la décision communautaire de
1996 sur le traitement thermique des farines n'a été
transposée en France qu'en février 1998. L'explication ne
résiderait-elle pas dans ce que vous venez d'indiquer s'agissant de
l'élimination des cadavres de bovins de plus de 30 mois, à savoir
qu'en fait les industries françaises n'étaient pas prêtes
à appliquer ces normes plus tôt ?
M. Bruno Point
- Les industries françaises n'étaient en
effet pas prêtes techniquement à assurer ce traitement thermique.
M. Paul Blanc
- Comme elles ne sont pas prêtes aujourd'hui
à assurer l'élimination des cadavres de bovins.
M. Bruno Point
- J'ai également le souvenir d'avoir entendu des
ministres et même des sommités scientifiques dire que la
priorité en France était en fait une histoire de paquets et qu'il
fallait investir dans ceux-ci, le paquet n°1 étant pour les
autorités scientifiques le retrait des abats à risque, la France
ayant mis l'accent sur cette mesure, qu'il fallait gérer, ce qui a eu un
coût et a demandé une mise en place ainsi que des outils.
M. Paul Blanc
- Vous indiquez que le traitement des matériaux
à risque était la priorité, mais estimez-vous que la
séparation entre celui-ci et la fabrication de farines animales pour
porcs et volailles a été réalisée de façon
satisfaisante ?
M. Bruno Point
- Je pense que, très certainement, cela n'a pas pu
être satisfaisant dans les premiers mois de la mesure. Il a fallu six
mois pour que ce soit réellement opérant, ce genre de mesure ne
fonctionnant que si l'on est efficace à tous les bouts de la
chaîne. Si un maillon est défaillant, la mesure est imparfaite.
Cependant, cela s'est mis en place relativement rapidement et avec
efficacité. J'en veux pour preuve les volumes, qui ne garantissent pas
une étanchéité absolue, mais 600 000 tonnes ont
été détruites qui auparavant étaient
valorisées, ce qui est significatif.
M. Paul Blanc
- Avez-vous exporté des farines animales
après 1996 ?
M. Bruno Point
- Je ne me suis pas préparé à
répondre à cette question, mais nous avons toutes les
statistiques. Nous avons après 1996, jusqu'au 14 novembre, connu des
mouvements d'exportation extrêmement divers et nous avons
rencontré durant certaines périodes de réelles
difficultés en matière d'exportation, sachant qu'un certain
nombre de pays (en général importants en termes d'importation de
farines animales) prohibaient les produits alimentaires français (et non
les farines de viande) et en particulier le bovin, donc par voie de
conséquence les produits dérivés.
En revanche, nous avons connu à d'autres moments des exportations
importantes parce que nous en avions besoin, la consommation en France n'ayant
cessé de baisser depuis 1996, au fil des mois et des années,
à chaque crise, chaque événement médiatique et
chaque mesure de séparation parmi les fabricants d'aliments.
C'est ensuite un problème de prix, sachant que, si vous vous situez
au-dessous du prix international, vous parvenez parfois à exporter plus
facilement. Nous avons en tout cas exporté des quantités
importantes.
M. Paul Blanc
- Vous parlez de business.
M. Bruno Point
- Je parle de la réalité du marché.
M. Paul Blanc
- Je vais à ce titre vous poser des questions sur
les relations entre les différents groupes. Votre société
fait partie du Groupe Caillaud qui fait lui-même partie du groupe belge
Tessenderlo Chemie. De plus, si je ne m'abuse, 40 % du capital de
Tessenderlo est détenu par le groupe E.M.C. Or, la Société
Glon-Sanders, spécialisée dans la nutrition animale, est
également détenue à 23 % par cette dernière.
Il existe donc de nombreuses interrelations. Quelles sont les relations exactes
entre les producteurs de farines et les fabricants de farines pour
animaux ?
M. Bruno Point
- Je peux vous assurer que les relations entre le groupe
détenteur du capital de la société dans laquelle je
travaille et le Groupe Glon-Sanders, où nous retrouvons le même
actionnaire, sont bonnes, mais que celles nées du capital sont nulles,
ce qui signifie que le Groupe Glon-Sanders achète très
concrètement de la farine au Groupe Caillaud ou à qui il veut,
à ceux qui lui proposent le meilleur prix et lui assurent les conditions
de livraison, la quantité et la qualité qui lui conviennent.
Cependant, il n'existe aucun lien -je pèse mes mots- qui favoriserait
qui que ce soit, de la même façon que vous trouverez dans les
autres filiales le Groupe TREDI, qui est une unité de destruction de DIS
(déchets industriels spéciaux) qui traite les cas d'ESB en
matière de farines animales.
Je vous prie de croire que nous payons strictement le même prix et que
nous prenons rendez-vous comme tout le monde pour ce qui concerne les lots de
farines. C'est vraiment complètement indépendant.
Quant aux relations générales entre notre profession et les
fabricants d'aliments, il s'agit de relations de fournisseurs à clients,
avec des cahiers des charges et des négociations de prix. Elles se sont
beaucoup amplifiées au cours des dernières années du fait
des syndicats et de l'application des normes dans le cadre de la défense
des farines de viande.
Nous nous sommes beaucoup rapprochés du SNIA pour mettre en place en
commun des argumentaires et des guides de bonnes pratiques afin de valider les
farines de viande, mais les récents événements montrent
que nous avons échoué.
M. le Président
- Passons aux graisses : les valorisez-vous
ou non aujourd'hui ?
M. Bruno Point
- L'arrêté du 14 novembre proscrit
l'utilisation des farines et des graisses dans l'alimentation animale ainsi que
dans ce que l'on appelle le « pet food », à savoir les
aliments pour animaux de compagnie, ce qui signifie qu'elle est proscrite pour
l'alimentation, mais pas pour le reste, et que l'on pourrait imaginer un autre
débouché.
Il est important de le souligner, sachant qu'en l'occurrence ce n'est pas le
cas, les farines et les graisses étant à ce jour
détruites, ces dernières faisant l'objet sur le plan
européen et mondial d'un usage technique, c'est-à-dire qu'elles
peuvent être utilisées après distillation, par exemple pour
des lubrifiants.
Rien n'interdit sur le plan français et encore moins européen
-les graisses n'étant pas interdites dans le cadre de l'alimentation
animale- cette commercialisation, même si nous pouvons penser que cela
évoluera dans les mois qui viennent et qu'une réflexion sera
menée sur tous ces sujets.
En revanche, les graisses dites spécifiques -qui ont fait l'objet de
l'audition de M. Robin- sont celles de boeuf, de porc ou de volaille, sachant
que globalement dans notre activité, de façon historique, si l'on
oublie tout l'aspect destruction et SPE, il existe deux types d'usines :
celles qui reçoivent des produits du type os et boyaux avec lesquels
l'on fabrique d'abord de la farine -c'est le composé le plus important-
et celles qui produisent de la graisse. Quand on cuit des boyaux et des os, le
rendement est par exemple de 30 % de farine et de 15 % de graisse.
Une autre activité, les fondoirs, appartient en termes
d'agréments et d'établissements classés à la
même famille. Cela revient au même sur le plan administratif, mais
pas sur celui de la technicité, dans les abattoirs étant
collectés de façon distincte les tissus adipeux des animaux,
notamment ceux des bovins et des porcs et depuis quelques années ceux
des volailles.
Quand un animal est abattu, il existe plusieurs parties de corps gras, comme le
gras de rognon -qui entoure les rognons- ou l'émoussage (toute la partie
située entre le cuir et la viande).
C'est un gras que l'on a toujours qualifié de noble qui, lorsque les
circonstances industrielles le rendent possible, est véhiculé sur
des sites particuliers qui s'appellent des fondoirs, certains d'entre eux
faisant l'objet d'un agrément spécifique pour l'alimentation
humaine.
L'activité des fondoirs consiste à fondre et à produire en
majeure partie de la graisse à des taux beaucoup plus importants, de
l'ordre de 50 à 60 %. De plus, accessoirement, les tissu nerveux
attenants à la graisse produisent de la farine qui traditionnellement
servait et sert encore -mais les normes sont loin d'être claires à
ce jour dans ce domaine- à l'alimentation des chiens et des chats.
M. le Président
- De toute façon, les Pouvoirs publics
sont obligés de stocker les graisses en général, à
part celles issues des tissus adipeux.
M. Bruno Point
- Ils doivent stocker les graisses classiques, mais pas
les suifs alimentaires. Elles sont stockées ou incinérées
et l'on devrait trouver pour elles un débouché plus facilement
que pour les farines. En effet, leur PCI est très important et quasiment
équivalent à celui du fuel, sachant qu'il est presque aussi
simple de brûler de la graisse que du fuel dans une chaudière,
moyennant quelques aménagements.
M. le Président
- Continuerez-vous à fabriquer des
farines, certaines d'entre elles pouvant être bonnes, ou seront-elles
brûlées systématiquement ?
M. Bruno Point
- Notre profession a défendu la valorisation des
farines. Il me semble que la messe est déjà un peu dite, mais
nous verrons ce qui va se passer sur le plan européen.
J'ose espérer que, dans l'intérêt global des
filières, à la fois sous l'angle sanitaire, sous celui de la
santé et celui de la compétition économique et de la
coordination entre les pays, il existera un dispositif européen unique,
même si je ne suis pas certain qu'il se mettra en place aussi vite que
nous l'espérons tous. En tout cas, je ne sais pas si les farines
referont leur apparition dans l'alimentation animale, le lecteur de journaux
que je suis n'y croyant pas trop. Les farines et les graisses sont interdites,
ce qui permet de tourner une page, mais les coproduits animaux sont toujours
là.
Ils serviront très probablement pour partie à l'alimentation
humaine, sachant que nous collections par exemple des dizaines de milliers de
tonnes de pieds de porc, car nos traditions culinaires font que nous en
mangeons moins. Or, si des pieds de porc doivent être détruits, je
suppose que l'on en congèlera et que l'on en vendra, ce qui signifie que
cette source de coproduits trouvera probablement une autre voie,
négative et coûteuse, ce qui resituera les marchés
différemment.
En revanche, il en restera une masse importante et notre profession aura
à mon avis toujours son utilité en tant que maillon d'une
filière dans la mesure où il n'existe que trois solutions pour
gérer les déchets animaux, la première consistant en les
incinérer immédiatement, ce qui n'est pas simple et demande une
grande souplesse. Or, je suis convaincu que nous ne parviendrons pas à
la mettre en place.
Par ailleurs, soit on stocke, on congèle et on trouve des solutions,
soit on déshydrate le produit rendu inerte, ce qui demande
d'aménager des systèmes d'incinération, de faire
évoluer la réglementation et d'intéresser des
incinérateurs. Je pense que ce ne sera pas simple et que cela prendra
des mois, voire des années, mais des actions sont menées dans ce
sens.
M. le Président
- Nous avons fait le tour de la question. Nous
vous remercions infiniment d'avoir essayé de nous éclairer sur ce
vaste problème.
Audition de M. Victor SCHERRER,
Président de l'Association nationale
des industries agro-alimentaires
(ANIA)
(10 janvier 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Scherrer, merci
d'avoir répondu à notre invitation. Je rappelle que vous
êtes Président de l'Association Nationale des Industries
Agro-alimentaires et M. Mangenot, ici présent, est votre Directeur
général.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à MM.
Scherrer et Mangenot.
M. le Président
- Nous vous demanderons de nous parler, à
votre niveau, en fonction de l'ensemble de vos connaissances, de ce
problème des farines animales utilisées dans l'alimentation
bovine et des conséquences qui peuvent être tirées par
rapport à l'ESB qui s'est développée dans le cheptel de
notre pays.
M. Victor Scherrer
- Monsieur le Président et Messieurs les
Sénateurs, je voudrais commencer par une mise en perspective qui me
paraît extrêmement importante pour le sujet qui nous
intéresse.
L'Association Nationale des Industries Alimentaires regroupe
31 professions, organisées sous forme de syndicats ou
fédérations, directement impliquées dans l'alimentation
humaine mais pas dans l'alimentation animale.
Nous sommes des acteurs majeurs dans une chaîne alimentaire, dont nous
sommes un maillon extrêmement important situé en fin de
chaîne. Derrière nous se trouvent les distributeurs et les
consommateurs.
L'alimentation animale est regroupée dans différents syndicats
qui ne font pas partie de l'ANIA.
Nous avons un petit syndicat, la Fédération des Aliments pour
Chiens, Chats, Oiseaux et Animaux de compagnie, mais je ne pense pas que cela
nous intéresse aujourd'hui.
Il est extrêmement important que vous sachiez qu'en notre qualité
de producteurs d'aliments pour la consommation humaine, l'alimentation pour
bétail constitue en quelque sorte les fournisseurs des fournisseurs de
nos fournisseurs. Il existe souvent deux, trois ou quatre échelons de
transformation dans ce domaine.
Je vous rappelle, et vous le savez, puisque nous avons eu l'occasion à
plusieurs reprises de souligner l'importance du modèle alimentaire
français et de l'industrie alimentaire française, nous sommes, de
loin, la première industrie française. Je souligne
également que nous sommes la première industrie alimentaire en
Europe.
Par ailleurs, avec, actuellement, 10 % de parts du marché mondial
des aliments transformés, nous sommes le numéro un devant les
États-Unis. Notre modèle alimentaire n'est pas simplement
quantitatif mais avant tout qualitatif.
Si, chaque jour, nous arrivons à exporter l'équivalent de
« deux Airbus » et environ 172 GF par an, cela signifie
qu'à l'instant présent, dans le monde entier, les consommateurs
votent en faveur, et achètent, des produits alimentaires
français, parce qu'ils sont bons mais aussi parce qu'ils sont sûrs.
En tant qu'industriel, et porte-parole des industriels, je précise que
nous savons à quel point la sécurité sanitaire des
aliments est au coeur même de notre préoccupation ; c'est
notre fonds de commerce. Pour ceux qui produisent des marques, dans ce domaine,
le moindre incident constitue une véritable perte de valeur pour la
marque.
Nous avons eu l'occasion, quand nous avons été auditionnés
par Messieurs les Sénateurs Huriet et Descours, en 1998, ensuite par M.
Félix Leyzour, début 2000, d'indiquer à quel point cette
préoccupation est capitale. J'allais presque dire, si ce n'est par vertu
c'est certainement par pragmatisme, que la sécurité sanitaire des
aliments est au premier rang de nos préoccupations.
Concernant cette question des farines animales, nous n'en sommes pas un acteur.
Nous ne sommes pas impliqués mais, comme toujours, quand un
problème arrive en amont, il se cristallise au niveau de celui qui
appose sa marque, à savoir au niveau du transformateur final et parfois
même du distributeur. C'est à notre égard que le
consommateur fait porter son jugement, ou ses critiques, ou que les
médias agissent. Vous savez alors à quel point les marques sont
en première ligne.
S'agissant des mesures restrictives concernant les farines animales,
l'industrie alimentaire a pris acte des mesures successives qui ont
été éditées par les Pouvoirs publics, en
particulier les deux ou trois fédérations de première
transformation qui, elles-mêmes, sont le plus en contact avec les
éleveurs.
Nous avons notamment comme adhérant le Syndicat National des Industriels
de la Viande, c'est-à-dire la quinzaine de grands industriels qui, en
quelque sorte, transforment la viande. Je crois d'ailleurs que vous avez eu
l'occasion d'en visiter certains. Nous avons aussi, directement en contact avec
l'élevage, la Fédération Nationale des Industries
Laitières.
Ces deux fédérations et l'ensemble de l'industrie de
transformation ont pu prendre acte des mesures prises qui ont abouti à
l'interdiction des protéines animales dans l'alimentation des animaux
d'élevage.
Dans ce contexte, nous avons constaté la complexité, le nombre
d'intervenants dans le secteur de l'alimentation animale et parfois une
certaine opacité, sans que ce terme soit négatif, ou une
difficulté d'information. De ce fait, cela rejaillissait souvent sur
nous, en termes de produits finis, tout au long de la chaîne.
Nous avons donc pensé que la meilleure façon de regagner la
confiance des consommateurs n'était pas de considérer que nous
n'étions pas acteurs, et pas impliqués, et qu'il était
nécessaire de remonter vers l'amont.
Cette réflexion a été lancée assez tôt et a
d'ailleurs abouti, fin juin 2000, à une prise de position très
ferme de notre part. Voyant que, notamment avec le Syndicat National de
l'Alimentation pour le Bétail, nous ne parvenions pas à
établir une sorte de liste exhaustive et positive de tous les
ingrédients permis dans l'alimentation pour le bétail, nous avons
publié une véritable charte d'engagement de l'industrie
alimentaire dans laquelle, parmi les 10 points rendus publics, le point
n° 2 était d'obtenir du secteur de la nutrition animale un
programme d'amélioration de la sécurité de l'alimentation
du bétail. Notre ambition était d'obtenir cette liste exhaustive
et positive de tous les ingrédients permis dans cette alimentation pour
le bétail.
Notre deuxième engagement était, à la date du 28 juin
2000, d'exiger des Pouvoirs Publics qu'ils consacrent les moyens
nécessaires à la mise au point de méthodes permettant un
dépistage systématique et fiable de l'ESB pour tous les animaux
entrant dans la chaîne alimentaire.
A l'époque, ces mesures étaient considérées comme
irréalistes, trop coûteuses, etc. En fait, nous nous
réjouissons de constater qu'actuellement, pour le point n° 2, les
farines animales sont interdites et, pour le point n° 3, que le
dépistage systématique est considéré actuellement
comme un objectif qui doit être atteint le plus rapidement possible.
Concernant les farines animales et l'alimentation du bétail, nous avons
décidé, malgré les difficultés rencontrées
dans le dialogue avec l'amont, de travailler avec tous les acteurs de la
chaîne de production d'aliments pour le bétail afin de pouvoir
avancer dans trois domaines.
Le premier de ces domaines consiste à déterminer les
modalités de choix et de contrôle de tous les ingrédients
entrant dans la composition des aliments fabriqués et
commercialisés par les fabricants d'aliments pour animaux
d'élevage. D'autre part, il faut spécifier tous les moyens mis en
oeuvre pour contrôler et éviter la présence de contaminants
indésirables.
C'est le premier thème sur lequel nous travaillons actuellement et sur
lequel nous voulons aboutir.
Le deuxième thème a l'ambition d'aller jusqu'à une liste
positive et exhaustive de tous les ingrédients incorporables dans un
aliment pour le bétail. Cela dit, bien que l'on nous fasse comprendre
que ce souhait est trop ambitieux, il restera notre objectif. En revanche, nous
commencerons par un examen de toutes les matières premières ou de
tous les additifs qui peuvent, à l'analyse, être non souhaitables
(même s'ils sont permis), soit parce qu'ils peuvent comporter certains
risques, soit parce qu'ils peuvent être perçus, par le
consommateur, comme tels.
Cette discussion, nous l'espérons, aboutira, avec les fabricants
d'aliments pour le bétail, à un retrait volontaire, même
s'il n'est pas obligatoire, de tous les ingrédients jugés
indésirables.
Par ailleurs, j'ai parlé d'opacité et je maintiens ce terme. Nous
croyons profondément qu'en bout de chaîne les industriels
regagneront la confiance du consommateur par une transparence aussi grande que
possible ; il ne s'agit pas d'une transparence angélique.
Vous savez que tous les 18 mois ou deux ans, cette opération portes
ouvertes consiste à proposer aux consommateurs de venir constater, dans
nos usines, la manière dont nous travaillons. Nous voudrions que cette
transparence remonte en amont et que les fabricants d'aliments pour le
bétail puissent travailler avec nous, et au sein de leurs installations,
à un effort d'information beaucoup plus important et qu'il en soit de
même au niveau de l'élevage.
Voilà où nous en sommes. Il existe une prise de conscience de
notre amont et nous avançons vers ce travail qui nous permettrait
d'atteindre ces trois objectifs.
M. le Président
- Nous allons procéder à des
questions qui seront posées par l'ensemble de nos collègues et
auxquelles nous vous demanderons de répondre directement pour plus de
clarté.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Monsieur le Président Scherrer,
permettez-moi de m'associer aux propos de bienvenue du Président
Dériot.
J'ai noté avec intérêt votre position concernant le livre
blanc présenté récemment par l'Union Européenne,
notamment sur la liste positive. Tant au niveau de la Délégation
du Sénat à l'Union Européenne que de la Commission des
Affaires Economiques et du Plan, nous avons souscrit à cette notion de
liste positive.
Si ma mémoire est bonne, je ne pense pas que ce soit spécialement
le souhait de la Commission européenne qui trouve que cette position sur
la liste positive est un peu trop coercitive.
Sous la haute autorité de mes confrères
vétérinaires, je crois me souvenir qu'il y a une quinzaine
d'années, s'agissant des anabolisants, une non-liste positive, avec les
différentes hormones, et les béta-agonistes, nous mettait
régulièrement en porte-à-faux.
Où en êtes-vous dans vos négociations sur les listes
positives ? Je précise qu'au niveau de cette assemblée nous
sommes terriblement pour car il n'existe pas d'autre solution.
De même, où en êtes-vous en matière de garantie sur
la traçabilité de la viande et vous satisfait-elle ? Par
ailleurs, ne pensez-vous pas à d'autres méthodes et ne
faudrait-il pas aller plus loin ?
Nous avons noté, au travers de la presse, que vous étiez
très en avance concernant la systématisation des tests de
détection de l'ESB. C'est bien, mais cela ne garantit que des animaux en
pré-phase clinique, soit environ 6 mois avant l'apparition de la
maladie.
S'agissant du débat qui montera en puissance jusqu'au 31 janvier de
cette année, avec les problèmes d'élections aux Chambres
d'agriculture, quelle est votre position concernant l'abattage sélectif
ou total ?
M. Victor Scherrer
- Je serais obligé de vous répondre
avec une grande humilité mais aussi une grande fermeté.
Concernant l'abattage sélectif, nous sommes incompétents. M.
Spanghero, Président du Syndicat National des Industries de la Viande,
peut sans doute avoir un avis mais, personnellement, en tant que
Président de l'ANIA, je me déclare incompétent en la
matière. Je pourrais vous donner un avis personnel mais il n'aurait
aucune valeur.
Nous sommes profondément et exclusivement des industriels ; je ne
sais donc pas répondre à cette question en tant que professionnel.
En revanche, concernant les tests, ainsi que je vous l'ai dit, notre sentiment
est assez fort. Depuis plus d'un an, nous nous rendons compte que le
remède profond et réel pour regagner cette confiance du
consommateur, la mesure la plus importante, consisterait, pour autant que la
science nous permettre d'avancer, à un moment déterminé,
de tester (en tant qu'industriels utilisant souvent une viande
transformée, par exemple pour les plats cuisinés) tout animal
entrant dans la chaîne alimentaire.
Tout animal doit être testé idéalement (nous nous projetons
dans l'avenir mais les horizons stratégiques se rapprochent) quand il
est vivant, avant qu'il entre dans la chaîne alimentaire, par exemple en
prélevant une goutte de sang, et en parvenant, dans des délais
relativement courts et compatibles avec le processus industriel, à
obtenir un résultat. Les questions d'abattage sélectif ou non
prendraient alors un relief différent.
Nous avons demandé que les Pouvoirs Publics, dont c'est la tâche,
et les organismes de recherche se coordonnent afin que, le plus rapidement
possible, nous puissions atteindre cet objectif. En attendons, démarrons
avec ce qui existe.
Nous savions qu'il existait trois tests. Nous en avons d'ailleurs beaucoup
parlé avec M. Glavany, très tôt, et avec les
différentes interfaces au niveau des Pouvoirs Publics. Nous avons
souhaité que ces tests soient mis en pratique le plus rapidement
possible et de façon pragmatique.
Nous avons récemment rappelé au ministre de l'Agriculture
à quel point nous le souhaitions mais nous sentons que la situation
n'évolue pas aussi rapidement que nous pourrions le souhaiter.
Nous sommes en relation avec les laboratoires. A l'ANIA, nous avons
réuni les différents laboratoires : nous avons vu
l'état de la situation, la « puissance de frappe » des
laboratoires, et nous avons demandé qu'il existe un bon maillage entre
les laboratoires publics et privés afin que, le plus rapidement
possible, avec des règles déontologiques extrêmement
strictes, en préservant aux Pouvoirs Publics les règles de
déontologie qui doivent être appliquées et les
contrôles, il soit possible d'y parvenir. Nous nous réjouissons
que l'on atteigne le plus rapidement possible les 20 000 tests et plus.
Étant moi-même administrateur de l'INRA, je souhaite
également que les grands organismes de recherche, ceux qui disposent des
matériaux, et notamment des matériaux contaminés
nécessaires aux chercheurs, travaillent dans le même sens. Nous
pensons qu'en mettant le maximum de puissance et de coordination nous devrions
arriver, à un horizon qui ne serait pas trop éloigné,
à disposer de ces tests. On parle beaucoup des Allemands qui pourraient
en disposer.
Notre ambition reste la même et, tant qu'elle ne sera pas atteinte, il
restera, tant pour la viande bovine que pour l'élevage et la
filière, un doute de la part des consommateurs.
De la même manière, la liste positive est l'une de nos ambitions.
Actuellement, nous avons pris un ancien de chez Sanders qui, bien que
n'étant pas membre de l'ANIA, connaît bien le secteur et est
devenu une sorte de chargé de mission en recueillant toutes les attentes
et en faisant des enquêtes au niveau de l'ensemble de la filière.
Cela permettra, dès le mois de février, lors d'une réunion
au sein de l'ANIA, avec l'ensemble des industriels de l'alimentation pour le
bétail, d'essayer d'avancer le plus rapidement possible vers des
étapes mais aussi cette ambition qu'est pour nous la liste positive.
M. Georges Gruillot
- Monsieur le Président, nous avons bien
compris votre volonté légitime d'allier à la meilleure
qualité gustative des produits alimentaires exportés par la
France la meilleure sécurité alimentaire possible sur le plan
sanitaire.
Il n'y a pas de contestation entre ce que vous venez d'expliquer et ce que nous
pensions déjà. Nous travaillons dans le même sens et cela
devrait apporter des résultats. D'ailleurs, ils existent
déjà puisque si nous avons exporté 172 GF de produits
alimentaires français à l'étranger, ce n'est pas
uniquement pour leurs qualités gustatives.
Toutefois, en France, on se rend compte que vous êtes sans doute moins
reconnus qu'à l'étranger. Je suis choqué, quand je vais
dans certaines grandes surfaces, en constatant que les produits carnés
d'origine française sont parfois dédaignés au
bénéfice de produit carnés d'autres pays d'Europe ou
d'Amérique du Sud.
Quand on connaît la mécanique des choses, on sait que la
sécurité sanitaire de ces origines est parfois contestable. Or,
elle ne semble pas être très contestée en France par le
consommateur. N'y aurait-il pas là, pour vous, un danger au niveau
concurrentiel tout en présentant un danger sanitaire réel pour la
France et que pensez-vous faire pour tenter de modifier l'opinion publique en
France sur ce thème ?
M. Victor Scherrer
- Je partage votre sentiment puisque j'ai eu
l'occasion de connaître certains grands pays producteurs de viande bovine
d'Amérique Latine.
Quelle que soit la qualité intrinsèque de ces produits, il est
dommage de voir certaines enseignes de la grande distribution, ou certaines
chaînes de restaurants, pratiquer cette fuite en avant plutôt
qu'attaquer le problème à la racine. Remplacer le boeuf
français par du boeuf argentin constitue une sorte
d'échappatoire. Quelle que soit, par ailleurs, ma sympathie à
l'égard de ce pays, cela ne me paraît pas être la bonne
manière de régler le problème.
Concernant certaines enseignes de la grande distribution, je n'ai pas
autorité pour en parler. Ce sont nos clients et vous savez à quel
point les clients sont les rois dans la relation entre distributeurs et
fournisseurs.
En revanche, concernant la démarche prise au niveau de l'ensemble de
l'industrie alimentaire, je précise, bien que je ne sois pas
spécialiste de la seule viande bovine en tant que telle, qu'elle
consiste à être profondément pédagogique en
s'attaquant réellement à la confiance du consommateur, en
montrant des faits et en ayant une démarche de transparence et
d'information.
Actuellement, il existe une campagne importante sur les questions de
listéria ; je cite cet exemple qui pourrait être
adapté. On pourrait indiquer qu'il existe un vrai problème sur
les fromages à croûte fleurie et le meilleur moyen serait
d'étiqueter les camemberts avec la mention « Peut être
dangereux pour la santé ». Ce type de démarche serait
semblable à celles des anglo-saxons.
Or, nous avons décidé de lancer une campagne d'information, avec
l'accord de nos industriels laitiers : les médecins
spécialisés et les magazines grand public indiqueront aux femmes
qu'il est préférable, pendant une période de grossesse,
d'éviter, entre autres, certains fromages et certaines charcuteries. La
campagne est partie.
De la même manière, nous faisons distribuer, à nouveau par
le corps médical s'il le souhaite, des thermomètres permettant
à certaines personnes, notamment les personnes âgées, de
connaître très clairement la température de leur
réfrigérateur.
Ce sont des mesures extrêmement pragmatiques mais nous prenons la
situation à la base. Nous essayons d'expliquer, factuellement, le risque
sur un certains fromages et de le reconnaître. Nous pouvons
également dire au consommateur, parce qu'il le sait, qu'il a aussi un
rôle à jouer dans la gestion de son réfrigérateur et
que, par des mesures simples, il peut éviter certains risques qui sont
inhérents au modèle alimentaire que nous avons voulu, à
savoir où les aliments restent vivants. C'est ce que nous voulons
préserver et c'est un enjeu.
Je l'ai récemment expliqué à plusieurs de nos ministres.
Il ne faut pas s'y tromper. Vous avez raison de le souligner dans cet exemple
de viande importée : ce qui est en jeu, au-delà
d'intérêts économiques, c'est profondément un
modèle alimentaire où nous lions certains produits avec des
terroirs.
Je rappelle souvent que le mot terroir est intraduisible en anglais. Pour un
Américain, le mot terroir n'a pas le sens que nous lui donnons. C'est
donc ce qui est en jeu. Dans le phénomène de globalisation, il
n'y aura plus, me semble-t-il, que deux modèles alimentaires : l'un
anglo-saxon, avec cette pasteurisation radicale en fin de chaîne, afin
que les aliments soient totalement stérilisés, et l'autre, un
modèle alimentaire comme le nôtre, qui privilégie, et de
loin, la variété, les produits vivants et évolutifs, et la
liaison avec un terroir.
Cette question concernant l'importation est l'une des illustrations du
rôle de pédagogie et du rôle factuel que nous devons avoir.
Je pense, en effet, que le Syndicat National des Industriels de la Viande a
pris, dans ce domaine, la tâche à bras-le-corps.
M. Paul Blanc
- Aujourd'hui, avez-vous une connaissance précise
de l'utilisation éventuelle, par les industriels de l'agro-alimentaire,
d'abats ou de graisses d'origine animale qui auraient pu, ou pourraient encore,
être utilisés dans les raviolis, les sauces ou d'autres
produits ?
Vous avez fait un gros effort et il est interdit d'utiliser de tels produits.
S'agissant des conserves, certaines peuvent avoir été
fabriquées quelques années auparavant. Avez-vous une connaissance
précise de ce qui aurait pu être utilisé dans ces conserves
auparavant ?
La question sous-jacente, qui vient naturellement à l'esprit, est de
savoir, en cas d'utilisation de tels produits, s'il faut éventuellement
les « rappeler » comme cela se pratique pour les véhicules
présentant un défaut ou pour certains lots de fromage
présentant des cas de listériose ?
Je parle de conserves fabriquées avant l'interdiction : avez-vous
une idée précise de leur quantité et envisageriez-vous, le
cas éventuel, leur rappel ?
M. Victor Scherrer
- N'étant pas directement industriel dans ce
domaine, je dois questionner M. Mangenot.
Il existe sans doute dans le commerce, dans les stocks, puisque la durée
de vie des conserves peut être de plus d'un an, des produits contenant
des produits carnés incorporant des ingrédients actuellement
interdits.
M. Paul Blanc
- Avez-vous une estimation de leur quantité et vous
paraîtrait-il opportun de les rappeler ? Vous pourriez indiquer que
tout ce qui a été fabriqué avant une certaine date doit
être repris.
M. Victor Scherrer
- Nous n'avons pas d'estimation des quantités,
mais nous pourrons l'avoir. Comme vous le savez, la complexité des
rotations des produits et des stocks est considérable dans la grande
distribution.
S'agissant des grands intervenants dans le domaine des plats cuisinés ou
de la conserve, beaucoup de nos entreprises ont des procédures ISO 9002,
HACCP, etc. Leur sensibilisation aux questions de traçabilité est
telle, en dehors de cas éventuels de fraude (mais connaissant les
intervenants et les marques, il est difficile de les imaginer prendre ce type
de risques), s'il existait un risque réel, de type matériaux
à risques incorporés, je pense qu'un industriel ferait
lui-même volontairement le rappel.
Par ailleurs, avec la grande distribution nous avons, au mois de novembre,
signé une véritable charte qui nous aide. Des réseaux de
rappel existent mais l'un des problèmes est de parfois créer la
panique. Il était, de loin, préférable de prendre des
démarches volontaires et de coupler les systèmes d'alerte des
fabricants et des grands distributeurs. Ceci permet de faire des rappels
sélectifs sans entraîner des paniques disproportionnées
comme pour le cas de la dioxine.
Dans le cadre de la procédure écrite, nous pourrions essayer de
mesurer et vous donner des réponses précises. Actuellement, cela
ne nous est pas possible. Comme nous l'avons indiqué à M. Glavany
et à d'autres, nous ne pensons pas qu'il faille, dans ce domaine,
créer actuellement un effet médiatique. En dehors des
matériaux à risques, et en supposant que les procédures
soient adaptées, je ne pense pas qu'il faille demander de retirer tous
les stocks de produits carnés antérieurs à une certaine
date.
M. Paul Blanc
- Je parle uniquement des produits qui pourraient contenir
des produits à risques.
Concernant la traçabilité, vous avez beaucoup insisté sur
ce problème et sa nécessité. Concrètement,
pensez-vous qu'elle doit aller jusque dans la composition d'une boite de
raviolis et doit-elle se traduire par l'étiquetage :
jusqu'où pensez-vous devoir aller dans le cadre de l'étiquetage
de vos produits ?
M. Victor Scherrer
- Le problème de l'étiquetage est un
aspect fascinant : le consommateur et les médias ont toujours envie
d'en savoir plus. Or, une étiquette a une certaine dimension : plus
vous allez loin, plus le caractère devient petit et on vous reproche
alors de présenter une étiquette illisible. J'entends couramment
ce type de reproche.
Il faudra, avec le législateur, que nous parvenions à trouver un
juste milieu. Nous avons décidé de manière volontaire, la
loi ne nous l'imposant pas, d'étiqueter les allergènes.
Même si seulement 1 % de la population est sensible à un type
d'allergène, nous l'étiquetterons en le soulignant ou en le
mettant en gras.
En matière de traçabilité, il ne faut pas oublier
l'existence d'organismes, de labels, etc. Concernant un certain type de label,
il contient déjà (en supposant que tous les opérateurs,
certificateurs et contrôleurs, soient de bonne foi ; la DGCCRF a un
nombre important de fonctionnaires, et plusieurs vétérinaires
sont ici présents) des procédures de contrôle qui devraient
être efficaces et adaptées. La traçabilité, en
dehors de son aspect médiatique et à la mode, deviendra en soi
une condition sine qua non de la confiance du consommateur.
Concernant l'exemple des allergènes, il faudra gagner de la place sur
l'étiquette car cette inscription nous semble indispensable.
S'agissant de la traçabilité, il faut savoir où
s'arrêter. Nous travaillons avec la DGCCRF et la Direction
Générale de l'Alimentation, ce qui nous permettra d'arriver
à un bon équilibre. Les distributeurs se posent également
la question : pourquoi ne pas indiquer sur l'étiquette la
durée de vie de ce produit après ouverture ?
Nous arrivons à un équilibre relativement bon sachant qu'il est
de notre intérêt, en matière de traçabilité,
d'en indiquer le plus possible. Il faut savoir où s'arrêter car,
à la limite, nous pourrions remonter jusqu'à la composition des
aliments du bétail constituant la partie carnée d'une boite de
raviolis.
M. Jean Bernard
- On lit, sur ces étiquettes, des mentions telles
qu'adjuvants, antioxydants, etc. suivis de lettres et de chiffres. Peut-on se
référer à une nomenclature de ces produits pour savoir ce
que c'est ?
M. Victor Scherrer
- Tout ceci nous est imposé par la
réglementation. J'observe les industriels et je constate qu'ils se
battent dans les « tranchées boueuses » de la
micro-économie. Actuellement, nous avons intérêt,
vis-à-vis du consommateur, à présenter des indications
claires et lisibles.
Nous avons vu, à l'occasion de la bataille sur les organismes
génétiquement modifiés, que la presque totalité des
industriels a supprimé toute une série de produits pouvant
contenir des OGM. Nous nous orientons plutôt vers un effort de
clarté et de lisibilité ; toutefois, nous devons respecter
la réglementation et le Législateur, en final, donne son avis sur
la question d'étiquetage.
M. Gérard Miquel
- Monsieur le Président, ma question
concerne la traçabilité. Vos diverses unités industrielles
utilisent des produits d'origine carnée en quantité très
importante. Dans ces quantités, pourriez-vous nous dire quel est le
pourcentage de produits importés ?
En effet, cette question me paraît importante pour ce qui concerne tous
les produits d'origine carnée et leurs dérivés. La France
est le premier consommateur, par personne, de gélatine. Or, il
semblerait que nous n'ayons pas les quantités de matière
première nécessaire pour fabriquer toute la gélatine que
nous consommons. Si nous voulons donner les renseignements précis sur la
traçabilité, nous devons être certains des produits que
nous achetons dans les divers pays de l'Union Européenne ou à
l'extérieur de celle-ci.
Je me pose un certain nombre de questions. Si la France a mis en place des
mesures de prophylaxie, de suivi sanitaire des animaux, très
sévères et très strictes, ce n'est pas le cas dans tous
les pays de l'Union Européenne. Par ailleurs, que dire d'autres pays
où ces mesures n'en sont qu'aux balbutiements ?
La traçabilité, oui, mais il faut remonter suffisamment en amont
pour donner des assurances précises aux consommateurs. Je voudrais donc
avoir quelques indications sur les pourcentages de produits importés et
sur leurs origines.
M. Victor Scherrer
- Votre question est statistiquement assez complexe.
Comme je l'ai dit la semaine dernière à M. Fabius, qui a paru en
être surpris, dans notre secteur nous sommes les mal aimés de la
statistique. Alors que nous sommes la première industrie
française, nous reportons au ministère de l'Agriculture, de la
Forêt et de la Pêche mais pas de l'Alimentation. Nous concernant,
les statistiques les plus récentes de l'INSEE datent de décembre
1999. C'est un débat intéressant.
Nous nous sommes efforcés de bâtir un corps de statistiques
internes. Nous essayerons de vous donner une réponse concernant le
pourcentage mais, pour cela, nous devons questionner la
Fédération des plats cuisinés, la Fédération
de la viande, etc.
J'ai essayé de vous répondre, concernant les viandes
importées, en indiquant que dans plusieurs secteurs nous nous apercevons
que le fait de pouvoir faire référence, sans esprit
protectionniste, à des matières premières d'origine
française représente généralement un plus pour le
consommateur. Dans ce domaine, je connais de nombreux secteurs où nous
sommes assez fiers de pouvoir indiquer que 95 % des matières
premières proviennent du territoire national ou de l'Union
Européenne.
Au niveau de la plupart de nos entreprises, pour autant que je sache,
concernant la chaîne alimentaire (mais c'est aussi valable dans d'autres
secteurs comme l'automobile) il s'agit de chaînes de confiance
formalisées par des procédures de type HACCP ou ISO 9002 qui sont
contraignantes. Vous savez aussi qu'à nouveau, dans l'industrie
alimentaire, nous avons intérêt à être relativement
sûrs de nos fournisseurs.
Dans des secteurs de type plats cuisinés et autres, je pourrais vous
indiquer le nombre exact d'établissements certifiés ISO 9002 ou
disposant des procédures HACCP qui font de la traçabilité
le socle même du processus. Nous vous fournirons ces deux données.
M. Roland du Luart
- Je vous remercie, Président Scherrer, pour
vos explications. Si je comprends bien, vous avez été un
précurseur en ce sens que, dès juin 2000, vous avez
demandé au ministère de l'Agriculture d'organiser le
dépistage de la maladie de l'ESB de manière systématique.
Par ailleurs, toujours en juin 2000, vous avez demandé au secteur de la
nutrition animale de vous fournir la liste des ingrédients
utilisés.
Pour quelles raisons, dès juin 2000, souhaitiez-vous avoir ces
informations alors que le Gouvernement ne réagissait pas et que la crise
n'avait pas éclaté ?
M. Victor Scherrer
- Nous sommes, notamment depuis les deux
dernières années, confrontés à une remise en
question de la sécurité sanitaire des aliments en France. C'est
peut-être un paradoxe car nous sommes l'un des pays où, dans
l'ensemble, cela ne fonctionne pas trop mal. J'avais repris, ici même,
les comparaisons des taux de mortalité alimentaire aux États-Unis
et en France et nous avions constaté que nous nos résultats ne
sont pas mauvais.
Cela dit, le consommateur nous remet en cause depuis deux ou trois ans.
S'agissant du rôle de l'ANIA, nous nous sommes dit que devant cette
remise en cause, et notamment devant une forte pression médiatique qui
est légitime, nous n'avions plus que deux attitudes : nous pouvions
gémir en disant que nous faisons des efforts, que les médias ne
se comportent pas bien vis-à-vis de nous, etc. et l'attitude inverse
consistait à montrer ce que nous faisons de bien ou ce que nous allions
faire de mieux encore.
Cela a été notre démarche et toutes les
fédérations et entreprises, depuis Danone jusqu'à la plus
petite, ont estimé que c'était la bonne solution ; il faut
également aller vers plus de transparence et admettre que tout n'est pas
parfait. Des secteurs sont plus opaques que d'autres et certains, comme celui
de la viande, sont plus sensibles et plus difficiles. Toutefois, partout nous
avons constaté que nous pouvions faire des efforts, tant en termes de
substances (traçabilité, etc.) que d'information.
Avec ce raisonnement, nous nous sommes aperçu que les secteurs les plus
sensibles, après les crises de type listéria et dioxine, seraient
concernés par l'ESB. Nous avons fait réaliser, en 2000, une
grande enquête, très lourde, par BVA, consistant à mesurer
les véritables appréhensions du consommateur à très
court terme et à moyen terme. La réponse est claire : un
consommateur sur deux considère qu'il est insuffisamment informé
concernant son alimentation et que cette information doit être
apportée par les Pouvoirs Publics mais aussi par les industriels.
La première crainte qui se détache pour les trois à quatre
prochaines années est l'ESB. Nous ne pouvons pas dire « ce n'est
pas nous ». S'agissant de son alimentation, la première crainte du
consommateur concerne l'ESB et la seconde les OGM.
Nous n'avons pas le choix : que nous l'acceptions, ou non, le consommateur
et les médias ne nous lâcheront plus sur ces sujets. Nous avons
donc approfondi et, pour répondre à votre question, nous avons
pensé qu'en matière d'ESB il fallait prendre en compte deux
points : l'origine, l'alimentation animale et les farines, et, d'autre
part, la conséquence, à savoir la nécessité pour
tout animal entrant dans la chaîne alimentaire de subir un test
systématique même si nous savions, au mois de juin, que ces tests
n'étaient pas, en l'état, disponibles.
Des débats très animés ont eu lieu entre nous car nous
estimions prendre un très grand risque. Quand cela a été
rendu public, le 28 juin dernier, nous avons « mis les pieds dans le plat
». Ceci a été exacerbé à l'occasion du SIAL
où la question nous a échappé et a pris des dimensions
plus politiques sur lesquelles nous n'avons pas à nous prononcer.
Nous avons, dans ce domaine, un point qui restera un sujet de
fierté : nous avons été les premiers à le
demander et à avoir, dans ce domaine, un volontarisme dont certains
aspects, sans se retourner contre nous, nous obligeront à rendre compte
et à montrer les progrès accomplis.
C'est pourquoi ce printemps nous ouvrirons nos usines et, par rapport à
ces 10 engagements remis aux autorités et au personnel politique, etc.,
nous demanderons à être jugés. Nous bâtirons une
sorte de baromètre et nous referons, chaque année, une
étude BVA comportant les mêmes questions afin de vérifier
si nous avons progressé.
Voilà pourquoi nous pensions que si nous ne touchions pas les points
sensibles de ce domaine, nous ne pourrions pas progresser.
M. Jean-François Humbert
- Monsieur le Président, je
m'associe aux félicitations que vous adressait notre collègue M.
du Luart. Vous parlez de la période 1999/2000. Antérieurement
à ces années, avez-vous eu l'occasion de prendre des
précautions, des décisions ou de donner des recommandations
à vos entreprises adhérentes, à vos 31 professions, toutes
n'étant pas concernées de la même manière ?
Un deuxième élément vient compléter la question de
notre collègue M. Miquel. Il souhaitait obtenir des statistiques
sur les importations de matières premières en vue de fabriquer,
en France, des produits finis livrés aux consommateurs. Pourrions-nous
savoir, si possible, si des produits finis sont fabriqués à
l'extérieur de nos frontières et distribués dans notre
pays ?
Même si l'on importe moins de denrées alimentaires, pour fabriquer
des produits finis, venant de pays particulièrement concernés par
la maladie de la « vache folle », il faudrait savoir, dans le
même temps, si des produits ne sont pas fabriqués à
l'extérieur de nos frontières et dans quelles conditions.
M. Victor Scherrer
- Concernant les produits finis, je vous propose de
vous donner ultérieurement les statistiques qui seront demandées
profession par profession.
Avons nous attendu ? Dans cette démarche datant de trois ou quatre
ans, nous avons commencé à nous dire que ne pas prévoir
consiste déjà à gémir. Il nous fallait donc
commencer par un aspect volontaire et la réalisation de guides de bonnes
pratiques.
Certaines professions, notamment celle de la charcuterie qui est une profession
sensible, ont commencé à élaborer des guides de bonnes
pratiques qui, sans avoir un aspect obligatoire, sont fortement
recommandés par chaque profession à ses adhérents :
30 guides de bonnes pratiques ont permis de grands progrès.
Par ailleurs, nous avons fortement incité nos adhérents à
lancer des procédures de certification de type ISO 9002. Il ne faut pas
nous vanter de ce que nous avons fait, mais nous sommes, en Europe,
actuellement les premiers au niveau du nombre de sites certifiés ISO
9002 ou dans lesquels des procédures de contrôle des risques ont
été mises en oeuvre.
Nous avons un contact très régulier avec la DGCCRF et,
actuellement, cet organisme considère que dans une entreprise qui a mis
en oeuvre ces guides de bonnes pratiques, la procédure HACCP ou la norme
ISO 9002, il peut arriver un accident ; toutefois, quand il survient, on
suppose que l'entreprise est de bonne foi alors que la DGCCRF n'est
généralement pas complaisante.
Nous avons commencé et enfin, il faut le dire, dans certains cas, nous
avons des cahiers des charges qui, depuis plusieurs années, excluent
totalement les farines animales de l'alimentation du bétail
destiné à la production de viande entrant dans certains types de
produits.
M. le Président
- Merci de votre intervention et d'avoir
répondu à l'ensemble des questions qui vous ont été
adressées par nos collègues. Nous essayerons de faire le meilleur
usage de toutes vos informations.
Audition de M. Xavier BEULIN, Président de la Fédération
française
des producteurs d'oléagineux et de
protéagineux
(FOP)
(10 janvier 2001)
M.
Gérard Dériot, président
- M. Beulin, vous
êtes le président de la Fédération française
des producteurs d'Oléagineux et de Protéagineux. Nous vous
remercions d'avoir répondu à notre invitation pour
témoigner devant notre commission d'enquête sénatoriale.
Auparavant, Je dois vous lire une note et vous faire prêter serment. Je
demanderai également à votre Directeur de prêter serment au
cas où il devrait intervenir.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Beulin
et Gasquet.
M. le Président
- Dans un premier temps je vous demande de nous
parler de votre organisme et des caractéristiques des oléagineux
et protéagineux que vous représentez pour les producteurs.
M. Xavier Beulin
- Merci. Monsieur le Président, Messieurs les
Sénateurs et Mesdames, je suis agriculteur dans le département du
Loiret et je suis exploitant, avec mon frère, dans une exploitation de
grandes cultures, céréales et oléagineux, que l'on appelle
SCOP, surfaces en céréales et oléoprotéagineux,
dans le jargon communautaire, et également arboricole.
Je préside la Fédération des
oléoprotéagineux ainsi qu'un certain nombre d'organismes de la
filière car elle présente la particularité d'être
très présente, notamment dans les débouchés de nos
protéines et de nos huiles à travers les activités
industrielles.
Je vous remercie de nous auditionner. A première vue, on pourrait penser
que nous sommes hors sujet par rapport à vos propres travaux. Nous
sommes sans doute ici pour vous présenter ce que pourrait être une
alternative à la substitution de ces farines et faire en sorte que nous
puissions vous indiquer quelles sont nos attentes et les potentiels qui
pourraient être mieux exprimés, du moins de manière plus
forte, qu'ils ne le sont aujourd'hui au sein de la France mais également
de l'Union Européenne.
Nous avons toujours eu le souci, dans notre organisation, de ne pas «
mettre d'huile sur le feu », autrement dit, par rapport à ce
difficile problème de l'ESB, des farines animales, de ne pas profiter de
l'occasion et de ne pas jouer les opportunistes pour enfoncer un coin et nous
positionner en seul recours.
Dès 1998/1999, nous avons, à travers nos congrès
nationaux, des communiqués et des rencontres, notamment avec les
Pouvoirs Publics et le ministre lui même, fait un certain nombre de
propositions visant, en réalité, à suggérer une
programmation dans le temps. Il convenait de considérer, à une
échéance de cinq ou dix ans, que les farines animales seraient
complètement éliminées de toute forme d'alimentation
animale et qu'il faudrait, parallèlement, développer un secteur
de protéines végétales communautaires pour remplacer ces
farines dans de bonnes conditions.
Je rappelle qu'à ce jour le déficit en protéines
végétales d'origine communautaire, pour nos propres besoins, est
d'environ 70 %. En y ajoutant l'interdiction de toute incorporation de
farines animales, ce déficit est porté à hauteur de
75 %, voire plus si nous devions interdire les farines d'origine poisson.
Nous sommes donc dans une situation de forte dépendance que nous avons
payée « comptant » dans les années 1972/1973 à
la suite d'un embargo des États-Unis sur le soja.
Dès 1998/1999 nous avons proposé une alternative par les
protéines végétales visant à satisfaire trois
objectifs.
Le premier était de substituer des matériaux à risques
dans l'alimentation animale. Cela faisait clairement référence
à ces problèmes de sécurité alimentaire.
Le second était d'offrir une alternative au tout soja importé. Je
dois vous dire qu'en matière d'importation de soja, nos trois sources
principales sont les États-Unis, le Brésil et l'Argentine. Quand
le soja vient d'Argentine il est 100 % OGM, quand il vient des
États-Unis il est à 50 % OGM et quand il vient du
Brésil, soit un paquebot de soja est sans OGM soit il présente
des traces d'OGM, voire plus. Cela situe la problématique dans laquelle
nous sommes.
Le troisième objectif que nous poursuivions, qui est peut-être en
dehors de vos préoccupations, consistait à répondre
à cette notion de multifonctionnalité que nous souhaitons
notamment bien valoriser à travers les négociations
internationales à l'OMC. A nos yeux, cette multifonctionnalité
passe par une diversité des cultures et notamment des assolements
équilibrés. On n'imagine pas la France couverte par un grand
champ de céréales et ayant perdu, pour des raisons
économiques, la faculté de pouvoir produire des
oléagineux, des protéagineux, du maïs ou d'autres cultures
plus confidentielles qui participent à l'équilibre de ces
productions végétales et, implicitement, à
l'équilibre écologique, environnemental et paysager que nos
concitoyens apprécient de manière certaine.
Nous pensions, peut-être naïvement, qu'à la suite des Accords
de Berlin et d'Agenda 2000, il y avait peut-être là matière
à rebondir sur ces accords. Chacun s'est accordé, en mai 1999,
lors de la signature de ces accords, pour reconnaître que le secteur
sacrifié de ces accords était celui des oléagineux et
protéagineux communautaires. Nous pensions qu'il était important
de réveiller les consciences en nous appuyant, je le reconnais sans
difficulté, sur les problèmes d'ESB. Nous sentions
déjà, à l'époque, qu'il existait, dans la
réflexion collégiale, une véritable interrogation à
partir de l'utilisation du reste de ces farines carnées.
Depuis 1998/1999, et notamment depuis le mois de mai 2000, notre organisation a
réitéré, à travers le terme de son congrès
annuel « Alternative protéines végétales », un
certain nombre de propositions, tant auprès du ministre de l'Agriculture
que de la commission.
Il nous semble, aujourd'hui, que la priorité devrait être
portée sur le secteur des protéagineux que sont les pois
protéagineux, lupins, féveroles et toutes ces plantes
cultivées essentiellement pour leur teneur en protéines.
En effet, nous n'avons aucune contingence internationale par rapport à
une revalorisation du soutien aux protéagineux communautaires.
Aujourd'hui, quand un agriculteur cultive des céréales, des
oléagineux et des protéagineux, son revenu à l'hectare
n'est pas le même suivant ces différentes productions. Jusqu'aux
Accords de Berlin, un différentiel, à travers les paiements
à l'hectare issus de la Politique Agricole Commune, tenait compte de
cette différence de compétitivité d'une culture à
l'autre. Or, ceci est perdu, bien que pas totalement en protéagineux,
à travers les Accords de Berlin.
Aujourd'hui, la tendance naturelle est une baisse des surfaces en
oléagineux (colza, tournesol et soja) et en pois protéagineux et
elle s'accroîtra dans les deux ou trois prochaines années. En
effet, les accords de Berlin prévoient une dégressivité
des aides, notamment en oléagineux, sur une période de trois ans.
C'est le point majeur.
Nous avions réussi, à travers une politique de recherche active
notamment en matière de semences (qualité sanitaire et
rendement), par une meilleure adaptation de ces cultures à nos
contraintes de producteurs, depuis une dizaine ou une quinzaine
d'années, à bien faire progresser ces cultures. Aujourd'hui, ces
efforts sont fortement entamés par les Accords de Berlin.
Sur ce point, il faudra, à l'occasion d'une clause de rendez-vous
prévue dans Agenda 2000, d'ici 2002 ou 2003, apporter quelques
corrections à ces accords.
Pour résumer, il faut donner la priorité au secteur des
protéagineux. Nous continuons à penser que compte tenu des effets
climatiques de l'automne et de ce début d'hiver, particulièrement
catastrophiques en France, voire même en Europe, il serait de bon augure
que l'on donne un signe concret pour des semis qui pourraient intervenir
dès février ou mars. En effet, à l'entrée du
printemps, la sole non couverte par des cultures d'hiver sera plus importante,
notamment en France, qu'elle ne l'est en période habituelle.
Cela passe par une revalorisation de cette aide pour les protéagineux et
oléagineux au plan communautaire ; aujourd'hui, nous la situons
à hauteur de 350/400 F par hectare par rapport à la situation
actuelle. C'est un coût de 120 à 150 millions d'euros pour l'Union
Européenne à 15, sachant que sur ce coût la moitié
reviendrait à la partie française puisque la France
représente environ 50 % de la production de protéagineux en
Europe.
Deux autres décisions pourraient être prises. L'une concerne la
promotion et l'augmentation des capacités en matière de
transformation des graines de colza en biocarburant. A travers l'usage non
alimentaire de l'huile, mais également la production de tourteaux riches
en protéines, nous pourrions, par cette activité non alimentaire,
consolider notre secteur de protéines végétales.
Une troisième réflexion que nous poussons consisterait à
favoriser la rotation des cultures afin de retrouver cet équilibre dans
les assolements entre céréales à paille et production
oléoprotéagineuse. Il faudrait accompagner les producteurs dans
une démarche plus incitative. Tout cela aurait pour effet de consolider
les surfaces ou du moins de redresser la baisse actuelle.
Si nous devions substituer les 2,5 millions de tonnes de farines animales par
leur équivalent en tourteaux de soja, il faudrait augmenter la surface
actuelle d'oléagineux et protéagineux, dans l'Union
Européenne, de 30 %, soit 2 millions d'hectares pour l'Union
Européenne à 15.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Monsieur le Président Beulin, vous
avez parlé des Accords de Berlin, mais quelle est votre marge de
manoeuvre en matière d'assolement ? Quand nous avons
auditionné M. Moscovici, dans le cadre de la Délégation
à l'Union Européenne, il nous a laissé entendre qu'il
existait une marge de manoeuvre, sans aller plus loin dans l'explication.
Lors du projet de Loi de finances 2001, nous avons également
interpellé Madame le ministre de l'Aménagement du Territoire et
de l'Environnement concernant la TGAP sur les consommations
intermédiaires, à savoir la luzerne déshydratée,
qui entraîneraient un surcoût de production de 17 %, ce qui
est phénoménal dans la conjoncture actuelle. Nous n'avons pas eu
de réponse.
Au travers de vos négociations avec ce ministère, avez-vous
quelques éléments de réponses ?
La culture de soja, qui est la plante idéale en matière de
production de protéines, est plus problématique en France que
dans certains pays, notamment d'Amérique latine. Nous poserons
également cette question à l'INRA : avez-vous bon espoir
d'avoir des variétés plus adaptées à la
climatologie française et, si oui, existe-t-il des régions plus
prédisposées que d'autres sur ce point ?
M. Xavier Beulin
- Concernant Blair House, je ferai un rappel historique
afin d'expliquer la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui.
Depuis 40 ans nous courons derrière les États-Unis en
matière de protéines. Au début des années 1960,
à travers le Dillon Round, qui était le premier round au cours
duquel on a commencé à parler d'agriculture, l'Europe a
accepté l'importation de soja à droit zéro dans l'Union
Européenne.
Je passerai sur les circonstances de l'époque, mais la résultante
est celle-là. Aujourd'hui, nous sommes soumis au cours mondial en
matière de protéines puisque concernant le soja la
référence de Chicago s'impose sur les marchés. Ces
semaines dernières, quand le dollar était à plus de 7,20
F, même si ce n'était pas bon pour les éleveurs,
c'était plutôt bon pour les producteurs
d'oléoprotéagineux communautaires. Il faut ramener cela à
une proportion mieux équilibrée et tirer des
références à une parité euro/dollar, ce qui nous
paraît, du moins dans le moyen terme, plus judicieux.
Nous avons ensuite subi l'embargo dont je parlais et, dans un premier
réveil, l'Europe a songé qu'elle ne pouvait pas rester dans cette
situation de dépendance à 90 % ou 95 %. A
l'époque, nous tirions nos seules protéines
végétales de plantes comme la luzerne car dans les années
1960 l'élevage européen comportait principalement des ruminants.
Les élevages de porc et de volailles se sont développés
à partir des années 1960. C'est notamment sous la pression des
pays du Nord, d'Unilever à l'époque, que, sans doute, ce mauvais
accord a été accepté dans les années 1960.
Nous avons développé, à partir de 1973, notamment sous
l'impulsion du Président Georges Pompidou (il faut le souligner car
c'était une prise de conscience importante), ce secteur
oléoprotéagineux en mettant en place un soutien aux productions
d'oléagineux qui ne transitaient pas par le producteur mais par le
premier transformateur, le triturateur ou l'huilier, auquel la
communauté apportait un niveau d'aide qui était ensuite
restitué sous forme de prix de graines au producteur.
A certaines époques, j'ai vendu du colza ou du tournesol à des
prix supérieurs à 300 F le quintal alors qu'aujourd'hui, dans les
meilleures situations, nous sommes à 110 F voire 120 F le quintal.
A la fin des années 1980, deux panels successifs, demandés par
les États-Unis, ont été perdus pour nous ; en effet,
les États-Unis estimaient que l'Europe ne pouvait pas apporter ce type
d'aide à ses producteurs car c'était contraire aux accords de
1966 qui avaient été consolidés.
C'est ainsi que nous nous sommes acheminés vers les Accords de Blair
House, en 1991. Ils précisent que l'Europe peut apporter des soutiens au
secteur des oléagineux sous deux conditions : ce soutien doit
être direct, sous forme de paiements compensatoires à l'hectare,
payés au producteur, et que soit instauré un plafond de surfaces,
tant pour les surfaces consacrées aux usages alimentaires des graines
que pour celles consacrées au usages non alimentaires, puisqu'à
l'époque on commençait à parler de biocarburant.
Rapproché du nombre d'hectares, cela accordait 5,5 millions d'hectares
pour l'Union Européenne à 15, desquels il fallait déduire
le taux de jachère en vigueur qui, en tout état de cause, devait
être supérieur ou égal à 10 %.
C'est un paradoxe du secteur des oléagineux : un taux de
jachère de 5 % en céréales et de 10 % en
oléagineux.
Concernant la situation actuelle, Agenda 2000 prévoit de ramener en
trois ans (2000, 2001 et 2002) le niveau des paiements compensatoires aux
oléagineux sur le niveau des paiements compensatoires aux
céréales et à la jachère. C'est une harmonisation
du niveau de l'aide à l'ensemble des grandes cultures plus la
jachère. Cela signifie que nous n'avons plus d'aide spécifique
aux cultures d'oléagineux. Ce qui conditionnait ces Accords de Blair
House était l'aide spécifique à une production
donnée, en l'occurrence la production de colza, de tournesol et de soja.
L'interprétation qui est faite, et sur ce point nous ne sommes plus
contestés, même à Genève puisqu'à Bruxelles
la situation est actée, est qu'à partir de 2002, quand l'aide
sera indifférenciée entre céréales,
oléagineux et jachères, les Accords de Blair House perdureront
mais seront vidés de leur substance.
Nous souhaiterions, à l'occasion de la réouverture des
négociations à l'OMC, que M. Lamy mette tout en oeuvre pour
supprimer ces accords qui, à notre sens, n'ont plus aucune
légitimité ou justification dans les conditions actuelles de
marché, de besoin et de demande.
Autrement dit, nous sommes pénalisés économiquement
puisque nous n'avons plus ce paiement spécifique qui permettait
d'améliorer la compétitivité du secteur oléagineux,
mais nous perdons, ce qui est plutôt un atout pour l'Europe, cette
fameuse contingence en termes de surfaces.
Dans les dossiers que nous avons préparés, nous avons
présenté un certain nombre de courbes. La situation actuelle
montre que, sans attendre 2002, nous serons bien au-dessous du fameux seuil de
5,5 millions d'hectares pour l'Union Européenne. Les conditions
économiques actuelles font que la baisse des surfaces ne nous
contraindra pas à justifier nos demandes par rapport à Blair
House.
Toute forme de soutien complémentaire qui viendrait au secteur
oléagineux ne pourra pas, ou ne devra pas, reprendre la forme
antérieure afin d'éviter de retomber dans cette contingence sauf
si, à l'occasion de la négociation, nous pouvions faire tomber
définitivement cette contrainte ; or, nous ne sommes pas certains
d'aboutir. Même si, aujourd'hui, nous avons de bons arguments, nos
collègues producteurs américains réalisent 60 % de
leurs recettes sur le soja à partir d'aides directes et 40 % par la
vente de leurs produits.
C'est la réalité aux États-Unis. Quand on vient crier haro
sur les aides en Europe, nous avons quelques bons arguments pour être
plus offensifs que nous ne le sommes.
Sur l'aspect de la luzerne, il faut bien scinder les dossiers car elle ne
substituera pas les farines animales. Par contre, pour les ruminants, il est
évident que la luzerne présente beaucoup d'intérêt.
J'ai cru lire que le Conseil constitutionnel avait renvoyé le
Gouvernement à ses « chères études » concernant
cette TGAP puisqu'il me semble qu'elle est désormais
considérée comme anticonstitutionnelle, considérant qu'il
existe une inégalité de traitement des différentes
entreprises concernées par rapport à cette TGAP sur
l'énergie.
Il nous semblait que nous étions près d'un accord qui aurait,
sans doute, peut-être pas totalement mais du moins pour partie,
exonéré les entreprises de déshydratation de luzerne qui
ne pouvaient plus, économiquement, continuer à exercer leur
activité dans les conditions de marché actuelles.
C'est pour nous la « ligne d'horizon » permanente : notre
référence en Europe, sur le prix des protéines, c'est un
exemple unique dans le secteur des grandes cultures, est celle du cours
mondial. Nous n'avons aucun filet de sécurité sur les productions
oléagineuses ou protéagineuses en Europe par rapport à une
baisse des prix ou des cours mondiaux qui chuteraient. Aujourd'hui, nos marges
de manoeuvre sont extrêmement réduite.
Quant au soja, nous formons un certain nombre d'espoirs qui sont de faire
monter la zone traditionnellement liée à la culture du soja,
à savoir majoritairement la zone du sud-ouest de la France, avec
quelques bassins complémentaires tels que la région
Rhône-Alpes, la Bourgogne et le Centre. Il est vrai que la culture du
soja n'a jamais franchi la Loire.
Un important travail de recherche doit être fait. Nous sommes sur du
fondamental et de la recherche variétale qui concerne principalement les
entreprises semencières. Nous développons actuellement un premier
programme, non pas sur le soja mais sur les protéagineux, dont les
moyens seront multipliés par 4 ou 5, pour améliorer la
productivité de ces plantes.
Nous sommes aussi en réflexion, en relation avec les semenciers, pour
développer des qualités variétales adaptées
à des zones plus septentrionales et progresser dans ce domaine.
Notre matériel génétique de base est, le plus souvent, un
matériel importé de l'autre côté de l'Atlantique.
Nous formons beaucoup d'espoirs dans la génomique, à savoir la
carte génétique des plantes, qui nous permettra, non pas de faire
de la transgenèse, car c'est un autre débat, mais d'aller
beaucoup plus vite en matière de recherche variétale, en ciblant
un certain nombre de gènes d'intérêt qui pourraient
permettre d'implanter du soja dans d'autres régions que celles
traditionnellement reconnues en France.
M. le Rapporteur
- Vous vous approchez des OGM.
M. Xavier Beulin
- Non, mais la transgenèse est une application
possible à partir de la génomique.
Quand une variété était élaborée en 10 ans,
elle le sera désormais en trois ou quatre ans grâce à la
génomique.
M. Paul Blanc
- Concernant la luzerne déshydratée, quels
sont les avantages et inconvénients par rapport au soja ?
Dans les années 1985, dans la région Languedoc-Roussillon en
particulier, à la suite d'arrachages massifs de vignobles, une
programmation a été faite pour développer la culture du
soja avec, en particulier, la création d'une usine de trituration
à Sète. A ma connaissance, ce développement ne s'est pas
fait. En connaissez-vous les raisons et pourrait-il être repris ?
M. Xavier Beulin
- Concernant les avantages de la luzerne, il faut
remettre chacune des plantes dans son contexte naturel, au sens des
implantations géographiques, mais également par rapport à
son utilisation et sa valorisation.
La luzerne est parfaitement adaptée aux caprins, ovins et ruminants
allaitants puisqu'elle constitue un équilibre entre la matière
protéique, purement contenue dans la luzerne, la cellulose, l'amidon,
etc. et l'énergie. Pour d'autres espèces, notamment toutes les
souches avicoles et les porcins, il faut des concentrations en
protéines, dans l'aliment, beaucoup plus importantes et la luzerne ne
répond à cet objectif.
A chaque espèce et chaque situation il existe aujourd'hui des
réponses adaptées. Je n'affirme pas que nous substituerons demain
100 % de nos importations par des protéines d'origine communautaire
car ce serait abusif. Notre objectif est de passer d'une situation de 25 %
d'auto-approvisionnement à une situation où nous pourrions
largement améliorer le score et atteindre 35 % ou 40 %. Cet
objectif est extrêmement ambitieux même s'il apparaît
raisonnable.
Il nous semble qu'en termes d'identité européenne, c'est un point
majeur pour nous, la diversité faisant partie de cette identité.
Cette diversité peut se retrouver dans la diversité des plantes
et des graines disponibles, en fonction de leurs caractéristiques, mais
aussi par rapport à ces notions d'assolement, d'agronomie, etc. C'est
l'une des valeurs fortes que l'Europe doit défendre aujourd'hui. De ce
point de vue, nous disposons de réponses diversifiées par rapport
à ces échéances.
Par rapport à l'usine de Sète, nous pourrions vous renseigner
précisément sur son activité. Elle travaille en partie
avec des graines d'importation mais c'est le cas d'un certain nombre d'usines
de trituration en France et en Europe. Sète travaille également
du tournesol et du soja français.
Depuis deux ans, mais principalement depuis l'année dernière, se
développe une filière « soja de qualité » avec
une quinzaine de sous-filières dans cette démarche
qualité. La principale étant celle « soja de pays »,
qui a initié notre propre organisation, et le soja issu de ces
filières, qui représente environ 50 000 hectares aujourd'hui, est
trituré en grande partie à Sète.
Nous avions voulu le triturer à Sète pour des raisons simples,
à savoir de garantir à l'acheteur final une
traçabilité maximum, depuis la semence jusqu'au produit final.
Pour cela, nous devons nettoyer l'usine pour chaque lot qui y est
transformé ; cette programmation est assez bien organisée.
Je pense que Sète répond en partie à la
préoccupation française. Toutefois, je serais tout à fait
ravi de pouvoir vous apporter ultérieurement des éléments
plus précis.
M. Georges Gruillot
- Concernant la clause de rendez-vous prévue
en 2002 ou 2003 pour savoir s'il faut modifier ou réformer les Accords
de Berlin, le problème de l'ESB étant devenu européen, ne
pourrait-on pas faire une pression politique (et vous avez peut-être
besoin du pouvoir politique que nous représentons partiellement) pour
que cette négociation ait lieu dès cette année ?
Vous nous avez expliqué que, pratiquement, vous producteurs
français, étiez réduits à recevoir les prix
mondiaux pour vos produits. Vous avez également indiqué que les
Américains tiraient leurs revenus de 40 % de leurs produits et de
60 % de subventions. Pourriez-vous citer, pour les quelques grands
produits, des chiffres en francs ou en dollars, afin de mieux fixer les
esprits, plutôt que d'en rester à cette connaissance
abstraite ?
Il m'a semblé, dans la fin de vos propos, que vous expliquiez qu'en
étant très ambitieux nous pourrions espérer atteindre, en
France, 35 % de production de nos besoins par rapport aux 25 %
actuels. Il me semble que cela manque un peu d'ambition. Alors qu'il existe des
kyrielles d'hectares en jachère en Europe, ne pourrait-on pas être
plus ambitieux et aller plus rapidement plus loin que les 35 % ?
M. Xavier Beulin
- Sur la troisième question, j'aimerais
être ambitieux.
M. Georges Gruillot
- C'est un vrai problème politique.
M. Xavier Beulin
- Dans les années 1970, notre taux
d'auto-approvisionnement était d'environ 10 %. Aujourd'hui, nous
sommes à 25 % et cela nous semble être un progrès
important.
Sur cette clause de rendez-vous et sur l'urgence des décisions à
prendre, il en existe au moins deux sur lesquelles nous pensions que la
Commission ferait des propositions ; nous avions d'ailleurs misé
sur les deux derniers Conseils agricoles à Bruxelles pour que M. Glavany
insiste dans ce sens.
Je n'ai pas à juger d'une pertinence ou d'une volonté, et je
pense que le ministre a fait, pour partie, son travail, bien qu'il existe des
blocages. Concernant le blocage budgétaire, je ne suis pas le mieux
placé pour en parler mais je reprends ce que je lis. Le retrait des
farines animales, leur stockage et leur traitement coûterait environ
20 GF par an pour l'Union Européenne à 15. C'est une somme
considérable.
Dans le même temps, nous demandons 120 à 140 millions d'euros,
pour l'Union Européenne à 15, pour soutenir un premier plan
protéagineux. Si nous obtenions 350 à 400 F de revalorisation du
paiement par hectare pour les producteurs, ce serait un signe extrêmement
fort et nous aurions, dès le printemps, si cette décision
était prise en début d'année, un effet extrêmement
positif.
M. Georges Gruillot
- Cela représente 1 GF.
M. Xavier Beulin
- Cela a été calibré à 750
MF. C'est à comparer aux 40 milliards d'euros du budget
consacré à l'agriculture par l'Union Européenne. Nous
sommes sur « l'épaisseur du trait ».
Je me permets de vous indiquer un autre chiffre : l'excédent
budgétaire, sur le dernier exercice de la Commission, pour le volet
agricole, représente environ 1,2 milliard d'euros. Il semble
possible de trouver quelques marges de manoeuvre.
Aujourd'hui, M. Fischler ne conteste pas cette décision mais il nous
donne un certain nombre d'arguments contraires. Le premier est que le retrait
des farines animales crée une sorte d'appel sur la protéine,
impliquant une augmentation du marché augmentera et un encouragement
suffisant pour les producteurs. Or, selon moi, en prenant une
référence en décembre, avec un dollar à 7,20 F, il
a probablement raison en partie. Si le dollar était à 6,50 F,
à savoir une parité euro/dollar, le prix de la protéine
dans l'Union Européenne ne serait pas attractif pour les producteurs.
Dans ce domaine, il est nécessaire de marquer les arguments et nous
pensons qu'il ne faut pas attendre la clause de 2002 pour donner un signe fort
et restaurer la confiance des consommateurs. Cela passe aussi par là et
je pense qu'une mesure d'urgence doit être prise.
M. le Rapporteur
- A quelle échéance attendriez-vous cette
décision européenne ?
M. Xavier Beulin
- Le plus tôt sera le mieux. Un pois
protéagineux, une féverole ou un lupin se sèment depuis la
fin février jusqu'au 15 mars ou la fin mars, cela dépend des
régions. Si l'on veut impacter les semis de 2001, il faut prendre une
décision maintenant.
M. le Président
- Nous pourrions, comme le disait M. Gruillot,
insister très fortement pour que les décisions soient prises
dès maintenant et être efficaces.
M. Roland du Luart
- D'autant qu'il existe un retard sur les emblavures
traditionnelles car il n'a jamais été semé aussi peu de
blé que cette année.
M. Xavier Beulin
- Notre crainte est de nous retrouver au printemps avec
une sole de céréales à paille, notamment d'orge de
printemps, que l'on ne saura pas valoriser sur le marché. Ce qui fait
l'intérêt de l'orge aujourd'hui est de rester sur un marché
maîtrisé, positionné sur la brasserie de qualité,
alors que nous risquons de rencontrer une « grande cavalerie » dont
nous subirons collégialement les conséquences dans un
délai d'un an.
Le deuxième point sur lequel nous insistons fortement est celui d'une
amélioration du deuxième pilier de la Politique Agricole Commune,
le développement rural. Je vous rappelle qu'en 2000 nous avions pu
obtenir un complément d'aide de 500 F par hectare pour la
culture du tournesol, moyennant l'engagement de l'agriculteur de remplir un
cahier des charges dont il convient de dire qu'il doit être praticable
pour le producteur.
Malheureusement, Bruxelles est passée sur la mesure et nous aurons, pour
2001, une série de nouvelles contraintes sur la culture du tournesol si
nous voulons avoir accès à ces 500 F : binage
mécanique, obligation de formation pour le producteur, etc. De ce fait,
la mesure ne sera pas prise par les producteurs.
Nous souhaiterions pouvoir transformer l'aide « tournesol an 2000 »
plutôt en une aide à l'incitation à la rotation des
cultures dans l'assolement du producteur. Aujourd'hui, les conséquences
d'Agenda 2000 sont d'emmener les producteurs de grandes cultures vers la
monoculture de céréales à paille. C'est ce que nous vivons
en direct ; c'est une tendance lourde.
Essayons de redresser la situation et, pour cela, faisons en sorte que l'on
puisse encourager le producteur à diversifier son assolement. Cela
pourrait être une mesure de type agri-environnemental puisque diversifier
un assolement consiste à faire de l'agri-environnement. Par ailleurs,
puisque cela ne serait pas pris sur les paiements compensatoires du volet FEOGA
de la PAC mais sur le volet du développement rural, nous ne rentrerions
pas dans cette contingence de Blair House dont je parlais.
M. Gasquet
- Sur les prix, il est difficile de parler en
général, puisque cela fluctue d'un jour à l'autre, et il
faut particulièrement bien définir le stade auquel nous parlons.
Je suppose que vous souhaitiez avoir des précisions sur le prix de
l'huile, des graines, des tourteaux, etc.
M. Georges Gruillot
- Nous souhaitons savoir à quel prix
l'agriculteur français vend le soja, le tournesol et la luzerne et
combien l'agriculteur américain touche de la vente de son produit.
M. Xavier Beulin
- Le rapport est inversé : quand les
États-Unis sont à 60 %/40 %, nous sommes plutôt
à 40 %/60 % en France, voire un peu moins concernant les
soutiens, notamment en s'approchant de l'échéance de 2002
où les aides baisseront encore.
En tant que producteur, aujourd'hui je vends le colza entre 110 F et 120 F le
quintal, soit 1 100 F à 1 200 F la tonne. Je récolte près
de 3,5 tonnes/hectare en colza, soit 3 500 F/hectare de recettes. J'avais, en
1999, 3 700 F de soutien direct, soit environ 50 % d'aides et 50 % de
recettes.
Cette année, j'ai eu une baisse sur ces 3 700 F et je suis aujourd'hui
à 3 200 F d'aides. J'aurai encore moins sur 2001 et le
paiement compensatoire, en 2002, sera à 2 600 F par hectare. Il
faut essayer de gagner sa vie avec cela.
Il faut raisonner en relatif et, pour nous, en France, la
référence est celle de l'hectare de blé. Sur un hectare de
blé, je suis mieux placé car, dans les mêmes conditions, je
ferai 7,5 tonnes/hectare qui seront vendus 700 F la tonne : soit 5 000 F
de recettes par la vente du blé et 2 600 F/hectare d'aides pour le
blé. Il est évident que je serai mieux positionné.
Il existait une justification dans ce paiement spécifique aux
oléagineux et aux protéagineux, jusqu'à ces Accords de
Berlin, en raison d'un différentiel de compétitivité entre
les deux cultures.
Par ailleurs, bien que nous n'en parlions pas en termes de propositions, car
c'est plus compliqué, il existe, sur la céréale, un prix
minimum garanti, l'intervention, qui n'existe pas en oléagineux ou en
protéagineux. Ces deux dernières cultures constituent donc une
prise de risques supplémentaires par rapport au marché.
Vous comprenez donc pourquoi on assiste à une baisse inéluctable
des surfaces consacrées aux oléoprotéagineux et M.
Fischler nous trompe quand il affirme que le marché redressera tout
cela.
Nous intervenons également sur le volet de l'amélioration de la
compétitivité de ces cultures. En céréales, nous
disposons d'environ un siècle de recherche derrière nous alors
qu'en oléoprotéagineux nous avons à peine 25 ans.
M. le Rapporteur
- Nous pouvons retenir avec beaucoup
d'intérêt votre proposition, que nous pourrions relayer, au niveau
gouvernemental, en demandant que le Gouvernement se positionne sur la relance
de la production d'oléoprotéagineux. Nous pourrions passer un
communiqué au titre de la Commission d'enquête et nous pourrions
le relayer au niveau de la délégation à l'Union
Européenne. En effet, mars approche et je ne comprendrais pas que l'on
interdise les farines animales sans favoriser la filière des
oléoprotéagineux.
M. Roland du Luart
- Il faudrait indiquer, dans ce communiqué,
l'argument des emblavures céréalières qui n'ont pas pu
avoir lieu.
M. Xavier Beulin
- Je souhaite relater une « anecdote ». Je
préside le groupe permanent oléoprotéagineux à
Bruxelles. Tous les trois mois, nous tenons un comité consultatif
où nous sommes face aux représentants de la commission.
Lors d'une discussion j'ai parlé de cette situation aux
États-Unis, du rapport 40 %/60 %, puisque,
parallèlement, nous instruisons un dossier de plainte à l'OMC
concernant l'abus de ces soutiens appliqués au soja. Un Directeur
général adjoint de la D.G. Agriculture m'a donné la
réponse suivante : en se plaçant du point de vue des
producteurs européens, il est raisonnable de vouloir déposer une
plainte car il s'agit d'un préjudice et cela pose un problème. De
plus, les Américains sont sortis de la clause de paix signée
à Marrakech dans ce domaine précis du soutien au soja.
Toutefois, s'agissant du point de vue des intérêts de l'Union
Européenne, il indiquait que nous avions tort et que tout serait mis en
oeuvre pour nous empêcher de déposer cette plainte. En effet,
puisque nous importons 70 % ou 75 % de nos besoins sous forme de
soja, la facture pour l'Europe est moins importante et nous avons
intérêt à laisser les États-Unis subventionner
massivement les producteurs de soja.
Je l'ai pris ainsi, tout en lui faisant remarquer qu'il n'était que
fonctionnaire, et non pas homme politique, et que je n'appréciais pas
beaucoup la réponse.
M. le Président
- L'essentiel est de le savoir et d'essayer
d'apporter un soutien dans ce domaine crucial. En effet, nous nous demandons
où nous pourrions trouver des protéines dans l'avenir.
Nous vous remercions d'avoir participé à cette commission
d'enquête et de nous avoir apporté tous ces enseignements qui sont
importants pour connaître la situation générale,
particulièrement dans votre domaine qui devient crucial pour la
fourniture de protéines.
M. Xavier Beulin
- Merci Monsieur le Président et Messieurs les
Sénateurs. Nous avons été ravis de pouvoir nous exprimer
devant vous.
Audition de M. Jean-Jacques ROSAYE, Président de la
Fédération nationale
des groupements de défense
sanitaire du bétail
(FNGDS)
(10 janvier 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- J'appelle maintenant M.
Rosaye, Président de la Fédération Nationale des
Groupements de Défense Sanitaire du Bétail, FNGDS,
accompagné de M. Cassagne, Directeur de la FNGDS, et Mme Touratier,
vétérinaire conseil de la FNGDS.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Rosaye,
Cassagne et à Mme Touratier.
M. le Président
- Dans un premier temps, je vous demanderais de
nous présenter la position de votre organisme par rapport aux
problèmes engendrés par l'utilisation des farines animales et des
conséquences sur l'ESB.
M. Jean-Jacques Rosaye
- Concernant la FNGDS, les groupements de
défense sanitaire sont des organismes à vocation sanitaire tels
qu'ils sont authentifiés par la loi du 4 janvier 2001. Cette loi fait
suite aux différentes lois de 1953 et 1964.
Nous réunissons la quasi totalité des éleveurs de France
puisqu'environ 96 % d'éleveurs sont volontairement adhérents
aux groupements de défense sanitaire. C'est la seule structure
française qui s'occupe du sanitaire dans les élevages et est
représentative, en matière sanitaire, au niveau français.
Concernant l'ESB, nous intervenons en échanges avec l'Etat et notamment
au niveau du soutien des éleveurs et du calcul des indemnisations dans
les cas d'ESB constatés. C'est la raison pour laquelle nous intervenons
plus particulièrement sur l'ESB, bien que cette prophylaxie soit
gérée par l'Etat.
Par ailleurs, nous avons sensibilisé M. Henri Nallet, ministre,
dès 1989 sur ce dossier. Une lettre a été remise par mon
prédécesseur, M. Alain Blandin, au ministre de l'Agriculture en
1989, car lors d'une visite en Grande-Bretagne il avait remarqué un
certain nombre de problèmes qui n'étaient pas très bien
identifiés à l'époque et qui paraissaient alarmants.
Sur ce dossier, en préambule, dès l'origine la France a toujours
pris plus de mesures que l'ensemble de ses partenaires européens. Nous
avons, tant l'Etat que la profession, toujours joué la transparence sur
ce dossier, même si nous nous apercevons que nous sommes,
malheureusement, accusés. Je crois pourtant que nous avons
été transparents et nous avons clairement expliqué la
situation.
Les décisions qui ont été prises depuis 1996 à
propos du retrait des matériaux à risques
spécifiés, les MRS, a été, à notre avis, le
point le plus important parmi les mesures de sécurité alimentaire
qui étaient prises depuis 5 ans.
Il est vrai que cette maladie a un effet retard car l'incubation est d'un
minimum de 5 ans sur les bovins et les effets de cette mesure ne se constatent
qu'à partir de maintenant.
Par ailleurs, nous avons, depuis quelques mois, procédé à
une analyse de l'évolution épidémiologique de l'ESB en
France, par les données émanant du ministère ou autres.
Elle est intéressante et je vous ferai part des conclusions.
Concernant l'analyse de l'ESB, elle fait apparaître deux vagues de
contamination. S'agissant des différentes sorties d'animaux malades, il
existe deux vagues en fonction de la date de naissance des animaux. Une
première vague, concernant principalement la Bretagne, était
probablement liée aux importations de farine de viande de 1987, 1988 et
1989 en provenance d'Angleterre car les animaux ont été malades
en 1992, 1993 et 1994.
C'était l'expression des importations de farine de viande en provenance
de Grande-Bretagne et qui, à l'époque, ont certainement
augmenté. Il aurait sans doute été nécessaire de
les limiter mais elles ne l'ont été qu'en 1989 et 1990.
La deuxième vague qui ressort actuellement, depuis 6 mois ou un an,
concerne les animaux nés en 1994, 1995 et 1996. Il semblerait,
d'après nos études, qu'il s'agirait d'animaux contaminés
par des importations (de la Grande-Bretagne vers la Bretagne) qui auraient
été réincorporées dans le circuit des farines
françaises.
L'hypothèse la plus probable, puisque normalement il n'y avait plus de
farine de viande dans l'alimentation des bovins, concerne des contaminations
croisées entre l'alimentation des bovins, des porcs et des volailles.
C'est sans doute une source essentielle mais il en existe peut-être
d'autres, à savoir les importations frauduleuses ; toutefois, il
est plus difficile de les cerner et d'en apporter la preuve. On en entend
beaucoup parler mais il est impossible d'affirmer que c'est l'une des sources
les plus importantes.
Certains GDS dans les départements nous ont fait part de naturalisation
de farine anglaise via les ports méditerranéens, la Belgique ou
les Pays-Bas, qui importaient encore, et nous retransmettaient des farines de
viande qui n'était plus britanniques lors de leur arrivée en
France. Ce type de fraude est difficile à quantifier et à prouver
car cela concerne les années 1993 à 1995. Selon des personnes qui
ont eu quelques informations, elles n'étaient pas négligeables
mais je ne sais pas à quel niveau.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Disposez-vous d'éléments
susceptibles de nous éclairer davantage ?
M. Cassagne
- C'est difficile car nous n'avons pas le pouvoir de la
police. Des départements nous ont indiqué qu'il avait
existé des farines naturalisées, sans qu'il soit possible de
remonter à la source de cette information. A l'époque, on nous
avait indiqué des lieux mais ces phénomènes datent de
quelques années auparavant. Nous n'avons pas les moyens d'aller chercher
des preuves en la matière. C'était plutôt une information a
posteriori.
Nous avions, au niveau national, des échos, à des moments
précis, mais ils sont arrivés tardivement. Ne disposant pas de
moyens d'investigation, il ne nous était pas possible de les chercher.
En revanche, nous soutenons totalement Madame le juge Boizette qui souhaite
pouvoir conduire une enquête. Cela nous semble nécessaire
même si nous pensons qu'il sera difficile de trouver des preuves.
M. Jean-Jacques Rosaye
- Hormis ce problème majeur de fraude, je
reviendrai sur les contaminations croisées telles que nous pouvons les
analyser.
La Brigade nationale d'enquêtes vétérinaires a
publié un rapport en 1999. On peut, à cet égard, regretter
qu'elle ne publie pas de rapport chaque année ; d'autres rapport
ont été réalisés avant 1999 mais ils n'ont jamais
été rendus publics.
Concernant le rapport de 1999, il est indiqué : «
L'état actuel des enquêtes alimentaires menées sur le cas
déclaré en 1999 montre que, comme les années
précédentes, à côté de possibles
contaminations croisées d'élevage par des aliments
destinés aux porcins ou aux volailles, ou des contaminations
croisées de transport, il est mis en évidence de façon
constante une possibilité de contamination croisée accidentelle
d'usine par des produits susceptibles de provenir, en tout ou partie, de
déchets à hauts risques de ruminants, d'au moins un aliment
destiné aux bovins présents dans l'exploitation.
En effet, on peut considérer que presque toutes les usines ayant
utilisé ces produits dans des aliments destinés aux volailles et
aux porcs présentent, ou présentaient, à l'époque
supposée de la contamination, un risque de contamination croisée
si elles ont fabriqué des aliments destinés aux bovins dans la
même entreprise ».
S'agissant des usines qui fournissent les aliments pour les bovins, beaucoup de
celles-ci fabriquaient des aliments pour les porcins, les volailles et les
bovins, sans avoir de chaîne distincte de production entre les trois
espèces.
Quand la fabrication d'une catégorie d'aliments était
terminée, on passait à la catégorie suivante. En raison du
type de fonctionnement de ces usines, il est évident qu'il doit toujours
rester un dépôt à un stade quelconque de la filière.
Il peut s'agir de quelques dizaines de kilos qui peuvent repartir dans la
fourniture suivante. Ce risque important existait avant 1996
puisqu'après 1996 les morceaux à risques étaient
enlevés des farines de viande, quelle que soit leur destination. Avant
1996, si des farines de viande destinées aux porcs et aux volailles
entraient dans l'alimentation bovine, des morceaux à risques pouvaient
être incorporés.
Concernant les contaminations croisées des exploitations, il n'est pas
possible de les nier car certaines élevaient des porcs et des bovins sur
la même exploitation. Quand un lot d'aliments pour les porcs était
terminé, il pouvait en rester au fond du silo.
L'AFSSA avait fait une étude à propos des premiers tests
réalisés sur Prionics et parmi les 26 premiers cas d'ESB, 20
producteurs ne réalisaient qu'un seul type de production. Il n'est pas
possible de généraliser.
S'agissant des transports, qui constituent un autre point important, on sait
que pour transporter les aliments en vrac par camion les produits sont
séparés par des cloisons. Il était donc possible qu'un
même camion livre plusieurs productions, de l'aliment pour bovins et pour
porcins. Mécaniquement, lors de la fin d'une livraison, 20 ou 30
kilos d'aliments pouvaient rester dans la vis sans fin et ils étaient
refoulés avec la deuxième livraison. Je suis éleveur et
quand un camion me livre des aliments je constate, même actuellement, que
des granulés ne sont pas de la même couleur que ceux de ma
commande d'aliments.
De plus en plus d'usines sont spécialisées et créent des
chaînes spécialisées ou enlèvent les farines de
viande de leur production. C'est donc un peu moins vrai. De plus, les farines
de viande sont plus sécurisées qu'il y a 4 ou 5 ans.
Dans les usines on pouvait constater un autre phénomène, à
savoir des possibilités de réincorporation de retour. Quand une
exploitation n'utilisait pas tout un lot d'aliments pour des porcins ou des
volailles, le fournisseur s'engageait à le reprendre. L'usine reprenait
donc les aliments mais je ne sais pas s'ils repartaient dans une chaîne
concernant la même catégorie d'animaux.
Il semble, à nos yeux, que cette contamination croisée constitue
la majeure partie des risques rencontrés dans les années 1992
à 1996 alors que les farines n'étaient pas
sécurisées. Les fabricants n'étaient sans doute pas aussi
rigoureux qu'aujourd'hui sur les croisements d'aliments.
Comment expliquer cette situation ? Avant 1996, on ne parlait pas d'ESB
comme on le fait depuis mars 1996 et depuis la déclaration du ministre
anglais de la Santé.
Il existait des recommandations mais il n'est pas possible de savoir si les
usines les appliquaient totalement. Je ne pense pas que ce soit le cas car la
séparation des chaînes d'alimentation n'était pas effective
et je ne pense pas que toutes les mesures aient été prises
correctement entre 1990 et 1996.
Concernant l'application de la réglementation, le pourcentage de farine
d'os devait être de moins de 0,1 % avec la possibilité
d'incorporer 0,35 % de farine de viande. Ce n'est pas négligeable
puisque cela constitue 3,5 kilos de farine de viande pour 1 000 kilos
d'aliments. C'était réglementaire.
Selon les chiffres de la DGCCRF, le pourcentage d'échantillons
analysés et situés au-delà de ce chiffre n'était
pas négligeable : en 1997, 4,2 % étaient au-delà
du 0,1 % réglementaire, en 1998, 1,2 % et en 1999,
1,64 %. Ce n'est pas beaucoup mais c'est plus que zéro.
Un autre point a participé à la moindre vigilance des
différents intervenants. Au niveau des scientifiques, le principe admis
au début, et la commission d'enquête britannique l'avait
souligné, était que la dose contaminante pour le bovin
était élevée. Or, après un certain nombre
d'études, il s'est avéré qu'une dose de moins de 1 gramme
pourrait contaminer un bovin. De ce fait, très peu de morceaux à
risques étaient nécessaires pour contaminer un bovin. A
l'époque, en estimant que la dose contaminante était
élevée, on pensait avoir une marge de manoeuvre importante alors
que ce n'était pas vrai.
On peut s'interroger sur l'absence de prise en compte de cette dose
contaminante par les scientifiques ; cela aurait pu être un seuil
d'alerte pour les usines.
Un autre point est, selon moi, important, à savoir le problème
des contrôles : ont-ils été effectués
correctement ou assez fortement ?
Ce n'est pas tout à fait sûr puisque l'office alimentaire et
vétérinaire européen indiquait, en 1999, que certains
problèmes existaient. Ses représentants avaient visité
deux établissements de fabrication d'aliments : l'un était
satisfaisant en fonction des législations européenne et
française, mais l'autre n'avait pas fait la preuve de son
efficacité sur la mise en place des ces mêmes législations.
Le nombre d'échantillons prélevés n'était pas
suffisant par rapport au nombre d'usines ou aux productions d'aliments faites
en France. La DGCCRF avait réalisé 307 prélèvements
en 1997, 419 en 1998 et 380 en 1999. En rapport avec le nombre d'usines en
France, c'est sans doute plus que cela. Je ne pense pas que toutes les usines
aient été contrôlées au moins une fois chaque
année. De plus, la répartition géographique n'a pas
été effectuée correctement.
Ceci soulève deux questions de nature plus ou moins politique :
pourquoi aucun protocole standardisé de contrôle sur la
maîtrise des procédures de fabrication n'a-t-il été
défini, en particulier par l'Etat, et pourquoi l'instance
d'évaluation, l'Agence Française de Sécurité
sanitaire des Aliments, n'en a-t-elle pas exprimé le besoin ?
L'AFSSA n'a jamais indiqué qu'il était nécessaire d'avoir
un protocole standard de contrôle et n'a jamais insisté dans ce
sens.
Par ailleurs, au niveau de l'estimation dans les exploitations ayant eu un cas
d'ESB, une enquête a été réalisée sur le
terrain par les vétérinaires. Dans les premières phases
d'expérimentation du test Prionics, sur les 32 premières
exploitations où un cas avait été détecté,
seules pour 26 l'enquête est remontée à l'AFSSA. Cela nous
interroge car 6 cas n'ont pas été analysés en
détail : je ne sais pas si c'est normal.
Concernant les moyens, au niveau de la Direction Générale de
l'Alimentation on constate une baisse constante des moyens mis en place,
notamment en matière d'effectifs, pour faire les contrôles ainsi
qu'assurer le suivi de l'ensemble de la traçabilité et le suivi
sanitaire.
Tant au niveau de la centrale nationale que des services
vétérinaires départementaux, le programme de
création d'emplois sur deux ans, annoncé par le ministère
de l'Agriculture, permet à peine de compenser les pertes de ces
dernières années en effectifs alors que l'on met de plus en plus
de missions, au niveau des services vétérinaires, de
contrôle, d'inspection, de suivi en matière d'ESB, de
maîtrise des abattages dans les élevages où le cheptel est
positif, etc. Notamment dans les départements de l'Ouest, certains
services vétérinaires sont dépassés parce qu'ils
n'ont pas assez de moyens en termes d'effectifs.
En conclusion, pour résumer notre analyse, les cas nés
après l'interdiction des farines depuis 1990 résultent
essentiellement d'une contamination croisée des aliments (à
l'usine, au transport ou dans l'exploitation), entre les années 1992
à 1996, ayant contaminé les bovins qui sont actuellement
positifs. Les contrôles n'ont pas été suffisants et, de
plus, leur nature et leur nombre n'ont pas pu permettre d'éviter ce
risque.
Néanmoins nous sommes convaincus que des fraudes ont certainement
été faites sans que nous puissions les quantifier, ni en apporter
la preuve ; ce ne sont pas seulement des rumeurs. Il est difficile de
savoir à quel niveau, par qui et comment elles ont eu lieu. Ce serait
difficile à prouver et nous n'avons pas les moyens de le faire. Il est
évident que ce point a pu être la source d'un risque.
Un point doit être soulevé en matière de santé
publique. On entend beaucoup de choses et parfois n'importe quoi au niveau des
médias. Il ne faut pas oublier l'effet d'optique dû aux
durées d'incubation de la maladie à propos des bovins. Les effets
concernant les mesures mises en place aujourd'hui ne seront visibles que dans 5
ans. Les mesures mises en place en 1994, 1995 et 1996 auront des effets
à partir de 2001 et 2002.
Je ne sais pas si les mesures mises en place cette année étaient
justifiées. Il aurait sans doute fallu attendre que les mesures mises en
place dans les années 1996 aient un plein effet avant de procéder
à la mise en place de nouvelles mesures qui s'ajoutent les unes aux
autres et ne sont pas toujours bien contrôlées.
Je rappelle les propos de l'Union fédérale des consommateurs et
une analyse très bien réalisée : « Les
principaux risques à la consommation existaient dans les années
1988 et 1989 et sont beaucoup plus faibles aujourd'hui. Les mesures
d'interdiction d'incorporation des farines de viande et d'os dans
l'alimentation des bovins, en 1990, et surtout la décision de retrait et
de destruction des matériaux à risques spécifiés de
tout aliment pour toute espèce, en 1996, constituent les deux mesures
essentielles pour la sécurité du consommateur ».
Au niveau de la FNGDS, nous partageons totalement cette analyse du risque.
Depuis 1996, la France a pris un certain nombre de mesures qui sont de bons
sens et porteront leurs fruits seulement maintenant.
S'il existait des contaminations entre 1990 et 1996, seraient-elles
quantifiables ? Je ne le sais pas. C'est difficile à affirmer
puisque les scientifiques britanniques avaient essayé de faire des
simulations scientifiques sur l'évolution de la variante de la malade de
Creutzfeldt-Jakob dans les 10 ou 20 ans à venir. Au niveau de la
contamination des bovins, il n'est pas possible de savoir quelle était
la contamination exacte à l'époque. Elle reste très faible
en France ; en rapportant les cas positifs par rapport au cheptel bovin
français, elle est de l'ordre de quelques animaux par million de
têtes de bétail : nous avons 20 millions de têtes de
bétail et depuis 1991, soit en 10 ans, nous avons eu 250 cas, ce qui est
relativement peu par rapport à la Grande-Bretagne (avec 190 000 cas) et
d'autres pays comme la Suisse.
Mme Touratier
- Par rapport à leur population bovine, ils ont
trois fois plus de cas. Il est important de rapporter ces chiffres aux bovins
de plus de 24 mois qui sont susceptibles de faire une ESB. Actuellement,
l'incidence augmente dans notre pays, ce qui pose un problème, mais elle
reste faible : en incidence glissante sur les 12 derniers mois, le nombre
de cas est de 15 par million de bovins de plus de 24 mois. Une maladie qui
concerne quelques dizaines d'individus par million d'individus est une maladie
à incidence faible.
Le problème est que ces incidences augmentent puisqu'il y a 12 mois il
s'agissait de 3 cas par million de bovins. Bien qu'il s'agisse d'une
multiplication par 4 ou 5 du nombre de cas, l'incidence reste faible. On peut
concevoir que sur un cheptel de 20 millions de bovins, les contaminations
croisées, avec cette dose contaminante faible, produisent les effets
actuels.
M. Jean-Jacques Rosaye
- Les différents ministres, de
l'Agriculture et autres, ont pris, au niveau de la France, de bonnes mesures
pour protéger la santé du consommateur essentiellement et pour
éradiquer la maladie progressivement dans les élevages. Il est
vrai que nous avons été mis à l'index car nous avons mis
en place des tests en place au niveau français : comme on dit, qui
cherche trouve. Malheureusement, quand on trouve on est mis à l'index
mais c'est une manière de protéger les consommateurs.
La FNGDS a demandé à Monsieur le ministre de l'Agriculture qu'une
commission d'enquête publique, comparable à celle de
Grande-Bretagne, soit mise en place et qu'elle dispose de larges moyens
d'investigation pour aller plus en profondeur, notamment en termes de fraude.
Si des fraudes ont existé, il faut les trouver et les dénoncer.
Actuellement, nous n'avons pas les moyens de le faire. La brigade
vétérinaire enquête mais je ne suis pas sûr qu'elle
puisse aller jusqu'à l'investigation assez approfondie pour
dénoncer les fraudes.
Les contaminations par les farines de viande, dans les années 1990/1996,
résultent pour une grande part des contaminations croisées en
usines, et éventuellement en transport et en exploitation. La pression
des contrôles a été insuffisamment harmonisée. Les
moyens des services concernés n'étaient pas là pour le
faire.
La question en matière de sécurité sanitaire porte moins
sur les farines carnées en elles-mêmes que sur le retrait des
matériaux à risques spécifiés. Alors que depuis
1996 la France a pris des mesures, d'autres pays européens n'ont pas
procédé à de tels retraits. En matière de
circulation des farines de viande (cela nous a été dit par les
représentants du ministère), ce marché était,
jusqu'à il n'y a pas très longtemps, un marché
communautaire ; de ce fait, les frontières des pays n'existant plus
au niveau communautaire, des farines étrangères à la
France pouvaient arriver en France. Ce risque porte donc une interrogation.
De plus, des pays n'ayant pas pris de mesures depuis 1996, des produits animaux
rentraient encore en France jusqu'à il y a très peu de temps et
ont pu apporter un risque au niveau de la sécurité alimentaire de
la France.
Enfin, de manière plus large, il est nécessaire de faire part de
l'analyse de la FNGDS quant aux luttes d'influence entre les ministères,
tant sur ce dossier que, plus généralement, sur celui de l'ESB.
Ce qui apparaît comme une véritable guerre des ministères,
et de leurs services, perturbe en profondeur la lisibilité et
l'efficacité des mesures prises. Dans un climat de surenchère, de
suspicion ou de critique permanente, l'opinion publique et les producteurs
finissent par en être les victimes : les uns parce qu'ils sont les
enjeux de la communication et de la volonté de pouvoir et les autres
parce qu'ils assistent, impuissants, notamment les éleveurs, à la
destruction exagérée de leur outil de travail et à la mise
en accusation devant cette même opinion publique.
Les éleveurs ont été souvent mis à l'index depuis
quelques mois concernant ce dossier. Leur sentiment sur le terrain est une
exaspération car ils ne sont pas plus la cause de cette vague d'ESB que
n'importe qui. Ils en sont les victimes.
M. le Président
- Concernant la copie du courrier figurant dans
votre dossier, existe-t-il une réponse ?
M. Cassagne
- Les ministres n'ont pas toujours l'habitude de
répondre au courrier qu'on leur adresse. En revanche, très
rapidement, des premières réunions ont eu lieu, auxquelles nous
participions, au niveau de la Direction Générale de
l'Alimentation, pour faire le point sur ce dossier et voir ce qui pourrait
être fait dans l'hypothèse où, en France, un cas se
produirait.
M. le Rapporteur
- Êtes-vous satisfaits du dispositif
d'identification et de contrôle des mouvements d'animaux au niveau
européen ?
Il nous a semblé lire dans la presse, ces jours derniers, que le
laboratoire Boehringer Ingelheim aurait mis au point un test ante-mortem sur la
détection de l'ESB. Avez-vous quelque information fondamentale sur ce
point ?
M. Jean-Jacques Rosaye
- Sur l'identification, je pense que depuis la
dernière réforme, en date de 1998, l'identification fonctionne
bien en France et est fiable. Je n'affirme pas qu'il n'existe pas de fraude,
car de telles possibilités peuvent exister, mais elles sont très
minimes.
Nous disposons d'un système informatique permettant de suivre les
animaux et d'avoir connaissance de documents les concernant.
Des contrôles des services vétérinaires, qui ont lieu dans
les élevages depuis deux ans, ont permis de remonter de petites
infractions mais pas de grosses infractions permettant d'affirmer qu'il existe
une fraude. De ce côté, je ne pense pas qu'il existe de
problème majeur.
M. le Rapporteur
- Sur les carcasses et, à la fin, sur
l'étal du boucher, considérez-vous que des progrès doivent
être faits en la matière ?
M. Jean-Jacques Rosaye
- Je ne connais pas toute la filière
jusqu'à l'étal du boucher. Depuis un an et demi ou deux ans, tout
le monde fait des efforts pour identifier tous les morceaux. Le plus gros
problème est certainement au niveau de la restauration collective
où il est très difficile d'aller jusqu'aux consommateurs. Il
existe un point où il faut s'arrêter et la
traçabilité est très difficile à réaliser
jusqu'aux consommateurs ; toutefois, tout le monde essaie, au moins pour
rassurer les consommateurs, d'apporter le maximum d'informations.
M. Cassagne
- Le système de traçabilité
français est constitué de l'identification et de
l'étiquetage. Qu'attend-on de ce système et que veut-on
savoir ? Le consommateur peut savoir que le morceau de viande qu'il
achète provient de l'exploitation de M. Rosaye. En termes de marketing,
c'est rassurant pour le consommateur mais ce n'est pas l'essentiel. L'essentiel
est que les contrôles permettent d'assurer la traçabilité
du morceau de viande jusqu'au bovin ou l'inverse.
Le système est sans doute perfectible mais, globalement, nous avons la
sensation que le système de traçabilité, tel qu'il est
actuellement, permet globalement la traçabilité selon la formule
« de la fourche à la fourchette » et de « l'étable
à la table ».
Nous en parlions avec des personnes d'Interbev et, globalement, on peut
l'assurer. J'avais cru comprendre que votre question avait une dimension
européenne, ce qui constitue une tout autre situation.
Concernant l'exemple de la restauration collective, vous êtes souvent,
Messieurs les Sénateurs, des élus locaux, des maires, et vous
devez vous occuper de cantines scolaires. Cela dépend probablement de la
taille des communes, c'est souvent en régie directe mais vous passez
également par l'intermédiaire d'entreprises. Vous avez sans doute
eu la curiosité de regarder, dans le cadre d'appels d'offres, les
réponses qui sont fournies. Nous avons pratiqué cela, sous une
autre forme, pour la ville de Paris.
La traçabilité est assurée, sur les viandes d'importation,
à partir de l'abattoir. Il est impossible de remonter, pour les
entreprises ayant répondu à l'appel d'offres et proposant des
animaux abattus en Hollande, au-delà de l'abattoir dans lequel l'animal
a vécu ses derniers instants. Alors qu'en France on peut remonter
jusqu'à l'exploitation d'origine, dans ce cas c'était absolument
impossible.
Ceci, dans le système que nous connaissons, ne présente pas,
à nos yeux, un niveau de garantie suffisant. Les choses
changeront ; on le constate avec ce qui se passe en Allemagne. Des pays se
sont présentés comme indemnes d'ESB, malgré l'avis des
scientifiques (ils faisaient de l'ESB sans cas clinique), et la libre
circulation faisait qu'il n'existait pas de traçabilité totale
depuis l'élevage jusqu'à l'abattoir.
M. le Rapporteur
- Cela voudrait dire que des animaux importés
d'un pays de l'Union Européenne et abattus sur le territoire
français n'auront de traçabilité qu'à partir de cet
abattoir.
M. Cassagne
- Jusqu'en octobre 2000, il n'existait pas de
décision européenne de retrait des matériaux à
risques spécifiques. Parmi les pays européens, beaucoup, pas
très loin de la France, ne procédaient pas à ce retrait
alors que l'on sait, sur un plan scientifique, que c'est la mesure, certes pas
unique mais essentielle en matière de sécurité
alimentaire. Ce manque de traçabilité et cette absence de retrait
des matériaux à risques spécifiques font que s'il existe
des risques sanitaires pour la santé publique, ils doivent probablement
être recherchés du côté d'animaux de ce genre
plutôt que sur des animaux français.
Cela ne signifie pas qu'en France tout est propre et clair. Toutefois, l'effort
fait en France en matière d'identification (certains pays ont mis en
place très tard des systèmes d'identification inférieurs
à ce qui existait en France dès 1998) procure une garantie
supplémentaire, probablement mal vendue auprès du consommateur,
et que l'on ne trouve pas, ou de manière insuffisante, dans certains
autres pays européens.
J'ajoute, en matière de traçabilité sanitaire,
qu'actuellement le ministère de l'Agriculture est en voie de
finalisation d'un logiciel informatique répondant au nom de
« Civet et Marcassin » : « Civet »
parce qu'il s'occupe d'hygiène alimentaire et
« marcassin » pour la santé animale. Ce logiciel
sera déployé d'ici septembre 2001 dans l'ensemble des
département français, à savoir les Directions des services
vétérinaires et les groupements de défense
sanitaire : Marcassin renforcera la traçabilité sanitaire
des animaux et Civet fera de même pour les produits.
Dans le même temps, il devrait renforcer la capacité
d'intervention des services vétérinaires de contrôle en
permettant d'assurer une traçabilité renforcée puisque
toutes les informations seront stockées sur une base nationale
située à Toulouse. Les contrôles seront donc beaucoup plus
faciles ; en cas de problèmes sanitaires, les services de
contrôle pourront intervenir beaucoup plus rapidement et conduire
beaucoup facilement les enquêtes épidémiologiques
nécessaires. Nous avons donc plutôt une bonne identification en
France. Nous allons renforcer, sur le plan sanitaire, cette
traçabilité par un logiciel unique de santé animale et
d'hygiène alimentaire.
Dans un autre temps, nous considérons que le risque, même s'il est
très difficilement quantifiable, repose plus sur des animaux
étrangers que sur des animaux français.
M. Jean-Jacques Rosaye
- Concernant un test ante-mortem, je souhaiterais
citer une phrase du Professeur Dormont à qui la question avait
été posée concernant la date d'obtention d'un tel test. Il
nous avait répondu, à nous, éleveurs, qu'il
espérait que l'on n'en trouve jamais.
En effet, le prion, en tant que tel, ne se trouve que dans le système
nerveux central, en phase terminale. Pour trouver le prion, il faut abattre
l'animal pour analyser le cerveau et la moelle épinière. Si l'on
trouve un test permettant de détecter le prion sur le lait ou sur le
sang, cela signifiera que la contamination se fait par le lait, le sang ou la
viande. De ce fait, le risque est important.
Je ne sais pas s'il existe d'autres moyens indirects, peut-être par des
déductions scientifiques, de trouver le prion qui se trouve dans le
cerveau.
Mme Touratier
- Je complète cette réponse. Aujourd'hui, le
modèle le plus sensible permettant de détecter le prion est celui
de l'inoculation intracrânienne à la souris. Des essais
expérimentaux ont été faits sur des bovins et des veaux,
essentiellement en Grande-Bretagne, avec des doses contaminantes
expérimentales extrêmement élevées, à savoir
d'environ 100 grammes. On fait ingérer à des veaux
100 grammes de cerveau de vache folle. Cela constitue entre 100 et 1 000
fois plus que la dose contaminante déterminée -dont il a
été question tout à l'heure- qui est très faible
puisqu'elle se situe à moins d'un gramme de cerveau de vache folle.
Ces doses expérimentales sont extrêmement importantes. Ensuite,
régulièrement, tous les 4 mois, on découpe en morceaux des
lots d'animaux : 50 tissus sont ensuite inoculés par voie
intracrânienne à des souris calibrées pour cela.
Avec ces essais (qui sont aujourd'hui le modèle le plus sensible, qui ne
détecte pas le moindre prion, en raison d'un seuil de sensibilité
des techniques, bien qu'elles soient très sensibles) on ne retrouve du
prion que dans une fraction du tube digestif, ou plutôt dans les plaques
de Peyer, uniquement lors d'essais expérimentaux. En effet, sur des
animaux atteints naturellement, on ne trouve rien, y compris dans les plaques
de Peyer, parce que les doses contaminantes naturelles sont probablement
très inférieures à ces doses expérimentales.
Dès 6 mois après la contamination expérimentale, on
retrouve des traces de prion dans ces plaques de Peyer, à un taux
faible, tout au long de l'incubation. On ne commence à retrouver du
prion, à des doses faibles, que 32 mois, au plus tôt,
après. Cette dose augmente dans le système nerveux central
(cerveau, moelle épinière et un certain nombre de ganglions le
long de la moelle épinière) et cette quantité de prion
n'explose véritablement dans ce système nerveux central que dans
les 3 à 6 mois qui précèdent l'apparition des signes
cliniques.
C'est ce que l'on observe avec des doses expérimentales
extrêmement fortes. Personne ne peut dire que l'on n'en trouvera pas
ailleurs car il existe un cheminement de ce prion dans l'organisme, depuis le
tube digestif, puisque la contamination se fait par voie orale, jusqu'au
système nerveux central.
Il existe deux voies de recherche fondamentales : la voie du
système lymphatique ou la voie d'un certain nombre de troncs nerveux.
Pour le dire diplomatiquement, il est extrêmement curieux qu'un
laboratoire annonce qu'il mettra au point, dans les mois à venir, un
test sur le sang. En effet, tous les éléments scientifiques, qui
se recroisent et sont confirmés depuis des années, rendent plus
que curieux ce genre d'annonce.
Même si l'on en avait trouvé dans le sang des animaux, ce qui
n'est pas le cas chez les bovins, ce type de test est extrêmement
délicat à valider. Cela nécessite à grande
échelle, comme on le constate avec les tests Prionics ou les tests
rapides, de valider des erreurs par défaut ou par excès. Ce sont
des protocoles extrêmement délicats et, très franchement,
pour le dire un peu moins diplomatiquement, ce genre d'annonce tient plus de la
gesticulation que de ce que l'on sait au niveau de ce qui est publié
scientifiquement.
J'ai lu cette annonce dans la presse. Ensuite, des responsables viennent
tempérer ce genre d'annonce mais elles tiennent plus du marketing, ou du
commercial, que du fondé au plan scientifique.
M. Cassagne
- Le laboratoire a peut-être trouvé quelque
chose. Puisqu'il n'existe rien d'autre qu'une rumeur et une information
prospective, pour l'instant il ne faut pas se baser sur cette information.
Mme Touratier
- Le problème de ce prion est qu'il n'existe pas de
réaction. On pourrait rechercher un indicateur, et non pas directement
le prion, qui augmenterait au niveau sanguin dans le cas d'une contamination
par le prion.
La validation d'un test, quand on cherche l'agent lui-même, est
très complexe mais quand on passe par un indicateur indirect la
validation ne se compte pas en mois mais en années. Sans être
scientifique, je dispose d'une certaine culture scientifique, et je suis
extrêmement surprise devant ce genre de déclaration qui ne
coïncide pas avec ma culture scientifique.
M. Jean-François Humbert
- Je suis désolé de
revenir sur un élément car je sais que vous ne pourrez pas
répondre autre chose que ce que vous avez déjà
répondu. Vous avez parlé, à plusieurs reprises,
d'importations frauduleuses en nous disant que les informations sont celles de
« l'homme qui a dit à l'homme qui a dit à l'homme etc.
». Toutefois, ne pourrions-nous pas en savoir plus ?
Notre mission est d'essayer de comprendre un certain nombre de choses et, sans
vouloir vous demander de procéder à telle ou telle
délation, n'a-t-on pas, ici ou là, assisté à
quelques premières procédures judiciaires, notamment dans l'Est
de la France, en région Lorraine et même dans les Vosges ?
Sans avoir à citer qui que ce soit, en respectant le secret de
l'instruction ou la présomption d'innocence, en regardant du
côté de l'Est, pourrions-nous avoir quelques premiers
éléments de réponse ?
M. Jean-Jacques Rosaye
- Je connais le dossier car ce n'est pas loin de
chez moi dans les Vosges.
L'étude en cours concerne la recherche de farine de viande dans les
silos d'aliments d'un éleveur dont le bétail a été
touché par l'ESB. Même si on retrouve de la farine de viande dans
cet aliment, est-ce dû à une contamination croisée ou
à une fraude ? Je ne peux pas répondre.
Je pense, mais je ne peux rien prouver, qu'il s'agit plutôt de
contamination croisée d'avant 1996 puisqu'ils recherchant dans des silos
ayant quelques années. Des morceaux d'os ont été
retrouvés : s'agit-il de farines d'os d'avant 1996 et qui auraient
pu être croisées avec d'autres aliments, soit au camion soit
à l'usine, ou est-ce frauduleux ? Je ne peux pas le dire car je
n'ai aucune preuve sur ce sujet.
M. Cassagne
- Nous avons connaissance de quelques exemples, par la
presse, d'actions en justice qui avaient été engagées. Les
informations dont nous disposons complétaient certains points. On a vu,
à l'époque, comment cela s'est terminé ; il est
très difficile de retrouver les preuves car certaines entreprises, en
dehors d'une comptabilité, n'ont aucune archive. Ce n'est pas une
obligation : elles peuvent être détruites par le feu,
disparaître ou être volées. Il est donc extrêmement
difficile d'apporter la preuve de ce qui aurait pu éventuellement se
passer à tel ou tel endroit.
Dans les processus de justice qui se sont produits dans un certain nombre de
cas, nous avons constaté l'impossibilité, pour la justice et les
enquêteurs, d'aller au-delà d'un certain nombre de choses car il
n'existait aucun moyen d'aller dans un sens ou dans un autre. C'est sans doute
un travail de longue haleine.
Il faudrait d'ailleurs que ce soit coordonné au niveau européen
car il s'agissait d'un problème européen. On sait qu'il existe,
dans d'autres secteurs tels ceux des hormones ou d'autres médicaments,
des filières mafieuses de distribution « sous le
manteau » de médicaments.
Cela ne signifie pas que tous les éleveurs sont des criminels ou que
tous les vétérinaires sont des complices. Ce genre de situation
existe et provient d'autres pays. Le Président de la FNB avait
apporté des exemples extrêmement précis à la
Direction Générale de l'Alimentation sur le trafic de produits
médicamenteux. Cela se heurte à certains niveaux et c'est au
niveau européen que l'Europe de la sécurité sanitaire, ou
des investigations sanitaires, devrait être plus efficace car la France
se heurtera toujours à ces mêmes situations sans qu'il soit
possible d'aller plus loin. Nous avons d'ailleurs pu voir, sur M6, un reportage
concernant un marchand de bestiaux qui était poursuivi par la Police
française et dînait tranquillement dans un restaurant belge.
Le problème ne pourra pas, à ce niveau, être résolu
dans l'espace intérieur de chaque pays mais plutôt dans l'espace
intérieur de l'Union Européenne.
M. Jean-Jacques Rosaye
- Jusqu'en 2000, le marché de la farine de
viande était européen. Cela signifie que même si la France
sécurisait ses farines de viande, des farines de viande pouvaient
transiter ou passer en France, tout à fait légalement, en
provenant de pays où les morceaux à risques et des bovins morts
étaient encore inclus dans ces farines de viande. Ceci se faisait en
toute légalité puisqu'il s'agissait d'un marché
européen.
Mme Touratier
- Concernant la difficulté d'apporter une preuve,
il faut constamment avoir en perspective le problème de l'incubation.
Nous évoquons des faits qui se sont déroulés en moyenne 6
ans plus tôt ; en effet, en France l'incubation moyenne des cas
d'ESB est de 5 ans et 10 mois. Par ailleurs, certains animaux ont une
incubation très supérieure à cette moyenne.
Sur le plan juridique, c'est très complexe car cela se heurte à
des difficultés d'apporter des preuves ainsi que, sans doute, à
des délais de prescription.
Par ailleurs, la date de 1996, celle du retrait des matériaux à
risques spécifiés, est déterminante en matière de
diminution et de maîtrise des risques. Par contre, les contaminations
croisées ont persisté même si elles ont diminué
visiblement après 1996. Concernant les chiffres de la DGCCRF, l'analyse
a été mise au point en 1997. S'agissant de la tendance de la
courbe de ces échantillons qui sont à plus de 0,1 % d'os,
soit plus de 0,3 % de farine de viande et d'os, elle est de 4,2 % en
1997, 1,3 % en 1996 et 1,6 %, ou 1,7 %, en 1998.
M. Cassagne
- Les chiffres sont de 4,2 % en 1997, 1,2 % en
1998 et 1,64 % en 1999.
Mme Touratier
- Pour les chiffres publiés jusqu'à
récemment par la DGCCRF, 0 % en 2000, avec une augmentation du
nombre d'analyses sur la dernière partie de 2000. La tendance est
à la baisse.
Or, si on met en perspective l'incubation qui est de 6 années, les cas
observés actuellement concernent des animaux nés entre 1993 et
1995, avant ces analyses. Si on reconstitue la courbe, le taux de contamination
croisée était probablement supérieur durant ces
années-là.
Sur un cheptel de 20 millions de bovins, sans parler des fraudes sur lesquelles
nous n'avons pas d'information tangible, au plan épidémiologique
je trouve qu'il n'y a rien de mystérieux à voir quelques dizaines
de bovins contaminés, de surcroît avec une dose contaminante
faible.
M. Cassagne
- L'autre méthode consiste à augmenter la
pression de contrôle ; il faut que le pouvoir régalien
intervienne, mais ceci repose le problème des moyens : un demi
contrôleur n'est pas suffisant pour surveiller 3, 10 ou 20 camions. Je ne
dis pas qu'il faut augmenter le nombre de fonctionnaires ; il existe
d'autres méthodes passant par l'intermédiaire des
vétérinaires libéraux. Toutefois, sur certaines
prestations ceux-ci nous disent que les tarifs sont ceux d'une femme de
ménage.
M. Paul Blanc
- A peine !
M. Cassagne
- Ne pouvant pas faire appel aux fonctionnaires de l'Etat,
qui sont en nombre insuffisant, il faut s'adresser à des
vétérinaires, dans le cadre du mandat sanitaire, pour effectuer
certains contrôles. Dans un cas, nous ne disposons pas des moyens et dans
l'autre cas il n'y a pas non plus de moyens pour que les
vétérinaires puissent accomplir décemment ces missions.
La pression est largement insuffisante et il faut attendre 5 ou 6 ans pour
savoir ce qui s'est passé. C'est un problème de moyens et
notamment de moyens au niveau des services vétérinaires.
M. Jean-François Humbert
- Concernant l'importation frauduleuse,
nous avons lu et entendu un certain nombre de remarques depuis que cette
Commission a commencé à travailler. L'une des hypothèses
(qui n'est pas prouvée, mais on le sait) est que les Anglais ont
continué à fabriquer des farines de viande, qu'elles auraient
éventuellement transité par l'Irlande et seraient ensuite
revenues en France, par un circuit qui n'est pas complètement
éclairé et élucidé, en passant sans doute par la
Belgique à laquelle vous faisiez allusion. Je suis désolé
d'insister davantage mais ne pouvez-vous pas nous en dire plus, vos
informations sont-elles insuffisantes ?
M. Cassagne
- Nos informations concordent avec les vôtres car,
comme vous, nous l'avons lu dans la presse. En effet, les farines irlandaises
n'ont pas fait l'objet des mêmes dispositions que les farines anglaises
et les liens historiques de la Grande-Bretagne avec l'Irlande peuvent nous
laisser faire certaines suppositions. C'est une hypothèse totalement
plausible.
Toutefois, je ne suis pas certain qu'il aurait fallu naturaliser belge,
portugais, etc. ces farines ; elle étaient irlandaises et auraient
probablement pu aller dans un certain nombre de pays. Nous ne vous apporterons
rien de plus par rapport à vos propres informations car nos seules
informations reposent sur des rumeurs et des indications. Cela fait un faisceau
de présomptions dont on peut considérer qu'il est un embryon de
preuve. Malgré cela, nous n'avons pas de « papier
miracle » à vous communiquer.
M. Georges Gruillot
- Je regrette de vous pousser dans vos
retranchements. Vous êtes ici devant une commission d'enquête, vous
êtes tenu d'y dire tout ce que vous savez, sous peine d'un certain nombre
de difficultés consécutives. Or, quand je prends votre document,
dans le dernier paragraphe vous vous permettez d'écrire, en parlant des
luttes d'influence entre ministères, tant sur ce dossier que
généralement sur celui de l'ESB : « Ce qui
apparaît comme une véritable guerre des ministères, et de
leurs services, perturbe en profondeur la lisibilité et
l'efficacité des mesures prises dans un climat de surenchère, de
suspicion et de critiques permanentes. L'opinion publique, ainsi que les
producteurs, finissent par en être les victimes, les uns parce qu'ils
sont les enjeux de la communication et de la volonté de
pouvoir.... ».
Vous vous permettez d'écrire une critique très grave mais vous
l'écrivez en termes si généraux que cela ne signifie pas
dire grand-chose. Or, je pense que vous n'avez pas écrit cela sans avoir
en tête des exemples et des cas très précis à nous
signaler. Vous devez, devant une commission d'enquête, nous donner plus
de précisions dans ce domaine et nous informer de ce que vous savez. Je
ne pense pas que vous vous seriez permis de l'écrire en termes
généraux.
M. Jean-Jacques Rosaye
- Sur ce dossier de l'ESB, beaucoup de choses ont
été dites depuis quelques mois. On s'aperçoit qu'un
certain nombre de ministères, ou de représentants de ceux-ci,
pratiquent des annonces publiques, parfois contradictoires, qui font que la
communication auprès du public est de plus en plus illisible et rend la
psychose encore plus importante.
Pour ne rien cacher, on sent un certain tiraillement entre le ministère
de la Santé et le ministère de l'Agriculture ; c'est
évident et sensible. L'un dit que l'autre ne fait pas assez, le second
répond qu'il fait le maximum, etc. Quand un ministre ou un
secrétaire d'Etat annonce à la télévision que des
dizaines ou des milliers de cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob seront
enregistrés dans les prochaines années, cela ne réconforte
pas le consommateur. Scientifiquement, il n'existe aucune preuve et cela ne va
pas dans le bon sens.
M. le Rapporteur
- Avez-vous eu des échanges épistolaires
avec les différents ministères sur ce point précis ?
M. Jean-François Humbert
- C'est un document officiel et ce que
vous écrivez est grave.
M. Cassagne
- C'est une analyse de la FNGDS ; c'est notre vision.
Il est, pour nous, clair qu'il existe une lutte d'influence entre les
ministères sur l'affaire de l'ESB. Cette lutte est probablement
fondée sur une appréciation différente de la notion du
principe de précaution. Il s'agit probablement, cela n'engage que moi,
au ministère de la Santé d'un traumatisme dû au sang
contaminé avec la volonté de s'entourer du maximum de garanties
absolues.
Du côté du ministère de l'Agriculture, il existe la
même volonté d'appliquer le principe de précaution. Il
existe toutefois une différence d'appréciation puisqu'il s'agit,
d'un côté, de médecins et, de l'autre, de
vétérinaires qui sont sur le terrain avec les animaux. Bien qu'il
s'agisse de médecine dans les deux cas, il s'agit d'une médecine
vétérinaire et d'une médecine humaine et il n'est pas
possible de calibrer les deux pour n'en faire qu'une seule.
Ensuite vous avez, comme dans toutes les Administrations, des querelles et des
luttes d'influence. Quand cela s'exprime publiquement, c'était le cas du
ministère de la Consommation il y a quelque temps, cela apparaît
comme une surenchère non fondée, ni scientifiquement ni
épidémiologiquement, et donne l'impression que l'un ou l'autre
veut, dans cette « course à l'échalote »,
dans laquelle chacun veut essayer de récupérer le
« bébé », la Santé considérant
que le dossier serait mieux géré par elle et l'Agriculture estime
que les vétérinaires connaissent bien la santé animale et
le problème de la santé publique.
Cela me semble humainement normal. Toutefois, à certains moments, cette
situation laisse transparaître dans la presse, de manière directe
ou indirecte, que certains services ne font pas bien leur travail. Cela
constitue un jugement rapide et il faudrait plutôt vérifier si les
services incriminés disposent de moyens réels pour conduire ces
missions.
Il ne s'agit pas de prêter à nos propos une mise en accusation en
parlant de « guerre » entre ministères ; nous
utilisons des guillemets car ce n'est qu'une image. Dieu merci, nous n'en
sommes pas là.
M. Jean-François Humbert
- Je me contente de lire ce que vous
avez écrit. Je me serais jamais permis d'écrire cela et j'estime
que vous prenez des risques.
M. Cassagne
- La notion de prise de risques et le principe de
précaution sont très forts.
M. Jean-François Humbert
- Il y a ici un pharmacien, un
médecin et trois vétérinaires et tous s'entendent bien.
M. Cassagne
- La guerre des ministères fait
référence à la guerre des polices. Cela ne signifie pas
qu'un policier et un gendarme ne peuvent pas s'entendre.
M. Georges Gruillot
- J'admets qu'un échotier quelconque
écrive cela, mais s'agissant d'un organisme national responsable comme
le vôtre, c'est une prise de risques.
Vous avez parlé largement d'identification. En Corse le troupeau est-il
totalement identifié ? Quand j'étais
vétérinaire praticien et qu'il m'arrivait de me rendre en Corse,
je n'ai jamais vu là-bas une vache identifiée. En sommes-nous
encore là aujourd'hui ?
M. Jean-Jacques Rosaye
- Il existe une spécificité corse
qui n'est pas que politique puisqu'il s'agit de l'identification ; je
pense que cela s'améliore doucement au rythme de la Corse.
M. Cassagne
- Si vous connaissez bien la Corse, l'élevage y est
terriblement extensif. Actuellement, des efforts réels sont faits en
matière d'identification. Ce n'est pas de la langue de bois car nous
sommes allés sur place et nous avons constaté cette
volonté, notamment des groupements sanitaires corses,
d'accélérer le mouvement d'identification.
Nous avons discuté avec les agents identificateurs qui nous
expliqué en quoi consistait leur journée de travail. Les
spécificités géographiques et de l'élevage font que
l'identificateur a énormément de difficultés à
identifier.
Il existe ce que l'on appelle les troupeaux fantômes qui sont sans
propriétaire. Le propriétaire, qui habite en ville ou sur le
continent, a hérité d'un troupeau et ne s'en occupe absolument
pas ; de ce fait, le troupeau divague. Ce sont des
spécificités réelles qui font qu'actuellement
l'identification en Corse n'est pas aussi fiable qu'en France car tous les
animaux ne sont pas identifiées. Un effort est mis en oeuvre mais
sera-t-il suffisant ?
C'est le même problème en Corse pour les troupeaux ovins. Les
animaux en bordure de la mer sont bien identifiés et ceux qui sont dans
l'arrière-pays le sont beaucoup moins bien.
M. Paul Blanc
- Je passerai sur l'identification des troupeaux. Je ne
pense pas que les montagnes corses constituent un obstacle plus important que
les montagnes pyrénéennes, sans parler des problèmes
transfrontaliers de cette région.
Au niveau de la chaîne alimentaire, il semblerait que tout animal
présentant des symptômes de folie bovine n'ait pas toujours
été éliminé et soit rentré dans le circuit
alimentaire. Peut-être qu'un diagnostic formel n'avait pas
été fait ?
M. Jean-Jacques Rosaye
- Cela dépend de la date à laquelle
vous situez cela. Il est possible, il y a deux ou trois ans, que des animaux
ayant des problèmes neurologiques aient pu rentrer dans
l'équarrissage, après leur euthanasie, ou en abattage d'urgence
et qu'ils soient passés dans la chaîne alimentaire.
M. Paul Blanc
- Pouvez-vous indiquer une date à partir de
laquelle plus aucun animal présentant de tels problèmes ne serait
rentré dans la chaîne alimentaire ?
M. Cassagne
- Je parle sous contrôle des
vétérinaires. Il existe d'autres possibilités de
comportement anormal de l'animal en dehors de la maladie de la vache folle.
Durant des années, de bonne foi, l'examen ante-mortem pouvait ne pas
orienter nécessairement vers une suspicion d'ESB.
Mme Touratier
- Cela a été abordé
dernièrement dans la presse et cela corrobore peut-être la
question grave que vous avez posée.
Un rapport de l'AFSSA sur les 15 000 premiers prélèvements du
programme de tests a été publié le 11 décembre. Il
met en perspective que le réseau d'épidémio-surveillance
n'aurait pas fonctionné aussi bien que souhaitable. Pour alimenter cette
thèse, il indique que l'état de déclaration du nombre de
suspicions augmente de façon conséquente à partir de mai
et juin 2000, à savoir quand le programme de tests a été
rendu public.
Ces éléments sont incontestables mais, très
sincèrement, penser que l'ESB (les vétérinaires ici
présents le savent) se manifeste systématiquement sous la forme
des images d'animaux atteints passant en boucle à la
télévision, c'est loin d'être le cas. Beaucoup des animaux
détectés par notre système
d'épidémio-surveillance n'étaient pas facilement
détectables.
Au-delà de la fraude, personne ne peut s'engager décemment pour
indiquer à partir de quelle date les fraudes se seraient
arrêtées. C'est très ténu, l'incidence est
très faible et aucune personne honnête ne pourrait vous donner une
date juste. Cela supposerait qu'à une date donnée on passerait du
mal au bien ; or, personne ne peut rien garantir dans ce domaine.
Par contre, il faut parler d'une part de négligence et d'une pression
qui n'a pas été effectuée. La vision que l'on peut avoir
du rapport de l'AFSSA, y compris en tant que technicien, est un rejet de la
faute sur l'agriculture et les éleveurs. Très franchement, je
pense que le problème de l'ESB ne sera pas résolu en parlant de
faute ; il faut traiter les verrous à améliorer et la
responsabilité.
Évidemment, certaines suspicions n'ont pas été
déclarées. Toutefois, concernant des animaux malades tels qu'ils
sont présentés à la télévision, je n'affirme
pas que la suspicion est nulle mais elle me semble extrêmement faible.
Par contre, que des symptômes douteux n'aient pas été
déclarés, cela constitue le problème.
Dire que cela revient exclusivement aux éleveurs et à
l'agriculture constitue une analyse trop facile. Cela ne permet pas de mettre
en lumière l'ensemble des créneaux d'amélioration. Il faut
faire une analyse ne recherchant pas les fautes mais les possibilités
d'amélioration. A l'époque, le réseau
d'épidémio-surveillance était sous la
responsabilité de l'ex-CNEVA, qui est l'animateur du réseau
qu'est maintenant l'AFSSA. En quoi l'animateur de ce réseau nous a-t-il
alerté pour nous faire part d'un problème ?
Concernant les suspicions, on connaît la gamme de ce qui peut recouvrir
les animaux identifiés et classés comme atteints d'ESB :
cela couvre des champs largement plus étendus que ces animaux atteints
de façon évidente.
Cela pose un problème d'amélioration aussi sur ces phases.
Quelque part, sous-entendre, bien que ce soit peut-être une perception
exagérée, que c'est de la faute de l'agriculture, c'est un peu
court !
M. Paul Blanc
- Nous sommes là pour essayer de connaître la
vérité et vous êtes là pour essayer de nous
éclairer. Je vous pose cette question et vous êtes revenue sur une
question que je voulais vous poser concernant cette distorsion entre les
chiffres de réseaux épidémiologiques et les chiffres
réels d'ESB. A votre avis, peut-on parler d'un phénomène
de sous-déclaration ?
M. Jean-Jacques Rosaye
- Ce n'est pas une fraude en tant que telle mais
plutôt une faute ou une négligence.
M. Paul Blanc
- Nous ne menons pas une enquête policière
mais nous essayons de connaître la vérité.
M. Jean-Jacques Rosaye
- Il ne faut pas le nier, il a sans doute
existé une sous-déclaration à l'époque où
nous ne disposions pas des informations actuelles et nous ne connaissions pas
le problème comme aujourd'hui. Par ailleurs, comme le disait Mme
Touratier, nous n'avions pas un réseau de vétérinaires
capables d'identifier l'animal en tant que tel.
M. Jean Bernard
- Cela a toujours existé : durant
30 ans, j'ai rencontré des cas de vaches ayant des symptômes
neurologiques, etc. alors même qu'il n'y avait pas de farine de viande
dans les aliments.
Cela a été décrit depuis très longtemps et la
symptomatologie des maladies nerveuses n'est pas facile. Il existe le
même problème avec la rage. Il ne faut culpabiliser personne.
M. Cassagne
- C'était la nature même, en fonction des
outils dont nous disposions à l'époque, d'un système
d'épidémio-surveillance passif fondé sur l'erreur humaine,
sur la bonne volonté, etc. mais cela avait le mérite d'exister.
Je dirais plutôt que cela n'a pas été constaté sur
certains animaux.
M. le Président
- Nous vous remercions pour tous les
éléments intéressants, à approfondir, que vous
venez de fournir.
Audition de M. Jacques ROBELIN, chef du département «
élevage et nutrition des animaux » de l'Institut national de la
recherche agronomique
(INRA)
(10 janvier 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Robelin, nous vous
remercions d'être venu. Je rappelle que vous êtes Chef du
département « élevage et nutrition des animaux » de
l'INRA, l'Institut National de la Recherche Agronomique.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Robelin.
M. le Président
- Monsieur Robelin, je vous demande de nous
parler des problèmes des farines animales par rapport à
l'alimentation des animaux ou, du moins, de l'utilisation des farines animales
pour l'alimentation des bovins.
M. Jacques Robelin
- Merci. Monsieur le Président et Messieurs
les Sénateurs, vous m'avez invité, par un courrier, à
introduire les débats en exposant ma position sur l'utilisation des
farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage. Je pense
être convoqué ici au titre de mes compétences scientifiques
liées à mes fonctions de Chef du département «
élevage et nutrition des animaux » à l'INRA.
Je me présenterai et j'aborderai le thème de la nutrition animale
pour situer le champ des compétences.
Pour résumer le C.V. que vous avez reçu, je suis Directeur de
recherches à l'INRA et, dans le cadre de ces recherches, j'ai soutenu
une thèse de Doctorat d'Etat, au début des années 1980,
dans le domaine de la croissance des animaux et plus précisément
la différenciation et la croissance des tissus musculaires et adipeux.
On m'a confié, en 1992, la direction d'un département de
recherche à l'INRA, grossi en 1994 par la fusion d'un autre
département. Celui que je dirige actuellement rassemble 180 chercheurs,
400 techniciens dans 15 unités de recherches disposées sur
l'ensemble du territoire. Ce département conduit essentiellement des
recherches sur la nutrition animale, la physiologie générale des
fonctions de production, la lactation, la croissance, et, plus globalement, les
processus de conduite d'élevage des animaux terrestres, oiseaux, porcins
et ruminants. C'est actuellement ce qui délimite globalement le champ de
mes compétences.
J'aborderai d'abord l'alimentation animale et, plus précisément,
les concepts sur lesquels elle repose. C'est à l'élaboration de
ces concepts que mon département a travaillé durant les
années 1960 à 1980. Je présenterai ensuite quelques
hypothèses sur les raisons de l'introduction des farines animales dans
l'alimentation des animaux.
J'ai fait le choix délibéré d'un message très
dépouillé et je risque probablement une trop grande
simplicité mais je compte sur vos questions pour me permettre de vous
apporter des précisions.
L'alimentation animale : un processus biologique et les concepts sur
lesquels elle repose
L'alimentation a pour finalité d'approvisionner l'animal en
éléments nutritifs nécessaires à sa survie, et
à celle de l'espèce, pour différentes fonctions telles que
l'entretien de l'organisme, la croissance chez le jeune, la reproduction chez
l'adulte, incluant la lactation ou la ponte, selon les espèces, sans
oublier le travail musculaire.
Les aliments ingérés par un animal sont dégradés en
éléments de plus en plus simples au cours des processus
digestifs. Chez les ruminants, cette digestion commence par un processus de
fermentation microbienne dans le rumen, la panse, avec des conséquences
bien particulières et, en premier, lieu la capacité de valoriser
la cellulose des végétaux, ce que ne peuvent pas faire les
monogastriques et l'homme en particulier.
Parcours des éléments nutritifs, produits terminaux de la
digestion
Ils sont absorbés au niveau de la paroi intestinale et ensuite
transportés par la lymphe ou le sang, transformés
éventuellement au niveau du foie et enfin utilisés au niveau des
cellules pour le fonctionnement des différents organes : le
cerveau, les muscles, le placenta, la glande mammaire, etc.
Tous ces phénomènes sont régis par un jeu complexe de
régulations hormonales qui modulent le fonctionnement de l'animal en
fonction de priorités liées à son état
physiologique interne, comme la lactation, ou à son environnement
externe.
Les protéines et précision de la nature de ces nutriments issus
de la digestion
On distingue principalement deux catégories de nutriments, les
nutriments énergétiques et les nutriments protéiques.
Les nutriments énergétiques sont constitués de
chaînes d'atomes de carbone, d'hydrogène et d'oxygène,
autrement appelés les hydrates de carbone. Ils représentent la
source d'énergie pour le fonctionnement de l'animal.
Les nutriments protéiques sont les acides animés composés
de chaînes carbonées comportant des atomes d'azote. Ils sont les
éléments constitutifs des protéines qui elles-mêmes
sont les entités caractéristiques des êtres vivants
à la base de leur fonctionnement.
Il existe plus de 20 acides aminés différents et leur
arrangement, dicté par le code génétique, détermine
la nature des protéines et leurs fonctions.
Les trois points essentiels constituant les concepts de la nutrition
protéique des animaux
Le premier est que certains de ces 20 acides aminés peuvent
être synthétisés, dans les tissus animaux eux-mêmes,
à partir d'autres acides animés. En revanche, une dizaine d'entre
eux ne peuvent pas faire l'objet d'une telle synthèse chez l'animal. On
les qualifie d'acides aminés indispensables, sous-entendu indispensables
pour l'animal qui doit alors les trouver dans son alimentation.
Le second point est que la proportion, dans les tissus animaux, de ces acides
aminés indispensables est différente de celle que l'on trouve
dans les végétaux. Ainsi il existe un déséquilibre,
a priori, entre les besoins des animaux pour la synthèse de leurs tissus
et les apports alimentaires qu'ils trouvent dans les végétaux. Ce
déséquilibre se traduit au niveau métabolique par une
utilisation partielle des acides animés à des fins
énergétiques avec, en corollaire, un rejet d'azote dans l'urine,
et une utilisation non optimale de l'alimentation.
Le troisième point, duquel découle la pratique de l'alimentation
animale, est que les différentes espèces végétales
renferment des proportions différentes de ces acides aminés
indispensables. Par conséquent, on peut ainsi, par un mélange
judicieux de différentes sources d'aliments, obtenir des rations
présentant un meilleur équilibre en acides animés
vis-à-vis des besoins nutritionnels des animaux.
J'ai résumé les concepts que le département que je dirige
a contribué à élaborer, avec de nombreux autres
laboratoires dans le monde, en précisant que ces concepts constituent
également la base de la nutrition humaine.
Traduction de ces concepts dans l'alimentation animale et utilisation des
déchets animaux
Dans la pratique de l'alimentation animale, on a d'abord
rééquilibré les rations à partir de tourteaux,
à savoir des sous-produits de l'industrie huilière (arachide,
soja, colza, etc.) contenant de fortes proportions de ces acides animés
indispensables.
Les différents éléments qui ont pu contribuer à
l'introduction de déchets animaux en tant que complément
protéique des rations sont difficilement hiérarchisables. On peut
néanmoins en citer quelques-uns.
Le premier est peut-être la disponibilité de ce sous-produit (les
déchets animaux) de l'industrie de la viande et l'accroissement de cette
disponibilité découlant de l'augmentation de la production de
viande au cours des années 1960, voire la nécessité de les
éliminer (ce en face de quoi nous sommes actuellement) avec, en
corollaire, un coût réduit. Cet élément
économique a dû compter dans la formulation des aliments
fabriqués par l'industrie de l'alimentation animale.
Un second élément est le fait que ces sous-produits sont en
très bonne adéquation en termes de proportion d'acides
aminés indispensables. Cela n'est d'ailleurs pertinent que chez les
animaux monogastriques car les ruminants sont plus autonomes en termes de
composition en acides aminés.
Un troisième élément est probablement la recherche d'une
indépendance nationale vis-à-vis des importations de soja
américain qui avaient été limitées dans les
années 1970.
Voilà brièvement cette contribution introductive au débat
où je n'ai abordé qu'une seule facette de l'alimentation animale,
à savoir sa finalité en tant que processus biologique ainsi que
les concepts sur lesquels elle repose, et auxquels a travaillé le
département que je dirige.
Je n'ai, volontairement, pas traité deux ou trois aspects sur lesquels
nous pourrons revenir, à savoir le lien de l'alimentation animale au
territoire et sa pratique dans les élevages, la conduite alimentaire des
différentes catégories d'animaux.
Je n'ai évidemment abordé ce sujet que sur un plan scientifique
correspondant à mes fonctions. Je suis toutefois disposé à
donner un point de vue de citoyen mais je ne prétends pas qu'il
s'imposait dans cet exposé introductif.
M. le Président
- Nous vous remercions de cette introduction qui
était parfaite pour remettre la situation en place par rapport à
vos fonctions.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Que pensez-vous des produits de substitution
qui sont maintenant obligatoires pour compenser la non-incorporation de ces
farines animales, pensez-vous qu'ils auront le même rôle et
sera-t-il aussi facile d'équilibrer les rations ?
Concernant l'alimentation des volailles, nous l'avons vu lors de notre
déplacement dans la Sarthe, il semblerait que cela pose quelques
problèmes non pas de formulation mais de fabrication des
granulés, ainsi que de qualité des carcasses.
L'INRA a-t-il un programme de recherches sur des variétés
semencières concernant les oléoprotéagineux pour les
adapter à l'alimentation des bovins, des porcins et des volailles ?
M. Jacques Robelin
- Vous m'avez posé la question sur les
volailles et j'éliminerai tout d'abord le problème des ruminants.
Il n'existe pas d'inconvénients, a priori, à supprimer les
farines animales du complément protéique des ruminants qui ne
sont pas les meilleurs valorisateurs de ces protéines de « haute
qualité ». Je vous rappelle que 70 % à 80 % des
protéines ingérées par les ruminants sont
dégradés dans le rumen, éventuellement à un niveau
assez avancé, jusqu'au niveau de l'ammoniaque. Les ruminants consomment
essentiellement les protéines microbiennes synthétisées
dans le rumen.
Concernant les volailles, j'aurai de la peine à répondre sur
certains aspects de vos questions car elles sont en dehors de mes
compétences.
Sur la capacité de granulation, je ne peux pas vous répondre car
c'est en dehors de mon champ de compétence. Si vous auditionnez mon
collègue responsable du département de technologie des produits
végétaux, il sera plus capable de répondre sur ce sujet.
Concernant les semences, mon collègue responsable du département
génétique et amélioration des plantes pourrait vous
répondre. Toutefois, il me semble évident que la
nécessité de développer notre autonomie, en termes de
compléments protéagineux, induira automatiquement un regain
d'intérêt pour des études de génétique et
d'amélioration sur les protéagineux. Je ne pense pas trop
m'avancer à sa place en affirmant cela.
Chez les volailles, cela ne pose pas de problèmes, mais les
compléments protéagineux peuvent poser des problèmes pour
certaines protéines de soja, notamment dans l'alimentation des veaux.
Concernant la qualité et l'aspect des carcasses, je ne vois pas, a
priori, quels pourraient être les inconvénients du remplacement de
protéines d'origine animale par des protéines d'origine
végétale. Peut-être pouvez-vous préciser de quels
aspects de composition des carcasses il s'agit ?
M. le Rapporteur
- Il semblerait, à la lecture de la presse
spécialisée, que les carcasses aient une couleur
différente et suintent, uniquement en raison de l'alimentation de la
volaille.
M. Jacques Robelin
- A ma connaissance, il peut exister un effet de
couleur quand on emploie du maïs, selon qu'il est jaune ou blanc. Sinon,
il pourrait peut-être s'agir de la couleur non pas des carcasses mais du
gras. Je ne pense pas que ce soit un problème de qualité de
carcasse chez les volailles. Cela peut être un problème chez les
ovins et bovins, d'ailleurs plus chez les ovins, mais pour les volailles je
n'ai pas connaissance de problème de qualité par rapport à
la couleur du grain. Concernant la couleur de la viande, j'avoue ne pas
comprendre.
M. le Rapporteur
- Je préfère votre réponse faite
en votre qualité de nutritionniste.
M. Jacques Robelin
- Cela dépend par quoi on imagine remplacer
les protéines animales. Je ne connais pas suffisamment la palette
actuelle des disponibilités de matières premières
alimentaires utilisables ; il est possible que certaines contiennent des
éléments donnant une couleur défavorable. On peut imaginer
que le maïs donne une couleur.
M. le Rapporteur
- En tant que nutritionniste, pensez-vous que
l'ingestion, depuis les années 1960, de protéines d'origine
animale par des herbivores n'a jamais soulevé de problèmes
scientifiques majeurs ?
M. Jacques Robelin
- Je n'ai pas parlé d'ingestion de
protéines animales depuis les années 1960. Je ne sais pas depuis
quelle date elles ont été utilisées car je n'ai pas de
statistiques sur le sujet ; peut-être à partir des
années 1980.
Il faudrait examiner les statistiques de production et d'utilisation. Il n'y a
aucun intérêt particulier à donner des farines animales
à des bovins. On peut même être surpris qu'elles aient
été utilisées pour ces animaux.
En effet, l'intérêt strictement nutritionnel des farines animales
chez un monogastrique est que la dégradation des farines dans la
digestion produit, à la sortie, un profil d'acides animés qui est
à peu près semblable à ceux des besoins de l'animal.
Dans le cas d'un bovin qui ingère des protéines, qu'elles soient
végétales ou animales, elles sont, à 60 % ou
80 %, dégradées au niveau du rumen en éléments
simples jusqu'au niveau ammoniacal. On ne trouve plus d'acides aminés ou
d'éléments appelés protéiques, en termes de
biologie, car ils sont complètement dégradés. Cet
ammoniaque, joint aux éléments énergétiques du
rumen, constitue l'alimentation des microbes du rumen qui, eux-mêmes,
font une croissance, et l'alimentation du bovin est constituée par les
microbes du rumen. Cela n'a plus « rien à voir » avec les
protéines initiales.
Il est inutile de donner des protéines « de bonne qualité
», en termes de profil d'acides aminés, à des ruminants car
elles sont dégradées, sauf dans certains cas. C'est ce que l'on
fait pour les tourteaux traités avec des tanins qui protègent les
protéines de la dégradation par les microbes du rumen ; de
ce fait on obtient, à la sortie du rumen, qui est l'équivalent de
notre estomac, la caillette, une composition en acides aminés des
tourteaux protégés.
Je n'ai jamais entendu dire que l'on ait protégé des
protéines de farines de viande. Il n'y a, a priori, aucun
intérêt à utiliser des farines de viande. C'est ce qui me
permettait de dire que la première hypothèse d'utilisation des
farines animales pour les bovins repose sur leur coût. Je pense qu'il
s'agit d'une augmentation de la disponibilité de ces matières
premières qui sont des déchets et ne valent pas, en termes de
coût, très cher. Il faut peut-être tenir compte
également des problèmes liés au soja.
M. le Rapporteur
- S'il n'existe pas d'intérêt positif,
existe-t-il des effets négatifs, en dehors du problème du
prion ?
M. Jacques Robelin
- Quel effet négatif pourrait-on
attendre ? Le fondement de cela consiste à savoir que pratiquement
tout est dégradé au niveau du rumen.
M. le Président
- On nous a dit, lors d'une visite chez un
fabricant d'aliments pour bétail, que l'INRA informe les fabricants
d'aliments du bétail. Des publications faites par l'INRA permettaient
d'indiquer les avantages et les inconvénients de l'utilisation de tels
ou tels produits. Or, dans ce petit livre rouge publié par l'INRA, on
incitait à mettre une certaine quantité de protéines
animales pour obtenir les quantités protéiques.
M. Jacques Robelin
- Je souhaiterais savoir de quel paragraphe il
s'agit. J'ai été chercheur de base à ce moment-là,
pas directement en nutrition, mais j'ai connu la période durant laquelle
nous avons préparé ce livre rouge.
Parmi l'ensemble des matières premières entrant dans
l'alimentation animale, nous avons fait quelques mesures sur des farines de
viande pour donner une « valeur » protéique et une
valeur énergétique à ces farines. Toutefois, je serais
fort étonné qu'il s'agisse de recommandations d'utilisation de
farines animales chez les ruminants.
Le principe de base de l'alimentation, du rationnement, d'un ruminant consiste
d'abord à lui faire manger la plus grande quantité de ce que l'on
appelle la ration de base : du fourrage, du foin, de l'herbe, de
l'ensilage d'herbe ou de l'ensilage de maïs. Quand on connaît, ou on
quand on peut estimer, la quantité de ration de base
ingérée par le ruminant, on calcule le complément qu'il
faudrait lui donner, s'agissant d'une vache laitière reproductrice, pour
arriver à la satisfaction de ses besoins. On ne part jamais, dans la
formulation d'une ration chez le ruminant, qui est faite à la ferme, sur
les aliments « concentrés » au départ. Je suis fort
étonné de cette allégation dans le livre rouge.
M. le Président
- Il faut vérifier.
M. Jacques Robelin
- Connaissant les personnes qui ont
rédigé ce livre, cela m'étonnerait beaucoup car elles
étaient plutôt des partisans de l'utilisation du fourrage.
Il est certain que nous avons supprimé toute notification en termes de
farines animales dès l'année où elles ont
été interdites pour les ruminants. Nous avons fait une nouvelle
édition à partir de 1992, 1993 ou 1994 et nous avons cessé
la vente des livres.
Autant que je me souvienne, car j'étais déjà Chef de
département, nous avons examiné en détail les passages
où l'on parlait de farines animales : elles étaient
citées dans les tables des aliments et peut-être dans un
paragraphe ou deux. Je préfère vérifier avant d'affirmer
qu'elles n'étaient pas mentionnées en termes d'encouragement
à les utiliser pour les ruminants. Je souhaite que l'on soit clair sur
les phrases utilisées dans le livre.
M. le Président
- Vous enverrez vos renseignements à la
Commission d'enquête du Sénat.
M. Paul Blanc
- Ma question est dans le droit fil du livre rouge. Il
semblerait que l'INRA ait eu la licence des tourteaux tannés ou du moins
ait beaucoup travaillé sur ces tourteaux tannés auxquels vous
faites allusion.
Faisant référence au livre rouge, je me demandais si je ne
pouvais pas répondre à votre place par rapport à ce que
vous avez évoqué, à savoir la difficulté
d'éliminer les déchets de carcasses animales. La
préconisation de l'utilisation des farines animales ne
répond-elle pas à un souci purement économique ? Je
me fais l'avocat du diable.
M. Jacques Robelin
- Je pense que nous ne les avons pas
préconisées ; nous le vérifierons dans le livre rouge.
M. Paul Blanc
- Vous n'avez peut-être pas mis suffisamment en
avant les tourteaux tannés par rapport aux farines animales ?
M. Jacques Robelin
- Il me semble que les tourteaux tannés sont
arrivés après les farines animales (il faudrait que je
vérifie) dans le début des années 1980, alors que les
farines animales commençaient à être utilisées. Je
ne peux pas fournir de précisions sur ce sujet.
J'aimerais connaître la quantité réelle de farines animales
utilisées en 1980 dans l'alimentation des ruminants. Je pense que
c'était vraiment minime car l'habitude était d'utiliser des
tourteaux, puis des tourteaux tannés et ensuite des acides aminés
de synthèse. Il doit exister des statistiques auxquelles,
personnellement, je n'ai pas accès.
M. Paul Blanc
- A quel moment l'INRA a-t-il été
informé du lien entre les farines de viande et d'os et
l'épidémie d'ESB en Grande-Bretagne ?
M. Jacques Robelin
- Je ne peux pas vous le dire car la date à
laquelle j'ai été informé n'est pas significative de la
date à laquelle l'INRA l'a été. J'ai été
informé comme tout le monde, à savoir au début de la
période ou j'ai été Chef de département, quand la
crise a éclaté.
M. Paul Blanc
- En 1989 ?
M. Jacques Robelin
- Non, car j'ai été Chef de
département plus tard. Je ne peux pas répondre pour l'INRA.
M. Paul Blanc
- Que pouvez-vous nous dire sur les lacto-remplaceurs
destinés à augmenter la production de lait ? C'était
aussi l'une des finalités de l'utilisation des farines animales
puisqu'elles ont surtout été données aux vaches
laitières.
Autrement dit, que pensez-vous de l'utilisation des farines animales pour
stimuler la lactation des vaches ?
M. Jacques Robelin
- Cela ne stimule pas la lactation.
M. Paul Blanc
- Alors pourquoi les avoir données surtout aux
vaches laitières ?
M. Jacques Robelin
- Elles ont été données en
termes de compléments nutritionnels mais pas pour augmenter la lactation.
M. Georges Gruillot
- Surtout parce qu'elles étaient moins
chères que les autres protéines.
M. Jacques Robelin
- Peut-être, mais elles ne stimulent pas la
lactation ; elles la « permettent », si la vache en
est capable, mais ne la stimulent pas.
M. Paul Blanc
- Les vaches qui absorbaient des farines animales
donnaient davantage de lait que celles qui n'en absorbaient pas.
M. Jacques Robelin
- Stricto sensu, non. Une vache qui a un potentiel
laitier de 8 000 kilos n'en fera pas plus même si vous lui
faites avaler des quantités importantes de farines animales chaque jour.
M. Paul Blanc
- Pourquoi a-t-on donné les farines animales au
cheptel allaitant ?
M. Jacques Robelin
- Non.
M. Paul Blanc
- Je voulais parler du cheptel laitier.
M. Jacques Robelin
- Les vaches laitières, et surtout les vaches
laitières Holstein, très hautes productrices, sont les seules qui
nécessitent réellement un complément protéique
important. Il n'y aurait pas eu de raison de donner cela à des
Montbéliardes dans le Jura.
M. Paul Blanc
- C'est quand même ce que l'on a beaucoup lu dans la
presse.
M. Jacques Robelin
- Les vaches les plus productrices sont les Holstein
dans l'Ouest.
M. le Rapporteur
- Il existe une relation directe entre la
complémentation alimentaire, à partir d'un complément
contenant 3 à 5 % de farine animale, et la production
laitière. Entre une Montbéliarde et une frisonne française
à pie noire, la ration de base est pratiquement identique, en fonction
du poids, mais si elle produit davantage de lait il faut mettre plus de
compléments alimentaires.
M. le Président
- Je suis d'accord concernant les
compléments, mais s'agissant des farines animales....
M. Georges Gruillot
- ... En minéraux et en protéines.
M. Jacques Robelin
- Ce sont des compléments alimentaires mais
pas nécessairement des farines animales.
M. Paul Blanc
- Des farines animales ont été
utilisées en complément avant tout.
M. Jacques Robelin
- Je ne pense pas que ce soit « avant
tout ».
M. le Président
- La quantité protéique fournie
l'était en grande partie par les farines animales incorporées
à l'aliment.
M. Jacques Robelin
- Non.
M. le Président
- Les compléments alimentaires qui ont
été donnés à tous les animaux, en particulier aux
vaches laitières, étaient, à une certaine période,
fournis en partie par des farines animales ; en effet, les 3 % de
protéines prévues dans presque tous les aliments étaient
d'origine animale.
M. Jacques Robelin
- Je ne peux pas répondre à cette
question aussi précisément. Il serait important d'examiner des
statistiques fiables sur l'utilisation des farines animales dans le cas des
vaches laitières.
On prétend parfois certaines choses sans connaître la
réalité. Je ne dis pas qu'elles n'ont pas été
utilisées, mais je doute qu'il s'agisse de la majorité de la
complémentation du troupeau laitier. Nous pouvons avoir une impression
sur un tel sujet mais je souhaiterais avoir des données écrites
et confirmées sur un sujet comme celui-là.
M. Jean-François Humbert
- Je reviendrai sur les
lacto-remplaceurs car, à la différence de la plupart de mes
collègues qui sont d'éminents scientifiques, je ne suis qu'un
modeste juriste et je ne comprends pas tout.
Les lacto-remplaceurs sont des laits que l'on transforme en lait en poudre et
auxquels, parfois, on ajoute des compléments en particulier des graisses
animales. Pouvez-vous nous donner plus d'informations sur la composition de ces
lacto-remplaceurs et s'il s'agit de graisses animales, existe-t-il
éventuellement des risques de contamination ?
M. Jacques Robelin
- Je répondrai sur un plan du principe de
fabrication de ces produits. Je ne suis pas industriel fabricant de ces
produits et, par conséquent, je ne pourrai pas répondre à
votre question sur ce sujet.
Sur le principe même, on a utilisé des lacto-remplaceurs, ou
constitué des laits de remplacement à partir de protéines,
essentiellement végétales, issues du soja et d'autres
végétaux, avec comme complément énergétique
des lipides issus des graisses animales. L'objectif était à
nouveau de recycler des déchets, des graisses animales, au niveau de ces
aliments.
D'un point de vue nutritionnel, nous consommons des lipides animaux à
chaque fois que nous consommons de la viande et, en principe, ce n'est pas
toxique.
Concernant la composition de ces lacto-remplaceurs, l'information qui m'a
été donnée sur ce sujet, mais qui demande à
être vérifiée, est que la réglementation actuelle
impose de mettre dans ces laits de remplacement des matières grasses
d'origine animale avec exactement les mêmes caractéristiques que
celles imposées pour la biscuiterie.
Les risques, qui ont été évoqués assez
fréquemment, notamment à propos des veaux, pour expliquer un
certain nombre de cas d'apparition d'ESB chez les veaux, sont liés au
fait qu'il peut rester des traces de protéines après le
traitement des graisses que l'on incorpore aux lacto-remplaceurs.
D'après ce que l'on m'a dit, c'est de l'ordre de moins de 1 %. Pour
l'instant on ne peut pas certifier qu'il n'y ait pas de risque.
Je répondrai par écrit à l'affirmation concernant le livre
rouge car cela me paraît être un point important. Il faut que ce
sujet soit clair.
Ensuite, j'avoue que je ne suis pas complètement convaincu par la
prééminence des farines animales dans la complémentation
des vaches laitières en général. Je pense qu'il faudrait
disposer de statistiques précises sur ce sujet.
M. Georges Gruillot
- Des marques d'aliments n'ont jamais utilisé
les farines animales.
M. le Président
- Vous l'avez clairement expliqué.
M. Jacques Robelin
- Concernant la qualité des carcasses, je ne
vois pas sur quoi une telle remarque pourrait être fondée. Il
existe peut-être une raison qui m'échappe.
M. le Président
- Merci encore.
Audition de Mme Catherine GESLAIN-LANÉELLE,
Directeur
général de l'alimentation,
et de M. Rémi TOUSSAIN,
Directeur des politiques économique et internationale du
ministère de l'agriculture
(17 janvier
2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Mes chers collègues,
nous auditionnons Mme Catherine Geslain-Lanéelle, directeur
général de l'alimentation, et M. Rémi Toussain,
directeur des politiques économique et internationale du
ministère de l'agriculture.
Vous êtes accompagnés, madame et monsieur, de personnes que vous
voudrez bien me présenter dès maintenant.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Je suis accompagnée de
Paul Merlin, sous-directeur à la sous direction de la santé et de
la protection animale, à la Direction générale de
l'alimentation, et de Bénédicte Herbinet, chef du bureau de la
pharmacie vétérinaire et de l'alimentation animale dans cette
même sous-direction, à la DGAL.
M. le Président
- Merci. Vous savez que vous êtes
auditionnés dans le cadre d'une commission d'enquête
parlementaire, une commission d'enquête du Sénat, et qu'à
ce titre, je me dois de vous rappeler les directives et de vous demander de
prêter serment.
Je demanderai à toutes les personnes de prêter serment afin que,
si elles ont à intervenir les unes et les autres au cours de notre
audition, elles sachent qu'elles le font également sous serment.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à Mme
Geslain-Lanéelle, M. Toussain, Mme Herbinet et M. Merlin.
M. le Président
- Je vous remercie. Dans un premier temps, si
vous le permettez, Mme Geslain-Lanéelle et M. Toussain, je vais vous
demander de nous expliquer assez brièvement la façon dont vous
voyez les choses, à votre niveau, par rapport à ce
problème des farines animales, à leur utilisation et à
leurs conséquences sur le plan de l'encéphalopathie spongiforme
bovine (ESB), qui s'est développée aujourd'hui, en particulier
dans notre pays.
Je vous passe tout d'abord la parole, madame.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Merci, monsieur le
Président. Je vous suggère de faire une intervention liminaire en
deux parties.
Dans une première partie, qui concerne la définition des farines
animales, Rémi Toussain, dont la direction a en charge ces aspects, se
propose de présenter les enjeux économiques et nutritionnels de
leur utilisation en alimentation animale.
Dans une deuxième partie, je pourrai vous présenter
l'évolution de la réglementation liée à
l'utilisation de ces farines animales depuis 1989 jusqu'à ce jour.
M. le Président
- Nous connaissons déjà la
réglementation. Par conséquent, si vous le voulez bien, il serait
bon que vous contractiez les choses au maximum. Vous pourriez être plus
concernée par le débat qui interviendra ensuite.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Très bien. Si vous ne
souhaitez pas d'intervention liminaire, je répondrai avec plaisir
à vos questions.
M. le Président
- Je dis cela par rapport à la
réglementation. En effet, nous la connaissons et nous supposons que
c'est celle que vous avez été chargée de faire respecter.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Absolument.
M. le Président
- Donc nous procéderons ainsi. Cela dit,
nous sommes tout à fait d'accord sur la première intervention
liminaire.
M. Rémi Toussain
- Comme le disait Catherine Geslain à
l'instant, je vais vous dire quelques mots sur ce que sont les farines
animales, leur intérêt nutritionnel et économique et les
possibilités de substitution. J'avais prévu également --je
le ferai si vous le souhaitez--de compléter cet exposé par les
possibilités de substitution sur le plan communautaire et les
démarches qui ont été entreprises à cet
égard, mais je ne sais pas si cela entre également dans le champ
de vos préoccupations.
Je commencerai par les farines animales.
Le mot recouvre une gamme assez large de fabrications, mais on peut dire que
tous ces produits ont comme point commun d'être issus de la cuisson des
coproduits des industries des viandes et que cela intègre les farines de
poisson.
Pour la commodité de mon exposé sur la partie économique,
je parlerai d'une manière générale de farines animales
lorsque cela englobera farines de viande et farines de poisson ou,
spécifiquement, de l'un ou l'autre terme lorsqu'il y aura lieu de s'y
référer.
Globalement, sur 6 millions de tonnes de coproduits des différentes
filières animales, les chiffres des farines sont les suivants.
Nous consommons en France, exclusivement dans l'alimentation du bétail,
environ 590 000 tonnes de farines et de graisses auxquelles il y a
lieu d'ajouter 60 000 tonnes destinées à l'exportation,
toujours pour l'alimentation du bétail, ce qui fait un total, en termes
de production, de 650 000 tonnes.
Il faut y ajouter 25 000 tonnes de graisses destinées aux entreprises
non alimentaires et 200 000 tonnes de farines qui sont utilisées dans
l'alimentation d'animaux domestiques (le pet food). Enfin, le service public de
l'équarrissage regroupe maintenant 175 000 tonnes de farines et de
graisses.
Autrement dit, on a chaque année, en France, un peu plus d'un million de
tonnes de production de farines et graisses animales et, avant les
interdictions auxquelles je ferai référence ensuite et qui sont
intervenues à la fin de l'année dernière, 850 000 tonnes
entraient dans le circuit de l'alimentation du bétail ou des animaux
domestiques, y compris dans la partie destinée à l'exportation.
J'en viens à l'intérêt nutritionnel et économique de
ces farines.
Je rappellerai très brièvement que les fabricants d'aliments du
bétail recherchent toutes sortes de matières premières
mais que l'on peut les répartir entre, d'une part, les matières
riches en énergie, qui sont, grossièrement, les
céréales et les produits dérivés et, d'autre part,
les matières riches en protéines, dont font partie les
oléagineux, les protéagineux et, naturellement les farines
animales.
L'équilibre alimentaire communautaire amène, de manière
assez originale par rapport au reste du monde, à faire un gros appel au
tourteaux d'oléagineux et, surtout, aux tourteaux de soja --j'y
reviendrai-- en termes d'importations.
L'utilisation des farines animales dans l'alimentation du bétail est
assez ancienne puisqu'elle remonte au siècle dernier. Sur le plan
nutritionnel, leur intérêt est leur richesse élevée
en protéines, sachant qu'elles sont bien équilibrées en
acides aminés essentiels, et elles sont en même temps une source
de phosphore et de calcium très digestibles, ce qui en constitue un
élément utile.
Les graisses animales, elles, constituent une source d'énergie
complémentaire des céréales.
Enfin, sur le plan économique, on observe sur la longue période
que le cours des farines animales est en corrélation très
étroite avec le prix des tourteaux de soja.
Quelle était la place des farines dans l'alimentation animale avant la
suspension du 14 novembre dernier ?
Les quantités de farines de viande et de poisson, c'est-à-dire
les farines animales, consommées par le bétail ont
représenté en France de l'ordre de 500 000 tonnes en
1999. A l'intérieur de cet ensemble, les farines de viande
elles-mêmes sont essentiellement produites et consommées en
France, la part des échanges étant très faible. En
revanche, pour ce qui est des farines de poisson, nous importons quasiment les
quatre cinquièmes de nos besoins.
Ces farines animales représentent environ 2 %, en moyenne et en
tonnage, de l'ensemble des matières premières qui sont
incorporées dans l'alimentation du bétail, les
céréales et produits dérivés représentant
environ 45 à 50 % et les tourteaux de soja de l'ordre de 20
à 25 %.
Cela étant, ce taux d'incorporation des farines animales est variable
selon les destinations. Pour faire simple et introduire les conséquences
de l'interdiction que je présenterai rapidement tout à l'heure,
je peux dire que, pour les volailles, il est assez élevé,
puisqu'il représente trois à 4 %, encore que ce chiffre
moyen masque une forte différenciation. Par exemple, les volailles sous
label n'en utilisent pas, voire très peu, alors que les poulets qui sont
destinés à l'exportation en incorporent de 7 à 10 %.
Pour les porcins, en revanche, l'incorporation est relativement faible :
de l'ordre de 1 à 1,5 %.
Au niveau communautaire, on retrouve en gros cette distribution, mais je ne
vais pas vous importuner avec des chiffres, sauf si cela vous paraît
utile.
Un deuxième élément est intéressant : la place
non pas en tonnage mais en bilan protéique. Sur le plan de la fourniture
en protéines dans l'alimentation animale, les farines animales
représentent 7 à 7,5 % de l'apport en protéines
total, les autres besoins étant couverts à hauteur de 55 %
par les tourteaux de soja, 12 % par les pois protéagineux et
6 % par les tourteaux de colza.
On retrouve, là encore, à peu près les mêmes
chiffres sur le plan communautaire. Je rappelle simplement, parce que ce sujet
n'est pas indifférent pour la suite, que le taux
d'auto-approvisionnement communautaire en matière de protéines
n'était que de 30 % à la fin de l'année
dernière, avant la suspension de l'utilisation des farines animales.
Pour mémoire, je vous signale que le déficit protéique de
l'Union européenne, c'est-à-dire le chiffre
complémentaire, était de 85 % en 1974,qu'il a
été amélioré en 1990,époque à
laquelle il n'était plus que de 63 %, à la suite des
politiques de soutien aux oléoprotéagineux, et qu'il est
redescendu à 70 % du fait, pour faire simple, d'une hausse de la
demande par le développement des productions hors-sol et, en revanche,
en raison de son encadrement, par une stabilité de la production
communautaire de ces matières.
Voulez-vous que je décrive très rapidement le secteur de
l'alimentation animale, d'une part, et le secteur de la production, d'autre
part ?
M. le Président
- Volontiers. C'est important.
M. Rémi Toussain
- Cela donne un cadrage.
La production française d'aliments du bétail, en 1999,s'est
élevée à moins de 23 millions de tonnes d'aliments et
ces chiffres ont pratiquement triplé en une vingtaine d'années.
La croissance a donc été très forte. Ce chiffre global se
répartit de la façon suivante :
- 9 à 10 millions de tonnes pour les volailles, qui est le premier poste,
- 7 millions de tonnes pour les porcins,
- 4 millions de tonnes pour les bovins.
Ce secteur représente environ 350 entreprises avec, depuis une
vingtaine d'années, une tendance constante à la concentration.
Sachez que 8 % des entreprises représentent aujourd'hui 50 %
de la production dans ce secteur, qui comprend 12 000 salariés
et 5 % du chiffre d'affaires total du secteur agro-alimentaire. Il fait
40 milliards de francs de chiffre d'affaires.
Ce secteur est caractérisé par une forte importance de la part
relative, d'une part, de la matière première et, d'autre part,
des frais de personnel.
Le deuxième secteur concerné par notre sujet est celui de
l'industrie des aliments pour les animaux familiers et domestiques, le pet
food, qui est également en progression constante et qui a encore
probablement devant lui des marges de progrès considérables si
l'on considère les évolutions respectives des parcs animaliers en
Europe et dans d'autres pays, notamment aux Etats-Unis.
C'est un secteur extrêmement concentré, avec des opérateurs
multinationaux, qui valorise 1 200 000 tonnes de produits agricoles et, comme
je le disais tout à l'heure, 200 000 tonnes de nos farines animales.
Voilà ce que je peux dire pour le cadrage général.
J'en viens à quelques mots sur les conséquences nutritionnelles
et économiques de la suspension décidée le 14 novembre
dernier, dont je rappelle qu'elle a concerné l'utilisation en
alimentation animale de toutes les farines animales et de certaine graisses
à l'exception des farines de poisson destinées aux poissons.
Je commencerai par les possibilités de substitution à ces
produits. Tous les experts semblent converger, mêmes si les chiffres
divergent, sur les effets suivants.
Tout d'abord, il sera nécessaire d'utiliser de façon accrue des
tourteaux de soja, de maïs, d'huile végétale et de graisse
oléagineuse et d'effectuer un apport en phosphates que, malheureusement,
on ne trouve pas dans des proportions aussi assimilables dans les produits de
substitution.
Parallèlement, on aura probablement une baisse des utilisations de
céréales et de pois.
Sur le volet purement protéique, deux équivalences sont possibles
--j'y reviendrai-- sur les actions à conduire au niveau national et
communautaire. Il s'agit de regarder, très grossièrement,
à quoi correspondrait, en augmentation de protéagineux ou
d'oléagineux, en France ou dans l'ensemble communautaire, la suppression
des protéines apportées par les farines animales en France ou
dans l'ensemble de la communauté
En France, on aurait, au choix, 250 000 hectares de pois, soit
60 % d'augmentation par rapport à la surface actuelle, ou 1
400 000 hectares de colza, soit 40 % de la surface actuelle.
Sur le plan européen, les chiffres équivalents sont 1,8 millions
d'hectares supplémentaires de pois (il s'agit là d'un triplement
de la superficie communautaire de pois actuellement cultivée, ce qui
montre que la France est le plus grand producteur communautaire de pois) ou,
à quantité équivalente, trois millions d'hectares de colza
ou, dans une moindre mesure, de tournesol, ce qui correspondrait à un
doublement de la superficie actuelle en Europe.
Voilà ce qui se passerait si on devait effectuer un remplacement
intégral par une augmentation de notre production indigène.
La même équivalence par importation de tourteaux de soja
représenterait, en gros, une hausse de 15 % des importations et je
vais vous donner également des chiffres arrondis pour la France et pour
Europe.
Il faudrait compter 500 000 à 600 000 tonnes pour la France, qui
s'ajouteraient aux 4,5 millions de tonnes que nous importons déjà
annuellement. Quant à l'Europe, on aurait trois à 4 millions de
tonnes sur les 28 à 30 millions de tonnes que l'Europe importe
annuellement.
Du même coup, notre déficit protéique, dont je rappelle
qu'il était remonté à 70 %, passerait, en gros,
à 75 %.
Au-delà de ces effets mécaniques et quantitatifs, quelques effets
sur le plan nutritionnel nécessiteraient une certaine adaptation des
ratios en matière de phosphore, mais je ne vais pas vous ennuyer avec
ces éléments. Simplement, il faut savoir que tout cela comporte
un aspect qualitatif.
Quelles sont les implications économiques pour les
opérateurs ? Il est probable qu'il y aura un effet haussier, comme
tous les experts le disent (même s'ils se trompent forcément
puisqu'ils ont de grandes divergences sur la quantification de cet impact), sur
le cours des matières premières de substitution.
En France, tout de suite après l'annonce de la suspension, on a
observé une envolée des cours du tourteau de soja, qui est
passé de 140 ou 150 F du quintal à 180 F, mais il est
retombé, depuis, à 165 F environ. La fermeté du
dollar a également joué. En tout cas, il y aura un effet en ce
sens, ce qui peut être d'ailleurs l'un des éléments
positifs pour stimuler une production autonome indépendamment de toute
intervention en termes de soutien.
Voilà ce que je peux dire sur les effets généraux.
Cela aura aussi des effets spécifiques selon les secteurs.
Le secteur de la volaille, qui est très utilisateur de farines animales,
notamment les poulets de chair un peu basiques destinés à
l'exportation, qui sont très dépendants, pourrait voir ses prix
de revient mécaniquement augmenter de 4 à 5 %. Comme il
s'agit d'un marché à l'export extrêmement concurrentiel,
les difficultés économiques seront particulières sur ce
type de produit.
Pour la filière porcine, on estime l'augmentation de 0,5 à
1 %, sachant que, par ailleurs, compte tenu de la situation du
marché de la viande bovine, les difficultés économiques ne
seront pas considérables.
Quant au pet food, compte tenu de la valeur ajoutée de ce secteur, il
n'y aura pas d'effet économique.
Si vous le voulez bien, j'en viens à ma troisième et
dernière partie qui concerne les possibilités de substitution sur
le plan des protéines indigènes.
Je ne reprendrai pas les chiffres que j'ai indiqués tout à
l'heure. Si on veut éviter une augmentation du tourteau de soja, la
question est de savoir comment faire pour accroître notre production.
On peut évidemment imaginer quelques actions nationales --certaines sont
en place--, mais elles ne peuvent avoir qu'une portée limitée et,
juridiquement, s'agissant de soutien du marché, nous avons un cadre
communautaire et international évidemment très prégnant.
Je rappellerai très rapidement que le soutien aux productions
oléo-protéagineuses en Europe a été mis en place en
1966 sous la forme d'une aide variable en fonction des cours mondiaux et non
pas, comme pour les céréales, sous la forme d'un soutien par le
biais d'un prix d'intervention, parce qu'il avait été convenu au
Dillon Round, au niveau international, qu'il n'y aurait pas de droit de douane
à l'importation de ces produits particuliers en Europe. On ne pouvait
donc pas imaginer un dispositif d'intervention avec une absence de
préférence communautaire.
Cela étant, ce dispositif a formidablement bien fonctionné de
1966 à 1972 puisque, pour donner les chiffres
généraux, on est passé d'un demi million de tonnes de
production d'oléoprotéagineux en 1966 à un peu plus de 12
millions de tonnes de graines en 1992.
Cependant, cela n'a pas laissé --chacun s'en souvient-- les
Américains indifférents puisqu'ils voyaient leurs propres
débouchés diminuer. En 1988, ils ont déposé une
plainte devant le GATT, à l'époque, sur le fameux
« panel soja », qui a amené l'Union
européenne à revoir une première fois son dispositif en
1992-1993. Une nouvelle plainte a été déposée
à la suite de cette première modification par les Etats-Unis et
on peut imaginer que cette nouvelle plainte aurait pu aboutir si elle n'avait
pas été interrompue dans ses effets potentiels par l'accord de
Marrakech, le dernier accord de l'OMC, qui a repris un accord spécifique
passé d'abord entre l'Europe et les États-Unis, l'accord de Blair
House, et qui est important pour l'encadrement de notre production
d'oléagineux. Je vais rapidement en dire un mot.
Cet accord a consacré une limite économique à la
production d'oléagineux de 5 482 000 hectares après
élargissement. Il est intéressant de noter que c'est
calculé en hectares et non pas en production, ce qui laisse une
possibilité d'augmenter les rendements. Malgré tout, c'est une
première contrainte.
De même, l'obligation du gel de terres ne peut descendre en dessous de
10 %, contrairement à ce qu'il est possible de faire pour les
céréales, avec un dispositif de sanctions qui s'avère
rapidement dissuasif, lorsqu'il se répète, pour la production
communautaire.
Au-delà de cela, l'autre « échappatoire »,
qui était la possibilité de développer, sur jachère
ou même en dehors celle-ci, des productions non alimentaires à
usage de biocarburants et donc de développer des sous-produits des
tourteaux a été limité dans ce même accord repris
dans l'accord de Marrakech, de sorte qu'on ne peut pas dépasser un
million de tonnes d'équivalents de tourteaux de soja par an.
Voilà le cadre international et communautaire qui constitue une
première difficulté pour les oléagineux.
La deuxième difficulté, c'est l'Agenda 2000. Pour essayer
d'échapper à la contrainte de Blair House, la contrainte de
l'OMC, la Commission a proposé, moyennant quelques ajustements --et cela
a finalement été décidé par le Conseil--, d'aligner
progressivement, en trois ans, la dernière étape étant
pour 2002-2003, les aides spécifiques aux oléagineux sur les
aides aux céréales, espérant ainsi qu'en supprimant la
spécificité du soutien aux oléagineux, cette
opération rendrait caduc, ce qui est probable, l'accord de Blair House.
Cependant, si cette diminution des aides a juridiquement l'effet que je viens
d'indiquer, elle a malheureusement, sur le plan économique, des effets
que l'on peut craindre et qui ne sont pas contredits par la première
année d'expérimentation de l'opération Agenda 2000. En
effet, on a une réduction des superficies de l'ordre de 10 %,
dans la communauté comme en France, et je ne parle pas des tonnages
parce qu'il y a aussi une baisse climatique des rendements. Je pourrai vous
donner des chiffres détaillés si vous le souhaitez.
Par conséquent, cette deuxième disposition interne à la
communauté est un élément à prendre en compte.
Après avoir rappelé ce cadre, je mentionnerai les initiatives qui
ont pu être prises au niveau national et au niveau communautaire pour
essayer de remédier à cette situation.
Au niveau national, ces initiatives sont les suivantes :
- un ensemble de mesures en faveur du soja de qualité,
- des mesures agri-environnementales cofinancées par Bruxelles en faveur
du tournesol,
- la mise en place d'un programme de recherche et développement en
faveur des protéagineux (qui ne sont pas, eux, soumis à l'accord
de Blair House),
- l'augmentation des capacités du diester, avec un programme de l'ordre
de 450 millions de francs qui est significatif, même s'il est en soi
limité ;
Au niveau communautaire, la France a pris un certain nombre d'initiatives, dont
les plus récentes sont les suivantes :
- en juin 1999, un mémorandum français sur l'utilisation des
farines animales a mis l'accent sur la nécessité de trouver des
éléments de substitution ;
- au début de la présidence française, la
délégation française a remis une deuxième note sur
le soutien aux oléoprotéagineux ;
- les conseils de la fin de l'année, y compris le Conseil
européen, font nettement référence à la
nécessité, pour la Commission, de reconsidérer le sujet et
de faire, le cas échéant, des propositions
appropriées ;
Dans le cadre que je viens d'indiquer, les possibilités d'action au
niveau communautaire se heurtent également à la
problématique budgétaire puisque les ressources consacrées
au soutien de marché à cause de la maladie de la vache folle
risquent d'épuiser le budget. La première difficulté est
donc de nature budgétaire.
Pour les oléagineux, nous avons une marge au moins jusqu'à la
future renégociation, même si ce commentaire est un peu
théorique, c'est-à-dire une possibilité de remonter les
aides pour autant que, là aussi, on puisse faire marche arrière
par rapport à l'Agenda 2000 sans excéder les quelque 5 millions
d'hectares dont j'ai parlé.
Pour les protéagineux, les possibilités, sous réserve des
contraintes budgétaires, peuvent être théoriquement
mobilisées à beaucoup plus court terme. En effet, nous ne sommes
pas liés au cadre de Blair House et de l'OMC. Il reste un tout petit
risque que l'affaire ne soit pas tout à fait conforme aux règles
de l'OMC en raison d'une clause qui a été souscrite quant
à la non-augmentation des soutiens, mais je pense que ce risque est
voisin de zéro. En tout cas, j'estime qu'il mériterait
d'être couru.
Il reste, en théorie, la possibilité de relever les aides aux
fourrages déshydratés ainsi que les quantités
consacrées à ces productions.
Enfin --cela peut être à la fois un effort national et
communautaire--, l'amélioration de la teneur en protéines de nos
blés, y compris des blés fourragers, peut être un
élément constitutif d'un redressement de la situation.
Voilà, monsieur le Président, les quelques éléments
économiques que je voulais porter à votre connaissance.
M. le Président
- Merci. Voulez-vous nous faire un bref
exposé, madame, ou passe-t-on directement aux questions ?
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Vous m'avez indiqué qu'il
était inutile que je rappelle le détail de l'évolution de
la réglementation. Puisque vous m'en offrez l'occasion, j'appellerai
donc votre attention sur le fait que cette réglementation a
évolué depuis 1989 à la lumière des connaissances
scientifiques et qu'en particulier, il me paraissait important de rappeler une
série d'événements qui ont contribué à cette
évolution.
En effet, en ce qui concerne l'évolution de la réglementation, on
peut retenir trois principales étapes.
La première période se situe entre 1989 et 1993. En effet,
à la fin des années 80, l'ESB était une maladie
considérée comme exclusivement animale et donc non susceptible
d'être transmise à l'homme car les connaissances scientifiques,
à cette époque, n'étaient pas suffisantes : les
premiers éléments scientifiques qui ont montré que cette
maladie pouvait éventuellement être transmise à d'autres
animaux concernent le chat, au premier semestre de l'année 1990.
Par ailleurs, dans un premier temps, ce problème a été
spécifique au Royaume-Uni et à l'Irlande et c'est ce qui a
conduit les autorités françaises, à cette époque,
à prendre des mesures à l'égard de ces pays.
Les premiers éléments concernant le mode de transmission au
cheptel par l'intermédiaire des farines animales datent de cette
période. Il y avait des doutes à cette époque, ce qui a
conduit les autorités françaises, dès 1990, à
interdire l'utilisation de ces farines animales dans l'alimentation des bovins,
dans un premier temps, puis de l'ensemble des ruminants, dans un
deuxième temps, ce qui a été repris au niveau
communautaire.
Ensuite, au cours de la période de 1993 à 1996, des travaux
communautaires ont été réalisés, notamment sur les
conditions de traitement et le tri des déchets.
J'attire votre attention sur un élément particulier parce que
cela a conduit à modifier la situation pour les services de
contrôle : l'entrée en vigueur du marché unique et le
fait qu'il n'y avait plus de contrôle systématique à
l'entrée sur le territoire français des produits importés
des autres États-membres et, en particulier, des farines animales ou des
aliments destinés au bétail.
On peut donc considérer qu'à cette période, à
partir du 1er janvier 1993, les contrôles ont pu être
allégés par rapport à ces importations en provenance
d'autres pays de l'Union européenne.
La dernière période, qui est importante et que je ferai remonter
à 1996, a commencé par l'annonce par le gouvernement britannique
de la possible transmission de cette maladie à l'homme, qui a conduit
les autorités françaises puis, plus tard, les autorités
communautaires, d'une part, à gérer ce dossier et à
prendre des réglementations comme si cette maladie était
susceptible de se transmettre à l'homme, avec des décisions
très importantes portant notamment sur le retrait de ce que l'on appelle
"les matériels à risques spécifiés de la
chaîne alimentaire", aussi bien humaine qu'animale, c'est-à-dire
de tous les tissus susceptibles d'être contaminants et de transmettre la
maladie de l'ESB ; d'autre part, à mettre en oeuvre un certain
nombre de mesures relatives, au-delà du tri des matériels, au
traitement à appliquer à ces farines afin d'inactiver les
éventuels prions qui pourraient se trouver encore dans ces produits.
Voilà ce que je voulais rappeler très rapidement pour vous
montrer que la lecture de l'évolution réglementaire se fait aussi
à la lumière de l'évolution des connaissances
scientifiques.
La Direction générale de l'alimentation, qui est chargée
de veiller au contrôle de la qualité et de la
sécurité de l'alimentation, est chargée d'une partie des
contrôles de l'utilisation d'un certain nombre de déchets animaux
dans l'alimentation animale et partage cette compétence avec la
Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la
répression des fraudes (DGCCRF) et, pour ce qui concerne aussi les
importations, avec la Direction générale des douanes et des
droits indirects (DGDDI).
Ces compétences ont d'ailleurs évolué au fil des ans. En
revanche, il y a toujours eu une coopération importante entre les
services de la Direction générale de l'alimentation,
c'est-à-dire les services vétérinaires
départementaux, et les services de la DGCCRF soit pour que nous menions
des actions conjointes, soit pour répartir nos moyens sur le terrain
afin d'éviter les doublons dans les contrôles qui sont faits aussi
bien dans les élevages que dans les équarrissages, les usines de
fabrication de farines animales ou dans les usines de fabrication d'aliments
pour le bétail.
Si vous le souhaitez, j'ai un certain nombre d'informations sur les
résultats qui ont été obtenus concernant ces
différents points au cours de l'année précédente,
pour ne prendre que cet exemple, et qui reprennent les constats que l'on a pu
faire tout au long de la filière.
Voilà ce que je voulais indiquer à titre liminaire avant que vous
nous posiez des questions.
M. le Président
- Je vous remercie, madame. Nous allons passer
à la partie questions. Je donne pour cela la parole à M. Bizet,
rapporteur de la commission, pour qu'il pose les premières questions.
M. Jean Bizet, rapporteur
- Merci, monsieur le Président. J'ai
une première série de quatre questions.
Première question : êtes-vous en possession des rapports
d'enquête de la Brigade nationale d'enquêtes
vétérinaires et, si oui, pouvez-vous les communiquer à
notre commission d'enquête ?
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- J'ai en effet des documents qui
me viennent de la Brigade d'enquête vétérinaire et
sanitaire, qui est un service de la Direction générale de
l'alimentation. J'ai également avec moi les rapports qui ont
été faits par cette brigade sur les enquêtes qui sont
réalisées à chaque fois que nous avons
détecté un cas d'ESB dans un troupeau. Dans ce cas, vous savez
que nous faisons ce qui s'appelle une enquête alimentaire,
c'est-à-dire que nous remontons le cours des trois années
précédentes et regardons tous les aliments et toutes les
pratiques d'élevage qui ont été mis en oeuvre dans cet
élevage pour voir si nous arrivons à identifier
précisément le fait qu'il a pu y avoir des farines animales ou
des aliments qui n'étaient pas destinés à ce troupeau.
J'ai donc un certain nombre d'éléments avec moi que, bien
évidemment, je peux vous communiquer.
M. le Rapporteur
- Sur ce point précis --et je parle sous
l'autorité du président et de mes collègues--, lors d'une
récente visite sur le terrain, notamment dans les Côtes d'Armor,
nous avons pu auditionner trois entreprises de fabrication d'aliments du
bétail et nous avons été assez surpris, compte tenu du
nombre d'animaux contaminés dans ce département, de constater
qu'aucun des trois principaux fabricants de ce département ne se dit
« responsable » et qu'aucun des animaux incriminés
n'aurait consommé d'aliments provenant de ces trois producteurs
d'aliments du bétail.
Avez-vous quelques informations à nous donner sur le département
des Côtes d'Armor, puisque c'est le premier département
français touché au regard du nombre d'animaux
contaminés ?
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- J'ai avec moi le rapport annuel
qui est fait par la Brigade pour les années 1997 et 1998. Pour
l'année 1998, ce rapport avait été rendu public,
c'est-à-dire qu'il avait été mis en ligne sur le site
Internet du ministère de l'agriculture et de la pêche. Le rapport
1999, que j'ai entre les mains, n'a pas été rendu public mais il
peut vous être remis. Cependant, je ne suis pas en mesure de vous
indiquer tout de suite s'il fait référence aux
éléments que vous évoquez en ce qui concerne les
Côtes d'Armor.
M. le Rapporteur
- La commission va les éplucher avec attention.
J'en viens à ma deuxième question : disposez-vous de
statistiques précises sur l'importation des farines animales non
seulement d'Angleterre mais également d'autres pays tiers comme la
Belgique, les Pays-Bas ou l'Irlande et, au-delà des farines, sur les
abats et les carcasses ?
Lors des précédentes auditions, nous avons également pu
noter que l'importation des abats, en 1994-1995, a subi une certaine inflation
et qu'en ce qui concerne précisément les carcasses, on sait que
la traçabilité proprement dite, notamment en matière de
restauration collective ou en foyer, laisserait à désirer.
Avez-vous des chiffres précis sur ces niveaux d'importation en farine,
abats et carcasses ?
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Pour ma part, je n'ai pas ce
type d'information puisqu'il s'agit d'une compétence de la Direction
générale des douanes et des droits indirects, qui est
chargée de ce travail de statistiques.
M. le Rapporteur
- Elles ne vous sont pas transmises ?
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- J'en ai connaissance, mais cela
ne relève pas de la compétence de ma direction
générale.
En revanche, pour répondre à votre question, puisque vous
souhaitez savoir si ces chiffres ont été portés à
notre connaissance et s'ils ont pu être éventuellement
utilisés, notamment dans le cadre d'une évaluation des risques
d'exposition de la population française ou de notre cheptel à la
maladie, je peux vous dire que ces données ont pu être
utilisées notamment par l'Agence française de
sécurité sanitaire des aliments lorsqu'elle a travaillé
sur la possible exposition de la population française à des
produits bovins importés en provenance du Royaume-Uni.
Les statistiques ne relèvent pas de la compétence de ma direction
générale. En revanche, lorsqu'on procède à des
évaluations du risque, on peut avoir à prendre connaissance de
données statistiques et à les prendre en compte, bien
évidemment.
Je peux indiquer aussi que, s'agissant des matériels à risques
spécifiés, sur lesquels la France a été l'un des
premiers pays, dans l'Union européenne, à adopter une liste
à la suite de l'annonce par le gouvernement britannique de cette
possible transmission à l'homme, toutes les mesures que nous avons
prises s'appliquaient à la fois à notre propre production
nationale et aux importations. Cela veut dire que nous n'avons pas
importé du Royaume-Uni ou d'autres pays de l'Union européenne,
depuis 1996, des produits qui auraient été exclus de la
chaîne alimentaire en France. Je pense en particulier à la
cervelle, à la moelle épinière et à d'autres
matériels à risques spécifiés. A chaque fois, nous
avons pris une réglementation qui s'appliquait à notre production
nationale ainsi qu'aux produits importés en provenance d'autres pays de
l'Union européenne.
M. le Rapporteur
- J'en viens à ma troisième
question : pourquoi les farines animales n'ont-elles pas été
interdites plus tôt compte tenu des risques de contamination
croisée qui, eux, avaient été mis en lumière assez
tôt ? Pourquoi a-t-on remis en vigueur les trois critères de
fabrication des farine (la température, la pression et la durée)
alors que, précisément, elles ont été à
nouveau obligatoires en 1996 --je le dis de mémoire-- que l'interdiction
des farines animales sur l'alimentation bovine datait de 1990 et que l'on a su
assez rapidement que, compte tenu du mode de fabrication des farines pour les
différentes filières, il y avait des contaminations
croisées assez faciles ?
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- D'une part, pour ce qui concerne
ce que vous appelez les contaminations croisées, il existe toujours des
risques. Il reste que, lors des contrôles que nous réalisons et
des enquêtes qui ont pu être faites par la Brigade, on peut mettre
en évidence certaines contaminations qui peuvent avoir lieu soit au
moment du transport, soit, le cas échéant, chez l'éleveur,
lorsque celui-ci dispose à la fois d'un atelier bovin et d'uns atelier
porcin, pour ne prendre que cet exemple.
En tout cas, les données qui résultent des contrôles que
nous avons effectués ne révèlent pas de contaminations
croisées massives. Il a pu exister ce type de difficulté et nous
avons pu parfois le mettre en évidence, mais cela n'a pas
représenté, à ma connaissance, des volumes
considérables.
L'autre partie de ma réponse concerne le traitement qui devait
être appliqué à ces farines animales et qui visait à
inactiver, une fois que l'on avait procédé au tri (puisqu'il
convient d'abord de trier et d'éviter que n'entrent dans la chaîne
alimentaire, y compris pour les animaux, des matériels à risques
spécifiés ou toute autre matière contaminante), et
à traiter ces farines. Cela s'est fait, en France --vous avez raison de
le dire--, sur la base d'une décision nationale puis d'une
décision communautaire. Par conséquent, il y avait là un
double verrou.
En fait, ce verrou était triple avec
- le tri des déchets, en évitant de faire entrer dans la
chaîne alimentaire, y compris animale, des matériels susceptibles
d'être contaminants,
- la question du traitement visant à inactiver les éventuels
tissus qui auraient pu encore contenir du prion,
- le contrôle de destination qui est lié à l'interdiction
de l'utilisation de ces farines dans l'alimentation des animaux.
Sur la contamination croisée, comme je vous l'ai dit, à ma
connaissance, il n'y avait pas de mise en évidence de contaminations
massives, sachant que, par ailleurs, d'autres précautions ont
été prises : le tri et le traitement.
M. le Rapporteur
- Je me permets de vous interrompre. Entre 1990 et
1996, il s'est écoulé six ans pour retirer, dans un premier
temps, les matériaux à risques spécifiés,
effectivement, mais aussi pour remettre en vigueur les 133 degrés,
les trois bars et les 20 minutes. Ce qui nous soucie, c'est qu'il a fallu
six années pour réagir, entre 1990 et 1996.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Les connaissances que nous
avions sur les procédés d'inactivation du prion et le fait que
ces farines animales étaient bien à l'origine de la contamination
des cheptels ne sont pas celles que nous avons aujourd'hui. Comme je l'ai
indiqué en préambule, à la fin des années 80 et au
début des années 90, nous avions des connaissances bien modestes
par rapport à celles que nous avons aujourd'hui, qui sont encore des
connaissances modestes par rapport à celles que nous aurons probablement
demain.
Il est clair que, dès 1990, nous avons interdit l'utilisation de ces
farines chez les bovins. Cela a été une mesure importante qui,
précisément, visait à éviter la transmission
possible de la maladie aux bovins, qui ne s'est jamais manifestée dans
les autres espèces, les porcs ou les volailles.
En 1994, nous avons étendu cela --et ce fut aussi une décision
communautaire-- à l'ensemble des ruminants et ce n'est qu'en 1996,
lorsque l'ampleur du problème est devenue beaucoup plus importante et
qu'il y a eu ces annonces du gouvernement britannique, que nous avons eu des
recommandations du Comité Dormont. Elles consistaient à instaurer
différents verrous de sécurité pour renforcer notre
dispositif de protection à la fois de la santé des animaux mais
aussi, et surtout, de la protection du consommateur, avec des mesures visant au
tri, au traitement et au contrôle de la destination.
Voilà la manière dont la réglementation a
évolué sur ce sujet.
M. le Président
- Vous nous avez dit tout à l'heure que
vous aviez les rapports de la Brigade d'enquête vétérinaire
sur 1998 et non pas ceux de 1999 ni de 2000. Cela nous étonne
beaucoup, parce que c'est quand même un sujet extrêmement
important. Si vous n'avez pas le résultat des enquêtes de la
Brigade nationale, cela me paraît curieux.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Cela dépend des
résultats dont on parle. S'il s'agit des enquêtes
épidémiologiques, ce que j'ai appelé les enquêtes
alimentaires faites par la Brigade, j'ai le rapport jusqu'en 1999 mais je n'ai
pas les éléments pour 2000. Je précise que ce sont
des enquêtes très lourdes.
M. le Président
- Vous avez donc ceux de 1999 et vous pourrez
nous les communiquer.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Absolument. Je m'y suis
engagée et cela ne me pose aucun problème.
En revanche, nous avons des résultats de contrôles
effectués par nos services déconcentrés aux
différentes étapes de la filière, c'est-à-dire de
l'éleveur jusqu'au fabricant de farines animales pour détecter
d'éventuelles non-conformités liées soit à des
contaminations croisées, soit à des insuffisances dans le
traitement de ces farines animales.
M. le Président
- Donc vous nous les fournirez tout à
l'heure.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Oui. Si vous n'y voyez pas
d'inconvénient, j'anonymiserai ces éléments. Lorsque des
constats de non-conformité ont été faits, j'en ferai une
présentation statistique et donc anonyme.
M. le Président
- Vous savez que la commission d'enquête a
droit à tous les renseignements et qu'elle a besoin des noms. Il ne faut
rien anonymiser. Nous vous les demandons tels quels. C'est dans notre mission
et c'est notre rôle. Sinon, comment voulez-vous que nous
procédions ? Nous ne pouvons pas faire un rapport évanescent.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Ce que je vous donne n'est pas
évanescent mais extrêmement précis.
M. le Président
- Donc vous laisserez les noms.
M. le Rapporteur
- J'ai une dernière question : comment
imaginez-vous rendre plus transparente, à la fois pour les
éleveurs et les consommateurs, l'alimentation animale ? Je me doute
que vous avez, au niveau de la DGAL, une idée bien précise sur la
question et je voudrais donc connaître la position du ministère
sur ce point.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Nous avons déjà
conduit un certain nombre d'actions au cours des dernières années
et nous avons beaucoup travaillé avec ce secteur en lien avec la maladie
de la vache folle, mais aussi sur d'autres dossiers, pour augmenter la
transparence et améliorer les pratiques professionnelles.
Je n'ai pas évoqué ce point puisque vous n'avez pas
souhaité que je détaille la réglementation, mais nous
avons élaboré un certain nombre de guides en étroite
concertation entre mes services et les professionnels sur l'utilisation des
matières premières en alimentation animale et sur la
manière d'éviter les contaminations croisées en
identifiant les postes dans lesquels il y avait des risques et donc en veillant
à faire des recommandations aux professionnels dans ce sens.
Par ailleurs, comme vous le savez, des travaux communautaires ont
été faits sur l'étiquetage et ils visent à
compléter les mentions d'étiquetage afin de permettre aux
éleveurs d'avoir une meilleure connaissance des matières qui ont
été utilisées pour la fabrication des aliments qu'ils
donnent à leurs animaux. Une position commune a récemment
été adoptée sur ce sujet et elle va permettre de franchir
une nouvelle étape dans l'amélioration de la transparence de
cette filière.
M. le Rapporteur
- C'est tout ce qui concerne ce qu'on appelle le livre
blanc au niveau communautaire, si ma mémoire est bonne. La position du
ministère français est-elle bien claire, justement, sur ce qu'on
appelle la liste positive ? En effet, la Commission préconise
plutôt la liste positive alors qu'au niveau du Conseil, on n'a pas tout
à fait la même approche. Le ministère français
est-il pour la liste positive ? Cela m'apparaîtrait beaucoup plus
sain et beaucoup plus transparent en la matière.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Vous faites
référence à une liste positive de matières
premières que l'industrie serait autorisée à incorporer
dans l'alimentation animale ?
M. le Rapporteur
- Il s'agit d'une liste exhaustive de matières
premières, sans autres ingrédients, alors que, de mémoire,
le Conseil était plutôt favorable à une liste
négative en disant : "il est interdit d'utiliser telle ou telle
chose". Il me semble que, tous les jours, cette liste négative peut
être mis en défaut alors qu'une liste positive est plus
coercitive, certes, mais beaucoup plus claire.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- La position que la France a
défendue jusque là a consisté à dire que, sans
rejeter fondamentalement l'idée d'une liste positive, ce n'était
pas forcément la panacée et la solution à tous les
problèmes. Certaines difficultés que nous avons
rencontrées et qui sont liées à des contaminations dans
l'alimentation animale montrent que, parfois, ces difficultés n'auraient
pas du tout trouvé de réponse dans une liste positive puisque,
par exemple, certains additifs qui nous ont posé des problèmes
étaient autorisés. Ce n'est donc pas une réponse absolue.
Nous avons plutôt plaidé pour un dispositif qui visait à
une bonne surveillance des opérateurs avec la mise en place d'un
agrément systématique des opérateurs et des
contrôles réguliers afin de s'assurer des matières
premières qui sont utilisées, sachant que, par ailleurs --vous
avez raison de le dire--, il est important qu'à chaque fois que nous
avons connaissance du fait que telle ou telle matière première
est susceptible de présenter un risque pour la santé des animaux
et pour la santé humaine, on puisse interdire l'utilisation de ces
matières premières dans l'alimentation des animaux. C'est ce que
nous avons fait au fil des ans.
M. le Président
- Très bien. Je donne la parole à
M. Blanc.
M. Paul Blanc
- Monsieur le Président, je souhaite poser quelques
questions qui complètent ce qui vient d'être dit.
La première concerne ce que l'on appelle la traçabilité.
Pour chaque cas d'ESB qui a été répertorié, le
ministère est-il capable, aujourd'hui, de déterminer quels
étaient le ou les fournisseurs de l'éleveur ?
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- C'est ce que j'indiquais tout
à l'heure sur les enquêtes alimentaires.
M. Paul Blanc
- Allez-vous jusqu'à voir cela pour chaque
cas ?
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Chaque cas
détecté, dans le cadre de ce que nous appelons notre
système d'épidémio-surveillance, fait l'objet d'une
enquête alimentaire beaucoup plus large avec un certain nombre de
vérifications au cours des trois années. Ces enquêtes sont
systématiques et, bien évidemment, nous arrivons à
identifier, au cours des années précédentes, les
opérateurs de l'alimentation animale qui ont pu livrer des aliments
à cette exploitation.
Cela dit, pour aller plus loin dans la réponse à votre question,
nous n'arrivons pas systématiquement à mettre en relation directe
le fait qu'il soit apparu un cas d'ESB avec la consommation d'un aliment pour
animaux. Ce sont des enquêtes extrêmement compliquées mais
nous arrivons parfois à déceler que des aliments qui
n'étaient pas destinés aux bovins ont pu leur être
donnés, ce qui ne veut pas forcément dire que les aliments en
question étaient contaminants, comme je l'ai indiqué tout
à l'heure.
M. Paul Blanc
- Je parle des fournisseurs.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Nous les identifions lorsque
nous retrouvons les documents, mais l'obligation est très
récente, pour l'éleveur, de conserver suffisamment longtemps un
certain nombre de documents pour que nous puissions identifier l'ensemble des
fournisseurs d'aliments pour animaux.
Maintenant, les éleveurs doivent conserver ces documents pendant une
période de cinq ans, ce qui va faciliter notre travail.
M. Paul Blanc
- En poussant l'enquête plus loin, êtes-vous
arrivée à déterminer, pour ces aliments qui ont
été donnés et qui auraient pu être contaminants,
quel était l'impact des farines en provenance d'Angleterre ?
Peut-on aller jusque là ?
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Il faudrait que je
vérifie cela à nouveau dans les rapports antérieurs
à l'année 1997 (en effet, n'ayant pris mes responsabilités
qu'au mois d'août de l'année dernière, je n'ai pas pris
connaissance --vous m'en excuserez-- des rapports antérieurs à
l'année 1997), sur une période qui aurait pu concerner des cas
liés à des importations de farines britanniques. Je ne peux donc
pas répondre aujourd'hui à cette question.
M. le Président
- Mais vous pourrez nous faire parvenir une
réponse.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Je vous ferai parvenir une
réponse sur ce point particulier, bien évidemment.
M. Georges Gruillot
- Votre enquête, en fait, ne remonte
qu'à trois ans.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Il existait des rapports annuels
de la Brigade. Je veux simplement dire que les rapports que j'ai avec moi et
ceux dont j'ai pris connaissance sont postérieurs à 1997.
M. Georges Gruillot
- A combien d'annéeS remonte l'enquête
sur l'alimentation des étables où il y a eu des cas d'ESB ?
Vous avez parlé de trois ans tout à l'heure.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Les enquêtes que nous
menons à chaque fois que nous détectons un cas d'ESB nous
permettent de remonter aussi loin que nous le souhaitons et, en particulier,
jusqu'à la date de naissance de l'animal. Pour des enquêtes que
nous avons réalisées en 1995, cela peut être des animaux
qui sont nés en 1990, voire avant, puisque les animaux sont en
moyenne âgés de cinq ans.
Les rapports que j'ai, moi, ne datent que de 1997, mais cela ne signifie pas
qu'il n'y a pas eu des recherches auparavant sur des animaux nés bien
antérieurement.
M. Georges Gruillot
- Pour le cas que l'on a trouvé hier matin,
vous pourrez remonter éventuellement à 1994 ou 1995 ?
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Oui, bien sûr.
M. Georges Gruillot
- Quand on le peut, en fait.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Absolument. Lorsque nous
disposons encore des documents et quand nous les retrouvons, nous les prenons
bien évidemment en compte. Nous ne nous interdisons pas de remonter
aussi loin que possible.
M. Paul Blanc
- Une note de service de la DGAL du
11 septembre 1998 a prescrit des contrôles
vétérinaires systématiques dans les unités de
fabrication des aliments composés en vue de la recherche de
contaminations croisées. Avez-vous le bilan de ces contrôles et,
à la limite, ne pensez-vous pas qu'on aurait pu le prévoir plus
tôt, puisque l'interdiction des farines pour les bovins date de juillet
1990 ?
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Je n'ai pas à ma
disposition les résultats de cette enquête.
M. le Président
- Si vous voulez que votre collaboratrice
s'exprime, elle peut le faire, bien sûr, puisque je lui ai fait
prêter serment. Je comprends bien que vous ne pouvez pas avoir tout en
tête. Il est donc tout à fait logique et normal que votre
collaboratrice, si elle le souhaite, s'exprime directement.
Mme Bénédicte Herbinet
- En ce qui concerne les
contrôles effectués chez les fabricants d'aliments
composés, une note de service conjointe entre la DGAL et la DGCCRF, qui
avait été faite en 1996 à la suite d'une note
précédente de 1990, prévoyait que ce contrôle
relevait principalement des compétences de la DGCCRF. Par
conséquent, les actions que nous avons faites nous-mêmes venaient
en plus pour aider les DSV, qui se posaient des questions par rapport à
ces problèmes de contamination et qui nous avaient sollicités
pour savoir quelle conduite ils pouvaient tenir s'ils cherchaient à
évaluer les possibilités de contamination des aliments pour
ruminants par des farines animales, notamment chez les fabricants.
Il est clair que, puisque leur mission principale était plutôt de
contrôler la mise en place des nouvelles règles en termes de
déchets et de traitement des produits animaux, ils se sont rendus en
priorité chez les équarrisseurs et je ne pense pas que l'on
puisse considérer que tous les départements ont eu les moyens de
faire une visite systématique. Ceux qui ont pu le faire nous ont fait
remonter les éventuels problèmes qu'ils ont pu constater.
Nous avons donc récupéré des informations plutôt
d'ordre qualitatif que quantitatif.
M. Paul Blanc
- En clair, si j'ai bien compris, une note du
11 septembre 1998 a prescrit un certain nombre de contrôles
mais elle n'a pas pu être appliquée dans tous les
départements du fait d'une insuffisance de moyens.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Non pas du fait d'une
insuffisance de moyens mais parce que les DSV ont mobilisé l'essentiel
de leurs moyens sur ce qui relevait de leurs compétences
premières et que cette action était en fait une action
complémentaire de celle de la DGCCRF et visait à répondre
à des sollicitations de certains départements.
Il est possible que certains départements aient apporté des
réponses à cette sollicitation, mais on peut dire que,
probablement, tous les départements n'ont pas répondu à
cette sollicitation.
M. Paul Blanc
- Il semble qu'il y ait effectivement beaucoup de notes de
service et de circulaires. Pourriez-vous communiquer à la commission
l'ensemble des notes de service ou circulaires éditées depuis
1988 à votre initiative concernant l'ESB ?
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Vous voulez l'ensemble des notes
de service entre 1988 et 2000 ?
M. Paul Blanc
- Oui.
M. le Président
- On vous laisse le temps de les réunir.
Nous savons bien que vous ne les avez pas sous le bras ni sous le coude. Vous
comprendrez que, pour notre commission d'enquête, qui travaille jusqu'au
mois de mai, il se pose des questions importantes et primordiales telles que
celle qui vient d'être posée. En effet, c'est justement à
partir du calendrier que nous essayons de comprendre comment les choses se sont
passées et pourquoi elles se sont passées ainsi.
Cela n'accuse personne, et surtout pas vous, puisque vous n'étiez pas en
poste.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Ce n'est pas du tout le
problème.
M. le Président
- En revanche, toutes ces notes qui ont pu
être diffusées au fur et à mesure de l'évolution
sont très importantes. Comme vous le disiez tout à l'heure, il
est vrai qu'il est plus facile de juger aujourd'hui avec les connaissances que
l'on a par rapport à des décisions qui étaient à
prendre dix ou quinze ans auparavant. Nous comprenons parfaitement que ce n'est
pas du tout la même chose, mais il s'agit justement de voir
l'évolution. C'est ce que vous demande notre collègue Blanc et
c'est extrêmement important.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Vous souhaitez donc avoir
l'ensemble des notes de service relatives à tout ce qui a trait aux
farines animales entre 1988 et aujourd'hui ?
M. Paul Blanc
- C'est bien cela.
M. Jean-François Humbert
- Avec l'autorisation de notre
collègue Blanc, je souhaiterais compléter la demande par la
production, depuis 1990 jusqu'en 1999, des fameux rapports dont vous nous avez
dit être en possession en dehors de l'année 2000, ce qui est somme
toute logique, puisque nos sommes au début de l'année 2001.
Avez-vous, dans vos services --et je pense que la réponse sera
positive--, l'ensemble des rapports annuels auxquels nous avons fait allusion
à plusieurs reprises et qui pourraient être un complément
d'information très important pour la commission d'enquête ?
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Tout à fait. J'ai le
sentiment de m'être déjà engagée à les
transmettre.
M. Jean-François Humbert
- On ne comprend pas toujours la
première fois. Donc pardonnez-nous de vous poser plusieurs fois les
mêmes questions.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Je vous en prie.
M. Paul Blanc
- Je poursuis mes questions. Votre direction avait-elle
envisagé, parmi les mesures à prendre, l'interdiction totale des
farines avant le 25 octobre 2000 ?
M. le Président
- Tu veux dire avant le 14 novembre 2000 ?
M. Paul Blanc
- Je le demande avant le 25 octobre 2000 car c'est plus
pointu. Est-ce que c'était dans les tuyaux ? Est-ce que vous y
pensiez ?
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Il est difficile de vous
répondre. Je peux vous dire que, pour ma part, j'y avais songé
mais que je ne suis là que depuis le mois d'août 2000. Je peux
indiquer aussi qu'il me semble, pour avoir eu l'occasion de tomber dessus, que
quelques notes de réflexion internes à l'administration avaient
pu envisager en effet cette solution.
M. le Président
- Ce sont ces notes qui nous intéressent
aussi.
M. Paul Blanc
- Je voudrais compléter. Ce que vous dites
là me paraît très important. Comme le dit le
président, lorsque ces mesures ont été envisagées,
n'y a--t-il pas eu quelques pressions de la part des industriels qui, eux, n'en
voyaient pas la nécessité ?
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Pas à ma connaissance. Je
tiens à vous rappeler aussi qu'en 1999, le ministre de l'agriculture a
transmis à la Commission européenne un mémorandum sur
cette question dans laquelle il recommandait l'interdiction des farines
animales.
M. Paul Blanc
- Si je ne me trompe pas, le ministre avait
également parlé d'une éventuelle catastrophe
écologique si l'on supprimait totalement ces farines.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Il l'avait fait parce que,
à l'époque, c'était l'appréciation que l'on avait.
Après avoir travaillé sur cette question et approfondi la
réflexion, certaines difficultés qui paraissaient insurmontables
ont pu être levées. C'est une mesure qui n'était pas simple
à mettre en oeuvre. La preuve en est qu'il a fallu mobiliser des moyens
importants, comme vous le savez.
La Mission interministérielle pour l'élimination des farines est
mobilisée et les conditions de stockage ne sont pas simples. Comme vous
le savez, beaucoup de nos concitoyens ne souhaitent pas les avoir au
proximité de chez eux.
M. le Président
- Nous allons voir le préfet Proust
après vous.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Il pourra donc vous exposer tout
cela. Tous ces éléments devaient être pris en compte dans
la réflexion que les pouvoirs publics conduisaient sur ce sujet de
l'interdiction des farines animales, sachant que, sur le plan sanitaire,
beaucoup de mesures avaient déjà été prises pour en
assurer un usage très restreint sur le tri, les traitements, etc.
Il ne s'agissait donc pas, a priori, de matériels ou de produits
hautement dangereux.
M. Paul Blanc
- Ma dernière question s'adresse plutôt
à M Toussain, qui nous a parlé de farines de poisson :
est-ce que, dans les farines de poisson, on peut utiliser de la viande et des
os de bovins ?
M. Rémi Toussain
- Je vous communiquerai la réponse par
écrit car je ne le sais pas.
M. le Président
- Je passe donc la parole à M. Humbert.
M. Jean-François Humbert
- Pour me faire pardonner, madame,
d'avoir osé poser la même question pour la deuxième fois,
je vous en poserai une autre. Quels sont les types de rapports, en dehors de
ceux que nous avons évoqués deux fois, qui sont en possession de
vos services et, si d'autres rapports existent, êtes-vous en mesure et
avez-vous la volonté de les communiquer, pour ceux qui existeraient
depuis au moins 1990 ?
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- La réponse est oui, mais
vous faites allusion à des rapports qui font état de quel type de
données et d'informations ?
M. Jean-François Humbert
- Je parle de rapports qui pourraient
par exemple parler de la maladie de la vache folle et du lien entre cette
maladie et les farines animales, d'un ensemble de rapports qui pourrait
être en votre possession sur le sujet qui nous préoccupe. Sur le
reste, bien évidemment, nous n'avons pas l'intention de savoir tout ce
qui se passe chez vous. Ce n'est pas l'objet de cette commission
d'enquête.
Vos services ont-ils entre les mains d'autres rapports que le rapport annuel
que vous avez évoqué ? C'est une question tout à fait
naïve. Il n'y a pas d'arrière-pensée de ma part ;
j'essaie de savoir, tout simplement.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- La difficulté, c'est que
vous comprendrez qu'entre 1988 et 2000, on a une masse de documents très
importante qui ont concerné ces sujets. A ma connaissance, il n'y a pas
eu de rapports spécifiques sur ce sujet.
Dans la salle
. - Ce sont les notes de service.
M. Jean-François Humbert
- Au-delà des notes de service et
de ce fameux rapport annuel, une autre partie de votre administration
produit-elle chaque année un rapport sur cette inquiétante
question et non pas sur tous les sujets, bien évidemment ? Notre
souci, comme le président vous l'a rappelé, est d'essayer de
comprendre. Plus nous aurons d'éléments émanant de ceux
qui suivent cela au quotidien depuis 1990, vous et d'autres, plus nous serons
à même d'essayer de comprendre.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Je peux vous transmettre en
effet la totalité des notes de services qui ont été faites
sur les farines animales ainsi que tous les rapports de la Brigade qui
contiennent des enquêtes alimentaires. Je peux aussi, si vous le
souhaitez, vous transmettre une note de synthèse qui rappelle la
manière dont les pouvoirs publics ont procédé...
M. le Président
- Nous aimerions autant les notes de service,
c'est-à-dire les notes directes, plutôt qu'une note de
synthèse que vous feriez, non pas par suspicion, bien au contraire, mais
pour mieux comprendre comment les choses se sont passées. En effet,
quand on visite un certain nombre de fabricants d'aliments du bétail,
ils disent pour la plupart que, bien avant la décision de 1990 visant
à interdire les farines animales pour l'alimentation des bovins, ils
avaient supprimé l'addition de farines animales dans ces aliments.
A partir du moment où des professionnels disent --et on a tout lieu de
les croire-- qu'ils ont d'eux-mêmes supprimé certains produits
alors que la réglementation ne les incitait pas à le faire,
comment se fait-il que la décision officielle ait été
prise beaucoup plus tard ? Cela veut dire que tout le monde était
au courant ou que tout le monde savait quelque chose dans les années
1987, 1988 ou 1989 alors que la décision n'a été prise
qu'en 1990.
Il doit donc bien y avoir des notes de service qui parlent de cela puisque nous
l'avons entendu sur le terrain. Vous comprenez pourquoi nous aurions besoin de
comprendre, sachant que nous ne pouvons le faire que par ce qui s'est
passé à travers des organismes et des services tels que le
vôtre.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Il y a un malentendu sur ce
qu'on entend par « notes de service ». Je pensais à
des ordres de service, c'est-à-dire à des instructions
envoyées à nos services déconcentrés alors que vous
faites référence, vous, à des documents qui, par exemple,
ont permis l'élaboration de la décision relative soit à
l'importation, soit à l'interdiction des farines.
Je peux en effet retrouver ces documents. Ce sont des notes internes à
l'administration ou des comptes-rendus de réunions que je peux vous
transmettre, y compris l'avis qui avait été formulé par la
Commission interministérielle et interprofessionnelle de l'alimentation
animale, qui avait recommandé aux pouvoirs publics d'interdire
l'utilisation des farines dans l'alimentation des ruminants et qui a
débouché sur l'arrêté de 1990.
Je peux vous transmettre tous ces éléments, bien sûr.
M. le Président
- On peut supposer aussi qu'il peut y avoir des
lettres ou des notes d'un DSV de tel département qui, lui aussi,
écrivait pour faire remonter ce qu'il observait sur le terrain. C'est
cela qui nous intéresse.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Je vous rappelle que le premier
cas de vache folle, en France, date de 1991.
M. le Président
- Le premier cas officiel, en effet, mais il a pu
y avoir des observations. Je suppose que des DSV départementaux ont pu
avoir des observations qu'ils ont fait remonter au niveau du service que vous
dirigez. C'est cela que nous avons besoin de savoir.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Je n'en ai pas connaissance.
M. le Président
- Vous nous avez dit que vous n'étiez
là que depuis le mois d'août 2000.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- C'est vrai, mais on a
déjà porté à ma connaissance un certain nombre
d'éléments puisque, sur cette question des farines animales, vous
n'ignorez pas que des instructions judiciaires sont en cours. J'ai donc
été amenée à répondre, notamment au juge
d'Epinal, sur cette question et j'ai pris connaissance d'un certain nombre de
documents. Je peux donc vous transmettre les documents auxquels j'ai fait
référence.
M. le Président
- Je passe la parole à Michel Souplet.
M. Michel Souplet
- Ma question sera d'un ordre tout à fait
différent et elle s'adresse plutôt à M. Toussain. Nous
avons écouté tout à l'heure avec beaucoup
d'intérêt les chiffres qu'il nous a proposés. Je me mets
à la place des éleveurs qui sont inquiets et
découragés. J'ai déjà dit il y a quelques mois
qu'il y aura probablement plus de morts par suicide chez les éleveurs
dans un an qu'il n'y aura eu de victimes de la vache folle. C'est malheureux
mais ce n'est pas notre fait.
Aujourd'hui, nous aimerions avoir plus d'éléments sur les
productions de substitution. Si j'ai bien compris votre exposé de tout
à l'heure, monsieur Toussain, il faudrait que l'on puisse, en France,
faire 250 000 hectares de pois protéagineux en plus ou bien du colza
dans des conditions plus importantes en surface. Or, compte tenu des surfaces
mises en jachère actuellement, il ne devrait pas être trop
difficile de faire 240 000 hectares de plus.
Quant aux oléagineux, on est coincé par les accords de Blair
House. Cependant, les accords de Blair House étant liés à
des surfaces, est-on capable, sur le plan de la recherche, de sortir
très rapidement des variétés nouvelles en
oléagineux qui ne seraient plus des oléagineux à vocation
alimentaire directe pour l'homme mais qui pourraient servir dans les apports de
farines de complément ? Ce serait vraiment intéressant parce
qu'on ne peut pas jouer sur les surfaces mais sur les rendements.
En revanche, pour les protéagineux, sachant que nous ne sommes pas
liés par les surfaces, il ne me paraît pas impossible de produire
240 000 hectares. Malheureusement, les prix actuels des pois
protéagineux n'encouragent pas les agriculteurs à en produire.
Peut-on envisager des mesures qui permettent de faire très vite 250 000
hectares de production en plus ?
M. Rémi Toussain
- Sur le plan purement quantitatif et
mécanique, vous avez tout à fait raison concernant le pois. Il y
a eu une désaffection à l'égard de cette production en
raison de la diminution des soutiens communautaires, mais aussi pour un certain
nombre d'autres raisons.
La principale solution va dans le sens d'un meilleur soutien communautaire, et
on peut imaginer par ailleurs --mais c'est une spéculation-- que la
substitution par des matières végétales va
renchérir le coût des matières végétales,
comme cela a été déjà observé, et que le
marché lui-même soit aussi un élément de soutien
supplémentaire. Il faut la combinaison des deux.
Cela ne se heurte pas, s'agissant du pois, à des manques de superficie
ni à l'obstacle de Blair House. J'ai dit qu'il y avait une petite
hésitation sur la possibilité de revenir à un soutien plus
élevé parce qu'il a été également convenu
à l'OMC --ce sont les fameuses « boîtes
bleues »-- que l'on ne pouvait pas augmenter les soutiens pour un
produit. Cela dit, sans entrer trop avant sur ce sujet que nous avons bien
étudié, l'affaire est tellement floue que l'on doit pouvoir
passer outre cette difficulté.
Il reste donc deux obstacles à surmonter qui vont de pair : une
proposition de la Commission mettant elle-même en avant les
difficultés budgétaires communautaires pour ne pas le faire tout
de suite.
C'est la raison pour laquelle, comme je l'ai rappelé tout à
l'heure peut-être trop rapidement, la délégation
française insiste énormément sur l'urgence de ce point, et
je précise que, dans les conclusions du Conseil, ce n'est pas par hasard
qu'il est fait mention de ces éléments. Nous continuerons
à le faire.
J'ajoute, toujours pour le pois, que, dès à présent, au
niveau national, un soutien à la recherche de 25 MF va être mis en
oeuvre dès cette année pour améliorer ses qualités
diététiques. Il comporte en effet un certain nombre d'obstacles
nutritionnels et de problèmes de résistance aux maladies que l'on
va essayer de lever par un programme triennal de recherche spécifique,
en complément de ce qu'il faut obtenir à Bruxelles et/ou du fait
du marché.
Voilà ce que je peux dire pour le pois.
Pour ce qui est des oléagineux, on retrouve bien sûr les
contraintes budgétaires que j'ai indiquées, mais on est surtout
devant la difficulté que tant que perdure l'accord de Blair House, qui
est lui-même lié à l'accord de l'OMC, ce qui en fait une
affaire lourde, soit on en sort par une évolution de la
réglementation -c'était l'idée de la Commission-- vers
l'aide unique (mais on voit les effets pénalisant qu'elle aurait sur les
surfaces), soit on recrée une aide spécifique,
c'est-à-dire qu'en réalité, on revient sur l'Agenda 2000
afin de remonter les aides, auquel cas on retombe complètement dans
Blair House, c'est-à-dire dans les contraintes de surfaces.
Effectivement, il serait alors possible de jouer sur l'amélioration des
rendements et de saturer pleinement la production destinée à
l'éthanol, ce qui a comme effet induit la production de tourteaux. Bref,
dans ce cadre, il s'agirait d'essayer d'exploiter pleinement, ce qui donne un
peu de marge, même si on ne le ferait pas autant que les chiffres que
j'ai indiqués tout à l'heure.
Je n'oublie pas non plus les fourrages déshydratés qui peuvent
être également un élément de complément.
Voilà ce que je peux vous répondre, monsieur le Sénateur.
M. Gérard Miquel
- Ma question sera très courte. Elle
concerne le système de contrôle que nous avons en France. Je sais
qu'il est parmi l'un des meilleurs au niveau européen, mais ne
pourrions-nous pas l'améliorer en lui donnant plus d'efficacité
et en regroupant ou en faisant collaborer plus étroitement les services
vétérinaires, la DCCRF et les Directions départementales
de l'action sanitaire et sociale ?
Nos commerçants, nos boulangers et nos bouchers sont
contrôlés par ces trois services et, dans la même semaine,
ils peuvent voir arriver trois contrôleurs des services de l'Etat. Je
trouve qu'il y a là une perte d'efficacité et que, probablement,
nous aurions intérêt à réorganiser tout cela pour
être plus performants.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Sur ces questions de farines
animales, comme je l'ai indiqué à plusieurs reprises, la
Direction générale de l'alimentation et la Direction
générale de la concurrence, de la consommation et de la
répression des fraudes sont en effet compétentes, ainsi que leurs
services extérieurs.
Comme je vous l'ai indiqué aussi, nous collaborons et des plans d'action
conjoints sont mis en oeuvre précisément pour éviter ces
doublons. En effet, les moyens de l'Etat ne nous permettent pas de visiter deux
fois le même établissement pour les mêmes sujets. Nos
actions sont donc complémentaires et, comme vous le verrez dans les
notes de service que je vous transmettrai, certains de ces documents sont des
notes de service conjointes de la DGAL et de la DGCCRF et il y a une
répartition précise des tâches des contrôleurs,
certains étant affectés à des tâches liées
plutôt au contrôle documentaire et d'autres plutôt au
contrôle physique. C'est la première réponse que je ferai
sur ce point spécifique des farines animales.
D'une manière plus générale, en matière de
sécurité des aliments, les services de l'Etat coordonnent leur
action de différentes manières. Nous avons tout d'abord des plans
de surveillance et de contrôle que nous coordonnons et sur lesquels nous
nous mettons d'accord. Nous avons des réunions régulières
et, chaque année, nous adoptons des programmes de contrôle et de
surveillance coordonnés. Nous venons, par exemple, de valider ensemble
les programmes concernant l'année 2001.
Au niveau déconcentré, nous avons aussi des pôles de
sécurité des aliments qui sont mis en place sous
l'autorité des préfets et qui voient collaborer le directeur des
services vétérinaires, le DDCCRF et le DDASS de telle sorte que
l'action des services sur le terrain soit aussi concertée que nous le
souhaitons.
Voilà la réponse que je peux vous faire. Nous sommes en
collaboration et il y a suffisamment de travail pour tout le monde.
M. François Marc
- Bien entendu, madame, j'ai bien compris vos
arguments lorsque vous dites que c'est en fonction des informations
scientifiques disponibles que l'administration a pris ses dispositions. Quand
on peut comparer ce qui a été fait en France et dans les autres
pays européens, on a le sentiment que nous n'étions pas à
la traîne par rapport aux dispositions à prendre. La plupart des
entreprises nous disent d'ailleurs qu'elles ont appliqué la
réglementation, si bien que nous pouvons avoir un petit sentiment de
frustration --je rejoins ce qu'a dit notre rapporteur tout à l'heure--
quand nous entendons les entreprises.
Pour autant, une entreprise nous a dit la semaine dernière :
« dès 1989, nous avons eu des doutes. Nous avons
importé deux bateaux de farines irlandaises et, du fait des doutes et
interrogations que nous avions, nous avons cessé immédiatement
toutes ces importations, et nous n'avons pas pratiqué, depuis, ce genre
d'approvisionnement, même si cela nous a coûté plus
cher ».
A mon sens, c'est l'élément important. D'autres ont
continué à importer et ont pu, de ce fait,
bénéficier de marchandises à bas prix et mettre en oeuvre
des politiques agressives en matière de tarifs, ce qui explique que nous
ayons aujourd'hui un certain nombre d'éleveurs qui ont fait du
« zapping » pendant les dernières années du
fait des guerres des prix en matière d'aliments du bétail.
Si j'ai bien compris, certaines bêtes qui ont été
testées positives avaient même eu des aliments venant de plusieurs
fournisseurs.
Ma question est donc la suivante : disposez-vous d'informations
précises sur les politiques agressives de prix des entreprises durant
les années passées en ce qui concerne les aliments du
bétail ? Il est clair qu'à cet égard, il y a une
suspicion à l'égard de ceux qui auraient eu ces politiques
agressives de prix. Ceux qui ont été honnêtes n'ont pas
changé leurs prix alors que l'on peut imaginer que les autres,
même s'ils étaient en accord avec la réglementation, n'ont
pas suivi tous les principes de précaution nécessaires.
En ce qui concerne les éleveurs, pouvez-vous nous confirmer que, sur un
certain nombre de cas positifs, des éleveurs avaient plusieurs
fournisseurs d'aliments concernés dans l'enquête qui a
été menée ? Avez-vous des informations sur ces points
précis et sur la stratégie de prix des entreprises ?
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Sur la politique de prix, nous
avons eu connaissance (c'est en tout cas ce que reflètent les quelques
documents que je mettrai en votre possession), au moment où les
décisions ont été prises, du fait que le prix des farines
importées du Royaume-Uni avait considérablement baissé,
après quoi, de manière plus générale, le prix de
ces farines animales a connu une évolution. Nous en avons eu
connaissance, effectivement, mais, s'agissant du prix des farines animales en
France, ce n'était pas un élément à prendre
nécessairement en compte dans le cadre d'une politique sanitaire.
Il s'agissait de faire une évaluation du risque et de prendre en compte
les données scientifiques qui permettaient de savoir s'il y avait ou non
un risque à utiliser ces farines et donc, ensuite, s'il fallait les
interdire ou non.
C'est ce qui a été fait en France relativement tôt,
même si on peut toujours en discuter, sur la base d'un avis qui a
été rendu, si j'ai bonne mémoire, en juin 1990, sachant
que l'arrêté date de juillet 1990. Voilà
l'élément que je peux porter à votre connaissance en vous
apportant les pièces que j'ai eues moi-même à disposition
sur cette question.
J'en profite, si vous le permettez, monsieur le Président, pour dire que
je n'ai pas répondu à la totalité de M. Bizet tout
à l'heure concernant le traitement. Il a en effet indiqué que la
France avait attendu 1996 pour mettre en place un traitement efficace des
farines et je voudrais donc apporter un complément d'information sur ce
point.
Un traitement visant à inactiver un certain nombre d'agents dans
l'alimentation des animaux avait été déjà
imposé par un arrêté en 1991. Il ne concernait pas
forcément le prion parce qu'on ne connaissait pas les traitements
permettant l'inactivation de cet agent non conventionnel. Cet
arrêté a été complété, dès
1994, pour prendre en compte, précisément, cette question du
risque lié à l'ESB.
Ensuite, nous avons été amenés à nous mettre en
conformité avec la réglementation communautaire, sachant que,
comme vous le savez, dès 1996, la France a beaucoup plaidé au
niveau européen pour que, certes, on travaille sur cette question du
traitement, et donc que l'on renforce les exigences sur le traitement, mais que
l'on prenne aussi en compte cette exigence qui nous avait été
recommandée par le Comité Dormont et qui concernait le tri
sélectif des matières premières entrant dans l'information.
Le traitement est une bonne chose, mais il n'est pas suffisant. Il fallait
aussi écarter de la chaîne alimentaire un certain nombre de tissus
susceptibles d'être contaminants.
Pour répondre à votre deuxième question, dans la mesure
où je vais vous transmettre les rapports complets, je suppose qu'il a pu
y avoir, pour certains cas, plusieurs fournisseurs d'aliments. C'est possible.
M. le Rapporteur
- La question de notre collègue Marc est
très claire et il nous faudra malgré tout des noms, si je puis
dire. Il est vrai que le raccourci intellectuel est très simple à
faire. A partir du moment où un opérateur fait du dumping sur un
produit, on voit bien d'où cela peut venir. Par conséquent,
à mon avis, le rôle de cette commission d'enquête est de
souligner un certain nombre de noms d'opérateurs.
Je souhaiterais revenir sur un point. Il y a quelque temps, nous avons
auditionné le professeur Gérard Pascal, président du
Comité scientifique directeur européen, qui nous a avoué
que ce n'est qu'en 1992 qu'a été interdite l'incorporation de
certains abats dans la fabrication de pots pour bébés, notamment
de cervelle. Avez-vous eu vous-même, au niveau de la DGAL, quelques notes
d'information sur ce point précis ? Je vous le demande parce que, a
posteriori, on trouve qu'une information de ce type est fondamentale compte
tenu du risque pour les générations qui vont suivre. Avez-vous eu
des notes de service ou d'information sur ce point ?
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Je ne pourrai pas vous faire une
réponse très complète sur ce point.
M. le Rapporteur
- Il s'agit du mois d'août 1992. C'est
très précis.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Je dirai simplement qu'au
début des années 90,on n'avait pas les connaissances que l'on a
aujourd'hui et qu'en effet, s'agissant de l'incorporation de certains tissus et
organes, notamment la cervelle, dans l'alimentation humaine, on n'avait pas les
doutes que l'on a aujourd'hui sur la possibilité de transmission de la
maladie à l'homme.
M. le Rapporteur
- Je le comprends bien, mais vous avez certainement
dû avoir des notes émanant de ce Comité scientifique
directeur ou d'autres sources vous informant de cette suppression à
partir de 1992. La commission pourrait-elle obtenir ces notes ?
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Je ferai une recherche. En
effet, si le Comité scientifique directeur de l'époque nous a
transmis des éléments sur ce sujet, nous avons dû les
garder. Je ferai donc une recherche et si je retrouve ces avis, je vous les
transmettrai pour que vous puissiez établir la chronologie de ces faits.
M. Jean-Marc Pastor
- Dans le prolongement de la question de mon
collègue Bizet, auriez-vous également des notes par rapport au
comportement de la France qui, depuis une dizaine d'années, au niveau
européen, a tenté d'y voir plus clair dans ce
problème ? Il faudrait que nous puissions avoir, dans les deux
sens, un certain nombre d'échanges qui permettent aux uns et aux autres
de clarifier l'évolution de cette interrogation. Cela existe-t-il et
sous quelle forme peut-on le retrouver ?
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Vous avez raison de souligner
que les travaux d'harmonisation communautaire ont été difficiles
sur cette question. Les décisions communautaires importantes datent de
la moitié des années 90 et, pour ne citer qu'un exemple,
l'adoption d'une liste communautaire de matériels à risques
spécifiés date de l'année dernière et n'est
entrée en vigueur dans la plupart des Etats-membres qu'au mois d'octobre
2000 alors que notre première liste, en France, date de 1996.
En effet, il a été difficile de progresser sur ces questions au
niveau communautaire, certains pays considérant que ce risque ne les
concernait absolument pas. La France, à cet égard, a fait preuve
d'une attitude beaucoup plus précautionneuse, si je puis dire.
M. le Président
- Je vais vous poser une dernière
question. Les autorités françaises ont étendu
l'interdiction des farines animales anglaises aux farines irlandaises
dès le 15 décembre 1989. Pour quelle raison a-t-on
levé cette interdiction à partir du 17 mars 1993 et
quelle a été l'évolution des importations en provenance de
l'Irlande à partir de cette date ? Avez-vous connaissance de cas
où les farines irlandaises se sont avérées, après
enquête, être finalement des farines anglaises ?
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Je pense qu'il serait plus utile
de poser la deuxième partie de votre question à la Direction
générale des douanes et des droits indirects, car je vais avoir
des difficultés pour y répondre.
En revanche, pour la première partie de votre question concernant la
levée des mesures au début de l'année 1993 pour la
République d'Irlande, je considère, compte tenu des
éléments que j'ai eus à ma connaissance, que c'est
probablement l'évolution du contexte européen qui a amené
la France à prendre cette décision. Comme je vous l'ai
indiqué, il s'agissait du marché unique et les décisions
communautaires qui commençaient à être prises concernaient
exclusivement le Royaume-Uni et non pas la République d'Irlande. C'est
probablement ce contexte qui a conduit les autorités françaises
à lever la mesure d'interdiction concernant l'Irlande.
M. le Président
- En fait, qui a pris cette
décision ? Si vous ne le savez pas, ce que je comprends très
bien, vous chercherez la réponse et vous nous la donnerez. C'est
important.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Je vérifierai. Je ne peux
pas répondre à cette question aujourd'hui mais je vous apporterai
la réponse par écrit.
M. le Président
- M. Humbert a encore une question à vous
poser.
M. Jean-François Humbert
- J'ai lu dans Le Monde hier ou
avant-hier un article, avec un tableau à l'appui, qui fait part de
statistiques françaises comparées à des statistiques
belges en matière d'importation, et j'ai lu avec stupéfaction que
le delta est minime puisqu'il porte sur 22 millions de tonnes entre les
statistiques belges et les statistiques françaises. Vous allez me dire
qu'il faut poser la question à la Direction des douanes, mais
pensez-vous que ce genre de chose soit possible et, selon vous, derrière
ce type de chiffre, y a-t-il la
« révélation » de quelques fraudes, en
matière de transit, de ces farines interdites ?
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Je n'ai pas connaissance
d'éléments qui me permettraient de répondre
précisément à votre question. C'est une question, comme
vous l'avez très justement dit, qu'il faut poser à la DGDDI.
M. Jean-François Humbert
- A propos de la DGDDI, les mesures
d'interdiction qui ont été prises n'ont de valeur que si elles
sont suivies d'effet et si des contrôles sont effectués. Avez-vous
eu des réunions communes pour faire un point, régulier ou non,
avec les services des Douanes et, si ces réunions ont eu lieu, ont-elles
fait l'objet de comptes-rendus et de rapports ? S'ils existent, ces
rapports seraient-ils disponibles ?
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Vous parlez de la période
antérieure à la réalisation du marché unique, au
moment où les services vétérinaires et les Douanes
faisaient des contrôles systématiques à l'importation de
ces farines ?
M. Jean-François Humbert
- Je pense aussi qu'il y a
peut-être eu --je n'affirme rien-- des importations frauduleuses et que,
bien que cela ne concerne pas le service de la Direction générale
de l'alimentation mais celui des Douanes, vous avez peut-être
été appelés à en parler entre vous pour vous tenir
informés de ces difficultés.
Il ne s'agirait pas que, d'un côté, des services du
ministère de l'agriculture fassent des efforts considérables pour
essayer de faire prendre les bonnes mesures et que, d'un autre
côté, du fait d'un cloisonnement d'un autre service important de
l'Etat, celui qui est chargé de veiller au respect des interdictions sur
le terrain, un manque d'information entre vous conduise à la
négation des décisions prises. Vous avez sans doute eu des
réunions de travail avec les Douanes et ces réunions ont dû
faire au minimum l'objet de comptes-rendus. S'ils existent, je souhaiterais
qu'ils puissent être transmis à la commission.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Si vous m'y autorisez, monsieur
le Président, je propose que ma collaboratrice réponde à
cette question.
Mme Bénédicte Herbinet
- Pour un certain nombre de mesures
que nous avons prises, il s'agissait d'arrêtés cosignés par
le secrétariat d'Etat au budget dans lesquels la DGDDI était
étroitement associée, et des réunions ont pu avoir lieu
sur les projets d'arrêtés qui étaient proposés, en
général, soit par la DGAL, soit par la DGCCRF, pour discuter de
leur contenu et de leur champ d'application par rapport à des produits
venant d'autres Etats-membres ou de pays tiers.
Pour l'arrêté du 14 novembre dernier, par exemple, nous avons eu
une réunion dans le cadre du SGCI pour discuter de son champ
d'application et, par la suite, la DGDDI nous a envoyé un bilan
établi de façon hebdomadaire sur les contrôles qui avaient
suscité des observations concernant des farines animales ou des aliments
pour animaux qui pouvaient être concernés par cet
arrêté.
Voilà un exemple concret des échanges que nous avons pu avoir
dans le cadre de ces mesures.
M. le Président
- Il y a donc eu des comptes-rendus. Nous sommes
toujours dans la même démarche : nous souhaiterions les avoir
au fil des années.
M. Jean-François Humbert
- Le marché unique ne peut en
aucun cas lever l'interdiction qui était décrétée
par ailleurs. Il ne s'agit pas seulement de la période
précédant le marché unique ou sa mise en oeuvre en
1993 ; il s'agit de l'ensemble de la période jusqu'à
l'interdiction définitive du 14 novembre dernier.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Sachez quand même que les
contrôles ne sont pas systématiques à l'importation depuis
la mise en oeuvre du marché unique. Je tenais simplement à le
souligner.
M. Jean-François Humbert
- Ils ont quand même coincé
le soigneur d'une certaine équipe à la frontière belge.
Peut-être la Douane a-t-elle donc aussi, en matière de farines,
quelques informations à nous donner et qu'elle a évoquées
avec vous.
M. le Rapporteur
- C'est tout à fait vrai, mais entre 1993 et
1996, pour reprendre simplement cette période dont le journal Le Monde
fait état, la France déclare importer beaucoup plus de farines
animales que la Belgique ne déclare en exporter et le delta est
effectivement de 30 000 tonnes. C'est assez curieux, au-delà de la
notion de libre circulation qui date de 1993. Nous voudrions donc comprendre.
Mme Catherine Geslain-Lanéelle
- Nous vous donnerons tous les
éléments que nous possédons sur ce point.
M. le Président
- Nous avons fait le tour de la question pour ce
qui vous concerne et nous vous remercions, mesdames et messieurs. Nous
attendons donc les documents que nous vous avons demandés, du moins tous
ceux que vous pourrez retrouver, et nous vous demandons absolument de nous les
faire parvenir. Merci de votre participation à cette commission.
On me dit que si on pouvait les avoir dans le mois qui vient, disons pour
le 15 février, ce serait une bonne chose parce que nous en
avons besoin pour la rédaction du rapport. Merci.
Audition de M. Jean-Paul PROUST,
Préfet chargé de la mission
interministérielle
pour l'élimination des farines animales
(MIEFA)
(17 janvier 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur le Préfet
Jean-Paul Proust, merci d'avoir répondu à notre convocation. Je
rappelle à l'ensemble de nos collègues que vous êtes ici
comme préfet chargé de la mission interministérielle pour
l'élimination des farines animales.
Vous savez que vous êtes entendu --ce n'est pas à vous que je vais
l'apprendre--dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire, une
commission d'enquête du Sénat, et qu'à ce titre, je me dois
de vous rappeler les directives et de vous demander de prêter serment.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Proust.
M. le Président
- Je vais vous demander dans un premier temps de
nous parler de la mission qui vous est confiée et de la manière
dont vous avez essayé de traiter les problèmes, après quoi
nous passerons aux questions que mes collègues seront à
même de vous poser. Vous avez la parole.
M. Jean-Paul Proust
- Merci, monsieur le Président. Monsieur le
Président, messieurs les Sénateurs, je vais essayer rapidement de
dire où nous en sommes dans l'exécution de la mission qui m'a
été confiée le 14 novembre 2000 et qui a été
mise en place quelques jours plus tard, il y a donc un peu moins de deux mois.
Le problème qui était posé avait trait à la fois
à l'urgence immédiate et, évidemment, à moyen
terme, à l'élimination de ces graisses et farines animales.
On conçoit bien que ce soit un problème d'urgence
immédiate puisque, du fait de la décision de suspension de
l'utilisation des farines animales pour la consommation animale, tout le
débouché des équarrisseurs se trouvait interrompu, ce qui
voulait dire qu'en amont, il y avait un risque d'arrêt du ramassage des
déchets.
Je rappelle simplement, pour avoir quelques ordres de grandeur, que les
déchets crus qui sortent des abattoirs et des boucheries
représentent à peu près 3 300 000 tonnes d'un
produit dont, aujourd'hui, environ 800 000 tonnes sont saisies et vont au
service public de l'équarrissage et dont 2 500 000 tonnes allaient vers
ces productions qui étaient commercialisées par les
équarrisseurs.
Ces 2 500 000 tonnes de déchets crus ont évidemment une
durée de quelques jours au maximum puisque ce sont des produits
éminemment périssables. En quelques jours, on risquait donc
d'avoir une asphyxie de toute la filière.
L'objectif immédiat était, dans les meilleurs délais,
d'assurer la continuité du fonctionnement de la filière en
permettant aux équarrisseurs de continuer à ramasser des
déchets dans les abattoirs et donc à produire de la farine et des
graisses, c'est-à-dire de stocker provisoirement ces farines et ces
graisses et de trouver des lieux de stockage.
C'était la première urgence.
Où en sommes nous pour ce premier aspect de la mission ? Je dirai
tout d'abord qu'un accord a été trouvé avec les
professionnels. Il se traduit par un décret du
1
er
décembre 2000 qui prévoit les conditions
d'indemnisation pour la production de ces graisses et farines. Il s'agissait
essentiellement, dans l'urgence, plutôt d'une indemnisation qu'autre
chose (c'était une solution provisoire et je vous dirai tout à
l'heure qu'un nouveau décret est en cours de préparation)
puisque, du fait d'une décision gouvernementale, une activité
industrielle et commerciale se retrouvait sans possibilité de
débouchés.
Le critère qui a été retenu, au demeurant plus avantageux
pour l'Etat que celui qui avait été envisagé et qui
consistait à copier le service public de l'équarrissage,
était la photographie du marché de toutes ces productions avant
le 14 novembre, c'est-à-dire dans le mois qui a
précédé cette interdiction. C'est cette photographie la
plus précise possible qui a permis d'établir un barème
d'indemnisations.
Il fallait évidemment, dans le même temps, trouver des lieux de
stockage. Cela n'a pas été la partie la plus facile. En effet,
même si ce produit ne présente en soi aucun danger particulier, il
est entouré de toute une diabolisation qui fait que personne ne souhaite
--et on peut le comprendre-- voir s'installer dans sa commune de tels lieux de
stockage.
Nous avons donc eu quelques difficultés. Les préfets ont
recensé tous les lieux de stockage possible et nous avons fixé un
cahier des prescriptions spéciales qui devaient s'imposer à tout
stockeur qui accepterait de stocker des farines animales ou des graisses.
Ce cahier des charges est plus sévère encore que celui qui avait
été établi pour le service public de
l'équarrissage. Il prévoit --j'en ai un exemplaire ici que je
pourrai laisser à la commission-- toute une série de dispositions
techniques. Il faut que les lieux de stockage soient couverts, qu'il y ait des
dalles pour empêcher toute infiltration dans le sol, qu'il y ait une
bouche d'incendie pour permettre l'intervention des sapeurs-pompiers en cas
d'échauffement du produit. Il faut aussi respecter toute une
série de règles de manutention. Je ne les lis pas toutes, sachant
que je peux laisser le document à la commission.
Les préfets ont recensé environ 150 à 200 lieux de
stockage pour en retenir finalement un nombre limité. En effet, on s'est
efforcé au maximum de retenir les lieux de stockage les plus
éloignés possible des habitations. De toute façon, la
règle était de ne pas retenir des lieux à moins de 150
mètres d'habitation mais, dans la réalité, on recommandait
aux préfets de rechercher encore plus loin si possible, non pas,
là encore, du fait d'un danger immédiat mais parce qu'il est vrai
qu'il peut y avoir des nuisances : si le stockage n'est pas bien
entretenu, les odeurs que cela dégage sont désagréables
pour le voisinage et le trafic de poids lourds est tout à fait nuisant
pour un voisinage immédiat.
En définitive, nous avons retenu dix-huit sites de stockage qui ont fait
l'objet d'une publication le 20 décembre et qui représentaient
270 000 tonnes. J'en parle déjà au passé puisque deux de
ces sites ont été abandonnés depuis et que deux nouveaux
sites, qui ont de beaucoup plus grandes capacités, sont en cours de
discussion. L'un est prévu dans les zones industrielles du Havre,
à plusieurs kilomètres de la première habitation et dans
des lieux où il y a des stockages très importants et où
l'impact sera donc marginal sur l'environnement ; l'autre est prévu
dans la Marne.
Au total, la capacité actuelle de ces sites devrait être de
l'ordre de 400 000 tonnes. Cela devrait nous permettre de
répondre aux besoins jusqu'à la fin de 2001.
Bien entendu, ce stockage est un pis-aller, l'objectif n'étant bien
évidemment pas de stocker. Nous souhaitons stocker le moins longtemps
possible. L'objectif est de trouver un nouveau débouché à
ces produits.
J'ai oublié de dire que nous avions retenu quatre sites pour les
graisses. Pour les graisses, les choses vont vite et je pense que l'Etat pourra
se désengager du problème des graisses dans les deux mois qui
viennent. Je vous rappelle que les déchets crus, par an, font environ
700 000 tonnes de farine et 300 000 tonnes de graisses.
Les graisses sont un produit très proche, dans ses
caractéristiques, du fuel lourd. Le fuel lourd était à 1
700 F la tonne et il est retombé à 1 400 F la tonne, mais c'est
un produit qui se paie. Moyennant des aménagements relativement simples,
les industriels peuvent substituer la graisses au fuel lourd. Ce produit, au
départ, coûtait environ 700 F la tonne mais il peut aujourd'hui
partir à 0 F et nous commençons même à recevoir des
offres positives de 200 F la tonne.
A partir de là, le texte qui est en cours de préparation va
supprimer toute aide à l'incinération des graisses et nous allons
laisser les industriels commercialiser normalement ces graisses sans que l'Etat
ait besoin de les stocker. Je pense que, dans les deux ou trois mois qui
viennent, nous allons pouvoir résilier nos contrats sur le stockage des
graisses sur les quatre lieux où nous les avons passés.
Pour les graisses, par conséquent, les choses sont allées vite.
Ce sera un peu plus long pour les farines. En effet, comment les choses se
présentent-elles ?
Tout d'abord, il y a une nouvelle donne : pourrait-on éliminer
directement les déchets crus ? Est-on obligé de continuer
à fabriquer de la farine ? Ce sont des questions que l'on peut se
poser.
Une étude a été faite par un bureau d'études
à la demande de l'ADEME. Il s'agit d'un inventaire de tout ce qui est
fait en France et à l'étranger pour utiliser directement les
déchets crus d'origine animale. On dispose actuellement d'un certain
nombre de recherches qui sont intéressantes mais il n'y a pas encore
aujourd'hui de procédé industriel en vraie grandeur qui utilise
les déchets crus. Nous allons encourager toutes ces recherches parce
qu'il est bien évident qu'à terme, on peut se demander s'il n'y
aurait pas moyen de les utiliser plus directement, mais, aujourd'hui, on ne
peut pas l'envisager ou, du moins, cela ne réduirait pas suffisamment
nos stocks.
Nous sommes donc encore obligés, pendant un certain temps, hélas,
de passer par la farine.
Quant à l'utilisation de la farine, elle doit bien évidemment se
faire sans prendre le moindre risque, ni pour la santé, ni pour
l'environnement. Cela limite beaucoup de possibilités d'emploi. Par
exemple, théoriquement --ce n'est d'ailleurs pas interdit mais on ne
veut pas le faire-- on pourrait utiliser ces produits azotés pour faire
un engrais d'excellente qualité. Cependant, nous ne souhaitons pas le
faire, du moins dans le contexte actuel, tant que toute garantie scientifique
n'aura pas été donnée.
On a parlé d'autres procédés. Là aussi,
aujourd'hui, nous n'en connaissons pas, en dehors de la filière
énergétique, qui puissent consommer ces produits à un
niveau industriel. On a parlé notamment de la possibilité de
faire des matériaux avec du phénol. Tout cela mérite
d'être examiné et expertisé mais, aujourd'hui, il n'y a pas
de procédés industriels qui nous soient présentés
même si, là encore, nous souhaitons les encourager. Nous ferons
des appels à projets et nous aiderons les projets que les experts nous
auront signalés comme intéressants ou susceptibles de
déboucher, dans quelques années, sur d'autres usages plus
valorisants.
De toute façon, tout ce qui diversifiera la demande de farines ira dans
le bon sens puisque notre problème, comme pour la graisse, est de
recréer un nouveau marché pour permettre à l'Etat de se
désengager. Même cette farine a une valeur positive puisqu'elle a
un certain nombre de caractéristiques, notamment pour faire de
l'énergie, qui sont très positives.
Pour l'instant, la seule voie importante qui peut nous permettre
d'espérer de consommer de gros tonnages rapidement est la filière
énergétique, c'est-à-dire la production de vapeur, de
chaleur et d'électricité.
Où en sommes-nous dans la recherche des débouchés et dans
l'émergence d'un nouveau marché ? Il y a bien sûr les
cimentiers qui avaient, bien sûr, déjà commencé
puisqu'il ont brûlé l'an dernier 205 000 tonnes de farines, dont
180 000 tonnes venaient de l'équarrissage, et ils ont commencé
à prendre celles du 14 novembre, si je puis m'exprimer ainsi, mais en
petites quantités.
Ils devraient passer progressivement, au cours de l'année 2001, de
200 000 tonnes à un rythme annuel de 450 000 tonnes. C'est
important. Je rappelle en effet que, pour l'instant, sachant qu'il y a des
appels d'offres, les cimentiers demandent une prime de 400 F la tonne pour
brûler ces farines. Cette année, j'aurai besoin des cimentiers
mais j'espère que nous n'en serons pas toujours dépendants et que
le marché de l'utilisation des farines, qui va se développer,
permettra, comme pour les graisses, de passer de 400 à 300 puis à
0 F.
Quels sont les autres utilisateurs potentiels ?
Il y a les Charbonnages, avec leur filiale électrique, la
Société nationale d'électricité et de thermique
(SNET), qui sont intéressés. La SNET va faire un essai en vrai
grandeur sur 10 000 tonnes, dans les semaines qui viennent, à Hornaing,
dans le Nord, et nous verrons si ces essais sont concluants, surtout quant
à l'analyse de tous les rejets dans l'atmosphère et la question
des cendres. En fait, tout laisse à penser que les farines seront moins
polluantes que le charbon ou le pétrole.. En effet, contrairement a ce
qu'on a dit, si elles sont brûlées à un degré
élevé dans des chaudières adaptées, il n'y a pas du
tout de dioxine.
Nous allons donc voir cela en vraie grandeur, ce qui n'est pas possible avec
les cimentiers puisque tout reste avec le mélange brûlé. En
l'occurrence, en vraie grandeur, on va pouvoir faire toutes les mesures sur les
rejets dans l'atmosphère et sur les cendres. Tout laisse à penser
qu'elles devraient être positives, mais attendons de voir les essais. En
tout cas, si elles étaient positives, les Charbonnages pourraient
utiliser, dans trois centrales thermiques, de la farine mélangée
au charbon : il y aurait au maximum 10 % de farine et 90 % de
charbon, mais cela ferait quand même 100 000 à 150 000 tonnes de
farines.
Toujours dans la voie des combustibles, nous avons une autre piste
intéressante par le biais d'une filiale conjointe de Total et des
Charbonnages qui s'appelle Agglocentre et qui est située à
Montceau-les-Mines, en Saône-et-Loire. Agglocentre a un
procédé, qui est en passe de devenir industriel (il va faire un
essai la semaine prochaine sur 4 000 tonnes), de fabrication d'un combustible
à base de 80 % de farines et 20 % de poudres de charbon,
procédé qui a été validé par les experts de
l'ADEME, de l'ANVAR, etc.
Il est intéressant parce qu'il permet d'avoir un produit
stabilisé pour le stockage. Il se présente comme du charbon en
granulat, il est complètement inerte et sans aucune odeur et il a une
capacité calorifique intéressante : un jeu entre les
molécules de charbon et de farines dégage une excellente
capacité calorifique.
Les essais en vraie grandeur vont être faits et CDF, filiale des
Charbonnages pour la commercialisation du charbon, se chargerait de
commercialiser ce nouveau combustible qui pourrait assez rapidement consommer
100 000 tonnes de farine si, là aussi, les essais sont concluants.
Nous sommes également en contact avec une série de grands
consommateurs d'énergie. Je les cite simplement mais comme rien n'est
conclu, je ne pourrai pas vous donner de chiffres. Demain, j'ai une
réunion chez Pechiney qui envisage, dans deux unités de
cogénération existantes, de brûler des farines ; il
s'agit d'unités situées en Haute-Garonne et dans les
Bouches-du-Rhône.
Nous avons également des contacts avec les papetiers et avec
Saint-Gobain. Usinor étudie aussi le procédé pour les
hauts fourneaux. Cela pourrait être également un gros consommateur.
Enfin, il reste la voie des filières déchets. Les
spécialistes de cette filière s'intéressent à ce
produit et vont faire des propositions. L'idée de France Déchets,
par exemple, filiale de la Suez-Lyonnaise, consisterait à construire une
unité qui brûlerait de la farine en permettant de dégager
une puissance calorifique suffisante pour brûler, derrière, les
boues des stations d'épuration. La valorisation permettrait de se
débarrasser des boues des stations d'épuration.
Vivendi-Environnement étudie également le projet.
De même, les unités de cogénération pourraient
donner des résultats intéressants, mais à plus long terme,
évidemment.
Mon espoir est, cette année, tout cela se faisant mois après mois
et non pas en année pleine, d'arriver à une consommation de
farines, en plus des 200 000 tonnes de l'équarrissage, d'environ 400 000
tonnes. Si nous arrivions à consommer 400 000 tonnes cette année,
cela voudrait dire que le stockage pourrait être limité, à
la fin de l'année, à environ 300 000 tonnes et que nos
capacités actuelles de stockage autorisées seraient suffisantes
si on ne dépasse pas ce chiffre.
Pour boucler --je veux dire par là avoir une demande supérieure
à la production--, je crois qu'il faudra attendre 2002. Pour cela,
j'espère que l'on pourra tabler sur les unités de
cogénération. Il s'agit d'avoir un partenariat entre des
industriels et l'EDF. L'EDF est d'ailleurs d'accord --son président me
l'a dit-- pour prendre des participations dans le capital de ces
sociétés qui feraient fonctionner des unités de
cogénération, mais elle le ferait avec des partenaires
industriels.
Deux projets sont déjà bien avancés et je peux les citer
puisque les industriels ont accepté que l'on donne leur nom.
Le premier est celui du groupe Doux, un groupe intégré de
l'agro-alimentaire. Il s'agit d'un projet de cogénération avec
l'EDF dans le Morbihan avec, dans un premier temps, une unité qui
consommerait 50 000 tonnes de farine, qui pourrait passer
à 100 000 tonnes par an et qui produirait de la vapeur et de
la chaleur pour les besoins industriels, le surplus étant repris sous
forme d'électricité par EDF.
Le fait que, le 5 décembre, le Conseil des ministres de l'Union
européenne ait reconnu que ce produit était une biomasse
permettant de produire des énergies renouvelables va nous aider
très certainement à boucler ces projets.
L'autre projet est celui du groupe Rhodia, dans le département des
Deux-Sèvres. Cette fois, il s'agit d'un chimiste qui utilise
lui-même beaucoup de chaleur et d'énergie et d'un projet de
cogénération du même type.
Nous avons également quatre ou cinq autres projets qui se sont
manifestés.
A vrai dire, il n'en suffirait pas plus de quatre ou cinq pour boucler
définitivement notre équilibre entre l'offre et la demande de
farines. Je donne quelques indications chiffrées : l'investissement
pour une unité de 50 000 tonnes est d'environ 100 millions de francs.
Certaines de ces unités de cogénération existent
déjà et ce n'est donc pas une novation technologique : elles
fonctionnent dans d'excellentes conditions dans deux ou trois unités
industrielles du Royaume-Uni. Cela peut donc être très rapidement
opérationnel mais il faudra quand même environ dix-huit mois entre
maintenant et l'ouverture de ces unités.
Voilà où nous en sommes.
Pour terminer, je vous donne quelques indications financières. Le
coût initial pour l'Etat, tel qu'on l'a prévu, entre le stockage,
les indemnités pour la production de la graisse et des farines et
l'élimination, a été évalué, pour
l'année 2001, à environ deux milliards de francs. Il s'agit
là d'un chiffre que je considère comme maximum.
Le décret en cours de préparation va déjà
prévoir une réduction du barème d'indemnisation des
équarrisseurs. Certes, cette réduction sera modeste parce qu'il
ne s'agit pas de tuer les entreprises, mais nous allons serrer au maximum les
prix dans un prochain décret que nous sommes en train de
préparer. Par ailleurs, il n'y aura plus d'aides pour
l'élimination des graisses.
Voilà déjà quelques éléments qui devraient
permettre de réaliser certaines économies. J'espère, bien
entendu, que la montée en puissance suffisamment rapide du dispositif
permettra de poursuivre cet infléchissement vers le bas du coût
pour les finances publiques.
Je terminerai en disant que l'abattage des bovins de plus de 30 mois est venu
s'ajouter aux quantités que j'ai évoquées, même de
manière marginale, puisque, actuellement, cela entraîne une
utilisation à quasiment 100 %, voire à la limite de la
rupture, des vingt-six usines d'équarrissage qui existent en France et
que cela va augmenter de l'ordre de 60 000 tonnes environ les quantités
de farine.
Cela dit, les fabricants de pet food vont en retenir un peu, si bien qu'au
total, on devrait en rester autour de ces 700 000 tonnes pour lesquelles nous
avons à chercher un débouché.
Au point de vue du calendrier, j'estime qu'en 2001, nous pourrons avoir
400 000 à 450 000 tonnes de consommation et qu'en 2002, nous
devrions arriver aux 700 000 tonnes. J'espère pouvoir
déstocker en 2003.
M. le Président
- Merci, monsieur Proust. Je vais faire poser la
première question au rapporteur de notre commission.
M. le Rapporteur
- Monsieur le Préfet, peut-on imaginer qu'en
vitesse de croisière, l'élimination de ces farines ne coûte
rien à l'Etat, compte tenu des éventails que vous avez
listés ?
M. Jean-Paul Proust
- Aujourd'hui, je pense qu'on peut difficilement
l'imaginer. On peut imaginer qu'assez rapidement, la farine n'ait plus besoin
d'aides pour être éliminée. On peut même imaginer
qu'elle ait, comme je le disais tout à l'heure pour les graisses, une
petite valeur positive, mais cela ne compensera pas le coût de
transformation du déchet en farine. Je pense donc qu'il restera un
coût pour l'Etat pendant plusieurs années.
Il faut quand même ouvrir le champ. Nous essayons donc d'ouvrir les
concurrences à tous les niveaux. Nous allons offrir la
possibilité aux abattoirs de bénéficier d'une aide aux
déchets crus s'ils assurent directement, avec un procédé
agréé --il ne s'agit pas de faire n'importe quoi--
l'élimination de leurs propres déchets. Je crois qu'au
départ, cette disposition sera purement optique, mais cela peut, d'une
part, rendre raisonnables les équarrisseurs et, d'autre part, à
terme, permettre un conditionnement beaucoup plus simple et rapide du
déchet, notamment pour faire de l'énergie, s'il est
brûlé sur place.
Le champ est ouvert. Je ne vous réponds pas oui aujourd'hui mais il faut
créer les conditions permettant d'y arriver un jour.
M. le Rapporteur
- Avez-vous quelques pistes sur le plan technologique
pour éviter cette transformation des déchets en farines ?
M. Jean-Paul Proust
- Oui. Ces pistes consisteraient à utiliser
le déchet cru soit pour faire directement du gaz, soit pour le
brûler dans les chaudières, avec un conditionnement
simplifié par rapport au conditionnement actuel pour la farine.
Aujourd'hui, cela n'a jamais été fait à un niveau
industriel mais des études sérieuses sont menées sur ce
point. Il faut donner aux abattoirs la possibilité économique de
le faire, s'ils le souhaitent et si c'est plus rentable que de faire de la
farine.
M. le Rapporteur
- Deuxième question : sur quels
critères sera constituée la commission nationale d'information
sur les farines et les graisses, commission ayant pour but de contrôler
la transparence des opérations et d'expliquer au grand public la non
nocivité de ces farines et de ces lieux de stockage ?
M. Jean-Paul Proust
- Le Premier ministre doit signer la décision
de constitution de manière imminente. Elle sera composée tout
d'abord d'un certain nombre d'élus. Je pense que le président du
Sénat désignera un sénateur, de même que le
président de l'Assemblée nationale et qu'il y aura
également des représentants de chaque niveau des institutions
locales : régions, départements et communes. Elle comprendra
aussi des représentants des administrations concernées, des
représentants des associations, aussi bien de défense des
consommateurs que de défense de l'environnement, et des experts.
Quatre experts pourraient être permanents : deux seraient
désignés par le directeur général de l'AFSSA et
deux seraient désignés par la ministre de l'environnement en tant
que spécialistes de la qualité de l'air et de la qualité
de l'eau.
Cependant, son président (on continue d'envisager que ce soit
plutôt une personnalité indépendante, peut-être un
conseiller d'Etat) pourrait faire appel à tout expert de son choix.
M. Jean Bernard
- Monsieur le Préfet, votre mission est complexe
et il y a une certaine urgence. Vous avez parlé de la Marne et j'ai
rencontré le préfet de ce département qui m'a fait part de
son intention de faire un stockage très important à Somsois.
Cette commission de contrôle ou cette entité que vous venez
d'évoquer va mettre un certain temps à se mettre en place et, en
attendant, sur le terrain, il y a déjà une mobilisation quasi
générale contre l'éventualité de ce stockage. Les
gens parlent de nuisances et de dangers de contagion qui sont totalement
erronés, bien sûr, mais, sur le terrain, disposera-t-on
d'éléments pour entrer en contact avec ces populations
concernées afin d'essayer de les rassurer ou, du moins, de leur exposer
objectivement ce que représente le stockage ?
Il y a aussi la cimenterie Calcia à Couvrot, qui est l'une des plus
grandes cimenteries d'Europe et qui consomme des farines depuis quelques mois.
Les responsables de cette entreprise sont prêts à aller un peu
plus loin et à essayer d'organiser un flux entre cette zone de stockage
et leur usine, sachant qu'une relative proximité faciliterait les
choses.
En anticipant sur cette commission, qui sera évidemment composée
de façon équilibrée, ne pourrait-on pas essayer, avec le
préfet et les élus concernés, de faire déjà
un peu d'information pour dégonfler des situations qui risquent de
devenir conflictuelles alors qu'elles n'ont pas lieu d'être ?
M. Jean-Paul Proust
- Monsieur le Sénateur, je suis tout à
fait d'accord avec ce que vous dites. On demande systématiquement aux
préfets de constituer une commission locale d'information qui doit
être composée à peu près de la même
manière, en copie conforme, au plan local, c'est-à-dire avec des
élus du département et le maire de la commune, les
différentes administrations (DRIRE, DRAF, services
vétérinaires, etc.) présentes autour de la table mais
également les diverses associations qui peuvent exister localement et
des experts. Il sera intéressant de trouver, même localement, en
dehors des experts nationaux, à l'université et à la
faculté de médecine, tel ou tel expert qui sera mieux
placé que le préfet ou le maire pour répondre à
certaines questions et rassurer les gens sur les aspects sanitaires du sujet.
Je crois qu'il sera important de trouver tel professeur de faculté ou
tel professeur vétérinaire pour venir plancher devant ces
commissions locales.
Je précise que le site dont vous avez parlé est important mais
qu'il n'est pas aussi important que les plus gros sites, comme celui des
Deux-Sèvres. C'est un site un peu intermédiaire. Nous nous
efforçons aussi de trouver un certain équilibre régional,
car nous avions jusqu'ici quelques trous dans la carte, notamment dans le
centre-est, ce qui est gênant parce que cela nous force, avec un
coût important, à promener les farines à travers la France,
un point que nous voulons éviter. Nous allons donc essayer d'avoir des
équilibres régionaux.
Comme vous le dites, les "consommateurs" que sont les cimentiers ou autres sont
répartis sur tout le territoire et il faut quand même que nous
ayons des lieux de stockage assez bien répartis pour éviter les
transports.
M. Jean Bernard
- La Marne y correspond à peu près,
d'autant plus lorsque les élus sont également
vétérinaires...
M. Paul Blanc
- J'ai une question très simple à vous
poser : existe-t-il encore des sites de stockage en plein air ?
M. Jean-Paul Proust
- Normalement, non.
M. Paul Blanc
- Mais réellement ?
M. Jean-Paul Proust
- Il n'y en a aucun qui est autorisé. Vous
savez qu'il n'y a pas d'interdiction formelle de mettre les farines dans les
décharges de classe 2 mais nous l'avons exclu, comme pour les engrais.
Nous avons exclu toute mise en décharge et tout site en plein air.
Normalement, il ne devrait y en avoir aucun. Sinon, on le ferait en
dérogation avec le cahier des charges qui précise qu'il faut des
sites couverts.
M. Paul Blanc
- Je note qu'il n'y en a pas.
M. Jean-Paul Proust
- S'il y en a, ils feront l'objet d'un
contrôle, d'un procès-verbal et d'une fermeture. La règle
est absolue.
M. Paul Blanc
- D'accord. Vous avez parlé tout à l'heure
des possibilités qu'auraient éventuellement les abattoirs
d'organiser en quelque sorte leur propre service d'équarrissage.
M. Jean-Paul Proust
- Cela n'aurait pas d'intérêt si
c'était pour dupliquer l'équarrissage, mais il s'agit
plutôt d'avoir un processus permettant d'éliminer le déchet
de manière plus économique que le passage par la farine.
M. Paul Blanc
- Le système actuel de service public
d'équarrissage, qui repose en réalité sur pratiquement
deux opérateurs, ne vous paraît-il pas un peu gênant ?
Ces possibilité données aux abattoirs n'iraient-elles pas dans le
sens de la suppression de ce service public de l'équarrissage ou, du
moins, de l'ouverture de ce service public qui en est un sans l'être
vraiment ?
M. Jean-Paul Proust
- Personnellement, je pense que le service public de
l'équarrissage a d'autres missions, puisqu'il doit ramasser les cadavres
et effectuer toutes ces missions qui font partie du service public qui a
été défini dans le cadre de la loi de 1996. Cela continue.
En ce qui concerne l'aspect industriel sur les farines, je souhaite que, l'Etat
étant obligé d'intervenir, il ne se trouve devant aucun monopole.
Il faut donc ouvrir des concurrences, la compétition et le marché
en amont et en aval pour l'incinération mais aussi pour
l'élimination des déchets. C'est ainsi que l'on aura le plus
d'innovations et que l'on aboutira aux solutions les plus économiques,
sans des bouleversements demain matin mais sur quelques années.
M. le Président
- Un dernier point : Vous l'avez
peut-être dit mais, pour 2001-2002, quelle est l'évaluation du
coût du stockage dans l'état actuel des choses ?
M. Jean-Paul Proust
- Vous parlez bien du stockage et non pas de la
totalité de la chaîne ?
M. le Président
- Je parle du stockage et de la destruction,
puisqu'il va bien falloir détruire derrière.
M. Jean-Paul Proust
- Si on le décompose, le prix du stockage
varie entre 50 et 100 F la tonne par trimestre, ce qui fait un prix moyen de
l'ordre de 80 F par trimestre ou de 300 F par an. On voit qu'à raison de
300 F la tonne par an, si nous arrivons, comme je l'espère, à ne
pas dépasser 300 000 tonnes, cela fait de l'ordre de 100 millions sur
les deux milliards que coûte toute la chaîne.
On peut faire la règle de trois. Si on doit aller jusqu'à 500 000
tonnes, il faudra 150 millions.
M. Georges Gruillot
- Vous avez parlé de l'utilisation des
déchets crus. Nous avons vu qu'à la Cooperl, à Lamballe,
on vient de lancer une usine, que nous avons visitée, où on
détruit tous les résidus des abattoirs de porcs,
c'est-à-dire toutes les saisies et les morceaux à
éliminer, que l'on utilise pour faire chauffer un immense four dans
lequel on fait de la transformation en granulés pour engrais. Cela
existe déjà à Lamballe et nous l'avons vu fonctionner.
M. le Président
- Cela fonctionne.
Monsieur le Préfet, nous vous remercions d'avoir répondu à
notre convocation et de nous avoir donné tous ces renseignements. Nous
ne manquerons pas de vous interroger à nouveau en cas d'évolution
ou si nous avons besoin de renseignements.
Audition de M. Benoît ASSEMAT, Président du Syndicat
national
des vétérinaires inspecteurs de l'administration
(SNVIA)
(17 janvier 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Benoît
Assemat, merci d'avoir répondu à notre convocation. Je rappelle
que vous êtes ici en tant que président du Syndicat national des
vétérinaires inspecteurs de l'administration.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Assemat.
M. le Président
- Dans un premier temps, je vais vous demander
d'exprimer, au cours d'une introduction liminaire, la position du syndicat que
vous représentez par rapport à l'ensemble du problème qui
est posé par les farines animales et le problème sous-jacent de
l'ESB.
M. Benoît Assemat
- J'ai prévu de faire cette intervention
liminaire en trois temps : le premier pour rappeler rapidement le
rôle des vétérinaires inspecteurs dans le contrôle
sanitaire des filières animales ; le deuxième pour faire un
bref rappel sur l'histoire récente des services
vétérinaires et la place du contrôle des farines animales
dans le dispositif administratif ; le troisième pour exprimer un
point de vue sur les conséquences sanitaires de l'utilisation des
farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage.
Sur le premier point, le rôle des vétérinaires inspecteurs
dans le contrôle sanitaire des filières animales, vous savez que
les vétérinaires assument cette fonction dans presque tous les
pays du monde. C'est la formation initiale des vétérinaires, qui
associe des compétences en matière de zootechnique et des
connaissances des productions animales à des compétences
médicales, qui prédispose particulièrement les
vétérinaires à agir en matière de contrôle
sanitaire des filières animales.
Je rappelle qu'en France, nous avons, en plus de cette formation initiale des
vétérinaires, une formation spécialisée d'une ou
deux années qui est effectuée à l'Ecole nationale des
services vétérinaires et qui apporte surtout des connaissances en
matière juridique et en matière de gestion des ressources
humaines.
Enfin, je tiens à dire que les vétérinaires inspecteurs
exercent, sur cette base d'une expertise technique vétérinaire et
cette formation spécialisée, des fonctions d'expertise, de
direction et d'encadrement qui, comme vous le savez, s'exercent principalement,
dans la grande majorité, à la Direction générale de
l'alimentation et dans les Directions des services vétérinaires
qui existent dans chaque département.
Ces missions recouvrent toute une série d'éléments que je
citerai rapidement : la sécurité sanitaire des aliments dans
les filières animales, le bien-être des animaux, les mesures de
prévention et de lutte contre les maladies animales ainsi que les
mesures qui ont trait à la protection de l'environnement dans le rapport
entre les animaux et les industries alimentaires. Toutes ces missions sont
regroupées sous le concept de "santé publique
vétérinaire" et concourent au bien-être de l'homme sous
toutes ses formes : le bien-être physique, moral et social.
La sécurité sanitaire de l'alimentation n'est pas la seule
concernée. Les autres aspects, notamment ceux qu'attend le citoyen en
matière de bien-être animal et de protection de l'environnement,
sont couverts par les services vétérinaires.
Cette présentation préliminaire me conduit à
évoquer très rapidement l'histoire récente des services
vétérinaires et la place du contrôle des farines animales
dans le dispositif.
Je voudrais tout d'abord rappeler ici que c'est grâce à la loi du
8 juillet 1965, qui a créé un service d'Etat d'hygiène
alimentaire, que nous sommes dans la situation actuelle. Cette loi avait une
très grande ambition que l'on aurait presque eu tendance à
oublier ensuite. Cette grande ambition existait dès le départ car
elle ne limitait pas le service d'Etat à prendre en charge l'inspection
qui existait dans les services municipaux. Cette loi a constitué un
service d'Etat à partir des services municipaux d'inspection.
Il n'a pas été seulement question de l'inspection dans les
abattoirs : dès le départ, le législateur a voulu
organiser une inspection sanitaire sur toute la filière de la viande,
depuis les marchés attenants aux abattoirs jusqu'à la remise des
denrées aux consommateurs, et non pas seulement dans la filière
viande, puisque le législateur a prévu que ce contrôle
devait être effectué sur toutes les denrées alimentaires
d'origine animale, quelles qu'elles soient.
C'est une très grande ambition qui a été fixée
à l'époque --je le répète--avec un objectif
très clair de protection de la santé publique. Ce sont les
premiers mots de cette loi du 8 juillet 1965 : « dans
l'intérêt de la protection de la santé publique, il doit
être procédé à l'inspection sanitaire ».
Dès le départ, en 1965, parce qu'il s'agissait uniquement de la
santé publique, des discussions ont eu lieu sur le ministère de
tutelle qui devait être retenu.
Je terminerai l'évocation de cette loi, en vous indiquant qu'elle avait
organisé (c'était la conception de l'époque ;
personne ne l'avait imaginé) un contrôle unifié sur les
filières animales, depuis l'animal vivant entrant dans l'abattoir
jusqu'au consommateur, mais n'avait pas prévu le contrôle
sanitaire en amont de l'abattoir, dans les élevages ou dans les usines
d'alimentation animale. Le législateur, à l'époque,
n'avait donc pas pensé que le contrôle sanitaire devait remonter
si haut. En 1964, on a conçu un dispositif à partir des
marchés attenants aux abattoirs de l'époque jusqu'au
consommateur. C'était le but de cette loi.
J'ajouterai que le rattachement au ministère de l'agriculture, qui a
finalement été retenu, a permis, dans les départements, de
constituer les directions des services vétérinaires telles que
nous les connaissons maintenant, en additionnant ce nouveau service d'Etat
d'hygiène alimentaire au Service départemental des
épizooties et aux laboratoires vétérinaires qui ont
été créés à cette période. Nous avons
eu, à cette période, au 1er janvier 1968, la constitution des
directions des services vétérinaires que nous connaissons
maintenant.
Cette loi était très ambitieuse. Ensuite, durant toutes les
années 70, une réglementation sanitaire très importante a
été élaborée. Elle portait sur tous les
établissements agro-alimentaires et même sur la restauration
commerciale par un arrêté de 1980, ce qui montre bien que l'esprit
de cette loi était d'organiser un contrôle sanitaire sur toute la
chaîne alimentaire. Cependant, je dois dire aujourd'hui que les moyens
qui ont été consacrés par les pouvoirs publics pour
organiser ce contrôle sanitaire n'ont pas été à la
hauteur des ambitions qu'avait voulues le législateur en 1965.
L'organisation que je représente aujourd'hui a constamment
dénoncé, en tout cas depuis plus de dix ans, l'insuffisance des
moyens qui ont été consacrés par les pouvoirs publics pour
réaliser cette grande ambition qui avait été celle du
législateur dans les années 60.
A cette époque, une chose extrêmement positive a été
obtenue : l'unification du contrôle sanitaire dans les
filières animales, l'unification de l'animal vivant pour ce qui touche
aux maladies animales jusqu'au consommateur, sauf pour le thème qui vous
intéresse et qui est celui du secteur de l'alimentation animale.
Je dirai donc quelques mots sur ce secteur de l'alimentation animale.
Jusqu'à la loi d'orientation agricole, qui a été
votée il y a dix-huit mois, deux services administratifs avaient des
fonctions complémentaires pour le contrôle de l'alimentation
animale. Je veux dire par là que le Code rural et les services
vétérinaires avaient en charge la partie liée à la
transformation des déchets animaux, c'est-à-dire le
contrôle sanitaire au niveau des équarrissages, et
également le contrôle de l'importation de ces déchets
animaux.
En revanche, le contrôle de l'utilisation des farines animales, terme qui
est stipulé dans l'intitulé de la commission d'enquête,
c'est-à-dire l'intervention dans les usines d'alimentation animale, n'a
jamais été prévu puisqu'aucun pouvoir n'était
prévu à ce titre pour les agents des services
vétérinaires. C'est donc sur la base du code de la consommation
que la Direction générale de la concurrence, de la consommation
et de la répression des fraudes a organisé le contrôle
sanitaire de l'utilisation des farines animales.
Voilà ce que je devais dire sur ce cas tout à fait particulier de
l'alimentation animale et la matière dont, jusqu'à la loi
d'orientation agricole, les choses étaient organisées.
Cela me conduit à évoquer devant vous les relations entre les
services vétérinaires et les services de la Direction de la
concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ainsi
que l'articulation des activités de ces deux services.
Selon une idée reçue qui est largement partagée, puisqu'on
lit cela très souvent, les services vétérinaires auraient
en charge l'amont de la filière et la DGCCRF aurait en charge l'aval,
c'est-à-dire la remise au consommateur. Cette idée reçue
est une conception qui prévaut depuis de longues années et qui a
conduit jusqu'à aujourd'hui à cette conception qui veut que l'on
considère que le contrôle sanitaire est de la compétence de
plusieurs ministères et qu'il faut donc organiser
l'interministérialité au niveau local en mettant en place ces
pôles de compétences qui se développent depuis quelques
années.
Je tiens à exprimer aujourd'hui mon point de vue sur le fait que la
réalité juridique est différente de cela, en tout cas sur
ce qui touche les filières animales. En effet, il ne fait pas de doute
--et je reviens sur la volonté du législateur de 1965-- que le
rôle des services vétérinaires, en appliquant le code
rural, est d'organiser un contrôle sanitaire du respect des règles
tout au long des filières animales et que ce respect des règles
sanitaires est assuré beaucoup plus par des mesures de police
administrative qui ont un but préventif. En effet, pour assurer la
sécurité de la population, il faut prendre des mesures
préventives. Ces mesures de police administrative sont très
développées dans les services vétérinaires qui
l'appliquent prioritairement, car on dispose d'un code rural qui a
élaboré une réglementation sanitaire spécifique.
Le rôle de la Direction générale de la concurrence, de la
consommation et de la répression des fraudes, sur la base du code de la
consommation et, notamment, du titre I relatif à la conformité
des produits, celui qui prévoit le délit de tromperie et de
falsification, est un contrôle des règles en matière de
loyauté des transactions commerciales. Ce rôle, qui a pour but de
rechercher les tromperies, y compris en matière alimentaire, est
essentiellement fondé sur la police judiciaire et a un but
répressif mais, pour ce qui concerne les filières animales, du
fait que, sur la base du code rural, une réglementation sanitaire a
été élaborée pour toutes les filières
animales, cela signifie, en droit administratif, que ce sont ces règles
sanitaires d'un droit administratif spécial qui prévalent sur les
règles générales qui sont celles du code de la
consommation.
En matière de filières animales, il est faux de dire que les
services vétérinaires ont en charge l'amont des aspects
sanitaires et que la DGCCRF a en charge l'aval. Cette situation a
été dénoncée à plusieurs reprises et j'ai
prévu de citer deux extraits d'un rapport récent de l'Ecole
nationale de l'administration qui a travaillé sur ce thème de
l'interministérialité au niveau local :
« Le fait que la sécurité alimentaire se
caractérise par un enchevêtrement des compétences est donc
un obstacle considérable à sa gestion
interministérielle ».
« L'interministérialité au niveau local devrait
consister à mettre en oeuvre de manière coordonnée des
compétences distinctes exercées par des services
différents mais intervenant dans un même domaine, comme c'est le
cas de la politique de la ville à celle de l'eau ».
Il serait beaucoup plus sain d'organiser le travail sur des bases d'objectifs
complémentaires de chaque service plutôt que de continuer à
dire que le respect des règles sanitaires est une fonction
attribuée à plusieurs administrations et qu'elles n'ont
qu'à se mettre ensemble pour l'organiser.
Je crois en réalité que la vraie politique
interministérielle au niveau local qui pourrait être mise en place
devrait porter sur l'alimentation et non pas sur le respect des règles
sanitaires. Je veux dire par là que différents aspects doivent
être arbitrés au niveau local : les aspects sanitaires, les
aspects économiques, qui sont portés par l'administration de
l'agriculture, la DDA, les aspects liés à la loyauté des
transactions, les aspects liés à l'état de santé
des populations, un domaine sur lequel la France rattrape son retard sur le
plan de la surveillance des maladies humaines, et, enfin, les aspects
nutritionnels.
On pourrait imaginer que, si on rassemblait des services qui ont des
compétences distinctes (je veux dire par là très
précisément que les services vétérinaires ont en
charge le respect des règles sanitaires et que les services de la
répression des fraudes pour les filières animales ont en charge
d'abord le respect en matière de loyauté des transactions
commerciales), on pourrait faire travailler de manière beaucoup plus
profitable l'ensemble des services plutôt que d'organiser un genre de
concurrence qui conduit soit à des doublons dans l'organisation du
dispositif soit, plus grave, à des trous dans le dispositif. En effet,
en disant que chacun organise le respect des règles sanitaires, cela
permet à chacun d'organiser les choses comme il le veut, ce qui
entraîne des trous dans le dispositif en matière de respect des
règles sanitaires, dans les départements, compte tenu de
l'insuffisance des moyens.
Voilà ce que je souhaitais dire sur l'organisation administrative et sur
la partie liée au contrôle de l'utilisation des farines animales.
Je souhaite terminer cette présentation par un point de vue qui sera
plus personnel que celui de l'organisation que je représente. Il s'agit
d'un point de vue sur les conséquences sanitaires de l'utilisation des
farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage. Je dis bien
que c'est un point de vue plus personnel car notre organisation, le Syndicat
des vétérinaires inspecteurs, n'a pas pour tradition de se
positionner pour commenter les décisions qui sont prises par le pouvoir
politique en matière de respect des règles sanitaires. Je veux
dire par là que nous ne commentons pas l'opportunité ou non de
telle ou telle mesure. Nous sommes sur un terrain où nous attirons
l'attention de notre ministère de tutelle, lorsque qu'il le faut, sur
l'insuffisance des moyens, par exemple, ou sur des problèmes d'ordre
général, mais pas sur le contenu. Ce que je vais vous dire
là est donc un point de vue personnel mais c'est aussi celui du
professionnel puisqu'il est lié à mon activité
professionnelle.
Je rappellerai que les mesures qui ont été arrêtées
en avril 1996 puis à la fin du mois de juin sont tout à fait
essentielles pour la protection du consommateur. D'ailleurs, quand on se
replonge dans les missions d'information parlementaires de l'époque, on
s'aperçoit que l'on jugeait ces mesures excessives et que les questions
qui étaient posées portaient plutôt sur le
côté excessif de ces mesures.
Je tiens donc à dire que les farines animales qui sont utilisées
ou qui ont été utilisées récemment n'ont rien
à voir avec celles qui étaient utilisées avant 1996,
à savoir celles qui sont mises en cause dans l'évolution de
l'encéphalopathie spongiforme bovine. En effet, vous savez que les
animaux les plus jeunes confirmés actuellement -il y en a cinq ou six-
sont nés en janvier 1996 et qu'il n'y a pas d'animaux plus jeunes
confirmés. Cela fait donc cinq ans maintenant, de janvier 1996 à
janvier 2001.
L'efficacité de ces mesures arrêtées en 1996, à mon
avis, n'a jamais été remise en cause. Au contraire, il me semble
que, plus le temps passe, plus il se confirme que ces mesures ont
été efficaces. Je veux dire par là, sans être un
expert du dossier, qu'au cours des années précédentes,
bien qu'il y ait eu beaucoup moins de cas déclarés qu'en l'an
2000, au cours du dernier trimestre de chaque année civile, on a eu
l'apparition des nouveaux cas d'ESB de la nouvelle génération
d'animaux : des animaux âgés de 4 ans. Nous avons
observé systématiquement, en 1997, 1998 et 1999, l'apparition
d'une nouvelle génération d'animaux contaminés. Nous ne
l'avons pas observée en l'an 2000 alors qu'il y a eu plus de 150 cas
déclarés.
Je vous répète que les derniers cas remontent à des
animaux qui sont nés en janvier 1996.
Cela me paraît extrêmement important. C'est pourquoi je pense que
les mesures qui ont été arrêtées récemment
par le gouvernement répondent d'abord à l'inquiétude et
à la crise de confiance qui s'est déclenchée au sein de
l'opinion publique. C'est une décision politique qui n'a d'ailleurs pas
à répondre qu'à des considérations scientifiques.
Il est parfaitement légitime que ces décisions répondent
à des considérations socio-économiques et il est vrai que,
si la société et les consommateurs ne veulent plus que les
animaux qu'ils consomment soient eux-mêmes alimentés à
partir des farines animales, on peut comprendre qu'on ait interdit ces farines
animales, mais j'estime que la justification sanitaire est faible et ne peut
apporter qu'une amélioration marginale à la
sécurité sanitaire de l'alimentation des animaux
d'élevage, compte tenu de l'importance considérable de ce qui a
été arrêté en 1996.
Cependant, nous saurons mieux, dans quelques mois, si ces mesures se
révèlent particulièrement efficaces, sachant que c'est au
fil du temps que la sécurisation s'est améliorée. En
effet, au début de 1998, on a franchi une nouvelle étape pour la
sécurisation des farines animales, mais je pense que, dès
l'année 1996 et la mise en place du service public
d'équarrissage, on a divisé dans des proportions
considérables le risque que représentait l'utilisation des
farines animales dans les filières d'alimentation des porcs, des
volailles et des poissons.
Je terminerai cette troisième partie en faisant une remarque sur la
notion de « farines animales ».
Si on parle des farines animales qui étaient fabriquées avant le
printemps 1996, c'est-à-dire celles qui sont mises en cause pour les cas
d'ESB que nous connaissons maintenant et qui étaient
élaborées à partir de cadavres d'animaux, j'attire votre
attention sur le fait que la production qui était faite à partir
de cette matière première contenant des cadavres d'animaux
conduisait à produire un genre de produit brut que l'on appelle la
« farine grasse », une farine contenant 20 à
30 % de matières grasses. Ce produit brut n'était pas
utilisé en tant que tel dans l'alimentation : il faisait l'objet
d'un traitement qui conduisait à avoir, d'une part, des farines
dégraissées, qui sont les farines animales dont on parle
couramment, des farines très riches en protéines et
dégraissées à un certain taux et, d'autre part, des
graisses d'équarrissage qui étaient normalement utilisées
dans l'alimentation des animaux d'élevage et des ruminants
jusqu'à la mise en place du service public d'équarrissage.
Il me semble qu'il y a parfois une confusion entre les farines animales et ces
farines grasses. Le produit brut que sont les farines grasses conduit à
deux produits : les farines et les graisses d'équarrissage. Je le
dis parce que le prion, comme tout le monde le sait, je pense, est une
protéine dont le caractère hydrophobe est très
marqué. Comme les scientifiques le savent et comme l'indiquent tous les
traités de biochimie, la protéine du prion est très
hydrophobe, c'est-à-dire liposoluble, ce qui n'étonnera pas ceux
qui savent où elle se trouve. En effet, elle se trouve dans le
système nerveux central, une matière qui est d'abord
constituée de lipides.
Je n'ai personnellement jamais vraiment pensé que l'on avait
suffisamment approfondi le rôle qu'avait pu jouer cette protéine
liposoluble dans l'apparition des cas que nous constatons maintenant et qui
surviennent sur des animaux nés essentiellement en 1993, en 1994 et en
1995.
En guise de conclusion, je dirai qu'il me paraît tout à fait
essentiel de préserver absolument l'unité du contrôle
sanitaire dont nous avons la chance de bénéficier en France
depuis 1968, depuis l'unité de la santé animale jusqu'à
l'hygiène des denrées remises aux consommateurs. J'affirme qu'il
n'y aurait rien de pire que de rattacher le contrôle sanitaire
effectué sur les animaux, comme cela a été le cas dans
beaucoup de pays d'Europe qui en paient les conséquences maintenant en
découvrant très tardivement leurs cas d'encéphalopathie
spongiforme bovine, à un ministère de tutelle, par exemple au
ministère de l'agriculture, et le contrôle sanitaire
effectué à partir de l'abattoir à un autre
ministère de tutelle, car on romprait l'unité du contrôle
sanitaire qui est ce que nous avons de plus précieux et de plus efficace
dans l'organisation de notre dispositif.
Enfin, je tiens à répéter que le syndicat que je
représente a toujours défendu l'organisation de ce contrôle
sanitaire unifié indépendant des services chargés de
l'appui économique aux filières animales. Le SNVIA défend
depuis 1984 une conception du contrôle sanitaire qui conduit à ne
pas se placer dans la situation d'être juge et partie. Ce combat, qui a
été mené dès 1985 par l'organisation que je
représente et qui a été difficile à mener et
très long (nous sommes maintenant quinze ans après), a
commencé à porter ses fruits après la première
crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine de mars 1996.
Nous constatons que tous les ministres de l'agriculture successifs, depuis
M. Philippe Vasseur jusqu'à M. Louis Le Pensec et M. Jean Glavany,
se sont efforcés de préserver la qualité du contrôle
sanitaire et son indépendance par rapport à l'appui
économique aux filières. Cependant, je tiens à dire qu'il
reste encore beaucoup d'efforts à faire pour arriver au bout de cette
démarche.
M. le Président
- Merci. Je vais demander à notre
rapporteur, M. Bizet, de poser la première question.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- J'aurai trois questions à l'adresse
du président du Syndicat national des vétérinaires
inspecteurs.
La première m'amènera à revenir sur les derniers propos
que vous venez de tenir, monsieur Assemat, concernant votre approche
personnelle au sujet des conséquences de l'utilisation des farines sur
la santé animale. J'aimerais savoir quelle est votre analyse personnelle
sur les conséquences de cette utilisation sur la santé humaine.
Vous n'êtes pas un épidémiologiste, certes, mais vous avez
certainement une idée personnelle de la question.
J'ai une deuxième question. Nous avons bien compris que vous
dénoncez (nous sommes d'accord avec vous et nous avons été
plusieurs, sur ces bancs, à le dénoncer lors de l'examen du
projet de loi de finances 2001 dans le budget de l'agriculture) l'insuffisance
des moyens humains mis à disposition. On avait noté à
l'époque cinquante créations de postes pour le secteur de la
sécurité alimentaire contre 410 pour la gestion des aides
agricoles et des contrats territoriaux d'exploitation. Etes-vous satisfait du
projet de loi de finances 2000 dans sa version finale ?
Troisième question : pensez-vous que le retrait des
matériels à risques spécifiés est aujourd'hui
effectué correctement dans les différents abattoirs et quels sont
vos moyens pour contrôler les carcasses importées ? C'est
aussi un problème important. Nous avons noté au travers des
différentes auditions que l'identification pérenne des animaux,
en France, est d'une grande qualité et d'une grande fiabilité
--il faut le dire--, surtout par rapport à certains pays, notamment le
Royaume-Uni, où on ne faisait pas d'identification pérenne il y a
encore quelques années. Nous pouvons donc nous vanter, en France,
d'avoir été des pionniers sur ce point, notamment pour
éradiquer un certain nombre de maladies réputées
légalement contagieuses.
Cela étant, l'identification des carcasses, notamment quand on
s'adresse, au fur et à mesure de l'aval, à la restauration
collective et la restauration hors foyers, laisse à désirer.
Quelles sont donc aujourd'hui vos analyses en matière d'importations et
en matière d'identification et de traçabilité sur les
carcasses importées ?
M. Benoît Assemat
- Sur le premier point, à savoir les
conséquences sur la santé humaine, je pense comme beaucoup
d'experts que le risque sanitaire est derrière nous, qu'il s'est
essentiellement produit avant 1996, avant que l'on retire de l'alimentation
humaine les organes qui renferment le prion, principalement le système
nerveux central et la liste des organes qui a été
augmentée.
Je pense en revanche que les conséquences sont encore devant nous, ce
qui est difficile à comprendre pour la population. Je pense que, depuis
1996, le risque qui existait auparavant fait l'objet de beaucoup d'incertitudes
quant à son importance, mais j'ai vu récemment qu'une expertise
française évoquait un ordre de grandeur de 10 à
300 cas au cours des soixante prochaines années. Ce sont les
estimations qu'a livrées Mme Alpérovitch avec un groupe
d'experts, soit une fourchette très large, avec une moyenne maximum de
cinq cas par an au cours de chacune des soixante prochaines années.
Je pense en tout cas que c'est très probablement avant 1996 que la
contamination s'est produite et que les mesures prises en 1996, quelle que soit
l'importance du nombre de cas, ont à mon avis diminué dans des
proportions considérables le risque d'exposition de la population. Je
n'en connais pas les proportions. Est-ce un rapport de cent, de mille ou de dix
mille ? Les proportions sont en tout cas considérables.
Je ne pense donc pas qu'il y ait de risques réels, même si le
risque zéro est poursuivi, parce que c'est la nature humaine. A mon
avis, il n'y a plus maintenant de nouveaux risques à prévoir. Il
n'y a que les conséquences du risque passé.
Votre deuxième question concerne l'insuffisance des moyens humains.
Effectivement, notre organisation avait décidé, au cours des
derniers mois, de porter l'accent sur ce point. L'actualité a fait que
le ministère de l'agriculture et le gouvernement ont apporté une
réponse tout à fait concrète par la mise en place de ce
plan pluriannuel de trois cents emplois dans les services
vétérinaires. Il ne s'agit pas uniquement d'emplois de
vétérinaires inspecteurs, car il faut aussi des techniciens, des
agents administratifs et des ingénieurs. Ce plan de trois cents emplois
sur deux ans prévus pour le plan ESB est important car il sature les
capacités de formation du ministère de l'agriculture.
En revanche, nous demandons, même si nous savons que c'est difficile, que
la réflexion ne soit pas limitée au dossier de l'ESB ni aux
seules deux prochaines années. Nous estimons qu'il y a un
véritable défi à relever pour organiser un contrôle
sanitaire moderne. Il ne s'agit pas de mettre un gendarme derrière
chaque entreprise, évidemment, mais nous pensons qu'il y a un
défi important à relever et qu'il faut voir au-delà des
deux ans qui viennent.
Nous souhaiterions que la réflexion soit menée au cours des cinq
à dix ans qui viennent pour mettre en place un grand service public de
contrôle de la sécurité alimentaire de l'alimentation et
que l'on prévoie, sur un plan pluriannuel plus important, les moyens qui
devraient correspondre à ce qu'attend la société et aux
besoins du service public. Voilà ce que nous pensons sur ce dispositif.
Quant au retrait des matériels à risques spécifiés,
de même que toutes les mesures de lutte contre l'ESB, c'est la
priorité des services vétérinaires sur le terrain.
Cependant, vous savez ce qu'est une moelle épinière qui se trouve
dans le canal rachidien d'un bovin. Le fait même de fendre la carcasse
à l'abattoir en passant par le canal médullaire et de retirer
à la main les morceaux de moelle épinière pour les mettre
dans un petit sac montre que tous les efforts sont faits pour retirer les
matériels à risques spécifiés dans les meilleures
conditions possible mais qu'il y a certainement encore des marges pour faire
mieux.
Il s'agirait notamment de mettre en relief la nécessité d'un
échelon intermédiaire de pilotage de l'activité des
services qui n'existe pas actuellement. Entre la Direction
générale de l'alimentation et les Directions
départementales des services vétérinaires, il n'y a pas
--et cela fait défaut-- un échelon intermédiaire de
pilotage qui pourrait être une délégation
interrégionale à la sécurité sanitaire des aliments
et qui aurait pour but de réaliser une expertise afin de diriger les
choses sur le plan technique. En effet, vous savez comment cela se passe :
les personnels sont très sollicités et chacun est à son
poste dans son abattoir ou dans son département alors qu'il serait
souhaitable d'avoir une coordination plus effective pour améliorer
encore le dispositif.
Cependant, je pense que tous les efforts sont faits, dans les conditions
actuelles, pour retirer les matériels à risques
spécifiés.
Enfin, sur votre dernière question relative au contrôle des
carcasses importées, je tiens d'abord à dire que le terme
"importées" peut avoir deux sens. En effet, en matière
d'importations de pays tiers, un contrôle est organisé au niveau
des postes d'inspection frontaliers. Il est systématique mais il ne
concerne que ce qui rentre des pays tiers. En revanche, si on parle
plutôt de ce qui se passe en pratique avec les échanges
intracommunautaires, qui ne font pas l'objet de contrôles
systématiques, comme vous le savez, il est vrai qu'il y a une attente de
traçabilité.
Je tiens donc à revenir sur ce que j'ai dit dans ma présentation.
Nous sommes en effet devant deux sujets différents.
Le premier porte sur la sécurité sanitaire des aliments. Il faut
savoir que tous les produits qui sont proposés au consommateur, qu'ils
soient labellisés ou non, qu'ils soient d'origine allemande, espagnole
ou française, qu'ils soient proposés à un prix bas de
gamme ou qu'il s'agisse de produits réservés à des gens
plus aisés, doivent répondre à un degré
élevé de sécurité.
Le deuxième sujet ne concerne pas la sécurité mais
l'identification du produit. Il est légitime de demander qu'il y ait de
la viande française dans une collectivité, mais autre chose est
de le garantir. Lorsqu'il y a une tromperie, par exemple, sur une viande qui
serait déclarée française alors qu'elle viendrait
d'Allemagne, c'est évidemment un délit qui peut être
poursuivi (il s'agit là de la loyauté des transactions
commerciales), mais la viande qui vient d'un autre pays d'Europe, sauf si c'est
celle de l'embargo dont fait l'objet le Royaume-Uni, répond aux
critères de salubrité de la même manière que la
viande française, car le principe, dans un marché unique, c'est
la réciprocité et la confiance mutuelle entre les services de
chaque Etat-membre.
Il y a sûrement des efforts à faire en ce moment car il y a
peut-être des fraudes en matière d'importations de carcasses et je
ne sais pas exactement à quoi vous faites référence, mais
j'insiste bien sur le fait qu'à mon avis, il n'est pas bon de
mélanger la segmentation qualitative des marchés à la
sécurité sanitaire des denrées alimentaires. Cette
confusion est faite de plus en plus souvent. Malheureusement, le consommateur
croit de plus en plus que, pour avoir un produit de qualité qui soit
sûr pour lui, il doit aller vers une filière de garantie
qualitative, vers un label ou un produit de l'agriculture biologique, ce qui
est à mon avis un défaut majeur dans la compréhension
actuelle.
Je pense qu'il serait extrêmement important, à chaque fois qu'on
le peut, de bien distinguer ce qui relève de la sécurité
sanitaire de ce qui relève de la loyauté des transactions. On en
revient à ce que j'ai dit tout à l'heure sur la confusion des
genres entre les fonctions de deux administrations. Cette confusion existe
à tous les niveaux, et même dans le code rural tel qu'il avait
été voté en 1965. Je me permets cette digression car elle
m'a beaucoup intéressé : le rapporteur du Sénat de
cette loi qui, en 1965, avait créé le service d'Etat
d'hygiène alimentaire, avait lourdement insisté pour supprimer le
terme "qualitatif" des fonctions du service. Au lieu d'avoir la notion
d'inspection sanitaire et qualitative, le Sénat, par la voix de M.
Victor Golvan, avait demandé à plusieurs reprises que l'on retire
le terme "qualitatif" car il entraînait une confusion par rapport
à l'objectif de protection de la santé publique.
C'est l'Assemblée nationale qui a eu le dernier mot et c'est pourquoi on
trouve aujourd'hui dans le texte cette notion d'inspection "sanitaire et
qualitative" qui est désuète et qui n'a d'ailleurs plus de sens
aujourd'hui. Cependant, il est assez intéressant de se rendre compte que
ces débats ont eu lieu, il y a trente-cinq ans, entre l'Assemblée
nationale et le Sénat à l'occasion de l'examen de cette loi.
M. le Rapporteur
- Je voudrais revenir sur cette dernière
question, que je vous reposerai à l'envers : êtes-vous
satisfait, aujourd'hui, des contrôles des carcasses importées des
pays tiers ?
M. Benoît Assemat
- Sur les pays tiers, à mon avis, il n'y
a pas de problème. Pour le peu que j'en connaisse, à partir du
moment où, en 1993, on a ouvert les frontières internes du
marché unique européen et où on a non seulement
concentré les moyens existants auparavant pour le contrôle des
pays tiers mais structuré de manière très importante le
contrôle des pays tiers par le contrôle dans les postes
d'inspection frontaliers, je pense que si un secteur est bien
maîtrisé et parfaitement cadré (c'est le seul dans ce cas
par rapport au niveau communautaire et au niveau national), c'est bien celui du
contrôle par rapport aux pays tiers, ce qui ne veut pas dire qu'il ne
puisse pas y avoir de fraudes.
En revanche, en ce qui concerne le système intracommunautaire, c'est un
autre sujet.
M. le Rapporteur
- Est-ce qu'il vous satisfait ou non ?
M. Benoît Assemat
- Il me paraît satisfaisant, à la
réserve près des moyens disponibles. En effet, quand on
considère la répartition des moyens existant actuellement dans
les services vétérinaires et les effectifs consacrés
à ce contrôle en pays tiers --un peu plus de trente
équivalents temps plein sur 3 850--, on se dit que cela fait très
peu.
Cela dit, quand on a supprimé les contrôle intracommunautaires aux
frontières, c'est une masse considérable de marchandises qui ne
faisait plus l'objet d'un semblant de contrôle. En effet, avant 1965, on
faisait semblant d'organiser le contrôle puisqu'on ne pouvait pas
contrôler systématiquement les camions. Vous connaissez le nombre
de camions qui passaient à « risquons tout »,
à la frontière de la Belgique ou dans d'autres lieux dont le nom
est moins évocateur...
A partir du moment où on ne contrôle que ce qui vient des pays
tiers, ce contrôle est beaucoup plus efficace. C'est un point sur lequel
les services de l'Etat fonctionnent très bien.
Cependant, sur l'alimentation animale, ce n'est qu'en février 2000 que
les marchandises venant des pays tiers ont fait l'objet de ce contrôle.
En effet, avant la loi d'orientation agricole, l'alimentation animale en
général, mises à part les farines animales, n'était
pas soumise à la réglementation sanitaire
vétérinaire. Seules les farines animales ont toujours
été soumises à un contrôle sanitaire.
M. Paul Blanc
- Si je comprends bien, les contrôles qui sont
opérés chez les industriels de la nutrition animale afin
d'examiner les risques de contamination croisée ne sont pas de votre
ressort mais plutôt du ressort de la concurrence et des prix.
M. Benoît Assemat
- En fait, c'est plus compliqué que cela
car il y a des compétences croisées. Les agents des services
vétérinaires sont également habilités à
contrôler ce qui relève du code de la consommation. Ce sont des
agents de la répression des fraudes au même titre que les agents
de la DGCCRF, de même que les agents de la DGCCRF sont habilités
à relever les infractions aux textes sanitaires.
Cela étant dit, on n'a parlé des contaminations croisées
qu'à partir de 1997 et 1998. Avant 1996, à ma connaissance,
personne n'évoquait les contaminations croisées. Il est
très clair qu'aucun contrôle à l'usine d'alimentation
animale n'était effectué avant 1996 par les services
vétérinaires départementaux de terrain qui n'en avaient
pas la compétence. C'était un contrôle qui relevait de la
DGCCRF, qui l'organisait de la même manière, sachant que c'est un
service dont le sérieux est reconnu de tout le monde. Simplement, on ne
parlait pas, à cette époque, des contaminations croisées.
Depuis que les cas d'encéphalopathie spongiforme bovine se sont
développés, des enquêtes épidémiologiques
sont menées par les services vétérinaires, notamment par
la Brigade nationale d'enquête vétérinaire et sanitaire, et
ces contrôles amènent les agents des services
vétérinaires à faire des contrôles en matière
d'alimentation animale, mais c'est surtout la loi d'orientation agricole qui,
depuis, a fait progresser les choses sur la base du code rural.
Quand on est dans les services vétérinaires, on a beau savoir
qu'on est aussi agent de la répression des fraudes, en
réalité, on a largement assez à faire en appliquant la
réglementation sanitaire. Par conséquent, quand on est dans une
direction des services vétérinaires, on applique d'abord les
textes qui sont issus du code rural. Autrement dit, jusqu'à une
période récente, on ne contrôlait pas l'alimentation
animale mais l'équarrissage et l'importation des farines animales.
Cependant, les compétences croisées font que la réponse ne
peut pas être aussi carrée. Il y avait des instructions internes
entre le ministère de l'agriculture et le ministère de tutelle
des fraudes qui prévoyaient que les contrôles en usine
d'alimentation animale étaient du ressort de la DGCCRF, que les services
vétérinaires pouvaient contrôler, dans les élevages,
les étiquettes des sacs, par exemple, et qu'en cas de problème,
ils pouvaient transmettre une étiquette à la DGCCRF, cette
administration ayant alors la charge d'organiser le contrôle en usine.
Cela prouve bien qu'il n'était pas prévu que les services
vétérinaires contrôlent les usines. De toute façon,
ils n'avaient pas le droit d'y pénétrer. Si l'agent des services
vétérinaires ne met pas sa casquette d'agent chargé
d'appliquer le code de la consommation, il ne peut pas rentrer dans une usine
d'alimentation animale pour faire un contrôle.
M. Paul Blanc
- La DGCCRF vous demandait-elle d'aller
contrôler ?
M. Benoît Assemat
- Absolument pas. C'est un domaine qui
était particulièrement clair. Nous avons souffert et nous
souffrons encore, sur le terrain, de chevauchements de compétences. En
matière de contrôle de la restauration, on peut en effet se
demander qui contrôle, si cela ne concerne personne ou l'un et l'autre,
si on doit séparer le département en deux, si on doit le faire
selon ses compétences, etc. Toutes les hypothèses existent.
Cependant, dans ce domaine, les choses étaient parfaitement claires. Il
n'est venu à l'idée de personne, à mon avis (en tout cas
pas de moi, sachant que j'étais dans le département des Vosges
puis dans celui de la Corrèze à cette époque), d'aller
dans une usine d'alimentation animale pour cela. C'est un domaine qui
était parfaitement clair.
M. Paul Blanc
- Toujours dans le même esprit, des contrôles
étaient-ils opérés sur les équarrisseurs concernant
la sécurité des farines ?
M. Benoît Assemat
- Les industries d'équarrissage
étaient contrôlées tout d'abord au titre d'installations
classées en matière de protection de l'environnement. Dans tous
les départements, le directeur des services vétérinaires
et ses services étaient chargés d'appliquer cette
réglementation. Les dossiers passaient en conseil départemental
d'hygiène après une enquête publique pour avoir une
autorisation. Les moyens consacrés au contrôle des entreprises
d'équarrissage n'étaient pas très importants mais on ne
peut pas dire qu'il n'y avait pas de contrôle. Simplement, lorsque ce
contrôle se pratiquait, il portait plutôt sur le respect des
règles en matière de protection de l'environnement car il y avait
un arrêté d'autorisation au titre des installations
classées.
Il faut savoir qu'avant 1996, l'industrie de l'équarrissage
n'était rien d'autre qu'une industrie de valorisation de déchets.
Je ne sais pas si vous avez vu ce que récupéraient les
entreprises d'équarrissage : parfois des cadavres d'animaux
décomposés depuis huit jours, ce qui n'est pas
particulièrement ragoûtant. Nous avions donc là une
industrie qui récupérait des déchets, qui les transformait
et qui les valorisait dans des produits vendus ensuite. Sur le plan
hygiénique et sanitaire, il n'y avait pas grand-chose à faire. Il
fallait notamment vérifier l'étanchéité des
camions, par exemple.
M. Paul Blanc
- Y avait-il des contrôles sur les
températures, les conditions de cuisson et le retraits des abats
à risques pour la sécurité des farines ?
M. Benoît Assemat
- Avant 1996, nous n'étions pas dans ce
contexte. Nous avions des équarrissages bruts avec des textes
réglementaires. Le traitement des 133 degrés, vingt minutes
et 3 bars n'était pas pratiqué et la question ne se posait donc
pas de savoir si on pratiquait ce contrôle.
M. Paul Blanc
- Que se passe-t-il depuis ?
M. Benoît Assemat
- Depuis, bien évidemment, ce secteur a
fait l'objet d'un contrôle renforcé. Cependant, si on regarde,
là aussi, les moyens officiellement consacrés (je pense qu'ils
sont de huit équivalents temps plein au niveau national), on se rend
compte de la limite des effectifs consacrés à chaque secteur
d'activité. Désormais, les services vétérinaires se
sont beaucoup mieux organisés pour aller régulièrement
dans les équarrissages et, en tout cas, pour accorder à ce
dossier une attention beaucoup plus grande qu'avant 1996.
Cela dit, je suis mal placé pour répondre, monsieur le
Sénateur, car je n'ai jamais eu, ni dans le département des
Vosges, ni dans celui de la Corrèze, d'équarrissage dans mon
département, ce qui fait que je n'ai jamais pratiqué cela.
M. Paul Blanc
- Ne pensez-vous pas qu'il y a quand même une
certaine opacité dans le secteur de la nutrition animale ?
M. Benoît Assemat
- Vous voulez parler du contrôle ?
M. Paul Blanc
- Je veux parler de l'ensemble de la filière.
M. Benoît Assemat
- Non. Avant 1996, nous avions une industrie de
la valorisation des déchets qui était ce qu'elle était et
qui rendait bien service puisque, lorsqu'il y avait une grève de
l'équarrissage dans les départements, le problème de
santé publique que cela posait était important.
A partir de 1996, progressivement, on a mis en place une double
activité : celle du service public d'équarrissage et celle
de la valorisation des sous-produits avec des garanties sanitaires que je juge
importantes car elles sont essentielles pour protéger la santé
des consommateurs.
Quant à l'opacité sur les farines animales, il faut compter avec
la presse, l'actualité et les enquêtes qui sont menées. Je
n'ai pas plus d'informations que cela.
M. Paul Blanc
- Je parle de l'ensemble de la nutrition animale.
M. Benoît Assemat
- Je n'ai aucun a priori sur le secteur de la
nutrition animale.
M. Paul Blanc
- Enfin, je vous poserai une question personnelle :
quel est votre sentiment sur le système du service public de
l'équarrissage qui, en réalité, fait appel à deux
monopoles ?
M. Benoît Assemat
- C'est une situation très ancienne.
Avant le service public tel que nous le connaissons maintenant, il y avait
déjà des secteurs d'activité. Pour que cette
activité fonctionne, j'imagine que le législateur a voulu
dès le départ qu'il y ait des monopoles d'activité, sans
quoi c'était un peu la foire. Je suis trop jeune pour avoir connu cette
mise en place.
En ce qui concerne le service public d'équarrissage, le fait de faire
appel à des sociétés privées qui sont
chargées d'un service public ne me choque pas. Maintenant, l'aspect des
monopoles n'est pas vraiment notre rayon. Nous n'avons pas vocation à
évaluer, sur le plan économique, la pertinence de telle ou telle
mesure. Y a-t-il une situation de concurrence qui n'est pas suffisamment bien
assurée car le monopole est trop fort ? Je n'ai pas de
compétence pour répondre à cette question.
M. Georges Gruillot
- Je voudrais vous poser deux ou trois questions, si
vous le permettez.
Vous avez répondu tout à l'heure au rapporteur, M. Bizet, si j'ai
bien compris, que vous faisiez tout à fait confiance aux viandes
importées des pays de l'Union européenne. Cela veut-il dire que
vous faites absolument confiance aux services vétérinaires dans
les pays de départ ?
M. Benoît Assemat
- Non. Je veux dire par là que le
principe de base du marché unique européen s'appuie sur la
confiance mutuelle et la réciprocité de l'activité des
différents services.
M. Georges Gruillot
- A titre personnel, faites-vous totalement
confiance aux vétérinaires allemands, espagnols, grecs ou
italiens ?
M. Benoît Assemat
- Voyant ce qui s'est passé sur le
dépistage de l'ESB, notamment en Espagne et en Allemagne, je ne vais
évidemment pas...
M. Georges Gruillot
- Je ne parle pas seulement d'ESB. Je parle en
général. Quand vous avez un papier d'un confrère d'Italie
ou du Portugal, c'est tout bon ?
M. Benoît Assemat
- Je pense qu'il n'y a pas suffisamment
d'harmonisation. Au niveau communautaire, l'espace sanitaire européen
n'est certainement pas encore fait. Un office alimentaire et
vétérinaire intervient régulièrement et sa fonction
est d'aller contrôler l'efficacité des services mis en place par
chaque Etat-membre. Vous savez que lorsque l'office alimentaire et
vétérinaire vient en France --il le fait
régulièrement--, il fait souvent des observations critiques sur
le fonctionnement de notre service national. Il a la même attitude avec
d'autres services.
M. Georges Gruillot
- Ce n'est pas la question que je vous pose. Je vous
demande votre position personnelle. Faites-vous confiance les yeux
fermés à vos collègues des autres pays ? Si c'est
vrai, cela a bien changé... (Rires.)
M. Benoît Assemat
- Je vous réponds à titre
personnel. Je dis oui à partir du moment où des denrées
d'origine animale sont remises aux consommateurs, qu'elles viennent de France,
d'un élevage industriel qui a été nourri avec des facteurs
de croissance ou autre chose ou que ce soit un poulet sous label, un poulet
biologique ou un poulet qui vient d'Espagne ou d'ailleurs. J'estime que l'on ne
peut pas fonctionner normalement s'il n'y a pas une reconnaissance de ce qu'est
la garantie apportée par les services officiels, ce qui ne veut pas dire
qu'il ne faut pas l'améliorer.
Au sein de notre organisation, nous nous battons, dans notre pays, pour
améliorer le service public. Je ne suis pas satisfait du service public
tel qu'il fonctionne en France et je ne connais pas suffisamment le rôle
de contrôle des autres Etats-Membres. C'est celui de l'Office alimentaire
et vétérinaire. Simplement, en tant que consommateur, je ne me
dis pas que je suis plus inquiet...
M. Georges Gruillot
- Je parle au président du syndicat des
vétérinaires inspecteurs et non pas au consommateur. Je comprends
que vous ne puissiez pas me répondre.
M. Benoît Assemat
- Je vous réponds.
M. Georges Gruillot
- J'ai une deuxième question à vous
poser. En 1992, on a interdit, en France, l'utilisation de cervelle
importée majoritairement du Royaume-Uni qui entrait dans des aliments en
France alors qu'elle était interdite depuis 1990 à la
consommation en Angleterre. Vous savez cela. Comment pouvez-vous nous
l'expliquer ? Jusqu'en 1992, en France, on a consommé des cervelles
anglaises, en particulier dans les pots pour bébés.
M. Benoît Assemat
- L'arrêté qui a été
pris en 1992 n'a concerné à ma connaissance que les pots pour
bébés et je ne pense pas qu'avant l'embargo du 21 ou 22 mars
1996, il y ait eu une mesure d'interdiction.
M. Georges Gruillot
- Cette mesure a été prise en 1992 en
France et en 1990 en Angleterre.
M. Benoît Assemat
- Vous parlez des cervelles et moelles
épinières ?
M. Paul Blanc
- Les Anglais, en 1989, ont interdit la commercialisation
des abats chez eux et il a fallu attendre plus de deux ans pour que ce soit
interdit dans notre pays.
M. Benoît Assemat
- Je l'ignorais car, à ma connaissance,
c'est en août 1989 que l'on a interdit, sauf dérogations,
l'importation des farines animales venant du Royaume-Uni. Quant à
l'importation des cervelles ou autres abats à risques, je n'ai pas
connaissance d'un tel texte. Je n'ai connaissance que d'un texte sur les petits
pots pour bébés qui ne venait pas du ministère de
l'agriculture et qui date de 1992 mais, à ma connaissance, c'est de
l'embargo de mars 1996 que date l'acte réglementaire d'interdiction de
l'importation des sous-produits que vous évoquez.
M. Georges Gruillot
- Mais l'interdiction des cervelles dans les pots
pour bébés date bien de 1992 ?
M. Benoît Assemat
- Il ne s'agit pas des cervelles britanniques
mais des cervelles en général.
M. Georges Gruillot
- Il s'agit des cervelles dont la majorité
étaient importées d'Angleterre alors qu'en Angleterre, elles
étaient déjà interdites à la consommation depuis
deux ans.
M. Benoît Assemat
- Je n'ai pas la moindre information sur la
provenance des cervelles qui entraient auparavant dans les petits pots pour
bébés, mais je ne pense pas qu'une mesure ait été
prise à ce sujet en France en 1992, à moins que cela m'ait
échappé. Je n'en ai pas le souvenir.
M. Georges Gruillot
- J'ai une troisième question. J'ai
trouvé que vous étiez très affirmatif quand vous avez dit
que le prion était une protéine liposoluble. En effet, le
professeur Dormont qui, pour nous, est le nec plus ultra des connaissances en
matière de prion, l'est beaucoup moins que vous. Est-ce lui qui est un
peu rétro ou vous qui allez trop vite ?
M. Benoît Assemat
- Vous pouvez consulter tous les traités
de biochimie. Ils disent tous que le prion est une glycoprotéine dont le
caractère hydrophobe est très marqué. Tous les experts le
savent et il n'y a absolument aucun doute là-dessus. Je ne pense pas
qu'un quelconque expert puisse le contester ; ce n'est pas la question.
M. Georges Gruillot
- Je vous interroge simplement là-dessus.
M. Benoît Assemat
- La présence du prion dans les farines
animales n'a jamais été mise en cause. Elle est évidente.
On a toujours mis en cause les farines animales et je ne veux pas contester
leur rôle. Je dis simplement qu'avant 1996, les farines brutes
d'équarrissage conduisaient à un produit qui s'appelle la graisse
d'équarrissage, qui n'est plus utilisée aujourd'hui mais sur
laquelle je n'ai jamais eu de réponse satisfaisante qui me permette de
comprendre pourquoi on ne mettait pas en cause le rôle éventuel
joué par ces graisses d'équarrissage.
M. Paul Blanc
- Si je vous comprends bien, vous pensez que ce sont plus
ces graisses d'équarrissage qui seraient en cause, puisque le prion est
liposoluble, que les farines à base de protéines
elles-mêmes ?
M. Benoît Assemat
- Je ne vais pas si loin que cela. Je dis que la
question ne me semble pas avoir été suffisamment creusée.
En tout cas, lorsque je m'y suis intéressé, je n'ai jamais eu de
réponse qui me paraisse satisfaisante.
M. Georges Gruillot
- J'en viens à ma dernière question
à laquelle vous me répondrez facilement en tant que
président du syndicat : aujourd'hui, quel salaire horaire accorde
l'Etat aux vétérinaires inspecteurs vacataires ? Je voudrais
savoir si cela a beaucoup progressé.
M. Benoît Assemat
- Nous avons eu le grand plaisir de voir que
l'action que nos avions menée au titre du syndicat avait conduit M. Jean
Glavany à demander une revalorisation de plus de 40 % du taux de la
vacation horaire, qui est donc passé de 70 F nets à 100 F
nets au 1er janvier 2001. L'arrêté n'est pas sorti mais il sera
rétroactif au 1er janvier 2001.
Cette augmentation de 40 % conduit donc à rémunérer
un vétérinaire qui est recruté par exemple à 135
vacations par mois, ce qui est un cas relativement fréquent qui
correspond à 80 % de mes confrères, sur la base de 13 500 F,
ce qui est beaucoup mieux que 9 200 F nets. Nous dénoncions cette
situation qui nous paraissait tout à fait scandaleuse. Nous avions
indiqué que, pour nous, c'était une insulte au rôle
joué par les vétérinaires en matière de
contrôle sanitaire.
M. Georges Gruillot
- Nous allons y réfléchir.
M. le Rapporteur
- Vous avez dit tout à l'heure que les risques
en matière de contamination humaine étaient un problème
qui relevait plutôt du passé qu'autre chose en relevant que la
date fatidique de 1996 pour les retraits de matériels à risques
spécifiés était importante, ce qui est vrai. Cela
étant, je reste marqué par cette notion d'incorporation de
cervelles dans les pots pour bébés jusqu'en 1992, ce qui
m'amène à être moins rassurant, en termes de prospectives
épidémiologiques, que Mme Alpérovitch. Je suis quand
même assez inquiet.
Quand on écoute également Mme Jeanne Brugère-Picoux, qui
souligne que, jusqu'en 1994-1995, nous avons importé des tonnages
importants d'abats d'origine britannique, on peut peut-être se dire que
le danger est derrière nous mais que de nombreux cas humains sont
terriblement devant nous.
Je repose donc indirectement la question que vient de vous poser mon
collègue Gruillot en ce qui concerne les mouvements intracommunautaires
et, en particulier, sur les quantités d'abats et de carcasses provenant
d'Angleterre en 1994-1995. Je crois avoir les chiffres précis en
tête : il y avait à cette époque environ 220 000
tonnes de viandes anglaises exportées, dont environ 50 %
étaient importées en France.
Je suis désolé, mais il faut bien admettre que les Anglais ont
interdit unilatéralement, chez eux, les farines, les carcasses ou les
matériels à risques spécifiés mais qu'ils ont tout
fait pour les exporter. C'est un point fondamental que la commission va
creuser. Quelle est votre analyse sur ce point ?
M. Benoît Assemat
- Je la partage totalement. J'ajoute qu'à
mon avis --je répète ce que j'ai dit tout à l'heure--,
jusqu'en mars 1996, ont pu être incorporées dans certaines
préparations à base de viande (et je ne parle pas de la viande
hachée car, en France, la réglementation prévoit que la
viande hachée ne contienne que de la viande) des éléments
du système nerveux central. Je précise que je n'ai pas du tout le
souvenir de cet arrêté de 1992.
M. le Président
- Compte tenu du délai d'incubation dans
l'espèce humaine, on peut se poser des questions.
M. Benoît Assemat
- Il est possible --je n'en sais rien-- que le
pic de contamination des humains, en France, se trouve entre 1993 et 1995 alors
qu'au Royaume-Uni, il se retrouve avant, mais je n'ai pas de compétences
pour l'affirmer et je n'ai pas plus d'éléments que ce qu'indique
la presse.
M. le Président
- En 1992, ce sont uniquement les MRS qui ont
été retirés des compléments alimentaires et des
produits destinés à l'alimentation infantile.
M. Benoît Assemat
- A mon avis, des éléments des
systèmes nerveux centraux britanniques ont pu rentrer en France jusqu'en
mars 1996. Je ne dis pas qu'ils sont rentrés mais,
réglementairement, ils ont pu le faire.
M. le Président
- C'est le cas jusqu'à l'embargo, qui date
de mars 1996.
M. Benoît Assemat
- C'était mon analyse, jusqu'à
présent, de l'évolution de la réglementation.
M. le Rapporteur
- A mon avis, pour faire la moindre projection en ce
qui concerne l'incidence sur la santé humaine et le nombre de cas que
l'on pourrait malheureusement découvrir chez nos concitoyens, je pense
qu'il faudra attendre encore quelques années en constatant cette
incidence sur la population anglaise.
Cependant, je souscris totalement à ce que nous a dit ici
Mme Brugère-Picoux : après la population anglaise,
c'est la population française qui a été la plus soumise au
risque entre 1993 et 1996.
M. Benoît Assemat
- Je le pense aussi.
M. le Président
- S'il n'y a plus de questions, nous vous
remercions.
Audition de M. René BAILLY, Président du Syndicat
national
des vétérinaires d'exercice libéral
(SNVEL)
(24 janvier 2001)
(Huis clos demandé)
Audition de M. Jean-Jacques RÉVEILLON,
Directeur de la Brigade
nationale des enquêtes
vétérinaires
(24 janvier 2001)
M.
Roland du Luart, Président
- Mes chers collègues, nous
recevons M. Jean-Jacques Réveillon, Directeur de la Brigade
nationale des enquêtes vétérinaires.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Réveillon.
M. le Président
- Monsieur le Directeur, je vais vous demander de
faire le point de ce que vous savez sur le sujet des enquêtes
vétérinaires, après quoi M. le Rapporteur vous
questionnera, ainsi que mes différents collègues.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Monsieur le Président,
mesdames et messieurs les membres de la commission, je prendrai d'abord
quelques minutes pour vous présenter la Brigade et l'esprit dans lequel
nous travaillons.
Nous sommes une petite unité composée d'une vingtaine de
personnes, dont quatorze enquêteurs. Cette unité a
été créée en 1992 pour faire face à
l'organisation des trafiquants d'anabolisants qui se constituaient en
réseau et qu'il était difficile de réprimer par les
structures du ministère, c'est-à-dire, en particulier, par
l'organisation et les compétences territoriales départementales.
Nous avons donc créé la Brigade avec une compétence
territoriale nationale pour lutter contre la délinquance sanitaire
organisée. C'était sa première vocation.
Nous sommes peu nombreux, quatorze enquêteurs. C'est une volonté
et nous ne souhaitons pas augmenter ce nombre parce que nous fonctionnons d'une
manière particulière. J'en suis le directeur et j'ai un directeur
adjoint qui s'occupe de tout ce qui est gestion et administration, mais nous
travaillons en direct avec chacun des agents, qui dispose d'une assez grande
autonomie d'action, de déplacement et de liberté afin
d'être le plus efficace possible. Je précise que, dès que
possible, nous nous plaçons sous autorité judiciaire, parce que
nous n'apprécions pas les administrations avec des électrons
libres et ne souhaitons donc pas en être une.
Nous développons nos activités dans trois secteurs.
Le premier est un secteur essentiellement d'enquêtes judiciaires. C'est
principalement à ce titre que nous apportons notre appui à
l'autorité judiciaire, à la Gendarmerie et à la
police ; nous travaillons en collaboration avec la Direction nationale des
enquêtes douanières et la Direction nationale des enquêtes
fiscales.
En général, nous travaillons après une enquête
préalable menée de notre propre initiative en fonction des
pouvoirs qui sont conférés aux agents par le code rural, le code
de la consommation et le code de la santé publique. Dès que nous
avons réuni un faisceau de présomptions suffisant pour supposer
qu'il existe un système de délinquance, nous saisissons le
procureur de la République compétent en fonction du territoire
qui, en général, nous désigne un service de police
judiciaire, gendarmerie ou police, et nous place, par commission rogatoire,
sous l'autorité de l'officier de police judiciaire qu'il charge de
l'enquête.
C'est le premier aspect de nos activités.
Le deuxième aspect, c'est le développement d'une capacité
d'expertise que je qualifierai de bas niveau. Nous sommes assez
originaux : nous utilisons un créneau auquel personne n'a recours.
Tout le monde recrute des experts de haut niveau et nous recrutons, nous, ce
que nous appelons des experts de bas niveau, l'expression n'étant
absolument pas péjorative. Parmi mes agents, j'ai des techniciens, des
ingénieurs et des vétérinaires, sans hiérarchie
(ils fonctionnent chacun à leur tour en fonction de l'enquête,
qu'ils peuvent diriger ou non), qui ont la particularité d'avoir une
forte expérience de terrain. J'ai un technicien qui a été
agriculteur pendant quinze ans, des gens qui ont passé des années
dans des abattoirs, un vétérinaire qui a été
praticien pendant dix ans, etc. Ce sont donc des gens qui sont capables de
détecter, quand ils rentrent dans un abattoir, le geste anormal qui
cache quelque chose qui ne va pas.
En matière scientifique, nous nous appuyons, quand c'est
nécessaire, sur l'AFSSA, sur les écoles
vétérinaires et même sur la faculté de
médecine, c'est-à-dire sur tous les gens que nous pouvons trouver
pour nous aider, sachant que nous n'avons pas de problème pour les
trouver.
Cette capacité d'expertise nous permet de faire des enquêtes
techniques et administratives pour voir comment la loi est appliquée par
les professionnels, déceler ce qui ne va pas dans l'application des
règles et déterminer les règlements qui, peut-être,
ne sont pas applicables.
La troisième partie, celle qui nous intéresse plus
précisément aujourd'hui, a été confiée
à la Brigade début 1996 : il s'agit des enquêtes
épidémiologiques en élevage et des enquêtes
alimentaires concernant l'encéphalopathie spongiforme bovine.
Dans ce domaine, nous avons quatre enquêteurs depuis le mois de
septembre. Auparavant, nous n'en avions qu'un, mais, du fait de l'augmentation
importante des cas déclarés et de l'augmentation des cas
liés à la mise en oeuvre des tests, nous avons augmenté le
nombre, sachant que nous ne pourrons pas l'augmenter indéfiniment parce
que, dans une matière où il y a aussi peu de certitudes en
matière scientifique, il importe de ne pas multiplier les
enquêteurs pour conserver des enquêtes exploitables au plan
statistique et avoir des démarches homogènes entre les
enquêteurs.
Si vous le souhaitez, je peux continuer dans ce domaine plus particulier qui,
je crois, est l'objet de votre travail.
Nous n'intervenons pas immédiatement après la déclaration
d'un cas d'ESB, mais, par principe, seulement environ un mois après
l'abattage des animaux. En fait, c'est ce qui se passait il y a quelque temps.
En effet, nous avons pris du retard en raison du grand nombre de cas, ce qui a
provoqué un décalage d'environ quatre à cinq mois. Nous
procédons ainsi parce que, tout simplement, nous souhaitons intervenir
à froid et non pas dans un cadre émotionnel. Notre objectif est
d'essayer de savoir ce qui s'est exactement passé après que
l'éleveur a surmonté toute sa phase de culpabilisation parce
qu'il a eu un cas d'ESB et qu'il s'interroge sur ce qu'il a pu faire, ainsi
qu'après une deuxième phase un peu dépressive parce qu'on
lui a abattu ses animaux. Nous attendons donc qu'il ait reconstitué son
cheptel pour passer chez lui. C'est une technique absolument volontaire.
Actuellement, nous sommes malheureusement un peu débordés et nous
espérons que cela va diminuer, non pas seulement, d'ailleurs, pour les
besoins de la brigade. Nous intervenons à peu près quatre ou cinq
mois après.
Les investigations portent sur l'ensemble de l'exploitation : sa structure
générale, son équilibre économique, ses diverses
productions, les aliments qu'ont pu recevoir les bovins, les
médicaments, les divers traitements et les diverses pratiques, notamment
celles qui concernent l'épandage.
Il s'agit d'un entretien que je qualifierai de semi-directif, qui est
fondé avant tout sur une enquête documentaire. A l'occasion de
cette enquête, nous prenons toutes les factures de l'éleveur.
Il faut être conscient que nous intervenons sur un cas pour un animal qui
a pu s'infecter six ou sept ans auparavant. Donc les enquêtes portent sur
une durée qui remonte à environ trois mois avant la naissance du
cas jusqu'à deux ans avant sa mort, ce qui nous fait des périodes
d'enquête extrêmement longues. Il faut en avoir conscience parce
que, sur une durée moyenne d'enquête de quatre à cinq ans,
nous trouvons entre 2 et 140 dénominations commerciales
d'aliments qui sont rentrés sur l'exploitation, avec une moyenne
d'environ 55 à 60, ces dénominations commerciales pouvant
correspondre à plusieurs lots de fabrication.
Cela rend ces enquêtes extrêmement difficiles, et je pourrai vous
donner quelques exemples si vous le souhaitez. Je pourrai même vous en
communiquer des rapports écrits pour que vous voyiez ce que nous
demandons. Je n'ai pas amené de documents parce que je ne savais pas
exactement quoi vous apporter mais je vous communiquerai ce dont vous souhaitez
disposer ensuite.
Comme nous recueillons toutes les factures alimentaires et pharmaceutiques,
nous visitons également le vétérinaire sanitaire de
l'exploitation pour essayer de retrouver le passé sanitaire de
l'exploitation, sachant qu'à partir du moment où nous avons les
factures, nous avons les fournisseurs. Dès lors que nous avons les
fournisseurs, nous communiquons tout le dossier d'enquête
épidémiologique à l'un des deux enquêteurs
chargés des enquêtes alimentaires en usine et nous repartons dans
l'usine à l'envers, à partir du compte client, en recueillant
tout le compte client. Cela nous permet de recueillir toutes les livraisons que
l'éleveur aurait pu recevoir et qu'il a oublié de nous indiquer.
Je précise bien que c'est un oubli le plus souvent. En effet, quand vous
avez 140 ou même 80 aliments dans une exploitation sur une période
de cinq ans, vous pouvez avoir des oublis relativement logiques.
Donc nous avons une vue exhaustive. A partir de là, nous regardons les
formules et, en fonction de cela, nous examinons les aliments que l'on qualifie
de sensibles parce qu'ils sont censés contenir des protéines
animales ou végétales, parce qu'on peut avoir une substitution de
l'une à l'autre.
Nous examinons aussi l'ensemble des productions de l'exploitation, en
particulier les productions de porcs, de volailles ou autres, et nous
recueillons tous les aliments qui ont été fournis aux porcs, aux
volailles, etc.
Par dossier, cela nous fait une masse de données qui est relativement
importante.
Voilà, en gros, la manière dont se déroulent les
enquêtes. Il faut savoir que, du fait de l'expérience, on peut
considérer que l'on peut faire trois à quatre enquêtes par
semaine et que, pour une enquête alimentaire, il faut, selon le cas,
entre un jour et demi et trois jours dans une usine.
Je vais m'étendre quelque peu sur ce point des enquêtes dans les
usines pour vous indiquer la manière dont procèdent les
enquêteurs pour obtenir des résultats. Bien sûr, il y a des
visites d'usine, mais aujourd'hui, elles n'apportent pas
énormément de choses : chacun a ses silos bien
séparés, alors que, au départ, nous avions effectivement
trouvé des choses qui, dès la visite, montraient qu'il y avait
des anomalies.
Ces enquêtes consistent à prendre tous les documents comptables de
l'entreprise, à voir à peu près à quelle date ses
responsables ont fait les investissements nécessaires pour les
séparations qui s'avéraient nécessaires, à regarder
les systèmes informatiques pour voir si la succession des productions
est bien programmée et à prendre la photocopie (nous n'emmenons
pas les originaux) de tout ce qu'on appelle les documents de production
photocopiés, que l'on appelle les documents « du fil de
l'eau », c'est-à-dire l'enregistrement de l'ensemble des
productions. Ce sont des documents très précieux mais qui,
malheureusement, n'étaient pas, jusqu'ici, obligatoires dans les
entreprises. Ce n'est que le règlement du 8 février 2000 qui les
rend obligatoires ; aux époques sur lesquelles nous
enquêtons, ils ne l'étaient pas.
Cela nous permet de voir si, par exemple, une fabrication d'aliments pour
ruminants a succédé à une fabrication d'aliments pour
volailles sans rinçage intermédiaire. Cela nous permet de voir
également à partir de quel silo ont été pris les
différents composants, sachant qu'en remontant, on peut aussi savoir ce
que contenaient ces silos en analysant aussi, au fil de l'eau,
l'approvisionnement de l'entreprise.
Ces bilans sont très longs. Aujourd'hui, nous ne disposons pratiquement
plus de fil de l'eau parce que ces documents ne sont pas obligatoires. Ce sont
des documents qui étaient nécessaires aux entreprises et que
celles-ci devaient garder six mois, des documents servant aux assurances, au
cas où il y aurait des intoxications ou un problème dans le
cheptel à la suite d'une mauvaise fabrication.
Certaines entreprises ont archivé ces documents et d'autres les ont
détruits au bout de six mois. Cela fait que, dans les résultats
que nous obtenons en matière judiciaire, dans bien des cas, ce sont les
entreprises qui n'appliquaient pas les règles d'archivage qui se sont
retrouvées un peu compromises du fait des documents qu'elles avaient
conservés : bien entendu, pour celles qui les avaient
détruits, comme elles en avaient le droit, on n'a plus
d'éléments.
Que trouvons-nous ? En règle générale, nous
décelons les contaminations croisées qui ne sont pas un mythe.
Elles sont de trois types. Comme on vous en a certainement déjà
parlé, je ne sais pas si je dois y revenir en détail. Il faut
savoir que l'aliment bovin a toujours servi, historiquement, pour recycler les
retours de non consommés, les sacs éventrés et les
aliments porcs et volailles. Les porcs et volailles sont des productions
industrielles qui nécessitent une composition alimentaire très
précise et, dès lors que vous arrivez en fin de lot, qu'il vous
reste un aliment « porc finition » ou « volaille
finition » et que vous devez repartir avec un aliment
« porcelet », ce n'est pas le même aliment. S'il
reste suffisamment d'aliment, le fabricant le reprend. Seulement, comme c'est
un aliment composé, il est très compliqué de le
réintégrer dans une formule « porc » ou
« volaille ».
Chez les bovins, c'est plus simple puisqu'en fait, ce n'est pas le bovin que
l'on nourrit mais les bactéries du rumen, qui s'adaptent relativement
rapidement en fonction de la composition de l'aliment. C'était donc une
habitude.
M. le Président
- M. le Rapporteur a une question à vous
poser.
M. Jean Bizet, rapporteur
- Monsieur le Directeur, puis-je vous
interrompre dès maintenant ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Tout à fait. Je ne sais pas
comment faire ; donc je parle, vous m'interrompez et je réponds aux
questions quand vous voulez.
M. le Rapporteur
- En ce qui concerne cette problématique des
contaminations croisées et donc des retours d'aliments non
consommés pour porcs et volailles, à quelle date,
précisément, avez-vous pris conscience de cette notion de
contaminations croisées et de son importance et, par ailleurs, quelles
entreprises françaises avez-vous listées ? Nous
souhaiterions avoir des noms parce que, lorsque nous nous
déplaçons sur le terrain, nous n'en avons pas, sachant que chaque
entreprise lave « plus blanc que blanc ».
A quelle date en avez-vous pris conscience et quelles entreprises
françaises se sont-elles livrées à ces
réincorporations ayant généré des contaminations
croisées ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Je précise que j'ai pris mes
fonctions il y a un an, si bien que j'ai un peu de recul d'un côté
mais que, d'un autre côté, je n'ai pas totalement en tête
l'atmosphère générale qui présidait aux
décisions, ce qui est très important pour savoir ce qui s'est
passé.
Cependant, d'après les rapports et d'après ce que me disent mes
agents, nous en avons pris conscience assez tôt. Dès la
première année, c'est-à-dire en 1996, puisque, auparavant,
nous ne faisions pas ces enquêtes, nous nous sommes aperçu que
certaines pratiques n'excluaient pas les contaminations croisées, loin
de là. J'ajoute que nous en avons trouvé jusqu'en 1997- 1998, au
fur et à mesure de nos enquêtes.
Lorsque nous avons pu les trouver, nous avons transmis des dossiers au
procureur de la République. Ce sont des dossiers très complexes
à monter juridiquement. En effet, comme nous enquêtons dans le
cadre d'un cas qui a eu lieu cinq ou six ans avant, sachant qu'il y a de
nombreux lots, il est impossible de prouver que ce sont tel lot et telles
farines qui ont provoqué tels cas. Nous enquêtons donc dans le
cadre d'un cas mais nous constatons des défauts d'application du
règlement qui veut que l'on n'utilise pas de farines animales dans
l'alimentation des ruminants.
S'agissant des nombres, nous avons actuellement six dossiers qui sont au
parquet, qui ont été retenus et qui ont fait l'objet d'un
numéro de parquet. Je précise que ce sont des entreprises
relativement importantes. Je n'ai pas souhaité avoir le huis clos mais,
d'un autre côté, il m'est un peu difficile de communiquer des
noms. En conséquence, je souhaite plutôt vous les communiquer par
écrit, si cela ne vous dérange pas, parce que je ne sais pas
quelle attitude prendre par rapport à la publication des noms.
Je ne suis pas du tout opposé à vous les communiquer ; je
n'ai pas demandé le huis clos parce que j'estime n'avoir rien à
cacher. D'un cotre côté, ces dossiers font l'objet de
procédures judiciaires et ils ont un numéro de parquet. Je vous
communiquerai donc les noms et les numéros de parquet, si vous le
permettez.
M. le Rapporteur
- Peu importe la formulation. Nous notons bien que vous
allez nous communiquer six documents avec des numéros comportant donc
six noms d'entreprises.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Je vous donnerai la liste des six
noms avec les numéros de parquet.
M. le Rapporteur
- Très bien. J'en reviens à la date de
1996 à partir de laquelle vous avez pris conscience des problèmes
de contaminations croisées...
M. Jean-Jacques Réveillon
- C'est dans le rapport de la Brigade.
A partir de 1996-1997, on voit très bien qu'il y a des contaminations
croisées. Attention : je parle ici de contaminations
croisées d'entreprises alors qu'il y a aussi des contaminations
croisées d'élevage.
M. le Rapporteur
- Cela étant, vous avez informé les
parquets correspondants. Avez-vous informé la Direction
générale de l'alimentation ou le ministère de
l'agriculture ? Si je vous pose cette question, c'est que, entre 1996 et
2000, date à laquelle le ministère a pris la décision
d'interdire toute incorporation de farines dans l'alimentation animale, il
s'est écoulé quatre ans. Avez-vous donc informé le
ministère parallèlement, dès 1996 ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Le ministre est destinataire de nos
rapports épidémiologiques d'ESB et c'est contenu dedans.
M. le Rapporteur
- Très bien. Nous notons les quatre
années.
M. Jean-François Humbert
- Je voudrais dire un mot sur les
rapports transmis au ministère. Pourriez-vous nous les faire
parvenir ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Bien sûr. Cela ne pose aucun
problème. Le rapport de 1996, donc publié en 1997, a
été rendu public et le rapport provisoire 1999 a
été mis sur Internet. Les rapports de 1997 et 1998 n'ont pas
été rendus publics parce qu'ils sont nominatifs,
c'est-à-dire qu'ils donnent le nom des entreprises et le nom des
dénominations commerciales d'aliments, mais je peux vous les
communiquer.
Quant au rapport définitif 1999 et début 2000, il est
pratiquement prêt. Il a été plus long à
rédiger parce qu'on voulait le rendre public, ce qui nous a
obligés à coder tous les noms et toutes les nominations
commerciales pour ne pas avoir d'ennuis, sachant que nous n'émettons que
des hypothèses tant que nous n'avons pas de certitude. Il a
été plus long à élaborer mais il est terminé
et je pourrai également vous le communiquer.
M. Michel Souplet
- Aujourd'hui, après avoir constaté un
certain nombre de cas, en particulier dans la région du grand ouest
où ils sont les plus nombreux, a-t-on pu faire un rapprochement entre
l'origine des farines et les cas que l'on constate ? Cela vient-il d'un,
deux ou trois producteurs d'aliments ou n'y a-t-il pas du tout de
corrélation ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Comme je vous l'ai dit, en
matière d'ESB, nous nous refusons d'émettre des affirmations et
d'avoir des certitudes, sans quoi nous aurions le prix Nobel... Nous faisons
donc des hypothèses que nous confirmons, que nous infirmons ou que nous
détruisons au cours du temps, quand les faits sont établis
ultérieurement.
Nous avons retenu l'hypothèse britannique de contamination par les
farines de viande et d'os, bien sûr, mais sans éliminer les autres
hypothèses, c'est-à-dire que nous cherchons à voir s'il y
a des corrélations avec des médicaments ou des vaccins qui
auraient été préparés à partir de
sérum bovin ou à partir de cellules.
Nous faisons aussi à chaque fois l'analyse de
l'éventualité d'une transmission mère-fille (je dis
"mère-fille" parce que, jusqu'ici, on n'a que des femelles, sachant que
les mâles meurent trop tôt pour exprimer des symptômes et
qu'on ne sait donc pas ce qu'ils deviennent) mais nous n'avons pas
trouvé d'éléments probants.
Pour être clairs, nous examinons ce qu'est devenue la mère
après la naissance du veau qui est devenu un cas et nous examinons tout
ce qui s'est passé pendant l'année qui suit. Or, pendant cette
année qui suit, dans aucun des cas nous n'avons retrouvé une mort
anormale de la mère. Soit la mère était vivante au bout
d'un an, soit elle a été abattue parce que c'était son
âge normal d'abattage en tant que vache de réforme. Nous n'avons
donc rien de probant en matière de transmission mère-fille sur
les quelque 250 cas que nous avons et les 170 cas sur lesquels nous avons
enquêté, puisque des enquêtes n'ont pas été
menées sur tous les cas à ce jour.
En ce qui concerne les farines animales, nous avons plusieurs hypothèses
qui ne sont pas exclusives l'une de l'autre. Si vous analysez les dates de
naissance des cas que l'on découvre aujourd'hui et des cas de 1999-2000,
il faut savoir que, jusqu'en 1999, on avait si peu de cas que l'on était
très timide. Je ne dirai pas que je suis content d'en voir plus mais, au
plan statistique, on est plus ferme quand on parle de 200 cas que lorsqu'on
parle de 20 cas.
Nous avons déterminé que les animaux nés entre 1993 et
1995 ont été soumis à une exposition plus importante que
les autres. Nous estimons donc qu'il s'est passé quelque chose entre
1993 et 1995, après leur naissance (ce sont les hypothèses des
Anglais mais nous avons deux ou trois cas qui prouvent qu'ils ont
été contaminés de façon certaine entre trois mois
et un an), qui a fait que les aliments distribués aux bovins ont
été plus contaminants.
A partir de là, nous avons trois possibilités de contamination
des farines.
La première possibilité est une contamination à partir des
farines britanniques importées, quand c'était tout à fait
légal, entre 1986 et le 5 février 1990. Il faut savoir que l'on a
importé à cette époque entre trente et quarante mille
tonnes de farine. Quand on regarde la liste des origines (on les a puisque
c'était légal et qu'il n'y avait donc pas de raison de cacher les
choses), on s'aperçoit que, parmi les importateurs, on a des fabricants
de farines anglaises qui sont ceux qui ont été à l'origine
de l'épidémie britannique.
Par conséquent, entre 1986 et 1989, nos animaux ont mangé une
farine contaminante, puisque ces mêmes farines ont provoqué en
Grande-Bretagne, dans les années 1992 et 1993, 30 000 cas par an. Chez
nous, en important entre 5 et 10 % de la production britannique,
même si nous les avons données en grande partie aux porcs et aux
volailles, parce qu'il est vrai que les ruminants en mangent peu, nous avons eu
quelques cas.
La question qui se pose est la suivante : pourquoi, à partir des
mêmes farines, les Britanniques ont-ils eu 30 000 cas alors que nous n'en
avons eu que quelques-uns ? On ne se l'explique pas.
J'ai eu conscience de cette hypothèse à partir des cas de
suspicion. En effet, quand on analyse les suspicions de maladie et non pas
seulement les cas positifs, on s'aperçoit par exemple qu'en l'an 2000,
on doit être aux environs de 426 suspicions (à dix unités
près, car je ne suis pas tout à fait sûr du nombre), dont
323 négatives alors que, dans les années 1993 à 1995, on
en était à 20 ou 30 suspicions. Or ces négatives
d'aujourd'hui devaient bien exister à cette époque-là.
Celles qui sont négatives sont celles qui n'avaient pas l'ESB.
Par conséquent, sauf à avoir une autre maladie comparable
à l'ESB qui se serait développée ensuite, cela prouve que
le réseau épidémiologique est monté en puissance
très progressivement et que nous n'avons peut-être pas
décelé tous les cas.
Cela signifie que, selon notre hypothèse (car c'est bien une
hypothèse), nous avons, dans les années 1993 et 1994,
recyclé des cas qui ont pu ne pas être déclarés (on
pourrait en examiner les raisons, sachant qu'il peut y en avoir plusieurs) et
que l'on a pu recontaminer nos farines françaises.
Il faut savoir qu'à l'époque, l'esprit qui prévalait dans
nos équarrissages, c'est que si les Anglais avaient eu ces
problèmes, c'est parce qu'ils chauffaient les farines à 70 ou 80
degrés mais que nous pouvions nous sentir en sécurité
parce que nous les chauffions non pas encore à 133 degrés,
puisque c'est venu progressivement, mais suffisamment pour éliminer les
clostridium et leurs spores ; c'était en effet le critère
retenu.
Or on s'aperçoit maintenant que non seulement les 120 degrés ne
suffisent pas mais que les 133 degrés, vingt minutes et 3 bars (il
suffit de voir ce qui se passe en Allemagne) n'étaient pas non plus une
sécurité.
Par conséquent, s'il y a eu des sous-déclarations et si des
animaux contaminés sont passés dans la filière
d'équarrissage, il n'y a pas de raison que nos propres farines n'aient
pas été recontaminées.
C'est l'hypothèse de la contamination des farines françaises. Il
est possible que je déçoive, mais je ne veux pas que l'on puisse
dire toujours : "ce sont les autres". Il faut analyser ce qui se passe
chez nous aussi.
La première possibilité, c'est la contamination des farines
françaises, la deuxième étant les farines d'origine
britannique et la troisième les farines d'autres origines.
J'en viens donc à la deuxième hypothèse : les farines
d'origine britannique, qui se subdivisent en deux.
Nous avons d'abord les farines d'origine britannique avérée. A
cet égard --et nous sommes un peu désolés de ne pas aller
dans le sens courant--, nous n'avons pas trouvé, au cours de nos
investigations, qui ont parfois été très poussées
sur le plan documentaire, de farines de viande et d'os de ruminants
marquées "origine britannique".
Cela veut-il dire qu'il n'y en a pas eu ? C'est une autre affaire parce
que le marché des farines est paneuropéen et qu'il est
lié, en cours et en qualité, au marché des
protéines en général, qui est un marché mondial. Il
y a, dans ces affaires, des courtiers et des commerçants en farines.
Quand on dit : « je veux tant de farine de telle
caractéristique », cela passe par un certain nombre de pays et
de silos et, il n'y a pas de traçabilité.
Peut-on masquer l'origine d'une farine en ne mettant que la provenance et en
faisant passer la provenance pour l'origine ? J'émets une
hypothèse : quand un produit est interdit et que l'on a un moyen de
s'en procurer d'une autre manière, on ne va pas s'amuser à
marquer « farine anglaise » sur le produit. Donc s'il y en
a eu, elles sont peut-être passées autrement et pour les
identifier, cela relève de l'enquête internationale, de
l'enquête documentaire sur dix ans chez les courtiers, de l'enquête
des importations et exportations de tous les pays pour voir si certains
n'auraient pas fabriqué plus de farines que déclaré, etc.
C'est une hypothèse dont il faut tenir compte. Je ne dis pas qu'il n'y a
pas eu de farine britannique. J'ai même lu dans la presse des articles
qui indiquaient que nous avions fourni des documents inexploitables. Nous ne
pouvons pas inventer des documents que nous n'avons pas. Nous avons des
documents sur les importations de farines et nous n'avons pas trouvé de
farines d'origine britannique. Je parle bien de farines de viande et d'os de
ruminants. Il n'en est pas de même pour les farines de volaille.
M. le Président
- Le rapporteur va vous interrompre.
M. le Rapporteur
- Pouvons-nous imaginer, à ce stade de votre
information, que votre curiosité vous a poussé, malgré
tout, à comparer les tonnages d'importation au niveau français
par rapport aux exportations des différents pays, le Royaume-Uni,
certes, mais également la Belgique, l'Irlande, les Pays-Bas, etc. ?
Avez-vous pu voir certaines concordances ou discordances ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Cela n'a pas encore été
fait mais nous avons engagé plusieurs choses dont je vais vous parler au
fur et à mesure et cela fait partie des choses que nous sommes en train
d'engager. Des gens travaillent là-dessus et il y a même sur le
réseau Internet une « liste ESB » sur laquelle un
grand nombre de correspondants sont en train de faire des calculs. Je regarde
donc ce qui se passe. Je ne peux pas vous l'affirmer, mais il semble que la
réponse soit affirmative. Il semble que certains pays ont produit
beaucoup de farines.
M. le Rapporteur
- Depuis combien de temps cette approche de concordance
entre importations et exportations a-t-elle été
menée ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Nous ne faisons que la commencer
parce que ce n'était pas notre travail. Dans notre action, nous nous
sommes arrêtés à l'enquête alimentaire et dès
que nous avions des documents intéressants, nous travaillions avec la
section de recherche de la gendarmerie de Paris et nous lui avons fourni des
documents sur d'éventuelles enquêtes sur les courtiers
internationaux ou autres, mais nous n'avons pas le pouvoir d'aller plus loin.
Il faut savoir que nous n'avons pas une méthode d'école,
c'est-à-dire que nous travaillons toujours au ras du terrain. Nous
prenons des documents, nous les analysons à fond et nous recherchons des
documents supplémentaires. Nous ne partons pas d'une étude
d'ensemble pour essayer de voir comment s'organisaient les flux. Nous partons
d'un point de détail et nous démontons des pelotes de laine. Il
s'agit d'un travail d'enquêteur assez comparable à ce que peut
faire la gendarmerie ou la police.
Donc ce n'est pas tout à fait notre travail de faire ces analyses
économiques générales, mais à partir du moment
où on en arrive à cette hypothèse que je viens
d'évoquer, nous sommes en train d'essayer de recueillir des documents
afin de la confirmer. Le problème est d'avoir des chiffres valables.
M. le Rapporteur
- A quelle date pensez-vous pouvoir annoncer quelques
chiffres ou quelques conclusions ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Je suis ennuyé pour vous
répondre parce que ce n'est pas un travail qui devrait être fait
par nous. Normalement, une brigade d'enquêteurs ne fait pas ce genre de
chose. Nous ne le faisons qu'en interne, sachant que nous faisons un certain
nombre de choses en interne.
M. le Rapporteur
- Qui doit logiquement le faire et qui vous a
mandaté pour le faire si ce n'était pas votre travail ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Personne ne nous a mandatés
pour le faire. Comme je vous l'ai dit, nous émettons des
hypothèses et nous partons donc d'éléments logiques. Quand
je vous parle de ces hypothèses, je vous dis que, sur les farines, il y
a trois possibilités : soit elles sont françaises, soit
elles sont britanniques, soit elles sont d'autres origines.
Pour ce qui est des farines françaises, il y a deux possibilités,
dont l'une que je ne vous ai pas donnée parce que nous sommes partis sur
un autre sujet. Il y a la possibilité de recyclage des bovins
français contaminés dans les farines françaises, mais il
faut aussi examiner la possibilité de recyclage de carcasses d'animaux
anglais qui auraient pu contenir encore la moelle épinière dans
l'équarrissage français. Il faut être exhaustif.
Quant aux farines d'origine britanniques, il y a également deux
hypothèses : soit elles étaient marquées
« origine anglaise », soit l'origine a été
masquée et on a substitué la provenance à l'origine.
Beaucoup de farines transitent par les Pays-Bas et la Belgique, mais aucun pays
n'est à viser en particulier. Il faut reprendre toute la liste de ce
qu'on a trouvé.
Pour ce qui est des farines de volaille, nous avons trouvé par hasard
des importations de volailles d'Italie. S'ils n'avaient pas commis l'erreur de
laisser le dossier avec les feuilles de route derrière, nous n'aurions
jamais su qu'elles venaient d'Angleterre. Comme c'étaient des farines de
volaille, nous ne pouvions rien faire, mais le fait est là.
Je veux bien faire faire ce travail si vous le voulez, même s'il faudrait
que j'en parle à ma directrice puisque c'est elle qui donne les
attributions de la Brigade.
Je n'en ai pas encore parlé, mais il faut savoir que je dépends
directement de Catherine Geslain-Lanéelle, la Directrice
générale de l'alimentation, et que je suis contrôleur
général, ce qui me permet de m'assurer d'un statut me permettant
de parler et de ne pas avoir d'ennuis si je ne suis pas d'accord,
c'est-à-dire un statut d'impartialité. Nous avons donc toutes les
conditions de l'impartialité.
Cela étant dit, je vous réponds oui à sa place et nous
allons voir ce que nous pourrons faire dans quelques mois, mais je fixerai la
date plus tard parce que nous n'en sommes qu'au début et que nous devons
évaluer les documents disponibles. Entre nous, si un service devait
faire cela, c'est bien celui des Douanes.
M. le Rapporteur
- Nous voudrions avoir cette information début
mai compte tenu des délais de notre commission.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Pouvez-vous poser la question au
service des Douanes et me permettez-vous de prendre contact avec le service des
Douanes pour savoir comment nous pourrions nous organiser sur cette
affaire ?
M. le Rapporteur
- Bien sûr.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Ce sont eux qui ont les documents et
qui ont la correspondance avec leurs homologues des autres pays.
M. le Rapporteur
- L'important, c'est le résultat.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Je vais voir cela avec les Douanes.
M. le Président
- Nous allons recevoir les représentants
des Douanes françaises le 31 janvier. Donc nous ferons passer le message.
M. le Rapporteur
- Dans cet ordre d'idée, pourrions-nous avoir
votre rapport 1999 « nominatif », si je puis dire ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Oui, s'il n'est pas publié. Je
ne veux pas me retrouver en diffamation puisque ce sont des hypothèses.
M. Paul Blanc
- Toujours dans le même ordre d'idée, si j'ai
bien compris, les enquêtes que vous menez sont diligentées soit
à la demande de votre directrice, soit à la demande du parquet.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Oui.
M. Paul Blanc
- Or vous avez dit tout à l'heure qu'un certain
nombre de vos procédures ont été transmises au parquet.
Est-ce que ce sont uniquement celles qui vous ont été
demandées par le parquet ou est-ce que, de votre propre initiative, vous
en transmettez au parquet ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- C'est de notre propre initiative que
nous les transmettons au parquet, et nous en avons deux ou trois en cours.
M. Paul Blanc
- Pour quelle raison les transmettez-vous au parquet ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Parce que nous avons noté des
éléments que nous estimons des présomptions suffisamment
fortes et concordantes pour estimer qu'il y a un non-respect des textes en
matière d'incorporation de farines animales dans l'aliment bovin.
M. Jean Bernard
- Savez-vous quel sort est réservé
à ces transmissions ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Actuellement, c'est en cours.
M. Paul Blanc
- Il s'agit du secret de l'instruction, mon cher
collègue.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Si un sort leur était
réservé, je vous le dirais, mais les six dossiers dont je vous
parle sont, pour certains, en enquête préliminaire, sous
autorité du procureur et, pour d'autres, en information judiciaire sous
autorité du juge. Cela devrait donc aller assez vite et je sais que,
pour un ou deux dossiers, l'enquête a apporté une confirmation de
ce que nous avons fait.
M. le Rapporteur
- Ce qui est, malgré tout, frustrant est
ennuyeux, si je puis dire, c'est qu'en la matière Mme le juge Boizette
est excessivement lente dans ses investigations. Quand on sait qu'au bout de
trois ans, il y a prescription, on peut se poser beaucoup de questions. Dans le
cas du département de la Manche, que je connais bien, des plaintes ont
été déposées auprès d'un certain nombre de
tribunaux et il n'y a jamais eu de suite jusqu'à maintenant. C'est assez
troublant et frustrant.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Dans la Manche, vous allez avoir une
ou même deux suites, mais vous verrez le dossier que je vais vous
envoyer. Dans la Manche, il se passe des choses.
M. le Rapporteur
- Nous l'attendons avec impatience.
M. Paul Blanc
- J'ai plusieurs autres questions à vous poser. Au
cours de vos enquêtes, avez-vous des difficultés à obtenir
des industriels des renseignements sur la composition de leur formule ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Non.
M. Paul Blanc
- A votre avis, est-il possible ou probable que certains
éleveurs mélangent directement de la poudre d'os dans un aliment
végétal acheté par leurs soins ou provenant de leur
production ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Oui.
M. Paul Blanc
- Des élevages ayant eu des cas d'ESB l'ont-ils
fait à votre connaissance ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Je suis assez content que l'on aborde
ce problème, parce que je ne souhaite pas uniquement orienter le tir
vers ceux pour lesquels on peut prouver quelque chose. Au cours de nos
enquêtes épidémiologiques, que je qualifierai de "douces",
dans lesquelles nous souhaitons avant tout savoir ce qui s'est passé,
nous obtenons des confidences en général indirectes et
codées qui nous donnent à penser qu'effectivement, la pratique
consistant à donner des aliments de volaille aux jeunes bovins n'est pas
inexistante.
La deuxième chose sur laquelle nous commençons à
travailler, à la suite de nos enquêtes et des hypothèses
que nous émettons, concerne un autre secteur dans lequel nous avons
enquêté à partir de cas. En effet, nous constatons que nous
avons une très forte proportion de cas qui se produisent dans des
exploitations multi-espèces par rapport au pourcentage d'exploitations
multi-espèces existant. Nous avons donc commencé une étude
statistique pour voir s'il y a une différence signifiante et si ce sont
des contaminations croisées d'aliments pour ruminants au niveau de
l'usine. En effet, nous n'avons pas de raison d'avoir des différences
significatives entre ceux qui n'ont que du ruminant et ceux qui ont autre chose.
Si ce sont des contaminations croisées au niveau de l'exploitation, il
est moins étonnant que l'on ait une forte contamination dans les
exploitations multi-espèces. C'est aussi une hypothèse mais nous
avons maintenant des chiffres.
Nous engageons maintenant des enquêtes hors cas dans trois zones, que je
ne désignerai pas pour l'instant, c'est-à-dire que nous avons
commencé à prélever chez des industriels des listes
d'acheteurs de produits pour volailles et porcs. Ensuite, nous vérifions
si les acheteurs ont des volailles et des porcs, auquel cas nous essayons de
voir si les indices de consommation sont tels que l'atelier peut être
rentable directement, en tant que volailles, ou s'il n'y a pas un peu
d'aliments qui passent chez les bovins.
Ce sont des choses très délicates. Nous n'avons aucune certitude
mais nous sommes en droit de penser que cela peut exister.
Entre les deux choses, il peut y avoir éventuellement des contaminations
de transports. On a constaté en effet que, dans certains cas, le reste
de la livraison précédente arrivait au début de la
livraison suivante, mais il y en a de moins en moins maintenant.
M. Paul Blanc
- J'ai encore des questions. En ce qui concerne les
aliments complémentaires que l'on peut donner dans des élevages
allaitants qui, a priori, n'utilisent pas de farines animales, pensez-vous que
ces aliments complémentaires pourraient être mis en cause ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Oui. Ils le pourraient. Si on fait
l'analyse des cas qui ont fait l'objet d'enquêtes, nous avons un cas
(nous en avons même deux parce que nous avons fait une enquête
avant-hier qui le confirme mais il reste à faire l'enquête en
usine et on veut voir, malgré la déclaration de l'éleveur,
ce qu'il a vraiment acheté) qui est très simple : il s'agit
d'un cas qui n'a consommé que deux aliments qui sont des
compléments protéiques pour jeune bovin. Deux
dénominations commerciales d'aliments sont rentrées sur
l'exploitation, dans laquelle il n'y a ni porcs, ni volailles, qui ne fait pas
d'épandage et qui ne compte qu'une vingtaine de bovins, sachant que ce
sont des aliments qui sont livrés en sacs.
Comme il n'y a pas de contamination possible au niveau de l'élevage,
nous sommes remontés à l'usine d'alimentation, qui fait 90 %
de son chiffre d'affaire en porcs et volailles. Nous avons donc fait une
recherche de contamination croisée et nous sommes remontés au
marchand de farines. Sur la période, nous avons relevé plusieurs
centaines de mouvements de farines entre les différents sites, les
importations, les exportations, les passages par les courtiers et autres.
Cela fait que nous ne pouvons pas rattacher ce cas, alors que nous avons une
relative certitude, à un lot déterminé ou à une
origine déterminée de farine. C'est le cas le plus simple.
Nous avons d'autres cas simples qui viennent d'arriver. Nous sommes très
intéressés à aller voir les cas de l'Ain et du Doubs. Ce
sont deux affaires que l'on va regrouper dans les semaines qui viennent --le
Doubs la semaine prochaine et l'Ain la semaine suivante-- parce que ce sont des
cas intéressants. Plus nous avons de cas, plus nous allons trouver des
cas exceptionnels qui vont nous permettre de déterminer quelque chose.
Il faut se garder de tout sophisme mais, dans tous les cas, il y a eu
consommation de compléments « jeune bovin »
protéinés. Tout le monde, bien sûr, n'a pas eu de
complément « vache laitière », en particulier
pour les allaitantes, et tout le monde n'a pas eu de lacto-remplaceurs, y
compris dans les vaches laitières. Nous avons quelques cas dans lesquels
il n'y a pas eu de lacto-remplaceurs. Cela ne veut pas dire que les
lacto-remplaceurs ne sont pas en cause mais que, s'ils le sont, ce ne sont pas
les seuls. Je parle bien de quelques cas chez les laitières, parce que,
chez les allaitantes, il n'en est pas question.
M. Paul Blanc
- Vous avez évoqué les courtiers.
Pouvez-vous transmettre quelques noms à la commission ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Oui.
M. Paul Blanc
- J'ai une dernière question. Vous avez
déclaré tout à l'heure que, lorsque vous meniez vos
enquêtes, vous commenciez trois mois avant la naissance. Est-ce à
dire que vous n'éliminiez pas a priori une possibilité de
contamination placentaire ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- De toute façon, nous
n'éliminons rien a priori et nous avons des hypothèses plus ou
moins fortes. Nous étudions cette hypothèse de contamination
mère-fille. Simplement, comme nous estimons que, lorsqu'un aliment
rentre dans une exploitation, il y a un certain délai pour être
consommé, il est possible qu'un animal qui naisse trois mois
après consomme un aliment rentré trois mois avant. Donc nous
remontons pour avoir l'historique en matière d'aliments
éventuellement consommés par le cas.
Pour les contaminations mère-fille, nous examinons le curriculum
vitæ de la mère et nous regardons, dans l'année qui a suivi
la naissance du veau qui est devenu un cas, ce qu'il est advenu de la
mère. Nous vérifions en particulier s'il n'y a pas eu une mort
avec départ à l'équarrissage. Nous n'en avons pas
trouvé une seule sur les cas que nous avons étudiés. Dans
deux ou trois cas, nous n'avons pas retrouvé la mère pour des
problèmes d'identification, mais de façon générale,
soit la mère était partie à l'abattage à un
âge normal de réforme parce que c'était son dernier veau
(vous savez comment les choses se passent : on attend quatre ou cinq mois
pour la retaper et on l'emmène à l'abattoir), soit elle
était vivante et a refait d'autres veaux.
M. le Président
- Pour intervenir dans une exploitation,
avez-vous un mandat du procureur ou de votre ministère ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Ce sont les droits qui nous sont
conférés par le code rural. En général, dans la
Brigade, nous utilisons trois codes.
Le premier est le code rural, qui nous autorise d'entrer dans tous les lieux
où sont entretenus les animaux, où des denrées sont
entreposés ou travaillées et, maintenant, où sont
fabriqués des aliments. C'est très récent : il faut
savoir que l'alimentation animale est réglementée, non pas dans
la composition mais dans la fabrication, depuis très peu de temps.
Ce sont des pouvoirs de police qui sont complémentaires des pouvoirs de
police des gendarmes.
Deuxièmement, nous sommes habilités à agir au titre du
code de la consommation et nous travaillons avec les services de la
répression des fraudes sur un certain nombre de dossiers.
Enfin, en matière de code de la santé publique, nous sommes
habilités pour les médicaments vétérinaires, les
substances, etc.
M. le Président
- Les gens jouent-ils le jeu ou sentez-vous une
certaine obstruction ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Comme je vous l'ai dit tout à
l'heure, il est important, dans une enquête
épidémiologique, de savoir ce qui s'est passé. Parmi les
enquêteurs que nous envoyons chez les éleveurs, nous n'envoyons
pas des gens très répressifs, sans quoi nous ne saurions rien. En
revanche, nous arrivons à obtenir des confidences codées, comme
je vous l'ai dit.
On nous dit des choses du genre : "à bien y
réfléchir, je me demande si elle ne s'est pas
détachée un jour et si elle n'est pas allée manger dans le
silo des cochons"...
M. le Président
- Chez les fabricants d'aliment, je suppose que
c'est beaucoup plus difficile.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Non. Ils nous donnent les documents
quand ils les ont. En fait, cela devient difficile maintenant parce qu'ils
savent bien que c'est le "fil de l'eau" qui est le document compromettant. Il
ne doit plus en rester maintenant puisque ce n'est pas un document obligatoire.
Nous n'avons donc pas l'espoir d'aller beaucoup plus loin dans les
enquêtes, d'autant plus que les farines animales sont désormais
totalement interdites.
Cela dit, nous n'avons pas de difficultés à nous faire
communiquer les papiers de la part des fabricants d'aliments quand ils les ont.
M. François Marc
- J'ai une question à vous poser
concernant la contamination croisée à la ferme. Nous avons
visité la société Glon, où on nous a dit qu'il n'y
avait pas de risque que les éleveurs fassent un mélange parce que
ce n'est pas la même formule et donc que personne n'aurait l'idée
d'aller donner de l'aliment de volaille à des bovins.
Je voudrais avoir votre sentiment sur ce point, mais également sur
l'information inverse qui nous parvient aux oreilles, dans nos cantons ruraux,
et qui provient d'éleveurs qui font état de conseils qui leur
auraient été donnés par des techniciens de
sociétés d'aliments ou des coopératives en disant :
« donnez donc un peu d'aliments porcs à vos jeunes bovins pour
les démarrer ; c'est plus efficace et vous ne prenez pas de
risques ».
Je voulais avoir votre sentiment sur ces deux perceptions des choses. D'un
côté, on dit que la différence de formule fait qu'il ne
faut pas mélanger et que personne n'aurait idée de le faire. D'un
autre côté, y a-t-il eu, en ce qui concerne les responsables de
ces aliments, un certain laisser-aller dans les conseils ou des choses un peu
irresponsables qui ont été constatées sur le terrain ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Je vous rappelle que nous nous
situons dans les années 1993 et 1994, où il n'y avait que quelque
cas par an, et je ne pense pas que les éleveurs auraient imaginé
que les choses allaient atteindre de telles proportions.
Le fait de donner de l'aliment pour bovin aux porcs me paraît un peu
compliqué, mais pour l'inverse, je ne vois pas où est le
problème.
M. le Président
- Le coût n'est-il pas le même ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- L'aliment porc ou volaille
coûte moins cher.
M. Jean Bernard
- Les fabricants d'aliment du bétail avaient dit
qu'il n'y avait pas de justificatif de prix, que ce n'était pas
rationnel. C'est une chose qui nous a été affirmée de
façon péremptoire.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Lorsque le producteur d'aliment ne
reprend pas les aliments dans un silo parce qu'il arrive en fin de bande de
production et qu'il en reste, que fait l'éleveur, à partir du
moment où cet aliment ne peut pas servir au démarrage de la bande
suivante, puisque ce n'est pas le même ?
M. le Président
- Il ne les jette pas, évidemment.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Demander à un éleveur
de jeter de l'aliment est insupportable moralement et psychologiquement.
M. le Rapporteur
- Je conclus sur ce point précis. Ou bien cet
aliment fait l'objet d'une contamination in situ, dans l'exploitation agricole,
ou bien il fait l'objet d'un retour et il y a alors une contamination
croisée, mais non plus dans la ferme.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Petit à petit, en
avançant dans notre discussion, nous en venons à des
éléments fermes. Or je rappelle que ce sont des hypothèses
et des possibilités que, personnellement, je n'exclus pas du tout.
M. le Rapporteur
- A contrario, avez-vous la confirmation que, dans une
ferme où il y a eu un cas d'ESB, le fournisseur d'aliments pour
bétail n'utilisait pas de farines animales ? Avez-vous eu des cas
de ce type ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Non. Très peu de fournisseurs
fabriquent exclusivement des aliments pour bovins. Cela doit faire environ
10 % à 15 % du marché au maximum. La plupart des
producteurs de farines font aussi des farines pour volailles et porcs. Il faut
avoir une très forte concentration pour se spécialiser.
M. le Rapporteur
- Nous en revenons donc à cette date de 1996.
Dès 1996, vous avez pris conscience de la problématique de la
contamination croisée.
M. Jean-Jacques Réveillon
- A l'analyse des cas de 1996, donc
début 1997.
M. le Rapporteur
- Ce qui est inquiétant, c'est de voir que les
pouvoirs publics ont mis trois ans pour réagir et pour interdire
définitivement l'utilisation des farines pour toutes les espèces
animales. Je relève la concordance des dates ou le différentiel
entre 1997 et 2000, mais je comprends que vous ne répondiez pas.
M. Jean-Jacques Réveillon
- C'est votre avis.
M. le Rapporteur
- J'ai une autre question. Vous avez parlé de
pratiques d'épandage. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à
travers vos enquêtes épidémiologiques ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Nous sommes partis d'une autre
hypothèse : le fait que l'agent infectieux (j'évite de
parler du prion pour m'entourer de toutes les précautions),
n'étant pas sensible aux divers enzymes et produits du tube digestif,
peut le traverser et se retrouver dans le lisier quand on donne de l'aliment.
Nous nous sommes donc dit que si quelqu'un reçoit du lisier sur son
champ, sachant que le porc a été nourri aux farines animales, on
pouvait éventuellement se retrouver avec un cas de pollution du milieu
extérieur. C'est une chose que nous notons, mais nous n'avons encore
trouvé aucun élément qui permet de nous orienter dans ce
sens.
Nous sommes en permanence en train de nous poser des questions. Je vous les
pose mais je ne voudrais pas qu'on en déduise que ce sont des
certitudes. Je ne suis pas un scientifique. Nous sommes des enquêteurs et
nous nous posons des questions.
M. le Rapporteur
- Sur ce point précis, avez-vous des relations
particulières avec l'AFSSA ? C'est quand même une
problématique qui, si elle se révélait exacte, aurait des
conséquences éminemment lourdes.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Je n'ai pas posé de question
particulière à l'AFSSA. Ce n'est pas notre rôle. Il nous
est arrivé de travailler avec elle sur le fameux cas de 1998. Je dirai
que nous sommes complémentaires puisque nous faisons, nous, l'expertise
de terrain et qu'elle fait de l'expertise scientifique de haut niveau.
Cela dit, je n'ai pas posé cette question à l'AFSSA. Je me
contente de regarder ce qui se passe dans la presse et sur Internet concernant
ces problèmes de rapports entre le milieu et l'agent infectieux pour
voir s'il y a quelque chose de précis, mais nous sommes vraiment dans
l'incertitude à cet égard.
M. le Président
- Dans votre passé professionnel, vous
avez été DSV et DDAF. Vous avez donc une grande expérience
du terrain. Aujourd'hui, lorsqu'un cas d'ESB est détecté et
prouvé, on abat l'animal avec tout le troupeau, après quoi on
permet à l'éleveur de renouveler son cheptel, sachant que c'est
à lui de le trouver, mais on ne pratique pas ce qu'on appelle le vide
sanitaire et la désinfection, comme on le faisait autrefois. N'y a-t-il
pas matière à réflexion sur ce point ?
Il me paraît curieux que, devant cette maladie sur laquelle on
s'interroge, on ne prenne pas les précautions que l'on prenait pour
d'autres maladies autrefois en pratiquant un vide sanitaire et une
désinfection.
M. Jean-Jacques Réveillon
- C'est une question qui relève
plutôt de la compétence de l'AFSSA puisqu'elle porte sur le fait
de savoir si, par le milieu extérieur, on peut avoir une contamination.
Je précise quand même que tous les aliments sont
éliminés, bien sûr. C'est une chose que vous pourriez
demander à l'AFSSA car je ne me sens pas vraiment compétent pour
répondre. Je ne veux pas induire des questions sur des
éléments qui ne sont pas de ma compétence.
Pour notre part, nous prenons toutes les précautions et nous posons donc
un tas de questions. Nous regardons même s'il n'y a pas quelque chose
entre les races.
M. le Rapporteur
- En feuilletant la liste de vos différentes
expériences professionnelles, je m'aperçois qu'en octobre 1999,
vous avez été missionné pour effectuer une mission sur les
stockages des farines animales. Pourrions-nous être destinataires de
votre rapport et pouvez-vous nous en donner brièvement les
conclusions ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- C'est un rapport qui a fait suite aux
auto-combustions qui s'étaient développées dans plusieurs
silos, notamment en Bretagne. Dans ce contexte, il s'était agi
d'examiner les différents stockages de farines animales et de voir
quelles dispositions étaient prises pour juger de leur incidence par
rapport à l'environnement.
A la suite de ce rapport, j'ai demandé que l'on élimine en
priorité certains silos. C'est ainsi que l'on a éliminé en
priorité celui de Cléguer, ce qui est une bonne chose parce que,
du fait des inondations que nous venons de connaître, tout serait parti
à la mer.
Je me suis fait toujours accompagner des DSV pour donner des instructions sur
les dimensions des tas, la façon dont cela brûlait, les
dératisations et désinsectisations, et j'ai fait une
évaluation des différents sites pour déterminer ceux qu'il
fallait vider en priorité et ne plus utiliser. Voilà, en gros,
l'esprit de ce rapport. A l'époque, il restait 106 000 tonnes de
1996 en stock.
M. le Rapporteur
- Il serait intéressant que la commission puisse
l'avoir.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Je peux vous le communiquer.
M. François Marc
- Il a été fait état tout
à l'heure de quelques cas pour lesquels les dossiers sont transmis
à la justice et qui concernent des entreprises de fournitures d'aliments
qui n'ont pas respecté la réglementation. Au-delà, on peut
aussi évoquer le principe de précaution, dans la mesure où
les informations que nous avons pu collecter au cours de nos entretiens avec
des entreprises font état d'interrogations, dès 1989, de
certaines entreprises.
Selon votre analyse, beaucoup d'entreprises n'ont-elles pas manqué de
vigilance sur l'application de ce principe de précaution ? N'y
a-t-il pas des informations qu'elles pouvaient déjà anticiper et
qui auraient dû les conduire à être plus vigilantes sur
leurs pratiques ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Je ne partirai pas du principe de
précaution mais de l'application de la règle. A partir du moment
où il ne fallait pas mettre de farine de ruminants dans l'alimentation
des bovins, puis de farine animale dans l'alimentation des bovins, beaucoup
n'ont pas été très rapides pour appliquer la règle.
Pour les enquêteurs que nous sommes, nous voyons si on applique la
règle ou non ; le principe de précaution implique une
évaluation qui n'est pas de notre domaine. Maintenant, si la question
est de savoir si beaucoup de producteurs n'ont pas appliqué la
règle, je vous réponds oui, et si vous me demandez si on peut le
prouver, je vous réponds que c'est possible pour certains.
Je n'ai pas envie d'aller au tribunal. Donc je me méfie de ce que je
dis. Je forme l'hypothèse que beaucoup n'ont pas appliqué la
règle, mais j'ai au moins six cas pour lesquels je peux le prouver.
M. Jean-François Humbert
- Pour éviter que vous n'alliez
au tribunal, êtes-vous en mesure de nous fournir, dans les jours ou les
semaines qui viennent, les noms des principaux fabricants de lacto-remplaceurs
que vous avez rencontrés directement à travers vos dossiers et y
a-t-il une possibilité, parmi d'autres, que ces lacto-remplaceurs soient
éventuellement à l'origine de cas de vache folle ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Je peux vous fournir les noms des
fabricants de lacto-remplaceurs, mais je ne dispose d'aucun
élément me permettant de dire que ces produits ont joué un
rôle.
M. Jean-François Humbert
- J'ai été aussi prudent
que vous dans ma formulation.
M. le Président
- S'il n'y a pas d'autres questions, nous allons
en terminer avec cette audition parce que nous en avons une autre qui doit
suivre. Avez-vous quelque chose à ajouter ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Oui. J'ai parlé de trois
hypothèses sur les farines et je voudrais donc parler de la
troisième, qui n'est pas neutre. En effet, on s'aperçoit
aujourd'hui que l'on a échangé des farines avec différents
pays européens et que ces pays étaient contaminés.
Pour être complet, je résume donc les trois
hypothèses : farines françaises, farines britanniques,
d'origine masquée ou non, et farines européennes, qui ne sont pas
exclusives l'une de l'autre. Voilà notre idée sur la chose.
M. le Président
- Très bien. Monsieur le Directeur, nous
vous remercions de votre intervention qui était extrêmement
intéressante et enrichissante pour nous tous. Nous attendons simplement
que vous puissiez nous faire parvenir les différents documents que nous
vous avons demandés, sachant qu'ils sont de droit pour une commission
d'enquête. Je précise que nous devons rendre nos travaux pour la
mi-mai. Toutes les contributions que vous pourrez nous apporter nous seront
donc très précieuses.
J'ajoute que beaucoup de choses sont tenues secrètes jusqu'au moment de
la publication du rapport de la commission d'enquête et que nous vous
soumettrons ce qui vous concerne avant qu'il soit publié, du moins les
points qui peuvent être sensibles.
Audition de M. Christian HUARD, président de Conso France, regroupant
les associations de consommateurs ADÉIC, ALLDC, CNAFAL, CNL, CGL et
INDECOSA-CGT
(24 janvier 2001)
M.
Roland du Luart, président
- Nous recevons maintenant M. Christian
Huard, président de Conso France, qui regroupe plusieurs associations de
consommateurs : ADÉIC, ALLDC, CNAFAL, CNL, CGL et INDECOSA-CGT.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Huard.
M. le Président
- Je vous remercie, monsieur le Président.
Vous avez la parole pendant une dizaine de minutes, si vous en êtes
d'accord, pour présenter votre association et nous donner votre
sentiment sur le problème sur lequel nous travaillons, après quoi
le rapporteur ainsi que mes collègues vous poseront les questions qu'ils
souhaiteront.
M. Christian Huard
- Je ne vais pas prendre beaucoup de temps pour
présenter Conso France, qui est effectivement une coordination
d'associations nationales de consommateurs dont vous avez donné la liste
et qui avait fait l'un des dossiers prioritaires, lors de sa constitution, sur
le problème de la sécurité alimentaire en
général.
Cela dit, pour répondre à la question sur le pourquoi et le
comment, même si je ne pense pas que ce soit l'intérêt de la
commission ni de votre rapport, sachez que je tiens à dire aujourd'hui
que j'ai accepté de venir ici de bon gré non pas comme expert
juridique, comme expert technique ou comme scientifique mais comme
représentant des citoyens consommateurs qui se posent de grandes
questions.
L'avantage de Conso France par rapport à la seule association dont je
suis aussi responsable, l'ADÉIC-FEN, c'est de pouvoir disposer de
témoignages (c'est la grande difficulté que nous rencontrons et
que vous rencontrerez) tant de salariés de l'ensemble de la
filière agricole que de chercheurs publics ou privés qui,
notamment par la voie de l'adhésion, tiennent à nous informer
d'éléments d'interrogation, que cela vienne d'éleveurs ou
d'opérateurs économiques qui, pour la plupart, à chaque
fois qu'on leur demande de bien vouloir témoigner officiellement, y
compris en cas de recours, nous disent : « nous ne souhaitons
pas le faire. Nous vous informons au titre de citoyens mais, à titre de
professionnels, nous ne pouvons pas nous engager compte tenu des risques ou des
difficultés que nous pourrions rencontrer ».
Je confirme ce que disait récemment un juge d'instruction chargé
d'une enquête dans cette affaire. Nous sommes dans un dossier, et non pas
seulement sur les farines, dans lequel il règne quand même une
certaine loi du silence qui nous complique la tâche et nous oblige
à faire preuve d'une encore plus grande vigilance par rapport à
d'autres secteurs professionnels avec lesquels nous travaillons et dans
lesquels il y a un peu plus de transparence et de respect des obligations.
Lors d'une émission télévisée au Sénat,
à laquelle on m'avait invité avec vos collègues
parlementaires, j'avais dit que le problème, aujourd'hui, n'était
plus tellement de trouver de nouveaux droits ou de nouvelles lois mais de
rechercher une meilleure application des lois, droits et obligations existants,
tant il nous apparaît, quand on fait la somme des éléments
d'information dont nous disposons, et non pas forcément des
témoignages sur lesquels nous pourrions vous apporter des preuves, que
l'un des grands problèmes de la filière bovine, et bien
au-delà de celle-ci, c'est le respect des dispositions
législatives et réglementaires qui sont prises.
Je le dis en introduction pour justifier le fait que je ne vais pas m'en tenir
aux seules farines animales. En effet, le dossier, chez nous, n'est pas celui
des farines animales mais celui de la vache folle, de la production bovine et,
au-delà, de la production de viande. Cependant, nous aurons aussi
l'occasion de revenir sur les risques que l'on fait prendre aux consommateurs
dans les techniques et les méthodes de production des
végétaux, même si je n'en parlerai pas aujourd'hui.
Sur l'ensemble des filières viande, il faut avoir une vigilance accrue
compte tenu de méthodes qui sont utilisés dans ces
filières et qui ne sont pas respectueuses, loin s'en faut, de la
législation, qu'elle soit européenne ou nationale, mais
néanmoins plutôt plus dans notre pays que dans d'autres --j'y
reviendrai tout à l'heure--, ce qui nous pose de vrais problèmes
et nous conduit à faire preuve d'un grande vigilance.
Ce n'est pas un spécialiste qui va vous parler mais plutôt un
représentant des citoyens qui est à une place où il doit
concentrer des informations d'origines variées et diverses.
In fine, pour la première fois, je sortirai d'un silence sur une
question que l'on nous a posée et je vous en réserverai la
primeur parce que je considère qu'aujourd'hui, en témoignant ici,
je me dois, au nom de Conso France, de vous informer d'une interrogation forte
qui n'a jamais été évoquée sur le problème
de la vache folle et sur laquelle votre commission d'enquête pourra
peut-être déblayer des terrains qui n'ont jamais été
évoqués jusqu'alors, pas plus dans les médias que chez un
quelconque responsable de la filière, et qui pourraient peut-être
même exonérer certains acteurs de la filière de leur
responsabilité en la matière.
Cela étant dit, en ce qui concerne cette affaire de la vache folle, je
noterai tout d'abord que la gestion de cette crise, sur le terrain politique, a
été vraiment en notre défaveur.
Quelques faits. Cette crise a redémarré en octobre 2000, à
la suite de l'affaire Carrefour, mais nous avions déjà
communiqué dans les mois précédents en disant :
« nous sommes repartis vers une crise ». Nous ne savions
pas quand elle allait éclater mais nous pressentions à
l'époque que les choses n'allaient pas se lisser toutes seules et
qu'elles allaient à nouveau éclater.
Lorsque nous avons vu la manière dont cette crise a été
gérée en France et en Europe, nous avons été
très inquiets. Jamais les organisations de consommateurs n'ont
rencontré les ministres de l'agriculture concernés, qui se
refusent à toute rencontre avec ces organisations. Les décisions
sont prises essentiellement par les ministres de l'agriculture en Europe et il
n'y a jamais eu une seule réunion du conseil des ministres de la
consommation ni aucune réunion du conseil des ministres de la
santé au niveau européen lors de cette crise de la vache folle.
Toutes ces décisions ont été prises par les ministres
chargés de la responsabilité économique de la
filière agricole, et je le dis avec beaucoup de
sérénité.
Il faut dire qu'en France, nous n'avons toujours pas de ministre de la
consommation. Nous avons un secrétaire d'Etat qui, après les PME,
les PMI, le commerce et l'artisanat, qu'il a en charge directe, est
"chargé de la consommation", mais non pas des associations de
consommateurs.
Au niveau européen, en revanche, les choses ont beaucoup bougé.
Sur les vingt-quatre commissaires, l'un deux est chargé aujourd'hui de
la santé et de la consommation, le commissaire Byrne, que vous
connaissez sûrement.
En France, nous n'avons pas du tout les mêmes structures. Même
l'Allemagne, après la crise qu'elle vient de connaître, a
décidé de créer un ministre de la santé et de la
consommation. En France, il y a incontestablement une sous-estimation de
l'intérêt de la santé et de la protection économique
des consommateurs dans les prises de décision politiques. Je pèse
mes mots et je suis méchant ou volontairement précis dans mes
mots, mais je pense qu'aujourd'hui, on le paie gravement.
Il a donc fallu que les consommateurs, c'est-à-dire les individus, se
mettent à refuser de consommer, à décider d'en consommer
moins ou à choisir d'autres morceaux pour que la question politique soit
posée.
Si l'on veut se ménager d'autres crises à venir (je sors du cadre
de cette commission d'enquête mais c'est une réalité
nationale ou européenne vécue et partagée par toutes les
associations de consommateurs, si bien que ce n'est pas plus propre à
Conso France), il faudrait changer les méthodes de concertation et de
décision.
J'en veux pour preuve la réunion de la semaine dernière avec
l'ensemble des acteurs de la filière bovine sur l'impact des tests. Qui
va payer les tests ? Les consommateurs, alors que les seuls acteurs de
cette filière économique qui n'ont pas été
convoqués et que l'on a même refusé d'entendre : les
organisations de consommateurs. La décision est donc tombée. Les
absents ayant tort, ce seront les consommateurs qui paieront in fine le prix
des tests. Circulez, il n'y a plus rien à voir !
Quand nous disons que c'est dramatique, y compris sur la filière bovine,
nous nous retrouverons certainement dans deux ou trois mois pour constater les
effets d'une décision qui n'a pas pris en compte les
intérêts économiques et sanitaires des consommateurs et
nous ferons encore du "pédalage à revers" pour remonter une
nouvelle crise qui aura été créée faute d'entendre,
de vouloir écouter et de vouloir prendre en considération
à la hauteur nécessaire les intérêts des citoyens
consommateurs. Cette formule n'est pas de moi mais je la fais mienne
aujourd'hui.
A partir de là, nous avons transmis dix propositions, dès la fin
octobre, à Mme Lebranchu (j'espère que vous les avez
reçues également), au moment de son remplacement par M.
François Patriat, secrétaire d'Etat des PME-PMI et du commerce.
Cela se passait juste avant l'éclatement de l'affaire Carrefour et je
vais revenir sur ces dix propositions pour en mesurer l'impact. En effet, si on
nous avait écoutés à l'époque, on n'aurait pas
perdu quelques mois de plus qui ont coûté fort cher aux acteurs
économiques de la filière bovine. Ces dix propositions, que je
vais résumer sans vous les exposer de façon précise,
concernaient déjà le dépistage.
Nous pouvons dire que nous sommes satisfaits de la décision
européenne, mais je rappelle qu'elle n'a toujours pas de forme
juridique : il n'y a pas de règlement européen ni de
directive européenne et on ne sait toujours pas quelle forme elle va
prendre. De plus, comme elle va être soumise au Parlement
européen, on a encore un délai de mise en oeuvre. Pour l'instant,
nous en sommes encore dans le domaine de la bonne volonté des Etats et
des acteurs pour la mettre en oeuvre.
Début janvier, on a simplement modifié l'arrêté
fixant les obligations des abattoirs en France, mais je rappelle que cet
arrêté ne porte que sur les viandes abattues en France,
c'est-à-dire que, jusqu'au 1er juillet 2001, et pour autant que la
disposition européenne soit prise et que le règlement ou la
directive soit publié (il faut encore prévoir un délai de
mise en oeuvre dans les Etats et c'est pourquoi nous préférons
plutôt un règlement européen, mais ce n'est pas nous qui en
disposerons, sachant que la Commission est en train de travailler sur la forme
juridique de cette contrainte ou obligation), alors que sortent de Rungis
50 % des viandes qui sont produites et abattues en France, le reste
étant produit et abattu hors de France (même si ce n'est pas la
seule source d'approvisionnement de viande bovine en France, c'est quand
même la principale), jusqu'au 1er juillet 2001, donc, 50 % des
viandes qui seront encore mises en vente ne seront pas testées.
Quand nous demandons que l'on indique bien aux consommateurs quelles sont les
viandes de plus de trente mois qui ont été testées et
celles qui ne le sont pas, c'est simplement pour garantir au consommateur que,
dans 50 % des cas, si cela a plus de trente mois, ce n'est pas
testé. Cela permettra aussi de faire pression sur les viandes d'origine
européenne, voire étrangère, qui ne sont pas soumises
à cette obligation de tests, ce qui crée une
pénalité pour les consommateurs de viande française. En
effet, autant les viandes françaises vont avoir l'impact du test sur
leur prix, autant les viandes importées de pays où les tests ne
sont pas mis en place n'auront pas le même impact.
Au-delà de l'insécurité, nous aurons donc une forme de
dumping économique sur les coûts. Au-delà du 50/50, nous
risquons même d'avoir une importation massive de viandes
européennes d'ici le 30 juin. Les indications qui me viennent "d'amis",
c'est-à-dire d'adhérents, qui travaillent à Rungis me
montrent que c'est en place. Autrement dit, pendant ces six mois, nous aurons
non pas une relance de la filière bovine française sur laquelle
on fait porter des responsabilités et des contraintes mais, à
l'inverse, une importation massive de viandes européennes.
Je plaide pour cela ici parce qu'il me semble que les pouvoirs publics ne se
montrent pas à la hauteur de leurs obligations de relance de la
filière économique. Ce n'est pas mon rôle de le dire, mais
je pense qu'une filière qui est saine et qui se porte bien
économiquement a plus de chances d'être sûre en termes de
produits donnés aux consommateurs. En tout cas, je crains que nous ayons
des effets parasites forts d'un manque de cohérence européenne
dans l'urgence des décisions à prendre.
Je n'en dirai pas plus sur le problème du dépistage mais nous
sommes inquiets de voir qu'on laisse croire aux Français qu'ils ont
maintenant des viandes de plus de trente mois dépistées alors que
ce ne sera pas le cas avant au moins le 1er juillet si, d'ici là, le
règlement ou la directive européenne n'est pas publiée,
sachant que si c'est une directive, cela prendra plusieurs mois de plus.
Je rappelle aussi qu'en matière de traçabilité, la France
est grande importatrice d'abats bovins. Les Français semblent davantage
aimer les abats bovins avec une tradition de transformation par des cuisiniers
de renom. Or beaucoup de scientifique attirent notre attention sur les risques
supplémentaires non pas des matériaux à risques
spécifiés mais de certains types d'abats. Il n'y a pas longtemps
que l'on vient d'interdire le ris de veau, comme vous le savez, et bien
d'autres abats sont encore en interrogation aujourd'hui.
M. Jean Bernard
- On viendrait de le rétablir.
M. Christian Huard
- Il est compliqué de s'y retrouver dans les
abats qui sont autorisés ou non aujourd'hui, d'autant que le ris de veau
vient du veau et qu'il n'y a pas de matériaux à risques
spécifiés dans le veau dès lors qu'il est à moins
de douze mois. Cela dit, nous y reviendrons aussi parce que nous avons des
vrais problèmes d'interprétation de ces limites sur lesquelles
nous n'avons pas forcément les précisions qui conviennent.
Sur le dépistage, nous avons des interrogations sur le choix des tests,
même si ce n'est pas forcément sur ce sujet que nous en avons le
plus, mais l'élément qui, à mon avis, a le plus
d'importance, c'est la non-harmonisation des contrôles en Europe. Il
s'agit là non seulement des statuts ou de l'organisation publique ou
privée mais aussi de la compétence et des moyens techniques, je
dirai même des normes techniques mise en oeuvre pour effectuer ces
contrôles.
En clair --il n'est pas « franchouillard » de le dire mais
il est bon de le rappeler--, il faut reconnaître qu'en France, sur le
plan théorique, nous disposons de systèmes de contrôle et
d'obligations de finesse de contrôle que l'on ne retrouve pas dans les
autres pays. Comment peut-on comparer une chose qui est contrôlée
dans un pays et qui ne l'est pas dans un autre alors qu'on n'a pas
appliqué les mêmes normes ni les mêmes obligations
techniques de contrôle ?
Pour ce qui est de la détection de la présence de morceaux d'os
dans les farines végétales, on n'applique pas les mêmes
contrôles. Il n'est donc pas étonnant que l'on n'ait pas
forcément les mêmes résultats suivant que l'on
considère que la farine a été contrôlée en
Allemagne avec tel procédé ou ailleurs avec tel autre.
A cet égard, je tiens à apporter un témoignage qui m'a
été apporté par des sources très diverses et
à de multiples reprises. L'urgence, au niveau européen,
aujourd'hui, serait d'harmoniser ces contrôles. Il n'est pas possible de
continuer d'avoir des contrôleurs, notamment au Royaume-Uni, qui soient
payés par les contrôlés.
Lors de l'adoption de ce qu'on avait appelé « la loi
Vasseur » sur l'extension du code rural, toutes les associations de
consommateurs avaient protesté contre le fait que, si les
vétérinaires privés, dans leurs obligations avec leurs
clients, étaient payés par leurs clients, cela ne pouvait
générer que des troubles. On a eu le même problème
dans le domaine financier : quand les contrôleurs aux comptes des
entreprises sont payés par les entreprises, comment peut-on exiger d'eux
une totale indépendance ? On ne peut pas être naturellement
indépendant de ceux qui paient. C'est rêver que d'écrire
cela dans une loi ou un texte réglementaire.
Voilà pourquoi la notion d'indépendance, de qualification des
contrôles et d'agrément des contrôleurs devient vraiment un
problème européen. Cela ne peut pas rester à la libre
disposition des Etats. Il ne sert à rien d'avoir, pas plus en France
qu'ailleurs, des obligations ou des directives réglementaires ou
législatives si, derrière cela, on n'a pas harmonisé les
moyens de contrôler leur bonne application dans les mêmes
conditions dans tous les Etats.
Je pourrais prendre l'exemple des Pays-Bas, qui nous inquiète le plus.
Cela figurera dans le compte-rendu et ils le sauront alors peut-être. Au
Pays-Bas, il faut savoir que les contrôles, notamment dans les ports
(c'est un pays de grande importation, ce qui permet de nationaliser hollandais
des produits qui sont parfois fabriqués, produits ou
élevés dans d'autres pays de l'Union européenne), portent
essentiellement sur les taxes portuaires et non pas sur le contenu des
matériaux ou des aliments, quels que soient les secteurs, dès
lors qu'ils ne sont pas destinés à la consommation aux Pays-Bas.
En fait, le grand trou des contrôles en Europe est à rechercher
aux Pays-Bas. C'est aussi pour cela que les Pays-Bas, pour ne prendre qu'un
exemple récent, sont le seul pays où il n'y a pas eu de
problèmes de dioxine dans l'alimentation. Les effets sont liés
à la cause que je viens de donner : il n'y a pas de contrôle
indépendant et efficace mis en place dans ce pays. C'est aussi pour cela
que nous avons d'énormes trous en matière de
sécurité sanitaire, et non pas simplement alimentaire.
Vous m'excuserez d'être un peu bavard, mais j'essaie pourtant d'aller
à l'essentiel sur un certain nombre de faits, de reproches ou de
constatations.
J'en arrive aux farines.
Je tiens tout d'abord à préciser que, depuis 1996, toutes les
associations de consommateurs, en France, demandent l'interdiction des farines.
Même si cela constitue un retour en arrière, vous me permettrez
d'indiquer les fondements de cette demande.
Ce n'était pas une demande poujado-consumériste et il ne
s'agissait pas d'affoler la population. Simplement, nous disions que le fait de
l'interdire pour les bovins sans l'interdire pour tous les animaux comportait
un risque de contaminations croisées lors des transports et des
stockages (je suppose que bien d'autres personnes auditionnées ont
dû intervenir sur ce dossier), même si nous n'y croyons pas
beaucoup : ce n'était pas, pour nous, la principale cause.
Deux autres conséquences nous inquiétaient.
La première, c'est que le fait que ces farines animales étaient
données aux poissons (bien que les pisciculteurs ont très vite
décidé de ne plus utiliser de farines animales) faisait courir un
grand risque de contamination de l'eau. Des spécialistes nous disent
qu'un certain nombre de bovins ont pu être contaminés non pas par
leur alimentation de farine mais par l'eau, notamment dans les élevages
extensifs, où on ne leur avait donné aucune farine.
Or, si l'eau est contaminante pour les bovins, elle l'est aussi
nécessairement pour les humains. Quand on sait que le prion, si c'est
bien cette protéine qui est en cause --j'y reviendrai--, peut
résister à des années et à des conditions
climatiques et physiques extrêmement dures sans subir aucune
dégradation ou modification chimique, on peut estimer aujourd'hui que
l'on a fait prendre un risque, en n'interdisant pas les farines animales aux
poissons, peut-être plus dangereux pour l'homme à terme de par les
concentrations dans les nappes phréatiques.
Je dis cela à partir d'avis « d'experts » qui nous
disent qu'il faudra fortement s'interroger, dans les années qui
viennent, sur la contamination de cette maladie par l'eau.
M. le Président
- M. le Rapporteur va vous interrompre.
M. Jean Bizet, rapporteur
- Sur ce point précis, avez-vous des
documents scientifiques ou des notes de ces experts ?
M. Christian Huard
- Non.
M. le Rapporteur
- Ce sont des conversations ?
M. Christian Huard
- Nous avons des contacts avec un certain nombre de
chercheurs du CNRS à ce sujet.
M. le Rapporteur
- Pourrions-nous avoir des tirés à part
ou des notes de ces chercheurs du CNRS ?
M. Christian Huard
- Avant de venir, je leur ai demandé si je
pouvais donner leur nom pour que vous les invitiez à témoigner et
leur réponse a été non.
M. le Rapporteur
- Ce serait pourtant important. Nous sommes une
commission d'enquête et je me permets de vous rappeler que vous avez
prêté serment devant l'ensemble de l'assistance. Par
conséquent, à partir du moment où vous affirmez un certain
nombre de choses, il faut aller jusqu'au bout.
M. Christian Huard
- J'ai dit que la contamination par l'eau
était une grande interrogation que nous devons avoir aujourd'hui sur les
capacités chimiques du prion, si cette protéine est bien en cause.
M. le Rapporteur
- Pourrions-nous avoir précisément le nom
de ces chercheurs qui, au CNRS, partagent ces interrogations ou vous en ont
fait part ?
M. Christian Huard
- Ils ne sont pas habilités à
témoigner en tant que chercheurs du CNRS.
M. le Rapporteur
- C'est un peu surprenant.
M. le Président
- C'est un établissement public
français, quand même.
M. Christian Huard
- Quand des gens parlent en confidence en tant
qu'adhérents de l'association et viennent nous voir en tant que citoyens
pour nous dire : « voilà les interrogations que nous
avons à plusieurs », ce n'est pas du domaine du CNRS et je ne
peux pas aller plus loin vis-à-vis de mes adhérents qui
témoignent de beaucoup de choses dont je fais état ici par
loyauté.
Sinon, j'arrête tout et je n'aurai plus grand chose à dire. Nous
n'avons pas, nous, les outils d'investigation dont dispose une commission
d'enquête parlementaire. Nous sommes amenés à travailler
avec des gens variés qui sont, pour la plupart, des adhérents de
l'association.
De la même façon, les éleveurs dont nous avons pu
récupérer le témoignage dans certains départements
refusent de venir témoigner de ce qu'ils nous ont dit ou de ce qu'ils
ont fait.
M. le Rapporteur
- Dans ce cas, au nom de notre commission
d'enquête, nous demanderons au CNRS de mandater un certain nombre de
chercheurs qui travaillent sur le domaine de l'eau et nous ferons état
de vos allégations.
M. Christian Huard
- C'est de votre responsabilité. Au contraire,
si ces gens pouvaient être autorisés à se mettre à
parler, ce serait une bonne chose.
M. le Rapporteur
- C'est la responsabilité éminente de la
commission.
M. Christian Huard
- Je dis ce que je sais. Je vous ai dit en
introduction que bien des témoignages et des éléments
d'information nous sont transmis par les adhérents des associations
réunies dans Conso France et que, dans un certain nombre de cas, ils ne
souhaitent pas que l'on communique leur nom ni leurs coordonnées.
M. le Rapporteur
- Comment voulez-vous que nous fassions des
progrès sur ce point ? S'il y a eu des manquements, nous sommes
obligés de les signaler. Ce point nous trouble énormément.
M. Christian Huard
- Interrogez les spécialistes de l'eau et vous
verrez bien ce qu'ils seront amenés à vous dire. Je ne peux pas
témoigner à leur place ni donner leur nom.
M. le Rapporteur
- On ne vous demande pas de témoigner à
leur place. On vous demande simplement les noms de ces chercheurs au CNRS qui
vous ont fait ces confidences.
M. Christian Huard
- Ils n'ont pas fait des confidences en tant que
chercheurs au CNRS car ils ne sont pas autorisés à en parler. Ce
ne sont que des hypothèses et des travaux qu'ils mènent pour
certains d'entre eux et le CNRS n'est pas le seul concerné, pour tout
vous dire.
M. le Rapporteur
- Dans ce cas, quels autres organismes travaillent sur
cette question ?
M. Christian Huard
- En tout état de cause, ils sont venus nous
voir en tant qu'adhérents de l'association et j'atteste ici qu'ils ont
été entendus soit par moi, soit par d'autres responsables de
Conso France, car je n'ai pas tout entendu moi-même. Il est arrivé
un certain nombre de témoignages sur le problème et les risques
qui sont encourus aujourd'hui ainsi que sur les études à mener
sur les problèmes de contamination de l'eau par le prion.
Cela dit, vous avez droit de ne pas prendre en considération ces
affirmations. Je vous dis ce que je sais et non pas ce que j'ai inventé.
M. le Rapporteur
- Nous les considérons justement au premier
chef. Vous vous méprenez sur le sens de notre question. Nous ne mettons
surtout pas en doute vos affirmations, vos interrogations ou les confidences
qu'on a bien voulu vous faire ; nous voudrions simplement aller plus loin
dans la problématique et l'expertise. Il est assez curieux que vous ne
puissiez pas nous y aider. Je vous rappelle que vous avez prêté
serment pour dire la vérité et toute la vérité en
la matière.
M. Christian Huard
- Le témoignage que j'ai reçu est un
témoignage de citoyen et d'adhérent et non pas un
témoignage de chercheur.
M. le Rapporteur
- Ce n'est pas un citoyen anodin, si je puis dire. Si
c'est un citoyen qui travaille au CNRS, il vous l'a fait en tant que chercheur
du CNRS. Ce n'était pas "Mme Michu".
M. Christian Huard
- Je vous fais une proposition. Le jour où une
loi sera votée protégeant les salariés du secteur public
et privé, voire les contraignant à témoigner lorsqu'il y a
mise en danger... (Protestations des membres de la commission.).
M. le Rapporteur
- Monsieur le Président, je pense que l'on fait
fausse route.
M. Christian Huard
- Excusez-moi, mais Conso France a demandé
qu'une loi protège les salariés lorsqu'ils sont amenés non
pas à témoigner mais à indiquer officiellement un certain
nombre de pratiques auxquelles ils assistent dans leur entreprise, sachant que,
ce faisant, ils risquent de perdre leur emploi. Aujourd'hui, il n'y a pas de
protection des salariés, quel que soit leur statut, lorsqu'ils sont
amenés à dénoncer des pratiques portant atteinte à
la santé.
Vous pouvez vérifier la législation. C'est une demande
très forte de Conso France et d'autres confédérations
syndicales qui monte actuellement parce que, effectivement, le problème
est aujourd'hui d'apporter des preuves. Quand nous allons devant les tribunaux
pour faire sanctionner des pratiques qui ne conviennent pas dans certaines
entreprises, dès lors que nous n'avons pas de preuves, nous nous
retrouvons sans moyens d'agir. La seule façon d'avoir des preuves, c'est
de pouvoir faire témoigner des gens qui sont dans ces filières en
tant que salariés, acteurs, dirigeants ou responsables d'un certain
nombre de pratiques.
Voilà ce que je puis vous dire.
M. Jean Bernard
- Les gens du CNRS sont protégés par le
statut de la fonction publique, voyons !
M. le Président
- Les chercheurs sont très
protégés, même si Claude Allègre disait qu'on avait
beaucoup de mal à leur demander des comptes sur leur travail, mais c'est
un autre problème.
Vous avez prêté serment, monsieur le Président, en vous
engageant à dire toute la vérité, et notre commission
d'enquête a justement pour but de contribuer à faire
apparaître la vérité sur tous les problèmes
posés qui rejoignent les préoccupations des consommateurs. Nous
sommes donc exactement sur la même ligne.
Il est donc extrêmement grave que vous refusiez de donner des noms. Nous
allons être obligés de mettre dans notre rapport que vous n'avez
pas voulu donner le nom de gens « qui affirmaient que »...
C'est très préoccupant. Nous sommes en plein dans l'ordonnance de
1958 et c'est passible d'amendes et de tout le reste. En outre, vous ne
contribuez pas à la recherche de la vérité à
laquelle, vous comme nous, sommes attachés.
M. le Rapporteur
- J'irai plus loin, si M. le Président me le
permet. Vous ne contribuez pas non plus à protéger le
consommateur alors que c'est précisément votre rôle de
président.
M. Christian Huard
- Je comprends bien la question que vous posez et que
l'on peut poser effectivement sur le terrain réglementaire et
législatif ainsi que sous l'aspect du principe. En tant qu'organisation
de consommateurs, nous avons besoin, pour mener des investigations sur certains
dossiers, d'avoir des témoignages de personnes qui nous disent :
« je vous le dis, mais, surtout, je ne suis pas à l'origine de
cette information ». C'est très fréquent dans beaucoup
de domaines.
Nous n'avons pas d'autres moyens d'investigation et lorsqu'il faut
véritablement faire bouger les choses, il faut bien s'appuyer sur les
éléments d'information que nous avons.
Je comprends bien votre question et je la mesure bien mais je vous avais
prévenus d'entrée de jeu. L'intérêt, ou la
malchance, d'être responsable d'une association de consommateur, c'est de
disposer d'informations apportées par des gens qui viennent vous
dire : « Surtout, ne dites pas que c'est moi qui vous ai
apporté ces éléments d'information ». Je
comprends parfaitement votre question, mais je vous ai prévenus tout
à l'heure en disant que je n'avais pas les preuves écrites de mes
informations et que je n'étais pas autorisé à donner les
noms, et je tiens à maintenir les engagements que j'ai pris
auprès de ces gens pour qu'ils puissent nous tenir informés d'un
certain nombre d'éléments, d'hypothèses, d'analyses et
d'informations dont ils disposent.
Il n'y a pas d'autre solution d'avoir de l'information, dans un pays comme le
nôtre où tous les secteurs sont bien fermés, que de laisser
des gens venir nous parler en toute liberté, sans incidence sur leur
carrière, d'un certain nombre de faits dont ils ont connaissance.
M. le Président
- Notre audition est enregistrée
actuellement, mais je vous propose de nous donner par écrit le nom du
laboratoire auquel nous pourrions nous adresser pour que la
vérité apparaisse.
M. Christian Huard
- Si vous me parlez des confidences des
vétérinaires, je vais les retirer. De cette façon, vous
n'aurez pas le nom des vétérinaires qui nous ont contactés
pour nous donner des éléments d'information, mais vous serez
alors privés d'éléments d'information dont je dispose et
sur lesquels je ne peux pas vous donner le nom de la personne.
M. le Rapporteur
- Monsieur le Président, nous avons retenu avec
beaucoup d'attention le fait que vous vous plaignez de ne pas être des
interlocuteurs privilégiés auprès des différents
ministères et des différentes instances. Comment voulez-vous
être un interlocuteur privilégié si vous vous bornez
simplement à relayer des informations ou des suspicions et si vous
n'allez pas plus loin pour faire éclater la vérité ?
Je pense que vous n'êtes pas tout à fait dans votre rôle.
Vous êtes dans une commission d'enquête et vous avez
prêté serment. Soit vous nous donnez oralement les noms de ces
personnes qui vous ont fait « des confidences », soit vous
les transcrivez par écrit, mais si vous ne souscrivez ni à l'une
ni à l'autre de nos demandes pressantes, je crois que vous allez vous
attirer quelque ennui.
M. le Président
- Donnez-nous au moins le laboratoire.
M. Christian Huard
- Ce sont des témoignages d'adhérents.
M. Jean Bernard
- Mais ils sont en même temps membres du CNRS.
M. Christian Huard
- Ce sont aussi des citoyens consommateurs.
M. Jean Bernard
- Ils ont en même temps des compétences que
vous jugez suffisantes pour vous donner des renseignements crédibles.
Nous vous le demandons et je ne vois vraiment pas ce que cela a d'anormal.
M. le Président
- Je répète que vous avez la
possibilité de les consulter et de nous donner le nom du laboratoire si
vous ne voulez pas nous donner un nom. Il faut que nous puissions avancer sur
ce point, car c'est extrêmement important dans la recherche de la
vérité...
M. le Rapporteur
- ...et la protection des consommateurs.
M. le Président
- Jusqu'à présent, après
plusieurs dizaines d'auditions, personne n'a évoqué le
problème de la contamination par l'eau. Voilà pourquoi le
rapporteur et les membres de la commission sont très
intéressés par ce que vous dites. C'est extrêmement
important pour les citoyens consommateurs que nous sommes tous ici.
M. le Rapporteur
- Vous n'avez pas demandé le huis clos. Par
conséquent, à partir du moment où tout cela est
enregistré et télévisé, vous vous mettez,
vis-à-vis de vos adhérents, dans une position excessivement
délicate.
M. Christian Huard
- Je vais devoir retirer de la suite un certain
nombre d'éléments d'information dont nous disposons, mais,
dès lors que nous nous engageons auprès d'un certain nombre de
nos adhérents qui disent : « voilà où nous
en sommes dans nos recherches »...
M. le Rapporteur
- Je me permets de vous interrompre
immédiatement. Vous n'avez pas à retirer un certain nombre
d'informations que vous vouliez nous donner suite à cette altercation,
si je puis dire, parce que vous avez prêté serment en disant tout
à l'heure : « je dirai la vérité et toute
la vérité ».
M. Christian Huard
- Je vous dis toute la vérité. Je
dispose de cette information et je vous la donne.
M. le Rapporteur
- Vous ne dites qu'une demi vérité. Nous
vous respectons en tant que président de l'association des consommateurs
que vous représentez, mais vous venez de nous livrer quelques
informations détenues par des scientifiques et nous voudrions avoir, si
je puis dire, ces informations.
M. le Président
- Comme nous ne sommes pas en situation de huis
clos, je vous propose de nous donner des indices par écrit. Sinon, cette
affaire va très mal se terminer parce que nous nous trouvons devant un
point de rupture. C'est la première fois qu'une audition se termine
ainsi.
M. Christian Huard
- Sur les informations dont je dispose, si je dois
vous donner à chaque fois la source et la preuve, j'aurai terminé
très vite de vous dire les choses. Si vous voulez savoir ce que l'on
nous dit et ce que nous avons fini par apprendre non pas du fait
d'études scientifiques ès-qualité (nous n'avons pas de
laboratoire) mais par le biais de gens qui sont dans des laboratoires, qui sont
nos adhérents et qui travaillent sur des dossiers annexes (ils
travaillent sur un grand nombre de dossiers), ce qui nous permet d'avoir des
compétences internes pour apprécier la dangerosité des
choses, je ne vous dirai que la vérité, qui est celle qui peut
être attestée par un témoignage et le nom d'une personne.
Je n'ai pas d'autre choix. Soit vous souhaitez que je vous dise toute la
vérité que nous possédons dans l'ensemble des associations
de consommateurs de Conso France et même ailleurs, puisque d'autres
pourront vous confirmer ce que je vous dis là, soit nous sommes devant
un piège qui nous est tendu. Je prends la responsabilité
d'affirmer que le risque de contamination par l'eau est aujourd'hui
présent dans la tête d'un certain nombre de spécialistes de
la question et de gens qui travaillent dans ce domaine.
Il y a une étude anglaise à ce sujet, mais je n'en ai pas pris la
référence car je ne pensais pas que l'on irait jusqu'à en
rechercher la preuve. Si on en arrive là, je ne vais m'en tenir
qu'à des éléments sur lesquels j'ai le document, la
preuve, le témoignage et l'accord de la personne pour témoigner.
Cela dit, je ne suis pas producteur d'informations.
M. le Président
- Nous avons eu la déposition du
professeur Dormont, par exemple, qui n'a jamais évoqué le
problème de l'eau. Il est donc très important pour nous.
M. Christian Huard
- Des chercheurs anglais, il y a deux ou trois ans,
ont commencé à poser la question des risques de contamination par
l'eau quand ils ont examiné les conséquences du stockage des
farines animales en Angleterre et le fait qu'une certain quantité de ces
farines était entraînée par les eaux de pluie. Cette
étude a permis de commencer à se poser la question de fond sur
cet agent pathogène qui n'a pas été détruit. Ils
ont fait des expériences démontrant qu'au bout de sept ans, en
dépit de températures très basses ou très
élevées et de la présence dans l'eau, la protéine
n'était pas chimiquement modifiée.
Je ne suis pas le seul à faire cette affirmation et à poser
l'interrogation. La difficulté, pour les chercheurs, c'est de retrouver
des protéines dans l'eau, car c'est plus qu'un micro organisme. On en
revient aux difficultés scientifiques de mener aujourd'hui des
expériences à terme pour en connaître tous les effets.
Je note d'ailleurs que, sur le stockage des farines en France, il est fortement
question de les mettre dans des endroits où elles seront
protégées de tout ruissellement ou de tout entraînement par
l'eau. Si l'on prend cette mesure, c'est bien que, quelque part, un certain
nombre de spécialistes ont dit que la question était au moins
posée quant au fait de voir ces farines entraînées par
l'eau.
J'indique cela pour démontrer que cette information n'est pas
complètement sans fondement, mais si vous me demandez la liste, le nom
et les coordonnées précises des gens qui m'en ont parlé,
je maintiens que ce sont tout d'abord des informations que j'ai eues en mon nom
personnel et qu'a eues mon association, mais que d'autres associations de Conso
France les ont eues également par leurs propres adhérents. Quand
nous faisons le point entre nous des questions qui restent posées et qui
doivent encore être traitées dans les mois ou années qui
viennent, ces questions viennent fréquemment.
Je ne connais pas non plus la liste de toutes les personnes en question ;
je ne connais que celles qui m'en ont parlé à titre personnel,
mais ce n'est pas l'objet de cette intervention. Je ne suis pas là comme
citoyen ès-qualité mais comme responsable d'une association de
consommateurs. C'est à ce titre que nous avons des informations.
Maintenant, si vous voulez y donner suite, vous pouvez le faire, mais j'ai un
vrai problème avec les adhérents qui viennent nous voir ou qui
viennent voir d'autres associations de consommateurs de Conso France pour
apporter des éléments d'information dans des débats qui ne
sont pas sains. Pour être certains, justement, d'assurer la bonne
sécurité des consommateurs, on ne peut pas se contenter de faits
officiels à traiter.
M. Jean Bernard
- Je maintiens qu'il est dommage que vous ne puissiez
pas nous donner des renseignements beaucoup plus complets parce que, dans le
cadre de notre commission, nous nous occupons des farines animales. Dans mon
département, on prévoit un entreposage de farines
extrêmement important et il serait donc intéressant que des
spécialistes donnent leur avis sur l'étanchéité,
les moyens de les conserver, de les neutraliser, etc..
M. le Président
- Il serait bon d'auditionner les personnes qui
pourraient enrichir le débat.
M. Jean Bernard
- Nous ne demandons qu'à savoir.
M. le Rapporteur
- Monsieur le Président, permettez-moi de vous
préciser un point. Ne vous méprenez pas : vous n'êtes
pas ici sur le banc des accusés. C'est un partenariat que nous essayons
de créer avec le président des différentes associations de
consommateurs de France que vous êtes et nous vous faisons totalement
confiance. Si vous nous relatez des confidences ou des informations, non pas de
citoyens ordinaires --nous l'avons bien compris--, mais également de
chercheurs au CNRS, informations qui sont des hypothèses de travail et
qui se vérifieront ou non, cela ne vous mettra absolument pas en
porte-à-faux et cela grandira même les chercheurs. Un chercheur
cherche mais ne trouve pas forcément.
Si, pour reprendre le fil de vos propos, la nourriture des poissons
d'élevage aurait généré --on le comprend bien-- du
fait de ces farines animales, une éventuelle pollution des nappes
phréatiques, il serait important que nous puissions expertiser ce point
précis.
De même, il m'a semblé vous entendre parler également de
quelques confidences que vous avez eues de la part de
vétérinaires praticiens sur le terrain. Avant vous, nous avons
auditionné, en début d'après-midi, le président du
Syndicat qui nous a donné également quelques informations et nous
allons recouper tout cela, sans vous mettre en porte-à-faux,
évidemment, et sans vous mettre au banc des accusés.
A posteriori, si les hypothèses émises par les chercheurs du CNRS
s'avéraient exactes, nous en serions tous ennuyés, et vous le
premier, puisque vous nous avez mis l'eau à la bouche, si je puis dire,
sans nous permettre d'aller plus loin dans nos investigations. Je ne crois pas
que vous trahirez ceux qui vous ont fait ces confidences. Vous pouvez donc nous
donner ces indications par écrit ; nous ne trahirons pas votre
confiance, de même que vous ne trahirez pas la confiance des gens qui
vous ont fait ces confidences.
J'ai été membre, en 1998, de la conférence des citoyens
sur les biotechnologies et je peux vous dire que des passerelles ont
été créées entre les politiques et les
consommateurs. Si nous voulons essayer d'aller dans ce sens, il faut que chacun
joue le jeu. Nous ne sommes pas des juges ; nous voulons trouver la
vérité. Donc ne vous raidissez pas, si je peux me le permettre,
et ne considérez pas que vous êtes sur le banc des accusés.
Vous avez malgré tout prêté serment et il est important que
nous allions plus loin dans nos investigations pour la santé de
l'ensemble de nos concitoyens.
M. Christian Huard
- Je vous ai donné au moins l'institution
--elle a été citée à plusieurs reprises-- dans
laquelle cette idée est évoquée par un certain nombre de
personnes.
M. le Président
- Je vous rappelle que, depuis 18 h 00, il n'y a
plus de retransmission télévisée, et je ne vous trompe
pas. On vient de me faire savoir que c'est coupé depuis 18 h 00,
c'est-à-dire depuis six minutes.
M. Christian Huard
- Très bien. Je vous ai donc donné le
nom d'une institution publique qui dispose depuis 1996 de crédits de
recherche non négligeables sur l'ensemble des maladies à prion et
leur transmission. Si je m'adresse au directeur du CNRS, je n'aurai pas de
réponse, de toute évidence.
M. le Rapporteur
- Nous, nous l'aurons.
M. Christian Huard
- Dans ce cas, interrogez-le pour savoir quels
chercheurs ont déjà mené des pré-études sur
le maintien chimiquement stabilisé, si je puis dire, de cette
protéine dans les différents milieux où elle peut se
retrouver. Encore une fois, je précise que des recherches
internationales sont faites sur ce point et qu'une recherche anglaise a
été publiée. Les premiers qui en ont eu l'idée sont
des chercheurs anglais sur la base du stockage de leurs farines animales
à l'époque.
M. le Rapporteur
- Pourriez-vous nous communiquer cette note
anglaise ?
M. Christian Huard
- Je peux vous la retrouver.
M. le Rapporteur
- Vous comprenez dans quel esprit nous souhaitons
travailler.
M. le Président
- Il est bien prévu dans l'article 6 sur
les commissions d'enquête que "les rapporteurs des commissions
d'enquête exercent leur mission sur pièces et sur place", que
"tous les renseignements de nature à faciliter cette mission doivent
leur être fournis" et qu'ils doivent "se faire communiquer tout document
de service à l'exception de ceux relevant du secret défense".
Nous ne sommes pas dans le cadre du secret défense. M. le Rapporteur a
donc tout à fait le droit d'aller plus loin pour enrichir cette
recherche.
Nous voulons véritablement --c'est fondamental pour les associations de
consommateurs-- que ce dossier sur les farines animales fasse avancer la
vérité. La commission d'enquête n'est là que pour
cela. Or nous nous rendons compte en vous entendant, mais en entendant aussi
beaucoup d'autres personnes, combien c'est complexe et difficile du fait d'un
manque de transparence dans certains secteurs alors que nous voulons faire
avancer les choses.
Vous nous ferez donc parvenir le papier concernant les chercheurs anglais et
nous demanderons des précisions au CNRS sur les études au sujet
de l'eau.
Vous pouvez maintenant continuer.
M. Christian Huard
- Concernant le deuxième argument sur les
farines, le problème était de suivant. Les effets des farines
animales sur les bovins sont connus, efficaces et rapides, c'est-à-dire
qu'il ne convient pas de donner des farines animales sur une très longue
période pour avoir un effet sur la masse musculaire des bêtes.
Quant au lait, il faut régulièrement en donner pour avoir un
effet sur l'augmentation importante de la quantité de lait produite.
C'est d'ailleurs pour cette raison que l'on trouve plus de cas de vache folle
chez les vaches laitières plutôt que sur les races à
viande.
En effet, sur les races à viande (mais je me demande si je dois le dire
parce qu'il s'agit encore d'une vérité que l'on sait sans que je
puisse dire d'où elle vient), on sait qu'il suffit de donner des farines
animales à certains bovins de races à viande sur quelques mois
pour provoquer ce phénomène de grossissement. Par
conséquent, on n'est pas tenu de les leur donner cinq ans avant avec les
effets observés cinq ans après ; il suffit de les mettre,
quelques mois avant leur vente, au grossissement par les farines animales.
Cela nous a donc également inquiétés puisqu'on ne sait pas
véritablement à partir de quand une bête contaminée
devient contaminante pour celui qui la mange. Là-dessus, il y a encore
des incertitudes scientifiques. Lorsqu'on donne pendant trois mois à un
bovin des poignées de farine animale dans sa farine
végétale traditionnelle, cela a-t-il des effets sur
l'homme ? On ne le sait pas, mais on sait que les farines animales ont
continué d'être utilisées dans un certain nombre de fermes,
surtout chez les marchands de bestiaux qui ont retenu les bêtes pendant
un mois ou deux.
En effet, les marchands de bestiaux ne sont pas tous des parqueurs. Certains
sont des engraisseurs finaux de leurs bêtes et on sait que c'est
là que se pose le problème. L'un des problèmes de
l'éleveur de l'Eure vient peut-être de toute une filière
d'engraissement in fine des bêtes à viande et non pas des
bêtes à lait.
Voilà pourquoi nous avions demandé, dès 1996, cette
interdiction des farines animales, sachant que cette façon de faire
existait déjà entre 1990 et 1996, période au cours de
laquelle il était pourtant déjà interdit de donner des
farines animales aux bovins.
Voilà nos trois raisons d'inquiétudes fortes :
- les contaminations croisées lors des stockages, transformations et
compositions des aliments pour animaux,
- les contaminations par l'eau,
- le problème du « forcissement » des bovins juste
avant leur mise en vente, ce qui provoque des kilos de viande
supplémentaires à la vente.
Par ailleurs, nous nous interrogeons sur le problème des
conséquences de l'interdiction des farines sur les filières
végétales, mais je suppose que d'autres vous en ont parlé.
Nous avons rencontré et demandé à rencontrer les acteurs
de la filière des protéagineux et oléagineux pour en
mesurer tous les effets.
Je ne vais pas répéter, car vous le savez sûrement
déjà, que nous avons des risques, pour le consommateur, en termes
d'assurance sur la sécurité sanitaire, du fait du remplacement
d'une alimentation dangereuse, les farines animales, par une autre alimentation
de compléments végétaux de type OGM. Vous connaissez cette
problématique. Il ne faudrait pas que nous nous retrouvions, dans un ou
deux ans, dans une nouvelle crise faute d'avoir réglé en temps
utile la production de protéines végétales non
génétiquement modifiées, en ayant remplacé une
crise par une autre en termes de confiance des consommateurs.
Y a-t-il un risque ou non sur le soja génétiquement
modifié ? Ce n'est pas la question de ce soir et je
m'arrêterai donc sur ce point.
En tout cas, voilà les trois raisons qui nous avaient amenés
à demander la suppression des farines animales dès 1996. Si nous
avions été entendus depuis lors, nous aurions gagné
quelques années sensibles dans cette crise de la vache folle.
Maintenant, si vous me demandez pourquoi cela n'a pas été fait en
1996, je pourrai vous répondre.
Je reviens sur les contrôles. Je vous ai parlé des contrôles
européens d'entrée de jeu parce que je pense que les
parlementaires européens, avec lesquels je suppose que vous êtes
en relation, vont prendre le dossier du contrôle au niveau
européen, mais j'aimerais ajouter ici un problème que nous
rencontrons, nous, assez fortement. Là aussi, nous avons des
témoignages sur lesquels je ne peux pas vous apporter des preuves
(excusez-moi de le dire comme cela) mais qui montrent qu'il y a un
problème de coordination des contrôles en France.
Les contrôles et leur suivi, dans la filière bovine,
dépendent d'administrations de l'Etat très différentes qui
ne sont pas toutes mobilisées sur les mêmes intérêts
ou les mêmes missions. Ils dépendent bien entendu de la DGCCRF (je
suppose que vous avez eu ou que vous aurez l'occasion d'auditionner les
responsables de cette administration), des services vétérinaires,
des Douanes, dont je rappelle que la principale préoccupation est la
fraude fiscale ou la déclaration douanière, de la police et de la
gendarmerie. Or il nous revient assez fréquemment (si vous me le
demandez, je m'arrêterai une nouvelle fois car je comprends bien le
problème mais j'entends vous donner la vérité que nous
connaissons par des témoignages croisés et divers) que nous
avons, en France, des problèmes de suite dans les contrôles.
En clair, lorsqu'un agent de la DGCCRF de Rungis constate quelque chose et
voudrait mener une enquête pour remonter les faits, il ne peut pas
continuer à le faire pour des raisons de limites territoriales et
lorsqu'il faut concentrer ou mettre en place des actions conjointes de la
gendarmerie, de la police, de la DGCCRF et des services
vétérinaires, les témoignages qui nous arrivent montrent
que c'est toujours fortement compliqué.
J'affirme donc que nous avons un problème de coordination des
autorités françaises, pour ne pas dire européennes, pour
avoir des enquêtes non pas des services vétérinaires, de la
DGCCRF ou des Douanes mais des enquêtes nationales inter administrations
qui pourraient faire autorité et permettre d'avoir de véritables
investigations de ces services de contrôle, plus importantes que
l'investigation in fine.
M. le Président
- Depuis 1996, je pense que les autorités
françaises ont agi avec sérieux, notamment à partir de la
traçabilité. On nous a dit tout à l'heure, au cours d'une
audition avec le directeur de la Brigade nationale des enquêtes
vétérinaires, que le vrai problème était un manque
d'harmonisation européenne et que la France s'était
appliqué un certain nombre de règles que les autres ne
s'appliquaient pas. Avez-vous des contacts avec les associations de
consommateurs des autres pays pour faire le point et aboutir à une
harmonisation ?
M. Christian Huard
- Même si ce n'est pas le cas de Conso France
ès-qualité, mon organisation et d'autres organisations
regroupées dans Conso France sont membres de l'Association
européenne des consommateurs (AEC) qui s'est saisie de ce
problème. Sa présidente est suédoise, comme l'actuelle
présidence de l'Union européenne (ce sont des faits
d'actualité), et elle est très préoccupée par ce
problème de l'harmonisation des contrôles. Cette association
travaille dans un certain nombre de pays pour tenter de faire prévaloir,
dans tous les milieux politiques, qu'il y a urgence à obtenir au niveau
européen cette politique commune des contrôles en matière
de sécurité sanitaire et non pas simplement alimentaire, car nous
avons d'autres problèmes dans le textile, les produits pour la maison,
etc.
Nous avons en effet de vrais problèmes d'harmonisation des normes mais
aussi des contrôles qui s'appliquent dans ces différents pays.
Nous n'allons pas parler de tout ce soir mais, encore une fois, c'est un
problème général qui ne touche pas que l'alimentation. Le
statut des contrôleurs, en Angleterre, pose de vrais problèmes. En
effet, quand la plupart des contrôleurs sont payés par les
contrôlés au Royaume-Uni, ce qui n'est pas le cas dans toutes les
régions britanniques, cela pose un problème d'harmonisation pour
le Royaume-Uni lui-même : ils sont déjà en dysharmonie
au sein même de leur pays et ils sont donc en totale dysharmonie avec les
autres principes de contrôle (statuts, corps, capacités,
compétences, matériels, etc.) en Europe.
Par exemple, la France est la seule à s'être dotée de
normes qui justifient d'utiliser des techniques très modernes comme la
résonance magnétique nucléaire pour mener des
investigations sur des produits et les repérer plus facilement, ce qui
coûte très cher. Dans d'autre pays, on en est à peine
à l'utilisation de la loupe, si je puis dire, pour examiner un produit.
M. le Rapporteur
- Je voudrais vous poser une question sur les
dispositifs de traçabilité, d'identification et
d'étiquetage de la viande bovine. Vous avez dénoncé, le
18 juillet dernier, les dispositifs de l'Union européenne.
Pouvez-vous nous préciser quelles en sont les lacunes et quels seraient
les conseils ou suggestions que vous pourriez faire en la matière pour
améliorer cette traçabilité et cet étiquetage de la
viande bovine ?
M. Christian Huard
- C'était un point fort des
éléments que je comptais vous apporter. Je vous annonce
d'ailleurs (pour notre part, nous allons résister encore parce que le
problème est complexe) que l'UFC Que Choisir vient d'appeler les
consommateurs à boycotter toutes les viandes sur lesquelles il n'y
aurait pas les indications résultant de l'accord interprofessionnel, en
France, sur la race, la catégorie et l'origine parce que cette
proposition française d'extension a été
profondément modifiée par le Parlement européen, qui a
remplacé ces indications par des numéros d'abattoirs ou
d'ateliers de découpe.
Pour un consommation, un numéro n'a aucune valeur d'information. Certes,
cela permet la traçabilité en matière de contrôles,
parce qu'un numéro d'abattoir est préférable, parfois,
à l'origine d'un pays, mais on est en train de confondre la
traçabilité, c'est-à-dire les techniques qu'utiliseront
les services de contrôle pour un suivi et un éventuel rappel en
cas de problème, et ce que nous appelons, nous, l'information du
consommateur, c'est-à-dire l'étiquetage sur le lieu de vente.
Au point où nous en sommes de nos études et de nos discussions
internes avec les consommateurs, nous estimons qu'il faut donner maintenant
trois paquets d'information.
Le premier doit porter sur la race, la catégorie et l'origine. Il faut
donc absolument que les pouvoirs publics français (nous le faisons et
cela a d'ailleurs été bien repris pour l'instant) demandent au
pouvoir européen de remettre sur le chantier ce problème
d'indication des catégorie, race et origine et de revenir sur la
décision du Parlement européen si c'est possible.
Le deuxième point sur lequel nous avons à travailler porte sur le
dépistage de la viande au moment de l'abattage. Le problème se
pose jusqu'au 30 juin, comme je l'ai dit, mais nous aurons aussi le
problème, par la suite, des pays situés en dehors de l'Union
européenne dans lesquels on pourra continuer d'importer des bêtes
sans obligation d'obéir forcément au règlement
européen qui demande un dépistage en amont. Il s'agit en effet du
moment de l'abattage.
On peut donc imaginer aisément qu'un certain nombre de bêtes
nées et élevées dans l'Union européenne partira
dans des abattoirs situés dans des zones frontalières de l'Union
européenne pour y être abattu et pour se soustraire alors à
de telles obligations.
Voilà pourquoi nous demandons aussi --mais c'est contesté pour
l'instant-- que les viandes dépistées soient signalées et
connues du consommateur. Le consommateur a besoin de savoir si la bête de
plus de trente mois qu'il achète a bien été
dépistée ou ne fait pas partie de ces bêtes qui sont
passées dans les trous de la réglementation.
Le troisième élément sur lequel nous travaillons
d'arrache-pied actuellement avec les responsables de la distribution bovine est
une chose qui avait été refusée en 1996 et qui
était pourtant très demandée par les consommateurs :
la nature et les modes d'élevage. En effet, on ne peut pas se satisfaire
de n'avoir des informations ou des assurances sur les modes (à l'air ou
autres), la nature de l'élevage (intensif ou extensif) et l'alimentation
(au grains ou autres) que pour les viandes labellisées "bio".
Voilà les trois éléments sur lesquels nous essayons de
travailler. Il me semble que ces aspirations et ces demandes très fortes
des consommateurs dans tous ces secteurs mériteront d'abord d'être
traitées au niveau national, où nous avons au moins des
interlocuteurs relativement prêts, sachant que les distributeurs sont
assez touchés par cette crise, à organiser en amont des
contrôles et des vérifications, avant de passer dans le domaine
réglementaire sur ces trois aspects qui nous semblent important en
matière de vérification.
Cela ne répond pas entièrement à votre question mais vous
démontre que, dans cette problématique, il faut à chaque
fois bien scinder dans nos réflexions et nos propositions ce qui
relève de la traçabilité pour les contrôles et les
retraits en cas de problème et ce qui relève, à partir de
la traçabilité, de l'information donnée aux consommateurs.
Actuellement, on mélange trop ces deux aspects.
Encore une fois, tout n'est pas forcément dans l'étiquetage. Ce
n'est pas le débat de ce soir, mais je tiens à vous donner la
thèse que nous défendons à Conso France. A chaque fois, on
surajoute des informations du consommateur sur l'étiquette alors qu'elle
a une place et une dimension forcément limitées et, à un
moment donné, il faudra bien que la législation
différencie --cela peut être une bonne proposition pour le
Sénat-- ce qui relève du droit de savoir par les consommateurs de
l'obligation d'étiqueter pour un professionnel donné. Ce n'est
pas la même nature.
Pour me faire comprendre et ne pas jouer les mystérieux, je peux vous
dire qu'actuellement, nous travaillons beaucoup sur les produits
allergéniques ou allergogènes (selon les spécialistes).
Pour 0,1 % des Français qui ont besoin de savoir s'il y a du jaune
d'oeuf dans la préparation, pourquoi devrait-on donner l'information
à 99,9 % des Français qui n'en ont que faire ?
Il convient de mener une réflexion, en France, sur une modification de
la législation à cet égard. Tout ce que le consommateur
veut savoir ne doit pas forcément figurer obligatoirement sur
l'emballage ou l'étiquette. Je referme vite cette parenthèse pour
dire qu'il faut différencier, à notre sens, le problème de
la traçabilité du problème de l'information donnée
au consommateur. Après tout, cette information peut figurer sur le lieu
de vente et non pas forcément sur l'étiquette.
M. Paul Blanc
- Je voudrais avoir une précision. Si je vous ai
bien compris, vous conseillerez aux consommateurs français, en ce qui
concerne la viande bovine, de ne consommer que de la viande
élevée et abattue en France. Vous avez dit "abattue", ce qui veut
dire que vous êtes sûr qu'il y aura des tests, puisqu'on ne les
fait qu'en France, et "élevée", dans la mesure où vous
avez parlé de l'alimentation de la bête.
M. Christian Huard
- En 1996, malgré des accusations assez fortes
et malgré les limites, nous avions soutenu l'indication "VBF", viande
bovine française. Nous avions pensé que c'était un point
de passage obligé pour permettre au consommateur de retrouver une
confiance dans ses choix alimentaires, même si ce n'était pas la
totalité des éléments à mettre en oeuvre à
l'époque pour réussir ce retour de la confiance simple et pour
tranquilliser les consommateurs pour l'avenir. En effet, la pire des choses,
pour une filière, c'est de sortir d'une crise tout en préparant
la suivante.
En 1996, M. Vasseur, alors ministre de l'agriculture, nous réunissait
tous les mois pour faire état des problèmes, des questions, des
interrogations, une chose qui a disparu depuis. Je ne fais pas de la politique
en disant cela ; je constate simplement les faits. C'est à cette
époque que nous avons pu plus facilement et plus rapidement monter un
certain nombre d'opérations consensuelles, si je puis dire,
c'est-à-dire qui n'étaient pas dénoncées par l'une
ou l'autre des parties dans la mesure où elles faisaient l'objet de
discussions sur lesquelles nous essayions de trouver le compromis acceptable.
Aujourd'hui, vous me posez la question et je vous réponds donc que nous
avons décidé, à Conso France, de ne pas donner de consigne
aux consommateurs. Par conséquent, vous ne verrez pas de
déclaration de Conso France appelant les consommateurs à
boycotter le reste, parce que c'est un danger majeur dans la mesure où
on n'est pas sûr d'avoir forcément donné le bon conseil. Je
ne suis d'ailleurs pas sûr, aujourd'hui, que l'on ait scientifiquement
les moyens de donner le bon conseil.
Notre mission, en tant qu'organisation de consommateurs, est de faire en sorte
que toute viande qui est vendue, dans l'état de nos connaissances
scientifiques, soit au moins sûre et qu'ensuite, le consommateur puisse
disposer de choix entre viande de qualité ou non. Nous
considérons que la sécurité est un droit et que le
conseil : "mangez cela parce que c'est plus sûr" sous-entend :
"ne mangez pas cela parce que ce n'est pas sûr". Si ce n'est pas
sûr, notre rôle est de demander qu'on retire ces produits de la
vente.
Nous sommes donc sur une ligne très difficile à tenir dans
laquelle nous n'appelons pas au boycott. En revanche, nous avons soutenu "VBF"
à fond et s'il faut, demain, prendre d'autres initiatives que nous
sommes en train de prendre avec les distributeurs sur les méthodes
d'élevage, nous le ferons. Simplement, cela ne veut pas dire que l'on
demandera aux gens qui n'auront pas les modes d'élevage de certaines
viandes de ne pas consommer ce type de viande.
M. Paul Blanc
- Je vais vous poser ma question différemment et je
vous demanderai de me répondre simplement par oui ou par non. Si je me
place en tant que consommateur, faut-il aujourd'hui, pour être
"sûr", ne manger que de la viande bovine élevée et abattue
en France ?
M. Christian Huard
- Si vous ne me laissez que la possibilité de
répondre oui ou non, je vous réponds oui.
M. Paul Blanc
- Cela me rassure.
M. le Rapporteur
- J'ai une autre question mais, compte tenu des
horaires, il vous sera peut-être difficile de l'aborder dans le
détail. Si vous avez la réponse, il serait intéressant que
vous puissiez nous faire passer les documents correspondants. Les associations
de consommateurs se sont-elles penchées précisément sur
les importations d'abats et leur cheminement au travers de la chaîne
alimentaire, soit bruts, soit dans la composition d'aliments pour
bébés ou autres ?
Si vous avez quelque chose, je vous prie de bien vouloir nous envoyer les
documents correspondants.
M. Christian Huard
- Nous ne nous sommes pas penchée
spécifiquement là-dessus. Nous nous sommes penchés sur
deux autres types de problème : ce que nous appelons, globalement,
les produits transformés et les produits dérivés.
Pour ce qui est des produits dérivés, nous avons pris nos
responsabilités à l'époque et nous continuons de les
prendre quand on nous pose la question, même si nous ne faisons pas des
campagnes forcenées parce que nous ne cherchons pas à multiplier
la désassurance du consommateur. Nous pensons que ce sont des travaux
nationaux et européens qui peuvent apporter à un moment
donné les garanties nécessaires. Nous ne sommes pas des
"affoleurs" dans le domaine médiatique et nous ne cherchons pas à
nous faire un nom, loin s'en faut.
Pour ce qui est des gélatines, comme elles ne peuvent pas supporter les
traitements qui sont susceptibles de détruire le prion, sachant qu'elles
sont faites à partir de produits bovins pour la quasi-totalité,
nous avons appelé au boycott des gélatines importées pour
les enfants, notamment dans les confiseries. C'est la seule fois que Conso
France a décidé d'appeler au boycott des bonbons importés
contenant de la gélatine bovine.
Nous travaillons aussi en relation assez étroite avec le
ministère de la santé sur les produits dérivés. En
effet, nous avons aussi le problème des souches médicamenteuses,
des souches des sérums qui sont pris sur des bovins ou des souches
animales et nous demandons à ce sujet plus d'expertises scientifiques
pour en mesurer les effets.
Nous travaillons aussi actuellement sur d'autres dispositions comme les
transfusions sanguines et les dons d'organes, car nous ne voudrions pas nous
retrouver avec une insuffisance de compréhension. Je rappelle que
d'autres pays ont pris des dispositions tout à fait catégoriques
à l'égard des personnes ayant séjourné maintenant
en Europe, et non plus simplement en Angleterre, y compris pour les dons
d'organes.
Nous avons une interrogation que d'autres scientifiques ont dû vous
donner sur la possibilité très faible d'une contamination par les
appareils chirurgicaux car les techniques de stérilisation des appareils
n'assurent pas la destruction du prion. Comme on ne connaît pas les
effets de transmission directement par interventions chirurgicales --les
médecins sauront le dire mieux que moi--, la Grande-Bretagne a pris la
décision de procéder à la destruction de tous les
matériaux chirurgicaux après une utilisation sur des personnes
relativement ciblées et à risques en termes de maladie de
Creutzfeldt-Jakob.
M. Paul Blanc
- Il n'y a pas qu'en Angleterre que cela se passe.
M. Christian Huard
- C'est vrai, mais c'est parti d'Angleterre dans un
premier temps.
M. Paul Blanc
- Aujourd'hui, dans notre pays, beaucoup de pratiques
médicales d'endoscopie et chirurgicales se font avec des appareils
jetables, du matériel à utilisation unique.
M. le Président
- Il va nous falloir conclure. Nous allons vous
poser une dernière question.
M. le Rapporteur
- Je voudrais terminer sur les abats. Si vous pouviez
nous rendre destinataires de tous les documents dont vous êtes en
possession sur les abats et leur cheminement, nous pourrons les recouper avec
les informations que nous avons par ailleurs.
M. Paul Blanc
- J'ai une question complémentaire : avez-vous
une connaissance précise de l'utilisation par les industries
agro-alimentaires des abats et des graisses d'origine bovine dans les ravioli,
les sauces tomates, bolognaises, etc. ? Avez-vous des informations
précises là-dessus ?
M. Christian Huard
- Oui. Nous avons même une information qui a eu
un important retentissement sur les bouillons cubes, dans lesquels on a des
concentrés de toutes origines et de tous morceaux bovins sans
traçabilité et qui ne donnent aucune possibilité à
un contrôleur, à l'arrivée, de vérifier la
dangerosité ou l'origine de ce produit. Cela paraît
dérisoire, mais cela sert énormément dans la fabrication
de nombreux produits transformés.
Je réponds là-dessus avec beaucoup de sincérité, de
simplicité et presque de naïveté. Nous nous
inquiétons de ce problème mais nous n'avons jamais pu obtenir
l'ombre d'une information. Lorsqu'une grande chaîne de
télévision, à notre demande, a mené une
investigation très poussée, elle n'a trouvé aucune
réponse. Il y a un refus de réponse des professionnels au nom du
secret industriel de fabrication.
M. Paul Blanc
- Par conséquent, aujourd'hui, vous ne rassurerez
pas le consommateur sur les plats cuisinés.
M. Christian Huard
- Les plats transformés nous posent un
énorme problème parce que la traçabilité et les
origines deviennent quasiment impossibles à déterminer.
M. le Président
- Nous devrons travailler sur le problème
des plats cuisinés.
Monsieur le Président, vous vous avez dit tout à l'heure que vous
auriez une information extrêmement importante à délivrer
à la commission d'enquête. Etait-ce la révélation
sur l'eau ou pensiez-vous à autre chose ? Si vous le permettez,
nous allons conclure par là.
M. Christian Huard
- Je termine rapidement. Nos interrogations portent
sur un point : comment cette maladie est-elle apparue et quelles en
seraient les causes ? D'autres scientifiques ont dû vous en parler
et il y a de grandes interrogations sur ce point. Il y a en tout cas trois
familles de réponses.
La première possibilité est une mutation naturelle, auquel cas il
faut expliquer pourquoi les bisons aux Etats-Unis, les rennes au Canada et les
élans dans les grandes forêts américaines sont atteints de
cette même maladie. Comment se fait-il que la même mutation aurait
lieu chez plusieurs mammifères dans plusieurs endroits du globe ?
L'interrogation reste forte mais je ne pense pas que cette mutation soit
porteuse, même s'il n'y aura jamais de certitude.
La deuxième thèse, que M. Dormont a dû exposer ici et qu'il
partage avec d'autres scientifiques, c'est que la cause première serait
un micro-virus (je ne suis pas spécialiste et je ne me lancerai donc pas
sur ce terrain) ou, disons, une cause externe de type viral qui aurait
entraîné la mutation du prion et qui, de prion en prion, modifie
la totalité des prions dans une chaîne assez longue. Cette
thèse est débattue dans les milieux scientifiques --mais je ne
sais plus comment je dois le dire-- et certains ont déjà des
plaidoyers contre cette thèse du micro-virus.
La troisième thèse, c'est ce qu'on avait appelé à
un moment donné la "troisième voie" ; elle nous
inquiète particulièrement. En 1996, dès l'apparition de
cette maladie, en France, il n'y avait pratiquement qu'une seule équipe
de recherche, un seul laboratoire qui travaillait sur ce point : le
Commissariat à l'énergie atomique (CEA). Les autres laboratoires
et les autres centres de recherche (CNEVA, CNRS) publics ou privés en
France ne menaient pratiquement plus de recherche sur ce sujet. On avait
considéré qu'il n'y avait pas lieu de chercher.
J'avais donc demandé à l'époque, avec d'autres, pourquoi
le Commissariat à l'énergie atomique était le seul
à le faire. Certes, il a un département de sciences de la vie et
il a des moyens, mais la question méritait d'être posée. Je
rappelle que le test français a été mis au point par le
CEA.
Nous avons mené l'enquête avec d'autres organisations de
consommateurs pour savoir s'il y avait des éléments de
corrélation ou de constante dans les autres pays. Or nous avons
découvert avec une certaine stupeur et même avec crainte qu'aux
Etats-Unis, l'essentiel des recherches sur les maladies à prion
était fait à partir de financements de l'armée
américaine.
Nous avons cette interrogation très forte --ce n'est pas une certitude--
qui est partagée par certains de nos amis et nous continuons cette
investigation pour déterminer si la cause ne serait pas externe et
liée à l'homme et non pas quelque chose de naturel, comme on
semble trop vouloir nous imposer la thèse ici ou là.
Voilà l'interrogation dont je voulais vous faire part. Cette fois-ci, je
ne me cache pas derrière mon petit doigt et je ne cherche pas à
protéger quiconque. Cette interrogation est de plus en plus
partagée par un certain nombre de personnes qui voudraient bien savoir
si on ne se trompe pas sur la cause première de cette maladie.
Cela semblerait supposer à terme que ce ne sont pas les éleveurs
ou la filière qui sont totalement responsables mais que nous serions
plutôt tous victimes que responsables dans cette affaire.
Voilà ce que je voulais dire et exposer loyalement. Jusqu'alors, nous
nous étions interdits d'exposer cette thèse publiquement ou de la
donner à quiconque mais, ayant promis de dire la vérité,
je vous dis où nous en sommes et ce sur quoi nous travaillons
d'arrache-pied aujourd'hui pour essayer d'accumuler le maximum d'informations.
M. le Président
- Cette affaire est assez troublante.
M. Paul Blanc
- Jusqu'à preuve du contraire, je n'ai jamais
entendu dire que des vaches qui n'avaient pas mangé des farines
étaient malades.
M. Christian Huard
- Les élans ne mangent pas de farines animales
aux USA.
M. le Président
- Ce qui est troublant, c'est que des animaux
sauvages vivant dans les Rocheuses ont cette maladie et n'ont jamais
mangé de farine.
M. Paul Blanc
- Ils n'ont pas reçu non plus quelques armes
chimiques américaines.
M. Christian Huard
- Je vous livre un simple fait : on a
trouvé un troupeau de bisons décimé qui avait
changé son itinéraire de migration régulier. Il
était passé dans une zone où, il y a fort longtemps, il y
avait eu des explosions aériennes nucléaires, où on avait
testé des bombes nucléaires.
Je vous livre cette information provenant de correspondants américains.
Apparemment, des journalistes américains mènent des
investigations sur ce terrain.
Quant aux rennes, ils viennent vivre en toute liberté, pendant des
périodes un peu plus chaudes, dans des zones de l'extrême nord de
l'Amérique où ont été faites également des
expériences nucléaires.
Je vous livre ces éléments d'information avec certaines
réserves, sachant que je me devais de dire la vérité et
tout ce que je sais, sans pour autant afficher une quelconque théorie.
Je me devais de le dire parce que si, demain, on sort le dossier, vous pourriez
nous dire : "vous auriez pu nous en parler avant".
M. le Président
- Vous vous demandez en fait pourquoi le CEA est
le seul laboratoire qui faisait des recherches en 1996, sachant que c'est lui
qui a mis au point le test, en liant ces éléments au fait qu'aux
Etats-Unis, les recherches sur le prion sont financées par des
crédits défense, en retrouvant derrière cela le lobby
atomique à tous les coups. C'est, en quelque sorte, le raccourci des
questions que vous vous posez.
M. Christian Huard
- C'est une interrogation. Si j'avais une certitude,
je vous la donnerais.
M. le Président
- Nous la prenons bien comme telle. Il est
évident qu'il faut être très prudent sur tout cela.
Monsieur le Président, nous vous remercions.
Audition de M. Jérôme GALLOT, Directeur général de
la concurrence,
de la consommation et de la répression des fraudes
(DGCCRF),
et de M. Daniel HULAUD, chef de bureau (produits d'origine
animale)
(31 janvier 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Mes chers collègues,
merci d'avoir répondu à notre convocation et de participer
à cette audition. Je souhaite également la bienvenue à
M. Gallot, Directeur général de la DGCCRF, ainsi qu'à
M. Hulaud, Chef de bureau aux Produits d'origine animale dans votre
Administration.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Gallot
et Hulaud.
M. le Président
- Monsieur Gallot, dans un premier temps je vous
demande de nous donner vos impressions et les connaissances dont vous disposez
sur le problème qui nous intéresse. Ensuite nos collègues
poseront les questions qui leur semblent utiles.
M. Jérôme Gallot
- Le sujet qui nous intéresse
aujourd'hui, à savoir les farines animales, est évidemment au
centre de la problématique de l'ESB. Très tôt les
scientifiques ont estimé que les farines animales étaient le
vecteur de transmission le plus probable de la maladie. A ce jour, même
si d'autres voies de transmission sont évoquées, elles demeurent
la cause privilégiée de la maladie.
On constate d'ailleurs que l'ensemble du dispositif réglementaire, qui
s'est sensiblement renforcé au cours des dernières années,
est largement bâti autour de cette hypothèse.
La DGCCRF est l'une des administrations de contrôle qui intervient en
matière de sécurité alimentaire. A ce titre, elle a, bien
entendu, participé à l'élaboration du dispositif
réglementaire et concouru au respect de cette réglementation.
Je rappelle très brièvement que j'occupe depuis le 5 mars 1997
les responsabilités de Directeur général de cette
Direction qui emploie un peu plus de 4 000 personnes parmi lesquelles
environ 3 000 ou 3 100 sont dans les Directions départementales et
régionales, 340 à 350 sont dans les 8 laboratoires et le
complément est à l'Administration centrale.
Cette Administration s'occupe, certes, de sécurité alimentaire,
mais aussi de sécurité des produits industriels, des
problèmes de concentration, de contrôles des marchés
publics, de la concurrence, de la protection économique du consommateur
et a également d'autres missions comme l'urbanisme commercial. Je ne
citerai pas toutes ses missions car c'est une administration de
régulation et de contrôle qui a beaucoup d'aspects liés
à la loyauté et au bon fonctionnement des marchés.
Quel a été le rôle de la DGCCRF dans l'affaire qui nous
occupe ? Il a été celui que lui assigne le Code de la
Consommation, à savoir assurer la loyauté des transactions, en
l'occurrence le contrôle chez les fabricants d'aliments, la
vérification des formulations et de l'étiquetage et, plus
globalement, la protection des consommateurs puisque cette Direction
générale du ministère de l'Economie, des Finances et de
l'Industrie a une mission horizontale de protection des consommateurs dans le
cadre d'un rôle général de surveillance du marché.
Elle a exercé sa mission en coopération avec d'autres services de
contrôle tels que la Direction Générale de l'Alimentation
et la Direction Générale des Douanes et des Droits Indirects. Je
dois préciser que cette coopération a été
considérablement renforcée ces derniers temps.
Les farines ont été très tôt au centre des
préoccupations des Pouvoirs publics français en matière
d'ESB. Je ne rappellerai pas les grandes dates, de 1989 à 1994, que tout
le monde connaît, mais je ferai quelques commentaires sur cet historique
quelque peu lointain.
Les premières mesures ont été prises en 1989 et il faut
attendre 1991 pour avoir un premier cas d'ESB en France.
Toutes les mesures ont été prises après consultation des
instances scientifiques, notamment le Conseil Supérieur d'Hygiène
Publique, la CEDAP, la CIAA, la Commission des toxiques, toutes commissions qui
sont maintenant regroupées dans l'AFSSA qui est l'instance
d'évaluation des risques. Il faut clairement dire qu'en France il y a eu
une anticipation par rapport aux mesures de protection prises en matière
communautaire.
Dès la mi-1992, cette Administration avait organisé des
réunions de travail très approfondies avec les scientifiques, les
mêmes que ceux que nous entendons aujourd'hui, à savoir M. le
Professeur Dormont et Mme le Professeur Brugère-Picoux, en associant
d'autres administrations sur la nécessité, ou pas, de prendre des
mesures réglementaires.
Concernant la première mesure d'interdiction des farines pour les
bovins, qui date de 1990, la première concrétisation dans le
contrôle consiste en une note de service entre la Direction
Générale de l'Alimentation et la DGCCRF datant du 6 novembre
1990. Cette note précise, et nous aurons l'occasion d'y revenir, le
champ d'intervention respectif des deux services ; elle a par ailleurs
été précisée et complétée en 1996 et
ensuite un peu plus récemment.
Globalement, il faut retenir que la Direction Générale de
l'Alimentation intervient chez les équarrisseurs et dans les
élevages et la DGCCRF le fait chez les fabricants d'aliments pour
animaux. En même temps, cette intervention chez les fabricants d'aliments
pour animaux n'est pas exclusive du fait que nous puissions remonter en amont,
notamment chez les équarrisseurs, pour le contrôle de l'origine
des matières premières utilisées. Plus
généralement, la DGCCRF agit au stade de la fabrication et de la
commercialisation pour assurer la loyauté des transactions et la
sécurité des consommateurs.
Les deux mots de « loyauté » et de «
sécurité » sont d'ailleurs ceux que l'on retrouvera le plus
fréquemment quand il s'agit d'expliciter le mode d'action de ma
Direction générale.
Les contrôles réalisés par ma Direction dans les
entreprises ont pour objet de déceler, à tous les stades de la
production et de la transformation, les pratiques interdites (c'est notamment
la répression des fraudes), de repérer les marchandises non
conformes et dangereuses et, par conséquent, de rechercher des
infractions éventuelles, d'évaluer le dispositif
d'autocontrôle mis en oeuvre par les entreprises pour s'assurer de la
bonne exécution de leur activité au regard des obligations
réglementaires qu'elles ont et d'essayer de remédier aux
anomalies détectées à l'occasion des contrôles.
Lors de leurs contrôles, les agents de ma Direction effectuent des
constatations directes, procèdent, si nécessaire, à des
prélèvements d'échantillons qui sont analysés dans
un laboratoire officiel, et réalisent un examen des différents
documents ayant trait à la fabrication, comme les factures ou les
formules de fabrication.
Je vous indiquerai quels contrôles nous avons réalisés,
comment nous les avons effectués et quels sont les résultats
obtenus. Je vous remets dès à présent les pièces
écrites sur les instructions et les bilans de ces contrôles. Vous
avez un document assez complet et je commenterai un certain nombre de ces
pièces. Je tenais à vous les remettre dès maintenant en
distinguant les notes de service et les résultats des contrôles
ainsi que des documents plus généraux, historiques, qui
expliquent tout ce qui a été fait par cette Administration depuis
une douzaine d'années sur ces sujets.
Pour vous donner quelques chiffres, les entreprises de fabrication d'aliments
pour animaux, dont j'ai dit que c'était le coeur de notre
compétence, ont été visitées et
contrôlées par les agents de la DGCCRF dans le cadre
général de ce que nous appelons le contrôle en entreprise.
Nous sommes passés d'un chiffre compris entre 200 et
400 contrôles par an, dans les années 1990 à 1995,
à un niveau situé entre 700 et 950 contrôles par an
depuis cette époque.
Dans un deuxième temps, nous réalisons, surtout depuis 1997, des
contrôles ciblés avec des comptes-rendus précis, dont vous
disposez, et méthodiques sur les aliments pour animaux ; pour cela,
nous procédons à des prélèvements dans les
entreprises et ils sont ensuite analysés par les laboratoires
grâce à une méthode de détection de la
présence de farines dans les aliments pour animaux. Je reviendrai plus
tard sur ce sujet. Depuis 1999, des contrôles du chauffage des farines
sont venus s'y ajouter.
Pour résumer : contrôles en entreprise, contrôles
généraux, contrôles ciblés sur la détection
de traces (ou la présence) de farines dans les aliments pour animaux
à partir de 1997, en second lieu, et en troisième lieu
contrôles, à partir de 1999, du chauffage des farines. Je vous
donnerai certains chiffres précis sur les éléments 2 et 3
de ces contrôles.
Je voudrais préalablement intervenir sur les importations car ce sujet a
beaucoup intéressé M. le Professeur Mattei. J'ai quelques
scrupules à affirmer que tout a été dit, d'autant que mon
collègue des Douanes vous en parlera plus tard. Je suis très
clair sur ce sujet et je n'ai pas l'habitude de fuir mes
responsabilités, mais vous devez savoir que mon Administration n'a pas
la compétence pour contrôler les importations ; c'est le
travail de la Direction Générale des Douanes et des Droits
Indirects. Le passage au « Grand marché » a perturbé
les statistiques douanières en raison même de l'allégement
des procédures imposées aux opérateurs.
Toutefois, mon Administration a pu apporter -d'où
l'ambiguïté- son concours à la Direction
Générale des Douanes et Droits Indirects pour préciser
certains flux d'importation de farines en provenance du Royaume-Uni entre les
années 1993 et 1996.
La DGCCRF (dont ce n'était pas le nom à l'époque) a
procédé depuis 1970, en les approfondissant depuis 1988, à
certains contrôles qualitatifs des produits d'alimentation animale
débarqués dans différents ports de l'Ouest de la France. A
cette occasion, nous avons commencé à rechercher les aflatoxines
dans les tourteaux d'arachide et nous avons vérifié la
qualité des matières premières importées. Nos
contrôleurs ont relevé, bateau après bateau, toutes les
données se rapportant aux produits, aux quantités, aux origines,
aux opérateurs et aux affréteurs.
Nous avons pu, grâce à la connaissance de ces opérations de
déchargement de matières premières importées,
apporter une aide à nos collègues de la Direction
Générale des Douanes et des Droits Indirects quand il fallait
connaître, en 1996, l'origine et la nature de certaines farines.
Ainsi, nous avons pu conforter, aider à redresser et modifier certaines
données et statistiques douanières. J'insiste sur le fait que la
DGCCRF n'a pas de données propres qui pourraient être
opposées à celles des Douanes.
Une synthèse des travaux avait été rendue publique en 1995
par le ministre délégué aux Finances et au Commerce
Extérieur sur les importations de farines en provenance du Royaume-Uni,
d'Irlande et de l'ensemble des pays de l'Union Européenne. Je n'ai,
aujourd'hui, aucun élément nouveau à ajouter.
Mon collègue, Directeur général des Douanes, vous donnera
plus tard les derniers chiffres qui ont été calés sur les
tonnages importés, mais je n'ai pas, par rapport à ce que je
viens de vous indiquer, de statistiques ou de documents différents.
La France a largement anticipé sur l'Union Européenne et sur
nombre de ses partenaires pour sécuriser sa chaîne alimentaire. Il
y a eu une restriction croissante en matière de farines et je ne
reviendrai pas sur la réglementation.
Je souhaite toutefois vous indiquer que certains problèmes ont
été rencontrés. En 1992, ma Direction
générale avait obtenu, à la suite d'un arbitrage
interministériel, la prise d'un arrêté interdisant
l'utilisation des farines de viande et d'os dans la fabrication des
matières fertilisantes. En effet, à l'époque nous
étions déjà préoccupés par
l'éventualité d'une contamination par le sol car des
études relataient l'existence de champs à tremblante. Les
contrôles menés par la DGCCRF avaient « fait du bruit »
à l'époque mais cet arrêté a été
annulé par le Conseil d'Etat en 1994 pour manque de motivations.
La prise du texte est de 1992 mais le temps judiciaire est différent. En
1994 cet arrêté a été annulé par le Conseil
d'Etat pour manque de motivations et des procès-verbaux
réalisés ont donc été annulés. Je dis cela
comme étant une erreur de parcours et il en existe éventuellement
d'autres.
Dans ma typologie, ce que nous avons fait depuis 1997 sera le second point. Il
s'agit des prélèvements effectués sur les farines et le
contrôle de l'existence, ou de la trace de farines dans les aliments pour
animaux. Il me semble en effet que c'est l'un des coeurs du sujet.
La DGCCRF a mis au point, dans le courant du premier semestre 1997, une
méthode d'analyse permettant la détection et la quantification
des farines dans les aliments. Je crois pouvoir vous dire que c'est un tournant
dans la réalité et dans l'efficacité des contrôles
puisque nous sommes passés d'un contrôle général en
entreprise à un contrôle spécifique orienté vers des
prélèvements nous permettant de détecter des traces de
farines.
A partir de ce moment-là, nous avons pu combiner le contrôle
documentaire et le contrôle analytique qui est plus efficace que le seul
contrôle documentaire. Nous avons immédiatement (les documents que
je vous ai remis en font état) lancé un programme de
contrôles sur cette base ; c'est ce que nous appelons la tâche
programmée 84 qui, depuis, a été précisément
reconduite trimestre d'activité par trimestre d'activité.
Je souhaite faire, sur ce sujet, un bref commentaire par rapport à une
polémique récente, du 25 octobre dernier, concernant un
prétendu seuil de tolérance dans la présence des farines.
En effet, le 25 octobre, un journal du matin a mis en cause mon Administration
sur une tolérance concernant les traces de farines. Or, les farines
animales sont interdites depuis 1990 pour les bovins et depuis 1994 pour
l'ensemble des ruminants, et un service de contrôle n'a pas la
possibilité de revenir sur une réglementation.
Par ailleurs, il est vrai que nous avons fixé une limite à partir
de laquelle une procédure est envoyée devant les tribunaux. Cette
limite est égale à 0,3 % de traces de farines dans
l'alimentation animale ce qui, techniquement, correspond à 0,1 % de
fragments d'os.
Cette limite existe parce que cette méthode d'analyse mise en oeuvre en
Europe pour la première fois par mes services, comporte, comme toute
autre méthode, une marge d'approximation et d'erreur et nous avons
constaté que l'analyse est fiable à 0,1 %.
S'agissant du cadre d'une procédure pénale, nous devons
démontrer au juge l'intention frauduleuse ou la négligence
coupable. A partir de 0,1 % nous avons estimé pouvoir convaincre le
juge et montrer que, même s'il n'existe que des traces, celles-ci sont
suffisantes pour démontrer la négligence coupable ou l'intention
frauduleuse. Dans le cas contraire, nous n'arrivons à rien devant les
tribunaux ; certains des bilans de contrôles qui sont en votre
possession indiquent que nous avons déjà rencontré des
difficultés pour obtenir des condamnations même quand des traces
de farines supérieures au niveau de 0,1 % ont été
relevées.
Jusqu'à présent, sur 15 affaires transmises à la justice,
concernant des cas à partir ou au-delà de 0,1 % de fragments
d'os, 7 ont été jugées, 5 ont été
classées, une a fait l'objet d'une relaxe et une seule condamnation a
été prononcée.
Vous constatez que cette polémique est particulièrement
déplacée et malveillante. Nous avons pris, en guise de marge
d'erreur, le seuil de 0,1 %, mais cela ne sécurise pas totalement
par rapport au devenir ou au bon aboutissement des procédures
judiciaires.
Le mot de « tolérance » est spécialement malveillant
car il donne l'impression qu'en deçà de ce seuil l'Administration
ne fait rien. Il est évident que l'Administration agit en
deçà de ce seuil et je reviendrai sur ce sujet pour prendre
quelque hauteur sur la différence entre les procédures de fraude
et de lutte contre la fraude, et les problèmes de sécurité
alimentaire.
Au titre de la fraude, nous envoyons à la justice au-dessus de
0,1 % mais au-dessous de 0,1 %, même si nous ne transmettons
pas au Parquet, nous agissons au titre de la Police administrative et des
pouvoirs que nous avons à ce titre. Dans ce cas, nous revenons dans les
entreprises et nous mettons tout en oeuvre pour les obliger à modifier
leurs process, afin que les sources de contamination soient recherchées,
et qu'elles adoptent des mesures correctrices.
Je suis heureux de pouvoir m'exprimer pour la première fois sur ce sujet
pour préciser que cela ne signifie pas que l'Administration accepte des
traces jusqu'à 0,1 % ; cela veut dire qu'elle agit au titre
des pouvoirs de Police administrative qui sont les siens. Il faut d'ailleurs
augmenter ses pouvoirs et j'ai fait des propositions au Gouvernement à
ce sujet.
Il est donc erroné de prétendre que nous avons admis un seuil de
tolérance. Il est également erroné de comprendre ce seuil
comme une abstention de l'Administration ou pire encore, car on voit bien le
glissement progressif vers le plaisir, vers ce qui pourrait être
assimilé à une sorte d'accommodement ou de « concubinage
» entre l'Administration et les entreprises.
J'ajoute, Monsieur le Président, que depuis 1997 nous sommes
restés fermes sur ce seuil de 0,1 % alors que le Comité
Scientifique Directeur de Bruxelles a retenu, en 1998, un seuil
supérieur puisqu'il a été placé à
0,15 %.
Dans ma typologie, le troisième point (touchant les méthodes
d'analyse) concerne le contrôle du traitement thermique des farines. En
1999, le laboratoire de Rennes a adopté une méthode encore non
officielle pour vérifier que la farine avait bien été
traitée à 133°C avec une pression de 3 bars pendant 20
minutes. Cette méthode assez technique est fondée sur la
dégradation d'une protéine de porc.
Des contrôles ont été réalisés et ils ont
donné lieu, en cas d'anomalie, à une information et à une
coopération avec les Services Vétérinaires qui
interviennent généralement avec mes services chez
l'équarrisseur fabriquant la farine. Pour l'année 2000, 83
prélèvements ont été effectués par la
DGCCRF, sur cette problématique du chauffage des farines, dans 18
entreprises agréées pour pratiquer le traitement thermique. Dans
18 cas, le traitement appliqué avait été insuffisant et
ces résultats ont conduit à 3 procédures contentieuses
ainsi qu'au retrait de l'agrément d'une entreprise.
Je terminerai par une interrogation. L'interdiction récente et
générale des farines a-t-elle été le
révélateur de l'échec de la sécurisation, que nous
poursuivons depuis un certain nombre d'années, et de l'échec des
contrôles ? C'est un point de vue qui a été parfois
développé, notamment par des scientifiques éminents tels
que M. le Professeur Pascal et d'autres.
Vous me permettrez de défendre le point de vue inverse. Je ne crois pas
que l'interdiction des farines, datant de la fin octobre et du début
novembre, soit un aveu ou un constat d'échec. Il est tout à fait
évident que les farines fabriquées en l'an 2000
présentaient un degré de sécurité beaucoup plus
élevé que les farines des années précédentes
grâce au retrait des MRS, des cadavres, pour lesquels nous avons
été en France quelque peu en avance, et aux traitements
thermiques dont je viens de parler ; l'un s'ajoute à l'autre et la
sécurisation provient de l'addition de toutes ces mesures.
A priori, les conditions d'une sécurité maximum (je ne dirai pas
totale) étaient réunies, même si nous n'étions pas
à l'abri de défaillances ou de fraudes. J'ai récemment
donné des statistiques montrant que des anomalies ou des fraudes ont
existé.
La mise en oeuvre du traitement thermique ne s'est pas faite sans
difficultés. Nous avons constaté, à l'analyse des farines,
des défauts de traitement dus à des dérèglements
d'appareils de mesure, à une insuffisante maîtrise des
procédures ou au fait que les températures n'étaient pas
suffisantes au coeur du lot. Par une action conjointe avec les Services
Vétérinaires, nous avons fait prendre des mesures correctrices et
notamment un retrait d'agrément.
Dans ce contexte il n'est pas déraisonnable d'affirmer que nous pensions
que les farines avaient atteint un niveau de sécurité
élevé. Les risques liés à une éventuelle
présence intempestive de farines dans les aliments pour bovins, par une
contamination croisée, devenaient plus un problème de fraude
qu'un problème de sécurité alimentaire stricto sensu.
On ne peut jamais dire que la fraude est éradiquée à
100 %. Il existait, même dans une période récente, des
risques de contamination croisée notamment lors du transport et du
stockage des farines. Une contamination chez les éleveurs n'était
pas impossible notamment chez ceux qui élèvent également
des volailles ou peuvent être tentés de donner de l'aliment pour
volailles aux bovins.
L'important est que la sécurité alimentaire a été
mise au premier plan des priorités d'action de ce service. En 1997 j'ai
fixé, avec l'accord des ministres, trois priorités d'action pour
ma Direction générale : le contrôle des marchés
publics, le contrôle de la concurrence et la sécurité
alimentaire. Les bilans des contrôles qui vous ont été
remis illustrent que cette priorité a été traduite dans
les faits.
Les statistiques des contrôles sont importantes sur les farines mais il
existe d'autres statistiques, plus générales, sur l'origine et la
traçabilité des viandes. Je n'en ai pas parlé car ce n'est
pas le coeur du sujet de votre commission mais je peux vous proposer des bilans
sur les contrôles puisqu'en matière d'origine et de
traçabilité des viandes nous avons effectué 63 000
contrôles. Je vous ai remis un document synthétique sur ce sujet.
J'insiste fortement sur la distinction entre la problématique de la
fraude et celle de la sécurité alimentaire. La fraude
nécessite, pour que les services de contrôle puissent
établir les fraudes, la confidentialité, le secret et la
discrétion, alors que la sécurité alimentaire exige la
transparence, la communication et l'information du public. Il existe un
défi pour mon Administration entre la préoccupation de la fraude
et celle de la sécurité alimentaire. Les deux
préoccupations peuvent être réunifiées par les
mesures de Police administrative. Nous ne pouvons pas nous contenter
d'être des auxiliaires par rapport à la Police judiciaire et par
rapport aux procédures pénales ; nous devons pouvoir
développer des procédures de Police administrative pour agir
très rapidement dans l'intérêt du consommateur.
M. Jean Bizet, rapporteur
- La première question que l'on peut se
poser concerne le rapport que l'on a coutume d'appeler le Rapport Claude
Villain de l'Inspection Générales des Finances. Ce rapport
rédigé fin septembre 1996 révèle que les services
de la DGCCRF, sollicités en juillet 1990 pour l'interdiction de l'emploi
de farines, n'avaient pas été informés de l'avis aux
importateurs publié en août 1989.
Confirmez-vous cette information et quelles sont les conséquences sur la
protection et l'information aux consommateurs ?
Ce même rapport révèle qu'une réelle collaboration
entre la DGCCRF et la Direction Générale des Douanes et des
Droits Indirects a été établie seulement au printemps 1996
afin d'échanger les renseignements existants (les listes des bateaux et
les documents irlandais) pour faciliter le contrôle des
déclarations d'échanges de biens et, inversement, la notification
de ces déclarations d'échanges de biens suspectes à la
DGCCRF.
Comment expliquez-vous cette absence de coordination jusqu'en 1996 et quelles
en ont été les conséquences sur les fraudes à
l'importation des farines britanniques ?
Par ailleurs, y a-t-il lieu de s'inquiéter de la composition des
bouillons en cubes, des fonds de sauce et de certains plats
cuisinés ? Si oui, pourquoi les industries agro-alimentaires
ont-elles pu utiliser des graisses animales issues de la pression des farines
ou des abats à risques importés de Grande-Bretagne ?
Concernant l'incorporation de farines dans les engrais pour améliorer
les sols, vous dites qu'un arrêté de 1992 a été
cassé par décision du Conseil d'Etat en 1994 au motif
d'insuffisance de motivations. Pouvez-vous nous dire qui a saisi le Conseil
d'Etat pour prendre une telle décision ?
M. Jérôme Gallot
- Je vous ai précisé que les
contrôles, non pas à l'importation, mais sur les matières
premières déchargées dans les ports, n'étaient pas
le coeur de compétence et d'intervention de la DGCCRF. Cette mission est
réalisée de longue date à partir d'une
problématique qui n'était pas celle de l'ESB mais elle a
été remobilisée sur l'ESB. Ce n'est pas l'essentiel de
l'activité de mon service, même si cette mission a
été fort utile et a produit des résultats.
Je vous ai remis des résultats de contrôles liés à
cette intervention dans les matières premières importées.
Je crois donc que la relation entre la DGCCRF et la Direction
Générale des Douanes et des Droits Indirects a été
établie de manière convenable à partir de 1996 ; le
Rapport Villain le dit. Cela ne signifie pas qu'il n'existait pas de relations
mais elles étaient moins importantes. Depuis, ces relations ont
été formalisées.
Nous avons, en février 1998, signé un protocole d'accord entre la
Direction Générale des Douanes et des Droits Indirects et la
DGCCRF. Il ne concerne pas la problématique des ports et de
l'importation, car ce n'est pas l'essentiel des activités de ma
Direction, mais plutôt les échanges d'informations lors de fraudes
ou de mouvements de marchandises anormaux. Quand les douaniers interceptent un
certain nombre de cargaisons ils ont besoin des Services
Vétérinaires, ou de mes services, pour contrôler sur le
territoire français la réalité du contenu de la
cargaison ; de ce fait, nous procédons à des
prélèvements.
C'est explicité dans le protocole d'accord de février 1998 et
nous avons procédé à environ 450 échanges
d'informations (appelées fiches d'analyse transmises entre les deux
Directions) depuis février 1998.
Je ne polémiquerai pas sur le passé, et ce que M. Claude Villain
affirme est peut-être vrai. Je peux dire que nous avons tiré les
leçons du Rapport Villain sur le fait que la coopération entre
les deux Directions du ministère des Finances chargées des
problèmes de sécurité n'était pas suffisante ;
elle a été renforcée à partir du début de
l'année 1998.
M. le Rapporteur
- Pourrions-nous être destinataires du Rapport
Villain et de ce document formalisant une meilleure coordination entre la
DGCCRF et la DGDDI ?
M. Jérôme Gallot
- Je vous remets dès maintenant le
Rapport Villain et je dispose certainement de l'autre document.
J'insiste sur le fait qu'entre les Douanes et la DGCCRF il existe un protocole
d'accord sur l'ESB datant de février 1998. Fin mars 2000 nous avons
examiné la totalité des relations de contrôle entre la
DGCCRF et les Douanes. Il existe un protocole de coopération, plus large
que le seul protocole de 1998 sur l'ESB qui doit faire l'objet d'un bilan
annuel. Nous ferons à ce titre un bilan complet pour l'anniversaire de
ce protocole.
Je vous remets le protocole de coopération d'ensemble, du 8 mars 2000,
mais il existe un protocole spécifique ESB en annexe.
M. le Rapporteur
- C'est une dérive ou un mal français et
nous notons avec beaucoup d'intérêt cette formalisation dès
1998.
M. Jérôme Gallot
- Vous m'avez posé le
problème de la relation avec les Services Vétérinaires
dans le cadre du Rapport Villain.
M. le Rapporteur
- Non, mais vous pouvez nous donner vos informations.
M. Jérôme Gallot
- Il a existé, le cas
échéant dans le passé, des difficultés ou des
crispations. Il s'agit de deux ministères différents et il ne
faut pas oublier l'histoire. En effet, l'ancien service de la répression
des fraudes venait du ministère de l'Agriculture et a formé en
1981/1982 la Direction de la Consommation et de la Répression des
Fraudes ; l'ensemble a ensuite fusionné en 1984/1985/1986 pour
former la DGCCRF.
Des relations ont été très importantes au niveau central.
Certaines notes de service, dont vous disposez, sont co-signées par les
deux Directeurs généraux. J'ai parlé de celle de 1990 mais
il en existe d'autres.
En matière de coopération je crois qu'il faut allier plusieurs
ingrédients. Le premier est la volonté personnelle des Directeurs
généraux de travailler très étroitement ensemble.
Cette volonté existe au sein de la Direction Générale de
l'Alimentation, avec le Directeur général de la Santé et
celui des Douanes. Les Directeurs généraux font preuve d'une
forte volonté personnelle de travailler en
complémentarité.
Cela ne suffit pas car il faut aller en permanence dans les services
déconcentrés, prendre son « bâton de pèlerin
» et se rendre dans les Directions départementales.
Personnellement, en 47 mois j'ai fait 98 déplacements sur le terrain et
j'ai visité 80 départements. Je pose régulièrement
la question aux responsables départementaux et aux agents sur le
terrain : concernant les relations avec les Parquets, avec le
Préfet, les Douanes et les Services Vétérinaires, quelles
sont les actions entreprises, existe-t-il une complémentarité et
une coordination pour qu'un commerçant ne soit pas contrôlé
un jour par les Services Vétérinaires et deux jours plus tard par
la DGCCRF ?
Il existe une volonté au sommet mais également un essai de
mobilisation fort pour apprendre à nos agents des Services
Vétérinaires et ceux de la DGCCRF à travailler ensemble.
Cela ne peut pas se faire rapidement mais des progrès significatifs ont
été enregistrés.
Il y a quelques années, plusieurs mois étaient nécessaires
pour trouver un accord sur l'interprétation de textes alors
qu'aujourd'hui ce délai est passé à 15 jours ou
3 semaines.
Concernant l'interdiction générale des farines, fin
octobre/début novembre, M. Hulaud, ici présent, a
négocié en une dizaine de jours, au maximum, avec ses homologues
de la Direction Générale de l'Alimentation. Ce n'est pas facile.
Chacun porte des responsabilités, des compétences et des points
de vue qui ne sont pas exactement les mêmes. Toutefois, j'ai la faiblesse
de considérer que cette diversité des opinions dans l'appareil
d'Etat est une source d'enrichissement et non pas de redondance.
Je pense qu'entre les Services Vétérinaires et nous il existe les
dominantes amont et aval. Les Services Vétérinaires sont en
amont, à l'abattoir où leur présence est
institutionnalisée et permanente, et pour exercer leur métier ils
se projettent plus en aval. Nous sommes en aval, au contact du
consommateur ; nous procédons d'abord, et avant tout, à des
contrôles au niveau de la distribution et, pour bien exercer ce
métier de l'information loyale du consommateur, nous sommes
obligés de remonter plus en amont car la traçabilité,
à savoir le contrôle de l'origine, nous impose de le faire.
Je disais que sur les farines nous avions avant une responsabilité
historique sur les fabricants d'aliments. J'ai aussi indiqué que nous
allions chez les équarrisseurs, même si ceux-ci relèvent
plus de la responsabilité des Services Vétérinaires, afin
de contrôler les matières premières. Les notes de service
d'il y a 4 ou 5 ans indiquent ce partage des rôles et des
responsabilités.
Je crois pouvoir vous dire que la coopération s'est intensifiée
et qu'elle donne aujourd'hui de meilleurs résultats parce qu'il existe
une volonté claire, au sommet, d'en vérifier les conditions
d'application. Certains pôles de compétences sont mis en oeuvre
par les préfets au plan local et je demande à mes Directeurs d'y
participer avec mobilisation, loyalisme et efficacité, tout en
respectant les compétences juridiques des uns et des autres. En effet,
nous aurions des problèmes d'efficacité juridique si nous
abandonnions une partie de nos compétences.
Par une programmation conjointe et une planification des sorties, nous
demandons à nos services déconcentrés de rendre compte de
leurs actions. Il est parfois difficile d'avoir des comptes-rendus car les
enquêteurs sont mobilisés au plan local par des sorties dans les
entreprises. Aujourd'hui, nous avons plus de comptes-rendus qu'auparavant. Je
ne peux pas dire que tout est parfait mais, indiscutablement, la situation est
meilleure aujourd'hui.
M. le Rapporteur
- L'année 1998 a marqué un tournant.
M. Jérôme Gallot
- Tout cela compose un processus continu.
Concernant les engrais, je laisse la parole à M. Hulaud car je ne sais
pas qui a fait le recours par rapport à la décision de justice
dont nous avons parlé.
M. Daniel Hulaud
- Un recours a été fait concernant le
texte visant à imposer une homologation à toutes les
matières fertilisantes qui renfermaient des farines de viande.
Cette homologation permettait d'interdire, par ce biais, un certain nombre de
produits qui pouvaient présenter un risque, de par leur épandage,
lors de la consommation de l'herbe par les animaux. Certains professionnels
considéraient que ce n'était pas approprié et que cela
allait au-delà des mesures de sécurité visant à
protéger de la santé des animaux et la santé humaine. De
ce fait, le Conseil d'Etat, considérant que les motivations
étaient insuffisantes, a annulé ce texte.
Aujourd'hui, un autre texte est présenté à la signature
des ministres et nous espérons que dans les prochains jours nous aurons
à nouveau un texte interdisant l'incorporation des farines dans les
engrais. Nous travaillons à ce projet. C'était une mesure
à laquelle nous tenions car il nous avait semblé, à
l'époque, qu'il s'agissait d'une bonne application du principe de
précautions.
M. le Rapporteur
- C'était un problème d'homologation et
cela relève plus d'une harmonisation au niveau européen. Je pense
donc qu'aucun organisme n'a fait pression.
M. Daniel Hulaud
- Cette affaire date de 1992 à 1994 et je n'ai
pas le détail de la procédure ayant conduit à cette
annulation ; nous pourrons toutefois vous fournir des informations.
Les procès-verbaux dressés pour l'application de cet
arrêté ont, je pense, conduit à une telle levée de
boucliers et à la saisine du Conseil d'Etat avec un recours en
annulation.
M. Jérôme Gallot
- Une question concernait les plats
cuisinés et les fonds de sauce. Nous contrôlons la totalité
des entreprises qui utilisent des éléments bovins ou des
éléments liés aux viandes d'une manière
générale. Il n'existe pas de différence entre les morceaux
de viande entiers et ceux que l'on retrouve à faible dose dans les fonds
de sauce ou certaines productions. Cela fait partie des missions habituelles de
la DGCCRF et nous contrôlons ce type d'aliments chez l'ensemble des
fabricants.
M. Daniel Hulaud
- Pour la sécurité de ces bouillons et
fonds de sauce, mais aussi de l'ensemble des plats cuisinés, il ne faut
pas oublier les mesures prises dès le début de l'année
1990 concernant l'interdiction d'importer des abats à risques en
provenance du Royaume-Uni. Certaines garanties ont été
apportées du fait de l'adoption de cet avis aux importateurs.
M. le Rapporteur
- Nous disposons de chiffres qui peuvent
désormais être croisés. Je vous rappelle qu'entre 1978 et
1987 la France a importé 3 185 tonnes d'abats et entre 1988 et 1996, sur
une période de 9 ans, 47 890 tonnes ont été
importées. Ceci est malgré tout choquant. Sur ce point
précis, avez-vous des informations à nous livrer ?
M. Daniel Hulaud
- Je n'ai pas d'informations précises. Sur la
période ayant précédé 1990 nous ne pouvons pas dire
grand-chose puisque les Anglais nous avaient précédés de
quelques mois. Nous avons cru bon de prendre un avis aux importateurs car nous
avions trouvé, notamment à Rungis, quelques abats qui avaient
franchi les frontières.
M. le Rapporteur
- Il s'agit de 47 000 tonnes ; ce ne sont pas que
« quelques abats ».
M. Daniel Hulaud
- Des produits étaient rentrés sur le
territoire français et nous avons pris cet avis aux importateurs.
Il existe plusieurs catégories d'abats et les abats à risques
étaient interdits à partir de 1990. Or, sans être
spécialiste des statistiques douanières, je peux dire qu'il est
fort probable que l'on ne fasse pas de différence entre le foie de veau,
qui reste autorisé, et pouvait être importé jusqu'à
la date de décision d'embargo de 1996. Il faudrait analyser ces chiffres
dans le détail pour savoir s'il ne s'agit pas uniquement de ces produits
autorisés ; c'est d'ailleurs ce que j'espère car, dans le
cas contraire, ce serait tout à fait anormal.
M. Paul Blanc
- Dans le droit fil de la question concernant les fonds de
sauce, etc., il me semble que le retrait des abats à risques a
été décidé en juillet 1992 pour les petits pots
pour bébés. Pourquoi cette même mesure n'a-t-elle pas
été appliquée pour les plats cuisinés ?
M. Jérôme Gallot
- Sur ce point M. Hulaud, qui était
présent à l'époque des événements, pourra
compléter l'information.
Obtenir une interdiction pour les petits pots pour bébés a
été un combat. Plusieurs semaines, voire des mois, de travail, de
conviction et de persuasion de l'ensemble du paysage interministériel
ont été nécessaires. A l'époque, cela a
été considéré comme un succès et comme une
mesure très positive de protection des consommateurs les plus fragiles,
à savoir les enfants. Cette mesure très importante a
été difficile à obtenir.
M. Daniel Hulaud
- Cette affaire était importante pour nous
puisque nous assurions, concernant la DGCCRF, la tutelle d'une commission
chargée des produits diététiques et des produits de
l'enfance.
Nous avons assuré cette tutelle jusqu'à la création de
l'AFSSA. Sachant tout ce qui était dit sur la maladie de la vache folle
et sur l'ESB, nous avons demandé, lors d'une des réunions de
cette commission, à un spécialiste des encéphalopathies
spongiformes de nous expliquer la situation.
Les travaux étaient conduits par M. Jean Navarro, Professeur de
pédiatrie à l'Hôpital des Enfants Malades. A la suite de
l'exposé fait par M. Deslys la décision a été prise
de rendre un avis visant à interdire, pour les produits relevant de la
compétence de cette commission, l'utilisation des abats à risques.
Les professionnels ont indiqué que c'était inutile puisque des
mesures avaient été prises. Cependant, les mesures prises au
niveau national ne visaient certainement pas les produits importés. Nous
avons donc pris l'arrêté et, dans l'avis émis par la CEDAP,
nous avons été conduits à saisir le Conseil
Supérieur d'Hygiène Publique de France puisque l'alimentation, en
général, ne relevait pas de la compétence de cette
commission. Le Conseil Supérieur Public d'hygiène de France a
rendu un avis plus tempéré que celui de la CEDAP et n'a pas
conduit les Pouvoirs Publics à prendre une telle mesure.
Toutefois, cet arrêté concernant les petits pots pour
bébés a fait l'objet de très vives critiques par la
Commission de Bruxelles et nous avons été contraints de nous en
expliquer à Bruxelles. J'y suis personnellement allé et je peux
vous dire qu'il nous a été rappelé à plusieurs
reprises qu'il s'agissait d'une mesure visant à protéger le
marché national, à entraver les échanges et que ce
n'était nullement une mesure de santé publique.
Nous avons, parmi les documents en notre possession, des pièces
attestant de cela et nous pourrons vous les fournir.
Nous avons pris des arrêtés de renouvellement mais ce n'est qu'aux
environs de 1996 qu'il a été possible de concrétiser par
un décret, et rendre pérenne, cette mesure qui n'était
valable qu'un an.
M. Paul Blanc
- Monsieur Gallot, vous parlez d'un combat ; vous
avez donc livré un combat contre Bruxelles.
M. Jérôme Gallot
- En quelque sorte.
M. Paul Blanc
- Vous avez parlé de la collaboration
étroite entre les différents services, notamment la DSV.
Concernant un cas pratique, êtes-vous informé de ce qui s'est
passé dans les Hautes-Alpes où la DSV des Hautes-Alpes a saisi le
Parquet de Gap à la suite de découvertes d'importantes
quantités d'aliments pour bovins contenant des farines animales
importées d'Italie ?
M. Jérôme Gallot
- Oui. L'origine du problème est
une fraude détectée par les Services vétérinaires.
Il y a eu ensuite un échange d'informations entre les services
concernés, la Préfecture, les Services Vétérinaires
et la Direction départementale. Mes services, avec les Services
Vétérinaires, sont ensuite retournés dans
différentes entreprises qui avaient pu être clientes de ce
fournisseur. Il s'agit d'une coopération importante entre les deux
services de contrôle, même si l'origine, à savoir le fait
générateur, est une découverte faite par les Services
vétérinaires.
Un autre aspect du dossier concerne l'information des autorités
étrangères faite par mon Administration centrale par une lettre
datée du 5 janvier.
Le sujet que vous évoquez illustre ce que je disais sur la fraude et la
sécurité alimentaire. Pour parvenir à élucider le
problème il a été nécessaire, pendant
3 semaines ou un mois, de rester dans une forme de discrétion. Nous
pensions (et nous le pensons toujours) que ce n'était plus un
véritable problème de sécurité alimentaire, des
mesures ayant été prises depuis 7 ou 8 ans, et que nous devions
traiter cette affaire ainsi.
Au cas par cas, nous sommes toujours confrontés à cette
problématique : faut-il, ou pas, médiatiser rapidement de
telles découvertes ? Si nous le faisons, nous nuisons à
l'efficacité de la lutte contre la fraude.
M. Paul Blanc
- Je voulais préciser cette collaboration par un
cas concret.
Vous parliez du contrôle de ces bateaux transportant des farines
animales. Quels sont les importateurs : des professionnels de
l'alimentation animale, des courtiers ou d'autres personnes ?
M. Daniel Hulaud
- Les importateurs peuvent être, dans certains
cas, des courtiers, mais ce sont aussi de gros fabricants d'aliments pour
animaux qui importent directement.
M. Paul Blanc
- Quand il s'agit de courtiers, n'est-il pas plus
difficile de remonter la filière et trouver la
traçabilité ?
M. Daniel Hulaud
- Nous avons plus de difficultés quand il s'agit
de courtiers car ce ne sont pas toujours des importations directes. Il a
été constaté que des marchandises pouvaient arriver par la
Belgique ou les Pays-Bas, notamment lors des contrôles
réalisés sur cette période de 1993 à 1996.
M. le Président
- Avez-vous des listes de courtiers et
d'établissements contrôlés ?
M. Daniel Hulaud
- Oui. La coopération avec les Douanes
intervient quand nous demandons à ses services quels sont les
importateurs pour certains types de produits. Ensuite, à partir de ces
listes, nous allons voir ceux qui nous intéressent.
M. le Président
- Je vous demande de bien vouloir nous fournir
les documents concernant les importateurs ou les courtiers
contrôlés.
M. Jérôme Gallot
- Oui. Vous avez déjà le
résultat de contrôles qui ont été menés dans
les années 1993 mais nous pourrons vous donner des résultats plus
complets.
M. Paul Blanc
- En ce moment les compléments alimentaires et les
lacto-remplaceurs sont au centre du débat. En assurez-vous le
contrôle et, si oui, comment ?
M. Daniel Hulaud
- Les lacto-remplaceurs ou les autres aliments sont
tous contrôlés. Je rappelle à cet égard le combat
que nous avons livré à une certaine époque concernant les
anabolisants ; cela a beaucoup occupé nos services durant les
années 1991 et 1992. Il est vrai que ces substances étaient
essentiellement présentes dans les lacto-remplaceurs puisqu'il
s'agissait d'aliments pour veaux que nous contrôlions au même titre
que les autres.
La seule problématique est que les ingrédients ne sont pas
nécessairement les mêmes. Nous ne trouvons pas la même
quantité de farines puisque les lacto-remplaceurs contiennent
très peu de protéines. Nos recherches sont donc orientées
différemment. Aujourd'hui, la problématique des graisses se pose
davantage. Je rappelle qu'un arrêté récent interdit
certains types de graisses à risques dans les aliments pour animaux.
M. Paul Blanc
- Actuellement, on parle beaucoup de l'utilisation de la
gélatine bovine pour les bonbons. Quel est votre sentiment sur le
sujet ?
M. Jérôme Gallot
- Ce sujet fait l'objet de contrôles
par nos services depuis fort longtemps, à savoir depuis pratiquement le
début des années 1990.
M. Daniel Hulaud
- La gélatine est un produit qui pourrait
éventuellement poser des problèmes. Au début de la crise,
avec M. Gallot nous avons fait visiter une fabrique de gélatine à
des scientifiques pour savoir s'il existait des problèmes concernant
cette fabrication. Aujourd'hui, les scientifiques s'interrogent toujours
puisqu'à Bruxelles il a récemment été question des
colonnes vertébrales. Il n'est pas impossible que des mesures soient
prises sur les matières premières mises en oeuvre pour
sécuriser davantage les produits.
M. Jean-François Humbert
- Monsieur le Directeur
général, vous avez évoqué un protocole d'accord
entre la Direction des Douanes et votre Direction en février 1998.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le contenu. J'ai en effet le sentiment que,
dans un certain nombre de cas, quand la Direction des Douanes n'avait rien
à reprocher, votre Direction, ou vos services régionaux ou
départementaux, se considéraient comme étant
exonérés d'aller plus loin. Je précise que c'est une
interprétation personnelle que vous pouvez contester.
Il me semble que nous aurions besoin de savoir quels sont les contrôles
opérés par votre Direction auprès des industriels de
l'alimentation animale depuis 1990, à savoir depuis l'interdiction de
l'utilisation des farines animales dans les aliments pour bovins.
A partir du moment où des contrôles ont eu lieu, qui était
à l'origine de ces contrôles, s'agissait-il d'une décision
nationale prise par arrêté ou par instructions internes à
votre Direction ou encore de décisions prises sur le plan
régional ou départemental ?
Concernant les petits pots pour bébés, vous avez dit, Monsieur le
Directeur général, que des semaines ou des mois de bataille
interministérielle avaient été nécessaires. Qui a
mené cette bataille, contre qui et quels ont été les
résultats ?
M. Jérôme Gallot
- En 1996, la DGCCRF a communiqué
aux Douanes des informations concernant les importations de farines ; cela
a contribué à la correction des statistiques douanières
qui avaient été établies à partir de données
incomplètes puisqu'il s'agissait de déclarations
d'échanges de biens qui n'étaient pas complètement
remplies.
Il s'agit d'une coopération au moment des travaux de la Commission
Mattei sur ce sujet.
Le 27 février 1998, après quelques semaines d'échanges,
nous avons signé ce protocole de coopération pour renforcer la
coordination et la coopération entre les deux services dans le but
d'éviter l'écoulement frauduleux de marchandises bovines
interdites.
Depuis la signature de ce protocole, 440 fiches ont été
transmises aux Directions Départementales de la Concurrence, de la
Consommation et de la Répression des Fraudes par les services des
Douanes. Quelques dizaines ont été établies lors de la
crise de la dioxine en 1999 et 376 concernaient des informations propres
à l'ESB. A partir de ces 376 liaisons des Douanes vers la DGCCRF, des
échanges ont eu lieu. De même, quelques dizaines de transmissions
autonomes ont été effectuées de la DGCCRF vers les Douanes.
Ensuite, nous avons effectué des contrôles conjoints. Il
s'agissait de contrôles routiers, puisque seule la Douane a le pouvoir
d'arrêter les cargaisons, et l'appréciation du contenu qualitatif
des marchandises nécessitait l'intervention des Services
Vétérinaires ou de mes services. De même, des
contrôles portuaires et aéroportuaires ont été
effectués ainsi que des actions en commun près des
frontières.
Je pourrai vous donner des bilans. Quelques dizaines de tonnes de viande en
provenance d'Espagne circulaient sans documents d'accompagnement, des
déchets contenant de la moelle épinière ou des cervelles
de bovins provenaient d'Allemagne, etc. Ce protocole a apporté quelque
chose dans la coopération des deux services sur le terrain.
M. Jean-François Humbert
- A partir de ce protocole, avec les
effets que vous venez de résumer de manière synthétique
(et je vous en remercie), les deux services dépendant plus ou moins du
même ministère, il doit exister une répartition des
rôles. Vous étiez d'accord pour que la DGCCRF intervienne dans tel
secteur et les Douanes dans tel autre. Quelle était la liaison entre les
deux services d'un même ministère, et des écrits
pourraient-ils nous être transmis à ce sujet ?
Nous sommes conscients qu'une audition très rapide ne vous permet pas de
nous donner l'ensemble des informations. Toutefois, il existe peut-être
des documents écrits que nous aurions intérêt à lire
et qu'il vous serait possible de nous transmettre.
M. Jérôme Gallot
- Je vous transmettrai le bilan de cette
coopération.
Je précise qu'il n'existe pas de véritable chevauchement de
compétences entre la Douane et la DGCCRF. Toutefois, il en existe entre
les Services Vétérinaires et la DGCCRF, ce qui nécessite
des notes de service au cas par cas sur l'ensemble de ces contrôles
d'aliments ou de viandes bovines ; c'est d'ailleurs ce que nous faisons.
Il existe une complémentarité d'action avec les Douanes. Le Code
des Douanes donne des pouvoirs beaucoup plus étendus que le Code de la
Consommation ; il permet notamment d'intervenir la nuit, ce qui n'est pas
autorisé par le Code de la Consommation.
En 1994, au sein du ministère des Finances un rapport administratif
connu sous le nom de Rapport Lefranc avait établi une sorte de ligne de
partage entre les Douanes et la DGCCRF sur divers sujets tels que la
coopération en matière industrielle, la contrefaçon,
l'économie souterraine, etc. Il avait été convenu,
à cette époque, que les Douanes s'interdisaient d'utiliser le
Code de la Consommation.
Le précédent Directeur général des Douanes et
moi-même avons convenu que cette ligne de partage n'était plus
actuelle. De ce fait, il fallait que les Douanes puissent utiliser les pouvoirs
tirés du Code de la Consommation car la sécurité
alimentaire ne se « tronçonne » pas en compétence
administrative ; elle est globale et il faut regrouper les forces. Dans un
certain nombre de crises récentes, les Douanes ont utilisé
très concrètement les pouvoirs tirés du Code de la
Consommation.
Toutefois, la zone de compétences communes est moins importante que
celle existant entre la DGCCRF et les Services Vétérinaires.
Là aussi des progrès non négligeables ont
été réalisés en matière de relations entre
les deux services.
M. Jean-François Humbert
- Avez-vous le sentiment que la
collaboration entre les Services Vétérinaires et vos propres
services est sans faille ou, au contraire, les relations, durant certaines
périodes, n'ont-elles pas permis une grande efficacité ?
Pardonnez-moi pour ce substantif à connotation péjorative.
M. Jérôme Gallot
- Je confirme que la coopération a
fait, durant des périodes récentes, des progrès
très importants.
M. Jean-François Humbert
- Cela signifie qu'entre 1990 et
aujourd'hui cela n'a pas toujours été le cas.
M. Jérôme Gallot
- J'essaie de parler des sujets et de la
période que je connais. A ce titre, il me semble que nous progressons
dans cette coopération.
M. Jean-François Humbert
- Nous vous en remercions.
M. Jérôme Gallot
- La deuxième question concernait
les instructions. En réalité, les réglementations sur ces
sujets résultent de décrets ou d'arrêtés. Ces
réglementations sont fondées sur des articles du Code Rural ou du
Code de la Consommation ou des deux en même temps.
Ipso facto, cela nous donne une habilitation pour contrôler. Toutefois,
le décret, ou l'arrêté en tant que tel, ne donne pas un
monitoring suffisant pour les services de contrôle et tout texte
important est suivi d'une note de service. Des exemples, même
relativement anciens, montrent que nous établissons, ou essayons
d'établir, ces notes de service conjointement entre les Services
Vétérinaires et la DGCCRF.
L'avantage est double car cela montre à nos troupes qu'il existe, au
sommet, une volonté d'entente. Par ailleurs, cela facilite l'application
concrète sur le terrain en évitant aux entreprises et aux
professionnels d'essayer de se faufiler entre des interprétations
divergentes des textes. Le symbole et l'efficacité commandent que cette
pratique soit systématisée et elle l'est aujourd'hui.
M. Jean-François Humbert
- Je me félicite que vous ayez
été nommé au poste qui est le vôtre aujourd'hui.
Depuis 1990 jusqu'à une période récente on peut sans doute
considérer (il vous appartient de confirmer ou non mes propos) que cette
coordination était peut-être insuffisante et qu'il n'existait pas
une conscience suffisante de la gravité du problème.
M. Jérôme Gallot
- Des notes de service étaient
communes.
M. Jean-François Humbert
- Pouvez-vous nous les communiquer ?
M. Jérôme Gallot
- Elles figurent dans le dossier.
Des notes de service communes datent de 11 ans. Les services de contrôle
sur le terrain sont extrêmement sensibilisés à cette
nécessité de travailler ensemble. Je ne peux pas indiquer que
nous sommes passés d'un moment difficile à un moment plus facile
car tout nécessite une attention constante et des relances. Aujourd'hui,
des pôles de coopération et de sécurité alimentaire
existent sur le terrain.
Les critiques qui ont pu être émises me paraissent devoir
être, aujourd'hui, atténuées sur cette
problématique. Je n'ai pas dit que tout se déroulait parfaitement
bien dans tous les départements car dans quelques-uns cette
coopération ne semble pas suffisante. Je l'avais d'ailleurs
indiqué devant la Commission d'enquête parlementaire sur la
sécurité alimentaire à l'Assemblée Nationale.
M. Daniel Hulaud
- Je ne dirai pas qu'il s'agissait d'une «
bataille interministérielle ». Un avis a été rendu
par la CEDAP le 9 juillet 1992 et l'arrêté est daté du 31
juillet 1992. J'estime donc que cet arrêté a été
pris très rapidement.
Toutefois, par la suite, lors du renouvellement de cet arrêté et
afin de pérenniser cette disposition par voie de décret, nous
nous sommes heurtés non pas à des difficultés au niveau
interne mais davantage à des difficultés vis-à-vis de
Bruxelles qui nous a adressé un avis circonstancié. C'est ce qui
nous a créé beaucoup de problèmes.
M. Michel Souplet
- J'ai écouté avec beaucoup d'attention
et d'intérêt ce que vous venez de nous dire. Je suis convaincu
que, concernant la France, tout ce qu'il était possible de faire l'a
été, même si cela n'a peut-être pas été
aussi rapide que nécessaire.
En conclusion de ma réflexion, j'estime que la France a eu raison mais
qu'elle a eu tort d'avoir raison trop tôt. Le fait qu'elle ait raison
trop tôt et qu'elle en parle haut et fort, pour que les autres pays
agissent de la même manière, a conduit à une campagne de
médiatisation exagérée du phénomène. C'est
mon point de vue.
Vous disiez qu'une médiatisation excessive était très
gênante pour les études que vous conduisiez. Je le comprends bien
car beaucoup de sujets doivent être traités dans la
confidentialité.
J'ai examiné l'évolution de ce phénomène depuis
qu'il est bien connu. La consommation de viande de boeuf a chuté en 15
jours de 80 %. Elle est progressivement remontée pour être
quasiment au niveau normal, chez les bouchers, depuis environ 15 jours.
Ces résultats sont issus d'une enquête conduite auprès des
grossistes et des bouchers. Cette consommation chute à nouveau depuis
les décisions prises à Bruxelles (qui étaient probablement
exagérées) et depuis le dernier Conseil des ministres de
l'Agriculture.
Pensez-vous, Monsieur le Directeur général, qu'il existe une
distorsion entre l'importance du phénomène et la catastrophe
économique qui en résulte ?
Il est vrai que des personnes sont atteintes et ne guériront pas. Nous
avons trois cas en France (nous les connaissons depuis longtemps) et nous en
rencontrerons d'autres. Pour l'instant, personne n'en parle. Par comparaison,
des personnes fument chaque jour et il est indiqué partout qu'il est
dangereux de fumer, mais les débits de boissons et les tabacs ne sont
pas fermés pour cette raison.
En tant que citoyen libre et parent, ou grand-parent, d'élève, je
suis choqué que les cantines soient fermées. Si j'ai envie que
mes enfants mangent de la viande à la cantine, il ne peuvent plus le
faire. Je dis que nous sommes peut-être allés trop loin.
Je voulais connaître votre point de vue sur cette médiatisation
exagérée. En effet, depuis le début de notre enquête
nous avons rencontré 25 ou 30 autres personnalités
françaises ou internationales compétentes dans le domaine qui
nous occupe et aucune ne nous a dit qu'elle ne mangeait plus de viande bovine.
Certaines personnes ont même indiqué qu'elles continuent à
manger des abats sauf s'ils proviennent de Grande-Bretagne. Il existe donc une
disproportion énorme entre le risque et la médiatisation.
M. Jérôme Gallot
- Il est vrai que la relance
médiatique du problème, ayant conduit aux chutes de consommation
dont vous faites état, est intimement liée à l'affaire
SOVIBA concernant une fraude dans les départements de l'Eure et du
Calvados il y a deux mois. Cet événement s'est produit à
un moment où, je l'ai dit, les farines avaient atteint un niveau de
sécurisation qui n'était pas obtenu ou connu dans le
passé. Il s'agit là d'une sorte de paradoxe dont il faut
toutefois tenir compte. Les mesures prises par les autorités publiques
s'efforcent de contribuer au retour à la confiance.
Ensuite, on peut se demander si chaque nouvelle mesure prise doit
générer la confiance ou l'inquiétude et vous semblez
indiquer que cela crée une nouvelle inquiétude. C'est un dosage
particulièrement complexe et les autorités ont eu raison de
prendre des mesures, qui sont certes de la précaution extrême, au
mois de novembre.
Ma Direction générale avait, au mois de juin 1999, exprimé
sa position favorable sur l'interdiction totale des farines. Ces mesures de
précautions extrêmes sont sans doute le prix à payer pour
retrouver une certaine confiance. Il faut savoir que ce prix sera
également important pour la collectivité, notamment en termes de
finances publiques.
C'est un sujet difficile qui laissera dans les filières des traces
très importantes. Dans le même temps, les associations de
consommateurs, les Françaises et les Français, que nous
rencontrons sont, me semblent-il, de plus en plus exigeantes en matière
de sécurité. Il nous appartient de faire en sorte que le dosage
des mesures prises crée de la confiance et de la sécurité
et n'apporte pas l'inquiétude dont vous parlez.
Vous me dites (ce sont effectivement des chiffres que j'avais entendus) que le
rythme de consommation retrouve un niveau un peu plus satisfaisant ; cela
démontre que ce dosage ne se déroule pas dans de mauvaises
conditions. Il faudra peut-être en tirer des conclusions sur une
période plus longue.
M. le Président
- Je vous ai communiqué un certain nombre
de questions, que nous n'avons pas eu le temps de vous poser, pour lesquelles
nous vous demanderons de bien vouloir nous répondre par écrit et
de nous fournir les documents appropriés. Nos services suivront avec
vous cette opération.
Nous vous remercions pour les informations que vous avez apportées et
nous remercions également M. Hulaud d'avoir témoigné sur
certains points.
Audition de M. le Professeur Luc
MONTAGNIER
(31 janvier 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Merci d'avoir
répondu à notre convocation Monsieur le professeur.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M. le
Professeur Montagnier.
M. le Président
- Je vous remercie de bien vouloir nous parler de
vos recherches personnelles sur ce problème de l'ESB et de ses
conséquences sur la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
M. le Professeur Luc Montagnier
- Merci Monsieur le Président.
Mesdames et Messieurs, je suis virologiste de formation et Professeur à
l'Institut Pasteur depuis 1972. Je me suis intéressé depuis
longtemps à ces agents non conventionnels qui transmettent ces
encéphalopathies.
Dans les années 1970, il s'agissait essentiellement de la tremblante du
mouton, qui était l'objet de plus d'études. Je n'ai pas
moi-même fait d'études de laboratoire de cet agent mais j'ai suivi
de près le travail d'un certain nombre de mes collègues, dont le
Professeur Dormont, ainsi que d'autres en Angleterre.
Je me suis, à ce titre, également intéressé au
problème de la transmission de l'agent de la maladie humaine de
Creutzfeldt-Jakob ayant été consulté par mon
collègue M. Fernand Dray, qui préparait des hormones de
croissance à l'Institut Pasteur, à partir de l'hypophyse. J'ai
été le premier, en 1980, à mentionner la
possibilité que l'agent de Creutzfeldt-Jakob pouvait être transmis
par des hypophyses prélevées sur des cadavres de patients morts
de maladies neurologiques.
J'ai suivi tous les événements qui se sont produits depuis 1980,
à savoir le problème de la contamination des hypophyses mais
aussi la maladie dite de la vache folle en Angleterre. Je me suis
documenté auprès de mes collègues anglais sur les
caractéristiques histologiques de cette forme dans la variante de la
maladie de Creutzfeldt-Jakob humaine avec le nouveau variant probablement
dérivé de l'infection par l'agent des bovins. J'ai pu constater,
notamment chez mon collègue Bob Will à Édimbourg, que les
caractéristiques histologiques de cette maladie étaient
différentes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob classique. Il y a
formation de plaques où la partie prion est entourée d'une sorte
de couronne de nécrose. Cela donne un aspect caractéristique
différent de celui de la maladie de Creutzfeldt-Jakob qui donne
relativement peu de plaques et dont la surface est par ailleurs petite.
Je n'ai pas de compétence particulière au niveau scientifique
bien que je suive le sujet. J'ai fait quelques essais pour mettre au point un
test de dépistage prédictif, à savoir qui puisse
être effectué sur des animaux ou des hommes vivants, et je vous
dirai quels obstacles j'ai rencontrés à ce sujet.
J'ai apporté quelques documents et il me sera possible de vous les
laisser si vous n'en disposez pas encore. Il s'agit notamment de publications
scientifiques récentes sur la tremblante du mouton dans le Journal of
Neuro-virology de l'année 2000. Cette publication, concernant une
étude sur l'Islande, est faite par un groupe multinational de chercheurs
islandais.
Le travail a été effectué en Islande qui est un pays de
moutons où sévit le scrapie. Les chercheurs ont observé
que des moutons sains qui paissaient sur des champs où avaient
séjourné des moutons atteints de scrapie attrapaient cette
maladie. Ils ont montré que ceci était lié à des
acariens, présents dans le foin, susceptibles de stocker l'agent. En
effet, si on les injecte en extrait à des souris il est possible de
reproduire la maladie.
Tout ceci est connu et publié scientifiquement, mais cela n'a fait
l'objet d'aucun commentaire dans la presse et dans les commissions. Il est
important de savoir qu'il existe peut-être d'autres modes de transmission
de ce type d'agent que l'alimentation par les farines animales
constituées à partir d'animaux déjà atteints.
Le deuxième document que j'ai apporté est extrait du Wall Street
Journal du 23 janvier. C'est une étude importante,
réalisée par trois journalistes à partir du rapport
publié en Angleterre, qui montre que la diffusion possible de l'agent
peut être mondiale. S'agissant de la courbe des exportations de farines
animales, prises dans leur sens large à savoir de poudre d'os, etc., on
s'aperçoit que les exportations britanniques n'ont jamais cessé
et n'ont peut-être pas encore complètement cessé. La courbe
s'arrête en 1996 et on constate qu'après le bannissement de
l'utilisation de ces farines en Angleterre l'exportation a continué.
Je pourrais vous citer le raisonnement qui a conduit à ces
exportations : les farines ont été envoyées d'abord
dans les pays de la C.E.E. et ensuite, quand la C.E.E. en a banni
l'utilisation, elles sont parties ailleurs, dans le monde entier.
Il en a été de même pour les exploitations de bovins
vivants qui ont été exportés d'Angleterre vers la Russie,
les Etats-Unis, le Canada, le Brésil, le Chili, le Pérou et
l'Australie.
Il existe donc un risque que cette épidémie puisse se diffuser
dans bien d'autres pays que l'Europe. On cite notamment le cas d'un animal
contaminé qui a été trouvé dans les Emirats arabes.
Je pourrais vous donner plus de renseignements sur cette étude qui me
paraît bien réalisée. Je suis prêt à
répondre à vos questions, notamment sur le test de
dépistage.
M. Jean Bizet, rapporteur
- Monsieur le Professeur, vous avez
parlé de tests prédictifs. Parmi les trois tests aujourd'hui
agréés par la Commission Européenne -Biorad, Prionics,
Enfer-, nous vous demanderons votre analyse pour savoir quel est le plus
pertinent et le plus sensible.
Il me semble que vous avez proposé à Mme Dominique Gillot de
développer ce test plus prédictif (bâti sur une
réponse immunitaire à tout ce qui survient d'anormal dans
l'organisme atteint) dans un centre de recherche de l'Hôpital
Saint-Joseph. Pourriez-vous nous expliquez pourquoi et comment vous
n'êtes pas allé jusqu'au bout ? Il nous semble en effet que
vous n'avez pas eu toutes les possibilités pour conduire vos travaux sur
le plan national.
M. le Professeur Luc Montagnier
- Tout agent infectieux donne naissance
à une réaction du système immunitaire. Le cas du prion est
particulier puisqu'il s'agit d'une protéine cellulaire et le changement
de conformation n'est pas véritablement reconnu par le système
immunitaire. Les études montrent que l'infection orale, provenant de
l'alimentation, passe par des relais intestinaux, lymphatiques, les amygdales,
etc. avant d'atteindre le système nerveux. Cette protéine est
donc très visible pour le système immunitaire.
J'ai mis au point, dans mon laboratoire de l'Institut Pasteur, un test
permettant de détecter toute alerte du système immunitaire
à une infection même banale, comme une infection dentaire,
basée sur l'expression de deux molécules à la surface des
lymphocytes et des monocytes et mesurée par un système de laser.
Je me suis donc questionné pour savoir si l'agent prion ne pouvait pas
donner lieu à une réaction positive avec ce test.
Pour cela, il faudrait réaliser des expériences de laboratoire,
par exemple chez l'homme, avec des prélèvements, mais les cas de
maladie de Creutzfeldt-Jakob sont extrêmement rares. J'avais
essayé, quand j'ai appris le premier cas de Creutzfeldt-Jakob nouvelle
variante en France, et j'ai contacté mon collègue, M. le
Professeur Guy Chazot à Lyon. Or, malgré le TGV, 24 heures ont
été nécessaires pour que les prélèvements
arrivent ; ils étaient inutilisables.
Il faut faire des études chez les animaux mais un problème se
pose. Ces molécules ont une spécificité d'espèce et
sont reconnues par les anticorps correspondants. Si on veut appliquer ce test
aux bovins, il faut préparer les mêmes molécules provenant
du bovin et faire des anticorps spécifiques de ces molécules.
Ceci représente le travail d'environ une année pour deux
chercheurs ainsi qu'une certaine somme d'argent.
M. le Rapporteur
- Peut-on avoir l'idée de cette ligne
budgétaire ?
M. le Professeur Luc Montagnier
- Il faudrait un million d'euros et un
an pour préparer ce test. Je suis prêt à le faire sous une
forme ou une autre et j'ai contacté des collègues
étrangers qui peut-être le feront.
J'ai proposé à Mme Dominique Gillot un test pour augmenter la
sécurité transfusionnelle. Nous détectons des agents
infectieux dangereux comme les hépatites et le virus du Sida mais
beaucoup de virus que nous ne connaissons pas sont présents dans le sang
des transfusions. Ce test permettrait d'augmenter la sécurité
transfusionnelle : si un donneur avait un test positif d'alerte, il serait
sans doute infecté par quelque chose et il faudrait s'abstenir
d'utiliser son sang.
M. le Rapporteur
- Vous n'avez pas eu de réponse ?
M. le Professeur Luc Montagnier
- Je n'en ai eu aucune.
M. Michel Souplet
- La Grande-Bretagne ayant été
touchée avant nous -et vous êtes allé vers la
Grande-Bretagne puisque des cas de Creutzfeldt-Jakob étaient
enregistrés-, est-elle, au niveau de la recherche, plus avancée
que nous ou travaillez-vous en collaboration ? De plus, une à deux
années semblent un minimum pour atteindre quelque chose de concluant.
Pensez-vous que l'on puisse aller plus vite ?
M. le Professeur Luc Montagnier
- Il faut distinguer la recherche en
général et le test spécifique de dépistage. Je ne
garantis pas que ce test fonctionnera car ce n'est qu'une piste.
Je pense que les Anglais ont davantage de groupes de laboratoires travaillant
dans ce domaine et notamment de matériel biologique. En France
dès qu'un cas d'ESB est détecté dans un troupeau, tout le
troupeau est abattu et il n'y a aucun moyen de faire des
prélèvements. J'avais contacté des
vétérinaires du CNEVA à Lyon mais il a été
impossible d'organiser des prises de sang des animaux en contact avec les
animaux malades en France. Ce sera possible en Angleterre.
Je souhaite insister sur le fait que la recherche est très importante et
qu'il ne faut pas procéder seulement à des opérations
sanitaires brutes, très dommageables pour les éleveurs. Je crois
que l'on pourrait appliquer des tests au troupeau dont une vache est
affectée afin de constater si les vaches autour sont positives pour le
test dont je parlais. Pour cela, il faudrait que les vaches ne soient pas
abattues immédiatement afin que l'on puisse prélever du sang.
M. le Rapporteur
- Il s'agit donc d'un manque d'écho et de
réceptivité auprès de Mme Dominique Gillot.
M. le Professeur Luc Montagnier
- Cette lettre est arrivée
à son bureau ou à son Cabinet.
M. le Rapporteur
- Je pense que l'on ne doit pas égarer un
courrier du Professeur Montagnier.
Concernant la sécurisation des transfusions, avez-vous un meilleur
écho à l'étranger et, si oui, dans quel pays ?
M. le Professeur Luc Montagnier
- Je n'ai pas envoyé de courrier
à l'étranger. C'est un problème qui me préoccupe
beaucoup et nous allons lancer une étude pour valider ce test ;
j'espère qu'elle se fera en France, à l'Institut Pasteur. Ce test
détecte des infections comme le Sida mais il peut également
détecter des cancers, des infections très banales comme les
infections dentaires, etc. C'est un test de première analyse et s'il est
positif il faut trouver l'agent responsable de sa positivité.
Nous allons faire une étude chez des vaccinés pour voir si la
vaccination changera quelque chose à ce test et savoir s'il n'existe pas
des personnes répondant davantage ; il s'agirait alors de personnes
à risques susceptibles de faire des accidents suivant les vaccinations.
Cette étude sera réalisée (sans doute en France mais
peut-être aussi aux Etats-Unis) mais elle nécessitera du temps car
nous devons trouver le financement.
Concernant l'application du test chez les bovins, il faut un an de travail pour
mettre au point les molécules correspondantes du bovin, les cloner, les
séquencer, faire les protéines et les anticorps. C'est seulement
après que l'on pourra essayer de voir ce qui sera détecté
chez les bovins grâce à ce test.
Je trouve absurde d'abattre 100 vaches qui sont, pour le moment, saines quand
seulement une ou deux sont contaminées. C'est aussi un préjudice
pour les éleveurs. Même dans l'absence de tests prédictifs,
avec les tests a posteriori dont nous disposons, il suffirait de tester ces
animaux après qu'ils soient passés à l'abattoir.
M. le Rapporteur
- Sur ce point précis, vous êtes en
relation avec le Professeur Aguzzi d'origine suisse. Que pensez-vous de ses
allégations concernant un test ante mortem qu'il serait prêt
à lancer et à mettre sur le marché ?
M. le Professeur Luc Montagnier
- Il existe plusieurs tentatives dans ce
domaine. Je ne dis pas que ma proposition soit la seule possible et valable car
certaines équipes s'attachent à mettre ce type de test au point.
Il serait très bien qu'il soit réalisé en France.
M. le Rapporteur
- Dans quel laps de temps pouvons-nous raisonnablement
avoir un test ante mortem valable ?
M. le Professeur Luc Montagnier
- Je ne peux pas le dire car il faut
trouver des marqueurs très précoces de ce mystérieux
cheminement du prion. Nous ne savons pas très bien ce qui se passe entre
le moment où le prion infecte l'alimentation et celui où il
arrive dans le cerveau et commence à induire cette transformation par un
jeu de dominos. Il existe peut-être un deuxième facteur infectieux
qui serait plus facile à détecter qu'une protéine
d'origine cellulaire n'induisant pas de réactions inflammatoires. Il
faut rechercher dans ce domaine la possibilité de facteurs qui ne soient
pas infectieux, notamment de facteurs toxiques, susceptibles d'être
transmis passivement par les farines animales qui peuvent agir dans des
quantités infinitésimales. Le champ des hypothèses et des
expériences est très vaste et il est très difficile de
donner une réponse quant à un délai.
M. le Rapporteur
- Comment expliquez-vous l'arrivée du prion
bovin, est-ce une mutation, et quelle est votre analyse sur ce point ?
M. le Professeur Luc Montagnier
- Il est apparu quand les
procédés de traitement des farines animales en Angleterre ont
été modifiés en abaissant la température de
chauffage et en s'abstenant d'une technique d'extraction des lipides. Ceci
montre d'ailleurs que l'agent est associé aux graisses et aux lipides.
Ceci signifie probablement que les prions de ces bovins existaient auparavant
mais qu'ils n'étaient pas transmis. La transmission en chaîne est
venue de ce changement de procédé accompagné du poolage de
quantités de plus en plus importantes. Le poolage est une technique
moderne et industrielle, ayant apporté un certain nombre de
catastrophes, où l'on mélange une très grande
quantité de matériaux venant de différents animaux ou
d'êtres humains, comme par exemple le sang ; si un
échantillon est affecté, tout le lot l'est également.
C'est malheureusement le principe de la préparation industrielle et ceci
a conduit à des catastrophes. Le procédé consistant
à donner des extraits de viande à des bovins est ancien,
notamment en Angleterre, mais il n'a jamais donné lieu à des
épidémies ou des accidents tant qu'il est resté artisanal.
Dans les pays industriels, à la suite du poolage, le changement de
procédé des préparations a déclenché cette
transmission en chaîne.
Concernant l'origine de ce prion bovin, je pense que chaque espèce peut
fabriquer des prions transformés car, dans le gène prion, nous
trouvons des mutations favorisant cette transformation. Elle se produit chez
beaucoup d'êtres humains, car il existe des mutations dans ce
gène, mais ceci ne donne pas lieu à une
épidémie ; en effet, cela reste dans l'individu car il n'y a
pas d'utilisation de matériel. Si l'on prenait le cerveau d'une personne
qui a la maladie d'Alzheimer et que l'on en injectait une partie dans le
cerveau d'une autre personne, peut-être pourrions-nous déclencher
cette même maladie. Le système prion peut être étendu
à la protéine prion mais aussi à d'autres
protéines, par exemple à celles du système nerveux.
En fait, les pratiques humaines ont créé cette
épidémie.
M. Michel Souplet
- Vous venez de nous dire quelque chose qui pourrait
être réconfortant pour les éleveurs. En effet, il vous
semble stupide de faire abattre un troupeau entier quand une seule vache est
malade. Rien n'empêche les Pouvoirs Publics, afin de faire des
expérimentations, de mettre en quarantaine un cheptel complet dès
qu'un cas d'ESB est découvert. Si d'autres cas se
révélaient les animaux seraient éliminés mais une
ou deux expériences pourraient être conduites en grandeur nature
sur un cheptel complet.
J'ai vécu il y a une quinzaine de jours un abattage de deux animaux chez
un voisin ; il n'y avait pas de prion chez lui mais ses deux animaux
avaient été achetés 6 mois plus tôt dans un
élevage de l'Allier où un cas a été trouvé.
Le cas trouvé dans l'Allier a permis de remonter, par les numéros
d'oreille, chez mon voisin éleveur qui avait deux bêtes.
La logique aurait voulu que l'on tue tout son cheptel alors que l'on a
seulement tué ces deux animaux qui étaient là depuis 6
mois. Je pense qu'il existe quelque chose d'illogique dans l'abattage
systématique. Si l'on pouvait proposer aux Pouvoirs Publics de faire
quelques tests grandeur nature sur un cheptel où l'on a trouvé un
cas, cela permettrait d'avancer plus vite sur la recherche.
M. le Professeur Luc Montagnier
- Même sans études
scientifiques on peut toujours vérifier tous les animaux quand ils sont
menés à l'abattage et éliminer ceux qui ont une
transformation au prion. Le mode de transmission de l'agent n'est pas connu et
je citais cet article sur la tremblante qui peut être appliqué aux
bovins. Les acariens du foin gardent peut-être le prion ; dans ce
cas, il serait inutile d'abattre des animaux car les étables ou les
champs seraient peut-être contaminés.
M. Paul Blanc
- Et l'eau ?
M. le Professeur Luc Montagnier
- Je ne sais pas ; je ne pense pas.
Il s'agit de tout ce qui peut vectoriser les produits et les
sécrétions des animaux.
M. Paul Blanc
- La semaine dernière nous avons auditionné
une personne qui indiquait que des contaminations seraient envisageables
à travers le ruissellement d'eau provenant de stockage de farines
animales. Elle faisait également état d'une contamination des
nappes phréatiques.
M. le Professeur Luc Montagnier
- L'eau peut transporter à
distance les prions transformés et ils peuvent peut-être
résister des dizaines d'années. Au début de
l'épidémie de vache folle en Angleterre, les animaux abattus ont
été enterrés, et non pas incinérés, car ils
manquaient d'incinérateurs, et il est possible que les champs soient
contaminés pour plusieurs siècles.
M. le Président
- Les farines animales que l'on fabrique
aujourd'hui sont exemptes de prion puisqu'elles ont été
chauffées sous pression et à la température
adéquate. De plus, les matériaux à risques ont
été enlevés. Actuellement, le ruissellement d'eau sur les
stockages de farines animales ne pourrait pas entraîner cela.
M. le Professeur Luc Montagnier
- On dit que le prion est
résistant à la chaleur mais il est partiellement inactivé
comme tout agent biologique. C'est donc une question de concentration :
sur 10 000 particules, si le chauffage à 120°C en élimine
99 %, il en restera quand même 100 ; de même, si vous
n'avez que 100 particules au départ, le chauffage les supprimera toutes.
M. le Rapporteur
- Concernant les trois tests sur le marché,
quelle est votre analyse sur leur sensibilité et leurs
différences les uns par rapport aux autres ?
M. le Professeur Luc Montagnier
- Je n'ai pas d'expérience
personnelle mais je crois que le test Biorad est 30 fois plus sensible que le
test Prionics. Si un test est plus sensible, on détectera
peut-être davantage d'animaux infectés.
M. le Rapporteur
- Vous avez parlé du tropisme très
positif du prion à l'égard des lipides. Jusqu'à maintenant
nous n'avons pas pu, fort heureusement, prouver la contamination du lait. Or,
il s'avère que les Anglais se penchent à nouveau sur cette
question. Avez-vous des informations scientifiques ou des inquiétudes
sur ce point ?
M. le Professeur Luc Montagnier
- Je n'ai pas d'information à ce
sujet.
M. Paul Blanc
- Comment expliquez-vous le fait que le CEA ait
travaillé sur le sujet de l'ESB ?
M. le Professeur Luc Montagnier
- C'est une longue histoire puisque le
CEA a constitué une équipe dans les années 1970 pour
travailler sur ces maladies ; le Professeur Dormont y travaillait
déjà.
Un médecin militaire a constitué cette équipe qui
était pratiquement la seule à travailler en France et organisait
régulièrement des congrès connus au niveau international.
Je crois que c'est tout à l'honneur du CEA d'avoir constitué
cette équipe.
Il l'a sans doute fait pour des questions de circonstances :
peut-être existait-il un intérêt militaire à utiliser
cette maladie ? Il est vrai que l'armée a essentiellement
commencé à travailler sur ce sujet.
M. Paul Blanc
- Cela induit ma deuxième question. Il existe sans
doute une relation et comment peut-on expliquer la contamination, aux
États-Unis, de mammifères sauvages tels que daims, cerfs et
bisons ? Certains ont évoqué des hypothèses de
mutations.
M. le Professeur Luc Montagnier
- Il faut considérer que ce sont
des agents, des maladies, qui existent dans la nature. Ce n'est pas une
invention humaine car la maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique existe chez
l'homme depuis très longtemps et a été découverte
dans les années 1920. La tremblante du mouton est connue depuis deux
siècles.
Il est possible qu'une mutation du gène favorise la transformation et
que celle-ci s'étende chez l'animal. Il est transmis d'animal à
animal car il existe peut-être des vecteurs comme les acariens du foin,
des chancres du foin, le manque d'hygiène chez les animaux, etc. Les
bovins peuvent être contaminés dans les étables et les
animaux sauvages peuvent avoir des contacts entre eux favorisant la
transmission.
M. Paul Blanc
- Par rapport à ce qui a été dit au
niveau de cette Commission, pensez-vous que le passage d'un nuage radioactif
ait pu entraîner la mutation d'un gène, lequel aurait pu induire
la transformation de la protéine ?
M. le Professeur Luc Montagnier
- Je pense, d'une façon plus
générale, que tout agent mutagène peut favoriser les
mutations. En plus des nuages radioactifs il existe une pollution chimique et
nous sommes soumis à une atmosphère mutagène
peut-être plus importante que celle que connaissaient nos ancêtres.
Toutefois, le scrapie existait déjà au 18ème siècle
alors qu'il n'y avait pas de nuages radioactifs et de pollution chimique. Ces
maladies existaient déjà et atteignaient les animaux sauvages,
notamment les visons.
Ces maladies sont étudiées dans des laboratoires
spécialisés aux États-Unis. Pour l'instant il n'y a pas eu
de passage à l'homme mais on ne peut pas exclure cette
possibilité. On a également parlé des problèmes
rencontrés par les écureuils qui sont très présents
dans les parcs américains.
M. Paul Blanc
- Que pensez-vous de la coordination des recherches sur
l'ESB de la part des chercheurs et des différents laboratoires ?
M. le Professeur Luc Montagnier
- J'ai suivi ces recherches d'assez
près et j'ai participé à des colloques dont les premiers
ont été organisés par nos collègues du CEA en
France. Des colloques plus récents ont eu lieu en Sicile
réunissant tous les groupes mondiaux travaillant dans ce domaine.
Au départ, il existait une très grande polémique car
l'hypothèse de M. Stanley Prusiner n'a pas été
acceptée d'emblée. Il a travaillé seul pendant des
années, avec ses hamsters et ses souris, et a même failli
être mis à la porte de l'Université de San Francisco.
Maintenant il est Prix Nobel et a tous les égards dus à son
titre.
Des groupes discutent encore cette théorie disant qu'il existe
peut-être, en plus de cette transformation qui est indéniable, un
agent conventionnel viroïde qui pourrait commencer à
déclencher cette transformation. Il n'est pas naturel que l'on trouve
cette transformation pathologique conduisant à la mort de l'organisme.
La nature ne sélectionne pas de cette façon, sauf pour faire
mourir les personnes assez vieilles.
Pendant une vingtaine d'années, on se demandait quelle était la
nature de l'agent et en France, en plus du groupe du Professeur Dormont, le
groupe où je travaillais à l'Institut Curie, dirigé par M.
Raymond Latarjet, avait étudié la radiosensibilité de
l'agent en collaboration avec les groupes de Richard Kimberlin en Angleterre.
Ils montraient que l'agent était inactivé comme une
protéine et non pas comme un acide nucléique. C'était donc
en faveur de l'hypothèse de M. Stanley Prusiner émise au
début des années 1980.
Maintenant on se questionne sur les raisons de cette transformation. En effet,
on ne parvient pas à reproduire totalement in vitro, à partir
d'un prion sain, la transformation pathogène. Si l'on dispose d'un noyau
pathogène on peut augmenter la transformation pathogène mais on
ne sait pas le faire à partir d'un noyau sain. C'est en faveur d'un
deuxième agent positionné dans une autre protéine ;
c'est ce que l'on appelle une chaperonne, à savoir une autre
protéine qui aide à changer la conformation de la
protéine. On peut également se questionner sur la présence
éventuelle d'un agent microbial ou viral très résistant.
On sait qu'il existe des spores de bactéries résistant à
140°C, et cette hypothèse n'est pas impossible.
Il existe toujours un mystère sur la nature de l'agent
déclenchant. Toutefois, la nature des mutations favorisant la
transformation a été très bien analysée du point de
vue moléculaire. Les mutations de la protéine prion favorisent
cette transformation et, suivant le type de mutation, on obtient
différents symptômes : en dehors de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob il existe deux ou trois autres maladies rares liées
à des mutations spécifiques de la protéine prion.
M. Paul Blanc
- A votre avis, peut-on encore séparer
l'étude et le contrôle de l'alimentation animale de l'étude
et du contrôle de l'alimentation humaine ?
M. le Professeur Luc Montagnier
- Les deux doivent être
liés. J'apprécie les efforts de l'Agriculture dans ce domaine
mais je pense que le ministère de la Santé a été
trop discret dans cette affaire qui le concerne également.
M. Paul Blanc
- C'est d'ailleurs pourquoi nous faisons aussi cette
étude.
M. Jean-François Humbert
- Monsieur le Professeur, je reviendrai
sur un élément évoqué par notre Rapporteur, bien
que je ne sois pas certain de parler du même type de lait que lui.
Vous avez évoqué, dans votre propos introductif, cette fameuse
contamination possible par les acariens présents dans le foin ;
cette hypothèse a été découverte lors de cette
étude conduite principalement en Islande. Vous avez également
confirmé ce qui s'est passé en Angleterre en indiquant le
rôle joué par les farines animales dans l'alimentation des bovins
dans ce pays voisin.
Que pensez-vous de ce que l'on entend depuis peu de temps en Allemagne au sujet
des contaminations éventuelles par les graisses animales contenues dans
les laits de remplacement ?
Les laits de remplacement, qui sont, dans certaines régions, un
élément important pour l'alimentation des jeunes bovins,
peuvent-ils avoir un rôle, en raison de leur composition, dans la
transmission de cette maladie ?
M. le Professeur Luc Montagnier
- Je ne connais pas la composition de
ces laits. S'ils contiennent des produits dérivés proches du
système nerveux il serait préférable de les éviter.
Il faut aussi tenir compte de la gélatine extraite des os ; la
question se posera peut-être de remplacer cette gélatine par autre
chose.
M. Jean-François Humbert
- Y a-t-il une confirmation
éventuelle ou une information ?
M. le Professeur Luc Montagnier
- Il faudrait examiner soigneusement la
composition de ces laits de remplacement. Or, si les fabricants les tiennent
secrètes, c'est un problème très difficile. Il ne faut pas
trop fantasmer car il est clair que le système nerveux contient les
prions transformés et les autres tissus, dans la mesure où ils ne
sont pas contaminés par le système nerveux, sont
extrêmement peu infectieux. On ne peut pas garantir un risque zéro
mais il est faible.
C'est malheureusement le temps qui nous apportera une réponse. En
prenant des mesures très strictes et en respectant l'interdiction des
farines animales, s'il reste encore des contaminations on pourra se questionner
sur les autres voies de contamination. Je pense qu'il est plus important
d'imaginer qu'il existe des vecteurs de ces prions dans la nature.
M. le Rapporteur
- Est-ce votre inquiétude majeure ?
M. le Professeur Luc Montagnier
- Oui parce que l'on peut rencontrer le
cas d'un animal contaminé alors qu'il ne semble pas avoir reçu de
farines animales.
M. François Marc
- Le journal Le Monde d'hier faisait état
d'interrogations en Allemagne concernant les techniques d'inactivation par la
chaleur. En tant que scientifique, estimez-vous que ces techniques
utilisées aujourd'hui sont totalement fiables ?
M. le Professeur Luc Montagnier
- J'ai cru comprendre que les farines
animales n'étaient plus utilisées quel que soit le traitement
utilisé. Le problème ne se pose donc plus.
Je sais que les Allemands ont longtemps défendu leur technique de
chauffage à l'autoclave à plus forte pression en indiquant
qu'elle éliminait totalement les prions. Or, des cas d'ESB ont
été trouvés dans ce pays. Cela signifie que cette
technique n'était pas totalement fiable ou qu'il existe d'autres agents
de transmission.
M. le Rapporteur
- Nous savons maintenant que le nouveau process de
fabrication des farines venant d'Angleterre résultait d'un brevet
américain. En fonction de vos connaissances et étant proche de ce
territoire, avez-vous connaissance de l'utilisation de farines dans
l'alimentation animale des animaux américains ?
Une telle possibilité corroborerait la thèse que cette
épidémie est quasiment mondiale, notamment au vu de la mise en
quarantaine d'un troupeau de bovins au Texas. Par ailleurs, nous savons quelle
est la sensibilité de la RDA et plus particulièrement sa
maîtrise de l'information.
M. le Professeur Luc Montagnier
- Je ne connais pas tous les changements
de règlements mais il me semble avoir lu que les farines animales ne
sont plus utilisées aux États-Unis pour les bovins mais sont
encore utilisées pour les poulets. C'est un problème car dans les
exportations anglaises il est difficile de distinguer l'origine et
l'utilisation de ces farines. Elles sont achetées pour nourrir des
poulets mais elles peuvent servir pour les bovins ou les porcs.
La seule manière consisterait à bannir totalement, et dans le
monde entier, ces farines animales. C'est loin d'être le cas et beaucoup
de pays considèrent qu'ils ne sont pas touchés, qu'ils ont une
production locale de farines et n'ont pas lieu de s'inquiéter.
D'après les cartes présentées dans cet article, il semble
qu'il existe un risque dans beaucoup de pays du monde, même si cela
n'apparaît pas encore rapidement.
M. le Président
- Du fait de l'exportation de farines anglaises
dans beaucoup de pays.
M. le Rapporteur
- Nous avons parlé de l'incidence de cette
infection sur la santé humaine. Que pensez-vous des modélisations
des épidémiologistes essentiellement anglo-saxons tels que M. Roy
Anderson, M. John Collinge, et plus récemment, en France, de Mme
Brigitte Chamak ?
La fourchette est importante et le risque réel. Ayant travaillé
sur le virus du Sida vous avez certainement une approche, une explication et
peut-être même des modélisations.
M. le Professeur Luc Montagnier
- Je ne suis pas
épidémiologiste mais j'ai suivi les travaux de M. Roy Anderson et
de ses collègues. Concernant le Sida, leurs prédictions
épidémiologiques des années 1980 étaient
relativement exactes pour les pays africains.
Concernant les pays européens ou l'Amérique du Nord, il n'y a pas
eu une explosion aussi importante et le nombre de cas de Sida a
été surestimé pendant assez longtemps aux Etats-Unis.
S'agissant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob il existe très peu de cas
et la fourchette d'erreur est bien plus grande. De plus on ne sait pas comment
l'agent est transmis, par quel type d'alimentation et s'il existe d'autres
facteurs pouvant favoriser l'apparition de la maladie, notamment la pollution
chimique puisque l'Angleterre est un pays assez pollué.
Tout ceci constitue beaucoup d'inconnues et il est très difficile de
prédire quoi que ce soit : on peut faire un scénario
catastrophe ou un scénario minimum. Il faut sans doute se placer dans le
cas du pire et c'est la raison pour laquelle des mesures très drastiques
ont été prises. Il faut par ailleurs conseiller aux consommateurs
de manger de la viande cuite car même si l'agent n'est pas totalement
inactivé il sera partiellement inactivé par un chauffage.
M. le Président
- Nous vous remercions infiniment d'avoir
accepté de venir témoigner et nous vous remercions de nous
laisser les articles collationnés à notre intention. Ils nous
permettront de compléter nos connaissances dans ce domaine.
Audition de M. Alain CADIOU, Directeur général de la
DGCCRF,
M. François MONGIN, Chef de service, et de M.
KEARNEY
(31 janvier 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Merci Monsieur Cadiou
d'avoir accepté de répondre à notre invitation et de venir
témoigner devant la Commission d'enquête du Sénat sur
l'utilisation des farines animales.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Cadiou,
Mongin et Kearney.
M. le Président
- Monsieur le Directeur, je vous laisse la parole
pour que vous nous parliez de ce problème vu à partir du service
que vous dirigez.
M. Alain Cadiou
- Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs
les Sénateurs, des crises ont entamé la confiance des citoyens
dans la sécurité alimentaire. Depuis plus de 10 ans, la Douane
est partie prenante aux côtés d'autres administrations de la
prévention contre l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'ESB.
Nommé depuis le 6 décembre dernier à la tête de
l'administration des Douanes, j'ai donc eu à m'occuper, dès les
premières heures, de cette question. C'est pourquoi je suis
particulièrement heureux de l'occasion qui m'est donnée
aujourd'hui de vous exposer le rôle de la Douane dans la gestion de cette
crise.
Le rôle de l'administration que je dirige n'est pas de donner un avis
scientifique sur la dangerosité de tel ou tel produit mais de
contrôler, et le cas échéant de s'opposer, à
l'entrée en France de produits pour lesquels existent des indices d'une
telle dangerosité.
En ce qui concerne plus particulièrement les farines animales, je me
limiterai à trois séries d'observations.
Tout d'abord, la Douane est l'un des éléments du contrôle
de la chaîne alimentaire. J'aborderai ensuite le rôle
spécifique de la Douane qui s'oppose à l'entrée sur le
territoire, à la sortie et la circulation des farines interdites. Enfin,
je vous parlerai du rôle de la Douane qui doit également
établir des statistiques d'importations et d'exportations.
I - La Douane est l'un des éléments du contrôle de la
chaîne alimentaire
La chaîne alimentaire européenne apparaît comme une
résultante du mouvement d'industrialisation de l'agroalimentaire de
l'après-guerre et du modèle d'agriculture intensive.
Elle comporte deux types de conséquences au regard de l'application du
principe de précaution et de la coordination entre les services de
l'Etat.
La précaution est un principe qui guide l'action administrative en
matière de sécurité alimentaire.
Le principe de précaution signifie qu'aussi longtemps qu'un doute
subsiste quant à l'innocuité d'un produit, celui-ci ne doit pas
être commercialisé ou importé. La mise en oeuvre de ce
principe suppose en premier lieu une évaluation du risque, qui est
aujourd'hui essentiellement le rôle de l'Agence Française de
Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA).
Elle signifie, en second lieu, une gestion du risque qui est le rôle
principal des administrations chargées du contrôle.
Elle implique, en dernier lieu, une information des citoyens sur la nature des
risques.
L'exemple des farines carnées illustre cette application du principe de
précaution, puisque les mesures restrictives ont évolué
avec l'avancée des connaissances scientifiques. Des mesures ont en effet
été prises d'abord par les autorités françaises
puis par la Commission Européenne pour faire face au risque que l'ESB
semblait représenter pour la santé animale puis humaine. Je me
limiterai à rappeler quelques dates importantes pour la Douane :
- Depuis 1965, les farines animales pouvaient rentrer en France dans les
conditions de droit commun.
- En 1989, la France a interdit, en août, l'importation des farines de
viande du Royaume-Uni et, en décembre, des farines irlandaises.
- En 1993, l'interdiction d'importation des farines de République
d'Irlande, (Eire), a été levée.
- En 1994, la Commission a interdit les exportations de farines de ruminants
originaires du Royaume-Uni et fabriquées avant le 1er janvier 1995.
- Depuis mars 1996, un embargo national et communautaire est entré en
vigueur sur les produits bovins britanniques et les farines et d'os de
mammifères.
- En novembre 2000, la France interdit l'ensemble des farines animales dans
l'alimentation des animaux, à l'exception des farines de poissons pour
les seuls poissons. L'Union Européenne a pris, en décembre, une
mesure d'interdiction dont le périmètre est moins large. Ainsi,
les farines de poissons ne sont pas prohibées dans l'alimentation des
animaux terrestres.
A coté de ce principe de précaution, la Douane intervient en
coopération avec d'autres administrations pour le contrôle de la
chaîne alimentaire.
La Douane n'est pas le seul service en charge de la sécurité
alimentaire en France. D'autres intervenants ont eu, ou auront, l'occasion de
préciser le rôle en la matière de la Direction
Générale de l'Alimentation (DGAL) ou de la DGCCRF.
En effet, quand on parle de chaîne alimentaire cela signifie plusieurs
choses.
En premier lieu, le contrôle ne peut se focaliser sur le seul produit
mais doit également s'intéresser au processus de production et de
fabrication (abattoirs, ateliers de découpe, de transformation, etc.) ou
de commercialisation (restauration, grandes et moyennes surfaces, etc. ).
En second lieu, la traçabilité des produits revêt une
importance particulière. Cette notion signifie qu'en contrepartie d'un
processus de chaîne alimentaire, les produits doivent pouvoir être
précisément localisés et leur origine et leur destination
doivent être identifiées.
En troisième lieu, la coopération est primordiale entre les
différentes administrations chargées du contrôle de la
chaîne alimentaire.
La Douane, pour sa part, s'intéresse aux opérations d'importation
ou d'exportation de produits bruts ou finis, qui se situent le plus souvent en
amont ou en aval du processus de production ou de transformation sur le
territoire national. Elle s'appuie cependant sur les informations ou
l'expertise technique de la DGCCRF ou de la DGAL. Elle s'appuie
également sur une coopération internationale bien
développée.
La coopération au niveau national est un élément essentiel
du contrôle de la chaîne alimentaire.
Un véritable réseau de veille et d'alerte a su se mettre en place
au niveau central. Des groupes de pilotage se réunissent
régulièrement au sein du ministère de l'Economie, des
Finances et de l'Industrie, comme au niveau interministériel, afin
d'échanger les informations sur les contrôles et de prendre les
décisions qui s'imposent.
Un protocole d'accord « ESB » lie la Douane à la DGCCRF et
vise notamment à favoriser les échanges d'informations, sous
forme de fiches de liaison, sur les fraudes décelées lors des
contrôles. Il prévoit également des opérations
conjointes. Depuis la signature de ce protocole, le dispositif a permis
d'échanger 441 fiches de liaison et de mener 12 actions conjointes. Ce
protocole a été étendu et révisé en mars
dernier pour tenir compte de l'expérience des dernières crises
(dioxines belges et Coca-cola). Un protocole analogue a été
proposé par la Douane à la DGAL.
Cette coopération est relayée au niveau local. Ainsi, lorsque,
lors d'un contrôle immédiat, un doute apparaît sur la nature
des marchandises ou l'authenticité des documents
présentés, les services douaniers peuvent solliciter l'avis des
agents des Services Vétérinaires dépendant de la DGAL ou
de la DGCCRF.
Une coopération internationale est également mise en oeuvre,
notamment par le biais du réseau des attachés douaniers
français à l'étranger et de l'Assistance Administrative
Mutuelle Internationale (AAMI).
Cette coopération est essentielle pour s'assurer de l'origine
(Royaume-Uni, République d'Irlande, etc.), voire de la nature exacte
(farines de ruminants, de volailles, de plumes, etc.) des produits soumis
à restriction ou à interdiction.
De même, la France travaille avec l'Office Européen de Lutte
Anti-Fraude (OLAF) sur les fraudes. Une messagerie électronique
européenne permet aux Douanes des différents Etats membres
d'échanger leurs informations en matière de fraude. Concernant
les farines, aucune filière de fraude n'a été mise en
évidence dans aucun Etat membre.
II - Le rôle spécifique de la Douane consiste à s'opposer
à l'entrée sur le territoire, à leur sortie et à la
circulation des farines interdites.
La Douane est le pivot d'un dispositif de contrôle qu'elle anime avec des
méthodes et des moyens adaptés en coopération avec
d'autres administrations nationales, communautaires ou
étrangères.
Toutefois, une différence majeure existe entre les produits
communautaires et les produits tiers. En effet, le marché unique, depuis
1993, ne permet pas de contrôles systématiques aux
frontières intérieures.
Les moyens de contrôle ont beaucoup évolué avec
l'avènement du marché unique.
Jusqu'au 1er janvier 1993, les contrôles douaniers étaient
systématiques aux frontières nationales, y compris sur les
produits communautaires. Ils s'ajoutaient aux contrôles
vétérinaires préalables sur ces produits.
La mise en place du marché unique, en 1993, a entraîné la
suppression des formalités de dédouanement dans le cadre des
échanges intra-communautaires. Il en est résulté, d'une
part, la disparition des contrôles vétérinaires et
douaniers systématiques aux frontières, remplacés par des
contrôles ponctuels sur l'ensemble du territoire et, d'autre part, une
modification du régime de collecte des statistiques du commerce
extérieur.
Cette différence entre ce qui est communautaire et ce qui ne l'est pas a
des conséquences sur l'applicabilité du Code des Douanes
national.
Le Code des Douanes national s'applique directement en ce qui concerne les
produits en provenance de pays tiers.
Le Code des Douanes national offre des pouvoirs adaptés à la
nature des contrôles de flux transfrontaliers : droit de visite des
marchandises, droit d'injonction d'arrêt au conducteur et
d'immobilisation des moyens de transport, droit de communication des
certificats sanitaires et de tout document commercial, droit de saisie, etc. et
tout un arsenal de sanctions assez sévères.
Concernant les produits communautaires, le Code des Douanes ne s'appliquait
pratiquement plus depuis 1993 (article 2 bis du Code des Douanes),
jusqu'à la création récente de l'article 38-5 du Code des
Douanes intervenue par la loi 2001-06 du 4 janvier 2001.
Toutefois, malgré cette diminution de pouvoirs, il pouvait être
fait application de certaines dispositions de ce code dans des cas très
restreints.
Ainsi, le code rural habilite les agents des Douanes à effectuer
certains contrôles sur les animaux vivants et les produits carnés
accompagnés d'un document vétérinaire obligatoire ;
c'est le cas des viandes qui doivent être accompagnées d'une
attestation indiquant qu'elles ne contiennent pas de matériaux à
risques spécifiés.
Le code rural habilite les agents des Douanes à appliquer les pouvoirs
prévus par le Code des Douanes afin d'effectuer des contrôles
documentaires et une simple inspection visuelle des marchandises
mentionnées au code rural. Les agents peuvent, en outre, consigner les
marchandises par application de l'article 322 bis du Code des Douanes dans
l'attente d'une inspection vétérinaire.
Des contrôles de produits alimentaires sont également possibles
sur le marché national. En cas de danger grave et immédiat pour
la sécurité et la santé des consommateurs, il est fait
application par la Douane du Code de la Consommation. Il convient toutefois de
relever que ce dernier offre des moyens de contrôle plus restreints que
le Code des Douanes. Ainsi, les contrôles ne peuvent être
opérés que de jour.
Pour optimiser l'utilisation des pouvoirs douaniers dans les échanges
intra-communautaires, un article 38-5 nouveau du Code des Douanes a
été introduit sous forme d'un amendement gouvernemental, lors de
la première lecture par le Sénat, de la loi portant diverses
dispositions d'adaptation au droit communautaire en matière de
santé des animaux, publiée le 5 janvier 2001.
Ce nouvel article permet aux agents des Douanes de retrouver les moyens
d'action plus complets, sur le fondement du Code des Douanes national, à
l'égard de marchandises désignées par arrêté
qui font l'objet de mesures de restrictions communautaires ou nationales dans
les échanges intra-communautaires, conformément à ce qui
se passait avant 1993.
Le dispositif douanier de contrôle repose sur un triple niveau de
contrôle.
La Douane peut mobiliser 10 000 agents (sur les 19 000 douaniers) dont à
peu près 1 700 ou 1 800 pour les Directions concernées par les
frontières du Nord et de l'Est, où s'effectue la majeure partie
des introductions et des importations.
J'ai demandé des précisions au Directeur compétent, afin
de me rendre compte de l'ampleur de la tâche. En 2000, 1,3 million de
camions sont arrivés de Grande-Bretagne, soit à Calais par le
tunnel, soit à Boulogne ou à Calais par les ferries.
La sécurité alimentaire est tout d'abord prise en compte dans
l'activité quotidienne de 3 000 douaniers chargés du
dédouanement des produits de pays tiers. A l'occasion de ces
formalités, abolies en 1993 concernant les produits communautaires, les
douaniers s'assurent notamment de l'origine des marchandises
déclarées et du fait que les contrôles sanitaires ont
été opérés, y compris concernant les farines
animales qui peuvent être importées de pays tiers.
Pour les produits communautaires, les formalités préalables de
dédouanement ont été remplacées par le
dépôt d'une déclaration d'échange de biens (DEB), un
document à vocation statistique. Nous en distribuerons un exemplaire.
Cette dernière est un document que doivent remplir chaque mois les
entreprises, récapitulant l'ensemble des opérations de livraisons
et d'acquisitions communautaires auxquelles elles ont procédé.
Indépendamment de ces formalités documentaires, des
contrôles physiques sont organisés. Concernant les produits
communautaires, il ne s'agit pas de contrôler tous les véhicules,
ce qui irait à l'encontre du principe de libre circulation des
marchandises, mais de mettre en place un système de contrôle qui
respecte les principes d'efficacité, de dissuasion et de
proportionnalité.
De ce fait, les contrôles reposent sur une analyse du risque et sur un
ciblage. Le ciblage, pour les douaniers, consiste à focaliser les
contrôles sur les moyens de transport qui, en raison de leur origine, de
leur provenance, de leur itinéraire ou de leurs caractéristiques
propres (par exemple camion frigorifique), sont les plus susceptibles de
transporter des marchandises litigieuses.
Pour résumer, la Douane exerce un triple niveau de contrôle qui se
présente ainsi :
- Des contrôles immédiats sont opérés aux
frontières de la France avec des pays tiers. Ils permettent, notamment,
de procéder aux contrôles de dédouanement que je viens
d'évoquer. Il convient de rappeler que les laboratoires des Douanes
procèdent chaque année à environ 12 000 analyses de
produits agro-alimentaires.
En outre, bien que les règles du marché intérieur ne
prévoient pas de contrôles douaniers systématiques à
la frontière entre Etats membres, de tels contrôles sont cependant
mis en place en cas de crise, notamment quand un embargo est
décidé par les autorités politiques nationales.
- D'autres contrôles peuvent être effectués à la
circulation en tout point du territoire, notamment par les 6 500 agents les
plus concernés des services de surveillance.
Ce sont ainsi près d'un million de contrôles qui ont
été menés sur les moyens de transport depuis 1996 en vue
de contrôler le respect de l'embargo sur le boeuf britannique.
- Des contrôles a posteriori sont menés dans les entreprises en
vue de s'assurer que des produits interdits n'ont pas été
introduits d'autres Etats membres ou importés de pays tiers.
Il peut, par exemple, s'agir des contrôles des déclarations
d'échanges de biens ou d'enquêtes des services de la Direction
Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED).
En 1999, 52 428 contrôles de DEB ont été
réalisés par l'ensemble des services douaniers. 11 485 de ces
contrôles correspondent aux contrôles dits de 2ème niveau,
c'est-à-dire qu'ils ont été menés dans des
entreprises. Ces contrôles sont systématiques concernant
l'ensemble des produits bovins concernés par l'ESB.
Corrélativement, de lourdes sanctions peuvent être
infligées :
- quand une marchandise communautaire litigieuse est découverte par le
service des Douanes, elle est consignée, dans l'attente de l'avis des
Services vétérinaires ou des services locaux de la DGCCRF. Cette
consignation peut, après 10 jours, être prolongée,
suite à la saisie du Procureur de la République, pour une
durée totale de 21 jours. Dans le cadre de l'ESB, depuis mars 1996, 213
consignations douanières ont donné lieu à 125 refoulements
décidés par les Services Vétérinaires,
13 destructions et 12 consignations sous la responsabilité des
Services Vétérinaires. Sur l'ensemble de ces consignations, 64
dénonciations aux Procureurs de la République ont
été effectuées sur la base de l'article 40 du Code de
Procédure pénale.
Ainsi, s'il apparaît que la marchandise était prohibée,
elle peut être réexportée ou détruite, selon les cas
de la nature de la marchandise, sur décision des services sanitaires ou
de l'autorité judiciaire ;
- pour les marchandises de fraude originaires des pays tiers, des sanctions
douanières sur la base de l'article 414 du Code des Douanes
(jusqu'à trois ans de prison et amende jusqu'à deux fois l'objet
de la fraude) peuvent être infligées.
C'est donc tout ce qui concerne le rôle spécifique de la Douane au
niveau de l'opposition à l'entrée, à la circulation et
à la sortie de certaines marchandises.
III - Le rôle de la Douane pour l'établissement des statistiques
d'importation et d'exportation.
De ce point de vue, les chiffres, notamment ceux relatifs aux importations de
farines carnées, appellent plusieurs précisions.
Il convient en premier lieu d'apporter des précisions
méthodologiques.
Ces précisions contribueront à éclairer votre commission
sur les causes des différences entre les chiffres fournis par les divers
interlocuteurs de la mission d'information de l'Assemblée Nationale de
1996-1997.
Avant 1993, chaque importation de produits originaires des autres Etats membres
était traitée comme celle des pays tiers et donnait lieu au
dépôt d'une déclaration en douane soumise à des
contrôles douaniers systématiques, ainsi que je viens de le
rappeler. Les statistiques reposaient donc sur l'exploitation de la
totalité de ces déclarations.
Depuis le 1er janvier 1993, le système statistique entre Etats membres
de la communauté, reposant sur la déclaration d'échanges
de biens (DEB), déposé mensuellement, impose certaines limites
qui sont au nombre de 6.
Aucun seuil communautaire n'est fixé en valeur pour le
dépôt obligatoire des DEB et les obligations de déclaration
dans les différents Etats membres peuvent être fixées
à des niveaux différents. En France, les seuils permettent de
couvrir 99 % des échanges. Ainsi, quand les acquisitions
intra-communautaires sont inférieures, au cours d'une année,
à 650 000 F elles ne sont pas soumises à déclaration.
Entre 650 000 F et 1,5 MF, elle donne lieu au dépôt par le
redevable d'une déclaration statistique simplifiée qui ne fait
pas obligatoirement apparaître l'origine du produit et sa
quantité. Ces seuils sont notablement inférieurs à ceux
utilisés par la plupart des autres Etats membres.
La nomenclature combinée tarifaire européenne à 8 chiffres
(NC8), qui désigne le produit sur ces déclarations, reprend
seulement, dans de nombreux cas, les produits par grande famille. La notion de
farines animales, carnées, de viandes et d'os, correspond ainsi à
deux codes particuliers :
- Le code 02 10 90 90 comprend les « farines en poudres comestibles de
viandes ou d'abats ». Ces farines peuvent être indifféremment
issues des espèces bovines, porcines, ovines, etc. Elles ne sont pas
destinées à l'alimentation animale.
- Le code 23 01 10 00 comprend les « farines, poudres et
agglomérés sous formes de pellets de viandes ou d'abats ».
Cette position tarifaire relève du chapitre 23 de la nomenclature
européenne consacré aux résidus et déchets des
industries alimentaires et aliments préparés pour animaux. C'est
la position la plus spécifique pour les farines animales, sans qu'elle
permette d'identifier s'il s'agit de viande bovine, ovine, caprine ou de
volaille, y compris les plumes.
La France a demandé à diverses reprises une extension à 10
chiffres de la nomenclature tarifaire pour distinguer la nature des farines et
cela n'a jamais été accepté par la Commission
Européenne. De nouvelles démarches en ce sens seront
effectuées lors des prochaines réunions avec la Commission
Européenne et l'office statistique communautaire, Eurostat.
Le code géographique du Royaume-Uni (006) ne distingue pas la
Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord pour laquelle les mesures d'embargo sont
distinctes.
Les déclarations d'échanges de biens mensuelles, basées
sur les déclarations des opérateurs, sont, par définition,
plus susceptibles d'erreurs de leur part que les déclarations en douane
qui étaient autrefois établies systématiquement par des
professionnels du dédouanement. M. Galland, alors secrétaire
d'Etat au Commerce extérieur, y faisait d'ailleurs
référence dans sa note de juillet 1996. Dans le cadre de la crise
de l'ESB, les services douaniers ont donc procédé à
plusieurs campagnes de vérification des DEB.
Dans le prolongement des contrôles sur les acquisitions de farines
animales et de bovins vivants de janvier 1993 à mars 1996, qui avaient
permis de contrôler 98 % des tonnages introduits, des
contrôles DEB sont régulièrement effectués sur
l'ensemble des produits couverts par l'embargo.
Par ailleurs, certaines campagnes de vérification ont été
l'occasion d'actions communes avec la DGCCRF à travers lesquelles la
Douane a réalisé des études de flux en vue de permettre
à cette Direction de recenser les stocks de farines. Ces
opérations se sont achevées fin janvier 1999, sans qu'aucune
fraude n'ait été décelée.
Ces vérifications peuvent nécessiter des demandes d'Assistance
Administrative Mutuelle Internationale (AAMI) du ministère de
l'Agriculture et de la Pêche auprès des autorités
compétentes, par exemple celles du Royaume-Uni.
La règle retenue en matière de publication des statistiques peut
également expliquer les différentes statistiques.
Les statistiques françaises indiquent l'origine des produits, tandis que
les statistiques communautaires consolidées indiquent la provenance, ce
qui peut induire des différences, notamment en cas de commerce
triangulaire.
Par exemple, une viande danoise introduite en Allemagne pour être
transformée avant d'être introduite en France, est reprise en
origine danoise dans les statistiques françaises mais en origine
allemande dans les statistiques communautaires.
Les statistiques rendent compte avec peine des évolutions de la
réglementation relative à l'embargo sur les produits
britanniques.
Si l'introduction de farines de viande bovine était interdite depuis
1989, des autorisations vétérinaires ont pu être
accordées par les services du ministère de l'Agriculture et de la
Pêche, pour leur introduction en France à condition qu'elles ne
soient pas destinées à des usines fabriquant des aliments pour
ruminants. Jusqu'en 1993 et l'ouverture du marché unique, ces
autorisations devaient se trouver à l'appui de la déclaration en
douane.
En juillet 1994, la Commission a interdit les farines de ruminants originaires
du Royaume-Uni fabriquées avant cette date ainsi que celles produites
jusqu'à la fin de l'année, date à laquelle ont
été mises en oeuvre des normes de traitement.
L'importation de farines de volailles ou celles destinées à
l'alimentation des animaux domestiques est autorisée. Or, la
nomenclature statistique européenne ne distingue pas si les farines
animales sont destinées, comme je l'indiquais
précédemment, à l'alimentation des ruminants (interdites
d'importation depuis 1989) ou des non-ruminants, ni les différents types
de ces farines.
Les données statistiques appellent quelques commentaires
complémentaires.
La consommation de farines animales dans l'alimentation des animaux
s'élève, selon les experts, à environ 400 000 tonnes par
an. Les importations, entre 1990 et 1997, selon les années, ont
représenté entre 5 % (en 1992) et 19 % (en 1995).
Entre 1988 et 1997, la France a importé ou introduit 416 908 tonnes de
farines relevant du code 23 01 10 00 précité.
Les Etats membres de l'Union Européenne, y compris la Suède, la
Finlande et l'Autriche, qui ont adhéré à l'Union
Européenne en 1995, étaient les principaux fournisseurs de la
France.
Les introductions/importations de farines du code 23 01 10 00 se sont ainsi
élevées, entre 1988 et 1997, à 385 246 tonnes.
Les approvisionnements se sont diversifiés au cours de la
période : le Danemark, 12 500 tonnes en 1990, et la Belgique, 8 000
tonnes en 1990, étaient les principaux fournisseurs au début des
années 1990. Ils ont été supplantés par l'Italie
(16 500 tonnes en 1997) et la République d'Irlande (8 000 tonnes en
1997).
La République d'Irlande a largement bénéficié de la
levée de l'embargo qui pesait sur ses exportations de farines de
ruminants entre décembre 1989 et mars 1993 puisque ses exportations sont
passées de 5 000 tonnes en 1993 à 20 000 tonnes en 1994 puis 35
000 en 1995.
Par ailleurs, la part du Royaume-Uni dans la consommation nationale de farine
s'est effondrée à partir de 1989.
Concernant les abats, puisque la question a été
évoquée dans les documents qui m'ont été transmis,
la production française est de l'ordre de 400 000 tonnes par an. Les
abats bovins et porcins représentent chacun environ la moitié de
cette production.
La France importe environ 60 000 tonnes par an mais ce tonnage a diminué
dans les années récentes. Les fournisseurs sont essentiellement
les Etats membres : Pays-Bas (11 000 tonnes), Allemagne (8 000 tonnes),
Irlande, Espagne et Belgique. La part du Royaume-Uni s'est effondrée en
passant de 7 700 tonnes en 1995 à zéro aujourd'hui.
Voilà en quoi consiste le rôle de la Douane dans le dispositif de
sécurité alimentaire en France.
M. le Président
- Monsieur le Directeur je vous remercie. Je
pense qu'une telle présentation était utile pour que l'on sache
bien comment fonctionne les Douanes et quelles sont les limites dans les
possibilités de contrôle.
M. Jean Bizet, rapporteur
- J'ai essentiellement, dans un premier temps,
deux types de questions.
Je suis ennuyé de vous poser cette question car vous avez pris le temps
d'expliquer les mouvements, les modifications ou les explications, au travers
de la notion de seuil de la détermination des codes, comme quoi
l'explication des quantités et des statistiques n'a rien de
mystérieux.
Toutefois, à la lecture d'un quotidien daté du 16 janvier 2001,
il est possible de relever des discordances entre des statistiques
douanières françaises, concernant l'importation de farines
animales en provenance de Belgique, et les statistiques douanières
belges relatives à l'exportation de ces mêmes farines en direction
de la France.
Tout débute en 1993 : au-dessous d'un seuil de 650 000 F il n'y
avait pas de déclaration et entre 650 000 F et 1,5 MF il existait une
déclaration simplifiée. Il me semble que tout concourt à
compliquer la situation, ce qui est assez troublant.
J'aimerais donc que vous puissiez, malgré tout, nous expliquer une telle
discordance.
Le deuxième point concerne les abats car j'ai tendance à regarder
davantage en direction des abats que des farines animales. Or, vous dites qu'il
n'y a plus d'importations d'abats en provenance du Royaume-Uni.
S'agissant des statistiques par périodes décennales, entre 1978
et 1987, la France a importé du Royaume-Uni 3 185 tonnes, ce qui
était minime. Par contre, entre 1988 et 1996, nous sommes passés
à 47 890 tonnes : c'est donc multiplié par plus de 10 sur
une période de seulement 9 ans. J'aimerais que vous puissiez nous parler
de cela.
Par ailleurs, au sein de la notion d'abats, compte tenu du fait qu'il s'agit de
« matériaux à risques spécifiés »,
pourriez-vous établir un distinguo entre les abats «
autorisés » et ceux qui ne le sont pas. Cette question nous
préoccupe beaucoup puisque le Professeur Pascal a affirmé
qu'à partir d'août 1992 les abats n'étaient plus
utilisés dans la fabrication des petits pots pour bébés.
Le Directeur général de la DGCCRF nous a effectivement
confirmé les difficultés administratives qu'il a pu rencontrer
pour mettre en place cet embargo et cette harmonisation au niveau
européen.
Je vous prie de m'excuser de reposer cette question sur les farines, mais cette
notion de code et de seuil, qui est peut-être facile à comprendre
sur le papier, trouble malgré tout la perception que l'on peut avoir de
ces tonnages.
M. Alain Cadiou
- Au niveau de la méthode, depuis 1993 (je l'ai
dit plusieurs fois mais cela paraît essentiel), la déclaration
d'échanges de biens, qui est effectuée au-dessus de ce seuil
depuis le 1er janvier, concerne essentiellement des statistiques. Elle est
effectuée tous les mois par les entreprises, alors que la marchandise a
déjà circulé.
Aujourd'hui, nous n'avons pas d'autre instrument, mais il faut
reconnaître que cette déclaration n'était pas prévue
pour cela. C'est un vrai problème. S'agissant du seuil, on peut
regretter son niveau mais il est bien plus faible que dans les autres pays
européens ; ceci n'est pas une excuse, bien au contraire.
Il existe un problème de circulation des marchandises et on a tendance
à laisser circuler certains produits plus facilement entre la Belgique
et la France. Au niveau de ce qui s'est fait avec la Belgique je passe la
parole à M. Kearney.
M. Kearney
- Concernant les différences entre les statistiques
françaises et belges, il s'agit effectivement d'une question
évoquée souvent, ainsi que pour l'Irlande. Il existe deux sources
de divergences principales. La première est la différence de
seuil puisque la France a l'un des seuils de statistiques les plus bas de
l'Union Européenne : il s'établit à 650 000 F alors
qu'il était plus faible auparavant avec 250 000 F. Ce seuil de 250 000 F
était trois fois inférieur à celui de la Belgique qui est
de 680 000 F.
Les échanges transfrontaliers peuvent être importants avec la
Belgique et tous ces échanges, entre 250 000 F et 680 000 F,
étaient pris en compte dans les statistiques françaises mais pas
dans les statistiques belges.
Concernant la deuxième source de différences, comme le Directeur
général l'a indiqué, les informations françaises
tracent l'origine des produits alors que les statistiques belges (et
communautaires) tracent la provenance.
La Belgique est passée, au milieu des années 1900, de
statistiques traçant l'origine à des statistiques traçant
la provenance. En matière de farines qui tracent l'origine, les farines
que nous comptabilisons comme étant belges sont, a priori, des farines
belges, mais ce n'est pas forcément le cas dans les statistiques belges .
Ce sont deux explications des différences entre les statistiques
françaises et belges. Cela n'exclut pas les fraudes à l'origine
mais aucune n'a été découverte dans aucun Etat membre
concernant les farines.
M. le Rapporteur
- Nous prenons note de cette information. La
sémantique est un art merveilleux, et la nuance entre les mots «
origine » et « provenance » est terriblement
intéressante et habile. Sans dévoiler les diverses
recommandations du rapport, il faudra avoir une harmonisation en termes de
dénomination.
M. le Président
- La différence pourrait-elle être
de 30 000 tonnes ?
M. Kearney
- Sur plusieurs années, c'est possible.
M. le Président
- Cela correspond.
M. Kearney
- Il faudrait que la France reconstitue des statistiques sur
les farines sur l'ensemble des Etats membres pour avoir une vision
communautaire des statistiques tenues, en origine et en provenance, et obtenir
une confirmation.
Il est plus intéressant pour nous, en termes de lutte contre la fraude,
de connaître l'origine des farines, pour s'assurer qu'elles ne sont pas
britanniques, plutôt que de savoir d'où elles viennent.
Sur les abats, nous vous remettrons les statistiques sur la consommation. Six
codes statistiques concernent les abats et ils ont été
regroupés dans les statistiques préparées pour la
Commission. Nous pourrons donner des statistiques plus détaillées
en indiquant ce qui est abats de type matériaux à risques
spécifiés ce les autres abats bovins.
Certains Etats membres sont les principaux fournisseurs de la France et le
Royaume-Uni a eu une place importante, sans être dominante, parmi eux. Il
était généralement le cinquième fournisseur, et non
pas le premier comme c'était le cas pour les viandes fraîches,
mais cette barre s'est effondrée à partir de 1995.
M. le Rapporteur
- A partir de novembre 1989, l'Angleterre a interdit
l'utilisation des abats, et de 1988 jusqu'à 1996, soit en moins de 10
ans, nous avons importé du Royaume-Uni 47 890 tonnes alors que dans la
décennie précédente nous n'avions importé que 3 185
tonnes. C'est très choquant. Pourriez-vous nous fournir des
détails suivant les différents classements d'abats ?
M. Kearney
- Cette évolution a été constatée
avec beaucoup d'autres Etats membres. C'est l'effet de la construction du
marché unique, l'européanisation des échanges, qui a pris
de l'ampleur au cours des années 1980 dans des proportions fortes avec
d'autres Etats membres. Concernant le Royaume-Uni, il est vrai que cette
situation est perturbante, a posteriori, compte tenu des développements
de l'encéphalopathie spongiforme bovine.
S'agissant de la décomposition de ces 47 890 tonnes en fonction des
différents types d'abats, je ne dispose pas de ces renseignements
aujourd'hui mais il me sera possible de vous les remettre dans les prochaines
semaines.
Nous rencontrerons une difficulté quelque peu analogue à celle
des farines mais toutefois moindre. En effet, certains abats sont
identifiés, notamment la langue et le foie, en termes de statistiques
individualisées ; en revanche, pour d'autres abats
spécifiés la difficulté est six fois moindre que pour les
farines puisque nous passons d'une position spécifique à six
positions. Nous pourrons vous les donner. Je sélectionne, au fur et
à mesure des questions posées, certains éléments
à vous remettre, notamment les statistiques sur l'importation des abats
entre 1988 et 1999.
M. Michel Souplet
- Monsieur le Président, j'ai
écouté avec beaucoup d'attention l'exposé de Monsieur le
Directeur général. Je voudrais m'inquiéter de deux aspects
évoqués.
Il est évident que la politique commune se met en place et que
l'harmonisation des législations nationales est loin de suivre le rythme
dû aux divers élargissements. En 1993, la suppression des douanes
était normale puisqu'elle était inscrite dans les textes. La
France a conservé une protection douanière extra-communautaire de
Dunkerque à la frontière italienne mais, dans le même
temps, les autres pays n'ont pas fait les mêmes efforts.
Entre les services des Douanes françaises et les services de vos
homologues, des 12 ou 15 pays qui sont maintenant dans la Communauté,
les rapports sont-ils bons et la fiabilité de leur politique est-elle
suffisante ou devrait-elle se rapprocher de la nôtre ?
Par ailleurs, vous indiquez que vous ne pouvez pas effectuer de contrôle
de nuit avec le Code de la Consommation. Quand des camions rentrent sur le
territoire durant la nuit, êtes-vous obligés d'attendre 6 heures
du matin pour les contrôler ou pouvez-vous les arrêter ? Il
est inquiétant de penser que l'on ne peut pas agir pendant 12 heures.
Si vous ne pouvez pas les arrêter, alors que vous avez un doute sur leur
origine, pouvez-vous les suivre jusqu'à l'endroit où ils vont
décharger, afin d'effectuer les contrôles au lever du jour ?
M. Alain Cadiou
- La France a gardé un dispositif qui, à
bien des égards, est plus important que celui d'autres pays. Toutefois,
la coopération fonctionne bien surtout sur des schémas de ce type.
Le douanier est une personne qui veut agir et est dans l'action. Pour lui, il
est plus simple de faire un contrôle systématique à la
frontière (comme il le faisait avant de manière quasi exhaustive)
ou de disposer de l'article que vient de voter le Parlement (l'article 38-5)
permettant de faire des contrôles systématiques ou d'avoir des
listes de marchandises prohibées.
Cela n'a pas été le cas et vous l'avez reconnu Monsieur le
sénateur : en 1993, c'était l'ouverture du grand
marché et la règle était de laisser circuler.
Concernant les contrôles de nuit, je laisserai la parole à M.
Kearney. Les douaniers, quand ils ont les moyens d'agir avec le Code des
Douanes national, et non pas le Code de la Consommation, travaillent de nuit.
Sur 19 000 douaniers, 9 000 douaniers dits de surveillance (les douaniers en
tenue) ont une obligation de service 24/24 heures. Tout dépend de ce
qu'on leur demande de faire et des moyens dont ils disposent.
M. François Mongin
- Je crois, Monsieur le Sénateur, qu'il
est important d'intégrer la modification du mode d'action des Douanes
européennes depuis 1993. Même si la France a conservé un
dispositif douanier important, le mode d'intervention des Douanes
françaises a changé. Nous avons aujourd'hui forcément
moins de monde sur les frontières intra-communautaires -c'est la logique
du marché unique- qu'avant 1993.
De ce fait, la logique des contrôles mis en oeuvre a changé.
Là où les contrôles étaient systématiques,
sur les produits de type bovins, en liaison étroite avec les Services
Vétérinaires, nous faisons maintenant des contrôles
inopinés à l'intérieur du territoire (c'est une pratique
nouvelle) sur la base de ciblages, repérages ou d'identification de
véhicules suspects. Les modes de contrôle ont forcément
changé, et ce qui était systématique ne l'est plus par
obligation communautaire.
Pour répondre à votre deuxième question, sur la base du
Code de la Consommation les agents des Douanes ne sont pas habilités
à intervenir pendant la nuit. En revanche, quand ils interviennent sur
la base du Code Rural, et plus particulièrement de l'article L. 236,
pour les contrôles de produits animaux, ils sont habilités
à intervenir la nuit et, en cas de doute, à procéder
à une consignation jusqu'au verdict des autorités
vétérinaires ou de la DGCCRF.
Je voudrais vous rassurer sur ce point. La Douane ne s'arrête pas de
vérifier les camions de viande bovine pendant la nuit. Bien au contraire
une grande partie de ses contrôles, en particulier sur la
frontière nord-est de la France, qui est l'un des axes majeurs de
circulation, s'opère dans cette période.
M. Jean-François Humbert
- J'avoue que depuis de très
nombreuses années j'ai beaucoup de difficultés à maintenir
un effort de concentration et d'attention suffisant pour ne pas revenir sur un
certain nombre d'éléments qui ont sans doute déjà
été dits.
Vous avez évoqué à plusieurs reprises le fait que depuis
1993, date de la mise en oeuvre du marché unique, il existe des
difficultés supplémentaires pour que les agents des Douanes
puissent effectuer correctement leur travail.
Par ailleurs, à la question de notre Rapporteur concernant les
différences entre les statistiques belges et françaises, vous
dites que l'on parle d'origine et de provenance et qu'il vous est possible de
nous fournir des éléments statistiques.
Ma question peut sembler naïve : sur quelles bases êtes-vous en
mesure de préparer et remettre, dans un délai de quelques jours
ou quelques semaines, ces fameuses statistiques ? Je souhaite savoir sur
quoi vous travaillez pour les établir entre Etats membres de l'Union
Européenne.
M. François Mongin
- Les statistiques que nous établissons
sont consolidées à partir de ces fameuses déclarations
d'échanges de biens mises en place en 1993. Elles sont exhaustivement
dépouillées par nos centres de traitement informatique. Nos
publications statistiques mensuelles du commerce extérieur de la France
sont établies à partir de ces déclarations, telles
qu'elles sont remplies par les entreprises qui y sont assujetties de
manière simplifiée entre 650 000 F et 1,5 MF d'introduction
annuelle.
L'absence de fourniture de cette déclaration est sanctionnée par
une amende, certes faible, prévue par le Code des Douanes.
M. Jean-François Humbert
- Ces DEB existent-elles sous une forme
quelconque en Allemagne, en Belgique, en Angleterre ou au Danemark ?
M. François Mongin
- Les pays européens, sur la base de la
réglementation dite « intra stat » de 1992, sont dotés
d'un système leur permettant de poursuivre la mesure de leur flux de
commerce intra-communautaire. La difficulté fondamentale est que ces
systèmes ne sont pas harmonisés.
Les seuils qui ont été évoqués préalablement
sont une cause majeure de discordance des statistiques. Dans la
préparation de l'audition par votre Commission, nous évoquions,
de manière anecdotique, que la France apparaît dans nos
statistiques comme un très gros exportateur de bateaux vers la Belgique
alors que les statistiques belges ne mentionnent aucune importation de bateaux.
En réalité, les bateaux sont achetés par des particuliers
qui ne sont soumis à aucune obligation de déclaration
d'échanges de biens. Dans nos statistiques nous trouvons des
quantités importantes de bateaux qui nous permettent de
considérer que des entreprises de ce secteur ont un commerce florissant
avec la Belgique. Or, en Belgique les bateaux disparaissent des statistiques.
Ce problème de seuil se rencontre avec la Belgique et l'Angleterre (dont
le seuil est 4 fois plus élevé que le nôtre). Par ailleurs,
les PAYS-BAS en sont réduits à estimer près de 20 %
de leurs échanges intra-communautaires car leurs déclarations
d'échanges de biens ne leur permettent pas de les retracer.
Sans vouloir s'abriter derrière des arguties techniques, il est vrai que
cette distorsion dans la réglementation des seuils et des
modalités d'élaboration des DEB est une gêne à la
cohérence de l'ensemble.
M. Jean-François Humbert
- Lors d'auditions
précédentes j'ai eu l'impression qu'il a pu exister (après
l'interdiction) des transits de farines animales par l'Irlande, le Danemark, et
la Belgique.
Le fait de travailler les uns avec les autres, avec vos homologues des autres
Etats membres de l'Union Européenne, peut-il être d'une quelconque
utilité pour tenter de reconstituer ce chemin ?
M. Kearney
- Sur ce sujet, il n'est pas possible de déduire une
fraude en examinant les divergences de statistiques. S'agissant du passage par
l'Irlande, ce pays est intéressé à ne pas laisser passer
de farines britanniques sur son territoire ; en raison d'un tel embargo
sur les farines britanniques, le risque théorique est faible.
Nous n'avons pas pu constater, ni en France ni dans l'ensemble des Etats
membres, alors que nous sommes en liaison avec l'Office européen de
lutte anti-fraude (OLAF), de fraude sur les farines britanniques.
Le Directeur général parlait d'analyse de risques. Le gain
espéré par la fraude sur les farines, alors que les variations de
prix sont très faibles et pas toujours en faveur des farines
britanniques, n'est pas à la mesure du risque encouru. Ce sont des
éléments de bon sens douanier.
M. Jean-François Humbert
- Il existait une interdiction totale en
Angleterre et leur problème était peut-être d'assurer
l'écoulement de la production de ces farines.
M. Kearney
- Il était plus facile pour des Britanniques de
percevoir les indemnités du Gouvernement ou d'exporter vers des pays
tiers.
Concernant les farines britanniques, nous n'avons pas pu constater de fraude,
ou de circuit de fraude, apportant une explication de ces divergences de
statistiques, d'année en année, sur les importations par les pays
cités.
M. Jean-François Humbert
- Pouvez-vous nous parler du protocole
d'accord qui a été signé avec la DGCCRF ? En termes
de contenu et d'action commune, j'aimerais savoir s'il existe des rapports ou
des synthèses de réunions qui auraient pu avoir lieu, ainsi que
des préconisations ou des recommandations qui auraient pu
résulter de votre travail avec cette autre Direction qui, je crois,
dépend du même ministère que la Direction des Douanes.
M. Kearney
- Sur la coopération avec la DGCCRF, nous avons deux
protocoles. L'un, opérationnel, concerne spécifiquement l'ESB et
prévoit des mesures d'échanges d'informations et d'actions
communes sur les importateurs de farines.
Par ailleurs, nous avons élargi ce protocole ESB lors de la crise des
dioxines belges et de Coca-Cola en intervenant durant l'été 1999.
Sur la base de cet élargissement, nous avons conclu un protocole
élargi à l'ensemble des crises sanitaires, qu'elles soient
alimentaires ou non, pour pouvoir échanger et être informés
systématiquement sur tous les risques sanitaires qui pèsent en
Europe. Cela se pratique notamment par la diffusion de messages d'information
européens sur les risques sanitaires : dès que des «
crevettes parfumées au choléra » rentrent en Espagne nous
sommes informés afin de pouvoir prendre des mesures de contrôle
aux frontières.
Nous avons désigné des correspondants uniques dans chacune des
deux Directions pour pouvoir faciliter la coopération. Nous faisons des
échanges d'instructions et nous pouvons recourir, en cas de besoin, au
laboratoire de la DGCCRF, ce qui est utile pour l'analyse des farines. Par
ailleurs, nous disposons d'un programme de formation commune qui se
déroule en une session de deux jours pour former les gestionnaires des
crises sanitaires. Une telle session se déroule d'ailleurs demain
à Dijon avec un suivi au cours de l'année par une série de
formations.
Si vous le souhaitez, nous pourrons communiquer à la Commission les deux
protocoles d'accord entre les Douanes et la DGCCRF.
M. le Président
- Ce sera mis au dossier.
M. Jean-François Humbert
- Nous avons entendu parler d'un
deuxième protocole qui serait regroupé en un seul.
Je note que vous n'avez pas indiqué ce que vous faisiez ensemble. Il est
question de farines animales dans notre pays et en Europe. Existe-t-il des
actions communes de recherche, ici ou là, une fois les frontières
franchies ? Je crois que le rôle de chacun consiste à essayer
de trouver, s'il y a eu fraude, où sont passées les dites farines
et par qui elles ont été utilisées.
M. François Mongin
- La collaboration ne se résume pas
à des échanges tels que des débats ou un protocole
écrit. Nos services d'enquête, la Direction Nationale du
Renseignement et des Enquêtes Douanières et l'homologue de la
DGCCRF, sont en relation quotidienne sur les sujets communs de fraude.
Il nous arrive très fréquemment d'échanger des
renseignements. Par exemple, quand la Douane a lancé des campagnes de
vérification des déclarations d'échanges de biens (qui
sont le seul moyen, dans la nomenclature statistique évoquée, de
déterminer l'origine des farines), dès que nous avions des
soupçons d'irrégularités sur la destination des produits
en cause, nous saisissions nos collègues de la DGCCRF.
A ce titre, nous avons échangé avec eux des fiches de liaison et,
concrètement, diligenté quelques enquêtes communes. Je
pense que M. Kearney peut vous donner quelques chiffres.
M. Kearney
- Parmi les actions communes, l'une d'elles a
été décidée en mai 1998 pour les farines afin de
réaliser un recensement et des contrôles des stocks en cours.
Cette opération de contrôle de grande envergure a duré
environ 6 mois (entre mai 1998 et janvier 1999) et a permis d'échanger
50 fiches d'information et de mettre en oeuvre 5 contrôles conjoints
entre les Douanes et la DGCCRF.
Sur ces bases, 95 contrôles ont été effectués par la
DGCCRF à partir des données transmises par la Douane.
Sur la deuxième moitié de 1998, une opération similaire a
commencé. Elle a donné lieu à des contrôles sur les
viandes bovines en 1999 et 2000.
Depuis la signature du protocole, en mars 2000, nous avons
échangé 441 fiches de liaison (des fiches d'informations sur
des risques de fraudes ou des données statistiques concernant les
entreprises) essentiellement dans le sens Douanes vers DGCCRF puisque nous
disposons des statistiques du commerce extérieur. Cela a permis de mener
12 actions communes depuis mars 2000 dans le cadre de l'ESB.
M. Jean-François Humbert
- Ces fiches constituent-elles un
document confidentiel ?
M. le Président
- Pas pour la Commission. A ce titre, je suppose
que vous disposez de certains documents et je vous demanderai très
officiellement de nous remettre la totalité de ce qui peut nous
permettre de tout connaître.
M. Jean-François Humbert
- Y a-t-il eu, à votre
connaissance, sur le territoire français, des lacto-remplaceurs ou des
laits de remplacement d'origine communautaire ou d'origine plus ou moins
déterminée, à savoir venant de pays tiers ?
M. Kearney
- Monsieur le sénateur, il me serait bien difficile de
vous répondre. Nous pourrons statistiquement savoir si des
entrées de ce type ont eu lieu.
Mon premier sentiment est qu'il s'agit plus d'importations intra-communautaires
que de produits en provenance de pays tiers. L'analogie avec les farines
indique qu'il s'agit à 90 % de produits communautaires. Toutefois,
pour répondre précisément à votre question, nous
ferons une vérification sur ce point.
M. Paul Blanc
- Vous avez parlé de cette coopération entre
les différents services de Bercy, notamment les Douanes et la DGCCRF. Il
semble que le Rapport Villain indique qu'elle a été tardive
puisqu'elle daterait seulement de 1996 et qu'il y aurait peu de rapports avec
les Services Vétérinaires.
Permettez-moi de vous tester : êtes-vous informé de ce qui
s'est passé dans les Hautes-Alpes où les Services
Vétérinaires ont saisi le Parquet de GAP à la suite de la
découverte d'importantes quantités d'aliments pour bovins
contenant des farines animales importées d'Italie ?
M. Kearney
- Concernant la coopération avec la DGCCRF, le Rapport
Villain a été communiqué à votre Commission afin
que vous puissiez en juger par vous-mêmes. Certains points positifs y
sont mentionnés, notamment le fait que l'interdiction d'importation des
farines avait été respectée et que la Douane s'est
mobilisée dès 1989 sur l'interdiction des farines.
Ce rapport relève que la collaboration avec la DGCCRF n'a
commencé qu'en 1996, mais cela semble naturel puisque la crise de l'ESB
date de cette année-là.
Des protocoles ont permis d'améliorer le fonctionnement mais la
collaboration naturelle de la Douane se faisait plutôt avec les Services
Vétérinaires qui effectuaient (et effectuent toujours) des
contrôles systématiques et préalables sur les produits
importés, ce qui était le cas entre 1989 et 1993.
Sur la période de 1993 à 1996, nous étions dans une
situation où il n'y avait pas d'embargo sur les produits bovins
britanniques. Il existait une prohibition sur les farines mais cela ne
nécessitait pas une coopération particulière avec la
DGCCRF puisqu'il s'agissait de missions classiques de contrôle de
prohibition.
Des mesures ont été prises à la suite de la publication du
rapport et elles ont donné lieu aux mesures de coopération
décrites qui n'ont pas permis de déceler de fraude
particulière. Nous avons constaté des
irrégularités, comme des erreurs de remplissage de
déclarations d'échanges de biens, mais pas de mouvements
particuliers de fraude.
Nous collaborons avec des résultats qui ne sont pas déterminants
pour montrer une fraude.
Concernant les Hautes-Alpes, une coopération entre la Direction
Générale de l'Alimentation et la DGCCRF a permis d'identifier un
certain nombre de fraudes sur des farines animales et des aliments pour
animaux. L'enquête est en cours et nous n'avons pas
d'élément particulier sur la suite puisque, s'agissant des stocks
détenus sur le territoire français, cette affaire est
gérée conjointement par la DGCCRF et la DGAL, sans l'intervention
de la Douane à ce niveau.
M. Paul Blanc
- Vous avez parlé de l'élaboration des DEB
et des erreurs qui pouvaient se produire. Il me semble qu'une erreur
matérielle est passible d'une amende.
M. Alain Cadiou
- Oui.
M. Paul Blanc
- Pouvez-vous préciser le montant de cette amende
et le nombre d'infractions relevées entre 1993 et 2000 ?
M. François Mongin
- Concernant les amendes, l'article L. 467
s'applique ; il prévoit que le défaut de production, dans
les délais, de la déclaration d'échanges de biens donne
lieu à l'application d'une amende de 5 000 F. A défaut de
production de la déclaration dans les 30 jours suivant la mise en
demeure, l'amende est portée à 10 000 F.
M. Paul Blanc
- Quel est le nombre d'infractions relevées ?
M. François Mongin
- Je ne peux pas vous répondre
immédiatement mais je rechercherai ce renseignement.
M. Paul Blanc
- Surveillez-vous les courtiers qui importaient des
farines animales ?
On nous a indiqué que les farines animales arrivaient par bateaux et
étaient destinées à des fabricants d'aliments mais
également à des courtiers. Il est relativement facile de
contrôler les fabricants d'aliments mais est-ce le cas pour les
courtiers ?
M. Kearney
- Oui, puisque par définition nous contrôlons
l'ensemble des opérateurs du commerce extérieur qui remplissent
les DEB, ainsi que ceux qui n'en remplissent pas afin de nous assurer qu'ils
n'en remplissent pas à raison.
En revanche, s'agissant des courtiers, en matière de statistiques il
peut s'agir de courtiers français qui importent des produits. Cela a
constitué un problème de divergences de statistiques entre les
DEB remplies par les opérateurs sur la base des factures et les
importations réelles en fonction de l'origine. Il s'agissait notamment
des farines irlandaises vendues par des courtiers britanniques : elles
apparaissaient comme britanniques dans certaines statistiques et dans les DEB
remplies par les importateurs français, mais il s'agissait en fait de
farines irlandaises. Des courtiers britanniques qui ne pouvaient plus vendre
les farines de leur pays ont décidé de vendre des farines
irlandaises ; de ce fait, ils continuaient à approvisionner leurs
clients français avec des farines d'autres pays. C'est un
deuxième aspect de la question concernant les courtiers.
M. Paul Blanc
- Au-delà de tous les chiffres qui nous ont
été remis, selon vous y a-t-il eu des fraudes ?
M. Kearney
- Sur les farines nous n'avons pas pu déceler de
fraudes, ou du moins pas de fraudes de nature importante, au-delà de
quelques erreurs de déclaration. Toutefois, cela ne signifie pas
qu'elles n'existaient pas. A notre sens, il n'y en avait pas car il n'existait
pas de logique économique et nous n'avons pas pu déceler de
telles fraudes.
Quand le Directeur général a mentionné le nombre de
camions contrôlés, il faut rapprocher deux chiffres : 1,3
million de camions en provenance du Royaume-Uni par an et un million de
contrôles réalisés 1996 sur les camions britanniques. Cela
signifie qu'un camion britannique sur cinq est contrôlé par la
Douane sur le territoire national.
M. Paul Blanc
- J'en déduis qu'il n'est plus rentable d'acheter
des farines animales britanniques. C'est ce que l'on peut constater en
Principauté d'Andorre avec les cigarettes.
Dans l'élaboration des DEB, avez-vous connaissance de vente à la
France, notamment dans les régions frontalières du
département des Pyrénées-Orientales, d'aliment pour
bétail en provenance d'Espagne ? Si vous ne pouvez pas
répondre aujourd'hui à cette question, je souhaiterais que vous
le fassiez dans les 15 prochains jours.
M. Kearney
- J'ai noté la question.
M. Jean-François Humbert
- Vous avez indiqué à
plusieurs reprises l'absence d'intérêt économique à
l'importation des farines britanniques. Concernant les cigarettes
(évoquées par M. Blanc) ou d'autres produits interdits en France,
vos agents sur le terrain les trouvent à la suite de renseignements qui
leurs sont donnés.
La valeur marchande des farines était-elle si peu importante qu'aucune
information n'a été transmise, par exemple par un concurrent
malheureux de tel ou tel fabricant français ou étranger ?
M. Kearney
- Sur ces aspects, il faut rappeler que le prix d'un kilo de
farines animales se situe à 1 F ou 1,40 F selon le type. Le
différentiel entre Etats membres est assez réduit. Par ailleurs,
il ne s'agit pas de produits fortement taxés comme l'alcool ou les
cigarettes pour lesquels il existe, dans les autres Etats membres, des circuits
de fraude bien organisés, ce qui est l'occasion de saisir des conteneurs
entiers ou des camions de cigarettes de contrebande.
Si on postulait sur un système de fraude intervenant sur une grande
échelle, il serait plus intéressant pour une organisation
mafieuse de s'intéresser aux cigarettes plutôt qu'aux farines. Il
s'agit de volumes qui n'ont aucun point commun.
Sur des informations qui auraient pu être données à la
Douane, je ne peux pas certifier qu'aucune information n'a été
procurée sur les 10 dernières années. Toutefois, à
ma connaissance aucun renseignement de ce type n'a permis de découvrir
un circuit de fraude particulier.
M. François Mongin
- Pour répondre
précisément à la question, nous n'avons pas mis en
évidence de circuit de fraude sur les farines animales. En revanche,
nous avons connaissance de quelques affaires de fraude sur des circulations
illicites de viande bovine. Ceci a fait l'objet de travaux de notre Direction
nationale de recherches et d'enquêtes.
Il nous est possible, même si ce n'est pas l'objet de votre Commission,
de vous communiquer quelques informations sur le sujet.
M. le Rapporteur
- La Commission d'enquête a pour but d'essayer de
clarifier les conditions d'utilisation des farines animales et leurs
conséquences sur la santé humaine. Or, qui dit farines dit abats
et également carcasses. Il serait donc souhaitable que vous puissiez
nous fournir les informations que vous détenez sur ces mouvements
frauduleux car il me semble que cela concerne également cette Commission
d'enquête.
Sur ce point précis, je suis troublé par la décision du 27
juillet 1994, au niveau français, de durcir les conditions d'importation
de viandes britanniques et d'exiger des viandes désossées
provenant précisément d'élevages exempts d'ESB depuis au
moins 6 ans.
Or, une année plus tard, une directive européenne adressée
au Gouvernement anglais faisait obligation de parfaire ce système
d'identification pérenne des animaux. On peut donc considérer que
cette demande, invitant les Britanniques à parfaire leur système
d'identification pérenne, signifie que ce moyen était loin
d'être parfait.
Au niveau des Douanes, sur quelles bases avez-vous travaillé pour
vérifier les mouvements d'importation de carcasses et étiez-vous
satisfaits de leur traçabilité ?
M. Kearney
- La traçabilité des carcasses est encore fort
délicate aujourd'hui. J'aurais tendance à vous répondre
qu'elle l'était davantage en 1994 et que la réglementation
française et communautaire, qui a beaucoup évolué sur ces
points, n'a pas été d'une aide particulière.
Concernant la manière dont les contrôles étaient
effectués à l'époque, je vous demande de m'accorder un
délai de réponse afin de pouvoir vérifier. J'ai le
sentiment que c'était assez complexe.
M. le Rapporteur
- Pourrions-nous être destinataires de ces
tonnages dans ces périodes critiques et des éventuelles notes de
service vous permettant de vous appuyer sur une traçabilité
prouvant que ces carcasses désossées provenaient, à partir
du 27 juillet 1994, de cheptels anglais exempts d'ESB ?
Une autre question est en articulation directe avec celle de notre
collègue M. Humbert. Pourriez-vous nous fournir, sur une
période de 10 ans, l'évolution des prix des farines animales sur
le territoire européen ? Cela ne doit pas être
compliqué car ce genre d'information doit être compulsé.
Cela nous permettrait éventuellement de voir certains dumping.
Il semblerait que la DGDDI n'ait pas de contact particulier avec la Brigade
nationale d'enquêtes vétérinaires.
M. Kearney
- Il s'agit de contacts au niveau des services
d'enquêtes entre la Direction Nationale du Renseignement et des
Enquêtes Douanières et la Brigade nationale d'enquêtes
vétérinaires. Il existe des transmissions de statistiques sur les
volumes de produits bovins, la liste des importateurs et des contacts de nature
un peu informelle.
M. le Rapporteur
- Ces contacts ou cette manière de travailler
ensemble vous semblent-ils suffisants ?
Imaginez-vous qu'il soit pertinent d'avoir une coopération et une
cohérence plus forte entre ces deux services ?
M. François Mongin
- Je voudrais répondre de façon
générale. Sur le plan opérationnel, nous estimons
satisfaisant l'état de la coopération résultant des
protocoles passés avec nos collègues de la DGCCRF. Nous avons
proposé, à plusieurs reprises, à nos homologues de la
DGAL, de conclure un protocole de coopération avec nous car nous pensons
que c'est le bon axe pour améliorer la qualité conjointe de nos
contrôles.
Cela dépasse le sujet de la Brigade nationale des enquêtes
vétérinaires. D'une manière plus générale,
nous souhaiterions rentrer dans un schéma opérationnel,
comparable à celui de la DGCCRF, avec la Direction
Générale de l'Alimentation.
Concernant la traçabilité, nous verrons ce qu'il nous est
possible de vous fournir sur les importations de carcasses de bovins exempts
d'ESB. Toutefois, j'ai plutôt tendance à penser que ce sujet
concerne davantage nos collègues du ministère de l'Agriculture.
Comme le disait le Directeur des Douanes, nous sommes une administration de
contrôle ; nous ouvrons des camions pour examiner leur contenu et il
est fondamentalement difficile d'apprécier si une carcasse de bovin est
exempte d'ESB quand elle passe la frontière.
Aussi, quand nous avons un doute, nous faisons appel aux Services
Vétérinaires car nous ne pouvons pas porter une telle
appréciation. Nous ne sommes pas en capacité technique ou
juridique de le faire. J'insiste beaucoup sur ce point.
M. le Rapporteur
- Concernant ces mouvements frauduleux, pouvez-vous
nous donner plus de précisions car c'est un élément
capital ?
M. Kearney
- Vous souhaitez connaître les importations de
carcasses bovines du Royaume-Uni ?
M. le Rapporteur
- Essentiellement ou « sans provocation », de
certaines « plaques tournantes » telles que la Belgique ou
l'Irlande.
M. Kearney
- Sur cet aspect, il faut rappeler que le Code Rural a
été modifié en 1994 pour permettre à la Douane de
faire des contrôles visuels sur les produits carnés et les animaux
vivants.
L'autre aspect, qui correspond à une revendication ancienne de la
Douane, consiste à pouvoir disposer d'un document d'accompagnement dans
les échanges intra-communautaires permettant de s'assurer d'un
certificat sanitaire ou d'une facture. Je ne sais pas si à
l'époque c'était le cas pour la circulation de ces carcasses
En l'absence de certificats sanitaires, les contrôles douaniers sont plus
difficiles dans les échanges intra-communautaires. Il convient aussi de
considérer cet aspect.
M. le Rapporteur
- Pour parfaire ma question, à qui et à
quoi étaient destinées ces carcasses : s'agissait-il de
fabrication de farines animales ou d'alimentation humaine directement ?
S'il s'agissait de fabrication de farines animales, avaient-elles fait l'objet
d'un traitement spécifique pour enlever les matériaux à
risques spécifiés au regard de la législation
française de l'époque ?
M. Kearney
- Sur la destination des carcasses, le ministère de
l'Agriculture ou la DGCCRF pourraient mieux vous répondre que moi.
D'après les discussions que nous avions eues sur ce sujet avec la
DGCCRF, les carcasses de viande étaient plus destinées à
l'alimentation humaine qu'à la fabrication de farines animales, sans que
l'on puisse donner sur la destination exacte des informations sur le nombre de
carcasses ou le tonnage de carcasses introduites importées du
Royaume-Uni. Nous n'avons pas traité le dossier.
M. le Rapporteur
- Vous avez constaté et ensuite vous avez
confié ce dossier à la DGCCRF et au ministère de
l'Agriculture ?
M. Kearney
- Le dossier n'est pas confié ; il s'agit d'une
répartition des compétences prévue par les textes. Nous
pratiquons des contrôles à la circulation sur des camions et
dès que les animaux rentrent dans un processus de fabrication ou de
commercialisation il s'agit, selon les cas, de la DGCCRF ou de la DGAL, car
c'est destiné à l'alimentation humaine ou animale.
M. le Rapporteur
- De quelle époque datent ces mouvements ?
M. Kearney
- Les mouvements de carcasses ont continué jusqu'en
mars 1996, avec une augmentation ou une diminution selon les années.
C'étaient des animaux abattus et exportés en France.
Nous pourrons vous donner des chiffres sur les introductions de ces carcasses
de viande en provenance du Royaume-Uni et d'autres états limitrophes.
M. le Président
- Je vous remercie de bien vouloir nous fournir
les documents qui vous ont été demandés car ils sont
très importants pour nous. Je vous remercie pour votre participation et
je pense que nous vous recontacterons pour vous demander certaines
précisions sur des informations que nous découvrons.
Mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, merci de nous accompagner
dans cette démarche qui est parfois bien longue.
Audition de M. Jean-Yves KERVEILLANT, Direction générale de
l'alimentation,
sous-direction de l'hygiène des aliments, bureau des
matières
premières
(14 février 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Mes chers collègues,
merci d'être présents.
Monsieur Jean-Yves Kerveillant, merci d'avoir répondu à notre
convocation. Je rappelle que vous êtes auditionné ici dans le
cadre de la Commission d'enquête du Sénat sur les farines
animales, que vous êtes à la Direction Générale de
l'Alimentation, Sous-direction de l'Hygiène des Aliments, Bureau des
Matières Premières.
Etant auditionné dans le cadre d'une commission d'enquête
parlementaire, vous devez témoigner sous serment. Pour ce faire, je vous
relirai la note que je dois vous lire et je vous ferai prêter serment.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Kerveillant.
M. le Président -
Merci.
Dans un premier temps, vous nous décrirez ce que vous connaissez de ce
problème des farines animales et de ce qui se passe -ou de ce qui s'est
passé- au niveau du problème de l'alimentation. Ensuite, nos
collègues vous poseront les questions qu'ils jugeront utiles.
M. Jean-Yves Kerveillant
- Merci, Monsieur le Président.
Monsieur le Président, Messieurs les sénateurs, Mesdames,
Messieurs, je travaille aux Services vétérinaires. Je suis
entré dans l'Administration en 1985. J'ai entamé ma
carrière dans les Services vétérinaires du Val-de-Marne
à Rungis où je suis passé par tous les postes des
chaînes alimentaires.
Nous avions à l'époque un très important bureau de douane,
le bureau de Rungis, couplé à un autre, le bureau d'Orly. J'en ai
assuré la responsabilité pendant environ une dizaine
d'années, car j'ai quitté ce Service en 1995. J'avais
également sous ma responsabilité tout ce qui était
denrées animales et d'origine animale, présentées à
la vente sur le marché de l'international de Rungis avec des
quantités très importantes de viandes d'animaux de boucherie et,
notamment, de viandes bovines, ovines et caprines importées des Etats
membres et des Pays tiers jusqu'en 1993 et ensuite échangées
à partir du 1er janvier 1993.
A partir de 1995, j'ai quitté ce Service pour rejoindre la Direction
Générale de l'Alimentation où je suis en charge du Bureau
des Matières Premières (qui ne s'appelait pas ainsi à
l'époque) qui regroupe les mêmes attributions.
Dans ce Bureau, je suis en charge de toute la réglementation relative
à l'agrément et aux conditions d'installation de fonctionnement
et d'inspection sanitaire des viandes d'animaux de boucherie, volaille, lapin
et gibier.
Depuis le 20 mars 1996, où cette maladie de l'encéphalopathie
spongiforme bovine est devenue un véritable problème de
santé publique, j'ai eu à suivre toutes les évolutions
réglementaires au regard des modifications de la liste des
matériels à risques spécifiés.
Figurait également dans mes attributions au début de la crise, le
problème de l'équarrissage. Cela s'arrêtait à
l'élaboration des farines animales à partir des matières
premières collectées dans les abattoirs et les ateliers de
découpage et, à partir de 1998, compte tenu de l'ampleur que
prenait ce problème et de la charge pesant sur le Service dans lequel je
me trouvais, il a été décidé de regrouper à
la Direction Générale de l'Alimentation l'ensemble des
problèmes équarrissage et alimentation animale dans un autre
bureau à la tête duquel se trouvait jusqu'à présent
Bénédicte Herbinet que vous avez rencontrée puisqu'elle
accompagnait la Directrice Générale de l'Alimentation au cours de
son audition.
Je m'occupe des problèmes liés au retrait des matériels
à risques spécifiés au sein des abattoirs. J'ai
participé à tous les débats depuis 1996 sur ce sujet et
j'ai travaillé jusqu'en 1998, à savoir la date d'entrée en
application du traitement 133°/20 minutes/3 bars à toutes les
farines valorisées en alimentation animale. J'ai également
travaillé avec un autre collègue sur le secteur de
l'équarrissage sur lequel j'étais moins impliqué que je ne
le suis sur le problème du retrait des matériels à risques
spécifiés.
Dans le travail que j'avais à effectuer sur la première partie de
ma carrière, j'ai eu beaucoup à m'occuper de tout ce qui
était produits entrés du Royaume-Uni et, sur la période
précédant mon arrivée à la Direction
Générale de l'Alimentation, il est vrai que
l'encéphalopathie spongiforme bovine n'était pas aux yeux d'un
agent présent sur le terrain et compte tenu des informations en notre
possession, un problème majeur de santé publique pour les
personnes qui, comme moi, étaient sur le terrain.
J'ai été sensibilisé par la presse professionnelle,
notamment par certains articles publiés dans la Semaine
vétérinaire ou la Dépêche vétérinaire
qui faisaient que j'avais quelques notions de ce qui se passait au Royaume-Uni
et j'ai été à l'origine, en 1990, d'un renforcement du
dispositif français au regard du contrôle que nous
réalisions à l'époque à l'importation, notamment du
Royaume-Uni, pour tout ce qui était matériels à risques
spécifiés, intitulés à l'époque « abats
à risques spécifiés ».
Suite à un contrôle que j'avais effectué chez un grossiste
du marché de Rungis, mes collègues ont pris un avis aux
importateurs interdisant l'introduction sur le territoire français de
tout ce qui était abats à risques spécifiés bovins,
dès le mois de février 1990 car, au cours du contrôle que
j'avais effectué, je m'étais rendu compte que les Britanniques ne
respectaient pas leur engagement au niveau communautaire, à savoir
d'interdire la sortie de leur territoire des abats qu'ils s'interdisaient
eux-mêmes pour leur consommation.
J'avais trouvé des têtes entières de bovins -renfermant la
cervelle- destinées à la consommation humaine et
distribuées par un grossiste du marché de Rungis.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Avez-vous des pièces relatant vos
interrogations et vos suspicions ?
M. Jean-Yves Kerveillant
- La seule pièce administrative que j'ai
retrouvée est une note d'information sur l'encéphalopathie
spongiforme bovine datée de février 1990 et rédigée
à l'époque par une collègue qui travaillait au Bureau de
l'Epidémiologie générale et opérationnelle, qui
donne les premières informations sur l'encéphalopathie
spongiforme bovine. Sont précisées à la fin du document
les constatations qui avaient été faites et les modifications
réglementaires qui avaient été apportées.
C'est le seul document de cette époque que j'ai retrouvé.
C'était la période antérieure à 1993, car je
distinguerai le travail que j'ai effectué dans un premier temps dans le
Val-de-Marne en deux périodes : la période antérieure
à 1993 et la période postérieure à 1993. Pourquoi
ce distinguo ? Avant le 1er janvier 1993, toutes les introductions sur le
territoire français étaient des importations.
Nous avions un contrôle sur les camions -même s'il était
souvent relativement succinct- et tout au moins la totalité des camions
était ouverte par mes collègues à l'introduction sur le
territoire national. A partir du 1er janvier 1993, le marché unique a
été mis en place dans la précipitation et les
contrôles que nous avons pu effectuer postérieurement sur ce
marché de Rungis pour vérifier la bonne application des
dispositions communautaires en vigueur sur l'encéphalopathie spongiforme
bovine, ont démontré que les Britanniques ne respectaient pas ce
texte, puisque les documents qui devaient accompagner les carcasses (dont vous
savez qu'il existait 2 catégories : originaires d'élevages
dans lesquels peu de cas d'ESB avaient été déclarés
et celles originaires d'établissements d'élevage dans lesquels
des cas avaient été déclarés et qui devaient subir
un désossage complet avec retrait de tous les tissus nerveux et
ganglions lymphatiques apparents) n'étaient pas respectés et
plusieurs rappels à l'ordre ont été nécessaires. Le
travail était beaucoup plus difficile, car nous étions alors dans
une phase où il n'existait pas de contrôles systématiques.
Nous devions travailler en application d'une directive communautaire (la
89-662) prévoyant des contrôles aléatoires par sondage de
façon non discriminatoire.
M. le Rapporteur
- Vous dénoncez cette situation à partir
de 1993. A partir de quelle date estimez-vous que les Anglais ont
respecté leurs obligations sur cette viande désossée et
non désossée ?
M. Jean-Yves Kerveillant
- Vous me posez une question «
piège », car je ne peux pas vous répondre. Sur ce que je
connais, j'ai constaté des anomalies antérieurement. Nous les
avons rectifiées par un avis aux importateurs qui a permis de recadrer
la situation et cela a été l'occasion pour l'Administration
centrale d'envoyer un document d'information aux services, qui les a
sensibilisés à partir de 1990. A partir de 1993, des
dérives ont eu lieu à nouveau, car ces contrôles
systématiques n'étaient plus effectués.
M. le Président -
Compte tenu que vous procédiez à
quelques contrôles aléatoires de temps à autres,
pensez-vous que cela ait pu continuer longtemps ?
M. Jean-Yves Kerveillant
- En effectuant des contrôles
aléatoires, surtout sur un marché comme celui sur lequel j'ai
travaillé pendant 10 ans, j'ai relevé des anomalies concernant
les Britanniques et tout le monde. Dès que vous interdisez quelque
chose, certains opérateurs cherchent toujours à contourner la
réglementation. Par exemple, l'importation des ris de jeune
bétail des Etats-Unis est interdite en raison de problèmes
liés à l'utilisation des hormones. Ces ris sont exportés
en Yougoslavie, déconditionnés et reconditionnés pour
arriver en France.
Il s'agissait de toutes les façons d'un travail demandant une attention
de tous les jours supposant d'être bien impliqué et introduit
auprès des opérateurs. J'y ai passé un certain temps, ce
qui m'a permis de comprendre les mécanismes et d'enrayer ce type de
fraude.
Ensuite, j'ai travaillé à la Direction Générale de
l'Alimentation. J'ai visionné la cassette de l'audition de ma Directrice
Générale et j'ai travaillé principalement sur tout ce qui
touche au retrait des matériels à risques spécifiés
et aux modifications de la réglementation sanitaire, notamment
l'arrêté du 17 mars 1992 sur les abattoirs et l'article 31-P que
je connais par coeur, car il a changé plus d'une dizaine de fois depuis
1996 suite notamment aux avis du Comité Dormont, du Comité
Français sur l'Encéphalopathie spongiforme transmissible et du
Comité Scientifique Directeur, nous-mêmes ayant apporté
quelques modifications sans attendre des avis.
Je me tiens à votre disposition pour répondre aux questions que
vous voudrez bien me poser.
M. le Président -
Vous confirmez que des importations d'abats
britanniques ont eu lieu dans des quantités importantes malgré
l'interdiction.
M. Jean-Yves Kerveillant
- Je confirme qu'il y a sans doute eu des
importations de matériels à risques spécifiés
interdits de commercialisation sur le territoire britannique ; je n'ai pas
dit en quantités importantes, mais que j'ai constaté
personnellement des anomalies sur le marché de Rungis qui ont
donné lieu à des mesures correctives quand j'ai transmis cette
information à mes collègues ; cela a été
effectué très rapidement.
M. le Président -
Quand vous effectuez un contrôle, vous
établissez un bordereau, presque un procès-verbal, pour signifier
cette affaire. Auriez-vous des exemplaires à nous communiquer ?
M. Jean-Yves Kerveillant
- Non, compte tenu que j'ai quitté ce
département, je n'ai plus accès aux documents.
M. le Président -
Normalement, cela peut se retrouver.
M. Jean-Yves Kerveillant
- De nombreux déménagements et
changements dans ce Service ayant eu lieu, ce sera difficile à
retrouver. La seule trace écrite figure dans le document que je vous ai
indiqué : « Après la découverte à Rungis
d'abats de bovins interdits au Royaume-Uni en provenance d `Ecosse, des mesures
d'interdiction d'importation en France concernant ces abats ont
été prises par l'avis aux importateurs de viande et d'abats de
bovins en provenance de certains pays de la Communauté
Européenne, publié au J.O. R F du 17 février 1990 ».
M. le Président -
C'était pour avoir des documents
précis démontrant clairement, à la suite des
contrôles que vous avez effectués, que vous avez
décelé un certain nombre de cas.
M. Jean-Yves Kerveillant
- Cela s'est traduit dans le cas présent
par une saisie des produits, par une lettre d'information à la Direction
de la Qualité et par une prise de mesures. Je n'ai pas retrouvé
cela dans les dossiers que j'ai eus à traiter sur l'ESB avant 1996.
M. le Rapporteur
- Concernant les abats, confirmez-vous les chiffres qui
nous ont été livrés par Mme Brugère-Picoux lors de
son audition, à savoir que dans la période 1978-1987 la France a
importé 3 180 tonnes d'abats ? Ensuite, dans les 9 ans qui ont
suivi (1987-1996), nous sommes montés à plus de 47 000
tonnes.
Ils sont majoritairement passés par Rungis. Confirmez-vous ces
tonnages ?
M. Jean-Yves Kerveillant
- Compte tenu que je n'ai pas de données
chiffrées, je pense que ces donnés ont été
extraites des statistiques qui ont pu être fournies par la douane, mais
je crois que c'est de ces ordres-là. La douane et les Services de la
Direction Générale des Droits indirects ont établi des
statistiques dont j'ai été destinataire sur la partie abats et
sur la partie carcasses. J'ai des souvenirs des tonnages de carcasses mais pas
de ceux concernant les abats.
M. le Rapporteur
- Pourriez-vous produire un document faisant
état de ces tonnages ?
M. Jean-Yves Kerveillant
- Non. Je ne disposais pas des tonnages. Tous
ces chiffres sont disponibles auprès de la Semaris (la
Société d'Exploitation du Marché de Rungis) qui
établit des statistiques d'entrées de matières sur le
marché ; il existait des statistiques annuelles avec les origines
pays par pays, quand les pays avaient une importance.
M. le Rapporteur
- Vous nous conseillez de nous adresser à la
Semaris pour obtenir ces documents.
M. Jean-Yves Kerveillant
- Elle devrait être à même
de vous fournir des éléments sur les volumes
commercialisés sur les marchés de Rungis et les origines de ces
denrées, puisqu'elle tenait à jour des statistiques
annuelles ; tous les ans, je recevais les statistiques des
quantités.
M. le Rapporteur
- Nous adressons-nous au Directeur de la Semmaris ?
M. Jean-Yves Kerveillant
- Oui.
M. le Rapporteur
- Avez-vous une idée de la ventilation de ces
types d'abats et de leur destination sur marché français ?
Quels types d'abats étaient-ils importés
régulièrement en France et quelles étaient leurs
destinations ? Alimentation animale, humaine, cosmétologie ?
M. Jean-Yves Kerveillant
- La France a toujours été un
très grand consommateur d'abats.
M. le Rapporteur
- Je me permets de revenir sur les 2
périodes : à partir de 1987-1988, quand on passe de
3 000 tonnes à 47 000 tonnes ; c'est troublant.
M. Jean-Yves Kerveillant
- Il faudrait regarder ces chiffres par rapport
aux tonnages globaux commercialisés.
M. le Rapporteur
- La France, à partir de cette date, a dû
changer de fournisseur. L'Angleterre a mis sur le marché des abats
à des prix séduisants pour les importateurs. Cela ne peut
s'expliquer qu'ainsi.
M. Jean-Yves Kerveillant
- Je n'ai pas de données
chiffrées.
M. le Rapporteur
- Le Directeur de la Semmaris pourrait-il nous
renseigner ? Avez-vous son nom ?
M. Jean-Yves Kerveillant
- Oui. Il s'agit de M. Marc Spielrein, le
Président.
M. le Rapporteur
- Nous nous rapprocherons donc de M. Spielrein.
M. Jean-Yves Kerveillant
- A Rungis, la Société Mecarungis
est en charge de la facturation et pourra vous fournir l'évolution des
prix. J'ignore jusqu'à quelle date ils peuvent remonter dans leurs
archives, mais ils devraient être à même de vous indiquer
les statistiques en volume par origine et par nature, à savoir la
qualité des produits introduits.
M. le Rapporteur
- Vous confirmez, en restant sur cette
problématique abats, qu'ils étaient interdits en Grande-Bretagne
à partir du 23 octobre 1989.
M. Jean-Yves Kerveillant
- Oui.
M. le Rapporteur
- Ils ont été mis massivement sur le
marché à des prix sans doute intéressants, car ils ont
été importés massivement jusqu'en 1996 en France.
M. Jean-Yves Kerveillant
- Nous avons continué à importer
des abats du Royaume-Uni qui n'étaient pas forcément interdits
car nous les avions à l'oeil. Le marché de RUNGIS était le
plus grand marché par lequel passait la plus grande partie des abats,
car tous les intermédiaires se trouvent sur Rungis et après avoir
mis en oeuvre les mesures d'interdiction et les avoir rappelées, nous
avons regardé de plus près ce qui entrait sur le territoire
national.
Les abats interdits concernent : la cervelle, la moelle
épinière, les yeux, la rate, le thymus, et les intestins. Ceux
qui étaient importés concernaient principalement des cervelles,
la France étant une grande consommatrice de cervelles. Les concernant,
nous n'avons plus rien noté après les interdictions
réelles. En revanche, nous recevions du coeur, du foie et de la langue.
Ces morceaux n'ont jamais présenté au regard de l'ESB un risque
quelconque.
M. le Rapporteur
- Avez-vous saisi, au-delà des périodes
d'interdiction, des lots qui ne devaient pas entrer sur le marché
national ?
M. Jean-Yves Kerveillant
- Non. Je m'étais chargé de faire
une bonne information auprès de tous les grossistes. J'étais bien
introduit auprès de tous les professionnels et je passais par
l'intermédiaire des fédérations de façon à
les sensibiliser aux mesures qui devaient être prises et leur rappeler la
réglementation en la matière.
Je ne pense pas que l'opérateur dont je parlais avait agi de mauvaise
foi. Il s'agissait de quelques têtes de bovins qu'il faisait venir d'un
fournisseur britannique et ce n'était pas là-dessus qu'il devait
tirer des profits considérables.
M. le Rapporteur
- Pourrons-nous avoir les noms des principaux
importateurs français ?
M. Jean-Yves Kerveillant
- Vous aurez le nom des entreprises dont
certaines étaient spécialisées en viande anglaise. Des
opérateurs travaillaient des viandes d'origine française,
d'autres de la viande anglaise à 100 %. Ils ont
déposé le bilan en 1996 dès le 20 mars, puisque tous leurs
approvisionnements ont été arrêtés. Vous retrouverez
auprès d'un syndicat professionnel l'un des opérateurs qui
était à l'époque le premier en termes d'importation de
viande anglaise.
M. le Rapporteur
- L'importation de cervelles dont la France
était friande était-elle pour la consommation en l'état ou
pour servir de liant ? Quelle était l'utilisation des
cervelles ?
M. Jean-Yves Kerveillant
- Elles étaient commercialisées
par les tripiers, nombreux en région parisienne. Les opérateurs
faisait venir sur le FFMIN de Rungis des têtes entières sur
lesquelles ils récupéraient la cervelle, la langue et les joues
et toute la main d'oeuvre était payée à l'époque
par la commercialisation de l'os qui entrait dans les circuits de la
gélatine, entre autres.
Pour eux, c'était une opération assez rentable. Ils vendaient ces
articles pour une consommation en l'état et non pas pour une
consommation de ce que l'on a pu rencontrer éventuellement comme liant
dans les steaks hachés. Elles étaient également
utilisées dans tout ce qui était bouchées à la
reine mais, à Rungis, les produits qui partaient étaient pour une
consommation en l'état.
M. le Rapporteur
- Quelle est la date d'interdiction en France des
matériaux à risques spécifiés britanniques dans
l'alimentation humaine ? S'agit-il bien de février 1990 ?
M. Jean-Yves Kerveillant
- Le texte communautaire date d'octobre 1989.
En principe les Anglais auraient dû s'abstenir d'exporter ces
matériels et, à l'époque, nous leur avions fait confiance.
Il n'avait pas été introduit dans le droit national une
obligation ou une interdiction quelconque. Ce n'est qu'à partir du
contrôle effectué sur le terrain que nous avons pris une mesure et
un avis aux importateurs interdisant l'introduction sur le territoire. Entre
octobre 1989 et février 1990, pendant cette courte période de
battement, certains produits ont pu continuer à entrer. Je l'ai
constaté une fois. Je suis très prudent.
M. le Rapporteur
- Y a-t-il eu possibilité de trafics d'abats
britanniques à partir d'autres Etats communautaires comme la Belgique,
la Hollande ou l'Irlande ?
M. Jean-Yves Kerveillant
- Pas à ma connaissance.
Personnellement, je n'ai rien constaté.
M. le Rapporteur
- Ne trouvez-vous pas curieux que l'interdiction
générale des matériels à risques
spécifiés dans l'alimentation humaine ne soit intervenue
qu'à partir du 4 avril 1996 ?
M. Jean-Yves Kerveillant
- A partir du 12 avril 1996.
C'est le premier arrêté français qui a été
pris. Je vous l'ai expliqué en préambule. J'étais sur le
terrain et l'ESB n'était pas un problème de santé
publique. Le problème était traité par la Sous-Direction
de la Santé et de la Protection animale jusqu'en 1996. Sur la
période octobre 1995-mars 1996 qui sont les 6 premiers mois de travail
au niveau central, nous n'avions jamais eu à traiter de
l'encéphalopathie spongiforme au sein du bureau. Après cette
date, j'étais en pointe sur ce dossier.
M. le Rapporteur
- Concernant les carcasses, nous avons
évoqué l'embargo français qui a été
déterminé en mai 1990 sur les viandes britanniques et levé
le 7 juin, sous condition suspensive, à savoir que l'on ait des
carcasses provenant d'exploitations britanniques exempte d'ESB depuis moins de
6 ans et, en l'occurrence, dans le cas contraire, on avait le droit d'importer
de la viande désossée.
Or, nous nous apercevons que 5 années plus tard, en 1995, la Commission
Européenne fait obligation au Royaume-Uni, au travers d'une directive,
d'une application en droit national d'une identification de leur cheptel bovin.
Ce différentiel de 5 ans ne vous a-t-il pas là aussi
troublé ? En avez-vous eu connaissance ?
M. Jean-Yves Kerveillant
- Personnellement, à l'époque, je
le répète, j'étais sur le terrain en hygiène
alimentaire et, pendant cette période, je n'ai pas suivi tout ce qui se
tramait au niveau communautaire. J'ai pu savoir par la suite que la Commission
n'a pas beaucoup oeuvré pour faire avancer ce dossier.
M. le Rapporteur
- Vous confirmez que, sur le territoire national, la
Commission européenne n'a pas beaucoup oeuvré à cette
époque.
M. Jean-Yves Kerveillant
- Peu d'actions ont été
menées et, sur la période 1996 jusqu'aux mesures prises
récemment, il a fallu forcer la main à la Commission pour qu'elle
prenne des mesures draconiennes, même au plan communautaire, pour tous
les Etats membres. Il a fallu attendre la décision 2418, entrée
en application au 1
er
octobre 2000, pour voir un retrait
uniforme sur l'ensemble du territoire communautaire des matériels
à risques spécifiés, alors qu'auparavant nous avions
travaillé sur une décision 97-534 avec d'interminables
discussions pour faire avancer ce dossier.
M. le Rapporteur
- Sur ces carcasses de bovins britanniques
importées en France, que devenaient ce que l'on appelle les
matériaux à risques spécifiés ? A Rungis, vous
aviez des carcasses entières.
M. Jean-Yves Kerveillant
- Nous avions des carcasses
présentées selon la présentation traditionnelle, en
quartiers soit des avants, soit des arrières, avant coupé droit 5
côtes ou arrière coupé droit 8 côtes ou avant
caparaçon et arrière traité à 8 côtes. Il
restait toute la partie vertébrale avec éventuellement de petits
résidus de moelle épinière. Cela partait dans le circuit
équarrissage ou valorisation alimentation animale.
M. le Rapporteur
- Il n'y avait pas de moelle.
M. Jean-Yves Kerveillant
- Nous avions également regardé
ce point sur le FFMIN de Rungis de façon à faire en sorte que les
opérateurs s'interdisent toute introduction sur le territoire national
de carcasses qui n'avaient pas été correctement
démodulées.
M. le Président -
Parmi les bovins de plus de 30 mois, comment
sont choisis ceux bénéficiant de tests à l'entrée
des abattoirs et ceux qui, au contraire, sont retirés de la chaîne
alimentaire ?
M. Jean-Yves Kerveillant
- Sur le terrain, ce n'est pas le Service
vétérinaire qui décide. Il applique la
réglementation, à savoir que tout animal de plus de 30 mois
destiné à la consommation humaine doit faire l'objet d'un test.
On lui présente des animaux à l'abattoir en indiquant que cet
animal est destiné à la consommation humaine et, dans ce cas,
dans les abattoirs, des séquences d'abattage sont
préparées pour les animaux de plus de 30 mois sur lesquels sera
systématiquement réalisé le test.
Conjointement, on réalise des séquences d'abattage sous le
contrôle de l'OFIVAL pour tous les bovins de plus de 30 mois qui ne
subissent pas le test et pour lesquels aucune valorisation dans le circuit de
l'alimentation humaine et animale n'est autorisée, mise à part la
récupération des cuirs à des fins techniques.
Ce sont des séquences d'abattage distinctes, mais nous pouvons avoir des
animaux très bien conformés qui, en fonction de la demande, dans
la plupart des cas n'entrent plus dans le circuit de l'alimentation humaine
aujourd'hui. Cela peut paraître choquant quand on le voit.
M. Georges Gruillot
- Concernant les farines animales, vous nous avez
dit que vous aviez été responsable de ce secteur jusqu'à
une certaine période de votre exercice. Avant la norme 133°/3
bars/20 minutes, que se pratiquait-il sur le traitement des farines animales en
France et quels étaient vos moyens de contrôle et des
contrôles existaient-ils réellement ?
M. Jean-Yves Kerveillant
- La directive communautaire 90-667 fixe les
conditions de production des farines animales. Elle classe les produits en 2
catégories: les matières à haut risque, susceptibles de
présenter un danger pour la santé des animaux et devant subir un
traitement permettant d'éliminer tout risque pour la santé des
animaux susceptibles de consommer ces farines. C'est le traitement 133°/20
minutes/3 bars ou traitement alternatif, imposé par la directive 96-667.
Il impose non pas l'élimination du prion de l'ESB ou de la Tremblante,
mais uniquement la destruction des spores de
clostrium perfringens
.
Pour ces matières à haut risque, il existait une obligation de
moyens en termes de traitement thermique appliqué et une obligation de
résultats en termes de critères microbiologiques auxquels sont
soumis les produits élaborés à partir des matières
premières en cause.
Les matières à faible risque ne présentent pas de risques
particuliers pour la santé des animaux. Dans ce cas, il n'existe pas
d'obligation de moyens en termes de traitement mais uniquement des obligations
de résultats (absence de salmonella), ce que vous retrouvez dans la
directive communautaire. Cela a été transposé en droit
national par un arrêté du 30 décembre 1991.
A partir de là, il y a eu en 1992 une décision communautaire sur
les traitements alternatifs et ce n'est qu'en 1994 que l'on commence à
parler de certaines obligations au regard du risque nouveau
présenté par l'encéphalopathie spongiforme bovine.
La Commission définit des paramètres qui sont des traitements
permettant d'apporter une garantie suffisante au regard du risque du prion de
l'ESB avec des obligations en termes de moyens pour atteindre l'objectif «
plus de risques » au regard de l'ESB.
Ensuite, vous avez la décision 96-449 qui impose le traitement unique
133°/20 minutes/3 bars. Pourquoi être passé de la
décision 94-382 (133°/20 minutes/3 bars et traitement
alternatif à la décision unique 96-449 ? Parce que les
scientifiques ont fait savoir à la Commission que le seul traitement
susceptible d'apporter des garanties tant au regard du prion de l'ESB que de
celui de la Tremblante était le traitement 133°/20 minutes/3 bars.
En France, il n'a pas été mis en oeuvre immédiatement pour
apporter la sécurité. Mais dès le 28 juin 1996, faisant
suite à un avis de notre Comité français sur les
encéphalopathies spongiformes transmissibles, a été mis en
oeuvre un tri des matières de façon à éliminer
toutes les matières à haut risque des circuits de l'alimentation
animale. Ces matières à haut risque sont les cadavres, les
saisies sanitaires et les matériels à risques
spécifiés de l'époque, dont les matériels à
risques spécifiés de premier rang que sont la cervelle et la
moelle épinière présentant le risque le plus grand au
regard de l'ESB.
Sur la base d'un avis du Comité Dormont, postérieur à la
date du 28 juin 1996, nous n'avons jamais mis en place ce traitement
133°/20 minutes/3bars, considérant que la sécurité
était apportée par le tri des matières premières et
ce n'est qu'en février 1998 que nous l'avons mis en place, suite aux
pressions de la Commission.
Nous avons alors décidé, en plus du tri des matières
premières, d'assurer le traitement 133°/20 minutes/3 bars. Cette
décision faisait suite également à une meilleure
connaissance des risques éventuels de contamination croisée que
l'on pouvait avoir au cours des utilisations des farines utilisées dans
l'alimentation des animaux autres que ruminants.
M. Georges Gruillot
- Avez-vous des moyens de contrôle et ont-ils
été exercés dans les usines ?
M. Jean-Yves Kerveillant
- Des contrôles étaient
exercés dans les usines, mais pas ceux que nous sommes amenés
à y exercer aujourd'hui. Si vous regardez la chronologie dans les
instructions qui ont été données, la première dans
laquelle est imposée réellement une fréquence des
contrôles remonte à mars 1998 où est demandé un
contrôle systématique tous les 15 jours dans les usines
élaborant des farines animales destinées à l'alimentation
animale.
M. Georges Gruillot
- Avant cette date, il n'existe donc aucune
certitude concernant l'application des mesures.
M. Jean-Yves Kerveillant
- Des contrôles étaient
effectués, mais pas de façon aussi stricte que ceux
opérés à compter de mars 1998.
M. le Rapporteur
- Ce nouveau process de fabrication des farines
animales venues d'Angleterre mettant en place les fameux 3 critères
133°/ 20 minutes/3 bars provient d'un brevet américain, comme j'ai
pu le lire. Avez-vous connaissance de la manière dont sont
fabriquées les farines animales aux Etats-Unis et de leur
éventuelle utilisation dans l'alimentation animale dans ce pays ?
M. Jean-Yves Kerveillant
- J'ai eu l'occasion en 1999 de visiter des
abattoirs avec, annexés à ces abattoirs, des usines
d'élaboration de farines animales. Malheureusement, je n'ai pas eu
l'occasion de parler avec les professionnels des conditions de mise en oeuvre
des traitements et, quand j'ai eu l'occasion de les observer, ce n'était
pas le traitement 133°/20 minutes/3 bars. Tout dépendait de la
nature de la matière première utilisée. Un traitement
était appliqué dans le but d'obtenir un produit d'une
qualité donnée, plutôt que par rapport à une
sécurité sanitaire.
M. le Rapporteur
- Vous rappelez-vous de la date de votre
présence aux Etats-Unis ?
M. Jean-Yves Kerveillant
- Juillet 1999.
M. le Rapporteur
- Estimez-vous, en tant que professionnel, que ce que
vous avait vu là-bas ne vous laissait pas supposer que ces 3
critères étaient utilisés ?
M. Jean-Yves Kerveillant
- Non.
M. le Rapporteur
- Les farines de viande sont-elles utilisées
dans l'alimentation animale aux Etats-Unis ?
M. Jean-Yves Kerveillant
- Oui. Aujourd'hui encore.
M. Georges Gruillot
- Le problème de l'équarrissage :
entre le bas risque et le haut risque dans la même usine comment faire la
distinction ? Est-il possible d'assurer un suivi dont on soit
certain ? Nous sommes nous-mêmes a priori certains que tout cela se
mélangeait gaillardement.
M. Jean-Yves Kerveillant
- Il faut faire la distinction entre avant et
après 1996. Avant 1996, quand il y avait mélange, l'usine
était classée haut risque et appliquait le traitement haut risque
pour tout le monde.
Après 1996, nous avons été amenés à assurer
le tri des matières premières avec tout ce qui entrait dans le
service public de l'équarrissage. Cela a été mis en place
réellement par la loi de fin décembre 1996, entrée en
application le 1erjanvier 1997 mais, entre le 1er juillet 1996 et le 31
décembre 1996, nous avions mis ce tri en place. Il a fallu un certain
temps pour organiser cette collecte séparée et cette
transformation séparée.
Dans un premier temps, nous avons dû accepter que les farines à
haut risque et celles à faible risque soient élaborées
dans les mêmes usines. Dorénavant tous les sites élaborant
des matières à haut risque entrant dans le cadre du service
public de l'équarrissage sont des sites dédiés dans
lesquels vous n'avez plus que cette activité. Au départ, il n'a
pas été facile de mettre en place ce tri puisqu'il a fallu
spécialiser des unités.
M. le Président -
Nous vous remercions d'avoir
témoigné et de nous avoir apporté des renseignements
très importants et très précis, ce qui est tout à
fait précieux nous concernant. Merci de votre intervention. Je pense que
vous nous laisserez quelques documents.
M. Jean-Yves Kerveillant
- Je vous remets une note d'information sur
l'encéphalopathie spongiforme bovine, la première note de
synthèse faite à l'intention de nos collègues et qui
m'avait marqué, car je trouvais qu'elle était bien faite et
représentait une bonne synthèse pour les agents. Je peux laisser
pour votre collègue un document qui lui permettra de faire la
différence entre les matières à haut risque et les
matières à faible risque.
J'ai le document de 1998 si vous avez la possibilité de faire une copie.
Je peux également vous remettre des tableaux sur les obligations de
traitement des matériels à risques spécifiés et des
matières à faible risque, qui vous permettra de mieux
appréhender nos difficultés à mettre en place ces textes.
M. le Président -
Merci beaucoup.
Audition de M. Jean-François GROLLIER,
Vice-président en
charge de la direction générale de la recherche
et du
développement du groupe l'Oréal
et de M. Giorgio
GALLI,
Directeur de la communication et des relations
extérieures
(14 février 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Merci Messieurs
d'être présents. Je rappelle que vous êtes M. Giorgio Galli,
Directeur de la Communication et des Relations extérieures et M.
Jean-François Grollier, Vice-président de la
Fédération nationale des Syndicats d'exploitants agricoles
(FNSEA) et Président du Comité de coordination des Associations
spécialisées.
Merci d'avoir répondu à notre convocation. Vous savez que vous
êtes entendus dans le cadre d'une commission d'enquête
parlementaire et qu'à ce titre vous devez témoigner après
avoir prêté serment.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à MM.
Grollier et Galli.
M. le Président -
Je vous remercie.
La cosmétologie en général peut paraître
éloignée des farines animales proprement dites, mais les missions
de la commission d'enquête sont élargies en dehors des farines
animales, et il s'agit également de l'utilisation en cosmétologie
de tous les produits utilisés à partir des animaux abattus dont
sont issus les différents sous-produits ou produits de transformation.
C'est pourquoi nous vous poserons des questions sur leur utilisation.
Je crois que dans un premier temps vous pouvez nous faire une brève
présentation de tous ces éléments et nous donner votre
avis sur ces problèmes. Ensuite, l'ensemble de nos collègues
posera les questions qu'ils jugeront utile.
M. Giorgio Galli
- Mesdames et Messieurs les sénateurs, vous avez
souhaité entendre le Groupe L'Oréal sur la question de l'ESB.
Je suis Giorgio Galli, Directeur Général de la Communication et
des Relations extérieures et je représente, avec M.
Jean-François Grollier, Vice-Président en charge de la Direction
Générale de la Recherche et du Développement, le Groupe
L'Oréal.
Je souhaite porter à votre connaissance l'historique de l'attitude de
notre Groupe concernant la question de l'ESB.
Aujourd'hui, en France, les formules issues de nos laboratoires ne contiennent
ni extraits ni dérivés des classes I, II et III de l'OMS ni suif
ni gélatine en tant que tels.
Seuls subsistent quelques ingrédients dérivés de suif, de
collagène ou de lait, pour lesquels nous possédons les garanties
de provenance ou de procédés. Ils sont par ailleurs en voie de
suppression.
Cette situation présente découle de l'historique que je vous
détaillerai.
Notre Groupe a développé de longue date une éthique et une
politique de protection des consommateurs très rigoureuse. Dans ce
cadre, il exerce en permanence une veille attentive sur toutes les questions
qui peuvent se poser au sujet de la sécurité de ses produits et
des ingrédients qui entrent dans leur composition.
Cette vigilance s'est appliquée concernant l'ESB et s'est traduite par
une attitude d'anticipation et de précaution active qui a
été précoce et s'est poursuivie au fils des années
et jusqu'à nos jours.
Au début de l'épizootie d'ESB qui s'est produite au milieu des
années 80 au Royaume-Uni, personne n'imaginait qu'elle pourrait
présenter un risque éventuel pour la santé humaine. A
cette époque, les ingrédients d'origine animale étaient
largement utilisés par plusieurs secteurs industriels et, en premier
lieu, dans le domaine agroalimentaire.
Dès l'émergence en 1990 des premières informations
scientifiques sur les risques potentiels liés à
l'épizootie de l'ESB en Grande-Bretagne, le Groupe L'Oréal s'est
mobilisé. Lors de l'apparition de cas sporadiques d'ESB en France en
1991, la question d'un risque éventuel pour la santé humaine
s'est imposée à notre Groupe. Nous avons contacté des
experts français en matière d'encéphalopathie spongiforme,
dont le Professeur Jeanne Brugère-Picoux, de façon à
comprendre la nature et les causes de l'ESB, ainsi que les risques
éventuels liés à l'utilisation des extraits bovins.
Les conclusions ont été rassurantes. Le franchissement de la
barrière d'espèce paraissait peu probable et l'utilisation
d'extraits bovins en cosmétique présentaient infiniment moins de
risques qu'en alimentaire.
Mais nous ne sommes pas contentés d'examiner des hypothèses. En
même temps, nous avons demandé à nos laboratoires de ne
plus utiliser dans les nouvelles formules les ingrédients
dérivés d'organes et de tissus que l'OMS décrira quelques
mois plus tard comme pouvant présenter le plus haut niveau de risque
potentiel en les situant en classe I et II.
De la part d'un industriel de la cosmétique, cette mesure
représentait alors réellement une mesure de précaution.
En effet, il convient de rappeler que le risque qui pouvait être
évoqué par certains début 1991 était un risque
théorique de transmission par voie alimentaire et que les produits
cosmétiques sont appliquées par voie topique et ne sont pas
destinés à être ingérés.
Aucune étude n'a d'ailleurs montré à ce jour la
possibilité de transmission de l'agent du prion par la voie
cutanée.
Deux renforcements de cette première précaution sont intervenus
peu après.
Au deuxième trimestre 1991, nous avons demandé à un expert
vétérinaire d'évaluer chez nos principaux fournisseurs
d'extraits biologiques bovins le risque ESB depuis la récolte des
organes jusqu'à l'obtention des extraits. Il a été
rassurant sur la source des ingrédients mais, pour aller plus loin, nous
avons demandé à nos fournisseurs, au troisième trimestre
1991, de nous fournir pour chaque livraison :
- à un certificat d'origine garantissant la provenance de pays hors
de l'épizootie d'ESB,
- à un certificat vétérinaire prouvant que les bovins
étaient aptes à la consommation humaine
- à un certificat mentionnant le respect des procédés
de fabrication garantissant la qualité des extraits fournis et ceci pour
toutes les matières premières d'origine bovine à l
`exception des dérivés de la classe IV de l'OMS.
L'étape suivante, pour notre Groupe, a été la
conséquence du rapport publié en novembre 1991 par l'OMS. Ce
rapport, qui s'appuyait sur les résultats d'études faites sur la
tremblante du mouton, décrivait les procédés
d'inactivation du prion et les organes et tissus à risques selon une
répartition en quatre classes.
La classe IV mentionnait les tissus pour lesquels il n'avait pas
été trouvé d'infectiosité, tel que le lait.
Quant à la peau, aux poils et au suif -qui sont des tissus classiques
pour l'obtention d'ingrédients cosmétiques-, ils n'étaient
pas mentionnés dans cette classe IV, car ils auraient dû faire
partie d'une autre classe présentant un niveau de risque encore bien
inférieur.
Suite à ce rapport, nous avons établi début 1992, toujours
par souci de précaution et d'anticipation, un plan de reformulation de
nos produits pour substituer dans toutes les formules concernées, la
totalité des matières premières dérivées des
classes I, II et III décrites par l'OMS.
Ce très grand travail de reformulation a été
effectué entre 1992 et 1995.
A signaler également qu'en novembre 1992 le Conseil Supérieur
d'Hygiène Publique de France a rendu un avis recommandant à
l'Industrie cosmétique de s'approvisionner dans des pays exempts
d'épizootie d'ESB pour les produits des classes I, II et III.
Dans les cas où cette garantie n'existait pas il fallait utiliser des
procédés assurant l'inactivation. Nous avions donc largement
anticipé cette recommandation.
Précisons que la classe IV pouvait être utilisée sans
garantie d'origine.
Une autre étape importante de notre action se situe début 1996.
Toujours avec l'aide d'un expert vétérinaire, nous avons
lancé chez nos fournisseurs une série d'actions pour nous assurer
de la traçabilité et du respect des procédés lors
de la fabrication des ingrédients d'origine bovine de classe IV que nous
utilisions encore (hors dérivés de suif et de lait).
Les deux années suivantes, de 1996 à 1998, ont été
marquées par une série de mesures réglementaires
d'interdiction en France et en Europe ; comme je viens de vous le dire,
nous avions déjà mis en pratique, pour l'essentiel, ces
différentes mesures.
En août 1996, la France, dans un arrêté, a pris des mesures
concernant la cosmétique. Premièrement, l'interdiction
d'utilisation d'extraits d'encéphale, de moelle épinière
et de globes oculaires de bovins âgés de plus de 6 mois.
Nous avions déjà mis en oeuvre cette précaution pour nos
nouvelles formules depuis 1991 et, pour les produits existants, au plus tard en
1995.
Il s'agit des classes I, II et III.
Deuxièmement, l'interdiction de l'utilisation de toute matière
première bovine provenant du Royaume-Uni. Nous avons demandé aux
fournisseurs de nos matières premières encore d'origine bovine
des certificats, lot par lot, de conformité à cet
arrêté.
En janvier 1997, la directive européenne 97/1 a repris en partie
l'arrêté français de 1996.
Toujours dans le même souci de précaution, nous avons lancé
un plan complémentaire de reformulation au premier trimestre 1997 pour
remplacer progressivement les produits d'origine bovine de la classe IV encore
existants.
En mars 1998, la directive européenne 98/16 a renforcé et
élargi les mesures d'interdiction et réglementé les
conditions de traitement des dérivés de suif.
Cette directive a été transposée en droit français
par l'arrêté du 8 avril 1998.
En résumé, depuis 10 ans, une part très importante de nos
travaux de recherche a été consacrée à la
substitution de matières premières d'origine bovine, de
façon à ne prendre aucun risque pour la santé des
consommateurs.
Nous pouvons dire que notre vigilance active et notre attitude de
précaution systématique ont conduit à anticiper les
réglementations et à apporter le maximum de garantie possible
dans la sécurité de nos produits, en fonction des connaissances
scientifiques du moment.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre attention.
Nous avons préparé ce texte que nous pourrons vous laisser en
tant que document officiel.
M. le Président -
Manifestement, vous nous dites -et c'est tout
à l'honneur de votre Groupe- que vous avez pratiquement
précédé à chaque fois les décisions qui ont
été prises postérieurement au niveau national ou
communautaire.
Pensez-vous que l'ensemble des fabricants de cosmétique a eu la
même démarche ultérieurement ?
Je ne vous demande pas de délation, mais ce que vous en pensez, ce que
vous estimez en tant que professionnel, ou si, à la suite des
décisions et des arrêtés qui ont été pris,
quelques fraudes ou quelques transgressions de la réglementation par
d'autres fabricants de cosmétiques ont eu lieu.
M. Giorgio Galli
- Nous n'avons pas d'éléments pour parler
de fraudes à l'intérieur de l'Industrie cosmétique. Nous
sommes maîtres de la politique de L'Oréal et, au niveau de la
recherche, tous les pas ont été faits pour pouvoir nous situer
dans une situation de sécurité par rapport à nos produits
et nos consommateurs.
Pour l'avoir vécu directement, je sais qu'au niveau des associations
inter-professionnelles, à chaque fois, toutes les recommandations ont
été faites à l'ensemble de l'Industrie cosmétique
tant au niveau européen que français.
M. le Rapporteur
- Pourrions-nous avoir la liste des produits de
substitution qu'au fur et à mesure vous avez utilisés dans la
préparation de vos produits de cosmétologie ?
M. Giorgio Galli
- M. Grollier, en charge de la Recherche, vous
répondra. C'est un travail long et dense.
M. Jean-François Grollier
- Comme vous l'avez vu, notre travail de
reformulation a duré de 1992 à 1995. Nous avons cherché
des produits permettant d'obtenir les mêmes propriétés.
Nous pouvons dire que nous avons très souvent remplacé par des
matières premières venant du règne végétal,
les produits en provenance du règne animal.
M. Gérard César
- Pour compléter la question de mon
collègue, concernant le plan de reformulation que vous avez mis en
place, vous avez évoqué dans votre propos des experts
vétérinaires. Pourriez-vous nous préciser s'il s'agit d'un
expert vétérinaire de votre propre Maison L'Oréal ou un
expert indépendant agréé par les Pouvoirs Publics ?
M. Jean-François Grollier
- C'est un expert indépendant, le
Docteur Constantin qui aujourd'hui est en retraite et qui, à
l'époque, se trouvait à Angers.
M. le Président -
Vous parlez d'extraits de produits
végétaux. N'y aurait-il pas eu de produits venant d'animaux
marins, de poissons, en substitution des extraits bovins ou ovins ?
M. Jean-François Grollier
- Nous cherchons principalement à
remplacer par des matières premières d'origine chimique car, par
la chimie, il est possible de fabriquer des produits, ou par des chaînes
grasses par exemple en provenance de végétaux.
En particulier actuellement dans le remplacement des dérivés de
suif, il est tout à fait possible de trouver dans le règne
végétal, des chaînes remplaçant le suif.
M. Roland du Luart
- En vous écoutant, je suis frappé par
un fait au cours de ces différentes auditions : le secteur
alimentaire n'a pas eu le même principe de précaution que la
cosmétologie. Est-ce intuitif ? Quelle raison vous a fait agir
aussi rapidement ?
Vous avez entendu parler de cette maladie et vous vous êtes dit
très en amont par rapport aux autres : « Il est indispensable
de prendre des principes de précaution même si, scientifiquement,
il n'existe pas de risques que cela passe d'une espèce à l'autre
mais nous ne voulons pas prendre de risques ». Est-ce une mesure que l'on
retrouve dans votre Maison L'Oréal par rapport à certains choix
de société ou aviez-vous une intuition vous faisant craindre le
pire avec cette épidémie ?
M. Giorgio Galli
- Cela fait partie de la politique de la Maison. Nous
avons un respect et une éthique absolus par rapport aux produits que
nous mettons sur le marché, et dès qu'un élément
est identifié comme à risque potentiel éventuel, il est
sûr que nous tentons de voir clair et que nous nous mettons dans une
position qui est celle de voir comment nous pouvons protéger nos
consommateurs. Nous sommes allés même au-delà de toutes les
réglementations. C'est une attitude que nous pouvons attribuer
spécialement à notre pensée et notre philosophie et
à ce que nous souhaitons par rapport à nos consommateurs et au
marché.
M. le Rapporteur
- Vous avez une cellule de veille qui fonctionne en
permanence pour être en alerte sur ce genre de problématiques dans
la société d'inquiétude dans laquelle nous vivons.
M. Jean-François Grollier
- Nous regardons tous ce qui se passe
à l'extérieur. Bien avant le premier cas d'ESB en France, nous
avons vu ce qui se passait en Grande-Bretagne et nous avons identifié un
risque potentiel à prendre en compte immédiatement.
M. le Rapporteur
- Pouvez-vous nous livrer quelques autres
inquiétudes que vous allez corriger, puisque vous avez une
réactivité exceptionnelle, au niveau de l'alimentaire ou de
l'utilisation des farines dans l'assolement ?
M. Giorgio Galli
- Nous prenons des mesures au niveau de la
reformulation des produits par rapport même à des
dérivés de substances que l'OMS a placées en classe IV,
alors qu'elles ne présentent aucun risque détectable
d'infectiosité.
Nous nous mettons en position d'anticipation.
M. le Président -
Il est vrai également que l'origine de
la cosmétologie en général a suivi les origines ou a
accompagné les progrès de la pharmacie et des médicaments.
La démarche n'est pas la même entre la cosmétologie en
général qui suit de très près la plupart du temps
la méthodologie utilisée dans la fabrication des
médicaments alors que, malheureusement, la filière d'alimentation
n'a jamais suivi exactement cette démarche. C'est ce qui fait la
différence.
M. Jean-François Grollier
- Nous avons notre propre
démarche en tant que cosmétique.
M. le Président -
Aujourd'hui mais, à l'origine,
c'était celle-là et c'est ce qui est différent.
M. le Rapporteur
- A posteriori, ne pensez-vous pas que
l'arrêté du 8 avril 1998 soit venu d'après vous un peu
tard ? Aujourd'hui, cet arrêté et la liste des
matériaux interdits vous donnent-ils satisfaction ? Vous êtes
allés au-delà. Nous l'avons bien compris et analysé.
Clairement, estimez-vous que cet arrêté de 1998 arrive un peu
tard ?
M. Jean-François Grollier
- Je ne peux pas juger. Il convient de
resituer le risque en cosmétique par rapport aux autres. Il ne faut pas
oublier que le produit est appliqué sur la peau, qu'il n'y a jamais eu
la moindre étude démontrant qu'il pouvait y avoir une affection
par la peau et les quelques risques potentiels qui pourraient exister ne
seraient qu'avec un produit à très haut potentiel infectieux
appliqué sur une grande surface de muqueuse fortement
lésée, ce qui pourrait se passer dans la bouche, mais on ne met
pas un produit cosmétique dans la bouche. Il faut resituer ces risques
par rapport à l'alimentaire, et nous sommes aujourd'hui, en
cosmétique, dans une grande sécurité.
M. Gérard César
- Au niveau de l'OMS que vous avez
citée plusieurs fois, est-elle dans sa définition beaucoup plus
restrictive que les mesures européennes ou françaises (car vous
êtes un Groupe international vendant dans le monde entier) ? Est-ce
une bonne référence par rapport à l'Europe?
M. Jean-François Grollier
- Nous sommes en France et nous y
exprimons, mais nous appliquons nos mesures pour le monde entier.
M. Giorgio Galli
- La politique en matière de recherche est une
politique internationale.
M. Jean-François Grollier
- Toutes les mesures prises sont
appliquées en France et dans le monde entier pour qui nous fabriquons
des produits.
M. le Rapporteur
- Etes-vous satisfait des mesures de
traçabilité permettant de suivre l'origine des produits ?
M. Jean-François Grollier
- La sécurité, nous
concernant, est assurée à deux niveaux : d'une part la
traçabilité en demandant un certificat attestant que les
bêtes ne viennent ni d'Angleterre ni du Portugal mais, concernant le
suif, c'est surtout par les traitements qu'il subit à haute
température par trans-estérification et saponification que nous
avons les meilleures garanties.
M. le Président -
Utilisez-vous toujours du suif
actuellement ?
M. Jean-François Grollier
- Des dérivés du suif.
Actuellement, oui, quelques-uns.
M. le Président -
Qui ont subi les traitements que vous venez
d'énoncer.
M. Jean-François Grollier
- Qui ont la double garantie au niveau
de l'origine des suifs et par les traitements physico-chimiques subis.
M. le Président -
Qui n'ont jamais montré jusqu'à
présent ....
M. Jean-François Grollier
- Les traitements figurant dans la
directive 98-16 sont appliqués.
M. le Président -
Merci. Je pense que nous vous avons posé
toutes les questions que nous étions susceptibles de vous poser. Nous
vous remercions d'avoir collaboré à notre démarche ainsi
que des précisions que vous nous avez apportées.
Audition de M. Eugène SCHAEFFER, Premier vice-président de
la
Fédération nationale des Syndicats d'exploitants agricoles
(FNSEA)
et président du comité de coordination des
associations
spécialisées
(14 février 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Messieurs, merci d'avoir
répondu à notre convocation.
Je rappelle que vous êtes M. Eugène Schaeffer, Premier
Vice-Président de la Fédération Nationale des Syndicats
d'Exploitants Agricoles et Président du Comité de Coordination
des Associations Spécialisées et M. Garnotel, Directeur-adjoint
de la F.N.S.E.A. chargé des questions économiques et
internationales.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à MM.
Schaeffer et Garnotel.
M. le Président -
Merci. Dans un premier temps, vous pourriez
brièvement nous donner votre opinion sur le problème de l'ESB, de
l'utilisation des farines animales et des conséquences qui s'en sont
suivies pour le développement de l'ESB dans le troupeau français
et européen.
M. Eugène Schaeffer
- Merci au nom de la F.N.S.E.A. de nous
auditionner, car c'est avec plaisir que nous avons répondu à
votre invitation.
Rapidement, je reclasserai les affaires dans le temps et dans l'histoire. La
fabrication des farines animales pour la nutrition animale par la suite n'est
pas nouvelle. Elle date du siècle dernier. Elle a évolué
au fur et à mesure avec une certaine législation et une certaine
réglementation.
Cette fabrication que l'on peut dire de protéines animales a surtout
évolué de façon importante -il faut le souligner- quand
nous avons pris les décisions de fermer tous ces petits abattoirs et de
concentrer tout ce qui était abattage sur des grands abattoirs.
Les Etats-Unis avaient connu cette situation dans les années 20, avec
les grands abattoirs de Chigago. Les Américains nous ont transmis toutes
ces méthodes de fabrication et s'est posé, dans ces grands
abattoirs où les abattages avaient été concentrés
suite à la fermeture des tueries particulières, le
problème des déchets et de leur « valorisation ».
Il est vrai également -il faut le souligner- que les bovins et les ovins
sont ceux qui laissent le plus de déchets. Dans un porc, pratiquement
tout est consommé. Dans une volaille, à part les viscères
et les plumes, tout est consommé également.
Aujourd'hui, avec une vache de 600 kg, 400 kg doivent être
détruits parce que déjà la rentabilité du poids vif
au poids mort est de 53 %. Vous vous retrouvez avec 330 kilos en
carcasse, les 4 quartiers, et quand vous commencez à désosser et
à enlever ce que prescrit maintenant la réglementation avec la
suppression de tout ce qui est viscères, on arrive à 400 kg. A
l'époque, les volumes à détruire dans les abattoirs
étaient déjà importants.
A la F.N.S.E.A., nous nous étions toujours basés sur la
réglementation existante concernant le système des farines
carnées animales et leur emploi dans l'alimentation animale.
Une parenthèse concernant l'alimentation animale : nous avons
toujours dit qu'il fallait faire attention. Dans le domaine des
protéines animales ou d'origine carnée (comme on les appelait
alors) nous avons clairement fait la distinction dans nos instituts de
recherche, notamment pour les porcs et les volailles -et nous l'avons encore
constaté ces derniers temps-, concernant l'emploi de protéines
carnées ou des graisses.
Par exemple, dans l'alimentation des dindes, cela nous a posé de
nombreux problèmes de qualité. Le muscle n'était pas le
même. Il existe une différence entre une protéine
végétale et une protéine animale et une forte
différence entre une graisse animale et une graisse
végétale.
La suppression que nous avons connue du jour au lendemain a posé des
problèmes de qualité, au niveau des volailles notamment. Une
grande variété d'oiseaux de la famille des rapaces ne se
nourrissent que de viande. Leur appareil digestif fonctionne très bien
pour les farines animales. Nous avons toujours fait attention et demandé
de veiller à l'emploi de ces farines animales dans les porcs et les
volailles. Il y a 2 ou 3 ans nous avons encore attiré l'attention du
Gouvernement concernant la suppression totale des farines animales, notamment
pour les volailles.
Pour le moment, nous ne nous en sortons pas mal, car nous avons réussi
à trouver un certain nombre de produits en remplacement de tout ce qui
est farines animales. Cela n'a pas été sans peine, il faut le
dire. Nous avons connu, dans un certain nombre d'élevages, des piquages
et des problèmes en raison de la disparition des farines animales.
Je me souviens des années 90 où la France a pris les
premières mesures d'interdiction totale des farines animales concernant
l'alimentation des bovins.
Il faut dire qu'avant 1990, j'ignore si beaucoup d'agriculteurs savaient que
l'aliment qu'ils donnaient contenait des protéines ou des farines
animales. Après 1990, la législation a évolué,
ainsi que l'étiquetage car, d'après nous, l'étiquetage du
produit par rapport à l'agriculteur et au producteur est important.
A un certain moment, il précisait « protéines animales
» et a été renforcé dans les derniers temps pour
indiquer : « Attention, cet aliment n'est pas fait pour des ruminants
mais pour des porcs et des volailles ». Nous n'avons cessé de dire
aux agriculteurs de faire attention dans l'emploi des produits.
Ensuite se sont posés les problèmes de la maladie transmise par
les produits qui n'ont pas été traités convenablement par
les Britanniques et de l'importation de ces produits. Je me souviens à
l'époque quand nous en parlions, la Commission de Bruxelles
préconisait la libre circulation : « Pas d'entrave à la
libre circulation ». Plusieurs fois nous avons attiré l'attention
des Pouvoirs Publics sur ce sujet.
En 1996, le débat que nous avons eu avec le ministre de l'Agriculture de
l'époque était de dire : « Que fait-on ? Il faut
changer la réglementation française » et, à
l'époque, la réglementation de Bruxelles prescrivait le chauffage
à 133°/20 minutes/3 bars.
Nous avons alors décidé, avec les Services du ministère de
l'Agriculture, de prendre les devants. La France a été le premier
pays à décider de n'introduire dans les fabrications de farines
animales que des produits propres et notamment contrôlés par les
vétérinaires à la sortie des abattoirs. Nous avons mis en
place une gamme de produits à risques qui étaient à
éliminer sous l'autorité des vétérinaires. Ne
devaient entrer dans la fabrication que des produits propres notamment
concernant les bovins. Pour les porcs et volailles, c'était
différent. La législation était bien faite.
La France avait un système à double tour, tout d'abord
l'élimination totale des produits à risques (les cadavres et les
produits à risques sur les carcasses) et conjointement, un
contrôle par les vétérinaires à la sortie des
abattoirs ; ce devait être bon. Les autres pays de l'Union n'avaient
adopté que le système du chauffage prescrit par l'Union
Européenne et continuaient à mettre les cadavres dans les
fabrications de farines de viande. J'étais assez confiant, car je
pensais que la France avait un système à double tour qui devrait
fonctionner.
A-t-il fonctionné ? Deux éléments sont à
prendre en considération : un système d'investissements
relativement importants a été mis en place dans les usines
d'équarrissage et, d'après moi, comme habituellement, les
investisseurs attendant les subventions publiques (qui tardent à
arriver), les travaux ont été effectués en retard
d'où sans doute certaines défaillances, mais encore faut-il le
contrôler car je ne parle que d'éléments assez
généraux. C'est le premier point. La mise en place du
système et les investissements à réaliser.
Deuxième point : quand une réglementation est en place, les
gouvernants, notamment le ministère de l'Agriculture et les services de
l'Administration ont-ils pris tous les moyens pour l'appliquer ? Une fois
édictée, il faut prendre ensuite les moyens de l'appliquer. C'est
la D.G.C.C.R.F. et sous la direction des Services vétérinaires
que les responsables appliquent.
J'ai été surpris quand sont sortis dans les journaux des articles
concernant la fabrication des farines animales, sachant ce qui avait
été mis en place en 1996 au niveau français, avec tout ce
système à double tour : plus de produits à risques,
plus de cadavres et, de l'autre côté, le système
édicté par l'Union Européenne.
M. le Rapporteur
- Estimez-vous que les Pouvoirs Publics n'ont pas
exercé un certain nombre de leurs missions, à savoir n'y a-t-il
pas eu des manquements de la part des Pouvoirs Publics et à quelle
époque ?
M. Eugène Schaeffer
- Je ne peux pas être affirmatif. Nous
n'avons que quelques soupçons. Quand 2 ou 3 ans après 1996 des
journaux ont évoqué l'introduction de déjections humaines
dans les usines d'équarrissage, j'ai pensé que ce n'était
pas possible, connaissant la réglementation.
M. le Rapporteur
- La F.N.S.E.A. a déposé plusieurs
plaintes contre X.
M. Eugène Schaeffer
- Oui.
M. le Rapporteur
- Sur quels arguments vous êtes-vous
positionnés et quels étaient vos soupçons ?
M. Eugène Schaeffer
- Il s'agissait de l'application de la
réglementation. Dans les équarrissages, je ne sais pas ce qui
s'est passé, mais il fallait regarder de très près, car
les journaux reprennent des scandales.
Au niveau de la fabrication des aliments tout a-t-il été
respecté ? Depuis 1990, l'introduction de produits carnés
était interdite dans les aliments. Cela relève des
contrôles qui doivent être faits. Nous savons uniquement que des
contaminations ont eu lieu.
Quant à s'interroger sur les contaminations notamment après 1996,
je crois que trois points sont à soulever. A l'époque, il avait
été décidé de supprimer totalement les farines
animales dans les aliments pour bovins. Des contaminations croisées se
sont-elles produites ? C'est possible. Souvenez-vous du tollé lors
de la découverte d'une tolérance de 0,3 % du point de vue de
la fabrication d'aliments ne devant absolument pas contenir de farines
animales.
En 1996, nous en avions longuement parlé et le débat était
le suivant : sur le terrain (c'est une explication que je peux vous
donner), notamment dans les régions d'élevage bovine avec
très peu de production porcine et volaille, il existait
énormément de petites usines d'aliments, des privés, des
personnes qui faisaient 20 000, 30 000 ou 40 000 tonnes
d'aliments, toute une gamme pour porcs, volailles, bovins, ovins, à
partir des aliments de démarrage.
Nous nous étions longuement interrogés afin d'obtenir une
propreté absolue. Soit ces personnes enlevaient totalement les farines
animales, car il n'existait qu'un seul circuit de fabrication et dans ce cas
vous mélangez de nouveau les farines animales pour porcs et volailles
éventuellement, et ensuite vous refaites un aliment pour bovins ;
de ce fait, dans les trémies de mélange, les moulins et les
camions servant au transport, il peut rester des résidus. Nous avions
attiré l'attention sur ce point.
A notre avis, nous aurions dû nous sortir rapidement du 0,3 %, le
temps de permettre aux usines de se repositionner, car les grandes usines
autour de 100 000 tonnes auraient pu avoir deux circuits d'aliments
(un circuit farines animales et un autre) et les petits, sur le terrain, aurait
pu obtenir un délai de 3 ou 4 ans pour la suppression totale, de leur
fabrication, des farines de viande.
Effectivement, dans ce cas, il existait un risque de contamination
croisée. De plus, il faut le souligner, 50 % de l'aliment porcin
est fabriqué à la ferme. Les farines de viande étant
autorisées dans la fabrication du porc, si conjointement, le producteur
avait à côté un atelier de vaches laitières avec les
mêmes outils de fabrication à la ferme, il fabriquait l'aliment
pour le porc et ensuite pour les vaches laitières ; il peut
également exister un risque.
Le dernier risque est qu'en toute connaissance de cause -et dans ce cas, il
s'agit plutôt de fraude- des producteurs aient pu donner de l'aliment
pour porcs et volailles à leurs bovins, voire même pour d'autres,
accidentellement.
Voilà les trois causes que l'on peut trouver concernant les
contaminations croisées.
M. Garnotel
- La F.N.S.E.A. a porté plainte dès 1996 au
moment de l'apogée de la première crise de l'ESB avec ses
associations spécialisées producteurs de lait et de viande
bovine, en raison de soupçons, notamment sur la manière dont
étaient traités les échanges d'animaux, de farines et
d'aliments du bétail avec la Grande-Bretagne et parce qu'à
l'époque l'étiquetage des aliments du bétail
utilisés par les éleveurs étaient insuffisant ; de
notre côté, nous avons demandé une transparence absolue sur
l'étiquetage.
Je vous rappelle -pour nous être renseignés sur ce sujet- que
c'est seulement en 1998 qu'a été apposée sur les sacs
d'aliments du bétail, ou sur les bordereaux de livraison vrac, la
mention « Cet aliment contient des produits protéiques interdits
dans l'alimentation des ruminants ». C'était des aliments
destinés aux porcs et aux volailles. Pendant un certain laps de temps,
la puissance publique n'a pas réagi suffisamment tôt avant de
mentionner ce que je viens de rappeler.
M. le Rapporteur
- C'était l'argumentaire qui vous a permis de
déposer des plaintes contre X. Où en sont-elles ?
M. Garnotel
- Malheureusement, la justice française manquant de
moyens, ces dossiers ont été classés pendant un certain
temps. Ils ont resurgi avec la deuxième crise de l'ESB et, depuis lors,
nous avons confirmé notre plainte et avons été
reçus par le juge Boizette. Il faut également signaler que des
fédérations départementales ont porté plainte et se
sont portées partie civile dans les Vosges notamment et, aujourd'hui,
nous percevons du côté de la justice, l'ambition et les moyens de
traiter ce sujet.
De 1996 à pratiquement 1999, il s'est produit une sorte de
léthargie que nous ne pouvons expliquer à notre niveau.
M. Eugène Schaeffer
- Depuis 2 ans ou 3 ans, concernant la
transparence et ensuite une séparation totale de tout ce qui est
filière alimentation animale avec farines de viande et sans farines de
viande, des problèmes se posaient sur le sujet, malgré tout ce
qui était mis en place et la réglementation.
Nous avons estimé que la traçabilité et la
séparation n'étaient pas totales et difficiles à
respecter. Nous avons alors commencé à penser à
l'éventualité d'interdire totalement tout ce qui est farines de
viande aujourd'hui dans l'alimentation animale.
Voyant que la traçabilité ne fonctionnait pas et que des
problèmes se posaient partout, que l'application de la
réglementation et les contrôles étaient difficiles, nous
avons estimé que, pour être clairs, notamment vis-à-vis des
consommateurs, il fallait arrêter l'ensemble du système parce que
nous ne parvenions pas, devant le consommateur, à nous justifier
concernant la réglementation mise en place .
M. le Rapporteur
- Concernant votre position en matière de
substitution (le fameux plan protéines), avez-vous des informations
récentes ? Nous avons eu l'occasion de voir M. Franz Fischler la
semaine dernière, qui nous a annoncé qu'il n'était pas
question, au niveau communautaire, de subventionner même
momentanément ce type de production. Je me suis laissé dire il y
a 24 heures que cela semblerait s'orienter plus positivement.
M. Eugène Schaeffer
- Sur ce sujet, il est vrai que la commission
est prise aujourd'hui dans sa politique de renégociation de localisation
mondiale du commerce par rapport aux Américains. Franz Fischler et le
commissaire Lamy ont dit plusieurs fois qu'il ne fallait pas trop bouger sur ce
sujet, car cela risquait de compliquer les négociations.
M. le Rapporteur
- Oléagineux, oui, mais pas protéagineux.
Ils sont libres de l'accord de Blair House.
M. Eugène Schaeffer
- Il faut séparer les
oléoprotéagineux .Si nous voulons faire du soja, aujourd'hui le
financement est largement au-dessous de l'aide qui est donnée et les
primes aux oléoprotéagineux, dans 1 an, seront ramenées
aux primes céréales dans les départements, ce qui est
largement insuffisant. La commission l'a proposé pour tenter sortir de
l'accord de Blair House pour demander que des aides supplémentaires ne
soient pas accordées.
Pour faire des protéines, pour la plupart, la base est composée
de tourteaux relevant de la fabrication de l'huile. Nous faisions du soja en
Alsace et ma coopérative plantait du soja il y a une dizaine
d'années. Nous le faisions triturer par des usines allemandes sur le
Rhin, ce qui nous convenait parfaitement.
Le soja a été délaissé. Il faut le dire et
être clair : il est possible de produire le soja, mais il faut
déjà que le producteur s'y retrouve quelque part et que cela lui
amène autant du point de vue revenu qu'un hectare de
céréales. Si demain il produit du soja, une coopérative,
un collecteur, achètera son produit et le même le vendra à
une grande usine qui retirera l'huile, et les tourteaux et autres seront
redonnés ou revendus au prix du marché mondial au producteur.
Tout ce qui est tourteaux à base d'huile passe tout d'abord dans la
politique de fabrication des huiles et redevient protéines, que les
grandes usines allemandes ou françaises revendront au même prix
que le marché européen.
Ensuite, vient ce que l'on appelle la production de poids, qui sont des
protéines pures. Il faut réfléchir sur ce qu'il est
possible de faire. On a parlé de luzerne. La luzerne ou les
trèfles seront pour les ruminants. Je n'ai jamais vu des porcs ou des
volailles manger des farines de luzerne. Il ne peut s'agir que de produits
à base d'oléagineux ; tous les tourteaux redeviennent des
protéines ou des protéines pures mais, dans ce cas , il y a du
travail à faire.
M. le Rapporteur
- La F.N.S.E.A. exerce-t-elle un lobbying en direction
de l'INRA pour mettre en place très rapidement des protéines de
substitution, car la problématique se pose sur ce point
également ?
M. Eugène Schaeffer
- Les recherches ne datent pas d'aujourd'hui.
Dans les instituts animaux, élevage du porc ou des volailles et à
l'INRA, depuis 15 ans, (le fameux le boycott du soja américain), nous
tentons de trouver des produits de substitution en protéines, au soja.
Nous procédons tous les ans à des essais de substitution d'autres
produits par rapport au soja dans les aliments. Ce n'est pas facile, car le
tourteau de soja est de loin le meilleur produit et détient à peu
près la richesse en protéines des farines animales, car cela
dépend de la richesse. Un colza, en protéines, a la moitié
de la richesse du tourteau de soja. Ces aspects doivent être pris en
considération.
Ensuite, dans une alimentation animale, vient l'appétence. Aujourd'hui,
les tourteaux de colza posent problème, car l'aliment n'est pas
appétissant. Tout un travail est à faire en y mettant le double
du volume. Ce sont des travaux que nous menons et qui fonctionnent. Nous
continuons à travailler sur le sujet. Pour produire des protéines
ou des oléagineux pour en faire des tourteaux de protéines, les
primes et toute la politique devront être complètement
révisées, sinon nous n'y parviendrons pas. Une révision de
la politique communautaire sur ce sujet est indispensable.
M. le Rapporteur
- Quelle est votre analyse ? Nous sommes à
l'aube d'un virage important de la réorientation de la politique
agricole commune. N'êtes-vous pas inquiet de constater ou de voir que le
balancier -c'est souvent ainsi que cela se passe en France et en Europe- risque
d'aller vers le tout environnemental déjà amorcé avec les
fameux C.T.E. ? Quelle est votre position sur ce point ?
M. Eugène Schaeffer
- Notre position est très claire. Je
vois partout aujourd'hui cette politique contre l'agriculture productiviste.
Nous l'avons vu dans un journal, hier ou avant-hier.
La France n'est pas le dernier pays de l'Union -nous sommes même les
premiers- à continuer à développer tous ses produits en
politique de filières sous signe de qualité, que ce soit les
labels rouges fermiers et les produits certifiés ou tracés mais
à chaque fois avec un contrôle tiers, car aujourd'hui l'opinion,
ou le consommateur, ne croit rien si ce n'est pas attesté par un
contrôle. Il faut continuer. Les autres filières ou les
filières bovines le font.
Ensuite, il faut être transparent. La non-transparence dans une
filière, notamment les filières animales, est le problème
de l'alimentation animale.
En passant devant un élevage, tout le monde voit le silo : «
Que contient-il ? N'est-ce pas de la poudre de perlimpinpin ? »
Il faut être transparent. Je l'ai déjà dit et je l'ai fait
faire chez moi. Il convient de faire visiter des usines d'aliments, car ce
n'est pas demain, en affichant un antiproductivisme, que l'on reviendra
à une fabrication de tous les aliments à la ferme. Ce n'est pas
possible. De nombreuses personnes estiment qu'il faut arrêter les usines
d'aliments et produire les aliments à la ferme comme il y a 50ans. C'est
impossible.
M. le Rapporteur
- Qu'en est-il du Livre blanc ?
M. Eugène Schaeffer
- La F.N.S.E.A. a sorti son Livre blanc sur
lequel nous avons bien détaillé nos positions.
Même s'il est largement question de l'agriculture raisonnée que
nous ne cessons d'initier, notamment avec tout le travail effectué sur
le terrain pour changer de méthodes de production, y compris
végétale, concernant l'emploi des nitrates et des fertilisants,
des produits phytosanitaires dans l'agriculture, il faut faire évoluer
-c'est déjà le cas dans de nombreux départements- les
méthodes de production. C'est en cours et cela se fait.
Les produits sous signe de qualité : globalement, il faut
être intransigeant sur la qualité sanitaire des produits. Sur ce
point je réponds à un certain nombre de personnes, concernant
l'agriculture productiviste : dans notre pays, au niveau de l'Union
Européenne, il faut garder une agriculture compétitive.
75 % des produits alimentaires sont commercialisés par les grandes
surfaces et, au vu de la façon dont elles mettent en compétition
nos entreprises agro-alimentaires, que ce soit les productions
végétales ou animales, celui qui n'est pas compétitif a
des problèmes. La qualité est demandée, mais ensuite cela
devient une question de prix. Si nous ne gardons pas une agriculture
compétitive par rapport aux autres pays de l'Union Européenne,
attention, le marché est libre. Regardez déjà tout le mal
qui est fait au niveau de la compétitivité des fruits et
légumes et des produits espagnols par rapport au Midi de la France. Nous
nous sommes toujours battus sur une démarche qualité. Sur ce
point, les Français sont les meilleurs.
Dans la production de volailles, environ 20 % de nos produits avec des
poulets label sont sous signe de qualité reconnue et
contrôlée. Aucun pays n'a cela. Il faut continuer dans ce domaine
et ces démarches. Je suis producteur de mes poulets label, mais si
à certains moments par rapport aux grandes surfaces les abattoirs de
chez nous ont un prix supérieur aux autres, nous ne vendrons pas le
produit, même sur les produits de qualité.
Nous débattons avec des personnes sur la
compétitivité : si pour les produits alimentaires, le
législateur change totalement le marché, les règles du
marché ne sont plus les mêmes que pour les autres produits et il
est alors possible d'agir. Tant que la compétitivité des produits
existera... Il faut faire la part des choses. Ensuite ne parlons pas de
l'organisation mondiale du commerce avec l'ouverture des frontières.
M. Gérard César
- Concernant la politique de la
F.N.S.E.A., nous avons parlé des protéagineux d'origine
végétale. Que pensez-vous de la politique de
jachère ? Continuerons-nous à la maintenir au niveau de
l'Europe alors que nous allons manquer de protéines
végétales ?
Une question d'actualité : que pense la F.N.S.E.A. de la
proposition de la Commission Européenne d'augmenter le tonnage par
rapport au retrait du marché, de façon à avoir pour
objectif d'équilibrer le marché de la viande ?
Concernant la plainte que la F.N.S.E.A. a déposé (aussi bien les
Fédérations), sur quels faits précis avez-vous pu
déposer plainte au titre des parties civiles au niveau de ces
problèmes ?
M. Eugène Schaeffer
- Concernant les protéines, je pense
que la situation est claire : dès la suppression totale des farines
animales, nous avons demandé que les terres gelées puissent
être mises en production pour la production de protéines
végétales. Pour nous, c'était clair au niveau du
Gouvernement et de Bruxelles. Nous avons bien insisté auprès du
Gouvernement pour qu'il relaye ses demandes à Bruxelles, car c'est dans
les mains de Bruxelles. Le gel des terres est acté par Bruxelles qui en
définit le pourcentage. C'est une politique communautaire qui a dû
être mise en place.
Concernant le plan de régionalisation, nous savons très bien
qu'avec l'agenda 2000, les aides aux oléoprotéagineux doivent
être ramenées aux aides des céréales.
Ce plan de régionalisation doit s'appliquer en 2002. Tentons de revoir
immédiatement le système à Bruxelles, afin qu'il ne soit
pas appliqué dans 1 an à cette politique
d'oléoprotéagineux, au risque de faire disparaître la
production. Disons au ministre aujourd'hui : « Plus de débat
sur le plan de régionalisation, mettons d'abord en place avec vous et
avec Bruxelles un véritable plan de développement et de
production d'oléoprotéagineux, notamment pour nos productions
animales en France et en Europe, sinon c'est à contresens ».
Nous en avons parlé ce matin. La situation est très
négative, car la consommation ne reprend pas. Nous nous situons entre
moins 30 % et moins 35 %. Nous ne voyons aucun signe de reprise ni le
bout du tunnel et c'est en France que la crise dure le plus longtemps car c'est
nous qui avons commencé et ensuite les pays de l'Union. Les producteurs
sont mal et les aliments s'entassent dans les fermes.
J'ai rencontré précédemment dans une réunion un
agriculteur qui devait commercialiser une centaine de jeunes bovins. Cela fait
un mois qu'il doit les sortir. Il ne le peut pas et ils prennent du poids. Ils
feront des carcasses de 460 kilos. De plus, il faut les nourrir tous les jours
à tel point que, dans quelque temps, ils seront invendables et plus
personne n'en voudra. Nous en sommes là.
De plus, au national, le système de retrait pour la destruction a
été mis en place. Il fonctionne. Une grande partie des vaches
laitières de réforme passe dans le système de destruction
des farines pour être brûlée dans les cimenteries. Reste
l'autre problème des animaux au-dessus de 30 mois, notamment parce qu'en
France on ne mange à environ 80 % que des viandes femelles et
très peu de viandes mâles. Les vieilles vaches pratiquement vont
à la destruction en grande partie parce que le steak haché est
complètement arrêté, et la valorisation des vaches d'un
certain âge était le steak haché.
Tous les animaux femelles au-dessus de 30 mois vont dans la consommation avec
des prix au rabais de 2, 3 ou 4 F au kg. Cela pose un énorme
problème et ensuite même dans ce que l'on appelle les femelles
charolaises de type viande, aujourd'hui un problème de valorisation des
quartiers avant se pose, parce que l'on ne mange que des quartiers
arrière, les produits nobles, et que personne ne veut des quartiers
avant.
Compte tenu que ces produits allaient dans le steak haché et ce dernier
étant pour le moment pratiquement condamné, il n'existe pas de
valorisation, à tel point que l'on se demande si les quartiers avant de
vaches charolaises ne vont pas passer à la casse car, à force de
les entasser dans les frigos, nous ne savons plus quoi faire.
Il existe une politique pour tenter de relancer le steak haché, mais il
faut reconquérir la confiance du consommateur dans une
traçabilité totale.
Le troisième point est beaucoup plus difficile : le problème
des jeunes bovins. La France a un troupeau allaitant très important (le
plus grand d'Europe). Nous avons de loin 70 % en subventions et en primes
communautaires pour les vaches allaitantes. Il existe encore des vaches
allaitantes en Irlande et éparses dans d'autres pays de l'Union
où la production de viande vient de la production laitière, avec
des races mixtes comme, en Bavière, des Pieds Rouges et autres.
Les jeunes bovins qui sont les mâles de nos races à viande
étaient exportés pratiquement sur les pays de l'Union à
80 %. Compte tenu que les frontières sont totalement fermées
et que les Français n'en mangent pratiquement pas car ils consomment
à 80 % des viandes femelles, ces animaux s'entassent dans les
étables et posent un sérieux problème.
Les éleveurs me disent qu'ils ont des animaux qui devaient être
vendus depuis 1 mois ou 6 semaines et dont ils ne savent que faire. Se pose le
retrait de ces animaux. J'ignore ce que la commission en pense.
Le problème final : je ne sais pas comment nous nous en sortirons
concernant le cheptel français : par exemple si nous recalons la
consommation dans 1 an, moins 15 ou moins 10 font 10 à 15 % du
volume en moins. Il faut une politique de réadaptation de la production
au marché.
Que va-t-on arrêter éventuellement comme producteurs et comme
éleveurs avec ensuite la fermeture des entreprises, des abattoirs et de
tout ce qui tourne autour, à savoir des personnes se trouvant en
sérieuses difficultés ? C'est la sortie du tunnel. Quand la
consommation reprendra, nous ne pouvons pas nous permettre d'avoir une
politique d'intervention permanente dans les frigos.
Tout le monde hésite.
Concernant cette situation, Bruxelles n'a pas de politique. Le Commissaire
Fischler l'a déclaré (je l'ai vu au Parlement
Européen) : « J'avais de l'argent disponible et maintenant je
n'en ai plus. Je l'ai dit au Conseil des ministres qui m'a dit de me
débrouiller. Je n'ai plus de fonds de tiroirs à ratisser ».
Il a également déclaré : « Ce n'est pas moi qui
proposerai de prendre de l'argent, par exemple sur les primes
céréales, pour la viande bovine. Cela relève d'une
décision du Conseil des ministres de l'Agriculture et avec un aval du
ministre des Finances ; j'attends les décisions politiques ».
A Bruxelles, nous ne sommes plus d'accord sur une certaine politique agricole
et compte tenu du fait qu'avec les Allemands et d'autres pays de l'Union, cela
pose problème, nous sommes dans une impasse budgétaire.
M. Fischler a déclaré : « Je ne suis pas contre les
aides nationales, les gouvernements n'ont qu'à faire les demandes
à la commission et nous veillerons qu'il n'y ait pas de distorsion de
concurrences communautaires ».
M. le Rapporteur
- La F.N.S.E.A. a-t-elle fait du lobbying
vis-à-vis du Gouvernement pour dégager certaines lignes
budgétaires ?
M. Eugène Schaeffer
- Hier a eu lieu une réunion avec nos
responsables et le ministre de l'Agriculture où ces propositions ont
été faites. Le grand problème : pas un centime
d'indemnisation n'est arrivé aux producteurs.
M. Garnotel
- M. Glavany doit faire des propositions demain au niveau
national suite à la réunion d'hier. Il n'a pas
dévoilé ses idées. Ce seront des aides limitées
puisque l'essentiel de l'organisation des marchés est de
compétence européenne.
Je reviendrai très brièvement sur le plan protéines :
la solution de mettre en culture les jachères en production
oléoprotéagineuses est une excellente solution. M. Fischler
a déclaré devant le Parlement Européen que l'on pourrait
ouvrir ces jachères en plus des cultures industrielles qui fabriquent
des bio-carburants à des fourrages pourvu qu'ils soient conduits en mode
bio. C'est sans doute trop réducteur, car l'agriculture biologique en
France est peu développée, le marché en face
l'étant peu lui-même. Il faudra pousser un peu pour aller plus
loin.
Concernant la nature de la plainte déposée par la F.N.S.E.A. je
lirai deux paragraphes de la lettre que nous avons envoyée le 23 juillet
1996 au Procureur de la République : « Au nom des
organisations que nous présidons, nous avons l'honneur de
présenter la présente plainte pour tromperie, falsification,
propagation d'une épizootie et introduction sur le territoire de
denrées d'origine animale ne répondant pas aux conditions
sanitaires etc.... ».
Notamment, les Pouvoirs Publics français n'ont pas pris les mesures
suffisamment rapidement pour interdire l'importation en France de certaines
farines fabriquées au Royaume-Uni.
On peut reprocher au Royaume-Uni d'avoir continué à vendre des
farines alors qu'elles étaient interdites dans les élevages du
Royaume-Uni. C'est une grande responsabilité des Pouvoirs Publics.
M. le Président -
C'est une plainte contre qui ? Contre
X ?
M. Garnotel
- Une plainte contre X. Nous nous sommes portés
partie civile. Nous n'avions pas d'institution à désigner.
M. le Rapporteur
- Vous avez parlé de vente de farines à
partir du Royaume-Uni. Avez-vous des preuves de ce que vous avancez, des
tonnages ou des destinations ?
M. Eugène Schaeffer
- Non. Nos services ne donneront pas de
preuves.
M. Garnotel
- La Confédération Paysanne a commis des
actions qui ont permis d'accéder à certaines informations ;
cela n'a pas été notre politique. Nous avons des soupçons.
M. Eugène Schaeffer
- Des soupçons ne sont pas des preuves.
M. Georges Gruillot
- J'avais lu hier ou ce matin, dans la presse, la
position que l'Europe paraît vouloir prendre en matière agricole
concernant l'agriculture biologique. C'est l'un des problèmes qui nous
soucient. Vous-même F.N.S.E.A. avez clairement exprimé votre
position en direction de la qualité sanitaire. Quelle est votre position
vis-à-vis de l'agriculture biologique quand, conjointement, vous
défendez la qualité sanitaire ? Pensez-vous que ces deux
éléments sont conciliables ?
M. Eugène Schaeffer
- Nous sommes totalement pour l'agriculture
biologique. Il est vrai que la qualité sanitaire concernant les produits
doit être totalement respectée ; il n'en est pas d'autres et,
dans un débat qu'il faut poursuivre pour l'agriculture biologique, le
consommateur ne doit pas être déçu au niveau des produits.
Le consommateur cherche à retrouver un produit plus naturel et plus sain
mais également au goût différent. Aujourd'hui,
l'agriculture biologique est une production sous signe de qualité, un
cahier des charges doit être respecté et contrôlé
pour ensuite permettre d'apposer le signe de qualité « agriculture
bio » sur le produit.
Sur les labels rouges fermiers, viandes ou d'autres produits, il existe un
cahier des charges avec toutes les démarches de production,
d'élevage et autres, mais derrière le label rouge, il existe une
politique de qualité gustative. Ce sont des produits qui
obligatoirement, comme les vins, sont soumis à qualité gustative
(les volailles labels ou les viandes labels rouges) dans des endroits tout
à fait neutres et nous avons les résultats
régulièrement.
J'ai proposé ceci aux agriculteurs : « Vous avez une
agriculture bio qui repose sur des méthodes de production, mais pourquoi
ne voulez-vous pas entrer, comme pour les labels rouges fermiers, dans des
systèmes de dégustation des produits pour travailler les
deux ? » Les méthodes de production, les qualités
sanitaires mais également travailler la qualité gustative, car
cela se travaille. Regardez sur les viandes, notamment les poulets, il existe
une très grande différence de goût entre un poulet de type
standard et un poulet label rouge.
Il serait possible d'entrer, pour les bio, dans une politique de
dégustation des produits afin d'améliorer la qualité
gustative. C'était une démarche et, pour le moment, nous n'y
sommes pas.
Nous y sommes favorables, mais ce qui est mentionné dans les cahiers des
charges doit faire l'objet de contrôles, car je crois beaucoup aux
contrôles mais des contrôles de type scientifique réalistes.
M. Georges Gruillot
- Considérez-vous qu'ils existe des produits
ayant suffisamment de qualités sanitaires dans l'agriculture biologique
pour les communiquer aux consommateurs ? A leur niveau, aujourd'hui en
France, il existe une sorte de tromperie, car les consommateurs
considèrent que, quand c'est bio, la qualité sanitaire est
forcément satisfaisante. Aujourd'hui nous n'en sommes pas là.
Il ne faudrait pas que la Fédération des exploitants prenne ce
créneau sans mettre en garde les personnes qui se lancent dans le bio.
Le bio ne signifie pas qualité si l'on n'améliore pas le
sanitaire.
M. Eugène Schaeffer
- Vous avez raison. Il faut améliorer
le sanitaire sur le bio. Il faut que les bio acceptent -nous le faisons
maintenant- un travail de recherche scientifique, l'amélioration des
méthodes de production, tout ce qui est derrière et que l'on
s'engage dans ce système.
Je suis persuadé qu'il existe un marché mais il doit être
sérieux, sans accidents -car ils peuvent arriver- et que l'on
écoute les scientifiques dont un certain nombre nous ont dit que les
produits et les animaux étaient malades. Il faut les traiter, car ils
sont soumis aux grandes maladies, et continuer à effectuer les
vaccinations sur un certain nombre d'animaux.
Il faut également faire en sorte que, dans le bio, les animaux et les
plantes restent saines jusqu'au consommateur, car une maladie sur un animal ou
sur un produit peut lui être néfaste. Il faut continuer à
travailler ce point. Il y a beaucoup de travail à faire du point de vue
recherche. La qualité sanitaire des produits doit être
irréprochable.
M. Gérard César
- Dans votre propos, vous avez
évoqué les irrégularités que vous avez pu constater
dans la fabrication des farines. Pouvez-vous être plus
précis ?
M. Eugène Schaeffer
- Il est difficile d'être
précis. Nous n'avons pas de preuves à l'appui. Nous constatons le
résultat : par rapport aux interdictions et réglementations
édictées, les contaminations ont continué. Je ne peux pas
en dire plus.
Il n'est pas possible d'accuser des personnes, ou tel ou tel, d'avoir
importé. Je sais que les noms de grands fabricants ont été
cités. Nous n'avons aucune preuve formelle. Il faut faire attention sur
ce sujet. Encore faut-il pouvoir prouver. C'est à la justice de le faire.
M. le Président -
A part les grands Groupes, des éleveurs
et peut-être vous-même également, avez fabriqué des
aliments à partir de vos produits, mais vous avez acheté des
condiments que vous avez ajoutés. Aviez-vous des renseignements
suffisants sur leur composition ?
M. Eugène Schaeffer
- Pour la plupart, qu'achetons-nous ?
Quand nous fabriquons les aliments à la ferme, nous disposons des
céréales. Nous achetons les protéines, il peut s'agir de
soja ou d'un autre tourteau, un tourteau d'arachide, et vous pouvez acheter des
farines animales.
Compte tenu qu'une personne pouvait fabriquer à la ferme pour deux
productions, l'une de porcs où elle mettait des farines animales et une
autre laitière, où elle ne pouvait pas en mettre, cela pouvait
produire des contaminations croisées. Ensuite le complexe vitamines et
minéraux était ajouté (ces complexes sont achetés
par des fabricants de complexes de vitamines et de minéraux) et je ne
prétends pas que, sur les fermes, des accidents n'aient pas pu se
produire quelque part.
Le fait de préconiser la fabrication des aliments à la ferme
n'est pas sans danger. Une usine d'aliments peut être
contrôlée alors que, pour chaque fabricant à la ferme, cela
reste une question de confiance.
M. le Président -
Nous vous remercions d'avoir accepté de
venir témoigner et nous espérons que la situation s'arrangera du
point de vue de la reprise de la consommation.
Audition de M. Axel REICH,
Premier conseiller à l'ambassade
d'Allemagne à
Paris
(14 février 2001)
M.
Gérard Dériot, Président -
Monsieur Reich, je vous
remercie d'avoir accepté notre invitation. Nous apprécions votre
façon d'y répondre favorablement.
Nous sommes dans le cadre d'une commission d'enquête et nous faisons
prêter serment aux ressortissants du territoire français.
Toutefois, il est hors de question de vous demander de le faire car cet
entretien est tout à fait informel.
Nous vous demanderons un certain nombre d'avis sur ce qui a pu se passer avec
l'utilisation des farines animales dans l'alimentation des bovins et surtout
quelles sont les conséquences de la propagation de la maladie dite de la
vache folle, l'ESB. Il serait souhaitable que vous puissiez nous parler de ce
qui s'est passé en Allemagne, du moins selon vos connaissances.
Cet entretien sera placé dans le cadre des auditions de notre commission
d'enquête et nous vous remercions encore d'y participer.
Dans un premier temps, si vous le voulez bien, vous nous indiquerez ce que vous
savez et comment s'est passé ce problème dans votre pays.
Ensuite, nous vous poserons quelques questions.
M. Axel Reich
- Merci pour votre invitation. C'est un grand honneur pour
moi d'être ici devant vous et de vous informer, au titre de mes fonctions
de Premier conseiller attaché agricole à l'ambassade d'Allemagne,
sur les événements qui ont eu lieu en Allemagne et sur leur cadre
juridique.
Concernant la situation juridique, l'Allemagne est une
Fédération ; de ce fait, la protection des consommateurs et
la suppression des épidémies relèvent de ses
compétences au titre de la législation, des décrets et des
arrêtés.
Cela signifie que la Fédération édite les lois. Toutefois,
en Allemagne quand une autorité, à savoir un office, n'a pas
été installée par une loi, avec le consentement du
Bundesrat, l'exécution des lois et des décrets
édités par la Fédération relève de la
tâche des Länder.
Nous sommes ici dans la situation où la législation et les
décrets cadres sont établis par la Fédération et
leur application est la tâche des Länder.
Depuis 1939, une législation concernant l'équarrissage et la
production (à partir de l'équarrissage des graisses et des
farines animales) décrète ou ordonne que tous les déchets
traités dans des usines d'équarrissage doivent être
chauffés jusqu'à 133°, sous une pression de 3 bars et
pendant une durée de 20 minutes.
Une loi fédérale de 1975 a réitéré cette
application et l'a même complétée.
De ce fait, environ 15 % des produits traités proviennent d'animaux
trouvés morts, abattus d'urgence ou euthanasiés. Le reste, soit
85 %, provient de déchets d'abattoirs qui ne sont pas
utilisés pour la consommation humaine.
En Allemagne nous n'avons pas une telle habitude et les farines animales ne
sont jamais entrées officiellement dans la composition d'aliments pour
ruminants. Même avant les problèmes de l'ESB, aucune recette de
producteur d'aliments pour ruminants n'indiquait la présence de farines.
Nous n'avons pas eu de déclarations des éleveurs ou des acteurs
agricoles car il n'était pas dans leur habitude de procéder
ainsi.
Nous avons eu une exploitation assez forte de ces farines pour la nourriture
des porcs et des volailles.
Quand les premiers signes d'ESB ont été constatés en
Europe, avec l'interdiction des importations provenant de Grande-Bretagne, nous
avons eu une interdiction officielle (par décret) de l'utilisation des
farines animales pour des ruminants, presque en même temps que la
directive de l'Union Européenne en 1994.
Ensuite, nous avons eu des interdictions diverses concernant l'échange
des marchandises et des bêtes vivantes, mortes ou des déchets de
viandes provenant de Grande-Bretagne et de la Confédération
helvétique.
En 1997, une ordonnance a demandé l'abattage total de tous les bovins
provenant de Grande-Bretagne et de Suisse. Les animaux encore vivants provenant
de ces deux pays étaient condamnés.
Depuis 1991, nous avons appliqué le système
d'épidémio-surveillance pour l'ESB. Entre 1991 et 1999 nous avons
examiné presque 11 994 cerveaux bovins dont plus de 3 700
spécialement pour le problème de l'ESB. En dehors de cette
surveillance, un test à grande échelle a été
mené en Westphalie avec le test Prionics puisque 5 000 bêtes
ont été examinées ; les tests étaient
négatifs.
Durant l'année 2000, nous avons examiné (avant le premier cas
d'ESB en Allemagne, détecté le 26 novembre de l'année
dernière) environ 6 600 animaux trouvés morts et environ 500
animaux abattus d'urgence ou euthanasiés.
Le système d'épidémio-surveillance est basé sur
l'action des vétérinaires officiels dans le canton, ou du CRES
qui est légèrement plus grand qu'un canton. Nous disposons de
trois ou quatre vétérinaires par CRES ; par ailleurs, si le
canton comporte un abattoir, nous disposons de spécialistes pour
celui-ci.
Après la détection des premiers cas d'ESB en Allemagne, nous
avons édicté, par loi ou par décret, une gamme de mesures
qui sont sensiblement les mêmes qu'en France. Nous avons interdit,
dès le 2 décembre dernier, l'utilisation des farines dans la
nourriture des animaux destinés à l'alimentation humaine. De
même les farines de poissons ne sont autorisées que pour les
poissons.
Nous avons également interdit la vente des carcasses des bovins de plus
que 30 mois qui n'étaient pas testés par les tests Prionics
ou Biorad qui sont les deux tests utilisés en Allemagne.
A partir du 27 janvier dernier, nous avons ordonné les tests sur des
animaux à partir de 24 mois car nous avons trouvé 28 cas d'ESB
sur des animaux de moins de 30 mois, à savoir nés en 1998.
C'est la situation actuelle. Nous avons testé plus de 60 000
bêtes de plus de 30 mois durant le mois de décembre dernier.
Pour le mois de janvier, à la date du 15 nous avions testé
plus de 47 000 bovins.
M. le Président -
Jusqu'à présent, combien de cas
d'ESB sont-ils recensés ?
M. Axel Reich
- 28.
M. le Président -
Depuis le début des tests ?
M. Axel Reich
- Non, avant le début des tests
systématiques. Les tests ont débuté le 2 décembre
et le premier cas a été confirmé le 26 novembre.
Les bêtes maintenant constatées sont partiellement des bêtes
malades, détectées dans le cadre de cette surveillance.
Concernant les tests à l'abattoir, nous avons trouvé 12 cas et
les autres concernent des bêtes trouvées mortes, abattues
d'urgence ou euthanasiées.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- J'ai noté qu'il s'agit d'une loi
réactualisée en 1975, précisant les conditions de
fabrication des farines animales, tant au niveau de la température, de
la pression que de la durée de chauffage.
Vous dites qu'en Allemagne les farines animales étaient uniquement
utilisées pour les carnivores ou les omnivores, à savoir les
porcs ou les volailles.
M. Axel Reich
- Nous n'avons pas eu l'habitude d'utiliser des
mélanges pour ruminants contenant des farines animales. Je ne peux pas
dire que cela n'a jamais existé car il existe toujours un pourcentage de
personnes n'appliquant pas les normes ou les règles. Cette pratique
n'était pas interdite mais elle ne faisait pas partie des habitudes.
Nous n'avons pas connaissance de producteurs d'aliments capables d'indiquer que
les produits contenaient un certain pourcentage de farines.
M. le Rapporteur
- C'est très troublant pour nous,
Français, car vous indiquez que ce n'était pas la « mode
» en Allemagne. Nous aimerions savoir quelle est l'explication des
scientifiques allemands sur l'origine de l'ESB en Allemagne puisque de plus
vous fabriquiez « correctement » ces farines. Avez-vous
importé des farines anglaises ?
M. Axel Reich
- Pas seulement anglaises car des importations assez
fortes provenaient de toute la communauté : de la France, plus que
de l'Angleterre, des Pays-Bas ...
M. le Rapporteur
- ... Auriez-vous la possibilité de nous faire
parvenir des documents d'importation indiquant précisément les
tonnages ?
M. Axel Reich
- Oui. Eurostat publie ce genre de renseignements et je
vous les ferai parvenir.
M. le Rapporteur
- Les farines n'étant utilisées que pour
les porcs et les volailles, compte tenu des volumes d'abattage, j'ai toutefois
des difficultés à comprendre pourquoi vous étiez
contraints d'en importer. Même si ce n'était pas la « mode
» dans les documents agricoles ou scientifiques, vous aviez sans doute
également d'autres utilisations.
M. Axel Reich
- Un producteur d'aliments pour les volailles ou les
cochons était situé presque à côté d'un
équarrisseur qui produisait les farines. Toutefois, il avait
importé des farines car l'importateur proposait des prix
inférieurs à ceux du producteur local.
M. le Rapporteur
- Vous exportiez donc une très grande partie de
votre production et vous avez importé parce que les cours étaient
intéressants.
M. Axel Reich
- Je le suppose.
M. le Rapporteur
- Vous avez importé des farines mais celles qui
ont été fabriquées en Allemagne ont été
exportées.
M. Axel Reich
- Nous avions des échanges forts entre des pays
membres de l'Union Européenne, tant en importations qu'en exportations.
M. le Rapporteur
- Pourrions-nous avoir une copie de ces documents
d'importations et d'exportations ?
M. Axel Reich
- Oui, je vous les fournirai.
M. le Rapporteur
- Les mesures mises en place plus récemment sont
encore plus restrictives que celles édictées par la Commission
européenne concernant les graisses animales. Avez-vous des arguments
scientifiques sur ce point pour étayer votre position plus dure ?
M. Axel Reich
- Une publication d'une institution de recherche, la
Bundes Forshung Anstalt für Virus Krankheiten der Tiere, indiquait que des
prions auraient été détectés dans les graisses.
C'était une erreur car cette information était fausse.
Jusqu'à maintenant nous n'avons pas la preuve, d'après mes
connaissances et celle de mes collègues au ministère de
l'Agriculture, que les graisses ont été contaminées avec
des prions. Toutefois, dans certains cas on soupçonne qu'un
mélange inconnu, avec des farines à un pourcentage infime, aurait
pu causer cette contamination. Les lacto-remplaceurs contiennent toujours des
graisses animales et celles-ci n'étaient peut-être pas aussi
propres que souhaitable.
Rien n'est prouvé et les raisons de ces soupçons reposent sur le
fait que des éleveurs affirment n'avoir jamais acheté autre chose
que des lacto-remplaceurs et que l'autre alimentation était faite
à base de produits de la ferme.
M. le Rapporteur
- C'est une suspicion.
M. Axel Reich
- Oui.
M. le Rapporteur
- Vous dites que vous utilisez deux tests sur
l'ensemble du territoire allemand, le Biorad et le Prionics. Avez-vous des
commentaires à faire sur l'un ou l'autre en fonction de leur
sensibilité ou leur fiabilité ?
M. Axel Reich
- Le ministère a parfois indiqué que le kit
d'un test n'était pas aussi bien fabriqué que l'autre, mais je ne
sais pas s'il s'agit du Biorad ou du Prionics.
Ce sont des informations lues mais non officielles de la part du
ministère. J'ai questionné un collègue
vétérinaire au ministère qui ne peut pas le confirmer. Il
s'agit peut-être d'un problème individuel de fabrication d'un
test, mais cela ne remet pas en cause le principe du test.
M. le Rapporteur
- Nous avons assisté à des mouvements
politiques en Allemagne concernant le « limogeage » du ministre de
l'Agriculture qui a été remplacé par quelqu'un d'une
sensibilité totalement différente.
Prévoyez-vous d'autres mouvements politiques de ce type en Allemagne et
qu'entendez-vous par l'« agriculture écologique » que certains
veulent mettre en place ?
M. Axel Reich
- Sur la première question, je ne suis que
fonctionnaire et je ne peux pas répondre.
Concernant la seconde question, une déclaration gouvernementale a
été faite par la nouvelle ministre de la Protection des
consommateurs, de l'Alimentation et de l'Agriculture. Il faut une meilleure
harmonie des acteurs concernés, à savoir les consommateurs, les
négociants, les transformateurs, les éleveurs et les
agriculteurs. L'intention est d'arriver à une harmonie plus
complète. La politique sera menée en ayant comme objectif majeur
l'intérêt du consommateur et non pas celui de l'agriculteur.
Concernant l'agriculture écologique ou biologique, d'après les
déclarations de la ministre, nous avons l'intention d'inciter la
production biologique (qui représente environ 2 % de l'agriculture
en Allemagne) pour atteindre 20 % dans les 10 prochaines années.
M. le Rapporteur
- Ce serait une multiplication par 10.
M. Axel Reich
- Oui, c'est la déclaration officielle.
M. le Rapporteur
- Ne craignez-vous pas que l'Allemagne perde des parts
de marché au niveau international ? La production de produits
« biologiques » est sympathique, mais il s'agit peut-être d'une
mode ou d'une réaction brutale à une production trop
productiviste.
M. Axel Reich
- En tant que représentant de mon Gouvernement, je
ne pense pas que la production biologique soit une mode. Nous pensons que
l'intérêt de la population est d'acheter des produits issus d'une
agriculture durable et respectant l'environnement : fertilisation des
sols, traitement des animaux de rente, etc. Nous sommes convaincus que le
consommateur est, dans certains secteurs, prêt à payer plus cher
que pour des produits ordinaires.
M. le Rapporteur
- En France, nous avons la même réflexion
et la même interrogation. Entre la production biologique et la production
de produits d'une agriculture plus intensive, les socioprofessionnels essaient
de développer une troisième voie, à savoir l'agriculture
raisonnée.
L'agriculture écologique, telle que veulent la développer les
autorités allemandes, s'apparente davantage à l'agriculture
biologique qu'à l'agriculture raisonnée.
M. Axel Reich
- Les 20 % mentionnés concernent l'agriculture
biologique dans le sens européen. Cela n'évite pas ou
n'empêche pas les acteurs politiques et les agriculteurs de la faire
progresser sur les 4/5 de notre part de l'agriculture. L'agriculture de
précision, ou votre agriculture phare, est en développement avec
la formation des agriculteurs.
L'agriculture ne s'oriente pas seulement vers l'intention de protéger le
sol, qui est la base de toute agriculture. En effet, une agriculture de
précision est, à la longue, meilleur marché que celle qui
a été exercée durant ces 10 ou 15 dernières
années.
Nous ne voyons pas d'opposition dans la logique. La ministre est convaincue que
nous aurions un marché pour les 20 % de production. Cela ne
signifie rien pour la perfection de l'agriculture qui n'est pas biologique ou
écologique au sens européen.
M. le Rapporteur
- Au niveau de l'Union Européenne, vos
ressortissants qui siégeront (la ministre de l'Agriculture et vos
parlementaires) mettront tout en oeuvre pour porter l'accent sur une
réforme de la Politique Agricole Commune plus orientée vers les
produits biologiques que les produits dits conventionnels.
M. Axel Reich
- Concernant le développement de la Politique
Agricole Commune, la ministre indique qu'elle veut utiliser (comme cela a
déjà commencé en France) les possibilités de faire
progresser une agriculture plus respectueuse de l'environnement que
l'agriculture actuelle grâce à la modulation et à
l'application de l'éco-conditionnalité autorisée dans le
cadre de la Politique Agricole Commune.
Nous entendons également atteindre un développement dans le
bien-être des animaux de rente, pas seulement dans l'exploitation mais
aussi pendant le transport. La ministre a indiqué qu'elle aimerait avoir
une plus large marge de manoeuvre pour les Etats membres au sein de la
Politique Agricole Commune.
M. le Rapporteur
- C'est le souhait d'une forme de renationalisation de
la Politique Agricole Commune.
M. Axel Reich
- Je ne peux pas utiliser ce mot car il n'a pas
été prononcé par la ministre.
Nous avons la possibilité de faire de la modulation. Cela a
été appliqué en France, en Grande-Bretagne et au Portugal,
mais 12 pays ne l'appliquent pas. Peut-être existe-t-il d'autres domaines
où l'on pourrait pratiquer de la même manière ? Par
exemple, en France on trouve une prime supplémentaire pour les vaches
allaitantes. Cette mesure se rencontre aussi au sein de la Politique Agricole
Commune.
M. le Rapporteur
- Nous avons pu lire dans la presse, durant ces
derniers mois, que vous utilisiez des abats, notamment de la cervelle, en
Allemagne pour fabriquer certaines charcuteries. Est-ce une pratique courante
concernant toutes les charcuteries ou simplement une frange de votre
production, et ces productions sont-elles maintenant normalisées ?
M. Axel Reich
- Des productions locales très limitées
utilisaient les cervelles de porcs pour la fabrication de certaines
charcuteries.
M. le Rapporteur
- Uniquement du porc ?
M. Axel Reich
- A ma connaissance, oui. En effet, lors de l'abattage
d'un porc, la carcasse est partagée en deux depuis le museau
jusqu'à l'arrière-train, ce qui n'est pas une habitude d'abattage
pour les bovins. Ce sont des productions régionales, très
limitées, uniquement réalisées avec de la cervelle de
porc.
M. Georges Gruillot
- Vous nous avez indiqué que l'Allemagne
avait décidé d'abaisser l'âge des tests (à 30 mois
en Europe et en France) à 24 mois en raison de 2 cas, sur 28,
d'animaux jeunes morts d'ESB.
M. Axel Reich
- Il ne sont pas morts de l'ESB mais elle a
été diagnostiquée à l'abattoir.
M. Georges Gruillot
- A notre connaissance, nous n'avons pas de cas
similaires en France et je ne pense pas que de tels cas aient été
constatés en Angleterre.
M. Axel Reich
- 81 cas similaires ont été relevés
en Angleterre parmi les 180 000 cas d'ESB.
M. Georges Gruillot
- L'Allemagne a-t-elle tiré des
conclusions ?
M. Axel Reich
- Je peux vous donner les dates de naissance des
animaux : l'un était né le 14 septembre 1998 et l'autre le
17 août 1998. Ces deux cas ont été constatés le 15
janvier et le 27 janvier 2001 alors que les bêtes étaient
âgées de 29 mois.
M. Georges Gruillot
- Vous n'avez tiré aucune autre conclusion
quant au mode de contamination ?
M. Axel Reich
- Je n'ai pas connaissance d'une autre réflexion
sur un mode de contamination différent.
En Angleterre, il est connu, Monsieur le sénateur, que le risque de
transmission de la mère au veau est faible. Ici, nous n'avons pas
constaté cela et je n'ai pas d'informations sur les modes de
contamination. Concernant toutes les voies de contamination, il existe beaucoup
d'incertitudes et le mode de propagation concerne la nourriture.
M. Georges Gruillot
- Vous indiquez que vous avez fait réaliser
47 000 tests d'abattoir sur des animaux de plus de 30 mois depuis le 15
décembre.
M. Axel Reich
- 67 000 tests ont été effectués
en décembre et 47 000 tests ont été pratiqués
durant la première quinzaine de janvier.
M. Georges Gruillot
- Cela représente plus de 110 000 tests
sur des animaux de plus de 30 mois menés à l'abattoir.
Les viandes exportées (notamment les viandes bovines exportées en
France) proviennent-elles d'animaux testés ?
A notre connaissance, nous importons actuellement de la viande allemande
provenant d'animaux non testés à l'abattoir. Cela provoque une
réaction du commerce de la viande en France puisque ici les animaux de
plus de 30 mois doivent être soumis à un test à l'abattoir.
M. Axel Reich
- J'ai indiqué que depuis le 2 décembre il
est obligatoire de tester tous les bovins de plus de 30 mois ; par
ailleurs, depuis le 27 janvier il est obligatoire de tester tous les bovins de
24 mois et plus.
M. Georges Gruillot
- La viande arrivant en France est-elle
testée ?
M. Axel Reich
- Les bovins de plus de 30 mois qui ont été
abattus à partir du 2 décembre ont été
testés car, sans cela, ils ne pourraient pas disposer de l'estampille du
vétérinaire. Les bovins abattus depuis le 27 janvier sont
testés s'ils ont plus de 24 mois.
M. Georges Gruillot
- Selon le commerce de la viande en France, cela
pourrait concerner des animaux abattus plus tôt et stockés.
M. Axel Reich
- Il ne serait pas possible de tester un animal abattu le
15 novembre et vendu le 5 décembre.
M. Georges Gruillot
- Cela peut être en congélation.
M. Axel Reich
- Monsieur le sénateur, je vous prie de m'excuser
mais je ne peux pas faire de suppositions sur les possibilités
d'exportation de l'Allemagne. Je peux seulement vous rappeler quelles sont les
obligations de tests depuis le 2 décembre 2000 et le 27 janvier 2001.
Vous savez que l'ESB ne s'est pas arrêtée en Allemagne ; on
trouve des cas partout.
M. Georges Gruillot
- Vous avez décidé d'abattre tous les
animaux vivants sur le territoire allemand et importés de
Grande-Bretagne ou de Suisse. Combien d'animaux cela concerne-t-il ?
M. Axel Reich
- Je ne peux pas vous le dire.
M. Georges Gruillot
- Le problème de la Suisse est très
important car vous avez une frontière commune avec ce pays. Or, dans ce
pays on rencontre beaucoup de cas d'ESB depuis longtemps. Je pense donc que
l'Allemagne a été particulièrement vigilante par rapport
à son voisin suisse.
M. Axel Reich
- Oui, mais je ne peux pas vous dire combien d'animaux ont
été abattus.
M. Georges Gruillot
- Concernant le problème des farines
animales, en France nous avons établi, depuis 1996, une
séparation entre les matières à hauts risques et les
matières à bas risques pour les problèmes
d'équarrissage et la fabrication des farines. Il semble que cette
distinction en deux catégories n'ait pas été faite chez
vous.
M. Axel Reich
- Ce n'était pas pratiqué jusqu'au 1er
octobre de l'année dernière.
M. Georges Gruillot
- Des Groupes allemands sont propriétaires
d'usines d'équarrissage en France. Pensez-vous que ces Groupes
français aient pu importer des farines animales venant
d'Allemagne ? Dans l'affirmative, je vous demande de m'indiquer quel
pourrait être le tonnage et les usines concernées chez nous en
France.
M. Axel Reich
- Je peux vous fournir, comme je l'ai indiqué
à Monsieur le rapporteur, les statistiques des échanges pour
lesquels il existe deux nomenclatures. Je peux vous remettre les statistiques
Eurostat concernant les farines animales et les graisses intra-communautaires.
Ce ne sont que des statistiques et nous n'avons aucun renseignement par
entreprise.
M. Gérard César
- Où en êtes-vous en
Allemagne sur la recherche en matière de détection de cette
maladie et quels sont vos progrès éventuels ?
M. Axel Reich
- Il existe un programme de recherche
accélérée sur lequel nous voulons déposer des
fonds. Je ne peux pas vous indiquer quel en sera le budget mais nous donnons
plus de moyens qu'auparavant aux chercheurs concernant les maladies
spongiformes transmissibles.
Les chercheurs constituent une famille internationale et ils se connaissent
entre eux. Concernant l'intention du Gouvernement allemand, je ne peux pas vous
donner de chiffres aujourd'hui mais je pourrai les fournir plus tard sur le
sujet de l'accélération et l'intensification de la recherche.
M. Gérard César
- Pensez-vous qu'il existe une
coordination entre tous les chercheurs allemands et les autres chercheurs
européens ?
M. Axel Reich
- Nous avons deux voies d'échanges, à savoir
les symposiums de chercheurs (et leurs publications) et les discussions
à l'échelle européenne. N'étant pas expert, je ne
pourrais pas vous indiquer s'il existe assez d'échanges. Je n'ai jamais
entendu dire que les chercheurs ne communiquaient pas entre eux car ils
échangent des informations dans des symposiums.
M. le Président -
En Allemagne il a été
décidé d'abattre tout le troupeau quand un cas d'ESB est
découvert. N'est-il pas difficile de faire appliquer cet abattage
systématique ?
Il me semble qu'en Bavière certains, les éleveurs et certains
écologistes, étaient contre cet abattage systématique.
Où en est-on sur ce sujet ?
M. Axel Reich
- Nous avons eu une discussion très profonde sur
cette question. La raison en est qu'en Suisse il existe des expériences
assez bonnes avec l'abattage des cohortes et des descendantes.
La décision prise en Allemagne consiste à abattre tout le
troupeau car nous n'avons pas assez d'informations sur les voies de
transmission. Avec plus de renseignements la décision serait sans doute
différente.
Concernant les 28 cas d'ESB constatés, nous avons fait abattre tout le
troupeau sauf un veau dans le Schleswig-Holstein qui a été mis
à l'écart dans un lieu où il n'aurait pas de contact avec
d'autres bovins. C'était peut-être une décision très
sentimentale qui a été encadrée de précautions
évitant toute contamination ou tout contact direct avec d'autres bovins.
La question d'abattre tout un troupeau a profondément ému
beaucoup de personnes en Allemagne, ainsi que des politiciens.
M. le Président -
Par ailleurs, comment se déroule
l'application des mesures sanitaires dans le contexte fédéral
propre à l'Allemagne ? Vous avez indiqué qu'il en existait
au niveau des Länder mais aussi au niveau Fédéral.
M. Axel Reich
- Les lois et les décrets de loi sont
édictés par la Fédération. Pour qu'ils soient
appliqués dans les Länder il faut le consentement du Bundesrat.
La seule possibilité d'agir sans le consentement du Bundesrat serait de
produire un décret d'urgence, tel celui qui ordonne les tests pour les
bovins de plus de 24 mois. Toutefois, ces décrets d'urgence n'ont qu'une
vie éphémère de 6 mois durant lesquels il faut recueillir
le consentement du Bundesrat. C'est la législation.
L'application de tout ce qui concerne la sécurité sanitaire
relève des services des Länder. Nous n'avons presque pas de
policiers fédéraux, de juges fédéraux, de
professeurs ou d'instituteurs fédéraux. Les Länder sont
à la base et il existe une coordination sous la présidence du
secrétaire d'Etat du ministère fédéral : on y
coordonne les mesures et les chefs des services vétérinaires des
Länder s'informent entre eux sur la manière de procéder.
M. le Président -
Par ailleurs, où en est le marché
de la viande en Allemagne, la consommation, etc. ?
M. Axel Reich
- La consommation est à 43 % de ce qu'elle
était avant le 26 novembre. Le marché est si bas que
l'intervention a commencé ; cela signifie que le prix est
60
%
au-dessous des prix directeurs.
Par exemple, dans un buffet de petit déjeuner à l'hôtel,
chaque charcuterie porte une mention indiquant qu'elle ne comporte pas de
viande bovine. Si de la viande bovine était utilisée, ce serait
spécialement mentionné. La réaction est extrêmement
brutale.
M. le Rapporteur
- Existe-t-il en Allemagne un cas humain supposé
de MCJ ?
M. Axel Reich
- Non. Officiellement nous n'avons pas
détecté de cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob.
M. le Rapporteur
- En Allemagne les chercheurs pensent-ils à la
mise au point prochaine d'un test ante mortem ?
M. Axel Reich
- L'entreprise Boehringer-Ingelheim a annoncé
qu'elle a obtenu un brevet sur un test ante mortem qui sera prêt en
août. Il semblerait que ce laboratoire ait fait « marche
arrière » car il n'indique plus de date pour la
disponibilité de ce test.
M. le Président -
Quelle est la date d'interdiction d'utilisation
des farines animales en Allemagne ?
M. Axel Reich
- Mars 1994.
M. le Président -
Nous vous remercions infiniment d'avoir
accepté de participer à cet entretien. Merci pour tous les
renseignements que vous nous avez communiqués et pour la manière
très conviviale dans laquelle s'est déroulé cet
entretien.
Audition de M. Alain GLON, Président de la société
Glon-Sanders
(14 février 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Alain Glon vous
êtes Président de la société Glon Sanders et je vous
remercie d'avoir répondu à notre invitation.
Vous savez que vous êtes auditionné dans le cadre d'une commission
d'enquête parlementaire et qu'à ce titre vous devez
témoigner sous serment.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Glon.
M. le Président -
Nous vous demanderons de nous parler de ce
problème des farines animales tel que vous l'avez vécu. Vous avez
pu voir comment les choses se sont passées par rapport à votre
entreprise, à la fabrication d'aliments pour le bétail et les
conséquences sur le développement de l'ESB.
M. Alain Glon
- J'ai 59 ans et, dans l'un de nos métiers
d'origine qui est la nourriture animale, je crois avoir tout fait depuis
l'époque du cheval et de la charrette.
Au fil de ma présentation et de vos questions, je pourrai apporter
quelques précisions.
J'ai une première interrogation car j'ai lu dans Ouest France de samedi
dernier : « Farines : les sénateurs face à des
silences ». Il s'agit probablement d'une nouvelle erreur journalistique.
Même si c'est vrai (cela l'est certainement en partie), c'est en raison
de l'histoire que l'on connaît qui, comme je vous le disais, est fort
longue. Aussi, sachant qu'aujourd'hui j'allais venir face à des
parlementaires, je m'interrogeais pour savoir s'il fallait leur dire une partie
de ce que nous savions de cette longue histoire et s'il était
intéressant que les représentants de la Nation connaissent le
climat psychologique qui règne autour de cette affaire.
Je vous laisse le libre choix.
M. le Président -
Nous avons la nécessité de tout
savoir et de tout comprendre. Aussi, nous vous laissons l'entière
liberté de pouvoir tout nous dire dans ce sens.
M. Alain Glon
- Il est important que vous compreniez le climat
psychologique qui règne autour de cette affaire. J'ai fait une note
interne reprenant les propos que j'échangeais dernièrement avec
mon fils Benoît.
« Alain : Bonsoir, Ben, il y a des jours avec et des jours sans.
Aujourd'hui, c'était une bonne journée, les flics sont sympas.
Ben : De retour après deux années en Asie, je trouve la
situation en France assez folle. Dis-moi papa, ce qui s'est passé dans
l'entreprise cette semaine, est-ce grave ?
Alain : Non, ce n'est pas grave, mais par contre c'est perturbant et pour
le moins pas banal de recevoir la visite impromptue de 15 policiers d'un coup
et je comprends ton interrogation.
Mais avant avoir d'avoir une réaction de rejet ou de
dégoût, il faut d'abord que tu intègres l'histoire
récente de la France, celle du sang contaminé, de la mise en
cause de l'Etat et de la perte de confiance du citoyen. Les analogies avec
l'affaire de la vache folle sont telles que chacun cherche en cette affaire,
depuis 10 ans, un coupable, voire un coupable alternatif.
En deuxième lieu, il convient, dans ce feuilleton à
rebondissements, de pondérer toute la partie irrationnelle ou, au
contraire, celle qui l'est trop comme le médiatique par exemple. Le
sujet fait monter l'audimat, la télévision a montré des
images terribles sur des malades anglais, et même si en France il n'y a
eu que deux, ou peut-être trois, cas humains, ceux-ci frappent plus
l'opinion que le cancer ou les accidents de la route.
Il y a aussi tous les aigris de la société dans ces milieux
scientifiques, juridiques, politiques et autres, tous ceux qui cherchent
l'occasion d'une revanche. Il y a aussi, comme en Grande-Bretagne, des
scientifiques qui annoncent un cataclysme humain pour se faire financer des
moyens de recherche.
Tout ceci est compliqué et il faut, pour mieux comprendre, que tu
intègres toutes ces composantes du dossier.
Dans un deuxième temps, il faut que tu considères qu'en France
l'Etat est gérant, c'est-à-dire qu'il se mêle de la
conduite des affaires et n'est pas seulement garant, c'est-à-dire
préoccupé essentiellement de ses droits et devoirs
régaliens comme c'est souvent le cas dans les pays qui connaissent le
même niveau de développement.
De ce fait, l'Etat doit gérer la crise et les angoisses entretenues dans
la population. Quand autant de bateleurs d'estrade réclament un
coupable, l'Etat est contraint d'agir pour rassurer l'opinion : « Je
veille sur vous braves gens ».
Bien sûr, c'est pour nous la cinquième commission d'enquête,
sans compter les deux commissions parlementaires, bien sûr celle-ci ne
découvrira rien de contrevenant ; cela aurait été
fait depuis longtemps, notamment par ceux qui viennent pour la troisième
fois.
Nous avons toujours anticipé les décisions et parfois contraint
l'Etat à agir. L'Etat pourra dire cette fois : « J'y ai mis
mes 15 meilleurs limiers qui sont arrivés à l'improviste avec
tous les mandats voulus ». Il est vrai que cette fois nous avons à
faire à des « super pro ». Fais-moi confiance mon fils, pas un
coupable ne pourrait résister au régime que l'on nous applique
depuis plus de 10 ans maintenant.
Ben : J'entends bien, mais tu me dis que cette fois il y avait 15
inspecteurs. Dans aucune série noire je n'ai vu la même chose.
Cela pourrait-il te conduire en prison ?
Alain : Tu sais que notre entreprise présente des
caractéristiques intéressantes pour faire de nous « le
responsable choisi pour être le coupable qui convient » selon
l'expression utilisée par ceux qui ont investi dans ce but.
Tu sais que ma tête a déjà, en 1996, été
confiée à des services très spéciaux et c'est la
raison pour laquelle j'avais différé l'acceptation de la
Légion d'Honneur. Je sais donc que tout est possible.
Quant à la « justice de mon pays », j'ai eu l'occasion de
vérifier personnellement que là aussi tout est possible. Mais
vois-tu, à ton âge il n'est pas bon de douter de tout alors je
n'en parlerai pas davantage. La presse en parle régulièrement,
les gens de ton âge doivent croire en la vie et relever des
challenges ; ils n'ont pas à épouser une
gérontocratie qui ne craint plus que pour sa santé.
Ben : Est-ce que cela a toujours été comme cela ?
Alain : La réponse n'est pas catégorique. Il faut d'abord
que tu saches qu'il existe la même proportion de voyous dans toutes les
couches de la société et qu'il convient que les autorités
adaptent leurs méthodes à ces contrevenants. Cependant, quand les
pratiques ne sont pas en harmonie avec les protagonistes, et surtout quand il
s'agit en quelque sorte d'obtenir un « effet de manche », c'est
dégradant pour l'enquêté et l'enquêteur.
D'ailleurs, les enquêteurs eux-mêmes s'étonnent quand nous
leur relatons toutes les enquêtes dont nous avons fait l'objet et dont
pas une seule ne s'est terminée par un document quelconque. Même
pas une copie de note, alors que j'ai vu le courrier écrit par le
ministre en charge des Douanes, à destination de son collègue de
l'Agriculture, pour lui indiquer qu'il n'avait rien trouvé de frauduleux
chez nous ou ailleurs.
Je ne te parle pas des perturbations que ces centaines de journées
d'enquêtes, ces tonnes d'archives et ces milliers de photocopies
engendrent pour nos collaborateurs dans l'entreprise. Nous les entrepreneurs,
nous sommes corvéables à merci. Tu sais que dans le concert
international on appelle cela l'arrogance française, mais la France
pense que c'est faux.
Ben : Dis-moi, cela a toujours existé et la population
l'ignore ?
Alain : Bien sûr, nous ne sommes pas un cas unique et d'autres
entreprises connaissent la même situation. C'est probablement un
problème de taille ou de secteur d'activité.
Mais j'en reviens à ta question. Nous concernant, 15 inspecteurs, c'est
un record, car jusque là nous en étions à 12 à la
fois, bien sûr sans annonce, sans suite ni mot d'excuse.
Maintenant, en remontant très loin dans le temps je pourrais te citer
l'exemple de Mamie que nous avons accompagnée dans son dernier voyage il
y a tout juste un mois. Elle a vécu toute sa vie le traumatisme des
fouilles du moulin en 1943/1944 lorsque nous étions levés la nuit
et alignés au mur le temps que des hommes en vert-de-gris cherchaient
les maquisards. Bien sûr, c'était différent car
ceux-là ne déclinaient pas leur nom et leur titre en arrivant.
Mais tu vois, à la suite de cela elle n'a plus voulu aucune
responsabilité en dehors de celles d'une mère. Je la comprends.
Pour ma part, j'essaie de garder la bonne distance par rapport à ces
événements. La frénésie et l'obsession nous
guettent, tout comme d'autres, par exemple :
- le militaire est tenté de guerroyer sans cesse et sans fin,
- le politique pourrait être tenté par l'abus de pouvoir personnel
et refuser le désaveu,
- le juge pourrait tomber dans l'intégrisme, à savoir inculper au
nom de la loi pour un fait non avéré, juger au nom des principes
(de précaution) et non plus selon la loi, condamner au nom de la justice
alors devenue ordre, ce qui nous ramènerait au temps de l'inquisition,
- l'homme d'affaires quant à lui peut sombrer dans l'amour
immodéré de l'argent.
Ben : Et comment vois-tu le futur ?
Alain : Tu sais que je suis optimiste, d'ailleurs sans cela je n'aurais
pas été un entrepreneur. Cependant l'évolution de la
France me paraît inquiétante. Le monde politique a perdu la
confiance de la population, nombre d'élus pensent essentiellement
à se défendre et à agir au gré des sondages ;
ce sont donc les médias qui orientent la politique du pays. L'absence,
le vide laissé par le politique est en passe d'être occupé
par des juges ; cela conduit à une rigidification de la
société, voire dans certains cas à une forme
d'intégrisme. J'y pense dans nos activités alimentaires pour le
zéro OGM ou le zéro salmonelle. Je pense à ce que l'on
peut faire dire à l'obligation de précaution. La France risque de
payer le prix fort pour la désagrégation de son système
politique. Ce prix sera aussi payé par toute la société
civile.
Une civilisation ne peut impunément laisser mettre en cause ses valeurs
fondatrices comme nous l'avons vu :
- les scientifiques rompent le tabou sur le génome humain,
- la mondialisation écrase l'homme pour la finance,
- le cinéaste a cru pouvoir utiliser le Christ en pornographie,
- un écrivain a cru pouvoir vilipender le prophète de l'Islam,
- un distributeur a cru pouvoir angoisser la population sur le produit des
autres.
Tu sais que pour notre part, au-delà du bon à manger, nous nous
appliquons pour que nos produits soient aussi bons à penser ».
M. le Président -
Il faut se recentrer sur le problème. Je
comprends bien votre amertume et votre attitude mais nous sommes dans le cadre,
je le répète, d'une commission d'enquête sur un
problème bien précis et je crois qu'il est nécessaire
maintenant de se remettre véritablement sur le sujet en traitant des
problèmes posés par la fabrication d'aliments pour le
bétail et celui de l'introduction des farines de viande et ses
conséquences.
Je le répète, je comprends votre position personnelle, mais je me
dois, dans le cadre de cette commission d'enquête, de recentrer les
débats.
M. Alain Glon
- Merci. Sur ce tableau mon intention est de vous montrer
les différents métiers et, si besoin est, d'éviter,
à vos yeux (car pour le reste je n'y crois plus) que la confusion soit
entretenue.
Un premier métier, celui d'équarrisseur, consistait à
ramasser les cadavres d'animaux dans la campagne ou dans les élevages
pour les transformer en farines animales.
Un deuxième métier est né, conjointement, pour traiter les
déchets des ateliers de découpe, à savoir des morceaux qui
ont la même qualité bactériologique que ce que nous mettons
dans notre assiette.
Pour des raisons qu'il vous appartiendrait de rechercher, ces personnes ont
été appelées, tout comme nous, « fabricants de
farines » et cette confusion a été volontairement entretenue
dans la population. Il serait intéressant que vous recherchiez qui
était propriétaire de ces entreprises.
M. le Président -
Il faut nous le dire.
M. Alain Glon
- Il s'agit de l'Etat.
M. le Président -
Il serait donc propriétaire des
équarrisseurs.
M. Alain Glon
- Oui, à concurrence de deux tiers ou trois-quarts
de l'activité en France.
Ensuite, les fabricants d'additifs mélangent des vitamines,
oligo-éléments ou autres, destinés à être
incorporés dans les aliments des animaux.
Il existe aussi des fabricants d'aliments d'allaitement. Il semblerait que ce
soit la nouvelle cible. A partir du lait, ils retirent la matière grasse
(le beurre) et ajoutent, en substitution, des matières grasses
végétales, telles que l'huile de palme, ou animales. Il s'agit
d'un métier qui n'a rien à voir avec le nôtre.
Par ailleurs, les fabricants de pet food (les aliments pour animaux de
compagnie) ramassent les déchets des ateliers de découpe.
Les fabricants d'aliments composés utilisent les farines animales
produites par d'autres.
Je crois qu'il conviendrait de vérifier qui était en charge de la
qualité de ces farines animales, qu'elles soient d'importation ou
produites en France.
Pour chercher la vérité, il faut avoir une notion de ce qu'est
chacun de ces métiers.
Jusqu'au 1er janvier 1999, date à laquelle nous avons repris le Groupe
Sanders, nous étions une entreprise familiale installée
essentiellement en Bretagne Depuis, nous avons comme actionnaires des
financiers et l'Etat qui est resté à 23
%
.
Concernant les dispositions prises par notre entreprise, nous n'avons jamais
utilisé de farines de viandes anglaises importées par nous pour
les bovins. Toutefois, puisque les équarrisseurs français ont
mélangé des farines anglaises à leur production, je ne
peux pas être aussi affirmatif sur l'absence de farines animales
anglaises dans nos produits.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Quels étaient vos circuits
d'approvisionnement ?
M. Alain Glon
- Nous importions des farines anglaises mais elles n'ont
jamais été incorporées aux aliments pour bovins. Nous
disposons de plusieurs usines qui sont plus ou moins spécialisées.
M. Gérard César
- A quoi servaient les farines anglaises
importées ?
M. Alain Glon
- Dans notre entreprise, les farines anglaises n'ont
jamais été utilisées dans les aliments pour bovins ;
elles servaient à fabriquer les aliments pour les volailles et les
porcs. Je parle des farines importées par nous de Grande-Bretagne.
Quand nous ne les importions pas de Grande-Bretagne, nous pensions que celles
achetées aux équarrisseurs français étaient
françaises.
M. le Rapporteur
- Avez-vous acheté des farines en Irlande ou en
Belgique ?
M. le Rapporteur
- Nous avons acheté des farines en Irlande.
Concernant la Belgique, Glon n'a jamais acheté de farines à ce
pays mais ce n'est pas le cas de Sanders.
M. Gérard César
- En Hollande ?
M. Alain Glon
- Nous ne pouvons pas le savoir ; c'est comme pour
certains produits tels que le sucre. Là aussi des sociétés
françaises étaient impliquées.
Nous avons arrêté les importations de Grande-Bretagne le 9 janvier
1989 ; c'est la date du dernier arrivage reçu de ce pays.
L'interdiction française date d'août 1989 alors que nos
importations avaient cessé 6 mois plus tôt ; nous avons
d'ailleurs beaucoup agi pour que ces importations soient arrêtées,
sans avoir toujours eu l'audience voulue.
M. le Président -
Vous disiez que des sociétés
françaises étaient impliquées dans l'importation de
farines provenant de Belgique ou d'ailleurs. De quelles sociétés
s'agissait-il ?
M. Alain Glon
- Ce sont les mêmes propriétaires que pour
les équarrisseurs français.
M. le Président -
Ce sont toujours les mêmes.
M. Alain Glon
- A partir de Belgique il peut en venir
énormément. Des sociétés d'équarrissage
françaises avaient un commerce européen.
Nous avons arrêté toute incorporation de farines animales dans les
aliments pour bovins en mai 1989, quand nous avons constaté que des
équarrisseurs français avaient importé des farines
anglaises pour les mélanger à leur production.
Nous avons tenté de faire interdire l'introduction de farines animales
dans tous les aliments pour ruminants et cette interdiction est arrivée
en juillet 1990, soit 15 mois après que nous ayons cessé
d'utiliser ces farines.
M. le Président -
Concernant cette décision (prise bien
avant la décision officielle, vous avez raison), comment aviez-vous
été informés, par quelle voie ou quel organisme
professionnel ?
M. Alain Glon
- Fin 1988 nous avons observé que la qualité
des farines de viandes importées de Grande-Bretagne se dégradait,
non pas au niveau des prions ou de la BSE (tout le monde en ignorait
l'existence) mais plutôt des salmonelles. Compte tenu de ce risque, nous
avons arrêté les importations le 9 janvier 1989 et
résilié les contrats.
Toutefois, nos concurrents continuaient à utiliser ces farines vendues
à des prix sensiblement inférieurs à ceux des farines
produites en France à l'époque. Cette distorsion de concurrence
nous a conduits à rechercher ce qui pouvait justifier la
dégradation des farines anglaises. En constatant le manque de
clarté de la situation en Grande-Bretagne nous avons
préconisé aux autorités françaises l'arrêt
des importations et ensuite l'arrêt des incorporations de farines dans
les aliments pour bovins.
M. le Rapporteur
- Avez-vous eu des échanges
téléphoniques ou épistolaires avec les autorités
françaises pour faire état de vos craintes ?
M. Alain Glon
- Oui.
M. le Rapporteur
- Pourrait-on avoir ces documents ?
M. Alain Glon
- J'ai un souvenir assez précis des échanges
téléphoniques mais il existait peu de documents.
M. le Président -
Nous sommes des béotiens et nous ne
connaissons pas tout. Vous dites avoir eu des échanges avec les
représentants de l'Etat : de qui s'agissait-il ?
M. Alain Glon
- Il s'agissait de personnes de la rue de Varenne.
M. le Président -
C'est donc directement avec le ministère
de l'Agriculture.
M. Alain Glon
- Tout cela sera su rapidement.
M. le Président -
S'agissant d'une commission d'enquête,
vous nous donnez des informations (mais pas volontairement car, je le
comprends, en votre qualité de chef d'entreprise, c'est difficile)
relevant d'une certaine habitude de fonctionnement. Nous ne sommes pas
informés de tout et c'est ce que nous voulons comprendre.
Quand vous indiquez que vous étiez en relation avec les
représentants de l'Etat de l'époque, nous devons savoir de qui il
s'agissait précisément. Nous n'avons pas lieu de douter de vos
affirmations puisque vous avez prêté serment, mais nous devons
connaître la Direction avec laquelle vous étiez en contact afin de
l'alerter sur ce problème.
M. Alain Glon
- C'était le ministère, le cabinet de la
Direction Générale de l'Alimentation.
M. le Rapporteur
- La DGAL, rue de Varenne à l'époque.
M. Alain Glon
- Dans une réunion nous ne faisons pas la
distinction pour savoir qui est de quelle administration.
M. le Président -
Bien sûr.
M. Alain Glon
- C'était au printemps 1989.
M. Georges Gruillot
- Vous disiez avoir constaté la
dégradation de la qualité des farines anglaises. Les farines
françaises vous semblaient-elles de qualité constante ?
M. Alain Glon
- Non.
M. Georges Gruillot
- A l'époque, il y avait de tout dans les
farines françaises.
M. Alain Glon
- Oui. C'était une dégradation de la
qualité.
Il faut comprendre que notre métier (je ne sais pas si d'autres avant
moi vous l'ont expliqué) consiste à établir des rations
pour les animaux à partir d'un nombre important de matières
premières pour lesquelles nous avons précisé environ 60
caractéristiques. Par ailleurs, le besoin des animaux est
déterminé avec 60 contraintes. Des calculs réalisés
par ordinateur ajustent l'offre et la demande.
Nos fournisseurs utilisent les mêmes techniques que nous et savent
à quel prix ils peuvent nous vendre ces matières
premières. Si nous utilisons, en compétition, soit du soja soit
des farines animales, le fournisseur sait à quel prix il faut vendre ces
farines animales.
Pour nous, l'intérêt économique (contrairement à ce
qui a été dit) est extrêmement faible. Il n'existe pas de
fournisseur assez ignare pour vendre très au-dessous du prix
d'intérêt de sa matière première.
Par ailleurs, les quantités de farines utilisées ont toujours
été très faibles ; c'est comparable à ce que
pratique la ménagère qui incorpore un bouillon en cube dans le
potage.
M. le Rapporteur
- S'agissait-il de 3
%
ou 5 % ?
M. Alain Glon
- Moins, mais cela peut varier. Les Anglais en
consommaient beaucoup car l'Angleterre n'a pas de très grands ports pour
recevoir de gros bateaux provenant du Brésil ou d'Argentine avec de la
protéine compétitive.
La protéine de soja vient du Brésil, d'Argentine ou des
Etats-Unis par bateaux jusqu'à Rotterdam ; elle est ensuite
transbordée et acheminée vers les ports anglais. Cela signifie
que pour les Anglais le soja (produit concurrent de la farine de viande)
était plus cher que pour nous sur le continent.
Par ailleurs, les Anglais ayant une aviculture peu développée
(les farines de viande sont consommées essentiellement par l'aviculture)
avaient des prix de farines de viande plus bas que ceux du marché ;
étant exportateurs, ils devaient payer le différentiel de
transport pour livrer sur le continent. C'est donc un pays qui consommait
traditionnellement beaucoup de farines de viande, y compris pour les ruminants.
La Suisse est dans le même cas. Elle dispose d'un système
très protectionniste taxant fortement les importations de tous produits
protéiques. C'est une façon pour ce pays de protéger son
herbe ou sa luzerne contrairement au système européen. De ce
fait, les farines animales produites en Suisse présentent un très
grand intérêt économique et leur taux d'incorporation est
de loin supérieur à ce qu'il était en France.
M. le Rapporteur
- En Suisse et Angleterre, quel était le taux
d'incorporation de ces farines dans la ration ?
M. Alain Glon
- J'ai entendu dire qu'il s'agissait de 7 % à
8 %.
M. le Rapporteur
- Soit trois fois plus qu'en France. Quel est le
différentiel de prix entre les farines anglaises, fabriquées
selon le concept ayant généré l'ESB, et les farines «
françaises » respectant les trois critères de
température, temps de chauffage et pression ?
M. Alain Glon
- Les farines françaises ne respectaient pas les
critères de température, pression, etc.
M. le Rapporteur
- Jusqu'à une certaine époque.
M. Alain Glon
- Jusqu'en 1983.
M. le Rapporteur
- Vous estimez donc que les farines françaises
ont été dégradées à partir de 1983.
M. Alain Glon
- En 1983, avec crise du pétrole tout le monde a
été incité à faire des économies
d'énergie, y compris cette profession. Les règles qui
régissent les farines animales portent sur des taux de contamination
bactériologique (campilobacter, salmonelles et autres) et cette
industrie a diminué l'intensité des traitements tout en
satisfaisant les obligations réglementaires. Tout le monde ignorait que
le prion était présent.
Les farines françaises étaient de même nature mais nous
avions peut-être moins de moutons atteints de tremblante.
M. le Rapporteur
- Sur ce plan, suite à l'audition de Mme
Brugère-Picoux, il semblerait (selon les connaissances scientifiques)
qu'il n'existe pas de relation entre la tremblante du mouton et l'ESB.
Quel était l'intérêt pour les producteurs français
(pour les transformateurs que vous êtes) de s'approvisionner avec des
matières premières anglaises ; était-ce une question
de prix ?
M. Alain Glon
- Oui.
M. le Rapporteur
- Quelle était la différence de
prix ?
M. Alain Glon
- Dans nos métiers nous dégageons moins de
1 % de marge et la matière première représente plus
de 80 % du prix de revient. Si une matière première procure
1 % ou 2 % d'écart de prix, nous mettons beaucoup de moyens en
oeuvre pour y accéder.
M. le Rapporteur
- Même avec une incorporation dosée
à 2 % ou 3 % ?
M. Alain Glon
- Oui, car nous sommes dans l'infiniment petit.
Vous faisiez référence (après les perquisitions tout sera
présenté) à la Commission d'enquête parlementaire.
Je peux vous lire la lettre que j'ai adressée le 23 janvier 1997
à Mme Guilhem qui était Présidente de cette Commission
d'enquête parlementaire.
« Madame la Présidente,
Vous savez le souci permanent qui est le nôtre, tant au plan de
l'éthique que de la vérité. J'ai la conviction que dans sa
recherche effrénée d'un responsable pour en faire un coupable,
l'Etat aurait détruit notre entreprise si nous n'avions pas
été d'une scrupuleuse honnêteté.
Je lis aujourd'hui dans le journal Libération une interview de M.
Josselin qui en réponse à la question : « Avez-vous
entendu André Glon ? » répondait : « Non, il
a décliné notre invitation ».
En dehors de l'erreur de patronyme, s'agissant d'Alain et non pas
d'André, la réponse me surprend. Vous vous souviendrez en effet
que nous étions convenus qu'il était préférable que
notre rencontre ait lieu en dehors de l'Assemblée Nationale ».
A l'époque, on parlait d'écoutes.
« Le rendez-vous avait été pris à notre stand
d'exposition au SIAL. Dans les derniers instants, vous aviez dû annuler
cette rencontre pour participer à un déplacement à Brest
dans le cadre de la Commission de la Défense nationale.
Le nouveau rendez-vous pris, pour la semaine suivante, a également
été annulé en raison d'une rencontre urgente avec M.
Vasseur.
Vous m'indiquiez alors que votre rapport devait être remis pour fin
octobre et qu'en raison du court délai qui vous était
laissé vous m'appelleriez téléphoniquement en tant que de
besoin.
S'agissant de l'aspect journalistique, en référence à
l'article cité, ceci ne me crée pas de difficultés tant
nous avons lu d'inexactitudes par ailleurs. Par contre, je ne voudrais pas
qu'un instant le Président, M. Josselin, et ses collègues
puissent penser que je me suis dérobé.
Concernant le fond de l'affaire et l'intérêt éventuel de ce
que j'aurais pu dire, je vous rappelle qu'autant j'ai pu me montrer inflexible
en 1989, quand il s'agissait de la santé animale, ou que je croyais
limitée à la santé animale, et en 1996 quand il s'agissait
de la santé humaine, autant je suis soucieux de ne pas accroître
le malheur.
Ceci explique d'ailleurs pourquoi je n'ai pas pu être plus explicite en
audience.
Le mélange des farines anglaises à des farines françaises
par les équarrisseurs, je l'ai vu confirmé dans le journal Ouest
France quelques jours plus tard. Le traitement insuffisant idem à celui
des Anglais appliqué par les équarrisseurs français, le
même article d'Ouest France en faisant état.
La séparation des cadavres et ASB que j'ai quasiment arrachée
nous met théoriquement à l'abri, mais les quelques angoisses qui
me restent m'amèneront à des positions fermes au 1er avril 1997
par rapport par rapport aux 3 bars, 133° et 20 minutes.
L'aliment volailles donné aux bovins, votre rapport en fait état.
La mise en cause des farines françaises par la Suisse, le journal
Libération du 13 janvier l'aborde. Les prélèvements
d'hypophyse à destination de l'hormone de croissance, c'est en cours et
le danger n'existe plus. Laissons faire la justice, les sessions et les
cotations. La contamination par la voie génétique et ses
conséquences, il ne convient pas d'en parler, mais c'est ce que j'aurai
à l'esprit pour décider de ce que je ferai de la farine au 1er
avril 1997.
Je n'ai repris que l'essentiel et deux choses me préoccupent :
l'échéance du 1er avril 1997 (traitement à la
pression), l'image que vous vous êtes faite de la DGCCRF alors que moi,
qui ai subi plus de 100 jours de contrôles en cette affaire, je la tiens
en très haute estime ; je l'ai d'ailleurs dit à M. Mattei.
Pardonnez-moi d'avoir été long, mais c'est de mon honneur dont il
s'agit. Merci de faire silence désormais, il n'y a plus que le travail
qui vaille ».
Je vous ai éclairés sur les différentes actions
entreprises et j'ai mentionné à chaque fois le décalage
entre le calendrier des obligations officielles et ce que nous avons
pratiqué.
Retrait des abats à risques et cadavres de la fabrication des farines
françaises : cela s'est passé à Lorient le 26 juin
1996. Nous étions, nous les fabricants d'aliments, accusés de
consommer n'importe quoi et chacun continuait, ou souhaitait continuer,
à mettre les cadavres et le reste dans les farines animales que nous
devions consommer. Nous avions organisé l'arrêt de tous les
achats.
Le 26 juin 1996, dans une réunion qui s'est tenue à la
sous-préfecture de Lorient, environ 13 personnes venant de Paris ont
essayé de nous convaincre de continuer la consommation. Nous avons
refusé de le faire et nous ne l'aurions fait que si les déchets
à risques avaient été retirés et c'est vraiment ce
jour qu'ils l'ont été.
M. le Rapporteur
- Le 26 juin 1996, 13 personnes étaient en
sous-préfecture de Lorient (ce sont sans doute des personnes du
ministère et il serait possible de retrouver leur nom) vous faisaient
obligation de continuer à incorporer des farines... Ce n'est
peut-être pas tout à fait cela.
M. Alain Glon
- La langue française possède des ressources
quand on écrit : « Ces farines doivent continuer à
être utilisées.... ».
M. le Rapporteur
- Avez-vous conservé ce courrier ?
(Présentation du courrier par M. Glon)
M. Alain Glon
- Je vous disais que pour nous l'intérêt
économique était extrêmement faible.
Le courrier indique : « En attendant et considérant que les
mesures de précautions prises en France, sur la base des recommandations
du Comité interministériel sur l'EEST dûment
notifiées, n'ont pas fait l'objet, à ce jour, de commentaires de
la Commission, la production et l'utilisation des farines de viande d'origine
française doivent se poursuivre dans le respect ».
Nous n'avons jamais pu faire éclaircir le terme « doivent ».
M. Gérard César
- C'était à la suite de la
réunion de Lorient.
M. Alain Glon
- Je n'ai plus la date de ce courrier mais je la
rechercherai.
Entre le risque de voir les abattoirs s'arrêter (car les déchets
n'auraient plus quitté les abattoirs) et le confort pour nous
d'arrêter l'utilisation, il était infiniment plus confortable, si
nous n'avions vu que notre intérêt, d'arrêter l'utilisation.
M. Gérard César
- Pourriez-vous nous indiquer le nom des
équarrisseurs français qui importaient ces farines
anglaises ? C'est important pour notre commission d'enquête car sans
nom cette information peut ne pas nous intéresser.
M. Alain Glon
- Je lis : « Le Groupe SARIA Industries
réalise des importations importantes par voie maritime dans son usine de
la Française Maritime de Concarneau : 4 000 tonnes arrivent
d'Ulster, l'Irlande britannique ». Il s'agit d'une déclaration du 6
septembre 1996.
Ce sont des chiffres confirmés par le Directeur commercial de cette
société, M. Patrick Colombier, interrogé par nos
soins. Nous n'avons aucun « complexe » à dire que nous avons
importé des farines de viande britanniques ; il s'agissait de
cretons qui sont des mélanges d'os et de suif (et non des produits
d'équarrissage), des produits dégraissés aux solvants et
retranchés avant utilisation.
Les enquêteurs précisent que toutes ces farines ont
été mélangées aux productions
métropolitaines du Groupe et vendues aux fabricants d'aliments sans
préciser l'origine partiellement britannique des produits. C'est ainsi
que des fabricants ont pu recevoir, sans le savoir, des farines d'origine
anglaise ».
M. le Rapporteur
- On peut considérer qu'elles étaient
utilisées pour les porcs et les volailles.
M. Alain Glon
- Celles-là l'étaient aussi pour les bovins
puisque les farines françaises étaient réputées
saines.
M. le Rapporteur
- Il s'agit de 1996.
M. Alain Glon
- Non, la déclaration est de 1996. Pour moi, il n'y
a pas eu d'importations illégales en France.
Les Douanes et la DGCCRF ont complètement réécrit
l'histoire. Cela aurait été stupide puisque le Gouvernement
anglais, quand il a mis un embargo sur l'utilisation des farines, a
également mis en place un dispositif de rachat des farines à un
prix infiniment plus cher que celui du marché. Si on voulait la
vérité, tout le monde pourrait vérifier cette information
très facilement.
Je n'imagine pas qu'une société importe des farines à un
prix beaucoup plus cher pour le plaisir qu'elles soient anglaises. Selon moi,
il n'y a pas eu d'importations frauduleuses. Je le dis aussi pour mes
collègues.
Depuis un certain temps, nous avons vu beaucoup de situations. Nous sommes
à près de 300 ou 400 jours d'enquête chez nous.
Que sont devenus les déchets de ces animaux, à savoir les veaux
anglais importés qui devaient être tenus en quarantaine pour ne
jamais devenir adultes ? Ils sont devenus des cadavres et ont
été recyclés naturellement dans des usines
françaises. Il existe un certain nombre de ces exemples.
M. le Président -
C'est en 1997.
M. Alain Glon
- Oui. On peut aussi parler des 40 000 bêtes
importées de Grande-Bretagne sur le continent au titre de la
génétique durant la période à risques.
M. le Rapporteur
- Il s'agit bien de génétique ?
M. Alain Glon
- Oui, les Anglais ont fait beaucoup de bêtises mais
aussi des études très sérieuses et selon eux 11 % des
animaux étaient des porteurs sains.
M. le Rapporteur
- Pouvez-vous nous donner des précisions
concernant ces animaux importés ?
M. Alain Glon
- C'était au titre de l'amélioration
génétique. De même que la France vend des embryons de
Charolais dans le monde entier, des éleveurs français ont
importé de la génétique anglaise avec des animaux de bonne
qualité.
M. le Rapporteur
- Sous quelle forme ?
M. Alain Glon
- Ce sont généralement des animaux vivants
et les statistiques anglaises indiquent que 40 000 bêtes ont
été exportées en France, dont 11 % étaient des
porteurs sains.
M. le Rapporteur
- Avez-vous un document sur ce sujet ?
M. Alain Glon
- Il en existait mais je n'ai pas tout gardé.
M. le Rapporteur
- La génétique anglaise n'est pas
très bonne.
M. Alain Glon
- Elle était de bonne qualité. Cela a eu
lieu jusqu'en 1993 et peut-être même au-delà.
M. Gérard César
- De quelle race s'agissait-il ?
M. Alain Glon
- La race Holstein mais il ne convient peut-être pas
de parler de toutes les voies de contamination.
M. le Rapporteur
- C'est la première fois que je prends
connaissance de cette information concernant l'importation d'animaux
génétiquement intéressants. Je n'avais pas l'habitude de
considérer que sur le plan laitier la génétique
était intéressante à partir de Grande-Bretagne.
M. Alain Glon
- Des animaux ont été contaminés chez
certains de nos éleveurs et cela porte à s'interroger. Il existe
une coïncidence assez forte entre les zones géographiques où
ont eu lieu les importations génétiques et le nombre de cas.
M. le Rapporteur
- C'était précisément notre souci
quand nous sommes allés dans les Côtes d'Armor qui est le premier
département tristement célèbre à travers le nombre
d'animaux contaminés. Nous nous interrogions et l'une des
réponses pourrait être celle d'importations de ces animaux
génétiquement intéressants à partir de
Grande-Bretagne.
Connaissez-vous les entreprises ayant importé ces animaux ?
M. Alain Glon
- Oui, mais il n'y avait rien d'illégal dans cette
pratique. Toutefois, nous supportons mal que le fabricant d'aliments soit le
seul « cloué au pilori » dans cette affaire.
M. le Rapporteur
- Nous cherchons à comprendre.
M. Alain Glon
- Vous ne le dites pas.
M. le Président -
Cela nous permet de remonter.
M. le Rapporteur
- Concernant les veaux, nous pouvions deviner ce qui se
passait quand ils étaient sur le territoire national. S'agissant des
animaux d'âge adulte, nous n'avions aucune information.
M. Gérard César
- D'où provient le chiffre de
40 000 bovins importés de Grande-Bretagne ?
M. Alain Glon
- Ils ont été exportés par la
Grande-Bretagne sur la totalité du continent. Ce sont les statistiques
anglaises et elles peuvent être demandées à la douane.
M. le Président -
Ce sont des bovins anglais importés sur
l'ensemble du continent européen.
M. Alain Glon
- Oui.
M. le Rapporteur
- Durant quelle période ?
M. Alain Glon
- Je ne sais pas depuis quand cela se pratiquait ;
jusqu'en 1993 et peut-être même au-delà.
M. le Rapporteur
- C'est une question que nous approfondirons.
M. Alain Glon
- Sur les statistiques nous pouvons constater des erreurs
de 30 000 tonnes. Ce n'est pas surprenant car les douanes ont
été « chahutées » au 1
er
janvier
1993 et les statistiques n'ont plus été tenues.
M. le Rapporteur
- Que signifie « les douanes ont été
chahutées au 1er janvier 1993 » ?
M. Alain Glon
- A cette époque la communauté
européenne a supprimé beaucoup de contrôles douaniers. A
cette époque, les documents en douane ont été tenus par
des agents en douane divers et variés, généralement des
professions portuaires, et la complexité de la nomenclature a
généré des erreurs. Ceci a donné à
M. José Bové l'occasion de beaucoup de « pirouettes
».
Pour ma part, j'ai toujours été surpris que les ordinateurs des
douanes acceptent d'enregistrer l'entrée d'un produit interdit sur le
territoire.
Tout cela a été rectifié après un mois mais comme
le fabricant d'aliments convenait en tant que cible, cela a duré. Vous
voyez encore ces derniers éléments, qui sont sortis tout
récemment, sur des différences de statistiques entre
l'exportation belge et l'importation française.
M. le Rapporteur
- On nous a expliqué cela «
scientifiquement » ou officiellement. A partir du 1er janvier 1993, entre
la notion de déclaration d'échanges de biens et la notion de
seuil (qui est différente selon les pays de la communauté), tout
est fait pour que personne ne s'y retrouve.
M. Alain Glon
- Ou que l'on fasse du fabricant d'aliments la cible
choisie.
M. le Rapporteur
- Je n'irai pas jusqu'à ce raccourci
intellectuel. Apparemment, nous avons eu les explications et nous retrouvons
à peu près, à 1 000 ou 2 000 tonnes près,
les tonnages.
M. Alain Glon
- Avez-vous vu les rectifications qui pourraient retirer
l'émoi dans la population ?
M. le Rapporteur
- Non. Les avez-vous ?
M. Alain Glon
- Dire la vérité à la presse ne
présente pas d'intérêt.
M. le Rapporteur
- Pour nous si, c'est l'objet de cette commission.
M. Alain Glon
- Vous savez que les différentiels de seuil entre
le niveau de déclaration en Belgique et en France provoquent des
écarts statistiques.
M. le Rapporteur
- Il est vrai que c'est ubuesque, mais nous en avons
pris acte. Si vous disposez d'autres informations autour de cette
période de 1993 nous sommes prêts à les entendre.
M. Alain Glon
- Mon intime conviction est qu'il n'y a pas eu de fraude
et cela aurait dû être dit depuis longtemps.
M. le Rapporteur
- Il y a eu incohérence.
M. Alain Glon
- Oui. Tout cela a été rectifié par
la DGCCRF en 15 jours et par les Douanes en un mois, mais les
communiqués qui devaient être publiés à la suite de
cette remise en ordre n'ont jamais été faits.
M. le Président -
Pour qui cette remise en ordre
était-elle nécessaire ?
M. Alain Glon
- Pour rétablir la vérité.
M. le Président -
Ce pourrait être consultable après
quelques années pour indiquer qu'il n'y avait rien. Qui cela pouvait-il
cacher ?
M. Alain Glon
- Le fabricant d'aliments est la cible qui convient.
M. le Président -
C'est le résultat. A votre avis,
c'était donc destiné à cacher quelqu'un d'autre.
M. Alain Glon
- On peut s'interroger pour savoir qui tamponnait les
certificats sanitaires des farines animales que nous importions, les uns ou les
autres, de Grande-Bretagne, qui vérifiait la qualité des
installations des équarrisseurs français ou qui contrôlait
les veaux, les vaches et les 130 000 tonnes d'abats importés, et
consommés, chaque année durant cette période ? Je ne
suis pas certain qu'il convienne d'en parler.
M. le Président -
Vous venez de le dire.
M. Alain Glon
- Je ne suis qu'un observateur et je me pose des
questions.
M. le Rapporteur
- Vous dites que malgré les incohérences
à partir du marché unique au 1er janvier 1993, on retrouve
malgré tout l'ensemble des tonnages.
Parlez-nous des fameux problèmes de contaminations croisées. Nous
avons visité des entreprises, tant dans les Côtes d'Armor que dans
d'autres départements. Je pense que doucement, ou plus rapidement, les
entreprises françaises se sont adaptées à séparer
les circuits de fabrication.
Toutefois, que pouvez-vous nous dire concernant la reprise des lots ? En
effet, nous nous interrogeons (et nous ne sommes pas les seuls) sur de telles
pratiques dans les exploitations agricoles où, la production
étant terminée, l'entreprise reprenait et réincorporait
les farines. Comment cela se passait-il chez vous ?
M. Alain Glon
- Nous avons fait l'objet d'enquêtes, au moins
autant que je vous l'ai indiqué, et pas un seul défaut n'a
été trouvé. Je crois que nous avons toujours
appliqué les méthodes avec une certaine rigueur.
Il serait simple de vérifier, pour chaque fabricant d'aliments, quel est
le nombre d'élevages (de clients) avec la BSE. Dans le premier
département que nous fournissons, le Morbihan, 9 cas de BSE ont
été constatés et il ne s'agit pas de nos clients. Cela
peut laisser entendre que nos méthodes étaient rigoureuses.
Concernant votre question, il est évident que des éleveurs (qui
ne s'en cachent pas) ont parfois donné des aliments pour volailles
à des bovins.
M. le Rapporteur
- C'est de la contamination croisée in situ,
à savoir dans l'élevage. Je parlais de la reprise d'aliments par
l'industriel, ce qui est logique, en cohérence avec l'éleveur.
Comment ces tonnages étaient-ils recyclés ensuite ?
Il me semblait, compte tenu du fait que les formulations des aliments du
bétail, jeunes bovins ou truies, étaient les plus simples qu'ils
pouvaient plus facilement recevoir ces retours de lots. Confirmez-vous que
c'est facile ?
M. Alain Glon
- Oui, en l'absence d'attention voulue, l'aliment repris
en élevage peut être considéré comme une
matière première comme une autre.
M. le Rapporteur
- Confirmez-vous que la réincorporation des
retours de lots est plus aisée sur les aliments pour truies ou jeunes
bovins, par rapport aux aliments pour bétail (par exemple les vaches
laitières) dont la formulation est plus rigoureuse ?
M. Alain Glon
- Non. Certains ont peut-être mis en oeuvre ce type
de pratique mais je n'en connais pas la raison spécifique.
Néanmoins, ce sujet m'interpelle. Même s'il y a eu une
contamination croisée, il aurait fallu que les farines animales entrant
dans l'alimentation des volailles ou autres soient contaminées. Comment
expliquez-vous que ces farines puissent être contaminées sur toute
la France ?
M. le Rapporteur
- Avant 1996, il n'était pas
procédé au retrait des matériaux à risques
spécifiés et certaines importations pratiquaient un
mélange.
M. Alain Glon
- Il est évident que dans certaines régions
(dans le Puy-de-Dôme ou les élevages de Montbéliardes)
aucune farines anglaises ne sont parvenues.
M. le Rapporteur
- C'est là où le relais semblerait pris
par les lacto-remplaceurs.
M. Alain Glon
- C'est la nouvelle cible.
M. le Rapporteur
- Il faut considérer que nous sommes ici presque
tous dans la même situation : nous cherchons à comprendre et
non pas à accuser.
Nous avons entendu parler ici des graisses, des suifs, etc. incorporés
dans les aliments d'allaitement. En tant que professionnel, pensez-vous que ce
pourrait être une explication sur les races allaitantes ?
M. Alain Glon
- Croyez-vous que beaucoup de matières grasses
(destinées à la fabrication des aliments pour veaux) aient
été importées de Grande-Bretagne ?
M. le Rapporteur
- Avant 1996 (la date fatidique du retrait des
matériaux à risques spécifiés) les farines ou les
co-produits animaux n'étaient pas sécurisés.
M. Alain Glon
- A ma connaissance, il n'y a jamais eu d'importations de
matières grasses animales en provenance de Grande-Bretagne car les
données du marché ne les justifiaient pas.
Que la graisse soit en cause, pourquoi pas, mais d'où provient la
contamination de cette graisse ?
M. le Rapporteur
- Des animaux recyclés avant 1996.
M. Alain Glon
- Vous laissez donc entendre qu'il y avait en France
beaucoup de vaches folles.
M. le Rapporteur
- Il y en avait.
M. Gérard César
- Comment expliquez-vous que les farines
françaises n'étaient pas saines ?
M. Alain Glon
- Les procédés de traitement
pratiqués en France, en Grande-Bretagne et dans d'autres pays
étaient les mêmes puisque les Anglais appelaient cela le «
procédé français » extrapolé de la fabrication
des farines de poisson. En raison de l'atténuation de l'intensité
du traitement et des mutations d'espèces (Mme Brugere-Picoux
pourrait vous en parler mieux que moi) il s'est passé certaines choses.
En Suisse, le nombre de cas d'ESB est important alors qu'ils n'ont
importé que 7 tonnes de farines de viande de Grande-Bretagne et quelques
dizaines de milliers de tonnes de France.
C'est un peu comme pour Tchernobyl, les prions respectent les
frontières. Des situations simples doivent être observées.
M. le Rapporteur
- Vous dites que les Anglais appelaient cela la «
méthode française », or en 1987/1988 les Pouvoirs Publics
français avaient alerté les fabricants d'aliments en leur
indiquant que les conditions de fabrication des farines anglaises ne
répondaient pas aux critères utilisés en France et
recommandés. Il était conclu et recommandé la plus grande
prudence.
D'après ce que j'ai lu, le process de fabrication des farines anglaises,
abaissant les 3 paramètres, relevait plutôt d'un brevet
américain. Contredisez-vous cela ?
M. Alain Glon
- C'est le procédé Stord bartz system mais
le même était également utilisé en France.
M. le Rapporteur
- C'était un brevet américain qui a
été pratiqué en France.
M. Alain Glon
- Le terme de « brevet » américain est
trop fort. Des fabricants de matériels en France ont reproduit les
mêmes équipements.
Des commissions ont circulé dans un certain nombre
d'équarrissages français et ont fait des constats pour
vérifier quelles étaient les méthodes appliquées.
M. le Rapporteur
- Vous êtes ferme : à partir de 1983,
date du choc pétrolier, la compression des coûts fixes a conduit
à une diminution de l'utilisation du pétrole pour chauffer les
farines aussi fort et aussi longtemps.
M. Alain Glon
- Oui. Tout cela nous interpelle et je pense que des
experts ont réalisé des tests, en laboratoire, pour savoir
jusqu'où il était possible de baisser l'intensité du
traitement tout en satisfaisant à la norme réglementaire
(campilobacter et salmonelles), en ignorant la présence du prion.
Quand on se rend dans un équarrissage à 2 ou 3 heures du matin,
on devient prudent sur la possibilité de transposer à l'usine ce
qui se passe dans le laboratoire. Si la Communauté a imposé le
chauffage à 133° pendant 20 minutes à une pression de 3
bars, elle a également précisé qu'aucun morceau ne devait
dépasser 10 mm de côté. En effet, la présence d'un
caillou peut percer une grille de broyeur et si un morceau plus gros passe,
alors que la pression n'est plus la même, je ne suis pas certain que le
produit soit traité à coeur.
Il y a probablement eu trop de certitudes scientifiques transposées dans
un univers qui n'avait rien à voir.
M. Gérard César
- Quelles sont les commissions ayant
visité des équarrissages ?
M. Alain Glon
- C'était pratiqué en plein jour. Nous en
avons parlé avec le professeur Dormont et nous sommes allés en
visiter. C'est un métier comme un autre.
M. Gérard César
- Concernant le process américain,
avez-vous des documents à nous remettre ?
M. Alain Glon
- Non.
M. Gérard César
- Ce n'est pas un brevet mais plutôt
un process.
M. Alain Glon
- Nous n'avons pas de documents car nous ne sommes pas
équarrisseurs.
M. Gérard César
- Vous travaillez avec eux.
M. Alain Glon
- Oui.
M. Gérard César
- Concernant la concurrence entre les
fournisseurs d'aliments, il semble que certains cas déclarés dans
les élevages révèlent qu'ils avaient été
alimentés par plusieurs fournisseurs d'aliments au cours des
années passées.
Y a-t-il eu une guerre des prix entre les fournisseurs d'aliments et, si oui,
quelles sont les raisons ayant permis à certains de baisser leurs prix
d'aliments ?
M. Alain Glon
- La compétition existe tous les jours. Nous sommes
dans des activités où la marge n'est que de 1 %. Je ne peux
pas appeler cela une guerre des prix ; il s'agit d'une concurrence
permanente comme entre tous commerçants. Je ne crois pas que certains
aient pu baisser leurs prix.
M. Gérard César
- Concernant les équarrisseurs,
vous indiquiez qu'à votre connaissance ils avaient un grand commerce
européen. Avez-vous eu des doutes ou des inquiétudes suffisamment
tôt sur l'origine des produits qu'ils commercialisaient auprès des
fournisseurs d'aliments ?
M. Alain Glon
- La géographie prime en la matière. Les
coûts de transport sont tels qu'en règle générale
l'approvisionnement vient d'un équarrissage voisin.
Quand les prix deviennent anormalement élevés par rapport aux
autres pays de la communauté, les fabricants d'aliments situés
à proximité des frontières se fournissent à
l'étranger. Pour le reste, c'est la loi du marché.
Nous n'avons pas eu de doute spécifique, hormis sur la volonté de
cacher leur existence.
M. Georges Gruillot
- Concernant les importations de farines pour les
Suisses, il s'agit de 7 tonnes provenant d'Angleterre. Or, d'autres personnes
auditionnées ici nous ont indiqué qu'il s'agissait d'un chiffre
bien plus élevé.
Sur quelle base pourrait-on s'appuyer pour avoir un chiffre correspondant
à la réalité ?
M. Alain Glon
- Sur les statistiques des douanes suisses.
M. Georges Gruillot
- Les Suisses ont-ils toujours importé
beaucoup de farines de viande, notamment de France ?
M. Alain Glon
- De France, oui.
M. Georges Gruillot
- Il y a 20 ou 25 ans, dans mon propre
équarrissage les farines produites n'étaient achetées que
par les Suisses car personne en France n'en voulait. Le chiffre de 7 tonnes me
semble faible.
M. Alain Glon
- C'était essentiellement pour fabriquer des
médicaments.
M. Georges Gruillot
- Pour l'alimentation, ne sont-ils pas passés
par la Belgique, la Hollande ou l'Allemagne ?
M. Alain Glon
- Je dispose de statistiques d'importations suisses ;
il suffit de les demander aux autorités suisses.
Le document que je vous présente indique : « 122 -
Grande-Bretagne - 75 kilogrammes ».
M. le Rapporteur
- Ce sont des farines ?
M. Alain Glon
- C'est la même rubrique douanière, ce qui
explique la complexité. Ces importations étaient destinées
à la fabrication de médicaments.
Pourquoi SANOFI a-t-il racheté SARIA Industries ?
M. le Président -
SARIA Industries n'est-il pas allemand ?
SANOFI est la filiale d'ELF.
A force de sous-entendus dans tous les domaines, nous en arrivons à ne
plus rien comprendre. J'aimerais que vous parliez clairement dans tous les
domaines et que vous alliez jusqu'au bout de vos phrases. Ce n'est pas une
accusation mais une constatation ; je vous demande de la clarté.
M. Alain Glon
- En 1973 les Etats-Unis ont mis un embargo sur le soja et
le Président Georges Pompidou a affirmé qu'il faudrait se passer
de ce produit. Cela ne se passera pas ainsi et le prix des farines animales a
beaucoup augmenté puisqu'il s'agit d'une protéine en
compétition avec le soja.
A l'époque, le Plan protéines a été
institué. Claude Calet indiquait que « les rognures
ramassées au bord des assiettes pourraient procurer une grande
quantité de viande ». Cela a d'ailleurs été fait plus
tard puisque dans les ateliers de découpe il ne s'agit que de cela.
A partir de cette date, l'Etat français a commencé à
racheter très cher les équarrisseurs qui étaient des
entreprises familiales. Elles ont été rachetées par deux
Groupes, EMC, pour fabriquer de la gélatine, et SANOFI, pour les
médicaments. Ces entreprises sont restées très longtemps
la propriété de l'Etat jusqu'à ce qu'elles soient vendues
à une société allemande. Elles ont été
ensuite rapidement revendues à un équarrisseur allemand qui est
donc propriétaire de SARIA Industries. C'est aujourd'hui allemand, mais
c'est récent.
La Suisse accusait la France de ne pas l'avoir prévenue suffisamment
tôt et des entreprises suisses ont continué à fabriquer des
médicaments avec des organes qui n'étaient peut-être pas
sans risques.
M. le Président -
Méfiez-vous de vos propos. Quand vous
parlez de médicaments, je n'imagine pas qu'ils puissent contenir des
farines animales.
M. Alain Glon
- Il ne s'agit pas de farines animales mais de glandes
bovines. Ceci explique les faibles quantités achetées à la
France pour fabriquer des produits pharmaceutiques.
M. le Président -
Je vous remercie de nous procurer une
photocopie du document concernant les importations suisses.
Merci d'être venu témoigner de ce qui s'est passé dans
votre entreprise, comme dans d'autres, et d'avoir fourni le maximum de
renseignements.
M. Gérard César
- Les articles de presse nous
intéressent également.
Audition de Mme Marie-José NICOLI, Présidente de l'UFC-Que
Choisir ?
(14 février 2001)
M.
Gérard Dériot, Président -
Merci d'avoir
répondu à notre invitation. Je rappelle que vous êtes
Présidente de l'Union Française des Consommateurs - Que Choisir
et que vous êtes entendue dans le cadre d'une commission d'enquête
du Sénat sur les farines animales et sur les conséquences que
cela a entraîné avec la propagation de l'ESB.
Comme dans toute commission d'enquête, vous devez témoigner sous
serment. Je vais vous lire la note officielle et je vous demanderai ensuite de
prêter serment.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à Mme
Nicoli.
M. le Président -
Nous vous demandons de donner votre opinion sur
ce problème et nous vous poserons ensuite des questions.
Mme Marie-José Nicoli
- Mon intervention sera partagée en
deux. Dans la première partie je ferai ressortir tous les manquements et
le manque de rigueur d'un certain nombre d'Etats, notamment l'Angleterre, la
France et l'Union Européenne, à travers des exemples que je vous
fournirai.
Il est important de revenir en arrière sur ce point qui doit nous servir
de leçon pour les prochaines années. Il est possible d'être
plus fermes qu'il y a 15 ans en raison du recul et des connaissances nouvelles.
Cela signifie toutefois qu'il a existé beaucoup de laxisme dans des
décisions qui ont été prises tardivement, etc.
Aujourd'hui, le dossier des farines animales cristallise la peur alimentaire
des consommateurs, parfois à tort d'ailleurs pour une partie des farines
animales françaises qui auraient encore pu être données aux
porcs et aux volailles si les problèmes de contaminations
croisées n'existaient pas.
L'Angleterre connaît des problèmes d'alimentation des bovins avec
des farines animales depuis septembre 1979. A cette époque, un rapport
très officiel, le rapport Zukerman indiquait qu'il existerait des
problèmes pour l'homme avec la propagation d'agents infectieux provenant
de cette alimentation. Je pourrai vous transmettre ce rapport.
Le Gouvernement anglais était informé mais il n'a pas
réagi.
En 1981/1982 les procédés technologiques (que je ne vous
rappellerai pas) ont été modifiés par les fabricants de
farines animales anglaises. Il faut le répéter : baisse du
chauffage et suppression de solvants ; de ce fait, le prion n'était
pas supprimé des farines.
Le Royaume-Uni a quand même été informé, en juin
1987, de l'existence de la maladie de l'ESB et n'a pris les premières
mesures qu'en juillet 1988.
A cette date, l'interdiction de nourrir les bovins avec des protéines
provenant de ruminants a été rendue obligatoire mais elle n'a pas
été complétée d'une interdiction d'exportation.
Cela signifie que l'Angleterre, qui considérait que ses produits
étaient dangereux pour les ruminants, les a vendus en grande
quantité à partir de cette période. Tout le monde
connaît tous les chiffres des exportations de farines animales anglaises.
Par exemple, pour la France, les importations ont été
doublées en 1989 par rapport à 1988 ; les prix étant
très bas, c'était très intéressant pour les
fabricants d'aliments.
En 1989, la France a importé 16 000 tonnes de farines provenant du
Royaume-Uni.
En Grande-Bretagne, l'interdiction de consommation humaine d'abats date de
1989. Or, jusqu'en 1992 l'importation d'abats a été très
importante et elle a même été multipliée par 15 en
France. Les Anglais précisent que ces abats ne contenaient pas
forcément des cervelles contaminantes et qu'il s'agissait d'autres
abats. Toutefois, nous ne pouvons que constater la montée en puissance
des importations.
Le Royaume-Uni n'a réellement déclaré l'existence d'un
danger en contamination humaine qu'en mars 1996, ce qui est très tard
par rapport à tout ce qui a été fait durant les
années précédentes.
Tout le monde sait aujourd'hui que le développement de
l'épizootie au niveau européen, voire international, est dû
à la responsabilité des fabricants de farines animales anglaises,
mais ils n'ont jamais été sanctionnés. C'est un point que
nous considérons inadmissible et nous avons déposé une
plainte auprès de la Commission européenne en juillet 1999 pour
l'ensemble des consommateurs français et européens.
Les produits alimentaires sont industrialisés et en 48 heures partent
d'un endroit pour aller à l'autre bout de l'Europe. Il n'est donc pas
possible de ne pas protéger juridiquement les consommateurs sur les
problèmes de certains aliments fabriqués dans tel État
membre et provoquant des problèmes sur les consommateurs d'un autre
État membre.
Nous sommes les seuls à avoir déposé une plainte il y a
plus d'un an, en juillet 1999, auprès de la Commission
européenne. Elle a essayé de la classer l'année
dernière, durant une période plus calme, mais nous l'avons
réactivée.
La Commission européenne est très ennuyée car, depuis, le
rapport de Lord Phillips confirme tous les manquements soulignés dans
notre plainte au niveau communautaire.
Nous ne savons pas ce que deviendra cette plainte, mais pour l'instant la
Commission européenne fait profil bas. La classer signifierait qu'elle
« passe l'éponge » sur tout ce qui a été fait au
Royaume-Uni ; poursuivre l'action devant la Cour européenne
tendrait à reconnaître, d'une certaine manière, sa propre
responsabilité durant la période en question.
Tout ceci permet de relever un certain nombre de manquements au Royaume-Uni.
En France, des mesures ont été prises. La suppression des farines
animales chez les bovins en 1990 est une bonne mesure. La deuxième
mesure positive est celle du retrait des cadavres et des matériaux
à risques en juillet 1996 ; c'est même la mesure la plus
importante. Au début de l'année 1998, la France s'est mise aux
normes pour le chauffage des farines animales.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Seulement en 1998 ?
Mme Marie-José Nicoli
- La Commission européenne a
procédé à plusieurs avertissements et il a
été nécessaire qu'elle menace la France d'une
procédure pour que ce soit mis en oeuvre début 1988. J'ai
d'ailleurs assisté à une réunion à la DGAL sur ce
sujet.
M. le Président -
Il s'agissait des équarrisseurs.
Mme Marie-José Nicoli
- Oui, mais les fabricants d'aliments
étaient également présents.
M. le Rapporteur
- Cette précision est importante. Les fabricants
étaient d'accord mais les équarrisseurs ne mettaient pas en
oeuvre le procédé.
Mme Marie-José Nicoli
- Pour les équarrisseurs, si les
matériaux à risques étaient supprimés, ils
chauffaient mais pas dans les conditions demandées par la directive
européenne. Suivant l'avis d'un certain nombre de scientifiques
(notamment anglais) précisant que même à 133°,
à 3 bars et pendant 20 minutes le prion ne disparaissait pas
obligatoirement, les équarrisseurs considéraient que leur
chauffage suffisait puisque les matériaux à risques
étaient supprimés.
C'est la raison de ce refus et cette demande précise de la Commission
européenne a été nécessaire début 1998. On
peut estimer que la conformité n'a pas eu lieu avant la mi-1998.
Par ailleurs, il faut préciser certaines dispositions prises par la
France qui, avec le recul, nous semblent assez légères.
Début 1989, la France a importé massivement des farines
britanniques. Un avis aux importateurs, le 13 août 1989, paru au Journal
Officiel et confirmé par une note en décembre 1989,
précise l'exclusion pour les bovins de tout produit composé de
farines animales britanniques. En 1989, on pouvait continuer à donner
des farines animales françaises aux bovins mais plus de farines
britanniques.
Il s'agissait seulement d'un avis aux importateurs et non pas d'un
décret ou d'un arrêté. Je tiens ces documents à
votre disposition. Ils sont le reflet d'une enquête et le travail d'un an
d'investigations pour un journaliste. Je dois vous donner ces informations qui
ne seront publiées que dans quelques jours.
En outre, il existait une possibilité de dérogation, pour les
fabricants d'aliments, d'importer ces farines anglaises. Il leur suffisait
d'établir une déclaration sur l'honneur pour obtenir une
dérogation des Services Vétérinaires. Ce type de
déclaration ne signifie pas grand-chose.
Depuis 1989, il était interdit de donner ces farines aux bovins mais
elles pouvaient être importées et utilisées pour les porcs
et les volailles. Aucun décret, aucun arrêté, aucune
circulaire n'a été publié par les autorités
françaises pour interdire définitivement les importations de
farines britanniques. Il s'agit seulement d'un message sur minitel du
ministère de l'Agriculture aux Services Vétérinaires,
daté du 5 février 1990 et référencé SVSPA97,
pour mettre fin au système de dérogation pour les porcs et les
volailles. Je dispose de ce document et je pourrai vous le remettre.
A partir de 1990, il a été interdit de donner toutes farines aux
bovins mais début 1990 d'énormes quantités de farines
animales (provenant du Danemark, d'Irlande, de Belgique) destinées aux
porcs et aux volailles ont été importées en France. En
effet, jusqu'en 2000 en France les porcs et les volailles pouvaient consommer
des farines animales. On peut se demander si ces farines importées ne
sont pas des farines anglaises recyclées ayant transité par ces
pays.
M. le Rapporteur
- Vous dites : « On peut se demander ».
Vous avez des suspicions mais pas de confirmations ou de preuves.
Mme Marie-José Nicoli
- On peut faire un rapprochement entre, par
exemple, les quantités de farines animales que la Belgique pouvait
produire. Pour chaque État membre, on sait à peu près
quelles quantités de farines animales peuvent être produites
à partir de son cheptel. Dans ce cas précis, on constate que la
Belgique, l'Irlande et le Danemark importaient et exportaient. Il existe donc
des suspicions et il serait sans doute possible de recouper des chiffres.
M. le Rapporteur
- Votre association l'a-t-elle fait ?
Mme Marie-José Nicoli
- Je crois que notre journaliste l'a fait
et cela paraîtra dans le prochain Que Choisir.
Les farines animales ont été supprimées en France et en
Europe quelques mois après, à savoir depuis le 1er janvier 2001.
Des Etats membres avaient l'interdiction d'utiliser les farines. Or, depuis
1996, date à laquelle nous avons pris cette décision, d'autres
Etats membres continuaient à donner des farines carnées aux porcs
et aux volailles alors que les matériaux à risques
n'étaient pas retirés ; ils n'ont été
supprimés qu'en octobre 2000.
En France, il a pu exister des contaminations croisées avec des farines
importées, par exemple avec des aliments contenant des farines venant
d'Allemagne, puisque l'Allemagne a attendu octobre 2000 pour supprimer les
matériaux à risques.
Pour l'instant, les cas d'ESB ne dépassent pas l'année 1996. On
peut penser que les contaminations croisées peuvent provenir de farines
françaises, mais j'ai quelques doutes sur ce point car elles
étaient propres depuis 1996.
La décision de juillet 1996 de supprimer les matériaux à
risques n'a vraiment été mise en application qu'à la fin
de l'année. On peut considérer que l'on pourra se poser de
réelles questions pour les animaux nés en 1997 et 1998. Pour
l'instant, il n'y en a pas ; je pense qu'à la fin du second
semestre 2001 nous devrions constater une diminution des cas d'ESB grâce
aux différentes mesures qui ont été prises.
Au niveau communautaire, je ne reviendrai pas sur le sujet. Concernant les
farines telles qu'elles sont aujourd'hui, que pouvons-nous en faire ?
Pour leur destruction, nous pensons qu'il existe des propositions pour en
incinérer une partie mais aussi pour fabriquer des produits inertes. Il
faut développer cette recherche car l'incinération en France nous
obligerait à multiplier par trois nos systèmes
d'incinération. Ce serait assez long en raison des demandes et des
procédures, au niveau de l'environnement, qui nécessiteront des
mois ou des années.
Nous pensons qu'il peut exister des débouchés sur des
matériaux dont il a été question dans la presse. Des
produits nous ont été présentés et si des
scientifiques peuvent nous donner leur avis pour que ces matériaux
puissent être utilisés, cela diminuera les quantités
à incinérer. Par ailleurs, cela permettrait d'avoir moins de
pollution et de valoriser ces farines.
S'agissant de ces farines qui ne servent plus du tout à l'alimentation
(je pense que ce sera définitif) actuellement on chauffe celles qui sont
les moins contaminantes et on ne chauffe pas celles qui sont les plus
contaminées. C'est un paradoxe et c'est assez étonnant. Je ne
sais pas s'il est normal que l'on ne chauffe pas toutes les farines, tant
celles à hauts risques que celles à bas risques.
M. le Rapporteur
- Qu'appelez-vous les farines à bas ou hauts
risques ? Il me semble que les MRS sont retirés.
Mme Marie-José Nicoli
- Les farines à bas risques sont
celles qui étaient données aux porcs et aux volailles il y a
encore quelques mois. Il s'agissait de farines composées de carcasses
d'animaux dont nous mangeons la viande, où l'on avait retiré les
matériaux à risques. Cette farine continue à être
chauffée. Les farines à hauts risques, composées de tous
les matériaux à risques (saisies d'abattoirs, cadavres, etc.) ne
sont pas chauffées.
M. le Rapporteur
- Cela va directement à l'incinération.
Mme Marie-José Nicoli
- Il existe un travail de manipulation, de
transport, etc.
On pouvait comprendre, il y a quelques mois, que les farines à bas
risques soient chauffées puisqu'elles allaient à l'alimentation
alors que l'on ne se préoccupait pas trop du reste. Actuellement, c'est
un paradoxe puisque toutes ces farines ne doivent normalement plus aller
à l'alimentation.
Il existe un problème dans la gestion de ces farines et dans leur
dénomination : s'agit-il de déchets, jusqu'à quand
sont-elles considérées comme déchets, à partir de
quand deviennent-elles des matériaux pouvant être
valorisés ?
C'est important car la démarche n'est pas la même pour les
citoyens et pour les associations de consommateurs ou de l'environnement. Les
déchets peuvent être surveillés jusqu'à la fin. Pour
ce qui n'est pas considéré comme déchets, comme cela se
passe actuellement dans les départements, des CLI (Comités Locaux
d'Information, et non pas de surveillance,) sont mis en place. S'il s'agissait
de déchets, ce seraient des CLIS, Comité Locaux d'Information et
de Surveillance. Ce n'est pas exactement la même chose et il me semble
que cette question devrait être réglée assez rapidement
pour que nous sachions exactement à quoi nous en tenir.
Je précise que j'ai eu le courage d'indiquer que toutes les mesures
prises ces derniers mois (les moratoires, les interdictions, les changements de
réglementation, etc.) ne changeront rien à l'évolution de
l'épidémie pour les bovins, notamment en France. Si elle doit
s'éteindre dans le deuxième semestre et aller en diminuant, ce ne
sera pas grâce aux dernières mesures prises mais plutôt
grâce à celles prises avant, à savoir en 1996, etc.
Par ailleurs, cela ne changera rien pour les êtres humains car les cas de
maladie de Creutzfeldt-Jakob sont en incubation pour un certain nombre de
personnes. Cette maladie a été contractée il y a 10 ou 15
ans et non pas ces derniers mois. J'espère que nous n'aurons pas
beaucoup de cas mais actuellement plus de 90 cas ont été
recensés : 88 ou 89 en Grande-Bretagne, 3 en France, 1 en Irlande.
Il est à espérer que nous n'irons pas très loin dans ces
chiffres, du moins pour les humains.
Aujourd'hui, nous payons, et nous payerons encore, le manque de
décisions prises entre 1986 et 1996. Il est important de le dire.
En tant qu'UFC, nous avons déposé une plainte et nous sommes
partie civile dans environ 12 affaires concernant les farines animales. Au
niveau communautaire, fin juin 1996 nous avons déposé une plainte
auprès du juge Boizette, avec d'autres organismes, pour essayer d'avoir
une bonne information sur les farines.
Depuis, nous sommes partie civile dans un certain nombre de procédures.
La dernière est celle déclenchée par les familles dont un
membre ou un proche a été victime de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob. Nous agissons comme nous l'avons fait pour les
problèmes rencontrés avec l'hormone de croissance il y a quelques
années.
Je précise que j'étais chez le juge Boizette il y a environ un
mois et demi ; l'affaire n'avait pas beaucoup évolué. Mme
Boizette nous a indiqué qu'elle avait eu d'autres occupations pour la
mise en place du pôle financier et que le reste était moins
important ; du moins, elle n'avait pas pu faire progresser ce dossier.
M. le Rapporteur
- Cela signifie-t-il que les moyens actuellement mis en
place par le Gouvernement pour la justice sont insuffisants dans ce domaine,
comme dans d'autres ?
Mme Marie-José Nicoli
- Oui, mais ce n'est pas nouveau. Cela se
démontre facilement, mais Mme Boizette le dit également. La
plainte que nous avons déposée, ainsi qu'un certain nombre de
professionnels ou d'autres organismes, l'a été au titre de la
tromperie et de la falsification ; de ce fait, il n'a été
possible que de remonter sur trois ans avant son dépôt, soit de
1993 à 1996. Or, les années importantes sont situées entre
1988 et 1993. Mme Boizette nous a indiqué que si la partie civile
voulait contourner cette prescription il fallait remettre des
éléments nouveaux.
Les autres procédures sont en cours. Concernant celle sur
Creutzfeldt-Jakob, c'est différent car nous nous joignons à la
plainte pour empoisonnement et homicide involontaire ; dans ce cas, il est
possible de remonter aussi loin qu'on le souhaite car il n'existe pas de
problèmes de prescription.
L'affaire des farines animales, notamment en France, montre qu'une
réglementation a été prise en 1996 (matériaux
à risques et cadavres supprimés des farines animales) en
s'appuyant sur des avis de scientifiques. Or, rien n'a bien fonctionné
à cause de partenaires (qui sont plus sur le terrain) tels que les
fabricants de farines animales, les stockeurs ou les transporteurs.
C'est une leçon à retenir car il existait des farines animales
propres (que l'on peut considérer comme propres dès l'instant
où elles avaient bien été nettoyées), mais les
circuits de fabrication et de transport, entre l'alimentation des porcs, des
volailles et des bovins, n'étant pas étanches, et il a
été nécessaire de supprimer ces farines. Les pratiques sur
le terrain n'étaient pas en adéquation avec la
réglementation.
Je crois qu'à l'avenir il faudra, dans la gestion d'un risque, prendre
en compte tous les acteurs d'une filière. Les Pouvoirs Publics ont fait
une réglementation qui leur convenait, les politiques ont
considéré qu'elle était bonne, mais cela n'a pas suivi sur
le terrain en raison d'un manque de contrôleurs. Par ailleurs, il
était impossible de mettre un gendarme derrière chaque acteur de
cette filière pour contrôler ce qu'il faisait.
C'est un point extrêmement important, d'autant plus important que la
gestion du risque relève d'un Gouvernement ou des politiques ; on
ne doit pas simplement se cacher ou indiquer que l'on a bien travaillé
en établissant une réglementation reprenant un avis scientifique.
Il faut prendre en compte tout ce qui se trouve en aval et n'a pas bien
fonctionné. Concernant des décisions au niveau de la gestion du
risque, il faut aussi travailler sur le terrain.
M. le Rapporteur
- Vous affirmez, et nous partageons largement votre
analyse, qu'à partir de 1996 les mesures prises ont
généré une meilleure sécurité et
sûreté alimentaire pour les consommateurs.
Mme Marie-José Nicoli
- Oui. Toutefois, la mesure prise en 1990
concernant la suppression des farines animales chez les bovins est
également importante ; il me semble toutefois qu'elle n'a pas, sur
le terrain, été appliquée complètement car à
cette époque peu de personnes se questionnaient sur la transmission de
cette maladie à l'être humain.
Je vous rappelle qu'en 1991, trois pays ont mis un embargo sur la viande
britannique (l'Italie, la France et l'Allemagne) mais il n'a pas tenu 48
heures. En effet, sous la pression des Anglais et du Commissaire de
l'époque, l'embargo a été levé à condition
que les Anglais mettent en pratique toutes les mesures qui ont
été reprises en 1996 et qui n'ont pas été mises en
application en 1991.
Si l'embargo avait été maintenu, avec des contraintes importantes
telles que celles imposées en 1996, l'épidémie aurait sans
doute été moins importante en Angleterre et il aurait
été possible de limiter les dégâts dans les autres
États membres et au niveau international. En effet, s'agissant des
chiffres de ventilation des exportations de farines animales anglaises, on
constate que beaucoup de pays dans le monde en ont acheté car elles
étaient à très bas prix. Des pays comme la Chine prennent
actuellement des mesures pour essayer de se préserver.
M. le Rapporteur
- Partagez-vous l'inquiétude, au-delà de
la problématique des farines, de Mme Brugère-Picoux concernant
l'importation et la consommation importante d'abats en provenance d'Angleterre
jusqu'en 1996 et avez-vous des commentaires à faire sur ce point ?
Mme Marie-José Nicoli
- Les Anglais ont été
capables d'exporter des farines animales auxquelles ils donnaient le nom de
« poison » chez eux. Je pense que dans les importations d'abats en
France, qui ont été multipliées par 15 dans la
période critique (Mme Brugère-Picoux vous a sans doute remis des
chiffres), on devait trouver des abats contaminants qui ont servi pour des
plats cuisinés, pour les liants de certains steaks hachés qui
n'étaient pas pur boeuf, etc.
M. le Rapporteur
- Nous avons quelques difficultés à
connaître le cheminement de l'ensemble des abats. Votre association,
à partir des tonnages importés en France, peut-elle nous procurer
des informations sur la ventilation et la destination de ces 47 000 tonnes
d'abats entre 1988 et 1996 ?
Mme Marie-José Nicoli
- Non.
M. le Rapporteur
- Où pourrions-nous trouver ces
informations ?
Mme Marie-José Nicoli
- Chez les importateurs qui ont revendu ces
abats ; ils ont été importés et ensuite
ventilés dans des entreprises qui devaient fabriquer des plats
cuisinés, etc. Il s'agit de documents qui peuvent être saisis par
une commission rogatoire faite par un juge.
Ces abats ont été importés et seuls les importateurs
peuvent indiquer comment ils ont été ventilés, du moins si
l'on retrouve les documents à ce sujet. C'est un point très
important car si l'on découvre d'autres cas de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob en France, cela risque de concerner des personnes
relativement jeunes qui auront été contaminées par des
petits pots pour bébés ou des hamburgers, à savoir des
steaks hachés qui ne sont pas pur boeuf.
M. le Rapporteur
- Vous confirmez l'incorporation de petits pots pour
bébés jusqu'en août 1992.
Mme Marie-José Nicoli
- Oui, ensuite une autre
réglementation a pris des dispositions à ce sujet.
A cette époque, pour beaucoup de Français, à quelque
niveau qu'ils soient, les problèmes alimentaires n'étaient pas
une priorité. Nous avons, depuis 1989, donné une information sur
l'ESB et des articles dans Que Choisir, publiés depuis cette date,
faisaient régulièrement état des cas d'ESB en
Grande-Bretagne. Nous avions même une interview de Mme
Brugère-Picoux qui, à l'époque, indiquait qu'il fallait
faire attention et qu'il y aurait des problèmes.
Nous avons même publié (cela figure dans le dossier) la lettre qui
avait été adressée par M. Castille à l'UFC
concernant le fait que la Commission étouffait quelque chose
d'important. La publication de ces extraits, en 1991, n'avait pas
soulevé des « montagnes » et pas un journaliste n'avait
relevé le sujet. Cela n'a été repris qu'en 1996, quand il
a été indiqué que cette maladie pouvait être
transmise à l'être humain.
Auparavant, quand des informations étaient données cela ne
provoquait pas la Une des journaux comme c'est le cas depuis quatre ans en
France.
M. le Rapporteur
- Vous parliez de trois cas reconnus (ou deux cas et un
cas possible de nouvelle variante) de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
Avez-vous eu des contacts ou des rapports avec l'Institut de veille sanitaire
ou des épidémiologistes pour imaginer quelle serait la situation
à l'horizon 2020/2040 ?
Mme Marie-José Nicoli
- Non, car les déclarations sont
effectuées avec de telles fourchettes qu'elles ne servent à rien.
Quand on dit qu'il pourrait y avoir entre 30 000 et 150 000 cas, cela
signifie que personne ne sait rien précisément.
Malheureusement, il faut attendre et avoir beaucoup de rigueur et d'attention
dans les hôpitaux, pour que le système
d'épidémio-surveillance fonctionne bien, et faire la
différence entre une maladie de Creutzfeldt-Jakob « normale »
et la nouvelle variante.
M. le Rapporteur
- Le corollaire indispensable de la sûreté
alimentaire s'avère être l'étiquetage et la
traçabilité. On sait quelle était la teneur de l'accord
interprofessionnel conclu en 1997.
La proposition récente de la Commission européenne, que vous avez
dénoncée le 18 juillet dernier, nous laisse penser, suite
à l'entretien que nous avons eu la semaine dernière avec le
Commissaire Fischler, qu'il y a de la part de certains pays, notamment toujours
de l'Angleterre, un lobbying très fort des pays qui ne sont pas
prêts en matière d'identification des bovins (de
traçabilité) à adopter la position française qui
était, à juste titre, maximaliste. Quelles seront vos
actions ?
Mme Marie-José Nicoli
- Nous demandons que les consommateurs
boycottent les viandes bovines qui n'indiqueront pas l'origine, le type racial
et la catégorie.
Actuellement, nous faisons pression auprès de l'interprofession pour
qu'ils reprennent cet accord interprofessionnel.
M. le Rapporteur
- Quelles sont les réponses ?
Mme Marie-José Nicoli
- Les éleveurs sont d'accord mais le
milieu de filière (les industriels et les abatteurs) n'est pas
d'accord ; il estime que la réglementation communautaire est trop
compliquée.
M. le Rapporteur
- Avez-vous des échanges de courriers à
ce sujet ?
Mme Marie-José Nicoli
- J'étais présente à
leur congrès de la Fédération nationale bovine. Il en a
été question longuement en tribune et M. Spanghero et
M. Toulis ont pris l'engagement de signer cet accord interprofessionnel.
Depuis, ils ont certainement changé d'avis.
M. le Rapporteur
- Les éleveurs sont d'accord mais les
professionnels de la première transformation ne le sont pas.
Mme Marie-José Nicoli
- La grande distribution et les bouchers
sont d'accord avec nous pour garder l'information. Toutefois, depuis quelques
semaines la DGCCRF fait des enquêtes dans les magasins et verbalise les
enseignes ou donne des avertissements. Les textes qui sont envoyés
à la grande distribution indiquent que s'il faut choisir, il faut
retenir l'étiquetage européen, qui est obligatoire, alors que
l'étiquetage français ne l'est pas.
La DGCCRF verbalise si le règlement européen n'est pas
appliqué et dissuade la grande distribution et les bouchers de continuer
à mettre l'étiquetage français. Or, celui-ci est fortement
demandé par les consommateurs et touche vraiment le produit.
Je ne vous apprendrai pas quelles informations peuvent apporter ces trois
éléments alors que le numéro d'atelier de découpe
ou d'abattage ne signifie rien pour le consommateur. Il est évident que
cela facilite le travail des Pouvoirs Publics, des relations entre
professionnels, mais le consommateur est complètement oublié de
ce processus.
M. le Rapporteur
- Sans déflorer ce que seront nos
recommandations au travers de ce rapport, cela pourra faire partie, quand nous
travaillerons sur les conclusions, de l'une des recommandations fortes.
Mme Marie-José Nicoli
- Aujourd'hui, les consommateurs sont de
plus en plus informés ; il ne se passe pas un jour sans qu'un
article de presse sur la vache folle soit publié. Les consommateurs ont
donc leur propre idée sur ce dossier. Quand ils se rendent dans un
magasin, une étiquette mentionnant le type racial (laitier ou race
à viande) a une signification pour eux.
De plus, dans les catégories, actuellement le consommateur est en train
de payer le prix des tests et de la taxe d'équarrissage que la grande
distribution a reportés sur le prix du kilo de viande. Nous sommes
à 6 % à 10 % d'augmentation des prix ; on va
diminuer l'information sur l'étiquetage et, de plus, des informations
prennent aujourd'hui du relief.
Par exemple, concernant le jeune bovin, qui est une bête tuée
avant 24 mois, son prix ne doit pas augmenter car le test ne doit pas
être appliqué sur cette viande. Or, certains l'appliquent sur
toutes les viandes.
Il faut également tenir compte de l'origine : actuellement, il est
préférable de manger de la viande française plutôt
que de la viande allemande.
Il y a peu de temps, des éleveurs sont allés dans une
restauration collective. Ils ont trouvé beaucoup de viandes allemande et
espagnole mais peu de viande française. La viande française
était étiquetée mais les autres viandes ne
l'étaient pas.
M. le Rapporteur
- Je me suis permis de vous adresser récemment
un courrier sur ce point car je pense qu'il est fondamental. Si l'on veut
rétablir la confiance du consommateur, cela doit commencer par ce point.
Mme Marie-José Nicoli
- J'en ai récemment parlé
à M. Glavany qui indique que la France a insisté pour une
réglementation communautaire. Maintenant, il n'est pas possible de
revenir sur ce point en indiquant qu'elle ne convient pas et qu'il faut faire
autre chose.
Nous n'aurons pas beaucoup d'aide de ce côté, mais cela peut
changer.
M. le Rapporteur
- Si ce n'est que relever le niveau d'informations au
niveau communautaire.
Mme Marie-José Nicoli
- Il faut changer certains
éléments. Une étiquette n'est pas un « roman »
et il n'est pas possible d'y présenter 50 indications. De ce fait, un
choix doit être fait. Nous avons choisi, car le numéro d'atelier
et le numéro d'abattoir ne nous intéressent pas. Il semble que le
numéro d'identification de l'abattoir permet de connaître tous les
autres numéros. J'estime que c'est de la « cuisine de Pouvoirs
Publics » et cela ne nous apporte rien.
M. le Rapporteur
- Effectivement, ce n'est pas un langage pour le
consommateur.
Etes-vous satisfaite ou quels sont vos commentaires et vos critiques sur le
Livre blanc sur la sûreté alimentaire, la création de la
future autorité alimentaire européenne et également sur la
problématique de l'abattage total ou sélectif des troupeaux lors
de la détection d'un cas d'ESB ?
Mme Marie-José Nicoli
- Le Livre blanc est une très bonne
chose et nous avons insisté pour qu'il existe et soit publié.
L'autorité européenne va à peu près dans le sens
que nous souhaitons en tant qu'association française puisque nous ne
sommes pas tous d'accord sur son fonctionnement.
Nous avons demandé que cette agence fasse la différence entre
l'évaluation des risques et la gestion des risques. Nous ne voulons pas
de représentants de la société civile dans les
comités scientifiques, même en tant qu'observateurs.
Par contre, nous avons trouvé un compromis. En effet, en acceptant en
tant qu'observateurs des représentants d'associations de consommateurs
et des représentants d'associations de l'environnement, il n'y a pas de
raison de ne pas avoir aussi des représentants de l'industrie. C'est
tout à fait normal.
Quand des scientifiques débattent d'un avis devant des personnes venant
de la société civile, j'estime qu'ils ne sont pas libres de faire
ce qu'ils veulent.
Par contre, l'AFSSA a trouvé une solution : les comités
auditionnent les personnes qu'ils souhaitent auditionner. C'est de leur propre
initiative et ils peuvent auditionner des industriels, des associations de
consommateurs, etc.
J'estime que c'est une ouverture possible. M. Byrne en a pris note et a
considéré que c'était une bonne chose.
Concernant l'abattage sélectif ou total, nous sommes toujours pour le
maintien de l'abattage total tant que nous n'aurons pas les résultats et
l'analyse des 48 000 cas dans le programme des tests. Ces résultats
devraient nous donner un certain nombre d'indications sur les troupeaux ayant
des bêtes malades pour savoir s'ils sont plus exposés que
d'autres, etc.
A partir de ce moment et avec le test systématique des animaux de plus
de 30 mois, n'ayant pas une position idéologique, nous
réagirons avec les éléments qui nous seront
communiqués.
Nous attendons toutefois le résultat de ces 48 000 tests car il
n'existe pas encore de données nouvelles. Quand un animal est
testé à 30 mois, cela ne signifie pas qu'il est sain.
En testant un animal à 30 mois on ne prend pas beaucoup de risques pour
trouver l'ESB puisqu'elle se rencontre essentiellement sur les bêtes de 4
ou 5 ans. Pour se rassurer encore plus, autant tester les animaux de 24 mois
car nous n'en trouverons pas du tout, surtout si on continue à tester
les cervelles.
M. le Président -
Faites-vous des enquêtes chez les
industriels de l'agro-alimentaire qui fabriquent des plats
cuisinés ?
Mme Marie-José Nicoli
- Nous n'avons aucun pouvoir pour rentrer
dans une entreprise privée.
La seule chose que nous pouvons faire (nous sommes la seule organisation de
consommateurs à le faire en France ; l'INC pratique des tests mais
c'est un institut d'Etat) consiste à tester les produits présents
sur le marché et indiquer ce que nous y avons trouvé.
Nous ne sommes pas une Administration et nous ne rentrons pas dans les
entreprises. J'ai réalisé beaucoup de visites d'abattoirs et
d'usines d'équarrissage, mais je l'ai toujours fait en demandant
préalablement l'autorisation. J'ai pu entrer parce que le P.D.G. de
l'entreprise était d'accord ou parce que je m'y rendais avec un
inspecteur de la DGCCRF ou de la DSV. Personne ne peut pénétrer
ainsi dans une entreprise ; même des sénateurs ne pourraient
pas le faire.
M. le Président -
S'agissant d'une commission d'enquête,
nous pouvons aller où nous voulons. Il est bien évident que nous
nous annonçons.
Mme Marie-José Nicoli
- Personnellement, je ne peux pas aller
où je veux.
M. le Président -
Concernant le dépistage, selon vous, qui
doit le payer et le financer ?
Mme Marie-José Nicoli
- La décision a été
prise : le consommateur paie. Sur les tests, l'observatoire mis en place
indique que cela ne sera pas plus que 1,50 F par kilogramme de viande.
Personnellement, je pense que cela pourrait être 3 F.
Conjointement, la taxe d'équarrissage est très importante. Est-il
normal qu'un produit de consommation soit taxé pour
l'équarrissage qui est un service public ? Il ne devrait pas
être possible de taxer un produit car cela reviendrait à pouvoir
taxer tous les autres produits de consommation. Ce n'est pas logique.
Cette taxe a été reportée sur la grande distribution qui,
évidemment, nous l'a répercutée, d'ailleurs sur toutes les
viandes, les salaisons et les raviolis. Il ne s'agit pas que de la viande
bovine.
M. le Président -
Cela dilue le coût.
Mme Marie-José Nicoli
- Je trouve anormal qu'il n'y ait pas eu
une répartition tout au long de la filière. On ne parle pas des
fabricants d'aliments qui devraient être concernés.
M. le Président -
Nous vous remercions pour votre présence
et les informations que vous nous remettez.
Audition de M. Jacques DRUCKER,
Directeur général de
l'institut de veille
sanitaire
(21 février 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- La séance est
ouverte.
Mes chers collègues, nous allons maintenant entendre M. Jacques Drucker,
directeur général de l'institut de veille sanitaire, que je
remercie d'avoir répondu à notre convocation.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Drucker.
Je vous laisse maintenant la parole afin que vous exposiez à la
commission votre sentiment sur les conséquences sanitaires de
l'utilisation des farines animales, notamment dans l'alimentation du troupeau
ovin.
M. Jacques Drucker
- L'institut de veille sanitaire a pour mission de
coordonner la surveillance de l'état de santé de la population
française. En liaison avec divers partenaires, il est à ce titre
impliqué dans le suivi des conséquences du développement
de l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine :
il est notamment chargé de la surveillance de la forme humaine,
c'est-à-dire de la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob
liée -on a toutes les raisons de le penser- à l'agent de
l'encéphalopathie spongiforme bovine.
C'est donc sous l'angle de vue d'un responsable d'institut
d'épidémiologie que je me propose de présenter mon
exposé introductif. Je commencerai ainsi par décrire la
façon dont le dispositif de suivi épidémiologique des
maladies humaines s'est mis en place depuis la déclaration de
l'épidémie animale pour surveiller les conséquences
sanitaires de celle-ci. Je présenterai ensuite les informations
aujourd'hui disponibles en France avant d'aborder les questions que
soulève le suivi épidémiologique dans notre pays.
Après la détection de la survenue et du développement de
l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine au
Royaume-Uni, les épidémiologistes et les chercheurs
spécialistes des maladies infectieuses humaines se sont, naturellement,
assez rapidement interrogés sur le risque de transmission de l'agent de
l'encéphalopathie spongiforme bovine à l'homme. Au tout
début des années 1990, nous avions déjà un
éclairage sur le rôle des farines animales et sur la similitude
entre la maladie des bovins et certaines maladies
neuro-dégénératives de l'homme.
Plusieurs pays d'Europe ont alors mis en place un dispositif de surveillance
des encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles
-encéphalopathies dont font partie les formes de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob et notamment celle qui allait apparaître comme sa
nouvelle variante- dans le cadre d'une étude européenne dont
l'objectif était d'estimer l'incidence de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob et de préciser les différents facteurs de
risque.
Cette étude, dont la coordination a été assurée en
France par l'unité 360 de l'INSERM, l'institut de la santé et de
la recherche médicale, a eu une importance cruciale puisque c'est dans
son cadre que nos collègues anglais ont, en mars 1996, finalement mis en
évidence - ou, tout du moins, annoncé - les premiers cas de cette
nouvelle forme de maladie que l'on appelle maintenant la variante de la maladie
de Creutzfeldt-Jakob, forme qui est donc liée à l'agent de
l'encéphalopathie spongiforme bovine.
C'est aussi dans le cadre de cette étude que le premier cas
français a été identifié en 1996, ce qui a conduit
la France à renforcer son dispositif de surveillance des formes de la
maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l'homme en rendant obligatoire, à
partir du mois de septembre de cette même année, la
déclaration de toute maladie ou, plus exactement, de toute suspicion de
maladie de Creutzfeldt-Jakob.
En 1996, l'institut de veille sanitaire, appelé alors réseau
national de santé publique, s'est donc vu confié, comme pour les
autres maladies à déclaration obligatoire, la coordination en
liaison avec l'INSERM de la surveillance des formes de maladie de
Creutzfeldt-Jakob.
Depuis 1996, le dispositif a encore été renforcé. Il
constitue aujourd'hui un véritable réseau national de
surveillance : multidisciplinaire, il associe des cliniciens, neurologues
ou neuropathologistes, des biologistes, travaillant dans les centres de
référence sur les maladies à prions ainsi que dans divers
laboratoires de recherche sur ces agents de transmission, et, bien sûr,
l'ensemble du tissu des professionnels de santé, puisque ceux-ci sont
censés, s'agissant d'une maladie à déclaration
obligatoire, signifier toute suspicion. Des outils de détection de plus
en plus sensibles ont en outre été développés.
Toutes les informations ainsi recueillies sont centralisées, d'une part,
à l'institut de veille sanitaire du fait de la déclaration
obligatoire, d'autre part et surtout, à l'unité 360 de l'INSERM.
Chaque suspicion notifiée fait en effet l'objet d'une investigation
destinée, d'une part, à établir le degré de
certitude, c'est-à-dire à déterminer s'il s'agit d'un cas
possible, probable ou certain de maladie de Creutzfeldt-Jakob ou d'un cas qui,
finalement, n'appelle pas ce diagnostic, d'autre part, à préciser
l'étiologie, c'est-à-dire à déterminer s'il s'agit
d'une maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique, familiale, iatrogène ou,
et c'est ce qui nous intéresse ici, d'une forme variante.
Les objectifs du dispositif, qui fonctionne maintenant depuis huit ans, sont
donc de repérer d'une façon aussi exhaustive que possible les cas
de maladie de Creutzfeldt-Jakob, d'en préciser l'étiologie et
notamment de repérer les formes variantes, mais aussi d'explorer les
facteurs de risque de survenue, voire de repérer d'éventuels cas
regroupés, ce qui aurait une importance particulière pour la
compréhension de la transmission de la maladie.
Chaque mois, l'institut de veille sanitaire actualise les données
épidémiologiques recensées rapportées par ce
dispositif et les rend publiques sur son site web. Quelles informations
avons-nous recueillies au cours des huit dernières années ?
Depuis quatre ans, nous assistons à une augmentation du nombre des
déclarations de suspicion. C'est le résultat d'une recherche de
plus en plus active et d'une sensibilisation de plus en plus forte des
cliniciens, tant en matière de diagnostic que de déclaration des
cas.
Au cours des cinq dernières années, nous avons aussi
observé une augmentation du nombre des cas de maladie de
Creutzfeldt-Jakob sporadique diagnostiqués. Pour donner un ordre de
grandeur, 68 cas certains ou probables de maladie de Creutzfeldt-Jakob
sporadique ont été recensés en 1996 ; en 1999,
dernière année pour laquelle nous avons stabilisé les
chiffres, 91 de ces cas ont été enregistrés, soit une
augmentation d'environ 30 %, essentiellement due elle aussi à la
meilleure performance du système. De façon globale, l'incidence
de la maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique est en France d'environ 1,5 cas
par million d'habitants, ce qui place notre pays à peu près dans
la moyenne européenne.
S'agissant de la forme variante, comme vous le savez sans doute, ont à
ce jour été recensés en France deux malades
décédés avec certitude de cette maladie, l'un en 1996,
l'autre en 2000, et un malade classé pour le moment comme cas probable
puisqu'il est toujours vivant et qu'il n'y a donc pas eu de confirmation
possible. Au total, selon la définition européenne ou
internationale de la maladie, il y a donc en France trois cas certains ou
probables. Je rappelle qu'au Royaume-Uni 87 cas certains et 9 cas probables en
cours d'exploration ont été recensés. Un seul autre cas
à été recensé dans le monde, en Irlande.
La France dispose d'un système de surveillance assez performant, capable
de détecter la survenue de la maladie de Creutzfeldt-Jakob dans sa forme
variante, qui nécessiterait cependant d'être renforcé.
En effet, pour établir un diagnostic de certitude de maladie de
Creutzfeldt-Jakob, le clinicien doit à l'heure actuelle disposer d'un
examen anatomo-pathologique du cerveau, examen qui ne peut être
réalisé, bien entendu après le décès du
malade, que dans le cadre d'une autopsie. Or, en France, le taux d'autopsie en
cas de suspicion de maladie de Creutzfeldt-Jakob plafonne à 55 % ou
à 60 %. Nos collègues anglais font un peu mieux que nous
puisque le taux d'autopsie dans ce type de cas est d'environ 80 % au
Royaume-Uni.
Pour permettre un suivi épidémiologique encore plus précis
à l'avenir, il paraît donc nécessaire de renforcer un
diagnostic qui ne repose aujourd'hui que sur les examens assez lourds et
complexes que sont les examens anatomiques du cerveau. Vous le savez, une
recherche assez active se poursuit actuellement en France pour tenter de mettre
au point des tests de diagnostic d'utilisation plus courante, en particulier un
test capable, le cas échéant, de détecter le prion ou la
protéine pathologique dans le sang. Nous disposerions ainsi d'un outil
plus performant de suivi épidémiologique.
La direction générale de la santé nous a demandés
s'il était possible d'organiser en France un dépistage du portage
de la protéine pathologique liée à la forme variante de la
maladie de Creutzfeldt-Jakob. Nous avons donc procédé à
une expertise au cours des derniers mois avec le concours de plusieurs
spécialistes en la matière. Cette expertise nous a amenés
à conclure que, en l'état actuel, compte tenu des tests
disponibles et de la fréquence apparente de la maladie en France, compte
tenu aussi des grandes incertitudes qui demeurent sur la durée
d'incubation, compte tenu encore de considérations éthiques sur
l'exploitation éventuelle des résultats, il n'était ni
pertinent ni faisable de mettre en place un tel dépistage, cette
position pouvant bien entendu évoluer dans le futur, en fonction
notamment de la disponibilité de tests plus faciles à utiliser
à grande échelle.
En dehors des questions que je viens d'évoquer -renforcement de la
surveillance et pratique des autopsies, problème du dépistage-,
une autre question nous est posée : peut-on aujourd'hui faire des
prévisions ou des projections quant au nombre futur des malades compte
tenu des connaissances actuelles sur l'épidémie animale et sur
les risques de transmission du prion bovin à l'homme ?
Comme vous le savez, on trouve déjà dans la littérature
scientifique ce type d'extrapolation. Nos collègues anglais notamment
s'y sont livrés : sur la base de l'épidémiologie en
Angleterre et, surtout, sur la base d'hypothèses évidemment
relativement hasardeuses et encore assez instables -durée d'incubation,
dose minimum infectante pour l'homme, degré réel d'exposition de
la population à l'agent infectieux-, ils ont émis des chiffres
qui, au fil des mois, se « resserrent » et deviennent un peu plus
précis.
Les chiffres les plus raisonnables sur le plan scientifique ainsi
publiés par nos collègues anglais font état d'une
fourchette allant de 150 cas, hypothèse la plus basse, à environ
6 000 cas dans les trente prochaines années au Royaume-Uni.
L'institut de veille sanitaire n'a pas souhaité extrapoler à
partir des chiffres anglais compte tenu de l'ampleur des incertitudes et de
l'imprécision des hypothèses. Si l'on devait cependant donner un
ordre de grandeur pour évaluer ce que pourrait être le
développement de la maladie chez l'homme en France, le plus rationnel
serait en définitive, considérant qu'il y a aujourd'hui environ
trente fois moins de cas et étant estimé que l'exposition de la
population au prion responsable de l'encéphalopathie spongiforme bovine
a été environ vingt fois moins élevée en France
qu'en Angleterre, de diviser par vingt les prédictions anglaises. On
arrive ainsi à un résultat de l'ordre de quelque centaines de cas
-environ 300- appelant, encore une fois, de nombreuses réserves et
devant être interprété avec beaucoup de prudence.
Espérant avoir ainsi décrit à votre commission la
situation en matière de surveillance épidémiologique des
conséquences sanitaires de l'encéphalopathie spongiforme bovine
en France, je terminerai mon propos en disant que l'hypothèse selon
laquelle certains cas de tremblante du mouton seraient en fait liés
à l'agent de l'encéphalopathie spongiforme bovine paraît
tout à fait plausible.
M. Jean Bizet, rapporteur
- Je tiens, monsieur le directeur
général, à vous remercier des précisions que vous
nous avez apportées.
Cela dit, je voudrais revenir sur un point particulier : en effet, vous
nous avez dit que la population française serait vingt fois moins
exposée à la maladie de Creutzfeldt-Jakob que la population
anglaise.
Or, compte tenu, d'une part, de l'importation malgré tout massive
jusqu'au début de 1996 d'abats à risque provenant de la
Grande-Bretagne et, d'autre part, de la présence de cervelle dans les
petits pots pour bébé jusqu'en 1992, pensez-vous que la
population française ait été soumise à des risques
importants ?
Confirmez-vous cette notion de « vingt fois moins » ?
M. Jacques Drucker -
C'est effectivement ce que j'ai dit tout à
l'heure, mais bien évidemment, il y a tellement d'inconnues et
d'incertitudes dans ce dossier, en particulier concernant le degré et
les conditions d'exposition de la population -qui sont pourtant l'un des
paramètres essentiels de la démarche d'évaluation des
risques- qu'il nous faut rester très prudents.
L'institut de veille sanitaire, pour sa part, afin de procéder à
ce type d'évaluation des risques, ne peut disposer que
d'hypothèses fondées sur la situation en Grande-Bretagne qui,
elle-même, repose sur les informations disponibles, qui sont « sur
la table » si j'ose dire.
L'un des paramètres manquants pourrait s'énoncer ainsi :
dans quelle mesure les dispositions de prévention et de
précaution qui ont été prises dès le début
des années quatre-vingt dix ont-elles été
appliquées et, si oui, l'ont-elles été correctement ?
Si l'on part de l'hypothèse fondée sur l'importation des tissus
à risque spécifié, vous le savez comme moi, mesdames,
messieurs les sénateurs, il existe de fortes interrogations sur la
rigueur avec laquelle ces mesures ont été appliquées.
Dès lors, toutes les hypothèses sont possibles quant à
l'exposition de la population française à cet agent infectieux et
il nous faut, je le répète, rester extrêmement prudents.
M. le Rapporteur -
Vous parlez de « fortes interrogations ».
Disposez-vous pour cela d'autres éléments d'information ?
M. Jacques Drucker -
Je ne détiens aucune information
complémentaire, monsieur le rapporteur. Je me fonde ici sur le fait que,
finalement, aujourd'hui, tous les cas d'encéphalopathie spongiforme
bovine qui ont été rapportés depuis 1997 sont apparus chez
des bovins nés après l'interdiction des farines. J'en
déduis donc que l'interdiction de l'importation des farines
carnées n'a pas dû être absolue.
D'autres hypothèses ont également été émises
quant au mode de transmission de la maladie à l'homme, mais la plus
réaliste, à mes yeux, reste que l'interdiction de l'importation
des farines animales n'a pas été totale et, dès lors,
toutes les hypothèses portant sur l'exposition de la population restent
assez hasardeuses, il faut le dire.
M. le Rapporteur -
Vous avez parlé de cas « sporadiques
» de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et de nouvelles variantes. Or le
diagnostic n'ayant pu être porté que post-mortem, j'aimerais
savoir si un clinicien averti peut détecter la maladie sur des sujets
vivants ?
M. Jacques Drucker -
Je ne suis pas neurologue, monsieur le rapporteur,
mais je sais, pour en avoir discuté à plusieurs reprises avec mes
collègues cliniciens, qu'il existe des caractéristiques cliniques
assez évocatrices de la nouvelle variante ; je pense notamment
à l'âge des personnes malades dont les manifestations cliniques
à forte composante psychiatrique sont plus perceptibles.
Il est vrai que jusqu'à présent, la commission de surveillance a
constaté des signes de la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob
chez des sujets jeunes et qu'il faudra sans doute étendre le recours
à l'autopsie car les caractéristiques cliniques de cette maladie
pourraient évoluer pour toucher des personnes plus âgées.
Dans ce contexte, la maladie de Creutzfeldt-Jakob risquerait d'être
confondue avec d'autres démences plus fréquentes chez les
personnes âgées telles que la maladie d'Alzheimer.
M. le Rapporteur -
Peut-on imaginer que certaines variantes de la
maladie de Creutzfeldt-Jakob aient pu échapper à tout
système de surveillance ? Hélas, il est à noter une
sorte d'omerta des professions médicales à l'égard de
cette maladie.
M. Jacques Drucker -
Il n'est effectivement pas exclu, monsieur le
rapporteur, que des variantes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob aient pu
passer entre les mailles de la surveillance, de sorte que certains cas auraient
pu survenir chez des sujets plus âgés, comme je viens de le dire.
Si votre question est : « le dispositif médical, en toute
connaissance de cause, aurait-il pu ne pas signaler un cas de variante de la
maladie de Creutzfeldt-Jakob ? » Alors ma réponse est la
suivante : « personnellement, je ne le pense pas ». En effet, je
n'imagine pas que dans le dispositif actuel de surveillance qui, je le
rappelle, repose sur tout un réseau de recherche en matière de
santé publique, un cas de variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob
ait pu être passé sous silence.
Notre souci, aujourd'hui, est orienté dans l'autre sens, si je puis
dire. En d'autres termes, quand un cas de suspicion de variante apparaît,
nous faisons toutes les études nécessaires, même si c'est
pour nous apercevoir que cette suspicion n'était pas fondée.
Cela dit, il n'est pas exclu que pour des raisons purement techniques de
sensibilité du système, quelques cas de forme variante aient pu
ne pas être repérés.
M. le Rapporteur -
En parallèle, monsieur le directeur
général, nous avons vu que la Commission européenne,
dès les années quatre-vingt dix, a fait preuve d'une
autorité très forte pour étouffer les cas
d'encéphalopathie spongiforme bovine, compte tenu des effets
économiques induits, notamment pour la Grande-Bretagne.
Or sur un plan purement sanitaire, peut-on imaginer que l'institut de veille
sanitaire puisse « discrètement » ne pas informer l'opinion
publique sur le nombre exact de nouvelles variantes ? Cela n'est pas
pensable, à votre avis ?
M. Jacques Drucker -
En effet, cela n'est pas pensable, monsieur le
rapporteur.
S'agissant de l'Europe, c'est la Commission elle-même qui, depuis 1992, a
contribué à développer la connaissance de ces nouvelles
maladies ; cela est indiscutable.
Pour ce qui est de l'institut de veille sanitaire, il ne paraît pas non
plus pensable que, pour cette maladie comme pour d'autres, il ne porte pas
à la connaissance des pouvoirs publics, des professionnels et plus
généralement de l'opinion publique l'apparition probable de
nouvelles formes variantes.
Ce qu'il faut comprendre dans le système de surveillance, c'est que,
entre le moment où la suspicion de la maladie de Creutzfeldt-Jakob est
notifiée et le moment où le diagnostic est confirmé, il
peut se passer entre six à douze mois. La mise à jour doit donc
se faire de façon un peu décalée et aujourd'hui, nous
connaissons les données au 15 février, y compris les cas qui
sont en cours d'investigation, c'est-à-dire qui, pour le moment, ne sont
que des suspicions et non pas des maladies confirmées.
M. le Rapporteur -
Monsieur le directeur général, vous
avez tout à l'heure émis quelques craintes quant à la
contamination interhumaine, notamment à l'occasion d'une transfusion
sanguine. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet ?
M. Jacques Drucker -
Effectivement, il s'agit là d'un mode de
transmission possible de la maladie de Creutzfeldt-Jakob à
l'espèce humaine, mais cela doit être étudié au cas
par cas. Ainsi, dès qu'une suspicion de maladie de Creutzfeldt-Jakob est
portée à notre connaissance, nous mettons en place un dispositif
d'hémovigilance au même titre qu'est explorée la voie d'une
transmission éventuelle de cet agent pathogène au cours d'actes
diagnostiques ou thérapeutiques invasifs.
A ce propos, un certain nombre de mesures ont été prises au cours
des derniers mois qui continuent d'évoluer, la dernière en date
étant une circulaire émanant de la direction des hôpitaux
et portant sur le renforcement des mesures de stérilisation des
appareils chirurgicaux. Or, comme vous le savez, il s'agit là d'un sujet
extrêmement difficile car, contrairement à la maladie de
Creutzfeldt-Jakob classique et « sporadique », il semble que le prion
pathologique, agent de la forme variante, ait une dissémination beaucoup
plus large par l'organisme que les agents des autres formes de la maladie qui,
elles, se confinent si j'ose dire au système nerveux.
M. le Rapporteur -
J'aimerais vous poser une dernière question,
monsieur le directeur général.
Sur les quatre-vingt sept cas recensés à ce jour au Royaume-Uni,
on a pu constater que treize patients étaient des donneurs de sang
potentiels. Vos collègues anglais ont-ils un peu plus de certitudes
quant au mode de transmission par transfusion sanguine notamment ?
M. Jacques Drucker -
Pas à ma connaissance, monsieur le
rapporteur. En effet, nos collègues épidémiologistes
anglais n'ont pas communiqué ou transmis à la communauté
scientifique d'informations permettant de mieux cerner le risque transfusionnel.
Par ailleurs, comme vous le savez, une expertise assez complète a
été menée à la fin de l'année
dernière sur ce risque-là en particulier, expertise au cours de
laquelle ont été analysées toutes les données
disponibles, y compris les informations anglaises.
Personnellement, je n'ai pas d'information complémentaire sur ce dossier.
M. Paul Blanc -
Je voudrais simplement revenir sur
l'épidémiologie des deux cas certains et d'un troisième,
probable, de la maladie de Creutzfeldt-Jakob en France. A-t-on profité
de l'apparition de ces trois cas pour mener une enquête approfondie sur
les habitudes alimentaires et la possibilité de contamination par voie
digestive ?
M. Jacques Drucker -
Absolument, monsieur le sénateur : nous
avons fait une investigation aussi poussée que possible concernant les
habitudes alimentaires des deux malades décédés et du
troisième malade encore vivant, étant entendu que la prise en
compte de ces habitudes alimentaires doit remonter à plusieurs
années auparavant.
M. Paul Blanc -
Les médias ont évoqué un autre cas
possible...
M. Jacques Drucker -
A ma connaissance, ce cas n'a pas été
confirmé, monsieur le sénateur.
M. Paul Blanc -
La déclaration de Mme le secrétaire d'Etat
à la santé avait déclenché de nombreuses
réactions concernant de possibles cas à venir. Dès lors,
j'aimerais savoir si elle s'est appuyée sur des informations que vous
lui auriez transmises, monsieur le directeur général.
M. Jacques Drucker -
Non, l'institut de veille sanitaire n'a jamais fait
d'évaluation de risque et donc, a fortiori, transmis de rapport
contenant des prédictions quant au nombre de cas à venir.
Les éléments que vous avez pu lire dans la presse, monsieur le
sénateur, sont des extrapolations des données de l'unité
360 de l'INSERM. A ma connaissance, il n'y a jamais eu d'étude
structurée ou de modélisation en France, contrairement à
ce qu'ont fait les Anglais.
M. Paul Blanc -
Pouvez-vous nous dire, monsieur le directeur
général, si, à votre connaissance, une étude des
habitudes alimentaires aurait donné des résultats ?
M. Jacques Drucker -
Ce que je peux vous dire, monsieur Blanc, c'est que
nos collègues anglais, pour chaque cas suspect de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob, ont employé le même protocole d'investigation
épidémiologique. Or à ce jour et à ma connaissance,
ces investigations n'ont rien donné.
De la même façon, vous savez qu'actuellement les Anglais
enquêtent sur un foyer de cinq ou six cas suspects se situant dans une
commune de taille relativement limitée. L'investigation est aujourd'hui
en cours, mais pour l'instant, aucune conclusion n'a été
apportée à cette étude.
Il entre aussi dans les objectifs du système de surveillance
français de repérer des cas regroupés
géographiquement, et ce afin de mener des investigations pouvant aboutir
à une meilleure connaissance des facteurs de risque. Nous n'avons pas
encore rencontré ce type de commune en France, mais, je le
répète, pour l'instant cette investigation de ce foyer de cinq
à six personnes malades en Grande-Bretagne n'a pas donné de
résultat.
M. Paul Blanc -
Mais alors, pourquoi les Anglais ont-ils retiré
les abats de la vente dès 1989 ? Est-ce parce qu'ils estimaient
tout de même qu'une concentration possible de l'agent pathogène
pouvait se révéler dangereuse pour l'homme ?
M. Jacques Drucker -
Absolument, monsieur le sénateur.
Le premier cas d'encéphalopathie spongiforme bovine a été
recensé en 1985 en Angleterre. Deux ou trois ans plus tard, les
vétérinaires ont fait le lien entre les farines carnées et
le développement de l'encéphalopathie spongiforme bovine. C'est
ainsi qu'à la fin des années quatre-vingt, la physiopathologie,
autrement dit la diffusion de l'agent pathogène dans le cas des bovins,
était parfaitement connue. C'est cela effectivement qui a incité
les Anglais à retirer de la vente ce que l'on appelle aujourd'hui les
« matériaux à risque ».
M. le Président -
Je voudrais revenir sur l'une des questions
posées par M. Blanc concernant la déclaration de Mme la
secrétaire d'Etat. Sur quoi était-elle fondée ?
M. Jacques Drucker -
Je pense que la déclaration à
laquelle vous faites allusion repose, je le répète, sur les
données émanant de l'unité 360 de l'INSERM, monsieur le
président.
M. Jacques Bimbenet -
Que penser, monsieur le directeur
général, des informations récemment
révélées concernant les moutons ?
M. Jacques Drucker -
Tout d'abord, monsieur le sénateur, je dois
vous dire que vous ne vous adressez pas ici à un spécialiste de
la maladie animale.
Cela étant dit, je pense - et ce n'est pas nouveau - que compte tenu de
ses similitudes avec la tremblante du mouton, depuis que
l'encéphalopathie spongiforme bovine a été
détectée, certains ont pu émettre l'hypothèse que
l'agent pathologique pouvait effectivement être transmis du mouton
à la vache et ensuite que les bovins nourris aux farines animales ont pu
à leur tour contaminer les moutons.
A ma connaissance, au cours de ces dernières semaines ou de ces derniers
mois, aucun élément scientifique nouveau n'est apparu confirmant
une telle hypothèse.
Par conséquent, est-il oui ou non justifié aujourd'hui de prendre
des mesures de précaution s'agissant des moutons ?
L'interprétation que j'en fais personnellement est qu'il vaut mieux
effectivement envisager des mesures de précaution sur un risque
théorique de ce type - « à froid » en quelque sorte -
plutôt qu'en situation de crise ou de réaction à l'annonce
d'un élément nouveau.
Bien sûr, reste à poser les limites de l'application du principe
de précaution, sujet un peu délicat, vous en conviendrez,
monsieur le sénateur.
Quoi qu'il en soit, l'hypothèse selon laquelle certains cas de
tremblante du mouton seraient en fait des maladies dues à l'agent de
l'encéphalopathie spongiforme bovine est une hypothèse tout
à fait plausible.
M. le Président -
La commission d'enquête vous remercie,
monsieur le directeur général, des informations que vous avez
bien voulu lui apporter.
Audition de M. Marian APFELBAUM,
ancien Professeur de nutrition à la
faculté de médecine Xavier-Bichat
(Paris)
(21 février 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur le Professeur,
merci d'avoir répondu à notre convocation.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Apfelbaum.
M. Marian Apfelbaum
- J'ai préparé un bref plan de ce que
je vais dire, qui a pour objectif de situer le problème, et je serai
ensuite à votre disposition pour répondre à vos questions.
Quelques mots sur les encéphalites humaines non bovines, sur les
encéphalites animales non bovines, sur la transmissibilité de
cette maladie chez les bovins et, enfin, quelques chiffres situant les risques
quantitatifs comparés à l'extrême émotion de
l'opinion publique. Nous verrons qu'il y a là un décalage majeur.
La maladie de Creutzfeldt-Jakob, dans sa forme sporadique, a été
décrite en 1921. Elle touche, dans les sociétés
développées, à peu près un sujet par an pour un
million d'habitants.
Il existe cependant des exceptions, que je ne veux pas développer :
les Juifs de Libye et les Slovaques ont une prévalence de la maladie 20
à 30 fois supérieure.
Plus intéressante est la maladie du "Kuru", la maladie du frisson,
décrite en Papouasie en 1955. Il s'agissait d'un cannibalisme rituel.
Lorsqu'un membre de la tribu mourrait -et nous verrons qu'ils mourraient
très jeunes- son corps était entièrement consommé.
Le mouvement féministe étant faible en Papouasie, les femmes
avaient droit aux entrailles et à la cervelle, alors que les hommes
mangeaient de la bonne viande.
Toujours est-il que ce sont les femmes et les enfants qui ont été
très massivement atteints puisque, dans cette tribu qui comptait 35.000
Papous, on a compté 3.000 morts dus a cette encéphalite.
Il s'agit là du premier modèle indiscutable d'une transmission
orale de l'encéphalite. Cela fait quarante ans que ce cannibalisme a
été arrêté ; or, il y a encore des cas nouveaux
dans certains sous-groupes génétiques. Ce travail a d'ailleurs
donné lieu à un prix Nobel vingt ans plus tard.
Dans les années qui ont suivi cette étude, les recherches ont
permis d'affirmer que ce n'était ni un microbe, ni un virus, et
l'hypothèse a été avancée qu'il s'agissait d'une
protéine. Il faut dire que cela renvoyait à des conceptions
extraordinairement fortes, liées à la bagarre franco-britannique
entre Lamarck et Darwin, l'idée que des protéines puissent
transmettre de l'information paraissant absolument hérétique.
Pour mémoire -mais nous passerons vite- il existe d'autres
encéphalites. L'une d'elles, extraordinairement rare, provoque des
insomnies fatales, mais on a pu montrer que l'encéphale des personnes
atteintes contenait un agent infectieux puisque, injecté à
l'animal, il provoquait une maladie mortelle.
Enfin, il y en a que l'on connaît moins bien.
Au total, il y a plusieurs formes d'encéphalite spongiforme chez
l'homme, toutes à composantes génétiques, et toutes
transmissibles.
Chez l'animal, l'affaire est très ancienne. La maladie spongiforme la
plus anciennement décrite est la tremblante du mouton -1755- qui a
donné lieu à nombre de travaux. Elle est transmissible
expérimentalement à une autre brebis, ainsi qu'à la
chèvre et au mouflon mais, par voie orale, elle n'est pas transmissible
à d'autres espèces.
C'est à propos de cette tremblante du mouton qu'il a été
démontré qu'il existait une protéine hydrophobe qui
était l'agent visible de la transmission de la maladie, qui a
donné lieu à un autre prix Nobel.
Il existe d'autres encéphalites de découverte plus
récente, en particulier l'encéphalite du vison américain,
d'autant plus particulière que les visons américains n'ont pas
mangé de bovins atteints d'encéphalite bovine européenne.
Les cervidés américains en sont également atteints. Il y a
eu trois cas d'encéphalite chez des chasseurs américains,
provoquée par la consommation de viande de cervidés. Dans
certains groupes de cervidés, la fréquence de la maladie atteint
20 %.
Tout ceci pour dire que, aussi troublant que soit pour nous le
phénomène d'encéphalite bovine, n'est pas unique, ni dans
l'espèce humaine, ni dans l'espèce animale.
Venons-en maintenant au sujet de l'encéphalite spongiforme bovine.
Premier cas en Grande-Bretagne en 1985. 185.000 bovins ont été
atteints en Angleterre sur un troupeau d'à peu près 11
millions ; 4,5 millions de bovins ont été abattus.
La cause directe a parfaitement été démontrée,
puisqu'il s'agit de la consommation par ces animaux de farines animales. Je ne
reviens pas sur les preuves : elles sont nombreuses.
La cause première n'est toutefois pas connue. L'hypothèse a
été faite il y a très longtemps qu'il y avait de
l'encéphale de mouton dans les farines animales et que la transmission
de la tremblante du mouton a été ainsi assurée aux bovins.
Cette hypothèse est trop simple. Il faut en effet une mutation, car on
sait très bien que l'encéphalite bovine n'est pas du tout
identique à l'encéphalite du mouton. Si c'est le mouton qui est
la cause première, il y a donc eu mutation.
Il y a aussi la possibilité qu'il s'agisse d'une encéphalite
spongiforme sporadique chez les bovins, et que ces bovins en aient
infecté d'autres en passant par les farines animales. Toujours est-il
qu'il y a là un trou dans nos connaissances.
En 1988, les Anglais ont interdit l'usage des farines animales seulement pour
les bovins, mais pas à l'exportation. Je m'abstiendrais de tout jugement
!
L'explosion a eu lieu en 1996. Le ministre anglais, peu de temps après
avoir affirmé à la télévision qu'il n'y avait aucun
danger, ayant appris l'existence d'une publication scientifique, a pris les
devants et a annoncé que la transmissibilité à l'homme
était probable. Ceci a déclenché une panique qui n'a pas
cessé depuis.
Parmi les travaux dans ce domaine, il y a un point sur lequel je voudrais
insister : dans la maladie de Creutzfeldt-Jakob et dans la tremblante du
mouton, on trouve un grand nombre de souches qui, injectées à des
animaux, provoquent des maladies à localisations différentes, ce
qui n'est pas le cas de l'ESB, qui est une source unique. Cela veut dire qu'il
y a eu un événement unique, qui est la cause d'un ensemble unique.
Cette encéphalite est caractérisée par sa
transmissibilité cérébrale, mais aussi orale pour un grand
nombre d'espèces. 500 mg de cervelle bovine par voie orale provoquent
chez le mouton une encéphalite qui n'est pas la tremblante du mouton,
mais aussi chez l'homme, le lion, le tigre, le chat, l'antilope. Le nombre
d'espèces atteintes par voie orale est grand -une vingtaine en tout. La
barrière des espèces n'arrête donc pas l'encéphalite.
Quelques chiffres pour insister sur le décalage extrême qu'il y a
entre le risque quantitatif tel que l'on peut l'apprécier et
l'extrême émotion de la population. En France, on a recensé
200 cas -un petit peu moins- sur 21 millions de bovins. Un certain nombre de
cas qui ont eu lieu ont disparu et n'ont pas été
recensés ; d'autres n'ont pas encore été
découverts. Au total, les gens compétents, dont je ne suis pas
dans ce domaine, disent qu'en France, vraisemblablement, l'ensemble des cas
autochtones est inférieur à 1.000.
En Grande-Bretagne, on a dit qu'à peu près 200.000 bovins ont
été déclarés, mais les mêmes m'ont dit que le
vrai chiffre doit être inférieur à un million. Dans les
deux groupes de chiffres, il y a 200.000 fois moins de cas français que
de cas britanniques.
Le problème demeure quand même d'actualité, puisque, en
premier lieu, la diminution, depuis la disparition des farines animales en
Angleterre, est beaucoup plus lente que ce qui avait été
prévu par les épidémiologistes. On recense surtout, en
France, une augmentation des cas "naïfs" nés après
l'interdiction des farines.
Actuellement, les animaux que l'on découvre sont des animaux naïfs.
Si lesdites farines étaient la seule cause de la transmission, les cas
naïfs ne devraient pas exister.
Premier problème : l'hypothèse selon laquelle les farines
n'étant pas interdites jusqu'à récemment, ni pour les
oiseaux, ni pour les cochons, il y a eu mélange, soit chez les
fabricants, soit chez les éleveurs, et que c'est par accident que les
cas naïfs ont été infectés.
Deuxième problème, très actuel : on a dit que le
mouton ne transmet pas la maladie à l'homme, mais il transmet
l'encéphalite bovine, lorsqu'il en est atteint, à toutes sortes
d'espèces, comme l'encéphalite bovine chez les bovins. Or, il
faut très peu d'encéphale -500 mg- pour qu'un mouton soit atteint
de la maladie.
J'en arrive pour terminer à la comparaison entre le risque quantitatif,
tel qu'on peut l'apprécier, et le décalage avec la crainte de
l'opinion publique, et je vais ici proposer l'explication de ce décalage.
Laissons de côté le problème des importations de viandes
britanniques, qui ont pu provoquer des atteintes en cours chez l'homme,
puisqu'il n'y a plus de viande britannique, et concentrons-nous sur le
problème du risque qu'encourt actuellement un citoyen français,
en mangeant un produit d'origine bovine en France, d'être atteint de
cette maladie.
En faisant l'hypothèse extrême, pour simplifier, que toutes les
mesures de précautions prises n'ont pas diminué les risques
comparativement à la situation britannique depuis le début, nous
nous retrouvons avec l'idée que les cas autochtones, en France,
devraient être actuellement au maximum d'un millième des cas
anglais, compte tenu des chiffres présentés.
Or, la fourchette haute de la prévision la plus pessimiste des Anglais
est de 136.000 cas en Grande-Bretagne pendant 40 ans. Pourquoi 40 ans ?
Tout simplement parce que, en Nouvelle-Guinée, 40 ans après la
fin du cannibalisme, des cas sont encore découverts.
Si l'on prend cette fourchette haute, compte tenu des deux simplifications
pessimistes que j'ai énoncées, on se trouve, en France, avec 136
cas -et non 136.000- sur 40 ans. En d'autres termes, le danger pour la
santé publique, en France, actuellement, à consommer de la viande
bovine, n'est pas significativement différent de zéro !
Or, toute la population est inquiète, et une partie l'a pris d'une
façon tout à fait dramatique. Comment expliquer cela ?
L'explication me paraît biologique. Nous sommes des omnivores, et tous
les groupes d'omnivores -les cochons, les rats, les hommes- sont nés
avec une crainte extrême concernant l'alimentation, pour une raison
très simple : tout individu qui n'est pas méfiant envers
l'alimentation meurt empoisonné par des poisons de toutes sortes avant
de se reproduire !
Il y a des expériences innombrables que je ne citerai pas qui prouvent
qu'en matière d'alimentation, il existe une extrême
asymétrie entre la crainte et le fait d'être rassuré.
En un mot, le signal que cet aliment est dangereux est immédiatement
perçu et mémorisé de façon durable, mais le signal
destiné à affirmer le contraire ne passe pas ! C'est caricatural
s'agissant de l'ESB, mais je peux vous présenter nombre
d'expériences montrant que c'est un phénomène
général. Lorsqu'on dit à quelqu'un que ceci est un poison,
il ne le croit pas mais se comporte comme s'il le croyait !
Ceci étant dit, je pense que le pronostic épidémiologique,
en France, est excellent, et le pronostic politique très mauvais.
Je vous remercie.
M. le Président
- Merci, Monsieur le Professeur.
La parole est au rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur
- Après un préambule aussi
brillant et incisif, que l'on partage, j'en suis persuadé, je vais me
permettre de vous citer. En mai 1999, dans "Le Point", vous disiez : "Le
bio est un mélange de conneries et de nécessité".
Peut-on dire que le bio est moins sûr, du point de vue de la
sécurité alimentaire, que le produit conventionnel, voire
industriel ? Du point de vue nutritionnel, qui emporterait
l'avantage ?
M. Marian Apfelbaum -
Tout d'abord, je vous prie de pardonner la
crudité de mon langage, mais j'ignorais que je serais cité dans
cette noble assemblée !
Le principe des aliments biologiques repose sur la croyance en un naturel sain
et en un progrès technologique coupable.
Il s'agit donc non d'une façon de fabriquer des aliments plus sains,
mais d'une façon de nous rassurer sur le fait que l'on a banni le
progrès coupable.
Certains aliments biologiques peuvent être bons pour la santé,
mais ce n'est pas démontré. D'ailleurs, la législation en
matière d'aliments biologiques impose qu'un certain nombre de
procédés ne soient pas appliqués, mais n'impose ni
critères de qualité, ni critères de sûreté.
Je continue à penser que les aliments biologiques sont en effet un
produit de la "connerie", c'est-à-dire de notre goût à
être rassurés et de la nécessité, pour certains,
d'être sûrs que l'aliment n'a pas été touché
par le progrès. C'est évidemment faux ! Toute l'agriculture,
depuis le néolithique, est entièrement artificielle. Seules les
sociétés de cueillette mangeaient des produits naturels !
M. le Rapporteur -
Ceci est très clair mais, dans l'opinion, nous
sommes partis -et je crois pour un certain nombre d'années- vers une
orientation environnementaliste assez forte. Personnellement, je suis assez
inquiet devant les orientations qui vont être prises en la
matière, au niveau de l'Union européenne, dans les mois ou les
années qui viennent, face à nos amis d'outre-Atlantique.
M. Marian Apfelbaum -
Je voudrais prendre un exemple, celui des nitrates
-il y a récemment eu une réunion au Sénat à ce
sujet- que l'on répand un peu partout et qui sont provoqués par
synthèse chimique. Ceux-ci sont absolument indiscernables par rapport
à ceux qui sont contenus dans les coups de tonnerre, qui fabriquent des
nitrates qui tombent du ciel.
Lorsqu'on les interdit, on se tourne vers les engrais naturels -fumier,
phosphore. Il s'agit là d'un produit d'une sécurité bien
moindre que les nitrates produits en usine, en particulier riches en nitrite,
en microbes, etc. Les salades "biologiques" comportent un taux de nitrate
égal à celui des salades non biologiques, et un taux de nitrite
plus élevé !
Au total, je pense que, s'il est nécessaire de laisser faire ce genre de
choses, il ne faut pas les encourager.
M. le Rapporteur -
Je reviens sur l'un de vos ouvrages "Crises et peurs
alimentaires".
Je vous cite : "Les traditionnels circuits courts, qui comportaient des
éléments de confiance interpersonnels, qui ont disparu dans les
filières d'industrie alimentaire comme la grande distribution, n'ont
été que partiellement remplacés par la confiance dans la
marque".
Aujourd'hui, avec cette fameuse épidémie d'ESB et la crise
induite sur la filière bovine, pensez-vous que le retour à un
circuit court, que l'on voit à travers la politique de label, la
suppression des échanges entre les pays européens, soit
réversible ou non ?
M. Marian Apfelbaum -
Je pense qu'il est réversible
ponctuellement, mais pas sur le fond. On a pris l'habitude d'avoir un grand
nombre d'aliments à un coût très bas. Il est aujourd'hui
très bon marché de manger, et ceci grâce à
l'industrie agroalimentaire, à son gigantisme et à son
uniformité.
En effet, malgré les apparences et le fait que, dans les divers
marchés, les produits industriels se présentent sous forme de
milliers de variantes, le produit industriel, par rapport au circuit court, est
caractérisé par l'uniformité.
Une usine d'une chaîne alimentaire fait la même chose et met en
place des systèmes de vérification pour prouver qu'il s'agit de
la même chose. Si nous passons dans un circuit court -qu'il s'agisse de
ce que fait mon charcutier ou mon pâtissier, que je connais et qui font
des choses exquises- la variabilité, d'un jour à l'autre, d'une
semaine à l'autre, est plus grande. Cette variabilité provoque
chez moi un grand plaisir, mais diminue la sécurité.
Au total, les contraintes économiques font que seuls des produits de
luxe, c'est-à-dire très chers, peuvent être mangés
en toute sécurité, dans des circuits courts très
coûteux, parce qu'il faut que les mesures soient assurées sur
toute la production. La grande majorité d'entre nous continuera à
manger, dans les années à venir, des produits uniformes de
l'industrie alimentaire.
Je voudrais ajouter que les politiciens sont très en danger face aux
problèmes alimentaires. Vous vous souvenez en effet que la dioxine belge
a fait sauter un ministre, puis un deuxième, puis un Gouvernement, puis
le parti au pouvoir.
Les dirigeants des grands groupes agro-alimentaires sont absolument
obsédés par le danger du risque réel ou imaginaire, parce
qu'ils y perdraient leur poste, et la marque sa valeur. En d'autres termes, il
n'est pas indispensable de dire à l'industrie agroalimentaire
d'être attentive à la sécurité : elle l'est
déjà de façon obsessionnelle !
Le résultat, d'ailleurs, est qu'actuellement, on ne compte, pour la
totalité des risques alimentaires aigus, que quelques dizaines de morts
par an sur 500.000 cas, alors qu'au temps des circuits courts, le seul
botulisme provoquait en France des milliers de morts ! Notre situation est
actuellement entre 100 et 500 fois meilleure en termes quantitatifs qu'elle ne
l'était au début du siècle !
Nous ne ferons pas marche arrière sur l'essentiel.
M. le Rapporteur -
Quelle évolution voyez-vous pour l'agriculture
productiviste, l'agriculture biologique, l'agriculture raisonnée, en
tant que scientifique et en tant que citoyen ?
M. Marian Apfelbaum -
Ma compétence comme agriculteur ou comme
expert en agriculture est nulle. Ceci étant dit, j'en sais assez pour
dire que, si jamais on décidait de revenir à des modes culturels
anciens, on déclencherait une famine.
Si, dans ce pays qui est grand et qui comporte beaucoup de terres arables, il
fallait nourrir la population par les méthodes anciennes, la chose
s'avérerait impossible, sauf à supprimer de notre alimentation
toute la partie animale puisque, pour fabriquer un produit animal, il faut une
quantité importante de produits végétaux.
En d'autres termes, on pourrait revenir à des techniques anciennes, avec
l'assurance de connaître les famines anciennes et, comme autrefois, une
extrême pauvreté.
M. le Rapporteur -
Merci de votre clarté.
M. le Président -
La parole est aux commissaires.
M. Paul Blanc
- Une première question provocatrice. Le
nutritionniste que vous êtes ne se réjouit-il pas de voir la
consommation de viande rouge diminuer, alors qu'elle est accusée de
favoriser les cancers du colon ?
M. Marian Apfelbaum -
Les relations entre la consommation de la viande
et un certain nombre de maladies, dont le cancer du colon, sont très
discutables.
La viande est un produit relativement gras. Il va de soi qu'un bon filet est
plus maigre qu'une viande hachée mais, au total, les relations avec les
maladies coronariennes, d'une part, et les cancers, d'autre part, n'ont jamais
été prouvées expérimentalement.
Il y a des corrélations épidémiologiques plus ou moins
fortes selon les cas. Je pense que la consommation, en quantité
raisonnable, d'une viande bovine de qualité ne présente aucun
inconvénient pour la santé.
M. Paul Blanc
- Vous avez parlé du souci obsessionnel des
fabricants agro-alimentaires. Au cours de notre enquête, nous avons
constaté que l'agroalimentaire utilisait jusqu'à très
récemment, de manière assez importante, des graisses bovines dans
l'alimentation humaine. Pensez-vous qu'il n'y avait aucun risque à ce
niveau-là ou que le souci obsessionnel est récent, suite à
ce que l'on vient de voir ?
M. Marian Apfelbaum -
Actuellement, quel que soit le caractère
infime du risque, il serait tout à fait condamnable de mettre dans les
petits pots de bébés de la cervelle. Même si le risque est
très faible, il est inacceptable.
Une fois que l'industrie s'est assurée de la sécurité de
ses produits, le second problème réside dans le prix de revient.
Ils sont philanthropes, mais sans le faire exprès !
L'agroalimentaire éprouve une peur obsessionnelle du risque, réel
ou imaginaire, car une marque est mise en cause aura le plus grand mal à
s'en remettre.
Il y a un produit dont je ne me sers jamais, car je le considère comme
particulièrement mauvais : c'est le Coca-Cola. Il y a eu, dans le
Nord de la France, un bruit qui ne reposait sur rien, selon lequel le Coca-Cola
de l'usine de Lille provoquait des maladies. La presse s'en est emparé,
la consommation a baissé, la chute à Wall Street a
été considérable, alors qu'on savait qu'il n'y avait aucun
fondement à ces bruits. Puis, les choses se sont arrangées.
En d'autres termes, Coca-Cola fait-il attention à ce que la chose ne se
reproduise pas de son fait ? Oui ! Mais les malheurs qui leur sont
arrivés étaient des malheurs dont ils étaient innocents.
M. Paul Blanc
- Il y a eu Perrier aux Etats-Unis.
M. Marian Apfelbaum -
J'ai bien connu l'affaire. Les traces de
benzène trouvées aux Etats-Unis par des machines d'une puissance
extrême étaient inoffensives, quelle que soit la dose : on
pouvait boire des milliers de litres de Perrier souillés sans jamais en
être incommodé -bien qu'en absorbant quelques milliers de litres,
on puisse l'être quand même !
Toujours est-il que les directeurs de l'entreprise de l'époque, ayant
immédiatement compris la chose, à la place de discuter sur le
fait que la quantité de benzène était inoffensive
-moi-même j'ai affirmé qu'elle l'était- ont retiré
de la circulation mondiale toutes les bouteilles de cette série. Or, la
consommation de Perrier n'a pas encore repris son niveau aux Etats-Unis !
C'est dire l'impact qu'a eu l'association Perrier-benzènes-poison, pour
fausse qu'elle ait été, sur la carrière du directeur et
sur le bénéfice de la marque, qui a encore du mal à s'en
remettre, et ceci 25 ans après !
M. le Président -
Que pensez-vous du principe de
précaution que l'on applique à peu près partout et pour
tout, et qui va se développer encore ?
M. Marian Apfelbaum -
J'ai été professionnellement
mêlé à certaines discussions sur ce sujet. Malgré
les nombreux textes qui existent à la matière, personne ne m'a
expliqué les limites du principe de précaution. Je crois avoir
compris que le principe de précaution intervient à un moment
où aucune preuve scientifique n'est faite qu'il existe un risque.
Il renvoie à la notion du risque zéro, auquel nous avons droit,
mais qui est une bêtise incroyable, parce que la vie est un
phénomène génétiquement transmissible et toujours
mortel ! Manger, boire -sans parler des tentatives de procréer ou de ne
pas procréer- sont des actes dangereux. Il s'agit là d'une
exigence irrépressible, mais entièrement stupide !
De toute façon, le principe de précaution a été
inventé à la suite des écrits de Jonas concernant
l'écologie. Il a été étendu à l'alimentation
dans le cadre de la pression médiatique et populaire.
En matière d'alimentation, il n'a aucun sens. Un danger doit être
appréhendé, prévu, mesuré et évité,
ce qui est une obligation pour tous -politique, nutritionniste, système
de contrôle.
Je pense que le principe de précaution en matière alimentaire ne
devrait pas s'appliquer, tout en sachant que cela est contraire à
l'exigence médiatique et publique. Les médias ne sont d'ailleurs
pas les inventeurs de la panique que l'on vit. Ils l'accompagnent et
l'amplifient à la demande de la population. Ce n'est pas un complot
médiatique.
Une remarque : la dernière grande panique concernant
l'encéphalite bovine, que nous vivons encore, a été
déclenchée par un non événement : il n'y a pas
eu 500 Français d'atteints, mais un paysan qui a mené à
l'abattoir une vache qu'il n'aurait pas dû amener. Le
vétérinaire a fait ce pour quoi il était
payé : il a isolé la vache et il ne s'est rien passé
de plus.
Là dessus, une chaîne de télévision a passé
l'image d'une jeune anglaise en train de mourir d'encéphalite, mais qui
aurait aussi bien pu mourir de leucémie, déclenchant
immédiatement le signal dont j'ai parlé.
Revenons à ce signal. Prenez des étudiants, théoriquement
bien au courant de ce qu'est le raisonnement scientifique. Convoquez-en vingt
pour faire des tests et donnez à chacun deux petits gobelets vides.
Demandez-leur de marquer, sur l'un, "poison" et, sur l'autre, "sucre", puis
remplissez les deux gobelets de sucre en poudre.
Laissez passer une ou deux heures et, au bout de ce laps de temps, servez-leur
du thé. Ils voudront alors sucrer leur thé et prendront donc du
sucre. Dites-leur : "Prenez donc du poison !". Ils refuseront !
Là, le complot n'a pu exister : tout était sur la table
depuis le début. C'est une expérience qui démontre bien
que dire qu'une vache "follette" a été menée aux abattoirs
et montrer une enfant anglaise en train de mourir est un signal qui peut
être critiqué, mais dont l'efficacité est certaine !
Un mot d'introspection : si j'étais producteur de
télévision, je pense que je chercherais des images-chocs pour
gagner ma vie.
M. Roland du Luart
- Une réflexion. Nous avons été
jeunes l'un et l'autre. Vous êtes nutritionniste et je voudrais vous
poser une question par rapport à l'alimentation qu'on donnait aux
enfants.
Autrefois, les pédiatres recommandaient de la cervelle, du foie de veau
et un certain nombre de produits de ce genre. Or, aujourd'hui, tout cela est
interdit.
Je crois savoir qu'en Europe, on autorise le thymus alors qu'on l'interdit en
France. Pensez-vous que, lorsque cette crise sera passée, on pourra
revenir vers la consommation de produits recommandés pour les enfants,
et qui sont aujourd'hui interdits ?
M. Marian Apfelbaum -
Dès lors que tout danger
d'encéphalite aura disparu, je ne vois pas de raisons de ne pas
reprendre de la cervelle d'agneau, parce qu'on sait que la tremblante n'est pas
transmissible et, en second lieu, du foie de veau.
Mais, d'après ce que je sais de la psychologie humaine, le signal que
les gens ont reçu ne va pas disparaître. Si jamais
j'annonçais à la télévision, moi qui suis vieux,
qui porte une barbe blanche et qui suis censé représenter l'image
du père, que l'eau du robinet peut transmettre l'encéphalite
bovine, le Sida et d'autres choses, une partie importante de la population
arrêterait immédiatement d'en consommer. Si je revenais ensuite
pour dire que c'était une plaisanterie, une partie de cette même
population ne recommencerait pas pour autant à boire de l'eau du robinet.
Conclusion : les produits condamnés aujourd'hui dans le cadre de
l'encéphalite ne reviendront pas de si tôt, même si tout
danger paraît écarté.
M. le Président -
Y a-t-il d'autres questions ?
Monsieur le Professeur, je pense que nous avons fait le tour de ce que nous
souhaitions vous demander. Nous vous remercions infiniment de la qualité
de l'intervention que vous avez faite, qui a été très
claire et très affirmée.
M. Marian Apfelbaum -
Merci, Monsieur le Président.
Audition de M. Éric GRAVIER, Vice-président de Mac Donald's
France
(21 février 2001)
M.
Gérard Dériot, Président -
Monsieur Éric
Gravier, vous êtes vice-président de Mac Donald's France. Vous
êtes accompagnés de Mme Catherine Choquet, responsable
filière, et de Mme Edith Lagnien, directeur de la société
Mac Key. Merci d'avoir répondu à notre convocation.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Gravier
et à Mmes Choquet et Lagnien.
M. Éric Gravier
- Si vous le voulez bien, nous allons
présenter les deux entreprises représentées ici, Mac
Donald's France, et son fournisseur, Mac Key.
Mac Donald's, en chiffres, pour 2000, c'est 11,5 milliards de francs de chiffre
d'affaires, un million de clients par jour, 860 restaurants sur l'ensemble de
l'année, dont 70 nouveaux qui ont représenté un
investissement de 656 millions de francs, 35.000 personnes qui travaillent sous
l'enseigne, un réseau de 240 franchisés, qui sont des
responsables de PME indépendants dans le tissu économique local.
En ce qui concerne les achats de Mac Donald's en termes de produits
alimentaires, le chiffre d'affaires s'est élevé à 2,6
milliards de francs, dont 77 % sont des produits alimentaires
achetés à France, soit un peu plus de 2 milliards de francs. Le
monde des fournisseurs de Mac Donald's emploi lui-même, directement ou
indirectement, à peu près 3.000 personnes.
Nous sommes en développement continu, notamment avec le monde de nos
fournisseurs ; par exemple, l'an 2000 a vu la mise en place et l'ouverture
d'une nouvelle usine, à Fleurey-sur-Ouche, près de Dijon, et 2001
doit voir la mise en place de la nouvelle usine du groupe Mac Cain à
Matougues, pour les frites.
Plus en amont, nous avons travaillé en l'an 2000 avec un peu plus de
48.000 éleveurs de bovins, 90 éleveurs de poulets, 110
éleveurs de porcs, 100 céréaliers,
80 maraîchers et 375 producteurs de pommes de terre.
Je laisserai la parole à Edith Lagnien pour qu'elle présente
elle-même l'entreprise Mac Key.
Mme Edith Lagnien
- Nous sommes une PME de 160 personnes, située
à côté d'Orléans. Nous avons fabriqué en 2000
environ 30.000 tonnes de steaks hachés surgelés, soit environ un
steak haché surgelé sur quatre produits en France.
Nous fournissons Mac Donald's à 98 % et sommes vraiment le
spécialiste du steak haché, puisque notre usine, qui est
entièrement dédiée à cette transformation, n'a ni
abattoir lié, ni salle de désossage.
On travaille donc avec une trentaine de fournisseurs, qui sont des abattoirs
désosseurs, parmi lesquels on va retrouver des grands groupes et des
grosses unités, comme Bigard-Cuiseaux, SOCOPA-Coutances, SABIM à
Sablé-sur-Sarthe, SVA Trémorel, ou Bif Armor. On va
également retrouver des unités plus petites, comme Gourault,
à Blois, Monier, ou Le Bocage à Formerie.
Depuis un certain nombre d'années, nous avons développé
avec tous nos fournisseurs des plans d'assurance-qualité pour garantir
toute la sécurité alimentaire, en particulier par le
développement, dès 1992, d'un process de
traçabilité, comportant un process informatisé de
l'entrée des matières premières dans notre usine jusqu'au
produit fini.
A partir de 1993, jusqu'à un process concrétisé en 1995,
on a travaillé avec nos fournisseurs pour avoir une
traçabilité complète de l'arrivée de l'animal
à l'abattoir jusqu'au produit fini, en demandant à nos
fournisseurs d'enregistrer tous les numéros de lots et de tueries des
animaux pour avoir toutes les informations sur la traçabilité.
On a également beaucoup travaillé avec nos fournisseurs pour
développer les plans HACCP, qui sont des méthodes
d'assurance-qualité permettant de garantir toute la
sécurité alimentaire. Nous avons en particulier demandé
à nos fournisseurs, depuis 1993, de mettre ces plans HACCP en place,
alors qu'à l'époque, ce n'était pas encore entré
dans les moeurs et que ce n'est toujours par réglementairement
obligatoire aujourd'hui.
Il s'agit de tout un travail au niveau des fournisseurs en matière de
bonnes pratiques, mais également de choix des matières
premières.
Nous ne fabriquons pour Mac Donald's France que du steak haché. La
définition réglementaire du steak haché est
extrêmement claire : ce n'est que du muscle, qui peut
réglementairement contenir 1 % de sel. Chez nous, volontairement,
cela n'a jamais été que du steak haché 100 % pur
muscle, sans adjonction de sel, depuis 1987 que l'usine existe.
Cela signifie que la viande n'est pas séparée
mécaniquement, qu'elle ne contient ni abats, ni chutes de
découpe. Nous nous interdisons également d'y incorporer un
certain nombre de muscles, pour des raisons organoleptiques, ceux-ci risquant
de donner à la viande un goût un peu fort, qui n'est pas ce que
nous recherchons pour notre steak haché.
Un certain nombre de carcasses sont également interdites d'emploi, comme
les veaux, puisqu'on fait un steak haché avec des animaux plus
âgés. On ne veut pas non plus de taureaux puisque, de la
même façon, d'un point de vue gustatif, cette viande ne
correspondrait pas à nos standards.
Ce travail en amont est donc extrêmement important quant au choix des
morceaux et des fournisseurs. Le process est relativement simple et correspond
un petit peu à ce qui peut se faire chez le boucher : un hachage
des viandes dans un hachoir sans fin, avec un mélange, un formage et une
surgélation, puis un stockage avec, à tous les points de l'usine,
et en particulier au niveau de la réception, tout un système
d'assurance-qualité et de contrôle-qualité destiné
à vérifier que les matières premières que l'on
reçoit sont bien conformes à nos cahiers des charges. Ces
contrôles existent également à tous les stades de la
production.
Enfin, les matières premières sont principalement des avants,
c'est-à-dire des parties à bouillir, comme les morceaux type
"pot-au-feu", l'achat complet des avants participant à
l'équilibre de la carcasse.
M. le Président -
La parole est au rapporteur.
M. Jean Bizet, Rapporteur -
Vous avez parlé de la
traçabilité. En êtes-vous satisfaits ? Ferez-vous
encore des progrès ?
Avez-vous l'intention d'informer le consommateur sur l'origine de vos viandes
et sur la façon dont les animaux ont été nourris ?
Quelles sont vos prévisions ou vos prospectives en la
matière ?
M. Éric Gravier
- Aujourd'hui, tous les outils ont
été mis en place pour remonter jusqu'à l'origine des
animaux concernés. Sur le plan de la sécurité, nous nous
sentons donc bien armés.
En revanche, il est clair que, s'agissant de muscles entiers
sélectionnés au niveau des abattoirs, il y a encore de quoi
réaliser des marges de progression, puisqu'il existe une sorte de
barrière, non volontaire probablement, entre le monde de
l'élevage et les industries de distribution ou de troisième
transformation. La présence à mes côtés de Catherine
Choquet, responsable risques et filière chez nous depuis l'an dernier,
démontre, en ce qui nous concerne, une stratégie destinée
à mieux connaître ce qui se passe dans le monde de l'agriculture
aujourd'hui, au niveau de l'élevage.
Non que nous ayons des doutes mais, aujourd'hui, lorsqu'il s'agit de mettre en
place des cahiers des charges, nous commençons par les mettre en place
au niveau des viandes sélectionnées par les abattoirs.
Nous serions intéressés de voir se développer de bonnes
pratiques, voire même la qualification des élevages, que nous
serions prêts à privilégier et à favoriser. Certes,
cela nécessite du travail et une mise en oeuvre technique, mais c'est
l'orientation que nous avons choisie de prendre.
M. le Rapporteur -
Si je comprends bien, au delà de l'outil de
première transformation qui est l'abattoir, vous imagineriez, dans un
avenir proche, de contractualiser ou de passer un partenariat avec les
agriculteurs appartenant à un réseau respectant un certain cahier
des charges.
M. Éric Gravier
- En tout cas, dans un premier temps, un des
moyens que l'on pourrait imaginer de mettre en place relativement rapidement,
c'est l'éventualité d'une prime aux morceaux de viande issus
d'élevage recourant aux bonnes pratiques et qui, volontairement,
acceptent de se faire auditer par des organismes tiers. On pourrait imaginer,
sous cet angle, apporter un signe au monde de l'élevage.
Quant à la question de savoir si l'on irait jusqu'à
contractualiser, peut-être en partie. C'est un travail de recherche et de
réflexions que l'on est en train de mener avec le monde de
l'élevage, tout en restant conscients du fait que nous
représentons un débouché important au marché,
puisqu'on prend une partie des pièces avants et que l'on n'a pas
l'intention, par des décisions trop drastiques et trop lourdes, de
mettre en difficulté le marché de la filière bovine en
France aujourd'hui.
M. le Rapporteur -
Vous avez donné votre définition du
hamburger -100 % pur muscle. Lors des auditions précédentes,
nous avons eu quelques informations selon lesquelles, en France, certains
fabricants y incorporaient également des morceaux d'abats -coeur, etc.
Nous avons été notamment troublés d'apprendre qu'en
Angleterre, on incorporait de la cervelle dans les hamburgers.
Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ? L'inquiétude est
profonde sur le hamburger "made in England".
M. Éric Gravier
- Je commencerai, dans la gamme existant depuis
de longues années en France, par essayer de clarifier la
définition du hamburger et du steak haché.
Le code des usages de l'interprofession, depuis très longtemps, a
autorisé que l'on nomme "hamburger" toute préparation
hachée qui ne soit pas 100 % pur boeuf et qui n'est pas du steak
haché.
Cette définition s'est retrouvée dans les rayons des magasins
sous forme de viande hachée surgelée en boîte. Ce que nous
appelons, nous, "hamburger", c'est le nom d'un sandwich. A ce titre, dans notre
sandwich qu'on appelle "hamburger", nous n'avons jamais mis autre chose que du
steak haché 100 % pur boeuf, et j'ai apporté avec moi un
cahier des charges qu'a cosigné notre fournisseur Mac Key, d'ailleurs en
anglais -car c'était avant même la mise en place physique de Mac
Donald's en France- qui date de 1973.
Nous l'avons cosigné en 1986. Il détermine et définit
précisément les pièces que nous autorisons.
Déjà à l'époque, il mentionnait l'interdiction des
viandes séparées mécaniquement, des abats et des chutes de
coupe.
M. le Rapporteur -
Et ceci depuis combien d'années ?
M. Éric Gravier
- Depuis que Mac Donald's France existe.
M. Edith Lagnien
- Et, pour ma part, depuis que Mac Key France existe
-1996.
M. Éric Gravier
- Le plus ancien document que j'ai pu
récupérer date de 1973. C'est un document rédigé en
anglais, car il concerne toute l'Europe. On en a fait une traduction partielle
pour les points-clés. Bien entendu, il est à votre disposition.
Mme Edith Lagnien
- Pour rebondir sur cette définition du mot
"hamburger" et sur la confusion entre le hamburger contenant de la viande
hachée et le sandwich à base de viande hachée, le nouveau
code des usages "viandes hachées", qui a été
rédigé il y a peu et à la rédaction duquel j'ai
participé -il est en cours de parution- interdira l'utilisation du terme
"hamburger" pour les préparations de viande hachée,
précisément pour éviter toute confusion.
M. le Rapporteur -
A propos d'usages de fabrication, pouvez-vous
confirmer l'incorporation de cervelle ou d'abats dans le steak haché
anglais ?
M. Éric Gravier
- Pour ce qui concerne Mac Donald's, le cahier
des charges que j'ai cité, qui date de 1973, est un cahier des charges
européen, pour l'ensemble de tous les fournisseurs de steaks
hachés. Mac Donald's, en Angleterre, et son fournisseur, travaillaient
déjà sur le même cahier des charges en 1973.
M. le Rapporteur -
Vous avez dit que pratiquement 77 % de vos
approvisionnements étaient d'origine française. Avez-vous
acheté des viandes et des carcasses à l'étranger,
notamment dans certains pays qui n'avaient pas la même
réglementation au regard de l'ESB que la France ?
Mme Edith Lagnien
- Il nous est arrivé effectivement d'acheter
des viandes à l'étranger à un très faible
pourcentage puisque, depuis quelques années, on achète plus de
95 % de nos viandes en France, mais toujours avec les mêmes cahiers
des charges, et les mêmes systèmes d'audit et de contrôle
à réception.
M. Éric Gravier
- En fait, Mac Key a eu besoin de
s'approvisionner à l'étranger en raison du manque de
disponibilité sur le marché français.
Notre steak haché, dans notre cahier des charges, doit contenir
20 % de matière grasse ; cela sous-entend des pièces
prisent sur les avants, mais aussi sur les flancs. Or, quelquefois, il
s'avère que l'on ne trouve pas toute la capacité sur le
marché français.
Je rappelle qu'il s'agissait toujours de muscles entiers et uniquement pur
boeuf, avec le même cahier des charges que celui de Mac Donald's pour les
pays dans lesquels Mac Key s'est approvisionné.
M. le Rapporteur -
Quels étaient ces pays ?
Mme Edith Lagnien
- On s'est approvisionné en Irlande, en
Allemagne, un tout petit peu en Italie, en Angleterre -mais on a cessé
d'acheter en Angleterre depuis 1993- et aux Pays-Bas.
M. le Rapporteur -
Pourrait-on avoir des documents pour visualiser les
tonnages que vous avez pu importer au fil des ans ?
Mme Edith Lagnien
- Bien sûr !
M. le Rapporteur -
On a pu noter une baisse de 10 % de votre chiffe
d'affaires au cours de l'année 2000. Y a-t-il une relation directe avec
cette crise de l'ESB et imaginez-vous, si tel était le cas, retrouver
votre niveau de chiffre d'affaires une fois la crise passée ?
Quelle est votre analyse en la matière ?
M. Éric Gravier
- Pour 2000, si l'on tient compte du chiffre
d'affaires sous enseigne, qui inclut les 70 restaurants nouveaux que nous avons
ouverts, le chiffre d'affaires a augmenté de près de 9 %.
Il est donc en progression, et non en chute. Il n'en est pas moins vrai qu'au
moment de la dernière crise de l'automne, nous avons ressenti un effet,
mais beaucoup plus dans le cabre d'un transfert du boeuf vers d'autres types de
viandes -poulet, poisson- de l'ordre de près de 15 %.
En réalité, la fréquentation de nos restaurants n'a pas
beaucoup évolué. Elle aurait pu être en progression. Elle
ne l'a pas été, mais on ne peut dire aujourd'hui qu'on a
été impacté à la baisse par cet effet de la crise.
Nous avons construit la réputation de Mac Donald's sur un concept
"hamburger". Près de 60 % de nos sandwiches sont faits avec du
boeuf. C'est donc notre fonds de commerce. Il n'est pas question de lui tourner
le dos. Nous avons confiance à la fois en notre cahier des charges et
dans la capacité des gens qui le font vivre, mais aussi, bien entendu,
dans la filière bovine française !
M. le Rapporteur -
Quels sont vos projets en termes de
communication ?
M. Éric Gravier
- Ces projets sont inscrits depuis 1999. Sur le
plan de l'approvisionnement, notre objectif est d'aller le plus vers le monde
de l'agriculture et de l'élevage.
Néanmoins, sur le plan de la communication, nous avons construit une
sorte de fil rouge depuis cette année puisque, à partir du mois
d'août, nous avons commencé à communiquer à la
télévision sur la qualité de nos produits. Demain, on
parlera peut-être du social.
En réalité, nous sommes une entreprise-symbole. C'est souvent le
propre des entreprises leaders sur leur marché. On l'assumera comme tel.
On revendique notre "américanité", puisque c'est le concept que
nous proposons mais, à force de ne pas nous exprimer, on laisse penser
que nous cachons quelque chose.
Nous avons donc décidé de cesser de paraître cacher quoi
que ce soit. Nous parlons, à la télévision, depuis le mois
d'août, de la qualité du steak haché. En novembre, nous
avions une deuxième campagne de télévision, dans laquelle
nous avons même utilisé des informations que nous n'aurions jamais
utilisées auparavant, puisqu'on commençait à parler du
muscle.
Sur le plan commercial, ce n'était pas ce qu'il y avait de plus vendeur,
mais il s'avère que l'attente des consommateurs est toujours plus
importante.
Nous avons donc pris la décision de monter notre citoyenneté et
d'agir dans la transparence. Nous sommes présents au salon de
l'agriculture cette année, non dans le but de vendre des sandwiches ou
des hamburgers, mais pour parler de la filière, pour montrer que nous
sommes là aussi.
Nous avons l'intention, dès le mois de mars, de faire une
opération "rencontre", au cours de laquelle nous ouvrirons les portes de
nos restaurants au grand public, ainsi qu'aux médias.
Nous ouvrirons aussi cette année les portes de nos fournisseurs
principaux de steaks hachés, de frites et de pains.
Nous pensons que nous rentrons dans une époque où nous devons
assumer notre responsabilité, le dire et le clamer. Bien sûr, si
l'on fait des erreurs, il faudra le dire de la même manière. La
réalité, c'est que l'on veut ouvrir nos portes et agir dans la
transparence.
M. le Président -
Un cas de vache folle a été
détecté en Italie, chez l'un des fournisseurs de Mac Donald's.
Quelles sont les mesures prises à la suite de cette
découverte ?
M. Éric Gravier
- Je rappelle que notre cahier des charges, en
Italie, est le même qu'ailleurs en Europe. Il s'agit bien de muscles
entiers pur boeuf et cela a toujours été le cas. Le fournisseur
de Mac Donald's en Italie est un très gros intervenant de la
filière bovine, puisque je crois qu'il abat près de la
moitié de tout ce qui est abattu en Italie.
De fait, à partir du moment où les tests ont été
mis en place, il n'était pas surprenant de trouver le premier cas chez
ce fournisseur-là. Évidemment, s'agissant du fournisseur de Mac
Donald's, il était intéressant de pouvoir le dire. C'est le
côté très voyant de notre entreprise et de sa
notoriété.
De fait, cette bête a été identifiée et mise de
côté. Il n'en reste pas moins vrai qu'il y a une démarche
qui va vers toujours plus de contrôles et de vérifications, et le
fournisseur a eu dix jours pour mettre en place des contrôles
opérés par des organismes indépendants tiers, pour
répondre à toutes les normes, et même plus que la
réglementation.
M. le Président -
D'après les chiffres que vous nous
donnez, vous êtes l'un des gros consommateurs de la production
française. Comment se fait-il qu'il y ait un tel décalage entre
une partie des producteurs et ceux que vous représentez ?
M. Éric Gravier
- On a deux exemples à citer. Le premier
est issu du monde de l'agriculture. Nous avons un fournisseur qui
contractualise avec ses autres fournisseurs de pommes de terre, soit 375
producteurs de pommes de terre en France. Ceux-là savent pertinemment
que les pommes de terre qu'ils cultivent sont destinées à faire
des frites pour Mac Donald's.
S'agissant du boeuf, qui est le cas opposé, Mac Key, notre fournisseur,
est positionné sur le marché. En fait, il achète une
partie des avants. Cela tourne autour de 50 Kg par animal.
On parle d'industrie intensive. En réalité, le monde de
l'élevage français, ce sont des exploitations moyennes de 50
animaux. Chacune vend, en moyenne, une dizaine de bêtes par an. Il s'agit
donc d'une industrie de cueillette, et non d'une industrie intensive, comme on
veut bien le laisser penser.
Évidemment, lorsqu'un de ces animaux va à l'abattoir,
l'éleveur lui-même ne sait pas forcément où partira
la partie avant de l'animal. Bien souvent, il peut connaître la
destination par le nom de l'abattoir mais, en ce qui concerne les morceaux
avants, ce n'est pas évident.
C'est pour cela que l'on est présent au salon de l'agriculture, parce
qu'on parle de 40.000 éleveurs pour l'année 2000. Ce n'est pas
rien ! Cela représente l'équivalent de 500.000 animaux, et ce
monde-là ne le sait pas.
Nous pensons qu'il y a un lien nécessaire à créer entre le
distributeur final que nous sommes, au contact du client, et l'éleveur
qui, lui-même, a certainement, dans beaucoup de cas, remplit son contrat
jusqu'à maintenant.
Aujourd'hui, il se doit aussi de travailler différemment, en
transparence, en documentation et en bonnes pratiques.
M. le Président -
Vous avez un programme de
développement : se situe-t-il toujours dans la même
démarche.
Qu'est-ce que cela va entraîner en volume ou en nombre d'éleveurs,
parmi ceux qui vont être concernés ? Avez-vous une estimation
ramenée au tonnage ?
M. Éric Gravier
- C'est assez difficile. Le chiffre que nous
citons tient au fait que l'élevage est une industrie de cueillette. Nous
travaillons avec beaucoup d'éleveurs, et pas toujours les mêmes.
Il n'est pas anormal qu'un éleveur n'envoie qu'une, deux ou trois
bêtes à l'abattoir.
De fait, je pense qu'aujourd'hui, compte tenu de la raréfaction de la
matière, les bêtes qui servent à faire du steak
haché sont probablement issues d'un plus grand nombre d'élevages.
Je ne serais pas surpris que, ramené à une moyenne annuelle, on
travaille avec 100.000 éleveurs.
La progression de notre chiffre d'affaires, qui a atteint près de
9 % pour l'année 2000, tient bien sûr compte du fait que nous
ouvrons plus de restaurants.
En moyenne, cela tourne entre 60 et 80 restaurants de plus chaque année,
bien qu'ils n'aient pas tous la même configuration que par le
passé. Ce sont des restaurants souvent plus petits, dans des zones
où nous n'étions pas, comme les gares, les aéroports.
Bien entendu, cela se traduit en termes de volumes d'achats de produits, en
quantités, par des tonnages qui sont, selon le cas, selon le type de
promotion que l'on va faire, en progression de 5 à 10 % chaque
année.
Nous constituons un tel débouché potentiel pour la filière
bovine et nous avons tellement construit sur le boeuf que l'on fera en sorte de
ne pas tourner le dos au boeuf.
A ce titre, dès le mois de mars, nous allons lancer un sandwich qui sera
fait avec le steak haché le plus gros que nous n'ayons jamais fait dans
notre histoire, qui va faire 150 g. Vous voyez que, dans ce domaine, on pense
que, plutôt que courber l'échine, il faut lever la tête et
montrer qu'on est là !
M. le Président -
Quelles ont été les
réactions des clients qui ont continué à venir chez vous,
même au plus fort de la crise, en novembre et décembre ? Les
gens posaient-ils des questions ou non ?
M. Éric Gravier
- Évidemment, je peux vous parler des gens
qui pratiquent nos restaurants. Ceux-là ont déjà
poussé la porte : cela veut dire qu'ils viennent en confiance. Ils
sont près d'un million chaque jour, mais il est vrai que les
consommateurs les plus inquiets sont plutôt les mères de famille,
puisqu'on est le restaurant de la famille et orienté aussi sur les
enfants.
Les inquiétudes des mères de famille portaient sur le fait de
savoir si elles pouvaient continuer à donner du boeuf à leurs
enfants. Nous avons opté pour donner un choix supplémentaire dans
le cadre de nos "happy meals", en proposant un croque-monsieur que l'on appelle
"Croque-Mac Do" pour les enfants. On a donc proposé une alternative
supplémentaire, sans le faire à grand renfort de publicité.
Par ailleurs, du fait que nous prenons la parole depuis cette année sur
la sécurité alimentaire, on nous demande si nous avons toujours
pratiqué ainsi. Nos clients nous posent ces questions et -je le vois
pour pratiquer le salon de l'agriculture tous les jours- les éleveurs
aussi.
Cette inquiétude est plus orientée sur le passé que sur ce
qu'on explique aujourd'hui. Il semble que les clients continuent à avoir
confiance en notre enseigne, mais se posent beaucoup de questions sur ce qu'on
a fait avant.
M. le Président -
Quand vous leur expliquez ce que vous faites
depuis 1973, comment réagissent les éleveurs et les
clients ? Sont-ils étonnés ? Vous croient-ils à
peine ?
M. Éric Gravier
- On étonne beaucoup. Je crois qu'il faut
faire la distinction. On est une entreprise très visible. De fait, on
sert de faire-valoir. On est le symbole de beaucoup de choses. Quand on fait
une manifestation devant chez nous, on est au moins sûr que la
chaîne régionale de télévision se déplacera.
Entre cette partie de la population, qui entretient des informations qui ne
sont pas toujours fondées, et la partie grand public, il y a un
écart très important.
Pour preuve, le million de clients qui continuent à venir chez nous
vient en confiance. Les gens qui se posaient des questions nous croient donc
volontiers, puisqu'on ne prend pas aujourd'hui, en France, le risque de faire
de l'information et de la communication télévisée sans
pouvoir prouver ce que l'on dit !
Aujourd'hui, on est dans un monde de suspicion. On doute de tout, et c'est vrai
qu'a priori, quand on prend la parole, on se doit d'être capable de le
prouver.
Il y a donc une sorte d'étonnement devant nos réponses, d'autant
qu'elles sont très argumentées et qu'elles ne cachent rien.
Finalement, on rassure.
L'éleveur, on l'étonne, et certains, aujourd'hui, après
quelques jours au salon, viennent nous voir spontanément, en nous
demandant s'il y a moyen de travailler directement ensemble. La vraie question
consiste à demander si, en travaillant différemment, il y a moyen
de revaloriser la démarche, et si cela peut de devenir une valeur
ajoutée.
Beaucoup de questions se posent, et je crois qu'aujourd'hui le grand public et
le monde de l'agriculture nous croient volontiers. Reste à convaincre
les gens qui font l'opinion. C'est autre chose. Je crois qu'on restera un
symbole : il faut l'assumer aussi !
M. le Président -
Je reviens au problème de l'ajout de
cervelle. Vous dites que, même en Angleterre, du fait du cahier des
charges, on n'en a jamais rajouté. Or, on a entendu, dans d'autres
auditions, exactement l'inverse !
Vous confirmez que le cahier des charges a été le même
partout à Europe et, donc, respecté ?
M. Éric Gravier
- Je ne sais si on vous a cité Mac
Donald's, mais on a fait attention à bien faire la distinction entre
"hamburger" et steak haché.
Ce que je peux dire, c'est que le cahier des charges que j'ai, qui est en
anglais, qui est disponible et dont vous aurez copie, a moins de fraudes et
d'actions non volontaires de la part de Mac Donald's que des autres. Il est
bien évident que ce cahier des charges est un cahier des charges que
nous avons cosigné et fait signer à tous nos fournisseurs en
Europe. Si ce n'est pas ce qui s'est produit, c'est qu'il y a donc eu
fraude !
J'en doute très sincèrement, compte tenu du fait que la plupart
de nos fournisseurs, en Europe, sont des fournisseurs qui ne font que du steak
haché, majoritairement ou à plus de 90 % pour Mac Donald's,
avec des moyens de contrôle, de fait, assez rigoureux et efficaces.
Chez Mac Key, par exemple, les lots arrivent par quantité de 800 Kg. 800
Kg, ce n'est pas si difficile que cela à contrôler, et lorsque
chaque pièce de muscle est mise sur les convoyeurs, elle y est mise
morceau par morceau.
A partir de là, s'il y avait eu des cervelles d'incorporées de
manière frauduleuse, cela se serait vu. Je ne peux en dire plus, mais
j'ai des documents à l'appui.
J'ai moi-même entendu parler de cervelles utilisées dans des
hamburgers et il est vrai que, lorsqu'on pense "hamburger", on pense
immédiatement Mac Donald's !
M. le Président -
Je pense que vous avez répondu à
toutes nos questions.
Dites-moi, vos magasins, vous les livrez en kit -puisqu'il paraît qu'ils
se démontent ?
M. Éric Gravier
- Ils se démontent, ils se cassent assez
facilement, mais on ne les livre pas en kit. On les soigne. On soigne surtout
leur décor intérieur -et même extérieur.
Les Gobelins, à Paris, notamment, font partie des prochains restaurants
que nous ouvrirons qui cherchent à s'intégrer à
l'architecture extérieure et tentent de créer des décors
de convivialité très nouveaux et très
révolutionnaires dans le monde de Mac Donald's International !
M. le Président -
Merci d'avoir répondu à toutes
nos questions et bon courage !
M. Éric Gravier
- Merci.
Mme Edith Lagnien
- Merci.
Audition de M. Jean-Louis HUREL,
Directeur général de SARIA
industries
(21 février 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Hurel, vous
êtes Directeur général de SARIA Industries et vous
êtes aujourd'hui entendu dans le cadre de notre Commission
d'enquête du Sénat sur le problème des farines animales et
leurs conséquences avec la propagation de l'ESB.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Hurel.
M. le Président
- On nous avait annoncé que vous seriez
accompagné de M. Voguet, responsable de la Communication pour le
compte du SIFCO. Je préfère donc qu'il vienne avec vous et qu'il
prête serment afin de pouvoir répondre aux éventuelles
questions qui pourraient lui être posées.
Dans le cas contraire, je serais obligé de lui demander de sortir de
cette salle. Cette séance est publique pour les journalistes mais pas
pour les autres personnes.
M. Jean-Louis Hurel -
Je n'y suis pas opposé si lui-même
est favorable à votre requête.
M. le Président
- Monsieur Voguet, vous êtes responsable de
la Communication pour le compte du SIFCO, à savoir l'organisation
professionnelle de l'ensemble de la profession.
Je vais vous demander de prêter serment afin que vous puissiez
répondre à toute question qui pourrait vous être
posée. Je vous demande de dire toute la vérité, rien que
la vérité, de lever la main droite et de le dire je le jure.
M. Voguet
- Je le jure.
M. Jean-Louis Hurel -
SARIA Industries est aujourd'hui une entreprise de
1 450 personnes qui réalise un chiffre d'affaires d'environ 1,4 GF.
Elle émane, à l'origine, d'un département de la
société SANOFI Bio-Industries spécialisé dans les
bio-industries du Groupe SANOFI. Cette société a
été vendue en 1995 au Groupe allemand Rethmann.
En France, elle regroupe environ 14 usines plus ou moins
spécialisées dans différentes activités en fonction
du gisement et de la collecte des matières premières.
Le Groupe SARIA Industries est spécialisé dans le traitement et
la valorisation (au moins jusqu'à une date récente) des
coproduits d'abattoirs ; ce qui n'est pas directement utilisé dans
la viande est récupéré pour être transformé,
principalement en farines animales et en graisses.
Une deuxième partie de l'activité consiste à traiter le
service public de l'équarrissage ; il s'agit de collecter et de
transformer (en farines animales destinées à
l'incinération) les matériaux à risques
spécifiés, à savoir les coproduits exclus de la
chaîne alimentaire par les Services Vétérinaires, dans les
abattoirs suivant une liste déposée. Cette mission consiste
également à collecter les cadavres d'animaux dans les
élevages.
Cette activité représente aujourd'hui environ un tiers du volume
total traité par SARIA Industries qui collecte et transforme environ un
1 500 000 tonnes de coproduits et de produits animaux.
Je suis moi-même rentré dans l'entreprise en octobre 1996 et j'ai
exercé pendant 4 ans les fonctions de Directeur administratif et
financier. J'ai été nommé Directeur général
du Groupe en France depuis le 1er janvier 2001.
Les conditions dans lesquelles nous exerçons notre activité
résument la situation que nous vivons aujourd'hui. Depuis 1990 un
certain nombre de cas, en France, d'animaux atteints de l'ESB a
été constaté. En 1990, la consommation de farines animales
par les ruminants a été supprimée. Ce n'est qu'en 1996 que
la séparation totale des matériaux à risques
spécifiés et leur incinération a été
effectuée, en obligeant les structures industrielles que nous sommes
à séparer les circuits de transformation et de collecte ; il
nous a été demandé de traiter de manière totalement
indépendante le service public de l'équarrissage et la
transformation pour valorisation des coproduits.
Des unités de stérilisation ont été
installées en 1998 à la suite des demandes de la Commission
européenne. Le 14 novembre 2000, les farines et une partie des graisses
issues de la transformation ont été interdites dans
l'alimentation animale. Toutefois, depuis peu de temps les farines de poissons
sont à nouveau autorisées dans l'alimentation de certains
animaux, mais pas dans celle des bovins.
M. le Président
- Par rapport à cette évolution,
comment vos entreprises ont-elles évolué au cours du temps ?
Il semble qu'à chaque fois vous étiez obligés de traiter
les produits de manière différente. Comment cela s'est-il
passé et à quelle date avez-vous appliqué les
réglementations qui s'imposaient ?
M. Jean-Louis Hurel -
Dès 1996 nous avons appliqué la
séparation des collectes et des traitements. Les véhicules
devaient être identifiés concernant le service public de
l'équarrissage, et pour les MRS, ainsi que pour la partie valorisation.
Les usines ont également été spécialisées.
Concernant notre Groupe, 4 usines ont fait l'objet d'une affectation exclusive
pour le service public de l'équarrissage. Les deux usines de Plouvara et
Guer sont exclusivement dédiées à cette activité.
Deux autres usines mixtes, avec des installations totalement
indépendantes, sont situées dans les Côtes d'Armor.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Monsieur le directeur, j'aimerais revenir
sur un point. Durant les différentes auditions nous avons pris
conscience que la mise en place d'un process nouveau, d'origine anglo-saxonne,
abaissant la température, la pression et le temps de cuisson, a
généré des farines impropres à la consommation par
rapport à ce qui se fabriquait au préalable. On nous a
précisé que c'était à partir de 1983 en Angleterre,
à la suite du premier choc pétrolier.
En France, comment cela s'est-il passé : à partir de quel
moment n'avez-vous plus respecté les fameux trois critères de
133°C, 3 bars et 20 minutes ?
M. Jean-Louis Hurel -
La France avait pris une option en 1996 ;
elle avait décidé un tri complet des matières
collectées en équarrissage et des matériaux à
risques spécifiés. C'est la raison pour laquelle le principe de
stérilisation par autoclavage (133°C, 3 bars et 20 minutes) a
été appliqué à la suite d'un arrêté
ministériel du 8 février 1998 pris par M. Le Pensec qui
était alors ministre de l'Agriculture. Il s'agissait d'une application
des mesures européennes sur le territoire français.
M. le Rapporteur
- Vous avez rectifié ces normes à partir
de 1996.
M. Jean-Louis Hurel -
Nous avons, dans l'entreprise, assuré le
tri selon les règles nationales en dissociant la partie du service
public de l'équarrissage, et des matériaux à risques, de
celle concernant la valorisation, à partir de la date de cet
arrêté ministériel.
Le 8 février il a été décidé de mettre la
France aux normes européennes et d'imposer le procédé de
stérilisation par autoclavage. Cela a été appliqué
dès le départ ; les farines étaient
transférées, en sous-traitance, dans des entreprises qui
étaient en mesure de les stériliser, pendant que le processus de
stérilisation était installé dans nos usines.
M. le Président
- Où le faisiez-vous réaliser ?
M. Jean-Louis Hurel -
A ma connaissance, le SIFCO a regroupé
l'ensemble des farines qui émanaient de la profession ; elles
étaient traitées, à l'époque, dans une entreprise
située dans l'Ouest de la France, chez SOCOFARIA.
M. le Président
- Cette organisation a été mise en
place sous l'égide du SIFCO.
M. Jean-Louis Hurel -
L'ensemble a été
réalisé en commun à travers le passage d'une
décision de l'ensemble des opérateurs, en association avec les
services de la Direction Générale de l'Alimentation.
M. le Rapporteur
- Avant 1998, vous aviez les mêmes normes de
fabrication que vos homologues anglo-saxons.
M. Jean-Louis Hurel -
Les normes de fabrication qui relevaient, à
ma connaissance, de nos processus de transformation, ne prévoyaient pas
une température de l'ordre de 80°C ou 90°C ; ces
informations m'ont été communiquées ultérieurement.
Nos processus de transformation utilisaient déjà des
températures de cuisson d'environ 135°C. Un seul point
n'était pas totalement conforme à la stérilisation sous
forme d'autoclavage car il n'y avait pas de pression ; à
l'époque, les 3 bars n'étaient pas une obligation.
M. le Rapporteur
- J'avais cru lire que quelques recommandations avaient
été faites directement par le SIAL qui indiquait qu'il fallait
faire attention aux importations de farines anglo-saxonnes car les
critères respectés en France ne l'étaient pas en
Angleterre. Or, nous avons appris depuis que ces normes n'étaient
respectées ni en France ni en Angleterre.
Vous indiquez que vous étiez en conformité, à partir de
1998, avec l'arrêté ministériel et qu'auparavant le
critère de la pression n'était pas respecté.
M. Jean-Louis Hurel -
Nous avons toujours été en
conformité avec les arrêtés ministériels. La
législation, à l'époque, ne nous imposait pas de
stériliser au sens des 133°C, 20 minutes et 3 bars. Les processus
des transformations des farines, tels qu'ils existaient en France
(validés par les Services Vétérinaires et par
l'Administration), étaient considérés comme étant
exempts de risques.
Ce n'est que pour se conformer à une disposition européenne qu'il
a été décidé de mettre en place le système
de stérilisation par autoclavage à partir de 1998.
La transformation, telle qu'elle était pratiquée dans nos usines,
a toujours été effectuée à une température
de 135°C. La seule chose qui n'existait pas, et qui n'était pas
imposée sur le territoire français, et ne l'a d'ailleurs
été qu'en 1996 par la Commission européenne, était
l'autoclavage avec une pression de 3 bars.
L'ensemble de la transformation était conforme à ce qui
était demandé par les Pouvoirs Publics français.
Toutefois, j'ai entendu dire que les farines anglaises étaient sans
doute moins chauffées.
M. Georges Gruillot
- Pourquoi la France a-t-elle attendu deux ans
(entre 1996 et 1998) pour mettre en application cette consigne
européenne ?
M. Jean-Louis Hurel -
Ma réponse n'engage que ma propre
interprétation. Sans avoir aucun élément à l'appui
de cette idée, je pense qu'à l'époque on avait
identifié le processus de tri comme étant suffisant.
M. Georges Gruillot
- Nous ne respections pas la réglementation
européenne. Elle date de 1996 et n'a été mise en
application qu'en 1998 ; nous avons donc attendu deux ans avant de
l'appliquer sur le territoire national.
M. Jean-Louis Hurel -
Je ne peux pas répondre à cette
question qui concerne plutôt l'administration et la DGAL.
M. Georges Gruillot
- En 1996, c'était donc une décision
générale sur l'Europe.
M. Jean-Louis Hurel -
Apparemment.
M. Georges Gruillot
- Dans quels pays cette loi européenne
a-t-elle été appliquée dès 1996 ?
M. Jean-Louis Hurel -
En Allemagne.
M. Georges Gruillot
- En Angleterre ?
M. Jean-Louis Hurel -
Dans ce pays il n'était plus possible
d'utiliser les farines depuis un certain temps ; il n'était donc
plus nécessaire de stériliser les produits valorisables.
M. le Président
- Qu'en faisaient-ils ?
M. Jean-Louis Hurel -
A ma connaissance, ils les détruisaient.
M. le Rapporteur
- Votre Groupe a des établissements en
Allemagne. Existait-il des mouvements de farines, entre les unités
françaises et allemandes, à partir de 1996, pour répondre
à la demande de la filière de l'alimentation animale ?
M. Jean-Louis Hurel -
Concernant la valorisation, les transferts de
farines étaient destinés à l'incinération dans des
incinérateurs allemands, sous le contrôle des Services
Vétérinaires.
M. le Rapporteur
- Il existait donc des mouvements de la France vers
l'Allemagne et pas l'inverse.
M. Jean-Louis Hurel -
Oui.
M. Paul Blanc
- Concernant le stockage de ces farines animales, vous
avez été cloué au pilori en raison des risques de
percolation par l'eau avec une pollution éventuelle. Qu'en est-il
exactement ?
M. Jean-Louis Hurel -
Au moment de la décision, à savoir
de l'arrêté ministériel du 28 juin 1996, nous avions une
problématique en France avec l'absence totale d'identification et de
lieux d'incinération. Il a été décidé que
les matériaux à risques spécifiés devaient partir
en incinération mais il n'existait pas encore de solution
identifiée pour incinérer les farines.
Par ailleurs, quand ces solutions existaient, notamment au travers de
l'industrie cimentière, celles-ci nécessitaient une
qualité de farine particulière que certaines usines n'ont pas
toujours été en mesure de produire. Il existait, dans certaines
usines, un système de dégraissage des farines, avec un solvant,
permettant de transformer la teneur initiale de matières grasses de la
farine, d'environ de 35 %, en farine avec une teneur en matières
grasses d'environ 2 % à 4 %. Ce procédé, qui
existait dans certaines usines, ne pouvait être affecté
qu'à l'activité de valorisation des farines puisqu'elle
était la seule à nécessiter des farines
dégraissées.
Nous avons donc été contraints de stocker les farines grasses,
notamment sur les lieux de production, puisqu'il n'existait pas non plus de
solution de stockage. Les stocks de farines, provenant du service public de
l'équarrissage qui produisait des farines grasses, ont augmenté
relativement rapidement. Quand on a identifié des solutions
d'incinération, notamment chez les cimentiers, des cahiers des charges,
n'autorisant les farines qu'avec une teneur en matières grasses de
12 % à 14 %, nous ont été transmis pratiquement
un an après la décision de tri et de destruction.
Les farines qui avaient été stockées pendant près
d'un an et contenaient près de 30 % de matières grasses ne
pouvaient pas être incinérées directement dans la
filière cimentière. C'est la raison pour laquelle elles ont
principalement été traitées dans des incinérateurs
allemands.
M. Paul Blanc
- En attendant elles ont été stockées
comme il était possible de le faire. C'est là que des
problèmes ont été rencontrés.
M. Jean-Louis Hurel -
Nous n'avons pas identifié de
problèmes autres que ceux médiatiques, que vous soulevez,
concernant le refus de voir s'accumuler sur les sites des tonnages importants
de farines grasses provenant du service public de l'équarrissage.
M. Paul Blanc
- Les cimentiers sont-ils capables d'éliminer
toutes celles actuellement produites ?
M. Jean-Louis Hurel -
Il semblerait que ce ne soit pas le cas. Selon les
informations dont je dispose, il y a peu de temps l'ensemble de ces farines
produites dans le cadre du service public avaient, dans certains cas, des
difficultés à partir en incinération. J'imagine qu'avec
les décisions prises dans l'arrêté du 14 novembre 2000 la
capacité des cimentiers est largement insuffisante. Je sais qu'ils ont
planifié un certain nombre de transformations d'usines et d'adaptation
de cimenteries pour augmenter cette capacité d'incinération.
M. Paul Blanc
- C'est ce que j'avais cru comprendre lors de la visite
à Bayet.
A votre avis, ne serait-il pas préférable d'aider les cimentiers
à s'équiper de brûleurs plutôt qu'essayer de
rechercher des sites de stockage puisque cela semble poser quelques
problèmes ?
M. Jean-Louis Hurel -
Il serait préférable d'interroger
l'industrie cimentière qui serait plus capable de vous répondre.
Il me semble que l'on ne puisse pas dépasser un certain volume de
farines incinérées dans une cimenterie ; c'est directement
lié à la capacité d'utilisation du ciment.
M. Paul Blanc
- J'ai pu comprendre que toutes les cimenteries
n'étaient pas équipées de brûleurs adéquats
leur permettant d'incinérer ces farines animales. Toutefois, si d'autres
cimenteries étaient équipées, cela permettrait
d'éliminer la totalité. Quel est votre avis ?
M. Jean-Louis Hurel -
A ma connaissance, et selon ce qui m'a
été indiqué par l'industrie cimentière que je
rencontre assez régulièrement, la totalité ne pourrait pas
être éliminée au travers des cimenteries ; en effet,
cela dépend aussi de la quantité de ciment produite en France. Il
n'est pas possible d'augmenter le nombre de cimenteries pour les transformer en
unités d'incinération de déchets.
M. le Rapporteur
- Quels secteurs d'activité pouvaient constituer
des débouchés pour les graisses animales ?
M. Jean-Louis Hurel -
Il existe un certain nombre de secteurs dont le
plus important était l'alimentation animale. Les graisses étaient
utilisées dans différents produits et notamment les produits de
remplacement du lait pour les animaux, à savoir les lacto-remplaceurs.
M. le Rapporteur
- Quels étaient les critères de
fabrication de ces graisses ?
M. Jean-Louis Hurel -
Techniquement, la fabrication des graisses
s'effectue suivant plusieurs méthodes. Des graisses proviennent
directement de la fonte de suif d'animaux ou de saindoux ; dans ce cas
précis, elles sont directement obtenues à partir des parties
grasses de l'animal.
Une deuxième catégorie est celle des graisses de cuisson qui
correspondent à l'extraction de la phase graisseuse qui se trouve dans
la viande. Quand on passe les déchets en traitement de cuisson, cela
élimine la phase aqueuse. Il reste un produit constitué de farine
sèche et de graisses animales obtenues par pressage de la farine
à la sortie du cuiseur.
M. le Rapporteur
- L'alimentation animale était-elle votre seul
débouché ?
M. Jean-Louis Hurel -
Il existe des applications techniques, notamment
la cosmétologie, l'industrie de la saponification et d'autres
applications techniques.
M. le Rapporteur
- Vous devez disposer de documents faisant état
des tonnages et des différents clients. Pourriez-vous nous les
fournir ?
M. Jean-Louis Hurel -
Naturellement.
M. le Rapporteur
- Compte tenu de l'utilisation non alimentaire de ces
farines, la différenciation entre les deux circuits de fabrication
(à bas risques et hauts risques) est-elle appelée à
perdurer ? En effet, en tant que professionnel, cela vous pose sans doute
des problèmes différents en termes de traçabilité,
de différents circuits, etc.
Avez-vous des propositions à faire ?
M. le Rapporteur
- Les conséquences sont évidemment
importantes en termes d'organisation industrielle. En 1996 nous avons
spécialisé les usines pour traiter en deux circuits
séparés. J'attire votre attention sur le fait qu'aujourd'hui la
nature des produits n'est rigoureusement pas la même s'agissant de leur
destination.
Dans un premier cas, il s'agit de matières provenant du service public
de l'équarrissage et étant identifiée comme étant
à risques. Dans un second cas, il s'agit d'un marché aujourd'hui
fermé pour des raisons de sécurité ou de
précautions à prendre. La fabrication des farines en France n'est
pas mise en cause ; il s'agit plutôt de leur utilisation vers
l'alimentation animale.
Dans les deux cas, on trouve une différenciation complète sur la
nature des produits. Dans un premier cas, ils sont considérés
à risques et doivent être détruits immédiatement.
Dans un second cas, il s'agit de matières qui, jusqu'à
présent, étaient utilisées. L'arrêté du 14
novembre ne prévoit d'ailleurs qu'une suspension de ces matières
et il n'est pas, aujourd'hui, opportun de mélanger ces deux circuits,
même si, sur le plan industriel, je n'ai pas évalué les
conséquences positives ou négatives qu'un traitement conjoint
pourrait engendrer. Je pense que cela nous obligerait néanmoins à
modifier un certain nombre de circuits de traitement.
Sur le plan médiatique, ou de l'image, on ne parle pas du même
produit. On le remarque dans les capacités de stockage dont nous
disposons aujourd'hui ; en effet, on nous impose, la plupart du temps, de
ne stocker que les produits dits à bas risques. Si l'on
commençait à envisager le stockage mélangé, de
produits à hauts risques et à bas risques, les
conséquences en termes médiatiques ne seraient pas les
mêmes.
M. le Rapporteur
- Avez-vous une activité concernant les graisses
en dehors du domaine alimentaire et fournissez-vous toujours la
cosmétologie ?
M. Jean-Louis Hurel -
Oui. Nous avons des applications de ces produits
en lipochimie.
M. le Rapporteur
- Peut-on avoir la liste de vos clients ?
M. Jean-Louis Hurel -
Oui.
M. le Rapporteur
- Savez-vous à quoi sont destinés ces
produits ?
M. Jean-Louis Hurel -
Je connais les grandes lignes de leurs
procédés mais pas les détails.
M. le Rapporteur
- Antérieurement, avant toutes ces
interdictions, achetiez-vous à l'abattoir ou étiez-vous
payés pour collecter les matières premières qui
participaient à la fabrication des farines ?
M. Jean-Louis Hurel -
Les deux cas existaient suivant certains
critères tels que la nature des produits collectés et
l'emplacement éventuel des abattoirs. En l'occurrence, nous avons
toujours basé notre système d'achat ou de facturation de
prestations de services pour l'abattoir sur le niveau de rentabilisation que
nous pouvions obtenir des produits transformés.
Nous avons toujours indexé le niveau des prestations, ou le coût
d'achat des matières, en fonction d'un prix de revient ou d'un prix de
vente des produits finis. Ce prix de vente est souvent, pour notre profession,
indexé sur les coûts moyens, au niveau mondial, de la
protéine ou des graisses.
M. le Président
- Les animaux qui sont retirés du
marché directement à l'abattoir, pour soulager le marché,
passent-ils, chez vous, dans la filière hauts risques ou bas
risques ?
M. Jean-Louis Hurel -
Les bovins âgés de moins de 30 mois,
qui ne font pas l'objet de tests aujourd'hui, sont principalement
traités dans des unités bas risques, à savoir dans des
usines spécialisées dans la valorisation. Toutefois, quelques
carcasses ont été traitées dans des unités hauts
risques. La destination est la même puisqu'elles partent en
incinération.
M. le Rapporteur
- Compte tenu du fait que ces farines ne peuvent plus
être valorisées, comment équilibrez-vous votre
activité ?
M. Jean-Louis Hurel -
Un décret paru le 1er décembre 2000
indemnise les producteurs sur la base d'une valeur déterminée
selon le cours des marchés à ce moment-là, à savoir
le 14 novembre. Un décret est d'ailleurs en cours de signature et de
publication pour modifier et adapter les prix d'indemnisation.
M. le Rapporteur
- Ces cours seront soumis à des fluctuations,
comme l'était autrefois le prix de la protéine.
M. Jean-Louis Hurel -
Il s'agit d'une décision des Pouvoirs
Publics pour indemniser l'activité en remplacement du chiffre d'affaires
qui existait auparavant.
M. le Rapporteur
- En tant qu'ancien Directeur financier vous avez pu
avoir une certaine approche. Même si c'est récent, estimez-vous
que la situation antérieure était économiquement plus
intéressante par rapport à celle d'aujourd'hui ?
M. Jean-Louis Hurel -
Il est trop tôt pour se prononcer. Les cours
mondiaux, notamment de la protéine de soja, qui était le prix de
référence pour la commercialisation de nos produits,
étaient extrêmement fluctuants d'une année sur l'autre.
Nous avons connu, dans les dernières années, des variations
très élevées, ce qui engendrait également des
variations très importantes du chiffre d'affaires de nos entreprises.
A titre indicatif, une tonne de farine de viande se vendait environ 1 800 F en
janvier 1998 et 550 F en septembre 1999. Cela a engendré des pertes
considérables pour l'ensemble des acteurs.
M. Georges Gruillot
- Dans le domaine des prix des farines, dans les
années 1990/1992, quels étaient les prix pratiqués en
France et, dans le même temps, ceux pratiqués en Angleterre ?
M. Jean-Louis Hurel -
Je suis incapable de vous répondre car je
n'étais pas présent dans cette activité à
l'époque ; je ne connais pas les prix.
Comme tout le monde, j'ai lu dans la presse que les farines anglaises
étaient distribuées à un prix plus bas.
M. le Président
- Pourriez-vous faire rechercher, dans les
archives de votre entreprise, les prix pratiqués et ceux qui pouvaient
l'être par les Anglais ?
M. Jean-Louis Hurel -
Aucune importation n'a été faite
directement d'Angleterre par notre entreprise. Je pourrais toutefois vous
indiquer à quel prix nous vendions.
M. Georges Gruillot
- SARIA Industries n'a donc pas acheté de
farines anglaises pour augmenter son volume de ventes en France.
M. Jean-Louis Hurel -
Non.
M. le Rapporteur
- Vous produisiez ce que vous vendiez.
M. Jean-Louis Hurel -
Une activité de négoce consistait
à exporter les produits fabriqués en France.
M. le Rapporteur
- Il n'y avait aucune importation pour assurer la
fourniture de vos clients.
M. Jean-Louis Hurel -
Pas à ma connaissance. J'ai seulement
identifié que des produits passaient en Belgique et étaient
réexportés à l'extérieur dans la période
1990/1996.
A l'époque, j'ai pu constater, dans les documents qui m'ont
été fournis, des exportations de farines produites en France et
exportées vers les pays tiers. Certaines de ces farines produites en
France passaient par des filiales du Groupe Sanofi Benelux qui a servi
d'intermédiaire.
M. le Président
- Vous dites que vous ne savez pas, ou que vous
n'avez pas connaissance, s'il y a eu importation de farines anglaises, par un
Groupe tel que le vôtre, pour les renégocier par ailleurs.
M. Jean-Louis Hurel -
Pas à ma connaissance et je n'ai vu aucun
document qui puisse en attester.
M. le Rapporteur
- Les fabricants d'aliments, quand ils voulaient
acquérir des farines animales sur le marché, s'adressaient
à vous, quand c'était autorisé, ou au marché
international. Toutefois, vous ne serviez pas d'intermédiaire ;
votre seul négoce concernait votre production.
M. Jean-Louis Hurel -
Nous n'avions aucun intérêt à
commercialiser en France des produits provenant de l'étranger puisque
nous devions prioritairement commercialiser nos propres produits
élaborés en France. Utiliser des produits de l'étranger
pour les revendre en France aurait été une fausse concurrence.
M. le Rapporteur
- Quand on a su l'effondrement des cours des farines
anglaises, il était tentant d'en acheter pour les revendre à un
certain prix.
M. Jean-Louis Hurel -
C'était peut-être vrai pour un
fabricant d'aliments mais pas pour un producteur de farines.
M. Georges Gruillot
- Nous insistons tous sur ce point car un fabricant
d'aliments nous a indiqué que les fabricants d'aliments, en France,
à cette période, s'adressaient à leurs
équarrissages, pour acheter des farines de viande ; or, il
semblerait que les équarrisseurs importaient des farines d'Angleterre
pour les mélanger à leur production et les revendre aux
fabricants d'aliments français.
M. Jean-Louis Hurel -
Je n'ai pas de traces d'une telle pratique.
M. Georges Gruillot
- Il existe une certaine incohérence entre ce
que vous nous expliquez et ce qui nous a été dit ici il y a
quelques jours.
M. Jean-Louis Hurel -
Dans le cas de responsabilités, il est
toujours plus facile de s'exonérer...
M. le Président
- Nous avons entendu l'inverse. Nous vous posons
des questions et vous devez nous dire toute la vérité et rien que
la vérité.
M. le Rapporteur
- Auriez-vous ici des documents concernant
l'évolution du tonnage, depuis 1975 jusqu'en 2000, commercialisé
par vous ?
M. Jean-Louis Hurel -
Je vous ai indiqué que j'étais
rentré dans l'entreprise à la fin de l'année 1996. J'ai
été extrêmement occupé dans cette activité
depuis cette date et je n'ai pas eu la nécessité d'aller
rechercher ce qui s'était produit dans la période
antérieure.
M. le Rapporteur
- Vous pouvez toutefois retrouver ces évolutions
de volume de production.
M. Jean-Louis Hurel -
Je n'ai jamais fait de démarche consistant
à identifier d'éventuels circuits comme ceux que vous citez.
M. le Rapporteur
- Je parle des tonnages de production au cours des
20 dernières années.
M. Jean-Louis Hurel -
Je n'ai aucune difficulté pour cela. Je
retrouverai ces informations dans les archives.
M. le Rapporteur
- Vous n'avez pas les documents ici ?
M. Jean-Louis Hurel -
Non, mais je pourrai vous les fournir.
M. le Rapporteur
- Nous souhaitons connaître l'évolution de
vos productions.
M. Jean-Louis Hurel -
Ce sera sans aucune difficulté, sauf si une
partie de l'information a été abandonnée ou a disparu dans
la période, ce dont je doute. Il est sans doute possible de retrouver
les tonnages qui ont été traités dans notre entreprise.
M. le Rapporteur
- Nous voulons aussi connaître ce qui a
été traité en hauts risques ou bas risques, à
partir de 1991, et quels ont été les tonnages de farines
destinées à l'incinération ou valorisables après
1996. Il serait important que vous puissiez nous fournir cela avec la
différenciation.
Y avait-il une commercialisation, de votre part, des farines pour les
activités d'amélioration de la qualité des sols, à
savoir pour les engrais ?
M. Jean-Louis Hurel -
C'est une activité relativement
récente dans notre Groupe et nous distribuons aujourd'hui une
très faible quantité de farines dans les engrais. Ce
marché est relativement marginal mais il existe néanmoins.
M. le Rapporteur
- Dans ce document, que vous aimerions recevoir, sur
l'évolution des tonnages, pourrions-nous connaître la ventilation
des différentes applications d'utilisation de vos produits ?
M. Jean-Louis Hurel -
Oui.
M. le Rapporteur
- Ce serait intéressant pour nous aider à
comprendre.
M. le Président
- Concernant la situation dans laquelle vous vous
trouvez aujourd'hui, nous constatons souvent dans la presse des attaques contre
votre entreprise, indiquant que dans chaque usine vous traitez plus que
prévu par la réglementation.
Pouvez-vous nous dire pourquoi est-ce ainsi et comment comptez-vous
réagir par rapport à cette situation pour
l'améliorer ?
M. Jean-Louis Hurel -
Plusieurs facteurs sont à l'origine de
cette situation. Le premier est une augmentation permanente des
matériaux à risques spécifiés qui a pris des
proportions très élevées dans les dernières
années et mois, notamment par la récente interdiction des
intestins de bovins.
Cette augmentation de tonnage des MRS est relativement passée
inaperçue dans une période de bien plus faible abattage comme
à la fin de l'année 2000. En réalité on augmentait
le volume des matériaux à risques en proportion des bovins
abattus, sans se rendre compte immédiatement de l'évolution de la
situation quand l'abattage reviendrait à un niveau normal.
Or, depuis le 1er janvier 2001 on procède à l'abattage des bovins
de plus de 30 mois non testés. On est donc parvenu relativement
rapidement à un niveau d'abattage extrêmement élevé
qui a généré directement une augmentation
considérable des volumes de matériaux à risques
spécifiés. A titre indicatif, notre entreprise traitait environ
300 000 tonnes de matériaux à risques à la fin de
l'année 1999, elle a traité 400 000 tonnes durant
l'année 2000 et nous envisageons une augmentation de 10 % à
20 % sur l'année 2001.
Nous ne changeons rien au volume global de matériaux, ou de
matières premières, issus de la filière viande ; il
ne s'agit que d'un transfert d'une situation de bas risques à une
situation de hauts risques. L'outil industriel existe, en tant que tel, pour
traiter la totalité des matières. Nous devons être capables
de transformer une unité bas risques en une unité hauts risques
au bon moment, à savoir quand nous identifierons clairement
l'augmentation considérable des volumes.
Le passage d'une usine de bas risques en hauts risques ne peut s'effectuer que
par paliers, avec la transformation d'une centaine de milliers de tonnes
annuelles d'un secteur vers l'autre.
Nous avons attendu et nous ne nous sommes pas rendu compte, vers la fin de
l'année 2000, de la conséquence des MRS, de l'interdiction des
intestins de bovins, et nous avons constaté, dès le début
2001, que les tonnages augmentaient de manière considérable. Nous
sommes tenus, par des marchés publics signés avec
l'administration, d'enlever tous les produits d'abattoir résultant du
service public.
Nous avons pu, dans certains cas, signer des avenants permettant une
augmentation des marchés mais nous n'intervenons qu'a posteriori, et le
marché n'est pas décidé avec une connaissance
précise des volumes qui seraient traités sur la période.
M. le Président
- Aujourd'hui, pour l'évacuation de ces
farines à partir des différentes usines vers le stockage,
rencontrez-vous des problèmes ?
M. Jean-Louis Hurel -
Jusqu'à présent, en toute
honnêteté, il est vrai que nous manquons parfois d'un peu de
visibilité, mais nous avons toujours trouvé des solutions
d'évacuation de ces produits. En n'ayant pas obligatoirement la
connaissance d'un emplacement d'évacuation de nos matières, nous
avons parfois quelques inquiétudes par rapport aux volumes
traités.
M. le Président
- Nous vous remercions d'avoir répondu
à nos questions. Vous devez nous transmettre certains documents et je
vous demande de le faire le plus rapidement possible.
Audition de M. Laurent BEAUMONT,
Directeur général du groupe
Caillaud
(21 février 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Beaumont, vous
êtes Directeur général du Groupe Caillaud. Nous vous
remercions d'avoir répondu à notre convocation.
Je vous rappelle que nous sommes dans le cadre d'une commission d'enquête
du Sénat sur les farines animales et les problèmes qui ont
été engendrés par leur consommation par les bovins.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Beaumont.
M. le Président
- Je vous demande de faire une
présentation de votre entreprise et d'indiquer comment tout s'est
passé durant les années passées.
M. Laurent Beaumont
- Je suis Directeur général de la
Société Caillaud, le n° 2 en France dans le traitement
des sous-produits animaux. Cette société contrôle un
certain nombre de filiales.
Ce Groupe d'origine familiale a été créé à
partir des années 1950, essentiellement par le regroupement d'un nombre
important de petits clos d'équarrissage ; la plupart des
entreprises actuelles de ce secteur ont d'ailleurs été
constituées de la même manière.
En 1986, la famille actionnaire a cédé cette entreprise au Groupe
Entreprises minières et chimiques.
Les activités du Groupe Caillaud sont de deux ordres : des missions
d'utilité publique, l'équarrissage, et des activités de
valorisation de coproduits d'abattoir.
Traditionnellement, l'activité d'équarrissage, en remontant dans
les années 1975, était régie par un texte de
décembre 1975 figurant au Code rural qui est lui-même
inspiré de la loi de juillet 1975 sur les déchets. C'était
l'ère de la philosophie du « tout recyclage » : la
totalité des sous-produits de la filière animale, y compris les
cadavres d'animaux ramassés dans les fermes, étaient
recyclés et valorisés en alimentation animale, ce qui
était l'objet d'un consensus de la Société.
Les autres activités concernaient la valorisation à titre
commercial et n'étaient pas régies par le Code rural. Cette
activité consistait à acheter des sous-produits dans les
abattoirs et à les transformer à destination d'un certain nombre
d'industries utilisatrices, parmi lesquelles se trouvait l'industrie de
l'alimentation animale (qui vous intéresse plus particulièrement)
et également celles du petfood, de la savonnerie, de la gélatine,
des engrais organiques, de la lipochimie ou encore de la pharmacie qui utilise
des fractionnements de protéines ou de corps gras, des acides
aminés ou gras. Les sous-produits d'abattoirs sont une matière
première pour un très grand nombre d'industries.
Le problème que traite votre Assemblée est celui des farines de
viande dans l'alimentation animale. Ces farines n'existent pas dans la nature
car ce sont des sous-produits animaux qui ont été
déshydratés ; on pourrait les comparer à de la
purée de pommes de terre en flocons ou à de la poudre de lait.
La qualité ou la sécurité de ce produit est principalement
liée à la qualité des matières premières
mises en oeuvre. En utilisant de mauvaises pommes de terre, on fabrique une
mauvaise purée en flocons ; la farine de viande obéit aux
mêmes critères.
Concernant le procédé de traitement mis en oeuvre, il faut
correctement stériliser, produire cette farine, la sécher, la
déshydrater et la dégraisser. Il existe un certain nombre de
critères qui, quand ils sont bien mis en oeuvre, contribuent à la
sécurité de la farine de viande.
J'ai rappelé que les cadavres d'animaux, de manière consensuelle,
étaient recyclés. Cette matière première ne
présentait pas de garantie a priori et nécessitait la mise en
place d'un système de traitement thermique efficace au plan de la
microbiologie et de la sécurité.
On peut dire qu'en France le système a été correctement
mis en oeuvre puisque l'apparition de l'ESB en France est liée aux
importations de farines anglaises. Avant ces importations nous n'avions pas
décelé de cas d'ESB en France ; cela tend à
démontrer que le système français (un service
d'équarrissage extrêmement large recyclant la totalité des
déchets d'animaux à destination de l'alimentation animale) n'a
pas provoqué de problèmes sanitaires.
On peut parler de deux événements : l'apparition de la
maladie en Angleterre, pour les raisons que vous connaissez (et que je pourrais
éventuellement commenter), et l'importation de farines anglaises en
France qui a, semble-t-il, introduit la maladie sur le territoire.
Un deuxième élément concerne une sensibilisation de
l'opinion, au cours des années 1990, sur les problèmes
alimentaires en général et les problèmes d'élevage.
On peut regrouper la sensibilisation de l'opinion aux mauvais traitements des
animaux, à leurs conditions de transport ainsi qu'à certains
éléments concernant l'élevage et les pratiques agricoles.
La première crise médiatique de la société a
été liée à l'annonce en Grande-Bretagne, en mars
1996, de la transmission de l'ESB à l'être humain. Cela a
amené les autorités communautaires, et notamment
françaises, à prendre des dispositions.
La première, et la plus importante, de celles-ci a été la
création du service public de l'équarrissage et
l'élimination (la destruction par incinération) des farines de
viande produites à partir d'un certain nombre de sous-produits parmi
lesquels figuraient les matières à risques des ruminants, les
plus potentiellement susceptibles d'accueillir le prion, ainsi que d'autres
matières parmi lesquelles le prion n'a jamais été
détecté ; il s'agit notamment d'un certain nombre de
déchets de volailles.
Tout ceci était destiné à répondre à un
souci d'image. Les mesures du 28 juin 1996 (l'interdiction de certaines
farines) répondaient à des exigences sanitaires liées
à l'ESB et à un besoin d'image des farines de viande
vis-à-vis de l'opinion.
Parallèlement à ces matières à risques (les saisies
d'abattoirs, les matières de ruminants à plus fort taux
d'affectivité vis-à-vis de l'ESB), notre industrie transforme
d'autres matières animales pour en faire des farines de viande
(qualifiées de saines jusqu'au 14 novembre dernier) à partir de
coproduits en grande partie de qualité alimentaire.
Une très grande partie des matières animales est de
qualité alimentaire et se trouve disponible pour notre industrie du fait
des changements de consommation. Par exemple, le « pied de cochon »
est un plat réputé mais, compte tenu des volumes abattus en
France, des quantités de pieds de porc ne terminent pas dans les
assiettes ; ces excédents dans les abattoirs permettent de
fabriquer des farines de viande. Il n'est donc pas choquant de
déshydrater un produit qui, pour partie, est consommé dans
l'alimentation humaine. Le même principe se retrouve avec la tête
de porc.
Ceci procure donc des centaines de milliers de tonnes de sous-produits
alimentaires transformés en farines de viande pour lesquelles, a priori,
il existe moins de problèmes que pour les farines produites à
partir de cadavres.
Je pense également aux tibias de bovins qui sont découpés
en rondelles par le boucher pour être incorporés au pot-au-feu. La
ménagère utilise cet os sans aucun problème, mais
dès qu'il est déshydraté pour en faire une farine il se
transforme, dans l'opinion, en produit dangereux. Des pratiques ont
peut-être été excessives, mais la peur l'est aussi quand on
présente la situation de cette manière.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- J'aurais aimé savoir quels
étaient les tonnages de farines produits par votre établissement,
depuis un certain nombre d'années, et la ventilation des produits en
fonction de vos différents clients de la cosmétologie, de la
pharmacie, etc.
M. Laurent Beaumont
- Je citerai, de mémoire, quelques chiffres
et, si vous le souhaitez, je vous transmettrai des renseignements plus
précis et plus contrôlés.
Le Groupe Caillaud, à savoir la Société Caillaud et les
sociétés contrôlées aujourd'hui, car cela a
évolué au fil des années, traitent environ 1 million de
tonnes de coproduits animaux. Sur cette quantité, actuellement environ
300 000 tonnes relèvent du service public de l'équarrissage et
sont traitées dans 4 usines.
Sur les 700 000 tonnes valorisables (au sens donné avant le 14 novembre)
environ 200 000 tonnes sont destinées à la filière du
petfood. Notre Groupe ne transforme pas et ne collecte pas de matières
fraîches pour l'industrie du petfood qui, en France, utilise environ 1,1
million de tonnes de sous-produits animaux : une moitié est en
frais, des matières broyées et congelées servant à
réaliser des boites d'aliments, et l'autre moitié est en
déshydraté pour la fabrication des croquettes.
Le Groupe Caillaud est donc présent sur le marché de la
fourniture de matières premières pour les producteurs de
croquettes pour chiens et chats. Cela représente environ 200 000 tonnes
pour la fraction protéique.
Dans les matières utilisées pour le petfood, essentiellement des
sous-produits de volailles, seule la protéine est utilisée ;
les corps gras sont généralement traités par l'industrie
de la savonnerie ou de la lipochimie.
Notre Groupe traite environ 100 000 tonnes de matières premières
à destination de la production de gélatine. Nous disposons d'une
unité de dégraissage d'os dont une fraction de la matière
sèche est utilisée pour l'extraction de la gélatine.
L'autre fraction sèche, la partie la moins dense, celle qui était
auparavant recyclée dans l'alimentation animale, fait aujourd'hui partie
des farines de viande dites suspendues par l'arrêté du 14
novembre. Cette autre fraction des os dégraissés était (et
est encore) cédée à la savonnerie, à la lipochimie
et a également pu être vendue, auparavant, dans les aliments
d'allaitement pour veaux.
Le reste, 400 000 tonnes, constituait les matières premières
valorisables utilisées pour la production de farines
dégraissées animales destinées à l'industrie de
l'alimentation animale jusqu'au 14 novembre. Cela représente environ 70
000 tonnes de graisses animales et 80 000 à 100 000 tonnes de farines de
viande.
M. Georges Gruillot
- A la liste, pouvez-vous ajouter les engrais ?
M. Laurent Beaumont
- Le Groupe Caillaud ne s'est pas
spécialisé sur ce marché. Nous avons vendu quelques
milliers de tonnes de farines de plumes, d'hydrolysat de plumes, à
l'industrie des engrais, mais notre part de marché est faible.
M. le Rapporteur
- Aviez-vous, dans votre Groupe, des
sociétés hors du territoire national ?
M. Laurent Beaumont
- Non.
M. le Rapporteur
- Avez-vous eu des mouvements, des échanges, de
produits à partir d'autres pays de l'Union européenne, à
savoir l'Angleterre, l'Irlande, les Pays-Bas, la Belgique ou le
Bénélux ?
M. Laurent Beaumont
- Ma réponse est négative à la
date d'aujourd'hui. Nous avons eu, pendant 4 ans, la propriété
d'une usine de transformation en Belgique mais elle est maintenant
cédée. Cette société avait été
acquise avant la crise de 1996, à une époque où la
circulation des produits était aisée. Il existait une
cohérence industrielle à cette opération, mais l'usine a
été rétrocédée depuis.
Le fonctionnement de notre Groupe est essentiellement français, avec
quelques importations marginales de matières premières
d'Allemagne et aussi de Belgique ; certaines de nos usines, situées
dans l'Aisne et la Meuse, collectent parfois quelques tonnages aux abattoirs
frontaliers.
M. le Rapporteur
- Il s'agissait de matières premières et
non pas de farine directement fabriquée. Pourrons-nous connaître
précisément ces tonnages ?
M. Laurent Beaumont
- Oui, il s'agissait de matières
premières.
M. le Rapporteur
- Les équarrisseurs, en général,
ont été directement mis en cause par des fabricants d'aliments,
notamment de la dernière audition avec M. Glon ; il semblerait que
vous achetiez, sur le marché international, des farines anglaises
à l'époque où elles étaient bradées.
M. Laurent Beaumont
- Ce n'est pas le cas de notre entreprise.
M. le Rapporteur
- Ce n'est également pas le cas de l'entreprise
que nous avons auditionnée précédemment ; aussi,
puisque vous n'êtes que deux sur le marché national, nous «
tournons en rond ».
M. Laurent Beaumont
- Nous ne sommes pas seulement deux ; il existe
deux acteurs majeurs, mais nous sommes environ 20.
M. le Rapporteur
- En termes de tonnages, de volume, combien le Groupe
Saria Industries et le Groupe Caillaud représentent-ils ?
M. Laurent Beaumont
- 70 %.
M. le Rapporteur
- Les allégations qui m'ont été
fournies par certains fabricants d'aliments me laissent penser que ce ne serait
pas vous mais plutôt les autres.
M. Laurent Beaumont
- Historiquement, notre Groupe n'a pas eu de
pratiques de négoce, l'achat de produits finis ou semi-finis, pour
réaliser une finition et revendre. Nous sommes suffisamment
occupés par la transformation des matières premières et
cela ne figure pas dans les lignes de développement de notre entreprise.
Par ailleurs, les données statistiques douanières existent et il
ne doit pas être très compliqué d'obtenir des
renseignements.
M. le Rapporteur
- Vous n'avez donc acheté que des
matières premières ?
M. Laurent Beaumont
- Oui, et parfois marginalement sur les abattoirs
frontaliers proches de nos usines frontalières. Cela se faisait en
permanence, avec des ajustements quand la réglementation
française s'est distinguée de la réglementation
communautaire, à savoir quand des matières étaient
valorisables en Allemagne mais plus en France. Il était en effet plus
difficile d'avoir la garantie de conformité.
M. le Rapporteur
- En 1996, avec la décision unilatérale
française de retirer les MRS des carcasses de bovins, ce qui
n'était pas le cas en Allemagne, vous avez pu importer des carcasses
d'Allemagne.
M. Laurent Beaumont
- Nous avons maintenu nos importations d'Allemagne
sur des marchandises précises, comme les os, pour lesquels il n'existait
pas d'ambiguïté. Nous avons aussi privilégié les
importations de sous-produits d'abattoirs de porcs pour lesquels il n'y avait
pas de restrictions en France. Nous avons continué à importer des
os d'Allemagne en précisant, à compter d'octobre 1997, que les os
crâniens en étaient exclus. Nous disposions de certificats
vétérinaires du pays expéditeur et du pays importateur
afin de garantir la conformité des produits mis en oeuvre avec la
législation française.
M. Michel Souplet
- En 1996, vous aviez une usine en Belgique. Or,
à cette date, la Communauté européenne a pris des mesures
qui n'ont été appliquées en France qu'en 1998.
En Belgique, en 1996, appliquait-on les mesures communautaires ou, comme en
France, continuait-on selon l'ancienne formule sans s'inquiéter des
133°C, 3 bars et 20 minutes ?
Nous aimerions savoir quels sont les pays de la Communauté
européenne ayant satisfait immédiatement aux injonctions de
celle-ci et quels sont ceux qui, comme la France, ont tardé à le
faire.
M. Laurent Beaumont
- En Belgique, la décision communautaire de
juillet 1996 a été mise en application et la
société que nous contrôlions a investi dans le
système de 133°C, 3 bars et 20 minutes.
M. Michel Souplet
- Vous étiez donc tenu de le faire dès
1996 en Belgique alors que cela n'a été appliqué en France
qu'à partir de 1998.
M. Laurent Beaumont
- Cette usine située dans les Flandres
bénéficiait d'un statut (en raison des particularités
régionales belges) pour la transformation de matières à
faibles risques mais également à hauts risques (de cadavres) en
cas de besoin de la collectivité. Elle n'avait pas le statut
d'équarrisseur officiel mais pouvait être
réquisitionnée pour traiter des matières.
Globalement, à certains moment, notre filiale belge a traité
à 133°C, 3 bars et 20 minutes des matières contenant des
cadavres d'animaux alors qu'en France nous traitions selon le barème
thermique 94-382, considéré comme équivalent à la
stérilisation à 133°C, 3 bars et 20 minutes,
vis-à-vis du prion de l'ESB.
Il ne faut pas porter un jugement trop sévère sur le fait que la
France a tardé à imposer (seulement en février 1998) le
traitement à 133°C, 3 bars et 20 minutes, puisque le barème
en vigueur était prescrit par la Décision 94-382 de l'Union
Européenne, qui dans cet attendu, faisait référence
à des expérimentations garantissant une élimination du
prion de l'ESB.
Le texte de juillet 1996, imposant les 133°C, 3 bars et 20 minutes pour
certains sous-produits, vers certaines destinations (il ne s'agissait pas de
toutes les farines de viande), prenait en considération des
expérimentations nouvelles sur l'inactivation du prion de la tremblante
qui était présenté comme plus thermorésistant que
le prion de l'ESB par les instances communautaires ; c'est ce que certains
scientifiques contestent.
M. Jean Bernard
- Où êtes-vous installés dans la
Meuse ?
M. Laurent Beaumont
- A Charny.
M. le Rapporteur
- Concernant la fabrication des graisses et de la
gélatine, avez-vous appliqué les nouvelles normes de fabrication
par anticipation, à la date imposée par le Gouvernement ou encore
avez-vous subi quelques informations, conseils ou injonctions de la part de vos
clients ? Il s'agit en effet de matériaux à valeur
ajoutée intéressante.
M. Laurent Beaumont
- Nous ne sommes pas présents sur les
marchés de cosmétologie et pharmacie. Toutefois, nous le sommes
sur celui de la gélatine par le biais d'un semi-produit, à savoir
l'os dégraissé qui, dès le début, a
été mis en conformité avec les normes
réglementaires, notamment avec l'arrêté du 3
décembre 1991 qui est la transcription d'un texte communautaire de 1990.
Une date importante, en matière de gélatine, est celle de la
décision entrée en vigueur au 1er juin sur le respect des
délais d'acheminement de produits et le suivi documentaire ; les
matières premières et semi-finies doivent être
accompagnées d'un document commercial. Cela a été mis en
oeuvre et nous avons anticipé la mesure de retrait des colonnes
vertébrales, depuis plusieurs mois, de manière concertée
avec le client.
M. le Rapporteur
- La différenciation entre vos circuits de
farines à bas risques et farines à hauts risques vous pose-t-elle
un problème et comment évoluez-vous sur ces deux types de
matériaux ?
M. Laurent Beaumont
- Il n'existe pas de farines à hauts ou bas
risques : une farine est sans risque puisque le traitement thermique est
destiné à le supprimer. Elle peut être issue de
matière à hauts risques ou à faibles risques.
Il est difficile de comprendre ce point précis et il est
nécessaire d'apporter des précisions. La terminologie
communautaire de hauts risques et bas risques ne recouvre pas exactement le
champ d'application du service public de l'équarrissage. Cela signifie
que des matières à hauts risques sont valorisables. Ce n'est pas
très intelligible pour le grand public.
M. le Président
- Des matériaux à hauts risques
sont transformés en farines.
M. Laurent Beaumont
- Les termes de farines à hauts risques ou
à bas risques sont utilisés, mais pour être précis
la classification entre les matières à hauts risques et celles
à faibles risques relève à l'origine d'une pertinence
scientifique. Toutefois, les textes français mis en application depuis
ne recouvrent pas strictement les produits à hauts risques
destinés à la destruction et les produits à bas risques
valorisables ; il existe des produits à hauts risques valorisables
comme les matières qui ne sont pas soumises à une inspection post
mortem.
La définition des bas risques concerne des sous-produits issus d'animaux
ayant bénéficié d'une inspection anté-mortem et
post-mortem à l'abattoir. Or, des matières sont
prélevées avant l'inspection post-mortem. Par définition,
ce sont des matières à hauts risques mais elles restent
valorisables car elles ne sont pas visées par les textes relatifs
à la destruction. Les pieds de bovins, par définition, sont une
matière à hauts risques ; quand ils sont inspectés,
ils deviennent à faibles risques.
Cela influe sur des fractions de tonnages mais il est important de le savoir
car il existe, dans l'application des textes, une différence entre les
matières à hauts risques et celles à bas risques.
Nous avons plutôt tendance à parler de filière de
destruction et de filière de valorisation, y compris pour la
valorisation suspendue. Dans le Groupe, nous avons choisi, en 1996,
l'affectation exclusive d'usines à l'une ou l'autre activité.
Grâce à un nombre important de sites, ce choix, qui n'a pas pu
être fait par toute la profession, nous était permis. Dans
certaines usines, il a été nécessaire de constituer deux
ateliers pour séparer les matières à détruire et
les matières valorisables.
Ce choix d'usines dédiées à l'une ou l'autre
activité a augmenté la logistique et a rallongé les
distances, mais il avait le mérite de la clarté vis-à-vis
du public. De même, les parcs de véhicules ont été
affectés à l'une ou l'autre activité.
M. Paul Blanc
- Que faites-vous de ce qui sort de Charny ?
M. Laurent Beaumont
- A Charny, il s'agit de matières
valorisables, y compris de la valorisation suspendue par l'arrêté
du 14 novembre.
M. Jean Bernard
- Les responsables d'une commune se questionnent :
les farines entreposées proviendront-elles de chez vous et seront-elles
à bas ou hauts risques? Il faut faire passer cela au niveau de la
population.
Des camions qui sortent de chez vous vont à la cimenterie de
Couvrau ?
M. Laurent Beaumont
- Notre usine de Charny a 4 productions : l'une
est commercialisée et les trois autres sont destinées à la
destruction dans le cadre des mesures annoncées par le Premier ministre
le 14 novembre.
La production destinée à la valorisation concerne les suifs, les
corps gras qui vont en savonnerie, et les trois autres productions touchent les
farines de viande, les graisses animales et les cretons, à savoir la
texture protéique issue de la fonte des corps gras qui n'ont pas
l'agrément, sur cette usine, pour aller au petfood.
Certaines autres usines peuvent le faire compte tenu de la présence de
l'atelier de traitements des produits à faibles risques situé
à côté. Il faut une ligne d'usine exclusivement
dédiée au petfood, ce qui n'est pas le cas de cette usine.
Les graisses animales peuvent être utilisées dans notre propre
chaufferie comme combustible de substitution ou brûlées dans des
chaufferies industrielles de cimenterie, de fours à chaux, etc. Une
laiterie est une importante consommatrice d'énergie et brûle des
graisses dans sa chaufferie.
Concernant les farines, Charny a quelques débouchés en cimenterie
mais l'essentiel part en stockage.
Ce sont des farines issues de matière valorisables, essentiellement des
bas risques. La précision que j'apportais sur les hauts risques est
marginale mais elle est néanmoins importante.
Ces farines sont actuellement stockées et sont produites aux normes de
l'alimentation animale en vigueur jusqu'au 13 novembre dernier ; elles
sont stérilisées à 133°C, 3 bars pendant 20 minutes.
M. le Président
- La différenciation entre les deux types
est-elle toujours justifiée puisqu'il n'y a, actuellement, plus de
destination à l'alimentation animale et pensez-vous que ce
système doive perdurer ?
M. Laurent Beaumont
- Il existe deux éléments de
réponse. Le régime réglementaire prévoit une
suspension (ce n'est pas une interdiction) qui sera sans doute convertie en
interdiction. Je ne sais pas s'il s'agira de la totalité.
M. Jean Bernard
- Vers le 1er juillet.
M. Laurent Beaumont
- Il n'est pas possible de prendre position et de
préjuger. Il existe un aspect d'acceptation par l'opinion et un aspect
scientifique. Nous ne savons pas si une fraction sera de nouveau valorisable.
Pour le moment, il n'est pas envisageable de mélanger les deux
activités.
Un second aspect concerne l'acceptation par les populations en matière
de stockage et d'incinération qui peuvent être
différenciés. Nous rencontrons des difficultés de stockage
mais elles seraient bien plus importantes si les farines étaient
mélangées et si l'on annonçait à un maire que des
farines à hauts risques seraient stockées sur le territoire de sa
commune.
Les farines à faibles risques, qui servaient à nourrir des porcs
et des volailles jusqu'au 13 novembre dernier, posent quelques problèmes
auprès de l'opinion ; s'il s'agissait de farines issues de
matières à hauts risques, cela compliquerait la situation.
M. Georges Gruillot
- J'ai quelques difficultés à
comprendre. Vous nous avez longuement expliqué depuis le début de
votre intervention, en étant très affirmatif, que l'ESB en France
provenait des farines animales anglaises.
Vous avez, dans une deuxième partie de votre exposé,
insisté pour démontrer que vos fabrications n'étaient
entachées d'aucune possibilité de risques. Vous avez même
indiqué qu'avant la mise en application des 133°C, 3 bars et 20
minutes en 1998 en France, vous disposiez d'un processus au moins aussi
efficace pour détruire le prion.
Vous traitez un million de tonnes de déchets par an. La personne qui est
passée ici avant vous représente une société qui
traite 1,5 million de tonnes et nous a tenu le même discours. Vous
représentez ensemble 2,5 millions de tonnes sur les 3,2 ou 3,5 millions
de tonnes traitées.
M. Laurent Beaumont
- Je dirais plutôt 4 millions de tonnes.
M. Georges Gruillot
- Selon vous, la responsabilité est
totalement anglaise. Vous avez été très affirmatif sur ce
sujet.
Pour que nous trouvions l'ESB à un tel niveau en France, il faut que la
farine soit passée quelque part. Si ce n'est pas par les 2,5 millions de
tonnes fabriquées par les entreprises que nous venons d'auditionner,
cela ne peut être que par les plus petits fabricants.
Comment pouvez-vous être aussi affirmatif ? Si vous avez raison, et
vous avez certainement raison, expliquez-nous pourquoi et apportez-nous plus
d'éléments. Notre commission d'enquête doit aller au fond
de ce problème et savoir comment (à partir de ce qui s'est
passé en Angleterre, de farines mal traitées et vendues à
bas prix, arrivées sur notre marché et consommées par nos
bovins) nous avons pu rencontrer plus de 200 cas d'ESB sur nos bovins.
Vous devez avoir des renseignements sur ce thème et nous souhaiterions
avoir des informations ; vous devez aller au fond du problème.
Vous dites être vierge et nous avons compris que la SARIA l'était
également. Il existe donc parallèlement des circuits moins
vierges puisque vous êtes affirmatif sur le rôle des farines
anglaises dans l'épidémie d'ESB en France. Pourquoi
êtes-vous aussi affirmatif ? Nous vous demandons de nous donner des
éléments nous permettant d'aller chercher ailleurs.
M. Laurent Beaumont
- Je ne suis pas un expert scientifique. Je pense
être un bon connaisseur parce que c'est mon métier et ce serait
grave si je n'avais pas quelques idées précises sur la question.
M. Georges Gruillot
- Il serait grave de ne pas nous en faire part.
M. Laurent Beaumont
- Je ne suis pas un chercheur, à savoir un
thésard, sur l'introduction de l'ESB en France mais ce sujet
m'intéresse au plus haut point. J'ai lu beaucoup de choses sur la
question, entendu des experts dans des colloques, des conférences ou des
réunions interprofessionnelles, me permettant de me forger une
idée.
Mon affirmation ressort également de l'analyse de textes que j'ai lus.
Je n'ai pas réalisé d'expertise de la probité de ces
articles, mais il existe un faisceau d'éléments assez
cohérents.
Je pense que la France et les procédés français ne sont
pas en cause. En effet, les premiers cas d'ESB ont été
constatés en France en 1991 ou 1992 et à très faible
quantité. Les cas suivants l'ont été à partir de
1995/1996 à une fréquence plus forte.
Par ailleurs, l'utilisation des farines de viande dans l'alimentation animale
remonte à plusieurs décennies, dans les années 1950 ou
1960. Je ne sais pas à quel moment l'incorporation dans les aliments
pour bovins a été faite ; il faudrait sans doute questionner
les représentants de l'industrie animale. Je pense que c'est
également assez ancien.
Les températures de cuisson, les traitements thermiques,
n'étaient pas, à ma connaissance, normalisés en France
dans les années 1970 et même 1980. Le premier texte officiel date
de 1990. D'après ce que je sais concernant cette profession, en France
la norme était de chauffer les farines à environ 130°C
(parfois moins ou parfois plus, selon les technologies). Le traitement ne se
faisait pas sous pression : il pouvait s'agir de traitement à
pression atmosphérique, en discontinu ou en continu. C'était
assez disparate mais la donnée commune reposait sur des
températures importantes.
En Angleterre, le procédé mis en oeuvre au début des
années 1980 utilisait une très basse température avec une
évaporation sous vide (donc à moins de 100°C) de l'ordre de
75°C à 80°C. L'écart était considérable
(d'environ 40°C à 50°C) par rapport au traitement
généralement utilisé en Europe. Or, c'est
précisément en Grande-Bretagne que la maladie s'est
propagée avec l'impact que vous connaissez.
De là à valider en contrepoint les procédés
français, c'est assez tentant et il n'existe pas beaucoup
d'éléments pour s'opposer à cette affirmation.
Les cas d'ESB ont été relevés en France au début
des années 1990 alors que les importations de farines anglaises
étaient relativement importantes (si j'en crois la presse) dans les
années 1987/1989. Compte tenu de la période d'incubation, il est
également plausible de considérer que cette maladie a
été importée par ce biais. Je ne l'affirme pas
scientifiquement mais c'est plausible car les dates concordent.
Ensuite, il faut tenir compte d'une nouvelle donnée. Quand la maladie a
été introduite en France, notre profession a eu, dans ses
collectes de matières premières, des sous-produits d'animaux
contaminés. Cela justifie le renforcement et la normalisation des
procédés de traitement qui ont été pris par
l'Europe et la France en 1996/1998, tous les ans et tous les 6 mois depuis.
Je ne pense pas que les matières premières aient
été importées car ce genre de produit brut ne supporte pas
les transports sur de grandes distances. Les importations qui peuvent
être faites sont celles de proximité et je n'ai pas connaissance
d'importations de matières premières crues d'Angleterre.
Toutefois, les importations de farines de viande anglaises ont pu être
faites par des producteurs français de farines de viande.
M. Georges Gruillot
- Vous avez été tellement affirmatif
que j'aimerais vous pousser au fond de vos retranchements. Or, dans la
deuxième version vous l'êtes beaucoup moins. Si vous étiez
aussi affirmatif, vous un vrai professionnel, vous devriez avoir connaissance
de certains éléments que nous ne connaissons pas.
M. Laurent Beaumont
- J'ai la connaissance de la profession en France
dans les années 1980 où l'on cuisait à des
températures élevées. Je connais également bien le
procédé anglais (car il nous avait été
proposé en France par les constructeurs) qui consiste à extraire
les protéines et graisses à basse température. Il est vrai
que cette technologie était séduisante par certains aspects.
M. Georges Gruillot
- Existait-il, durant la période critique,
une importante différence de prix entre les farines anglaises et les
nôtres qui aurait pu inciter certains de vos confrères à
acquérir des farines anglaises pour les mélanger à leur
production ?
M. Laurent Beaumont
- L'interdiction de l'utilisation des farines de
viande en Grande-Bretagne a pesé sur le marché français en
provoquant une chute des cours des farines de viande produites en France.
M. le Rapporteur
- Cela a dû vous handicaper sur le plan
commercial. Vous aviez sans doute les mêmes charges fixes ; comment
vous êtes-vous adaptés ?
M. Laurent Beaumont
- Les importations de farines anglaises sont une
question essentielle de votre Commission. Je pense que les Douanes doivent
pouvoir vous procurer la liste des déclarations d'importations.
M. Georges Gruillot
- Vous n'êtes pas très nombreux et tout
se sait dans le milieu professionnel ; si vous le savez, vous êtes
tenu de nous le dire.
M. Laurent Beaumont
- Nous avons constaté, à
l'époque, des diminutions d'achat de la part de nos clients. Le
fabricant d'aliments qui importait des farines anglaises a moins acheté
en France.
M. le Rapporteur
- Ce que vous dites est intéressant :
pourrions-nous avoir la liste de vos clients qui sont passés, à
l'époque, d'un certain volume d'achats à un volume moins
important ?
Ce sont des documents comptables, dont vous devez disposer, concernant les
années charnières. Une entreprise comme la vôtre ne peut
pas avoir perdu ce genre de renseignements.
M. Laurent Beaumont
- Je prends note. Ce sont des archives commerciales
vieilles de 14 ou 15 ans et je ne peux vous apporter aucune garantie. Il me
semblerait plus rapide, pour vous, d'obtenir des informations de la part de
l'Administration.
M. le Président
- Nous disposons de ces documents mais nous vous
demandons de nous fournir des renseignements sur ce qui s'est passé avec
vos clients. Si vous les suivez, vous pouvez constater des changements
éventuels.
M. le Rapporteur
- Il serait pertinent de faire des recoupements de
façon à avoir les réponses des uns et des autres.
La seconde question (qui a également été posée
à votre prédécesseur, la Société SARIA)
concerne votre adaptation, durant les années délicates, à
l'effondrement des prix de ces matières premières pour rester
concurrentiels sur le marché.
Comme l'a dit très clairement M. Glon, avez-vous acheté des
farines anglaises pour effectuer un mélange avec les vôtres et
moduler votre prix de revient ou avez-vous eu d'autres solutions ?
M. Laurent Beaumont
- J'ai déjà répondu : non,
nous n'avons pas importé de farines anglaises. Concernant l'adaptation,
il n'existe pas beaucoup de manière d'y parvenir ; il faut
s'aligner sur les prix.
Un fabricant d'aliments a besoin de protéines qui sont d'origine animale
ou végétale et se substituent facilement. Nous en avons la preuve
depuis le 15 novembre puisque les animaux sont nourris sans farines de viande.
C'est la preuve que la substitution totale est possible.
Quand un fabricant d'aliments se positionnait pour acheter des protéines
animales, il se référait au produit dominant, le tourteau de
soja, qui est la ressource majeure mondiale en termes de protéines. Les
cotations sont connues et transparentes.
Le formulateur donne donc un prix équivalent aux farines de viande.
C'est automatique et la négociation n'existe pratiquement pas. C'est un
prix d'alignement sur l'équivalent en protéines
végétales, à quelques ajustements techniques tels que les
matières minérales présentes dans les farines de viande et
carencées dans les végétaux. La fixation du prix est
dominée par la teneur en protéines.
Par ailleurs, un facteur limitant est le taux d'incorporation. On sait que pour
un type d'animal donné le taux d'incorporation maximum en farines de
viande est par exemple de 5 % ou 6 % pour les dindes, pintades,
canards, etc. C'est parfaitement connu de la profession, des nutritionnistes de
nos clients et des services commerciaux de notre entreprise.
Il n'y avait donc pas une très grande élasticité à
la consommation de farines de viande. Même en donnant le produit, il
n'aurait pas été consommé plus en raison du facteur
limitant qui est le taux d'incorporation.
Quand il y a un apport de marchandise, il faut dégager le marché
à l'exportation. On peut dire que le marché français de
farines de viande était très régulier et très
étale. On peut dire que c'est une question de parts de marché. En
cassant les prix, on prend des parts de marché aux concurrents mais,
globalement, il ne se vendra pas plus de produit. Le concurrent ayant des
stocks pourra exporter pour les vendre aux pays qui sont de gros importateurs
de protéines. Le marché s'équilibrait ainsi.
J'ai bien noté votre question mais des baisses de consommation de la
part d'un client ne signifient pas automatiquement qu'il importait
d'Angleterre. Il achetait peut-être plus à SARIA ou à
d'autres, ou peut-être avait-il eu la possibilité, à un
moment donné, d'acheter du soja bon marché, etc. Il existe des
moyens de recoupement de l'information.
Concernant votre question sur notre réaction, nous nous sommes
alignés sur les prix ; il nous était donc possible de
baisser les prix en France ou de pratiquer la grande exportation qui pouvait
devenir compétitive.
M. le Rapporteur
- Vous avez dû perdre de l'argent sur le
marché national à partir du moment où vous avez
été obligés de baisser vos prix par rapport à une
période antérieure. Si vous avez pratiqué l'exportation,
vers quels pays était-ce ?
M. Laurent Beaumont
- En général la grande exportation est
orientée vers le Moyen-Orient, qui est gros consommateur, et les pays de
l'Est.
M. le Rapporteur
- Quelle est l'utilisation de ces produits au
Moyen-Orient ?
M. Laurent Beaumont
- De l'alimentation pour les volailles.
Au niveau financier, il ne faut pas oublier que notre industrie pratique le
recyclage. Les farines de viande sont de la viande
desséchée ; nous achetions les sous-produits des abattoirs
en fonction du prix de vente des produits finis.
Si les importations de farines de viande anglaises ont pesé sur le
marché des protéines en France, en entraînant une chute des
cours, notre seul moyen de nous en sortir financièrement consistait
à répercuter sur les abattoirs en achetant les sous-produits
moins cher qu'auparavant.
C'est comme le ferrailleur : quand le prix de l'acier baisse, la ferraille
s'achète et se vend moins cher. Le même phénomène se
rencontre avec le pétrole : quand le prix du brut augmente, le prix
augmente à la pompe et inversement, indépendamment des
phénomènes de stocks et autres.
Pour nos produits, il existe une indexation de fait entre le cours de la
protéine et celui de reprise en abattoir des coproduits. Tout cela a
entraîné temporairement une moindre valorisation des coûts
de produits d'abattoir.
M. Georges Gruillot
- Au niveau de la connaissance de la
dangerosité des farines dans les cas d'épidémie d'ESB,
quand les Anglais ont interdit la consommation de leurs farines de viande pour
les bovins, en tant que professionnels avez-vous été
informés en France ?
Les grands spécialistes de farines de viande et tous les grands de
l'alimentation animale ont sans doute été informés bien
avant la sensibilisation de l'opinion publique sur ce même sujet.
Dans les années 1989/1990/1991, vous avez certainement dû, entre
vous, parler de ce problème. Je pense qu'à l'époque vous
étiez tous parfaitement informés du risque qui existait à
utiliser des farines insuffisamment traitées, et particulièrement
des farines qui auraient été importées, dans
l'alimentation des bovins. Cela se savait-il dans le milieu professionnel ?
M. Laurent Beaumont
- Il n'est pas possible de dire que nous
étions parfaitement informés, notamment au niveau scientifique et
sanitaire. Le contrecoup a été découvert par le
marché.
M. Georges Gruillot
- Vous saviez toutefois que l'utilisation de ces
farines était interdite en Angleterre.
M. Laurent Beaumont
- Nous l'avons appris par les fabricants d'aliments
du bétail.
M. Georges Gruillot
- A quelle période l'avez-vous appris par
rapport à l'interdiction anglaise ?
M. Laurent Beaumont
- Je ne m'en souviens plus mais, a priori, cela a
été assez rapide. L'arrivée des farines anglaises sur le
marché français nous a tous surpris. A l'époque, peu de
personnes parlaient de ce problème de l'ESB.
M. Georges Gruillot
- Dans le milieu professionnel, quand on a su que
les farines anglaises, dangereuses et interdites Angleterre, venaient polluer
le marché français, personne n'a réagi ? Il
s'agissait également de conscience professionnelle par rapport à
la sécurité de l'aliment.
M. Laurent Beaumont
- Vos propos sont parfaitement logiques. Le souvenir
que j'ai de cette période est que nous avons mis en avant cet aspect
incongru de l'arrivée en France des farines anglaises alors qu'elles
étaient interdites en Grande-Bretagne.
Cela s'est fait de services commerciaux à services commerciaux,
d'acheteurs français de farines à vendeurs anglais de farines. La
remarque a été de nous dire que nous défendions nos
produits, que nous étions insatisfaits de la concurrence, que les
farines étaient autorisées et que tout était légal.
M. Georges Gruillot
- Quels fabricants d'aliments vous ont tenu ce
langage ?
M. Laurent Beaumont
- Je ne peux pas le dire car je ne le sais pas. Je
ne suis pas Directeur commercial de l'entreprise et ces entretiens m'ont
été rapportés, à l'époque, dans nos
discussions de Direction.
Ces arrivées de farines anglaises, qui plombaient le marché
français, nous agaçaient. Le discours des Anglais était
que les farines étaient autorisées à l'exportation et que
notre réaction était celle de commerçants.
M. Georges Gruillot
- Vous devez savoir de qui il s'agissait. Si vous ne
le savez pas, il vous est sans doute possible, dans votre entreprise (il existe
toujours des traces), de vous renseigner et de nous remettre une réponse
écrite dans quelques jours.
M. Laurent Beaumont
- Non.
M. Georges Gruillot
- Nous nous interrogeons devant un tel
problème. Devant un tel mur de silence, nous ne pouvons que supposer
qu'il y a quelque chose à cacher.
M. Laurent Beaumont
- Je répète que, personnellement, je
n'ai pas souvenir des interlocuteurs de l'époque ; c'était
il y a 12, 13 ou 14 ans. Sur la vingtaine ou trentaine de clients de Caillaud
S.A., si mon Directeur commercial a des souvenirs précis de ces
échanges de propos, je n'ai pas d'objection ou de raison de m'opposer
à votre demande.
C'est un réflexe corporatiste : un vendeur cherche à vendre
le plus cher possible et un acheteur cherche à acheter le moins cher
possible. Quand on trouve une marchandise moins chère
autorisée....
M. Paul Blanc
- Cela doit laisser des traces au niveau des bons de
commandes : un client avec lequel vous avez entamé des discussions
a moins commandé de farines chez vous.
M. Laurent Beaumont
- C'est moins ou c'est autant et beaucoup moins
cher. Cela se passe en termes de prix.
M. le Président
- Nous vous demandons de vérifier, pour
les années qui vous ont notifiées, les variations de prix de
vente chez vous ; si vous avez été obligés de vous
adapter en fonction du marché, on doit constater une baisse de vos prix
de vente à la tonne ou au kilogramme. C'est le signe qu'il existe une
concurrence.
Nous vous demandons également, dans ces périodes
évoquées, pour un certain nombre de clients, si les commandes ont
été moins importantes de leur part. Cela doit pouvoir permettre
d'apprécier s'il existe une concurrence en tonnage provenant d'ailleurs.
Vous nous fournirez ces renseignements pour que nous puissions constater si
cela correspond à quelque chose.
M. le Rapporteur
- Vous disiez que l'on vous avait fait des propositions
en matière de technologies nouvelles vous permettant de moins chauffer
les farines. Cela sous-entendait-il un matériel spécifique ?
M. Laurent Beaumont
- Oui.
M. le Rapporteur
- Vous avez donc été contactés par
des vendeurs de matériel.
M. Laurent Beaumont
- Il existe un procédé qui
était assez largement répandu en Grande-Bretagne.
M. le Rapporteur
- Ces professionnels existent-ils sur le marché
français ou sur le marché européen ?
M. Laurent Beaumont
- C'est européen.
M. le Rapporteur
- Vous pourriez donc nous communiquer la liste des
professionnels qui mettaient à votre disposition ce matériel
nouveau.
M. Laurent Beaumont
- Oui.
M. le Président
- Quel traitement subissaient les graisses
animales issues de la presse des farines ?
M. Laurent Beaumont
- C'était le même traitement thermique
que celui des farines, hormis la stérilisation depuis février
1998. En effet, le texte communautaire prévoit l'application du
traitement à 133°C, 3 bars et 20 minutes sur la matière
première ou sur la farine. Ce barème de traitement ne s'imposait
pas aux graisses animales.
Il existe donc deux manières d'appliquer le barème : sur la
matière première, crue, ou sur le produit fini, qui était
limité aux farines. C'était la technologie utilisée dans
notre Groupe.
M. le Président
- Pouvez-vous nous fournir l'évolution,
année après année, de la production de farines et de
graisses animales par votre Groupe pour la période comprise entre 1975
et 2000 ?
M. Laurent Beaumont
- Ce sera compliqué à reconstituer car
entre 1975 et 2000 le Groupe s'est agrandi.
M. le Président
- Je sais que vous avez changé de
dimension à plusieurs reprises.
M. Laurent Beaumont
- Il faut également tenir compte des
orientations de matières premières vers d'autres
débouchés. Les sous-produits de volailles ont permis, à
une certaine époque, de fabriquer des graisses et des farines, puis des
cretons de volailles pour les petfood ; ils n'ont donc plus
été destinés à l'alimentation des animaux de rente.
Une même matière première peut avoir des
débouchés différents suivant le traitement qui lui est
appliqué. Un os dont on extrait de la gélatine peut aussi servir
à la fabrication de la farine de viande ou d'un creton dans des
croquettes d'aliments pour chiens.
M. le Président
- Un certain nombre d'établissements de
votre Groupe, ou d'autres groupes, sont mis au pilori par les médias car
les conditions d'exploitation ne sont pas toujours tout à fait conformes
à ce que l'on peut attendre.
Que fait votre Groupe pour tenter d'améliorer la situation, notamment
par rapport à l'environnement ? Il est évident que l'on
trouve toujours des conséquences sur l'environnement immédiat.
M. Laurent Beaumont
- C'est une démarche assez longue. Notre
Groupe n'est pas à l'abri des difficultés ou des
problèmes. C'est toutefois une idée importante, de
stratégie, d'être clairs vis-à-vis des problèmes
d'environnement. C'est un choix d'entreprise coûteux.
Le problème de l'environnement peut être aussi une clé de
distorsion de concurrence s'il n'existe pas une politique de contrôle
homogène. Notre Groupe a la prétention d'avoir engagé un
effort, ou poursuivi ce qui avait été engagé par nos
prédécesseurs, sur la voie d'une rigueur en matière de
respect de la réglementation environnementale ; il s'agit parfois
même d'une anticipation.
Le Groupe Caillaud représente 41 sites en France, 12 usines et 29
dépôts centralisateurs de marchandises. Ce nombre très
important nécessite une forte volonté de management, des moyens
financiers importants ainsi qu'un savoir-faire ; la volonté des
clients ne suffit pas. Nous sommes engagés sur une démarche
à long terme de certification ISO 14 000 sur un certain nombre de sites.
M. le Président
- C'est engagé.
M. Laurent Beaumont
- Oui, c'est la poursuite d'un effort financier
considérable. Toutefois, il est vrai que nous avons dû être
vigilants pendant un certain nombre d'années concernant l'impact sur les
coûts par rapport à la concurrence. Beaucoup de secteurs
d'activité connaissent ce genre de problème.
M. Georges Gruillot
- Pouvez-vous nous indiquer, depuis 8 ou 10 ans,
quelle est la fréquence des visites, dans vos établissements, des
grandes administrations technique de l'Etat, notamment des Services
Vétérinaires ? Nous comprenons que ce nombre est maintenant
important, mais l'était-il il y a 4, 5 ou 6 ans et quel était
leur rôle chez vous ?
M. Laurent Beaumont
- Nous avons noté un renforcement, en 1997,
avec la création du service public de l'équarrissage puisque des
postes ont été créés. Nous avons, sur nos usines de
production, une personne détachée avec une présence d'une
journée minimum par semaine ; cela concerne essentiellement la
fabrication sanitaire et des questions financières pour attester aux
organismes payeurs de la bonne exécution des marchés
d'équarrissage qui ont été passés.
Si vous voulez me faire dire qu'il y a eu un accroissement de la
fréquence des visites, il est évident que la perception plus
forte du problème de l'ESB, les connaissances scientifiques nouvelles et
l'inquiétude grandissante ont amené les services de
contrôle à être plus présents qu'auparavant.
M. Georges Gruillot
- A quelle fréquence étaient-ils
présents ?
M. Laurent Beaumont
- Nous avons 41 sites et il serait possible de vous
apporter autant de réponses que de sites. C'est assez variable d'un
département ou d'un site à l'autre. Quand une entreprise est
présente non loin d'un abattoir où se trouve un
préposé à demeure, il est demandé à cet
inspecteur de l'abattoir de faire des visites fréquentes dans
l'entreprise d'équarrissage.
M. Georges Gruillot
- Est-ce un préposé ou un
vétérinaire ?
M. Laurent Beaumont
- Cela peut-être l'un ou l'autre. Je n'ai pas
connaissance d'une attitude homogène.
Ce peut être fait à double titre puisque les Services
Vétérinaires ont une responsabilité de contrôle en
matière sanitaire mais également environnementale. Ils ont une
tutelle du ministère de l'Environnement au titre de l'inspection des
installations classées pour la protection de l'environnement.
M. Georges Gruillot
- A part les Services Vétérinaires,
vous n'avez jamais vu personne d'autre ?
M. Laurent Beaumont
- Au titre de la Police des eaux, nous avons des
contrôles des services de l'Agriculture, des gardes-pêche de la DDA
ou, quand nous rejetons dans des voies fluviales, de la DDE puisque c'est de
leur compétence.
Nous avons également des contrôles de la DGCCRF, mais
exclusivement au titre des produits mis sur le marché.
Les Services Vétérinaires sont concernés par
l'environnemental, le tri des matières premières, le respect
sanitaire, le respect de l'arrêté préfectoral
d'autorisation au titre des installations classées et le respect de
l'agrément sanitaire délivré au titre de
l'arrêté du 30 décembre 1991.
M. le Président
- Merci d'avoir répondu à toutes
nos questions.
M. Laurent Beaumont
- Sous quel délai voulez-vous les
informations ?
M. le Président
- Nous souhaiterions en disposer au plus tard le
15 mars 2001.
Audition de M. Bernard LEPOITEVIN,
Directeur général de la
SOFIVO
(21 février 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- M. Lepoitevin, vous
êtes Directeur général de la SOFIVO et vous êtes
accompagné de M. Lescene, Directeur de la Recherche et
Développement.
Vous savez que vous êtes auditionné dans le cadre d'une commission
d'enquête parlementaire et qu'à ce titre vous devez
témoigner sous serment. Je vais vous lire la note officielle et je vous
demanderai ensuite à tous les deux de prêter serment.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Lepoitevin et Lescene.
M. le Président
- Je vous laisse la parole pour que vous puissiez
faire un point sur la SOFIVO et nous présenter votre approche par
rapport à ce problème de l'ESB.
M. Bernard Lepoitevin
- Je ferai une présentation de la
production de viande de veau en Europe qui est une production charnière
entre les activités viande et lait.
Les 33 millions de bovins, vaches allaitantes et vaches laitières,
existant en Europe produisent environ 29 millions de veaux parmi lesquels 6
millions trouvent un débouché dans la filière viande de
veau, soit environ 20 %.
Elle est également charnière avec la production laitière
dont je rappelle qu'il s'agit de 115 milliards de litres de lait en Europe,
dont 10 % sont transformés en poudre de lait, soit environ 1,1
million de tonnes. Sur les 1,1 million de tonnes de lait produites dans la
communauté, 500 000 tonnes (environ 50 %) sont consommées
dans les aliments d'allaitement.
En Europe il est fabriqué à peu près 1,8 million de tonnes
d'aliments d'allaitement qui consomment 500 000 tonnes de poudre de lait,
environ 750 000 tonnes de lactosérum, 360 000 tonnes de matières
grasses diverses (animales et végétales) et 190 000 tonnes
d'autres produits comme l'amidon, la farine de blé, les protéines
végétales, etc.
Les grands acteurs, sur le plan européen, sont essentiellement les
Hollandais qui produisent 43 % des aliments d'allaitement
européens. Avec leurs filiales européennes, on peut
considérer que 60 % de la viande de veau produite en Europe est
d'origine hollandaise.
Les plus grands acteurs sont les Groupes hollandais Schils, qui produit plus de
300 000 tonnes, le Groupe Namobi avec un peu moins de 300 000 tonnes
également et le Groupe Denkavit avec un peu moins de 200 000 tonnes. Le
premier Groupe français est Lactalis, avec 120 000 tonnes environ, et
vient ensuite le Groupe Sofivo avec 100 000 tonnes d'aliments d'allaitement
produits chaque année.
Ces aliments d'allaitement trouvent deux grands débouchés :
le premier, pour 80 %, concerne la production de viande de veau. Il s'agit
d'un animal dit veau de 8 jours, pesant 45 à 50 kilos, qui est mis
en élevage pendant 140 à 150 jours. Après avoir
consommé environ 280 à 300 kilogrammes d'aliments d'allaitement,
cet animal produit une carcasse de viande d'environ 130 à 135
kilogrammes.
Le reste des aliments d'allaitement, 20 %, va vers l'alimentation des
veaux d'élevage, à savoir le cheptel qui participe
essentiellement au renouvellement du cheptel laitier.
Cet ensemble « viande de veau » représente environ 800 000
tonnes de viande pour la partie Europe. Dans le monde, la consommation de
viande de veau est estimée à un million de tonnes. C'est donc une
spécificité européenne et notamment française
puisque les Français consomment 38 % de la viande de veau produite
en Europe, avec 5 kilogrammes par habitant ; viennent ensuite les
Italiens, avec 4,6 kilogrammes, et les Allemands avec 1,3 kilogramme. Ces trois
pays (France, Italie et Allemagne) consomment 80 % de la viande de veau
produite en Europe.
Nous dans le cadre de SOFIVO, nous sommes étonnés de nous
retrouver devant cette commission puisque, comme je l'ai décrit, les
aliments d'allaitement ne comprennent aucune farine animale. Nous n'avons
jamais incorporé de farines animales, et le Docteur Lescene pourra vous
en indiquer les raisons puisque cela ne correspond pas à notre profil
alimentaire.
M. le Président
- Les farines animales n'ont sans doute pas
été données directement dans l'alimentation des veaux.
Toutefois, il existe peut-être des problèmes avec les
lacto-remplaceurs qui ont pu être utilisés. Nous vous poserons
donc des questions sur ce sujet.
M. Lescene
- Sur la non-utilisation des farines animales dans les
aliments d'allaitement, je précise que ce sont des produits qui, de par
leur présentation, leur nature et leur composition, ne correspondent pas
aux besoins techniques de ce type de production, tant en granulométrie,
solubilité, composition globale ou solution.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Les lacto-remplaceurs sont fabriqués
à partir de graisses animales sous la forme d'incorporation de graisses.
Pourriez-vous nous préciser quelle est la composition des
lacto-remplaceurs, sous quelle forme ils se présentent, quelles
quantités sont données, etc. ?
M. Lescene
- Un lacto-remplaceur est une poudre ; c'est à
peu près l'équivalent de ce qui est utilisé pour
préparer un biberon pour un bébé.
Les ingrédients de cet aliment sont tout d'abord d'origine
laitière : 70 % de produits laitiers sous forme de poudre de
lait écrémé, lactosérum et produits
dérivés du lactosérum, éventuellement lactose.
Ensuite, on trouve des amylacés comme les amidons de blé ou de
maïs, plus ou moins transformés et éventuellement
gélatilisés, des farines de blé de même type que
celle utilisées en boulangerie, voire meilleures, et des produits en
protéines végétales issues du soja, du pois ou du
blé.
Pendant un certain temps des concentrés solubles de poisson ont
été utilisés ; il s'agissait de protéines de
poisson hydrolysées. Je précise que nous sommes dans une
période de flou concernant ces produits, qui correspondaient à
des besoins techniques, jusqu'à la fin des années 1990.
Durant une période, ces concentrés solubles de protéines
de poisson ont été touchés par des arrêtés,
dans la masse des produits interdits ; ils ont ensuite été
réintroduits puisqu'ils étaient issus de produits de poissons de
pêche et non pas d'élevage.
M. le Rapporteur
- Sont-ils encore utilisées aujourd'hui ?
M. Lescene
- Non, mais c'est toutefois autorisé. Nous travaillons
aussi avec des clients dont les cahiers des charges précisent, pour des
raisons qui leur sont propres, que les produits ne doivent pas être issus
du poisson. Par ailleurs, d'autres clients refusent toutes les protéines
végétales. Tout dépend de la philosophie du client final.
M. le Rapporteur
- Il existe donc des lacto-remplaceurs contenant des
hydrolysats de farine à base de poisson.
M. Lescene
- Il pourrait y en avoir.
M. le Rapporteur
- A votre connaissance, il n'y en a plus sur le
marché.
M. Lescene
- C'est tout à fait marginal.
Les mélanges représentent une faible partie de la formulation qui
concerne les vitamines, les oligo-éléments et quelques
minéraux.
Les graisses, jusqu'à la fin de l'année 2000, étaient
essentiellement constituées, en France, de suif et de coprah (du gras
issu de la noix de coco), un peu de saindoux et un peu d'huile de poisson. Le
suif était majoritairement employé ; il s'agissait de suif
de grande catégorie, du premier jus issu de la fonte des tissus adipeux
d'animaux récoltés à l'abattoir, à savoir sains et
livrés à la consommation humaine.
Notre cahier des charges est très clair en ce sens depuis de très
nombreuses années. Il doit s'agir de suif raffiné, à
savoir issu de premier jus ou du raffinage d'un certain nombre de
matières grasses collectées dans des ateliers de découpe
ou chez les bouchers.
M. Bernard Lepoitevin
- Nous tenons ce cahier des charges à votre
disposition.
M. Lescene
- J'ai apporté un mémo retraçant la
composition d'un aliment d'allaitement. La liste, qui n'est pas exhaustive,
mais néanmoins complète, mentionne les matières
premières utilisées dans ces aliments.
Un exemple des cahiers des charges SOFIVO a d'ailleurs été
transmis à la Commission Dormont il y a peu de temps. Vous constaterez
que nos caractéristiques correspondent au moins à celles de la
norme AFNOR puisque nous avons travaillé en suif alimentaire.
M. le Président
- Durant l'année 1990 jusqu'à la
fin de l'année 2000, du suif a toujours été
additionné à ces lacto-remplaceurs. Quel traitement subissaient
les graisses utilisées ?
M. Lescene
- Vous pourriez poser cette question à des
fournisseurs de matières grasses. Le premier jus est traité
à partir de tissus adipeux frais de bovins récoltés
à l'abattoir. Je précise qu'il s'agit de bovins entrant dans la
chaîne alimentaire. Ceux qui sont saisis en amont n'y rentrent pas.
Ces tissus adipeux sont traités dans un laps de temps court pour des
raisons de préservation de la qualité liées à
l'oxydation et à l'acidité. Ils sont broyés,
traités à 85°C avec un peu de vapeur, pressés et
filtrés.
Les deux coproduits de ce process sont le suif de premier jus, qui ressemble,
à chaud, à une huile de table, et les cretons qui sont
majoritairement dirigés vers le petfood.
Concernant le raffinage, des opérations ultérieures sont
effectuées à plus hautes températures, entre 200°C et
250°C, sous vide. Elles sont destinées à enlever les acides
gras libres et un certain nombre d'impuretés par filtrage.
Sur un premier jus, le taux d'impuretés (mucilages ou produits de ce
genre) est de 0,10 % ou 0,15 % ; après le raffinage, ce
taux est de 0 %. Je rappelle que ce sont les mêmes matières
grasses que celles qui partaient en alimentation humaine pour fabriquer les
biscuits, le pain, etc.
M. le Rapporteur
- Compte tenu de la suspicion, voire du
discrédit, entourant ce type de produit il y a quelques années
(on le voit dans la presse concernant les farines mais également les
graisses), les garanties de fabrication données par les fabricants vous
semblaient-elles suffisantes ?
M. Lescene
- Oui. Quand on s'adresse à un produit de nature et de
qualité identiques à celles qui entrent dans l'alimentation
humaine, cela procure quelques garanties.
M. le Rapporteur
- Aujourd'hui, quels substituts utilisez-vous ?
M. Lescene
- Notre approvisionnement est plus diversifié. Nous
utilisons diverses matières grasses végétales, issues de
cultures françaises, colza et soja, et des huiles tropicales, palme et
coprah.
M. le Rapporteur
- Les résultats sont-ils les mêmes en
termes technico-économiques ?
M. Lescene
- Nous utilisons aussi une proportion de saindoux, à
savoir des matières grasses animales issues du porc.
En utilisant exclusivement des matières grasses végétales,
la technique est un peu plus difficile.
M. le Rapporteur
- C'est la même problématique que dans
l'alimentation des volailles où il est difficile de mettre au point les
formules d'aliments.
M. Lescene
- C'est moins facile.
M. le Rapporteur
- Quels étaient vos fournisseurs de suif ?
M. Lescene
- Ils étaient tous français. Ils sont assez peu
nombreux : le plus important est la Société SARIA, l'ancien
SANOFI, MAINGUET et TACNORIAN.
M. le Rapporteur
- Le prix de ces matières premières
a-t-il toujours été identique ?
Nous aimerions savoir si vous disposez de documents présentant les
tonnages que vous utilisiez et les prix auxquels ils étaient
livrés.
M. Lescene
- Nous n'avons pas apporté ces documents.
M. Bernard Lepoitevin
- Le suif fait partie d'une cotation paraissant
chaque semaine ; c'est donc facile à reconstituer.
M. le Rapporteur
- Cela nous intéresse, au niveau de la
Commission d'enquête, de disposer des tonnages et des prix
pratiqués depuis une dizaine d'années.
M. Bernard Lepoitevin
- Les tonnages sont relativement réguliers.
Nous utilisons, dans la formule, en moyenne 18 % à 20 % de
matières grasses à la fois animales et végétales.
Le suif est fonction du disponible. Aujourd'hui, nous nous sommes
orientés vers les matières grasses végétales car
nous trouvons de moins en moins de suif. Compte tenu de la
traçabilité et des contraintes concernant la collecte des tissus
adipeux, il est obligatoire de se reconvertir vers d'autres matières
grasses.
M. le Rapporteur
- Nous aimerions connaître les prix de cette
matière première. Vous savez que la presse (à tort ou
à raison) s'est largement fait l'écho des mouvements
d'importations de farines animales. Nous voudrions savoir à quel prix
ces organismes vous fournissaient.
M. Bernard Lepoitevin
- Sur quelle période ?
M. le Rapporteur
- Entre 1988 et aujourd'hui.
M. Bernard Lepoitevin
- L'un des avantages de la matière grasse
animale, par rapport à la matière grasse végétale,
est qu'elle est collectée « localement », en France ou sur les
pays limitrophes, avec un prix relativement stable, à l'opposé
des produits utilisés aujourd'hui (palme, etc.) qui sont des
matières grasses très fluctuantes.
On peut en effet trouver aujourd'hui de l'huile de palme à environ 3 F,
mais son prix peut augmenter très rapidement ; quand des
plantations avaient brûlé en Indonésie, le prix
était passé à 6 F. Ce sont donc des matières
grasses plus volatiles, en termes de prix, que les matières grasses
animales.
M. Paul Blanc
- Commercialisez-vous vous-même vos produits ou
passez-vous par l'intermédiaire de fabricants d'aliments pour le
bétail ?
M. Bernard Lepoitevin
- Nous sommes fabricants d'aliments d'allaitement
et nous disposons de deux circuits.
Concernant la partie aliments pour les animaux destinés à la
boucherie, nous travaillons avec des intégrateurs, à savoir des
personnes qui produisent de la viande de veau. Pour les aliments
d'élevage, nous travaillons avec des revendeurs comme des grandes
coopératives et des distributeurs, de manière
générale, d'agrofournitures.
Pour certains fabricants d'aliments pour le bétail (comme vous les
appelez), par exemple Agrial, nous revendons nos aliments d'allaitement qui
sont ensuite distribués à leurs producteurs.
M. Paul Blanc
- Vous savez que les produits que vous commercialisez ont
été directement mis en cause dans certains cas d'ESB. En effet,
aucune alimentation par les farines n'a été utilisée alors
que les animaux avaient été nourris avec des lacto-remplaceurs.
M. Bernard Lepoitevin
- Nous n'avons aucune information de ce type. Il
est vrai qu'un docteur allemand s'est avancé sur cette piste mais des
démentis ont eu lieu dans les 48 heures suivantes. Il s'agissait
apparemment d'une erreur de traduction et personne n'a jamais (à ma
connaissance) démontré la relation entre la consommation
d'aliments d'allaitement et la maladie de l'ESB.
Je peux vous transmettre l'information. C'est venu d'Allemagne ; il
s'agissait du Directeur de l'équivalent des Services
Vétérinaires d'une province allemande qui a tenté une
expérience. A la traduction de cette expérience, le vocabulaire
utilisé a laissé croire certaines choses. Nous avons
demandé sur le plan syndical, y compris par l'Association
laitière, un démenti formel que nous avons obtenu et que nous
sommes en mesure de vous transmettre.
M. le Rapporteur
- Nous avons eu cette information. Il reste toutefois
vrai qu'il existe une suspicion sur les graisses animales ; des cas d'ESB
ne s'expliquent pas au travers de l'alimentation avec des farines animales,
notamment sur le cheptel allaitant pendant les premières semaines.
M. Lescene
- Dans le cheptel allaitant il n'y a pas d'utilisation de
lacto-remplaceurs puisque la vache nourrit son veau.
M. le Rapporteur
- Les éleveurs disposent parfois d'un sac
d'aliments de lait de remplacement. C'est d'ailleurs la raison de ne plus
incorporer les graisses dans l'alimentation animale.
M. Lescene
- La décision n'est pas prise.
M. Bernard Lepoitevin
- Les graisses interdites sont celles d'os.
M. Lescene
- Les graisses de cuisson également. Il s'agit des
coproduits de la fabrication de gélatine à partir d'os et des
coproduits de la fabrication des farines de viande à partir des
déchets de viande, indépendamment de l'équarrissage.
Les graisses d'os et les graisses de cuisson sont donc les deux produits
interdits. Les suifs fondus restent autorisés.
M. le Rapporteur
- Ces graisses étaient antérieurement
incorporées aux aliments.
M. Lescene
- Jamais. Il s'agit d'une confusion entre les aliments
d'allaitement et les aliments de sevrage ; ce sont sans doute des aliments
en granulés pour les jeunes bovins, destinés à faire la
transition entre l'allaitement et le sevrage. Il y a peut-être une phase
de flou.
Ceux-là sont produits selon les technologies d'aliments du bétail
classiques mais les aliments d'allaitement n'ont jamais utilisé ces
produits ; je parle pour notre fabrication.
M. Georges Gruillot
- Vous n'avez jamais utilisé de suifs
d'origine d'équarrissage ?
M. Lescene
- A ma connaissance, non.
M. Georges Gruillot
- En règle générale dans ce
métier ?
M. Lescene
- Le suif d'équarrissage, tel qu'il existait,
n'était pas compatible avec nos technologies laitières ; son
utilisation aurait fait exploser nos installations. Cela n'entrait donc pas
dans notre formulation pour une simple raison technique et technologique.
Par ailleurs, pour des raisons zootechniques, cela aurait été
plus difficile car il s'agit de la comparaison de formulations
différentes. Dans l'aliment d'allaitement, la matière grasse
représente 20 % ; ce macro-nutriment constitue un apport
considérable. Dans l'alimentation standard du ruminant, la
matière grasse est réduite à un faible pourcentage dont
une partie est destinée à apporter un plus technologique dans la
fabrication du produit. Il s'agit donc de deux sujets différents.
M. Bernard Lepoitevin
- On fait, à chaque fois, la confusion avec
l'aliment de démarrage du bétail qui n'a rien à voir avec
notre aliment d'allaitement. Je rappelle que sur les cas d'ESB
constatés, la vache allaitante représentait un cas parmi les 170
ou 200 cas identifiés.
M. le Président
- Le lacto-remplaceur a été mis en
cause, à l'époque, à plusieurs reprises par plusieurs
personnes. C'est la raison pour laquelle nous avions besoin d'entendre l'avis
des fabricants.
M. Lescene
- Une confusion est née de l'utilisation du terme
lacto-remplaceur pour désigner les matières grasses.
M. Georges Gruillot
- Du prion pourrait être apporté, dans
les laits de remplacement, par les graisses d'origine bovine.
Intellectuellement, ce n'est pas impensable, mais cela n'a jamais
été démontré.
M. Lescene
- Dans les matières grasses utilisées, le taux
d'impuretés est extrêmement faible ; c'est principalement de
la matière grasse et pas de la protéine.
M. le Rapporteur
- Quand nous avons auditionné M. le Professeur
Dormont et Mme Brugere-Picoux, il nous a été clairement
indiqué que le prion avait un profil lipidique assez fort. Cette
addition de suspicions nous permet d'imaginer que le prion peut se trouver dans
les graisses animales incorporées dans l'aliment d'allaitement des
veaux.
M. Lescene
- Cette question se pose aujourd'hui mais elle ne
l'était pas il y a 10 ans.
M. le Président
- Le Directeur de la Brigade
vétérinaire a longuement mis en cause les lacto-remplaceurs. Je
suppose qu'il s'agit des produits contenus dans les aliments de
démarrage des veaux.
M. Georges Gruillot
- Dans notre esprit il s'agissait des laits
reconstitués.
M. le Président
- Je vous demande de redéfinir les
différents produits qui peuvent être utilisés depuis la
naissance du veau jusqu'au moment où il n'est plus
considéré comme étant un veau.
M. le Rapporteur
- Il existe deux filières : le veau de
boucherie reçoit une alimentation lactée et le veau
destiné à devenir un herbivore adulte reçoit au
départ une alimentation lactée qui est ensuite différente.
Le même lait est donné au veau de boucherie, durant toute sa vie
(3 mois ou 3 mois et demi), et au veau destiné à devenir un
herbivore, pendant un certain laps de temps.
M. Lescene
- Les aliments d'allaitement, ou lacto-remplaceurs, sont une
poudre contenant une grande part de produits laitiers, environ 20 % de
matières grasses, un peu d'amidon, d'amylacés, de farine de
blé et de protéines végétales. C'est la seule
nourriture du veau de boucherie jusqu'à son abattage.
Concernant le veau d'élevage, futur ruminant, cet aliment n'est
distribué que pour une quantité comprise entre 40 et 50
kilogrammes et il recevra très vite une alimentation diversifiée.
En même temps que ce lacto-remplaceur, qui est destiné à
remplacer le lait de la mère (lequel lait part vers l'alimentation
humaine), il reçoit une alimentation diversifiée qui, dès
8 jours, lui permettra de consommer un peu de foin et quelques granulés
de démarrage pour préparer sa panse. C'est un autre type
d'aliment car au lieu d'une majorité de produits laitiers on trouve une
majorité de céréales, luzerne, produits fibreux,
cellulose, son, etc.
M. Bernard Lepoitevin
- La confusion provient du fait que presque en
même temps le veau consomme de l'aliment pour jeune bovin et des
lacto-remplaceurs.
M. Lescene
- Le lacto-remplaceur sera consommé jusqu'à
environ deux mois, date à laquelle il sera complètement
sevré et autonome ; il ne boira plus que de l'eau.
M. Georges Gruillot
- Le vétérinaire qui nous a dit cela
doit être informé de la différence entre les aliments de
premier âge et les laits de remplacement.
M. Paul Blanc
- Dans les lacto-remplaceurs on trouve une base de lait.
M. Bernard Lepoitevin
- Ce sont des produits laitiers.
M. Paul Blanc
- Par analogie avec l'alimentation humaine, il peut
exister une confusion. En effet, dans l'alimentation du nourrisson on trouve
également des lacto-remplaceurs indemnes de toute trace de lait
puisqu'ils sont donnés lors d'eczémas ou d'allergies. En
médecine, ces produits à base de soja sont appelés
lacto-remplaceurs ; cela peut prêter à confusion alors qu'ils
ne contiennent pas de lait.
M. Bernard Lepoitevin
- Ce n'est pas notre tendance actuelle car dans
notre différenciation nous trouvons beaucoup de grandes entreprises ou
distributeurs (tels Carrefour) dont les cahiers des charges précisent
que l'alimentation de l'animal doit contenir au moins 70 % de produits
laitiers.
M. le Président
- Si le produit était appelé «
lait en poudre » chacun comprendrait ce que cela signifie.
M. Bernard Lepoitevin
- En faisant cela vous heurteriez nos
collègues de la consommation humaine qui souhaitent faire la
différence entre le lacto-remplaceur destiné à l'animal et
le lait de consommation destiné à l'alimentation humaine.
M. Lescene
- Les personnes de la DGCCRF pourraient dire qu'il ne s'agit
pas de lait.
M. le Rapporteur
- En tant que professionnel, vous n'avez jamais vu,
dans des documents concernant le suif, la moindre suspicion de présence
de prion.
M. Lescene
- La question est extrêmement récente et
aujourd'hui, officiellement, le suif n'est pas interdit. Cette notion est
née durant ces dernières semaines ou ces derniers mois.
M. le Rapporteur
- Vous avez préféré anticiper et
plutôt utiliser d'autres produits.
M. Bernard Lepoitevin
- On trouve beaucoup moins de suif. En effet, ce
qui était en cours consistait à mettre en place une
filière dite sécurisée collectant séparément
les tissus adipeux de la carcasse afin qu'aucune esquille d'os ne soit
mélangée à ces tissus adipeux. Cette pratique
élimine environ 70 % de la ressource : 30 % de tissus
adipeux sont collectés avant la fente de la carcasse et 70 %
ensuite. Nous sommes donc naturellement obligés de trouver d'autres
sources.
M. le Rapporteur
- Compte tenu de la fluctuation du prix de la graisse
végétale, n'avez-vous pas imaginé qu'il soit possible de
mettre en place une filière spécifique ?
M. Lescene
- Il y a deux ans, nous avons fait un essai sur le terrain
avec quelques milliers de veaux engraissés uniquement avec des
matières grasses végétales qui, à l'époque,
coûtaient le double du prix du suif.
Après cette constatation sur le terrain, nous avons mis fin à cet
essai grandeur nature de préparation pour un temps où le suif
deviendrait peut-être difficile à utiliser.
M. le Président
- Pensez-vous que certains de vos concurrents
aient pu utiliser autre chose pour la fabrication d'un lacto-remplaceur comme
celui-là ? Je ne vous demande pas de noms.
M. Georges Gruillot
- Les Hollandais sont de gros faiseurs.
M. Lescene
- Il faudrait étudier les possibilités de
fourniture du Nord de l'Europe et de l'Allemagne ; on peut penser qu'un
certain nombre de produits issus de la graisse d'os ont pu être
utilisés.
M. le Président
- Si cela s'est pratiqué, cela s'est
certainement dit dans la profession.
M. Lescene
- Non.
M. Bernard Lepoitevin
- La partie formulation de chacun est très
secrète.
M. le Président
- Il serait peut-être possible de faire des
suppositions.
M. Lescene
- On peut le penser.
M. le Président
- Ces produits sont venus en France.
M. Lescene
- Les marchés sont ouverts.
M. Georges Gruillot
- Ils viennent encore en France.
M. Bernard Lepoitevin
- Concernant le suif, nous avons moins de
collectes spécialisées avant la fente de la carcasse. Nous
rencontrons également le problème de la conservation des tissus
adipeux en abattoir compte tenu qu'ils doivent attendre les résultats
des tests ESB avant de pouvoir être livrés. Cela nécessite
des capacités de stockage importantes ; il en résulte une
oxydation du produit et la nécessité de le raffiner de
manière systématique, ce qui en accroît
considérablement le coût.
M. le Rapporteur
- La sécurisation de l'ensemble de la
filière a permis à votre matière première d'origine
animale de ne plus guère présenter d'intérêt sur le
plan financier.
M. Bernard Lepoitevin
- Le plan financier est un point, mais nous jouons
aux « apprentis sorciers » avec le gras végétal. Nous
n'avons pas de recul suffisant quant à la texture de la viande ou la
couleur du gras ; nous avançons contraints et forcés alors
qu'il existe un certain nombre de points inconnus.
M. le Rapporteur
- Vous avez produit quelques lots d'animaux qui ont
été alimentés de la sorte et vous avez dû faire, en
aval, des tests de dégustation, à savoir des tests
organoleptiques. Quels en sont les résultats ?
M. Lescene
- C'est à peu près comparable, mais il faut
savoir que les comparaisons sont difficiles à effectuer en raison d'une
variabilité individuelle très forte. Il faut prendre en compte de
nombreux individus et réaliser des confrontations sur des grands nombres.
Il ne nous semble pas que la différence qualitative soit très
marquée entre un veau engraissé avec des matières grasses
animales et un autre engraissé avec des matières grasses
végétales.
M. le Rapporteur
- Compte tenu des normes de bien-être que l'on
voit foisonner dans de plus en plus de textes, même des textes
communautaires, êtes-vous optimiste sur l'avenir de la filière
veau en France et en Europe, notamment si l'on ajoute les problématiques
alimentaires ?
M. Lescene
- On peut l'être car il est possible de constater que
dans la tourmente actuelle autour de la viande en général, la
consommation sur le marché français reste relativement ferme
à 5 kilogrammes par habitant.
M. le Président
- Cet après-midi l'un des fabricants de
farines animales indiquait que parmi les orientations des ventes figuraient les
fabricants de lacto-remplaceurs.
M. Lescene
- S'agit-il d'un fabricant de matières grasses ?
M. le Président
- C'est un équarrisseur. Nous nous
interrogeons donc et nous devons vous questionner sur ce point. Nous admettons
que vous n'en utilisez pas mais cela doit exister ; il faut parvenir
à savoir de qui il s'agit.
M. le Rapporteur
- Dans la profession, auriez-vous quelques idées
à ce sujet ?
M. Lescene
- Cela me surprend dans le sens où le veau est un
consommateur sensible et exigeant qui n'aime pas les produits trop
typés ; il a également besoin d'une régularité
et d'une grande qualité de produits.
M. le Président
- Cela ne changera rien. Il est possible d'avoir
la même qualité de produits en utilisant les mêmes
quantités de graisses.
M. Lescene
- Il faut savoir que les cahiers des charges sont
relativement contraignants.
M. Georges Gruillot
- Éliminent-ils les sucs
d'équarrissage et est-ce identique pour vos concurrents, notamment les
Hollandais ?
M. Lescene
- Il est difficile de savoir ce qui se passe en Hollande.
M. Georges Gruillot
- Vous dites qu'ils réalisent 60 % de la
production en Europe. C'est une réelle interrogation pour nous.
M. le Rapporteur
- Le prix de leur produit fini est-il identique au
vôtre ?
M. Lescene
- Il l'est rarement.
M. le Rapporteur
- La variabilité des prix des autres
matières premières vous laisse-t-elle supposer que les 20 %
de graisses en sont l'origine ?
M. Bernard Lepoitevin
- Ils produisent des veaux différents des
nôtres : nous avons des carcasses de 125 à 130 kilogrammes
pour du veau standard alors que les leurs sont de 150 à 160 kilogrammes.
Ils amortissent le prix du veau de 8 jours sur un poids de viande
supérieur et leur prix de revient est inférieur au nôtre.
Ce sont des industriels du veau avec trois intervenants qui sont
industrialisés : la fabrique d'aliments, la ferme d'élevage
et l'abattoir.
M. Georges Gruillot
- Le même Hollandais peut vendre du lait en
France et y intégrer des élevages.
M. Bernard Lepoitevin
- Leurs coûts logistiques sont
inférieurs aux nôtres. Ils ont la filière totale de la
fabrication de l'alimentation, de la production de viande de veau et de la
partie abattoir et découpe. Ils disposent d'une chaîne de valeur
totale.
Concernant la consommation, je suis relativement mesuré car toutes ces
contraintes représentent des charges supplémentaires. Or, la
viande de veau représente un univers très élevé par
rapport à l'ensemble des autres viandes ; cette viande est la plus
chère avec un prix moyen de 70 F à 75 F le kilogramme. Notre
concurrent direct est la volaille dont le prix est situé entre 28 F et
30 F le kilogramme. A chaque fois que l'on ajoute des « handicaps »
à la fabrication de la viande de veau, cela réduit d'autant la
partie attractive de cette viande.
M. le Président
- Je me permets de vous dire que nous restons sur
notre « faim » et que nous avons besoin « d'aliments
». Nous vous rappelons que différents intervenants de
différents domaines ont signalé le problème posé
par les lacto-remplaceurs.
Vous indiquez qu'il n'y a jamais eu de possibilité d'utilisation
éventuelle de graisses animales. Toutefois, cela doit exister car cela
n'a pas été inventé par ces intervenants : parmi eux
figurent ceux qui peuvent constater, comme le Directeur de la Brigade
vétérinaire, et ceux qui vendent, à savoir les
équarrisseurs, et ils tiennent le même discours.
Nous essayerons donc d'orienter nos recherches ailleurs. J'admets, et je vous
en félicite, que vous soyez complètement vierge de toute
contamination éventuelle. Il existe toutefois un soupçon en
raison de ces renseignements provenant d'intervenants différents.
Vous avez juré de dire la vérité et vous l'avez dite, je
n'en doute pas. Nous serons donc obligés d'entendre d'autres personnes
pour avoir une réponse précise. Il me semble curieux que certains
affirment des pratiques alors que ceux qui fabriquent le produit indiquent le
contraire.
M. Bernard Lepoitevin
- Il est important de définir le terme de
lacto-remplaceur.
M. le Président
- Nous l'avons redéfini ensemble et nous
sommes d'accord.
M. Georges Gruillot
- Je partage votre analyse.
M. Bernard Lepoitevin
- Il faut savoir que dans la profession des
aliments d'allaitement, des opérateurs ne sont pas exclusivement des
fabricants d'aliments d'allaitement. Je pense que l'ambiguïté
provient de là : des Groupes sont à la fois fabricants
d'aliments d'allaitement et fabricants d'aliments du bétail ; ils
sont reconnus au titre des aliments d'allaitement alors qu'ils ont
également une vocation pour les aliments du bétail. Il n'est pas
anormal que les équarrisseurs affirment avoir vendu des graisses
animales à ces sociétés.
M. le Président
- Ils ont indiqué qu'ils s'agissait de la
fabrication des lacto-remplaceurs.
M. Lescene
- Il existe un exemple français de l'utilisation de
graisse d'os en lacto-remplaceurs. Il s'agit d'un fabricant de produits
réengraissés sur base laitière ; c'est une poudre de
produits laitiers gras, à base de graisse d'os, destinée à
des aliments pour porcelets, majoritairement à l'exportation.
C'est peut-être ce type de produits car cet opérateur doit
consommer plus des trois-quarts de la production de graisse d'os
française. Il produit également des aliments d'allaitement.
L'ambiguïté vient peut-être de ce point.
M. le Président
- Nous vous remercions pour vos renseignements.
Audition de M. Jean-Luc DUVAL,
Président du Centre national des
jeunes agriculteurs
(CNJA)
(28 février 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Duval, je vous
remercie d'avoir répondu à notre convocation.
Je vous rappelle que vous êtes auditionné par notre commission
d'enquête en tant que président du Centre national des jeunes
agriculteurs, le CNJA.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Duval.
M. le Président -
Monsieur Duval, la commission d'enquête
souhaiterait d'abord savoir ce que vous connaissez de cette affaire et quelle
en est votre analyse.
M. Jean-Luc Duval -
Permettez-moi au préalable de me
présenter. Je suis moi-même agriculteur et éleveur ;
j'ai une exploitation de vaches laitières et de jeunes bovins ; je
me suis installé dans l'Orne en 1988. Je suis depuis peu, depuis le mois
de juin précisément, président du CNJA.
Je vous livrerai donc moins les réflexions d'un dirigeant ou même
d'un militant syndical que l'expérience d'un éleveur.
Pour parler des farines animales, cette question cruciale qui se pose dans tout
le monde agricole, il nous faut remonter jusqu'aux années 1990.
D'après ce que j'ai pu voir et entendre, la responsabilité propre
des agriculteurs ne me semble pas du tout avérée, bien au
contraire, et nous avons subi cette crise plus que nous n'en avons
été des acteurs.
Pour dire le moins, nous sommes très attentifs au sort qui sera
réservé aux actions en justice qui ont été
diligentées en différentes régions et nous souhaitons
aller jusqu'au bout de ce dossier pour mieux comprendre les mécanismes
et désigner des responsables, si tant est qu'il y en ait. Nous sommes,
de même, très intéressés par les travaux de votre
commission d'enquête.
Il faut dire que le monde agricole vit très mal la suspicion qui
pèse sur sa profession, je peux en témoigner en tant
qu'éleveur. Je ne dis pas que nous sommes blancs comme neige et vierges
de tout, mais de là à jouer avec la santé du consommateur,
vraiment, ce n'est pas notre fonction première, laquelle consiste, au
contraire, à fournir à la population l'alimentation la plus saine
possible.
Après expertise, après analyse du dossier de l'ESB, le monde
agricole s'est posé des questions dans les années 1988-1990. La
presse spécialisée se faisait alors l'écho de l'existence
de problèmes au Royaume-Uni et de décisions prises. Nous avons
interrogé les responsables syndicaux de mon département ainsi que
l'administration, notamment pour en savoir un peu plus sur ce qui se passait
outre-Manche, car si le cheptel bovin était touché, nous pouvions
nous poser des questions.
A posteriori, après toute la polémique qui s'est
développée, nous constatons que nos amis britanniques avaient
découvert cette maladie quelques années auparavant et avaient
pris en conséquence des décisions concernant leur territoire, et
uniquement leur territoire, sans alerter suffisamment leurs partenaires. A cet
égard, la prise de conscience européenne n'a pas
été à la hauteur et les précautions prises par le
Royaume-Uni n'ont pas été étendues au reste de l'Europe.
Européen convaincu, et pour m'être entretenu avec des
spécialistes du prion comme Mme Brugère-Picoux, que vous avez
dû auditionner, je ne peux qu'être étonné de
constater que les exportations anglaises d'abats en direction de la France ont
été multipliées par vingt d'une année sur l'autre,
passant de 400 tonnes à 8 000 tonnes ! Autrement dit, on refuse chez soi
de consommer des produits pour mieux les exporter dans un pays voisin, qui plus
est ami : c'est tout de même dangereux !
Puis ce fut la polémique sur les fameuses farines animales. Au risque de
passer pour un rétrograde, je n'ai pas l'impression que nous ayons
joué aux apprentis sorciers. J'ai même retrouvé, dans
certains traités d'agriculture de mon père, que l'on avait
déjà, à l'époque, la préoccupation du
recyclage des déchets ; l'utilisation des farines animales en
faisait partie. Simplement, nous sommes allés trop loin dans cette voie
en utilisant les cadavres. Compte tenu de notre métier d'agriculteur et
de la société qui est la nôtre, il était donc normal
qu'à un moment donné le problème du recyclage de tous les
déchets se pose.
Ce n'est pas aux élus que vous êtes que je l'apprendrai, on ne
peut pas se contenter d'entasser les déchets dans un coin et se sentir
tranquille avec cette solution : tôt ou tard des problèmes
surgissent ; je pense notamment aux boues des stations d'épuration.
Les farines animales ont donc été utilisées pour
l'alimentation animale. Cependant, il faut relativiser l'ampleur du
phénomène - les pourcentages n'ont jamais été aussi
extraordinaires qu'on a pu le dire - et le replacer dans son contexte. D'un
point de vue technique et peut-être même, au-delà,
politique, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, notre pays et ses
voisins européens avaient en quelque sorte décidé, mais de
manière moins explicite que cela, de se partager les productions avec
les États-Unis : à ces derniers revenaient les productions
de protéines azotées, aux Européens, la production
d'énergie. La France étant fortement déficitaire en
protéines azotées, les farines animales lui ont permis de
diminuer un peu ce déficit. On a pu constater une légère
accélération de l'utilisation de ces farines au moment de la
crise pétrolière de 1973.
Depuis que je suis militant syndical, je vois que les organisations agricoles
réclament les moyens nécessaires pour que nous soyons sinon
indépendants, du moins, pour ce qui est de la production des
protéines azotées, le moins déficitaires possible.
Or, j'imagine que, compte tenu de toutes les conséquences de la crise de
l'ESB, un certain nombre de décisions pourraient être prises en
faveur de la culture, chez nous, de protéines azotées. Il ne
s'agirait pas forcément d'ailleurs d'une monoculture de type soja, car
nous pouvons opposer techniquement d'autres solutions à celle-ci,
notamment avec la féverole, le pois fourrager ou le lupin.
D'un point de vue tant agronomique que technique, les agriculteurs sont
prêts. Les décisions politiques restent à prendre à
l'échelon européen, mais il est vrai que l'on ne ressent pas une
grande motivation sur le sujet.
Les farines animales ont été interdites le 24 juillet 1990 pour
les ruminants, et sans que nous nous y opposions, bien au contraire : s'il
y avait un problème, il fallait prendre une décision, tout en
sachant que, auparavant, du fait d'un certain flottement, ces farines
dorénavant interdites avaient peut-être été
utilisées pour l'alimentation des ruminants. Dont acte !
J'ai personnellement vécu, dans les années 1990,
c'est-à-dire après l'interdiction des farines animales, les
interrogations que ne manquaient pas de susciter chez les agriculteurs les
écarts de prix enregistrés entre les farines destinées
à l'alimentation des bovins. Et l'on avait bien du mal à nous
expliquer de telles différences de prix. En tant qu'ancien
président des jeunes agriculteurs de mon département entre 1992
et 1994, et pour avoir siégé au bureau auparavant, j'ai de bons
rapports avec les responsables des organismes coopératifs ou
privés qui fournissent l'alimentation animale dans ma région.
Nous nous sommes rendu compte que, sur certaines parties du territoire, des
éleveurs, des agriculteurs se fournissaient en alimentation pour
ruminants à des prix inférieurs de quinze à vingt centimes
par kilogramme. Syndicaliste agricole, j'ai bien sûr posé la
question : si certains peuvent se procurer de l'alimentation moins
chère, pourquoi pas moi ? C'est un raisonnement économique
simple : pour une exploitation de vaches laitières et de jeunes
bovins, il faut 30 à 35 tonnes d'aliments ; avec un
différentiel de 20 centimes par kilogramme, vous voyez que cela donne
des sommes importantes qui grèvent ou non le revenu de l'agriculteur.
Je n'ai jamais obtenu de réponse satisfaisante et plausible à
l'époque. A posteriori, l'analyse que je peux en faire, et elle n'engage
que moi même si elle est partagée par d'autres au CNJA, c'est
qu'il y a sûrement eu des fraudes, à un niveau ou un autre, dans
la production de l'alimentation animale, singulièrement des farines
animales. C'est peut-être une supposition gratuite, mais nous nous sommes
constitués partie civile pratiquement dans les trente-sept actions en
justice diligentées et j'attends beaucoup des décisions
judiciaires à venir.
Aujourd'hui, c'est l'explosion avec, en France, la crise de l'ESB et un nombre
de cas que l'on a qualifié d'importants, mais qu'il convient de
relativiser : avec nos 270 ou 280 cas, contre 180 000 au Royaume-Uni, nous
ne sommes pas dans la même situation. Cela n'est cependant pas une raison
pour ne plus nous préoccuper de la question.
Nous avons pris un certain nombre de décisions s'agissant du retrait des
matériaux à risque, jusque et y compris les farines animales,
retrait dont nous avions adopté le principe lors de notre dernier
congrès, à Deauville, tout en estimant qu'il était
peut-être risqué de rendre cette fois végétariens
les cochons et les poulets, qui sont omnivores. Mais, au nom de la protection
du consommateur, il fallait aller jusqu'au bout sur un dossier aussi important.
Telle est mon expérience, sans doute retracée de manière
un peu décousue, d'agriculteur et de responsable syndical.
M. le Président -
Votre intervention était parfaitement
structurée et nous vous avons fort bien compris.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- J'aimerais savoir si, pour vous, les
pouvoirs publics ont tardé à prendre des décisions et des
réglementations dans la gestion de cette crise de l'ESB et de ses
conséquences.
M. Jean-Luc Duval -
J'ai vraiment le sentiment qu'il y a eu une
période de flottement européen sur le sujet. Certains faits sont
avérés aujourd'hui. Enfin, il faut être lucide de temps en
temps. Moi, j'ai fait certains rapprochements. Je constate ainsi que le
problème est né au Royaume-Uni, là où la viande
bovine est d'une importance particulière, comme en Irlande, d'ailleurs.
Je constate encore que le commissaire européen chargé de
l'agriculture était, à l'époque, M. Ray Mac Sharry, un
Irlandais qui a fini sa carrière précisément dans le
secteur de la viande bovine. D'où certaines interrogations...
J'ai l'impression, d'une part, que nos amis anglais ont tenté de
gérer le problème chez eux, mais sans alerter de façon
suffisamment pressante les autorités européennes, d'autre part,
que le commissaire chargé de l'agriculture de l'époque n'a
peut-être pas pris toutes les précautions qu'il devait.
Quant à l'empressement de la France sur le sujet, il est toujours
très facile a posteriori, quinze ans plus tard, de juger, fort des
nouvelles connaissances acquises depuis, qu'il aurait fallu prendre telle ou
telle décision. Pour revenir à l'exemple que j'ai cité
tout à l'heure, nous envoyer par cargos entiers des abats qui
étaient interdits à la consommation en Angleterre, cela me
paraît un peu problématique, surtout quand on veut construire une
Communauté.
M. le Rapporteur -
Avez-vous, vous-même ou vos
prédécesseurs, alerté les pouvoirs publics et les
différents ministères concernés ? Y aurait-il eu des
échanges de courriers que vous pourriez retrouver dans les archives du
CNJA ?
M. Jean-Luc Duval -
Tout à fait !
Nous changeons de président tous les deux ans, vous voyez le nombre de
présidents que cela donne si l'on remonte si loin dans le temps. Il
faudrait faire des recherches dans les archives pour vérifier si nous
avons alerté de manière effective les pouvoirs publics.
M. le Président -
Je pourrais vous le demander.
M. Jean-Luc Duval -
Je peux m'engager à faire cette recherche
dans ce que nous pouvons avoir comme archives au CNJA et produire devant vous,
le cas échéant, des courriers et autres documents.
M. le Président -
Par exemple.
M. Jean-Luc Duval -
Je pourrais interroger mes
prédécesseurs pour savoir s'ils ont souvenir d'avoir
formulé des interrogations. Oui, je peux le faire.
M. le Président -
Alors, je vous le demande officiellement.
(Sourires.)
M. le Rapporteur -
A la faveur de la crise de l'ESB, quelle analyse
faites-vous d'une part de la réorientation de l'élevage bovin
français et de l'agriculture au sein de la politique agricole commune
et, d'autre part, de cette politique ?
M. Jean-Luc Duval -
D'après mon expérience et celle de mes
aînés, je peux dire que nous avons vécu, entre le
début et la fin du XXe siècle, une évolution bien plus
rapide que celle qui avait été constatée entre le Moyen
Age et la fin du XIXe siècle. Rien n'avait changé, alors, et le
soc de la charrue était simplement non plus en pierre mais en bois et la
traction animale prévalait toujours. Au contraire, depuis le
début du siècle dernier, nous vivons une immense
révolution et nous sommes toujours en évolution. Alors, à
ceux qui pensent que nous sommes des attardés qui ne prennent pas en
compte ces évolutions, je dis, moi, au contraire, que nous ne faisons
qu'évoluer.
J'ai du mal à accepter que l'on jette le bébé avec l'eau
du bain. Ne nous a-t-on pas demandé, peut-être pas explicitement,
mais tout de même, d'assumer des situations de crise, notamment
après la guerre, quand la France n'était pas autosuffisante du
point de vue alimentaire ? Il semble que l'on a un peu oublié ce
que nous avons réussi à faire.
Je reviens du Japon, car j'ai la chance, du fait de mes responsabilités
syndicales, de pouvoir aller à droite et à gauche. Il faut savoir
que le Japon n'est autosuffisant que pour 40 % et importe 60 % de ses
besoins alimentaires, ce qui veut dire que le Japon sait encore ce que signifie
le mot « pénurie ». Voilà pourquoi il cherche à
développer son agriculture. Nous, en France, nous avons oublié
que, à un moment donné de notre histoire, le problème
était de donner à manger à tout le monde. Il est bon de le
rappeler régulièrement.
Quant à ce que l'on pourrait appeler les « nouvelles attentes de la
société », je constate l'écart qu'il y a entre les
pratiques culturales d'aujourd'hui et ce que j'ai appris à
l'école dans les années 1980, ne serait-ce qu'en termes de
techniques agricoles.
Aujourd'hui, les préceptes de l'époque nous semblent
erronés, mais c'est qu'ils ont été modifiés au fil
du temps. Peut-être que, par rapport à des sujets aussi cruciaux
que l'environnement, l'action des agriculteurs n'a pas forcément
été exemplaire, mais songez qu'il fallait faire avec les
connaissances de l'époque.
Je prends régulièrement l'exemple de ce professeur de
phytotechnique qui, dans les années 1980, nous recommandait, pour
détruire le chiendent dans le maïs, d'utiliser de l'Atrazine
à raison de 8 à 10 kilogrammes. Eh bien, aujourd'hui, le dosage
réglementaire est de 1,5 kilogramme, parce que l'on s'est rendu compte
qu'avec l'effet de lessivage on retrouvait du produit dans la nappe
phréatique. Et c'était pourtant une préconisation
technique d'un professeur.
Cela étant, tous les efforts qui sont faits aujourd'hui n'auront pas de
répercussions immédiates sur l'environnement. C'est la
période critique que nous traversons. Pour les rencontrer
régulièrement, je vois que les jeunes sont très
sensibilisés et ont envie de bien faire leur métier et
d'être exemplaires, mais tout ce qui se fait à l'heure actuelle
n'aura de répercussions sur l'environnement que dans quelques
années. Il faut compter avec le temps de réponse de la
nature : il ne suffit pas, comme dans un véhicule, de donner un
coup d'accélérateur !
Je ne suis pas contre une certaine réforme. En revanche, je suis
très inquiet, à la suite de ce qui s'est passé avant hier
soir, de constater que l'on est en train de renationaliser la politique
agricole commune. Pour la France, c'est dommage et cela m'inquiète
beaucoup. Certains pensent que nous sommes en surproduction structurelle. Mais
je rappelle qu'au mois de septembre dernier, et les cours l'ont montré,
notamment pour la viande bovine, nous avons peut-être connu une
sous-production. Je suis vendeur de vaches de réforme et de jeunes
bovins et je peux vous dire que lorsque l'on posait la question, on nous
répondait qu'il ne fallait pas se plaindre. Quand on connaît les
paysans, on sait qu'une telle réponse veut dire que la situation
n'était pas trop mauvaise.
Donc, au départ, nous n'étions pas du tout en complète
surproduction. Maintenant, de cette situation conjoncturelle, va
peut-être naître une situation cette fois structurelle si les
consommateurs changent durablement leurs habitudes alimentaires.
Voilà pourquoi nous nous posons des questions quand on en appelle
à la diminution importante de la production agricole.
Cela concerne le devenir des producteurs, et notre structure se bat pour
l'installation des paysans ; cela concerne également l'industrie
agroalimentaire, qui est source de renom national et international pour la
France. J'ai le sentiment de ne pas apporter beaucoup de réponses.
Certes, il faut évoluer, mais j'ai du mal à croire en un virage
à 180° pour ce qui concerne la production agricole. Notre
réflexion vise à inscrire la politique agricole commune et ses
réorientations dans le temps ; il en sera question lors du
congrès du mois de juin.
En effet, comment imaginer que les jeunes s'investissent dans une
démarche systématiquement fondée sur des aides de prix et
des compensations économiques que certains nomment « primes »,
d'autres « subventions » ? Il est d'ores et déjà
difficile d'expliquer cela au grand public et aux médias, mais qu'en
sera-t-il dans dix ans ou dans quinze ans quand il faudra expliquer que le prix
est un prix mondial assorti de compensations pour permettre aux producteurs de
s'en sortir ?
Nous appelons de nos voeux une politique des prix. Mais si nous
relançons une telle démarche au plan national et européen,
il faut à mon sens associer l'OMC à la réflexion. Il faut
savoir utiliser les mots qui fâchent la profession, à d'autres
endroits, et parler de temps en temps de baisse de production.
Je connais bien le secteur laitier. Même si nous avons beaucoup
diminué le nombre des producteurs de lait, il y en a encore 130 000 en
France. C'est le secteur qui connaît le plus grand nombre
d'installations. J'ai régulièrement des contacts avec mes
collègues européens, notamment les jeunes, qui s'étonnent
que nous puissions maintenir une filière laitière dynamique en
France avec de jeunes agriculteurs. Anglais et Allemands s'interrogent en effet
sur la pérennité de leur filière, qui compte de nombreux
producteurs âgés de plus de 40 ans et qui ont peut-être
moins envie d'accélérer la dynamique.
Par ailleurs, pourquoi vouloir opposer l'agriculture biologique à
l'autre système d'agriculture ? Je suis normand, je ne suis donc
pas un homme d'opposition, et je préfère poser le problème
en ces termes : comment faire évoluer l'ensemble de
l'agriculture ? Le CNJA mène une réflexion approfondie sur
l'agriculture raisonnée. Ce type d'agriculture ne modifiera pas de
manière très importante les pratiques des agriculteurs,
même si des efforts sont à faire, mais cela permettra
peut-être d'expliquer au public la production agricole. Je me trouvais au
salon de l'agriculture la semaine dernière et j'ai remarqué que
la discussion avec les visiteurs permettait de lever un certain nombre
d'incompréhensions.
M. le Rapporteur -
Précisément, le concept de
l'agriculture raisonnée est-il partagé par vos homologues
européens, jeunes agriculteurs ?
M. Jean-Luc Duval -
Par les jeunes agriculteurs, oui.
Si vous demandez à des gens qui ont été incités
à prendre une direction de révolutionner leur démarche, la
réponse ne sera pas rapide. En revanche, la pression est très
forte sur les jeunes agriculteurs, leur métier, la façon de
produire. Il suffit de participer à un repas où il n'y a pas que
des agriculteurs, à des réunions diverses, pour s'en rendre
compte. Pour vivre heureux vivons cachés, telle n'est pas la devise du
CNJA. Nous préférons être fiers de notre métier et
aller au contact du public. Les jeunes sont prêts à relever le
défi, encore faut-il leur en donner les moyens.
De ce point de vue, nous allons devoir batailler avec les pouvoirs publics,
mais également avec nos partenaires de la filière que sont les
transformateurs, la grande distribution et les consommateurs. Nous menons une
opération - Terre Attitude - qui réunit les acteurs de la
filière agricole, de la filière agroalimentaire et de la grande
distribution. La semaine dernière, nous sommes parvenus à
rédiger un communiqué de presse commun avec l'UFC-Que choisir -
ce qui n'est tout de même pas simple - sur le concept de l'agriculture
raisonnée. Si cela vous intéresse, je peux vous le faire
parvenir.
M. le Rapporteur -
Ne pensez-vous pas que l'avenir de la filière
de la viande bovine passe par une diminution du nombre des
intermédiaires entre l'éleveur et le consommateur ? En
effet, les éleveurs, comme les consommateurs urbains qui
s'approvisionnent maintenant majoritairement dans les boucheries de quartier,
sont révoltés de constater que la baisse du prix de la viande, de
sept à dix francs au kilo, n'est pas répercutée en fin de
chaîne.
M. Jean-Luc Duval -
Nous cherchons à savoir comment cela se passe.
M. le Rapporteur -
Nous auditionnerons M. Bedier. Pour autant,
menez-vous une réflexion sur le raccourcissement de la
filière ? Comment cela vous semble-t-il possible ?
M. Jean-Luc Duval -
Compte tenu de la masse de viande bovine qui est
produite, il ne me semble pas possible de ne faire que de l'élevage en
circuit court. Cependant, un certain nombre de mes collègues imaginent
la vente de la viande par Internet. Cela peut être une solution
personnelle, mais j'ai du mal à croire que la population agricole y
recoure majoritairement.
En revanche - et là nous faisons un peu tache au sein de la profession,
mais c'est aussi notre rôle - nous devrions saisir l'occasion de cette
crise pour mettre au clair la filière agricole et la filière de
la viande bovine. Si nous parvenions au même degré d'organisation
que dans la filière laitière, ce serait une révolution !
Cela suppose que les producteurs prennent des responsabilités qu'ils ne
sont pas prêts à assumer.
Le lait doit être détruit rapidement alors qu'on peut attendre
deux à trois semaines avant de vendre une vache et en négocier le
prix. C'est cela que nous aimerions voir changer dans le monde des producteurs.
Je souhaite vraiment que nous puissions nous réunir autour d'une table
pour clarifier la situation et, en disant cela, je ne me fais pas que des amis.
Récemment, un certain nombre d'actions syndicales ont été
menées par nos adhérents exaspérés par les
intervenants de la filière. Or, j'ai rencontré hier un
restaurateur qui dit travailler dix-sept tonnes de viande par jour et qui jure
ses grands dieux qu'il n'arrive pas à s'approvisionner sur notre
marché. Dans un pays qui compte vingt millions de bovins, aller chercher
hors des frontières de la viande bovine me laisse perplexe. Je vais
pouvoir interroger des transformateurs sur le sujet.
M. Paul Blanc -
Une question pratique. Combien de temps se garde un sac
d'aliment pour le bétail ?
M. Jean-Luc Duval -
Personnellement, je n'achète pas d'aliment en
sac, mais en vrac. Pour mes jeunes bovins, je remplis un silo de quatre tonnes
d'aliment environ tous les deux mois. En ce qui concerne les vaches
laitières, pour l'alimentation concentrée - protéines
énergétiques - j'utilise mes céréales d'une
campagne sur l'autre ; pour les produits azotés, j'utilise un
aliment d'hiver et un aliment d'été.
M. Paul Blanc -
C'est une rotation très rapide ; il est donc
peu probable que des sacs d'aliment aient été stockés et
utilisés beaucoup plus tard.
M. Jean-Luc Duval -
Je ne le crois pas. Le paysan est d'un naturel assez
intéressé et, le stock, c'est de l'argent qui dort.
M. Paul Blanc -
S'agissant de la traçabilité des aliments
pour le bétail, vous semblez soupçonner un trafic de farines
animales. Pouvez-vous citer des faits précis ?
M. Jean-Luc Duval -
Non, je m'interrogeais. Quand on met des
données bout à bout, on peut tirer des conclusions. Nous n'avions
pas connaissance, entre 1990 et 1996, du fait que certains producteurs
d'aliments utilisaient des farines animales. Les chiffres sont là :
on a augmenté très fortement notre achat de farines animales en
Belgique, par exemple, alors que ce pays n'a pas doublé sa
capacité de production.
M. Paul Blanc -
Qui est « on » ?
M. Jean-Luc Duval -
Certains intervenants.
M. Paul Blanc -
Est-ce que ce sont des éleveurs qui fabriquent
leur aliment à la ferme ou bien des intermédiaires ?
M. Jean-Luc Duval -
Ceux qui fabriquent les aliments à la ferme
travaillent des matières premières telles que des tourteaux de
colza, de soja ou des mélanges de céréales produites sur
l'exploitation. Je ne connais pas de gens qui achetaient directement des
camions de farines animales. Avant l'interdiction, nous savions qu'il y avait
des farines animales dans l'aliment du bétail, nous l'apprenions
même à l'école : les tables de calcul des rations
faisaient état des valeurs énergétiques des farines
animales. Cela n'était pas caché sous le manteau.
M. Paul Blanc -
C'était légal.
Et pour ce qui concerne les fabricants ?
M. Jean-Luc Duval -
J'ai un doute.
M. le Président -
Vous évoquiez tout à l'heure les
importations de Belgique. Avez-vous des témoignages, des écrits,
car nous ne disposons pas forcément des mêmes chiffres que les
vôtres ?
M. Jean-Luc Duval -
C'est un recoupement de ce qu'on a pu voir ici ou
là, de chiffres qui ont été publiés notamment dans
la presse et de ce qu'on a pu entendre. Certains vous donneront peut-être
des documents relatifs aux saisies de douane ; il y a matière
à s'interroger. Je n'ai pas de documents à produire sur le sujet,
je fais plutôt état d'une ambiance. Mais il est un fait que des
aliments pour bovins de valeur alimentaire de même nature étaient
proposés avec un différentiel de prix. Comment ne pas
s'interroger ?
M. Paul Blanc -
Cela n'a jamais été expliqué ?
M. Jean-Luc Duval -
Non, et j'attends beaucoup des actions en justice et
des travaux qui seront menés car j'ai besoin de savoir.
M. le Rapporteur -
Y aurait-il dans les archives du CNJA une liste des
entreprises qui proposaient aux agriculteurs des aliments à des prix
inférieurs de quinze à vingt centimes ?
M. Jean-Luc Duval -
Non.
M. Paul Blanc -
Avez-vous l'impression - ou la certitude- que les
coopératives qui fabriquaient des aliments étaient plus
attentives qu'on ne pouvait l'être dans le secteur marchand
privé ?
M. Jean-Luc Duval -
Bonne question. Il y avait certainement plus de
pression de la part des agriculteurs sur les coopératives pour un sujet
aussi important que celui-là.
M. Paul Blanc -
Cela les aurait incitées à être plus
regardantes ?
M. Jean-Luc Duval -
Oui. Certains responsables de coopératives
sont également des paysans, ce sont nos copains, nos voisins, les choses
vont plus vite, on en parle un peu plus...
M. Paul Blanc -
Autrement dit, à partir du moment où vous
vous posiez des questions sur ce qui se passait en Angleterre, les agriculteurs
auraient pu mettre en garde les coopératives...
M. Jean-Luc Duval -
Oui. Certains responsables de coopérative
nous disent a posteriori n'avoir jamais décidé de tomber dans ce
panneau-là.
M. Jean Bernard -
La concurrence aidant, il fallait que tout le monde
s'aligne sur les prix.
M. Jean-Luc Duval -
C'est clair. Étant coopérateur, je
demandais à mon fournisseur pourquoi je payais vingt centimes de plus
que les autres.
M. le Président -
Mes chers collègues, avant de conclure,
je souhaiterais poser une dernière question.
S'agissant de l'avenir de la profession d'agriculteur, auriez-vous
rédigé quelque document que vous pourriez nous communiquer ?
M. Jean-Luc Duval -
Tout à fait. Sachez que les jeunes sont
soucieux de leur avenir.
M. le Président -
Nous attendons donc les différents
documents que nous vous avons demandés et nous vous remercions de votre
témoignage.
Audition de M. Michel PAILLIER,
Directeur général de la
société Bonilait
Protéines
(28 février 2001)
(Huis clos
demandé)
M.
Gérard Dériot, Président -
Monsieur Michel Paillier,
nous vous remercions d'avoir répondu à notre convocation. Vous
êtes auditionné en qualité de directeur
général de la société Bonilait Protéines
dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire. Je vous rappelle
les conditions dans lesquelles se déroule une commission d'enquête
parlementaire.
Vous avez demandé à être auditionné à huis
clos ; nous procédons donc de cette manière. Bien entendu,
votre audition fait l'objet d'un compte rendu sténographique qui sera
publié en annexe du rapport écrit, sauf opposition de votre part.
M. Michel Paillier -
Monsieur le président, messieurs les
sénateurs, je suis ici pour répondre à vos questions. J'ai
souhaité être entendu à huis clos car mon entreprise ne me
semble pas concernée par le débat sur les farines animales. La
médiatisation des problèmes a déjà fait beaucoup de
mal et alors que nous connaissons une crise très importante au niveau
européen et mondial, moins on met en cause des entreprises qui ne sont
pas concernées, mieux elles se portent.
Puisque vous me le proposez, je préfère que le compte rendu de
mon audition ne figure pas en annexe du rapport ; mais je vous en laisse
juges.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Pallier.
Audition de M. Martin HIRSCH,
Directeur général de l'agence
française de sécurité sanitaire des aliments
(AFSSA)
(28 février 2001)
M.
Jean Bizet, Rapporteur
- Monsieur le Directeur, merci d'avoir bien voulu
répondre à la convocation de cette commission d'enquête.
Je me permettrai d'être brièvement à la fois
président par intérim et rapporteur, Gérard Dériot
ayant dû s'absenter. Il devrait toutefois nous rejoindre dans quelques
instants.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Hirsch.
M. Martin Hirsch -
L'AFSSA est un établissement public
administratif, placé sous la tutelle des ministres de la santé,
de l'agriculture et de la consommation, dont les missions ont été
fixées par la loi du 1er juillet 1998.
La première mission de l'Agence porte sur l'évaluation des
risques de la chaîne alimentaire, depuis l'alimentation animale jusqu'au
stade de la consommation finale -produits animaux et végétaux-
mais aussi sur l'ensemble des différentes étapes, qu'il s'agisse
des process, de la qualité des matières premières ou des
différents risques qui peuvent être évalués
-nutritionnels, toxicologiques, microbiologiques.
Cette mission d'évaluation comporte aussi une mission spécifique
concernant les médicaments vétérinaires, puisque l'Agence
accueille en son sein l'Agence nationale des produits
vétérinaires, chargée de l'évaluation et du suivi
des médicaments vétérinaires.
La seconde mission de l'AFSSA est une mission d'appui scientifique et technique
qui s'exerce à travers treize laboratoires, qui ont été
intégrés dans l'Agence au moment de sa création. On y
retrouve les deux-tiers des effectifs de l'Agence, soit 800 personnes.
Ces laboratoires font de l'appui scientifique et technique en santé
animale, en hygiène des aliments et dans le domaine des eaux. Ce sont
des activités de référence. Pour prendre l'exemple le plus
actuel, le laboratoire de référence sur la fièvre aphteuse
se trouve au sein de l'Agence et est actuellement sollicité pour
vérifier la situation française en la matière.
Nous avons également des laboratoires de référence en
matière d'ESB, ainsi que dans d'autres domaines très
variés.
On exerce cet appui scientifique et technique le plus souvent à la
demande des ministères, en participant à l'organisation de plans
de surveillance, de diagnostics de confirmation, etc.
La troisième mission de l'Agence est une mission de recherche en
santé animale compte tenu de l'origine des laboratoires qui ont
été intégrés dans l'Agence. Petit à petit,
ces recherches sont diversifiées en fonction des priorités
scientifiques que l'on met en place.
Une réflexion a été lancée depuis la
création de l'Agence pour parvenir à une émergence de
projets, afin que ceux-ci soient rattachés aux priorités
sanitaires et qu'ils puissent être examinés avec le concours des
différentes autorités, sous l'égide du Conseil
scientifique, pour définir des axes de recherche à moyen et long
terme.
On a plusieurs gros projets qui ont déjà été
lancés, qui sont en cours de finalisation, impliquant plusieurs
laboratoires de l'Agence, mais aussi des laboratoires français ou
étrangers d'autres secteurs.
Voilà donc les caractéristiques de cette Agence.
M. le Rapporteur
- Sur quels programmes ?
M. Martin Hirsch -
On a approuvé, il y a deux ou trois mois,
après passage devant le Conseil scientifique, une vingtaine de projets
de recherches, concernant par exemple la listéria dans les
différents produits, ce qui permet de travailler sur les produits de la
mer, les produits laitiers, la charcuterie...
M. le Rapporteur
- Sur ce point précis, iriez-vous jusqu'à
contredire la norme officielle de l'OMS, ou êtes-vous d'accord avec
celle-ci ?
M. Martin Hirsch -
Sur les sujets d'évaluation, nous avons deux
types de travaux. On a produit un rapport général de 150 pages,
après saisine des ministères sur la listéria, sur toutes
les données scientifiques dont on disposait et sur un certain nombre de
recommandations qui portaient sur le réexamen de l'état clinique
de consommation d'un certain nombre de produits, afin de reprendre la
classification des aliments, pour être sûr que des produits ne
soient pas classés en fonction de critères anciens ou
arbitraires, mais scientifiques, en fonction du PH et de différentes
caractéristiques physico-chimiques.
D'autres recommandations ont porté sur l'alimentation animale puisque,
si certains animaux sont porteurs de la listéria, cela peut avoir des
conséquences sur le produit final.
Cette palette a donné lieu à des recommandations, y compris sur
la révision de la norme qui concernait certains produits de charcuterie.
Celles-ci n'étaient pas en contradiction avec la norme de l'OMS mais, en
France, il existait un certain flou dans les tolérances par rapport
à ce qui avait été défini en matière de
produits à base de lait cru, et nous avons donc recommandé que
des critères s'appliquent.
Parmi les autres sujets, on trouvera des sujets de pure santé animale.
On travaille par exemple beaucoup sur les virus qui peuvent atteindre les
élevages porcins, comme la maladie du porcelet, qui est en
régression, ou, en recherche fondamentale, sur la compréhension
des virus ainsi que sur l'amélioration des vaccins. On trouve toute une
variété de sujets, y compris ceux concernant la nutrition et
l'amélioration de nos capacités de travail en matière
d'alimentation animale.
M. le Rapporteur
- Estimez-vous que la France a
répété les erreurs de 1996 en laissant au seul ministre de
l'agriculture la gestion d'une crise de santé publique et d'une crise de
confiance des consommateurs ? De quelle manière, à votre
avis, devrait être géré l'aspect politique de la
question ?
C'est une question peut-être délicate, mais c'est au coauteur de
"L'affolante histoire de la vache folle" que je m'adresse.
M. Martin Hirsch -
C'est la même personne !
Depuis ce livre -dont la préface a été
rédigée par le précédent ministre de la
santé, qui indiquait qu'il serait peut-être judicieux de
créer une agence de sécurité européenne- plusieurs
changements institutionnels importants sont intervenus en France et ont conduit
à la création d'une Agence qui, comme je le rappelais, a comme
caractéristique de dépendre de trois ministères.
Beaucoup des acteurs qui participent à ces travaux -ministères,
scientifiques, responsables administratifs, consommateurs- ont conscience de ce
que cela apporte.
En effet, les différents ministères sont au courant des projets
de réglementation, l'Agence étant saisie soit par les trois
ministères, soit par l'un d'eux, avec information immédiate des
autres, ce qui permet un travail en amont.
En second lieu, note mission et notre mode de fonctionnement obligent à
ce que, à tous les stades de l'instruction des saisines et des avis, des
échanges aient lieu avec les administrations, soit parce qu'on a besoin
de recueillir des données auprès d'elles, soit parce que l'on a
besoin de leur transmettre des informations, des avis ou des recommandations.
On peut également agir par l'intermédiaire de groupes de travail,
etc.
Je crois donc que le changement est extraordinaire par rapport aux habitudes de
cloisonnement administratif françaises. Beaucoup de réunions ont
permis de mettre à plat des approches différentes en
matière d'épidémiologie, de produits de santé, ou
dans le secteur alimentaire.
On en a de multiples illustrations. C'est ainsi que l'Agence française
de sécurité sanitaire des produits de santé et l'AFSSA
ont, cette semaine, conjointement saisi le comité
interministériel sur l'ESB pour évaluer les derniers
procédés de sécurisation des gélatines. Il y a
là, je crois, un décloisonnement complet qui profite à la
santé publique.
M. le Rapporteur
- J'en viens directement aux cas d'ESB
découverts au cours de l'année 2000, qui concernent des bovins
nés entre 1993 et 1995, bien après l'interdiction des farines.
Quelle est, pour vous, l'hypothèse la plus probable :
contaminations croisées, trafics illicites de farines ou utilisations de
graisse dans les compléments alimentaires ? Quelle est la piste que
vous privilégiez avec le recul qui est le vôtre ?
M. Martin Hirsch -
Une précaution oratoire
préalable : je ne suis pas expert. Je suis chargé
d'organiser l'expertise et d'endosser la responsabilité des avis qui
engagent l'Agence, mais vous rencontrerez d'autres interlocuteurs plus
compétents pour savoir comment le prion se comporte selon les milieux,
les espèces, etc. Ils pourront vous faire un point précis en leur
qualité de scientifiques.
Nous travaillons maintenant depuis près de quatre mois sur un certain
nombre de questions qui nous ont été adressées par les
trois ministères sur la sécurité des farines animales
employées pour nourrir les espèces pour lesquelles elles ont
été autorisées, après leur interdiction chez les
ruminants.
En premier lieu, nous avons proposé, lorsque nous avons
été saisis, de regarder si des faits scientifiques nouveaux
permettant de penser que des espèces réputées non
sensibles à l'ESB -porcs, veaux, lapins, chevaux- pouvaient être
contaminées.
Le second bloc de questions portait sur le fait de savoir si, en examinant les
données issues des contrôles qu'on nous demandait explicitement de
pratiquer, l'on pouvait dire que les sécurisations n'étaient pas
complètes pour ces produits. En d'autres termes, il s'agissait de savoir
si des contaminations croisées étaient toujours possibles, au
moment où les farines restaient autorisées pour certaines
espèces.
La troisième question concernait les risques potentiels relatifs aux
farines de viande et d'os et les autres dérivés d'animaux qui
n'auraient pas été interdits pour les ruminants. On s'est
intéressé aux lacto-remplaceurs, aux phosphatines bicalciques,
dont on avait considéré jusqu'alors qu'il n'y avait pas de
problème à les autoriser chez toutes les espèces.
La quatrième question portait sur les risques induits par une suspension
et une interdiction des farines par rapport à des espèces comme
les poissons, et soulevait le problème des garde-fous à mettre en
oeuvre pour éviter de créer d'autres risques. C'est un sujet
particulièrement important concernant le stockage et le traitement des
farines elles-mêmes, mais également de leurs effluents.
La cinquième question concernait l'évaluation des produits de
substitution qui seraient donnés aux animaux selon les
différentes espèces, et les dernières questions portaient
sur les effets que pourrait avoir une mesure unilatérale prise par un
pays, si d'autres pays ne la mettaient pas en oeuvre, dans un contexte de
libre-échange.
C'est sur ces différentes questions que nous avons mobilisé tous
nos groupes d'experts, et nous avons continué à le faire une fois
que la suspension a été décidée au niveau
français, puis européen, pour savoir si la suspension devait ou
non être prolongée, s'il y avait des aménagements à
y apporter, et quelles explications rétrospectives pouvaient être
données aux cas qui s'étaient présentés.
Ce sujet illustre plusieurs difficultés. En premier lieu, il existe des
questions purement scientifiques : le porc est-il sensible par voie
d'inoculation intra-fécale ou alimentaire ? Au bout de quel
délai d'incubation ? Ce sont là des données purement
scientifiques, mais il faut également pouvoir porter une
appréciation sur l'efficacité des dispositifs mis en place.
La loi du 1er juillet prévoit que les données sur le
contrôle doivent être communiquées à l'Agence, qui
doit effectivement pouvoir évaluer les dispositifs. Au delà de la
question de savoir si les porcs, les veaux ou les autres espèces sont
sensibles à l'ESB, la question est de savoir si les espèces pour
lesquelles ces farines sont interdites peuvent courir un risque malgré
l'interdiction.
La réponse dépend à l'évidence des
appréciations que l'on peut porter sur l'efficacité des mesures
prises par le passé.
Ce sujet, nous l'avions abordé dans un rapport sur l'alimentation
animale et la sécurité des aliments, que l'on avait lancé
à la suite de la crise de la dioxine, estimant que l'importance du sujet
justifiait un tour d'horizon de l'ensemble de l'alimentation animale.
S'agissant des farines de viande et d'os, nous avions identifié quelques
points critiques, en recommandant que l'on porte une grande attention à
l'éviction des matériels à risques, aux
procédés de traitement, et à la séparation des
circuits. Toute une série de choses nous ont ainsi facilité le
travail, à partir du moment où la question de savoir ce qu'il en
était à la fin de l'année dernière nous a
été posée.
Il s'agissait principalement de déterminer si les écarts -car il
est rare qu'une réglementation aussi complexe soit
vérifiée et contrôlée à 100 %- peuvent
avoir un impact sanitaire ou s'ils sont purement formels, soit qu'il s'agisse
d'écarts secondaires, soit qu'il s'agisse d'écarts que l'on
rattrape à l'étape suivante et qui, bien que réels,
n'auraient pas d'impact sanitaire.
C'est ce travail que l'on est en train d'achever, sur le fondement des
évaluations faites par le Comité sur l'ESB, fin 1998-début
1999 qui, pour expliquer les cas naïfs -à une époque
où il y en avait beaucoup moins que maintenant- avait recensé
cinq ou six hypothèses possibles, depuis les contaminations
croisées aux différents stades, jusqu'à
d'éventuelles autres voies de transmission que les voies alimentaires,
en les classant par ordre décroissant de probabilités.
C'est cette thématique que l'on a reprise dès que l'Agence a
été créée, en se demandant si les cas naïfs
étaient dus à des maintiens de contaminations croisées
avec les farines interdites, ou à des produits qui restaient
autorisés pour certaines espèces, comme ceux que je citais
auparavant.
Les conclusions ont montré que ces deux hypothèses doivent
être prises en considération et qu'il pouvait y avoir une
justification à élargir la liste de ce que l'on interdisait
-farines animales, etc.- puisqu'il est préoccupant de voir que le nombre
de cas nés après l'interdiction des farines est bien
supérieur au nombre de cas nés avant.
Si une partie de l'explication peut se trouver dans l'amélioration
indéniable des procédures de surveillance, celle-ci n'est pas
suffisante et conduit à considérer ces deux hypothèses
comme possibles. On se heurte là à deux difficultés. La
première vient du fait qu'on n'a les réponses que quelques
années après, puisque les cas se déclarent en moyenne cinq
ans plus tard. Or, beaucoup de facteurs sont communs à l'ensemble des
bovins, et démêler celui qui pourrait être à
l'origine de la maladie n'est pas simple.
C'est pour cela qu'a été lancée une étude lourde
appelée "cas-témoins", destinée à comparer les
exploitations qui ont connu un cas avec celles comparables en tous points
-taille, type d'élevage, type de localisation- qui n'en ont connu aucun.
Les différentes enquêtes ont démontré qu'on ne peut
exclure la possibilité d'une contamination croisée, soit à
l'origine, soit au moment du transport, soit à la ferme. Toutes ces
pistes permettront de cerner de mieux en mieux les choses.
A cet égard, les enseignements qui ont été tirés du
programme de tests sont extrêmement importants. Elles ont permis une
meilleure connaissance de la maladie, et de voir que le nombre de cas
détectés par cette voie ne l'avaient pas été pas
uniquement dans des élevages mixtes où l'on trouvait des porcs et
des bovins, mais dans un nombre d'exploitations important où il n'y
avait que des bovins, ce qui implique une contamination croisée en
amont. Il y a ainsi toute une série d'informations capitales pour
progresser.
M. le Rapporteur
- Considérez-vous que l'AFSSA se heurte à
des difficultés pour connaître la composition des
compléments alimentaires destinés au bétail ou des plats
cuisinés destinés à l'alimentation humaine ?
M. Martin Hirsch -
S'agissant de la composition des aliments, je pense
effectivement que tout le monde se heurte à des difficultés. En
effet, les différents ingrédients sont complexes et si l'on
n'examine un par un l'ensemble des ingrédients, on peut passer à
côté de quelque chose d'important.
C'est la raison pour laquelle on s'est attaché, lorsqu'on a
travaillé sur les greffes d'os, les phosphates bicalciques, les suifs,
etc., à bien établir la liste des produits animaux qui entraient
dans les différents aliments.
On a également étudié quels étaient les facteurs
communs en amont. C'est ce qui nous a conduits à mette l'accent sur un
point central du dispositif : le problème de l'incorporation des
corps vertébraux en amont de la chaîne, qui pouvait avoir des
répercussions sur les produits dérivés.
Ceci nous a conduits à recommander, l'année dernière, que
les vertèbres soient retirées de la chaîne alimentaire, en
France comme dans les autres pays de l'Union. Cette position qui a
été soumise par la France à ses partenaires, et a
été rejointe par l'ensemble de la Commission, puisqu'une
décision rend obligatoire le retrait des vertèbres dans les pays
touchés par l'ESB.
Par ailleurs, plus généralement, on mène des travaux sur
la composition des aliments au sein de l'Agence. Notre centre d'informations
sur la composition et la qualité des aliments essaye de
décomposer, aliment par aliment, le contenu de ceux-ci.
On ne peut toutefois le faire pour l'ensemble des aliments. Il faut donc des
objectifs précis. On le fait par exemple aujourd'hui sur la teneur en
sel de certains produits, pour pouvoir aider les allergologues à
parfaitement connaître la composition des aliments et ne pas risquer de
soumettre des sujets allergiques à un certain produit sans qu'ils le
sachent.
De même, nous cherchons à apporter une clarification sur les
produits d'origine animale qui peuvent se trouver dans différents
ingrédients. C'est un sujet complexe, compte tenu de l'immense
variété des process. On ne peut prétendre avoir, du jour
au lendemain, la composition exacte, ingrédient par ingrédient,
de l'ensemble des aliments, mais je crois que les choses progressent beaucoup.
Un certain nombre d'ingrédients sont en effet soumis à des
procédures d'autorisation, dans le cadre des réglementations
nationales et européennes. Il y a un certain nombre de données
capitales, tant sur le plan de la sécurité alimentaire que sur
celui des aspects nutritionnels.
M. Jacques Bimbenet
- Comment faites-vous par rapport au secret de la
fabrication ? Il n'existe plus ?
M. Martin Hirsch -
On y a été confronté à
propos d'une boisson gazeuse. Leur recette est protégée par le
secret industriel. En revanche, rien n'empêche de passer ces aliments
dans différentes machines complexes -spectrographes de masse et autres-
et d'en sortir tous les ingrédients, tous les ions, toutes les
protéines que l'on y trouve pour avoir la composition de ces aliments,
sans en connaître la recette.
M. Jacques Bimbenet
- Vous ne pourrez pas la divulguer à la
concurrence !
M. Martin Hirsch -
Je ne crois pas que la composition finale soit
protégée. On ne s'est jamais heurté à cette
difficulté-là dans nos travaux sur la composition des aliments.
Les équipes d'évaluation essayent de comprendre, de faire des
tableaux pour voir ce qui se passe, et les soumettent aux professionnels en
demandant s'ils ont oublié quelque chose. Il y a une démarche
itérative pour savoir si ce que l'on pense correspond aux pratiques et
aux formules qui sont employées.
M. Paul Blanc -
Je voudrais revenir sur votre livre "L'affolante
histoire de la vache folle". Confirmez-vous que l'embargo sur la viande
anglaise était plus destiné à rassurer le consommateur
qu'à assurer une véritable mesure de santé publique ?
M. Martin Hirsch -
Vous voulez savoir s'il y a un désaccord entre
l'un des coauteurs du livre et le directeur général de l'Agence !
(Rires).
M. Paul Blanc -
Je pose une question, c'est tout !
M. Martin Hirsch -
L'embargo est une mesure qui n'a pas
été prise après consultation des scientifiques. C'est une
première remarque.
Seconde remarque : il est souvent nécessaire de prendre des mesures
qui peuvent avoir un fondement soit sanitaire et scientifique, soit
psychologique ou économique, destiné à réguler les
marchés. Parfois, cela coïncide ; d'autres fois, non.
Un bon exemple dans lequel cela a coïncidé est celui des conditions
du dépistage. Il était nécessaire, pour des raisons
économiques, de rassurer le consommateur -ce type de mesures pouvant
d'ailleurs avoir des conséquences pires que celles que l'on a connues
sur le cours et la consommation de la viande.
Ceci a coïncidé avec un cheminement parallèle des instances
scientifiques, travail préparé avec le programme
expérimental de dépistage.
Je puis garantir -et je dépose sous serment- que c'est
indépendamment que les scientifiques ont été conduits
à dire qu'il existait un fondement sanitaire qui imposait de
procéder au dépistage des bovins de plus de trente mois.
M. Paul Blanc -
N'y a-t-il pas là une contradiction, à
partir du moment où l'on a dit aussi qu'on éliminait pratiquement
une contamination possible à travers le muscle ?
M. Martin Hirsch -
Je ne crois pas, dans le mesure où tout le
raisonnement scientifique a été basé sur le fait de dire
qu'à partir du moment où un animal était infecté,
il fallait tout faire pour qu'aucun de ses produits n'entre dans la
chaîne alimentaire.
Lorsque le prion est présent chez ces animaux, on peut toujours craindre
qu'il soit à des niveaux non détectables, ou, surtout, si l'on ne
peut enlever 100 % de l'ensemble des matériaux à risques
spécifiés, que l'on puisse laisser entrer dans la chaîne
alimentaire des éléments que l'on doit interdire.
M. Paul Blanc -
Et le muscle ?
M. Martin Hirsch -
On n'a jamais détecté de prion dans le
muscle mais, lorsqu'on est face à un animal infecté, le muscle
peut être découpé avec un couteau entré en contact
avec la moelle épinière. C'est donc un principe de base.
Je ne voulais pas esquiver la question sur l'embargo. Comment mettre en place
une mesure de précaution, et comment la lever ? C'est la question
soumise à l'Agence, qui a répondu qu'il lui semblait que lever
une mesure de précaution prise dans un certain contexte, à un
moment où l'on disposait de nouveaux tests, ne serait pas
cohérent avec les objectifs de santé publique.
Elle a estimé qu'il valait mieux connaître la
réalité de la maladie, puisqu'on a maintenant des outils dont on
ne disposait pas il y a cinq ans, et savoir ensuite si cette
réalité était ou non proche des choses.
C'est ce raisonnement qui a conduit à ce que les tests soient mis en
place, permettant de démontrer que les pays qui en avaient
déjà en avaient plus que prévu et que les pays qui n'en
avaient pas comptaient en fait, pour la majorité d'entre eux quelques
cas.
Le Royaume-Uni est en train de faire des programmes de tests et il est probable
qu'ils aboutissent aux mêmes conclusions. Par conséquent, les
présupposés du schéma d'exportation n'étaient pas
fondés, et il y a donc eu des erreurs d'hypothèse dans la
façon dont on a prévu la levée de l'embargo.
M. Paul Blanc -
Dans un autre ordre d'idée, pouvez-vous nous
confirmer qu'il y a eu une importation légale, jusqu'en 1996, de veaux
anglais ?
M. Martin Hirsch -
Je ne peux ni le confirmer ni l'infirmer.
M. Paul Blanc -
Il aurait été intéressant, au cas
où vous auriez eu de telles informations, de savoir ce que ces veaux
sont devenus, s'ils sont partis en boucherie ou s'ils sont devenus vaches. Cela
pourrait aussi expliquer la recrudescence de l'ESB en France.
Je suppose qu'une enquête épidémiologique très
poussée a été menée pour connaître l'origine
du bétail ?
M. Martin Hirsch -
J'espère ne pas me tromper, mais j'ai le
souvenir qu'effectivement, à cette époque, ont été
abattus tous les animaux qui avaient été importés vivants
du Royaume-Uni. Les services vétérinaires seront plus
compétents que moi sur ce sujet, car je parle de mémoire.
Chaque fois qu'il y a enquête sur un cas, on regarde l'origine, le
père, la mère, les mouvements précédents. C'est
pour cela qu'il y a des rapports de 25 pages à chaque fois, avec la
filiation, les séjours dans les différentes exploitations, les
aliments consommés, etc.
M. Paul Blanc -
Comment l'ancien responsable ministériel que vous
êtes explique-t-il le déferlement médiatique qu'a
suscité le problème de l'ESB ?
M. Martin Hirsch -
Plusieurs raisons font que ce sujet est au coeur des
préoccupations. La presse, en général, essaie
d'écrire des choses qui intéressent la population. Elle est le
reflet de ce qui préoccupe les gens -ou alors il s'agit de
poussées de fièvre vite oubliées.
M. Paul Blanc -
Et ce à propos de sujets beaucoup plus
graves : je pense en particulier au nombre de morts du cancer du poumon
dus au tabac !
M. Martin Hirsch -
Il y a plusieurs caractéristiques. La
première différence réside dans les incertitudes sur
l'ampleur de l'épidémie. Les épidémiologistes
anglais disent qu'en fonction de tous les éléments qu'ils peuvent
faire entrer dans leurs modèles mathématiques, la fourchette est
comprise entre quelques dizaines et 136 000 cas de personnes
contaminées.
Or, je n'ai jamais entendu aucun scientifique sérieux dire qu'on peut
privilégier l'une ou l'autre de ces hypothèses ! On peut le faire
par conviction, mais non sur une base scientifique.
En général, les scientifiques qui connaissent bien ce sujet
disent qu'il y a un certain nombre d'incertitudes sur les prévisions
épidémiologiques et qu'ils ne peuvent trancher. Ce ne sont pas
des devins.
La deuxième différence s'explique par le fait que les
consommateurs ont l'impression qu'ils ne sont pas libres de leur choix, et ce
pour deux raisons.
Tout d'abord, ils sont obligés de se nourrir alors qu'ils ne sont pas
obligés de fumer ou de prendre leur voiture. En second lieu, on
découvre au fur à mesure que les choses sont plus
compliquées qu'il n'y paraissait au début. C'est un peu le
raisonnement qu'ont découvert les éleveurs sur l'alimentation des
animaux que nous découvrons dans notre vie quotidienne. Ces
raisons-là suscitent donc l'inquiétude.
Je crois, en troisième lieu, que l'on est là face à
quelque chose qui bouleverse tous les concepts habituels des maladies
infectieuses, puisque le prion a un comportement qui, à chaque fois, a
déjoué les connaissances classiques, qu'il s'agisse du
modèle de Pasteur ou de la virologie des années 1950.
On a commencé par penser que cela ne passait pas d'une espèce
à l'autre ; or, cela passe d'une espèce à l'autre !
Il y a toute une série de choses qui étaient plutôt
rassurantes qui le sont moins. Tout le monde espère effectivement qu'en
ce qui concerne les populations humaines exposées par voie alimentaire,
il y aura peu de victimes, mais tant que ces incertitudes demeurent, il est
assez logique que les préoccupations à propos d'une maladie qui
est plus préoccupante que d'autres restent fortes.
M. Jean-Paul Emorine -
Je voudrais revenir à l'utilisation des
farines animales : depuis l'interdiction, quel a été le
rôle de l'AFSSA ?
Beaucoup de revues affirment que, pendant cette période, des farines
animales auraient continué à circuler. Vous nous avez
indiqué que l'alimentation animale faisait partie de vos missions. Votre
attention a-t-elle été attirée sur l'origine des farines
destinées à nourrir les animaux ?
En second lieu, face à un cas d'ESB dans un cheptel, en France,
aujourd'hui, le Gouvernement a décidé d'abattre l'ensemble du
cheptel alors que, dans le reste de l'Union européenne, ce n'est pas le
cas. Quelles sont les motivations qui font que l'on a pris cette
décision ? J'aimerais connaître votre avis sur ce point.
M. Martin Hirsch -
Depuis que les mesures de suspension ont
été prises, on a été conduit à rendre
plusieurs avis sur les aménagements aux mesures générales.
Par exemple, on a rendu, à la mi-février, un avis pour indiquer
que l'on pouvait admettre que l'on n'interdise plus les farines de poisson et
qu'un certain nombre d'aménagements pouvaient être
pratiqués, sur lesquels on a procédé à des
évaluations scientifiques.
Seconde chose : pendant toute cette période, on a effectivement
travaillé pour recueillir les données des plans de contrôle
et pour pouvoir, à travers les différents points critiques
-chauffage, etc.- porter une appréciation sur l'efficacité du
dispositif.
Notre mission n'est pas de réaliser les contrôles
nous-mêmes. Il est cependant de notre responsabilité de tirer la
sonnette d'alarme, comme on l'a fait à plusieurs reprises, quand les
données du terrain ou les résultats du contrôle laissent
penser qu'il y a un risque pour la santé humaine. C'est l'esprit de la
loi. Il y a une chaîne de police sanitaire, une chaîne
d'évaluation scientifique et, entre les deux, des ponts pour
éviter que les pouvoirs publics se retrouvent face à deux avis
complètement contradictoires.
En fait, si nous ne sommes pas intervenus durant les dernières semaines,
c'est parce qu'on ne nous a pas demandé notre avis et que nous ne nous
sommes pas auto-saisis de cette question.
En effet, nous avons déjà suffisamment de mal à savoir
quelles sont les causes des cas d'ESB et quel était l'état
effectif du chauffage des farines et des différentes étapes il y
a quelques mois, pour ne pas avoir d'évaluation scientifique
supplémentaire à apporter à ce sujet.
Nous sommes toutefois intervenus sur un point important en disant qu'il ne
fallait pas prendre de demi-mesures et faire en sorte que l'on ait un
dispositif difficilement contrôlable. Lorsqu'on nous a demandé si
l'on pouvait réintroduire les protéines de cuir dans la
chaîne de l'alimentation animale, on a recommandé de ne pas le
faire, au motif que l'on risquait alors de ne plus pouvoir distinguer les
protéines "légales" des protéines "illégales".
Dès lors qu'il faut prendre une mesure de suspension
générale, il convient de rester sur les
généralités. Accepter les farines de poissons, ce n'est
pas forcément gênant, mais accepter les protéines animales,
cela semble ingérable.
Ceci rentre tout à fait dans notre rôle. En revanche, nous serions
totalement incapables de courir après des données de
contrôle ponctuelles, pour lesquelles il existe des services dont c'est
le rôle.
Concernant l'abattage total, la question est la suivante : si l'on passait
de l'abattage total, tel qu'il est pratiqué en France depuis le premier
cas d'ESB, à un abattage sélectif, aurait-on un niveau de
protection aussi élevé pour le consommateur et susceptible de
garantir la non pérennisation de la maladie ? C'est la question qui
nous est posée.
Que fait-on pour y répondre ?
Regardons d'abord ce qui passe dans les différents pays. Il y a trois
cas de figures : les pays à abattage total, les pays où il
n'y a pas d'abattage du tout et les pays à abattage sélectif.
L'absence d'abattage -si ce n'est le premier cas- c'est la stratégie du
Royaume-Uni. Le moins que l'on puisse dire est qu'elle n'a pas jugulé
rapidement l'épidémie et qu'il y a plusieurs cas par troupeau.
Cette stratégie n'était recommandée par personne,
même si elle n'a pas été modifiée dans ce type de
pays.
La seconde possibilité, c'est l'abattage total ou sélectif. Entre
les deux, il est difficile de trancher, pour plusieurs raisons.
Depuis quelques mois, on récupère les cerveaux d'un grand nombre
de bovins abattus. Ce n'est pas forcément toujours faisable, mais nous
essayons d'avoir des milliers d'échantillons, que l'on teste. A travers
ceux-ci, on peut essayer de répondre à ces questions.
Pourquoi ne l'a-t-on pas fait plus tôt ? Il y a quatre ans, on ne
pouvait faire de dépistage à grande échelle, et l'on ne
disposait pas de méthodes permettant de faire des centaines de tests. Il
y a encore deux ans, le nombre total de tests pratiqués en France
était d'environ 300 ; l'année dernière, il
était de 20.000. Cette année, il est de 3 millions.
Cependant, pour pouvoir répondre aux questions, il faut un certain
nombre d'échantillons suivant les différentes tranches
d'âge. On aura rapidement la réponse pour les animaux qui sont
à peu près dans la même tranche d'âge. Il faut
également examiner les animaux plus âgés ou plus jeunes,
mais en ayant conscience que l'on n'est pas sûr d'avoir l'ensemble des
réponses, dès lors que les méthodes de tests ne
fonctionnent qu'à partir d'un certain âge. C'est pour cela qu'on
n'a jamais recommandé de faire du dépistage en-dessous de trente
mois.
Dans une exploitation, un animal de six mois qui réagit
négativement au test peut être soit totalement indemne, soit avoir
des tissus déjà infectés, sans que cela n'apparaisse pour
autant dans le système nerveux central avant un certain temps. C'est la
raison pour laquelle on avait recommandé, il y a quelques mois,
d'autoriser à nouveau la consommation des cervelles de bovins
jusqu'à 12 mois.
Pour faire le travail sérieusement et avoir des milliers
d'échantillons, ce qui est statistiquement faisable, il faut encore un
peu de temps, et nous nous sommes donc engagés à fournir ces
éléments au printemps. En tout état de cause, les
différents pays ne sont pas forcément très sûrs de
leur propre stratégie, et personne ne détient la recette miracle.
M. le Rapporteur
- Que pouvez-vous dire concernant les fonds de
sauces ? C'est une question qui revient souvent. Avez-vous
étudié le problème et expertisé ce point
précis ?
M. Martin Hirsch -
Non. Je ne peux rien dire de particulier sur les
fonds de sauces, mais au moment où l'inquiétude a grandi,
début novembre, le Gouvernement a saisi l'Agence pour obtenir une
évaluation et savoir s'il y avait ou non plus de risques qu'avant.
A un moment, la question s'est posée de savoir si l'on pouvait demander
à l'Agence de répondre plat par plat.
Nous avons répondu que nous ne pouvions répondre en trois jours.
Il y a en effet deux façons de faire. La première consiste
à poser des questions générales. La bonne approche, aux
yeux des scientifiques, est d'étudier les choses en amont. Dès
lors que les matières premières sont bien
sécurisées, il n'y a aucun problème pour les fonds de
sauces ou pour les autres plats.
C'est pourquoi nous avons proposé, début novembre, que soient
prises six ou sept mesures faciles à appliquer, destinées
à augmenter le degré de sécurité, depuis les
mesures concernant le T-bone, jusqu'à la suspension et l'interdiction
des farines, en passant par le dépistage à grande échelle,
afin de sécuriser la gélatine et les différents aliments
éléments qui entrent dans les fonds de sauces.
Je crois que la question des fonds de sauces est liée à la
sécurisation des graisses ou de ce type de produits qui rentrent dans
différents aliments, et que la mesure consistant à retirer les
colonnes vertébrales est la plus scientifiquement fondée pour
ajouter un degré de sécurisation alimentaire au degré
actuel, sachant que l'on estime que 4 % des gélatines
utilisées dans l'alimentation humaine sont faites à base d'os de
ruminants et 96 % plutôt à base de couenne ou d'os de porc,
etc.
Je ne sais si ma réponse vous satisfait.
M. le Rapporteur
- Votre réponse nous satisfait.
Dans le droit fil de cette question, êtes-vous satisfait des mesures de
traçabilité et de l'étiquetage informatif jusqu'au niveau
de la RHF ? Imaginez-vous aller plus loin ou non ?
M. Martin Hirsch -
La traçabilité d'identification peut
être faite soit à titre purement informatif, parce qu'on aime
savoir ce que l'on mange, soit pour permettre le libre choix de produits
autorisés pour des tas de raisons -y compris religieuses, etc.- soit
encore pour des raisons de santé publique. C'est en cela que nous sommes
concernés, les deux autres raisons ne nous regardant pas.
Quels objectifs recherchons-nous en matière de
traçabilité ? On a vu que le fait que l'identification de la
traçabilité des bovins ait été mise en place
précocement en France est l'un des éléments essentiels de
la sécurisation du système, avec le retrait systématique
des matériaux à risques spécifiés. C'est la raison
pour laquelle, en France, le dépistage systématique marche, ce
qui permet de prendre des mesures.
Beaucoup de pays sont très en retard dans ce domaine. On discute
aujourd'hui de la levée de l'embargo qui frappe les viandes portugaises.
Dans le dossier portugais, on voit que l'identification des bovins date de 1999
ou de 1998 !
M. le Rapporteur
- En Angleterre, elle remonte à 1995.
M. Martin Hirsch -
En effet.
Ces procédures, pour différentes raisons, sont plus difficiles
à mettre en oeuvre pour les ovins, d'où les difficultés
que l'on a aujourd'hui pour être sûr que l'on repère bien
les ovins qui viennent d'Angleterre.
Dans ce domaine, la traçabilité de l'identification doit donc
être considérablement améliorée. S'agissant des
plats cuisinés et des aliments eux-mêmes, elle doit certainement
l'être également pour différentes raisons : allergies,
rappels de lots... Plus il y a d'informations, plus les mesures de
sécurité, lorsqu'elles sont nécessaires, peuvent
être ciblées, efficaces et moins douloureuses.
Il y a donc un tas d'améliorations que l'on peut apporter, et que l'on
peut examiner sujet par sujet si vous le désirez.
M. le Rapporteur
- Même si vous ne vous autorisez pas le moindre
jugement sur les opinions émises lors de la promulgation des avis de
l'AFSSA, quelle est votre analyse sur le jugement de l'INRA au sujet des
mesures que vous avez préconisées en ce qui concerne le
mouton ?
M. Martin Hirsch -
Je dispose d'un communiqué de presse de l'INRA
-que je n'ai pas ici- qui indique que l'INRA n'a pas à se substituer
à l'AFSSA dans l'évaluation. Il y a des chercheurs de l'INRA dans
les comités d'évaluations de l'Agence et l'INRA considère
-je crois- qu'il n'y a pas de divergences entre l'avis du CSD et l'avis du
Comité.
Il est vrai que l'on travaille énormément, soit en matière
de recherches, avec des laboratoires de l'INRA, soit en matière
d'évaluation avec des chercheurs qui viennent de l'INSERM, de l'INRA, du
CNRS, du CEA, de l'AFSSA elle-même, et de différents domaines.
S'il existe des sujets sur lesquels on peut avoir une certaine
compétition scientifique, c'est sur les sujets de recherches, ce qui est
normal entre organismes de recherches.
En revanche, on a effectivement des missions d'évaluation et de
sécurité alimentaire que n'a pas l'INRA. Certaines personnes ont
aussi plusieurs rôles et on a été à plusieurs
reprises, ces derniers temps, dans des situations dans lesquelles il pouvait y
avoir décalage entre la façon dont étaient
générés et conclus des avis européens et
français.
Nos méthodes de travail sont les suivantes : les avis sur ce sujet
sont élaborés par des comités qui ont été
sélectionnés sur la base de leurs publications scientifiques,
leurs travaux préalables, leurs comités d'experts, et sous
l'égide du Conseil scientifique de l'Agence. Une fois qu'ils sont
composés, nous mettons dans nos avis l'intégralité,
à la virgule près, des conclusions auxquelles ils ont abouti.
Sur l'avis ovin, on trouve donc, à la virgule près et en
italiques, l'intégralité des conclusions du Comité
interministériel, qui sont très proches, à un
détail près, je crois, sur l'âge du système nerveux
central -certains scientifiques ont d'ailleurs participé aux deux- des
conclusions des groupes de travail qui ont été mis en place au
niveau européen sur ce sujet.
M. le Rapporteur
- Avez-vous lu le livre de M. Eric Laurent "Le grand
mensonge" ?
M. Martin Hirsch -
Je l'ai parcouru.
M. le Rapporteur
- Est-ce qu'il ne serait pas du ressort de l'AFSSA de
formaliser par écrit un certain nombre de réfutations sur les
informations scientifiques ou pseudo scientifiques qui y sont incluses ?
M. Martin Hirsch -
Nous nous refusons en général à
intervenir par réaction sur tel ou tel livre.
M. le Rapporteur
- La commission le souhaiterait, parce que, très
honnêtement, ce qui est écrit est assez choquant !
M. Martin Hirsch -
Je vais donc le faire ici.
Normalement, nous nous y refusons. Effectivement, le journal qui en avait
publié les bonnes feuilles m'avait demandé si je voulais
écrire quelques lignes. Pour une fois, j'avais accepté, mais ils
n'en ont finalement pas eu besoin, et je ne les ai pas écrites.
Je vais cependant vous dire ce que j'en pense. Je crois que les mensonges par
omission sont aussi importants que les autres. Toutefois, si l'on
réagissait sur certains livres et pas sur d'autres, on dirait que ceux
sur lesquels l'AFSSA n'a pas réagi sont des livres qui ont notre
caution, alors que les autres sont considérés comme mauvais par
l'AFSSA.
On ne réagit donc pas aux articles de presse, sauf lorsqu'il y a des
inexactitudes sur tels ou tels travaux de l'AFSSA. Là, il n'y a pas
d'inexactitude sur les travaux de l'AFSSA : ce livre est écrit
comme si l'AFSSA n'existait pas -sauf si je me suis trompé.
J'ai trouvé très intéressant de voir qu'était
citées dans ce livre un certain nombre de choses qui nous ont beaucoup
préoccupés un certain temps, comme le jonchage, dont nous nous
étions auto-saisis, à propos duquel nous avions fait des
recommandations qui ont été appliquées extrêmement
rapidement.
Tout ce travail mis en place depuis quelque temps, qui a
préexisté à l'AFSSA et qui a peut-être eu un
mouvement d'accélération et de meilleure formalisation avec
l'Agence, consistant à regarder en amont, à donner les
éléments scientifiques, à coller à ce que l'on
connaissaient des pratiques de la réglementation, des failles, des
données scientifiques les plus actualisées d'un travail
collégial, a conduit à modifier la réglementation un
grande nombre de fois et à une meilleure transparence.
Rappelez-vous, nous avons rendu un avis pour confirmer que certains animaux
infectés avaient pu rentrer dans la chaîne alimentaire, puisqu'on
ne les détectait pas tous. Je crois que l'opinion publique sait entendre
de telles choses. Cela n'a d'ailleurs pas semé de panique. Je pense que
c'est si l'on prétend le contraire et que l'inverse est
démontrable rapidement que se posent les problèmes !
J'ai en effet vu que l'auteur de ce livre ne prenait pas en compte un certain
nombre de choses qui se font ces derniers temps, mais je ne peux savoir
pourquoi.
M. le Rapporteur
- Vous ne pouvez réfuter par écrit, pour
la commission, un certain nombre de points contenus dans cet ouvrage ?
M. Martin Hirsch -
Monsieur le Président, un certain nombre
d'avis rendus par l'Agence sont en eux-mêmes probablement en
contradiction avec un certain nombre de choses, mais il y aura d'autres livres,
et je crois que nous sortirions de notre rôle. D'abord, cela nous
occuperait beaucoup, et l'on ne pourrait pas faire ce que l'on nous demande !
M. le Rapporteur
- Si l'AFSSA ne peut le faire, ne pensez-vous pas que
le ministère de la santé ou de l'agriculture pourrait le
faire ? Je pense qu'à force de laisser passer de tels
écrits, l'opinion publique finit par les accréditer. Ce sera
peut-être l'une des recommandations du rapport. Nous sommes aujourd'hui
à mi-étape, et je verrai donc cela avec l'ensemble de mes
collègues.
Je crois que l'opinion publique est aujourd'hui réceptive à un
certain nombre d'informations, y compris celles devant souligner la
dérive de certains journalistes.
Je cite la page 34 : "Le muscle contient forcément des prions en
plus faible concentration que les abats spécifiés". Les
consommateurs, nos concitoyens, lorsqu'ils peuvent lire cette phrase, doivent
être à mon avis extrêmement troublés. Je pense que
c'est le rôle de l'AFSSA ou -si vous estimez, en tant que directeur, que
cela ne l'est pas- celui d'un de vos ministères de tutelle.
M. Martin Hirsch -
Je pense qu'il y a beaucoup de choses approximatives
qui ont été écrites sur ce sujet, soit volontairement,
soit involontairement.
M. le Rapporteur
- Ce livre affirme qu'il y a des prions dans le muscle,
même en moindre concentration. Ces affirmations sont de vrais mensonges
et quand on voit -ce qui est logique- l'ampleur des sommes financières
mises en jeu par le Gouvernement pour inciter nos concitoyens à
consommer davantage de viande rouge, je pense qu'il serait tout aussi utile de
consacrer quelques lignes à essayer de réfuter ce type
d'information !
M. Martin Hirsch -
Si je me souviens bien des travaux
préparatoires de la loi, ce que le Parlement et le Gouvernement
attendaient en créant l'Agence, c'était d'avoir en face d'eux un
organisme sur lequel se reposer pour dresser une évaluation
sérieuse des risques afin, le cas échéant, d'arrêter
des mesures adaptées.
On est extraordinairement sollicité par les médias. Le nombre de
fois où l'AFSSA a été citée -on le voit à la
facture de l'Argus de la presse- est impressionnant. Beaucoup de
références sont faites à ce que l'on écrit ou
à ce que l'on dit.
On nous soupçonne quelquefois de mal penser, mais on a le sentiment que
lorsque l'Agence dit quelque chose, ce n'est pas pour travestir une
vérité, ni pour amplifier quelque chose, mais pour essayer
d'être factuel.
Je puis garantir que l'on n'a pas eu cinquante coups de téléphone
de journalistes, après la sortie de ce livre, pour nous dire que l'AFSSA
n'avait visiblement pas fait son travail.
Les ministères doivent-ils prendre position ? C'est toujours
compliqué. Si on le fait pour l'un, faut-il le faire pour l'autre ?
Je crois que ce travail a été fait, et je n'ai pas eu le
sentiment que ce livre ait fait l'objet de commentaires soulignant la
documentation scientifique et la rigueur des raisonnements tenus jusqu'à
présent.
M. le Rapporteur
- Toutes les questions d'alimentation humaine sont
maintenant de vrais problèmes de société. Je sais que vous
produisez chaque année un rapport d'activité mais, au delà
de la loi de 1998 qui a institué l'AFSSA, ne serait-il pas pertinent
d'officialiser une rencontre annuelle pour que vous présentiez au
Parlement vos travaux au cours de l'année écoulée ?
M. Martin Hirsch -
Effectivement, la loi prévoit que le rapport
annuel est transmis au Gouvernement et au Parlement. On le fait selon la
procédure classique : on transmet le rapport au Secrétariat
général du Gouvernement, en lui demandant de le transmettre au
Parlement.
Je crois que cette loi, qui est d'initiative parlementaire, montre que le
Parlement est très attentif au suivi des travaux de l'Agence. Dans
l'esprit des textes, il était bien entendu que l'Agence devait
être en capacité de rendre compte devant le Parlement.
M. le Rapporteur
- Vous y seriez favorable ?
M. Martin Hirsch -
Bien entendu.
M. le Rapporteur
- On essaiera de le formaliser.
M. Martin Hirsch -
On ne voit aucun inconvénient à ce que
ce soit formalisé ou non. Nous avons à vous rendre des comptes et
à vous expliquer comment on travaille, ou à prendre en compte ce
que vous pensez du fonctionnement de cette Agence qui a été
créée par la loi.
M. le Rapporteur
- Au travers du rapport de la commission
d'enquête, nous essaierons de formaliser ce souhait, car je pense qu'il
est important pour l'ensemble des membres du Parlement de savoir ce que vous
avez fait, et quels ont été les résultats au cours de
l'année écoulée.
Une dernière question -je crois vous l'avoir déjà
posée lors d'une précédente rencontre. Elle concerne plus
généralement le Livre blanc sur la sécurité
alimentaire et sur l'alimentation animale : le ministère de
l'agriculture, selon vous, a-t-il évolué en ce qui concerne la
fameuse "liste positive" à laquelle, personnellement, je suis assez
attaché, dans la composition des aliments pour animaux ?
M. Martin Hirsch -
Oui. Le Livre blanc, à juste titre, contient
des chapitres extrêmement importants sur l'alimentation animale et sur la
liste positive. On a du coup, je pense, dans ce contexte difficile,
déjà clarifié un certain nombre de choses sur
l'alimentation animale, en ayant une démarche analytique, en supprimant
un certain nombre de choses sur lesquelles on ne voyait pas suffisamment clair,
et je pense que les choses peuvent être maintenant plus mûres pour
les travailler au niveau européen.
Je n'ai jamais entendu de réticences du ministère de
l'agriculture sur ce sujet.
M. le Rapporteur
- Nous avons eu, avec notre collègue Emorine,
qui a beaucoup travaillé sur cette question, quelques apartés sur
ce point. J'ai senti malgré tout une réticence du
ministère de l'agriculture sur l'élaboration d'une liste positive.
M. Martin Hirsch -
Peut-être sur sa faisabilité, mais
jamais sur le principe.
M. le Rapporteur
- Mes chers collègues, avez-vous d'autres
questions ? Il n'y en a pas !
Monsieur le Directeur général, nous vous remercions.
M. Martin Hirsch -
Merci, Monsieur le Président.
Audition de M. Jean-François HERVIEU,
Président de
l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture
(APCA),
accompagné de M. Daniel GRÉMILLET, Mme Dominique
BRINBAUM
et M. Guillaume
BAUJIN
(28 février 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Hervieu, merci
d'avoir répondu à notre convocation et, mesdames et messieurs,
merci de l'accompagner.
Vous savez, monsieur Hervieu, que vous êtes entendu ici en tant que
président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture,
que vous êtes amené à témoigner devant une
commission d'enquête parlementaire et qu'à ce titre, je suis
obligé de vous faire prêter serment. Je le ferai également
pour vos collaborateurs. De cette façon, si vous avez besoin de leur
passer la parole au cours de l'audition, il n'y aura pas de problème.
Chacun à leur tour, ils jureront de dire la vérité et
toute la vérité.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à MM.
Hervieu, Grémillet, Baugin et Mme Brinbaum.
M. Jean-François Hervieu -
Je me suis permis de me faire
accompagner de M. Grémillet, président de la Chambre
d'agriculture des Vosges, qui vient d'ailleurs d'être
réélu, parce que, au niveau des chambres d'agriculture, sur le
plan national, il est chargé des établissements
départementaux d'élevage. C'est donc lui qui, à
l'intérieur des chambres d'agriculture, suit tout spécialement
ces problèmes.
J'ai également à mes côtés Mme Brinbaum, directeur
général adjoint de l'APCA, tout spécialement
chargée de la politique agricole en général. Elle pourra,
sur des questions particulières assez pointues et techniques, vous
apporter un complément qui pourra peut-être vous
intéresser.
M. le Président -
Je vais vous demander de bien vouloir
prêter serment, madame.
Mme Dominique Brinbaum
- Je le jure.
M. Jean-François Hervieu
- Enfin, nous avons M. Baugin, qui est
chargé des relations avec le Parlement et qui ne prendra pas la parole.
M. le Président
- Très bien.
Dans un premier temps, je vais vous laisser la parole pour que vous puissiez
nous parler succinctement, vu de votre place, de la manière dont vous
voyez cette affaire des farines animales et de la propagation de l'ESB,
après quoi mes collègues et moi-même vous poserons les
questions qu'il nous semble utile de poser.
M. Jean-François Hervieu -
Il est certain qu'au sein de
l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, l'une des questions
que nous avons suivie le plus est le problème des farines, le
problème du développement de l'ESB en tant que telle étant
plus particulièrement scientifique, un élément sur lequel
nous sommes plus au niveau des informations qu'au niveau des décisions.
Je vais vous rappeler un certain nombre de dates (ce sont des choses que vous
connaissez et que vous avez déjà entendues) qui me semblent
importantes en ce qui concerne les farines.
M. le Président -
Ce n'est peut-être pas la peine. Je
suppose que vous allez nous reparler de dates que nous connaissons. Nous
n'avons que trois quarts d'heure.
M. Jean-François Hervieu
- Il ne s'agit pas d'insister lourdement
sur les dates mais de rappeler simplement que le premier cas d'ESB a eu lieu en
1986 en Grande-Bretagne et que, pendant les trois années qui ont suivi,
aucune décision efficace n'a été prise.
La première décision efficace a été prise par la
France en 1989 sur l'interdiction des importations et il a fallu attendre 1990
pour interdire l'utilisation des farines de viande en général et
des protéines animales pour l'alimentation des bovins. C'est donc un
point important. La question que chacun se pose sur ce plan, nous-mêmes
comme vous-mêmes à travers votre commission d'enquête, est
de savoir ce qui s'est passé dans les importations entre juillet 1988 et
août 1989, lorsqu'il a été possible de continuer à
importer en dehors de toute réglementation, puisqu'il n'y avait pas
d'interdiction en tant que telle.
La deuxième question que nous nous posons porte sur les dates effectives
de cessation des importations de farines animales. En effet, nous pensons qu'il
a été possible de faire un certain nombre d'importations d'une
façon ou d'une autre à cette époque.
L'année 1996 marque vraiment le début de la première crise
de l'ESB en tant que telle en France, crise qui est liée à la
directive de l'Union européenne sur la méthode de chauffage des
farines qui permettait normalement de faire face à la destruction des
prions. A la suite de cela, en 1996, au niveau de l'Assemblée permanente
des chambres d'agriculture, nous nous sommes mobilisés sur le
problème de l'utilisation des farines. En effet, nous avons
considéré qu'il était grave que les éleveurs, par
l'étiquetage des farines, en particulier, ne soient pas du tout au
courant des produits réels qui existaient et qui étaient
utilisés dans le cadre de leurs farines. Tout à l'heure, M.
Grémillet, qui est en même temps éleveur, pourra vous
apporter des compléments d'information sur ce point.
Durant toute cette période, nous avons évidemment posé le
problème aux différents intervenants sur le marché,
c'est-à-dire les fédérations de coopératives comme
l'industrie privée, pour obtenir une amélioration sensible et
être certains des produits qui étaient mis dans la fabrication des
aliments du bétail pour bovins.
Nous avons fait des demandes allant dans le même sens auprès des
pouvoirs publics et, malheureusement, nous n'avons eu aucune réponse.
Nous n'avons obtenu, de la part des fabricants, que des réponses (elles
ont été faites à cette période et elles ont
été ultérieurement redonnées) liées soit
à des problèmes de secrets de fabrication en disant : "nous
ne pouvons pas divulguer publiquement les produits que nous utilisons", soit
à des arguments économiques en disant : "compte tenu de la
variation des prix des produits qui sont utilisés pour les aliments du
bétail, il faudrait changer l'étiquette trop souvent et nous
sommes dans l'impossibilité de le faire."
M. le Président
- Excusez-moi de vous interrompre. Je suppose que
toutes ces demandes ont été faites tant aux pouvoirs publics
qu'aux fabricants d'aliments du bétail. Pourrez-vous nous donner les
documents correspondant aux lettres que vous avez envoyées et les
réponses qui vous ont été faites, même si, comme
vous l'avez dit, elles sont négatives ?
M. Jean-François Hervieu -
Nous avons eu essentiellement des
réponses orales.
M. le Président -
D'accord. Il nous faudrait au moins les lettres
que vous avez envoyées, vous.
M. Jean-François Hervieu
- Nous vous les communiquerons. Nous
pensons, à partir de là, que la responsabilité des
éleveurs, qui est évidemment engagée en tant que telle, a
été défaussée du fait qu'il n'y avait pas une
connaissance réelle de ce qu'ils pouvaient donner à leurs
animaux. C'est donc un problème de fond et nous nous rendons compte
finalement que, cinq ans après, la situation n'a pratiquement pas
évolué. C'est donc une chose fondamentale.
Bien sûr, les mesures qui ont été prises très
récemment évitent les accidents que l'on a pu connaître
à cette époque, mais, pendant toute cette période, les
éleveurs ont pu, à leur insu, avoir un certain nombre de produits
introduits dans leurs aliments en allant à l'encontre de leur propre
volonté.
C'est un événement important pour nous, dans la mesure où
c'est l'une des actions sur lesquelles nous avons voulu très directement
agir pour faire en sorte qu'une responsabilité soit prise par les
producteurs.
Nous nous interrogeons aussi sur le retard qui a été pris par la
France pour transposer la directive européenne de cette période
de 1996 jusqu'en 1998, puisque, durant un peu plus d'un an et demi, il y a eu
une différence de réglementation entre l'Europe et la France.
Cela a été l'un des éléments importants sur
lesquels nous agissons.
Cela étant, les décisions importantes ont maintenant
été prises, puisqu'il s'agit de la suppression de l'utilisation
des farines animales en tant que telles, si bien que le problème est
relativement réglé sur ce plan.
Je dois dire que, lorsque la décision a été prise à
ce moment-là, nous avons approuvé cette interdiction,
malgré le coût qu'elle représentait, pour une raison
essentiellement psychologique, puisqu'il était important de satisfaire
l'opinion publique et de répondre aux interrogations que pouvaient avoir
les consommateurs dans ce domaine. C'était certainement le moyen le plus
efficace d'y répondre, même si, économiquement et
matériellement, d'autres solutions auraient pu être prises.
Quant à la reprise de l'utilisation, puisque c'est l'une des questions
qui sera posée et que cette interdiction a été prise
à titre temporaire, nous pouvons dire que nous ne sommes pas hostiles au
principe d'une réutilisation des farines animales, non pas pour les
ruminants, bien sûr, mais pour les espèces monogastriques.
Cependant, il est évident que le public et les consommateurs, en
particulier, ne sont pas du tout prêts à l'accepter. C'est donc
une possibilité peut-être à long terme mais elle n'est en
tout cas pas à prendre dans les mois qui viennent car cela ne ferait que
déstabiliser encore un peu plus les consommateurs par rapport aux
problèmes de la viande. Ils ont besoin, sur ce plan, d'être
légitimement sécurisés en matière d'alimentation.
Sur l'étiquetage, en particulier, je pense que le président
Grémillet, si vous en êtes d'accord, pourrait vous apporter
quelques compléments.
M. Daniel Grémillet
- Monsieur le Président, mesdames et
messieurs les Sénateurs, effectivement, les agriculteurs
découvrent, en 1996, une nouvelle maladie, au moment où la crise
est rendue publique par les médias. En 1996, s'enclenchent deux niveaux
d'action.
Le premier niveau concerne l'APCA et la délégation que m'a
confiée le président en ce qui concerne la politique de
l'élevage. Nous avons réuni l'ensemble des présidents et
directeurs de tous les départements de France pour voir comment nous
pourrions faire en sorte que la réglementation française et
européenne nous permette de connaître le contenu des aliments et
des ingrédients présents dans les aliments que l'on injecte.
A cette époque, nous avons fait plusieurs démarches.
Une démarche a tout d'abord été faite avec les
professionnels de l'alimentation : les professionnels coopératifs
ou privés. Nous avons obtenu une fin de non-recevoir, avec l'argument
majeur du secret de fabrication. Je vous rappelle que le fait de
connaître les ingrédients présents n'a rien à voir
avec le secret de fabrication. Les ingrédients présents ne sont
pas les pourcentages. Nous pourrons vous donner les documents qui font
état de cette demande des éleveurs initiée par l'APCA.
Une autre démarche a été faite au niveau du
ministère de l'agriculture en demandant que la réglementation
soit changée.
Le deuxième niveau a concerné, dans le même temps, en 1996,
les éleveurs-paysans dans le département des Vosges. Dès
lors que nous avons appris qu'une nouvelle maladie frappait des bovins, qu'elle
pouvait provenir de la consommation de farines mal conditionnées et que
ces farines anglaises auraient pu venir sur notre pays, nous avons
été dix-sept éleveurs du département des Vosges
à demander à nos fabricants de connaître la composition des
aliments que nous avions achetés et payés sur la période
1990-1996. Là aussi, nous avons eu un refus.
Compte tenu de ce refus, nous avons engagé une procédure au
tribunal de grande instance, au niveau du juge des
référés, au civil et non au pénal, pour que
celui-ci nous permette de connaître la composition des aliments.
J'ai pris avec moi une photocopie --que je pourrai vous laisser-- de
l'étiquette accompagnant la livraison du 2 décembre 1992, une
livraison d'aliments dans mon exploitation. Je vous lis cette étiquette
pour confirmer le propos du président quant au fait qu'aujourd'hui
(c'est bien le drame et c'est pourquoi nous faisons des propositions sur la
transparence), à aucun moment, on ne peut connaître ce que
comporte l'alimentation. Voici donc cette composition :
"Catégorie d'ingrédients : coproduits de
céréales" (on ne nous dit pas lesquelles), coproduits de
sucreries, tourteaux plus produits azotés végétaux" (on ne
sait pas quoi), céréales et amylacés, produits
cellulosiques, substances minérales".
On pourrait dire que, depuis 1992, la réglementation a changé.
J'ai donc pris avec moi l'étiquette qui accompagne mon bon de livraison
du 29 janvier 2001 et je vous la lis :
"Tourteaux de soja, colza, tournesol, cornfield, radicelles, drêches de
blé, coproduits de la fabrication de lysine protéinale,
urée (1,25 %)."
Cela veut dire qu'aujourd'hui, on en est pratiquement toujours au même
stade sur la composition des aliments. Cependant, cette procédure
--c'est intéressant- nous a permis de toucher plusieurs domaines.
Le premier, c'est que nous nous sommes rendu compte qu'il n'y avait pas de
traçabilité. Si vous venez dans mon élevage, je peux vous
donner les animaux qui étaient présents en 1992 grâce
à la traçabilité et au registre d'élevage que nous
avons dans nos fermes et je peux donc vous donner les achats d'aliments
puisque, lorsque nous avons demandé au tribunal de nous aider à
connaître la composition des aliments, le président du tribunal
nous a demandé de fournir l'ensemble de nos comptabilités de 1990
à 1996, ce qui est tout à fait normal. Nous avons donc fourni
l'ensemble des factures et des bons de livraison des aliments que nous avions
utilisés.
Dans ce propos, je souhaite vous faire toucher du doigt le fait que nous avons
été confrontés à deux problèmes que nous
avons découverts après coup.
Le premier, c'est que l'on était en train de mettre en place le
marché unique tout doucement au niveau européen, ce qui a
constitué un obstacle. Dans le cadre des auditions qu'il a
réalisées, l'expert nommé par le tribunal nous a
indiqué que, dès lors qu'une farine qui quitte l'Angleterre
arrive aux Pays-Bas, elle ne peut plus s'appeler "farine anglaise" et qu'elle
peut revenir en France sous l'appellation "farine néerlandaise". Il n'y
avait donc aucune traçabilité et la réglementation ne
permettait pas à ceux qui étaient chargés de
contrôler les importations de savoir si ces farines venaient ou non
d'Angleterre.
Je rappelle qu'en Angleterre, l'interdiction d'utiliser les farines animales a
été prise et que personne ne s'est soucié de savoir ce
qu'elles devenaient. Elles étaient interdites en Angleterre mais elles
ne l'ont pas été pour les autres pays.
La deuxième chose que nous avons découverte, c'est qu'en 1989,
une lettre a été envoyé par les services du
ministère de l'agriculture, et non du ministre, à l'ensemble des
fabricants d'aliments, lettre qui est datée du 13 novembre 1989.
L'ensemble des fabricants a donc été alerté sur ce qui
était en train de se passer.
Le ministre Nallet, qui a été auditionné le 12
février 2001, nous a fait part d'une chose très
intéressante. Il a dit en effet qu'à aucun moment, ni les
scientifiques, ni les experts, ni ses services vétérinaires ne
l'ont alerté et que les décisions qui ont été
prises en 1990 l'ont été par le ministre de l'agriculture suite
aux articles de presse qui faisaient état de la transmission, notamment
lorsque la barrière des espèces a été franchie et
lorsqu'on a découvert, en 1990, que des chats avaient été
contaminés.
C'est très important, car cela veut dire que l'on a
évolué, durant les années 1988, 1989 et 1990 à
1996, au fur et à mesure des connaissances. Au début, on pensait
que cette maladie était essentiellement animale et qu'elle
n'était pas transmissible à l'homme, aucun rapport n'ayant mis en
évidence ces faits.
Je signale une autre chose intéressante : le problème des
importations d'animaux vivants provenant d'Angleterre. Là aussi, des
décisions ont été prises et le directeur des services
vétérinaires des Côtes d'Armor, M. Gouello, qui nous a
expliqué que tout animal vivant venant d'Angleterre devait être
abattu avant six mois. Or il semblerait que tous les animaux venant
d'Angleterre n'ont pas été abattus dans les six mois.
Cela veut dire que nous avons pu avoir, à l'intérieur de notre
propre traitement, en France, des animaux vivants qui, ensuite, ont rejoint les
morceaux qui partaient dans les farines animales en France et qui provenaient
de carcasses anglaises.
La deuxième chose très intéressante, sachant que l'on
était dans le cadre d'un système de dérogation, c'est
qu'il nous a dit que jamais une dérogation n'avait été
refusée concernant les importations de farines anglaises.
Voilà des éléments qui montrent l'ampleur de ce qui a pu
se passer et qui expliquent surtout la situation dans laquelle nous nous
trouvons.
Je voudrais terminer mon propos par un exemple. En 1996, lorsqu'on a
découvert la maladie, on avait deux solutions : soit gérer
le problème, soit le cacher. Le gérer, cela impliquait qu'il
fallait dire que des farines contaminées avaient pu entrer dans
différents pays de l'Union européenne. Je vous rappelle que l'on
n'est pas sûr que tous les pays de l'Union européenne ont des
systèmes conformes en matière de traitement des cadavres et des
résidus de la consommation de la viande.
Par ailleurs, gérer le problème, cela impliquait d'admettre que
l'on avait pu avoir des contaminations par mélange. Là aussi, la
preuve a été faite que la plupart des usines d'aliments, en
France, ne sont pas des usines spécialisées soit pour
volailles-porcs, soit pour bovins, mais que la même usine est
habilitée à faire à la fois des aliments pour bovins et
des aliments pour les porcs et que le même camion peut les transporter
indifféremment. Cela veut dire que l'on a pu avoir des contaminations
croisées.
Si on avait géré intelligemment le problème en 1996, on
aurait pu, comme je viens de le faire en vous parlant des livraisons de 1992
dans mon exploitation, savoir que, sur tel site, des farines ont effectivement
été introduites et que, sur tel autre site, aucune farine n'a
été introduite. Aujourd'hui, il y a suspicion sur l'ensemble de
l'alimentation et l'ensemble du cheptel alors qu'en fait, l'ensemble du cheptel
n'a pas été exposé aux farines.
C'est une solution qui n'a pas été choisie pour
différentes raisons. Au niveau de l'APCA, nous le regrettons parce que
l'initiative que nous avions prise en 1996 était de dire :
"gérons le problème". Or la décision qui a
été prise a été justement de ne pas gérer le
problème, puisque nous étions persuadés que cela ne
pouvait pas nous arriver.
Cela a été le drame de 2000. En effet, rien n'est plus terrible,
dans la vie, que de donner l'impression qu'on a menti. En 1996, on a mis en
place une initiative très intéressante, qui était Viande
Bovine Française (VBF), avec la traçabilité et la
connaissance de l'ensemble des détenteurs de chaque animal durant sa
vie, et on a expliqué alors que les animaux, en France, ne pouvaient pas
être contaminés puisque les farines étaient bien
traitées.
Cependant, on n'avait pas intégré tous les points que je viens de
soulever, à savoir les importations venant directement d'Angleterre en
France ou provenant d'autres pays dont la case départ était
l'Angleterre. Cela veut dire que, lorsque le phénomène s'est
développé en 2000, les consommateurs et les citoyens
français ont eu l'impression que, quelque part, on leur avait menti
puisque le nombre de cas était en train de remonter.
Mon dernier propos est de dire, hélas, que les faits nous donnent
plutôt raison. Je vous rappelle que l'initiative prise dans le
département des Vosges l'a été avant que nous ayons un cas
d'ESB : nous l'avions fait à titre préventif. A
l'époque, le président du tribunal d'Epinal nous avait
posé une question terrible à nous, éleveurs : "si,
demain, avec la procédure que vous avez engagée, vous apprenez
que des aliments que vous avez achetés ont contenu des farines, que
faites-vous des animaux ?" Nous avions répondu alors, en
1996 : "nous ne commercialiserons pas ces animaux". Le premier cas d'ESB
dans le département des Vosges date du mois d'octobre 2000, soit quatre
ans après.
Nous sommes aujourd'hui à fin février 2001 et je ne sais toujours
pas ce que contiennent les aliments que j'ai achetés et payés sur
la période de 1990 à 1996.
M. le Président -
Merci. Cela étant, il faut relativiser
les choses quand on sait comment cela se passe. En effet, après avoir
relevé des cas d'ESB dans certains élevages, on aurait
peut-être pu retrouver, s'il n'y avait eu qu'un ou même deux
fournisseurs, la composition des aliments et mener une investigation à
cet égard.
Or vous savez bien --c'est tout naturel-- que, souvent, des éleveurs se
servent chez plusieurs fournisseurs, quand ils ne fabriquent pas leurs propres
aliments.
M. Daniel Grémillet
- Vous posez une vraie question. Le tribunal
d'Epinal, en 1996, a exclu toutes les procédures dès lors que
l'éleveur achetait plusieurs types d'aliment. Les éleveurs qui
sont en procédure aujourd'hui n'ont acheté, sur la période
1990-1996, que chez un seul fournisseur d'aliments.
M. le Président
- D'accord. Et vous êtes sûr qu'ils
ne donnaient que ces aliments ?
M. Daniel Grémillet
- Bien sûr, puisque nous avons fourni
l'ensemble des comptabilités.
M. le Président
- Cependant, je voudrais vous faire remarquer
que, tout à l'heure, entre vos deux étiquettes, il y a eu une
certaine évolution, parce que la dénomination n'est pas tout
à fait la même. Au début, on vous donne très peu
d'indications, mais ensuite, on vous indique quand même : "tourteaux
de soja, tournesol, etc." C'est quand même une évolution. Je
trouve cela assez net.
Cela étant, c'est logique et normal. C'était la
réglementation, mais il est vrai que vous pouvez souhaiter en savoir
davantage, ce qui est tout à votre honneur. Je veux simplement dire
qu'il y a quand même eu une petite évolution à travers
l'exemple que vous nous avez donné.
M. Daniel Grémillet
- La question que nous posons et que nous
continuons à poser ne porte pas sur la composition des aliments mais sur
les ingrédients présents dans les aliments qui nous sont
livrés, ce qui est totalement différent.
Aujourd'hui, la plupart des aliments sont livrés en vrac,
c'est-à-dire que, dès lors que le camion a
déchargé, même si vous contestez la livraison, vous ne
pouvez plus le faire parce qu'on peut toujours dire que vous l'avez
mélangée à autre chose. Dans le département des
Vosges, la Chambre d'agriculture, avec la FNSEA, a mis en place un
système d'auto-contrôle. Nous avons fait un
prélèvement par huissier au début, au milieu et à
la fin de la livraison, au mois de décembre 2000, et je peux vous dire,
monsieur le Président, mesdames et messieurs, que, dans cette livraison,
certains ingrédients qui n'étaient pas sur l'étiquette y
figuraient, tout simplement parce que le camion qui avait livré
l'aliment avait livré auparavant de la luzerne : on trouvé
des bouchons de luzerne dans la livraison d'aliments pour vache
laitière.
La luzerne n'est pas un problème, bien sûr, mais je dis cela pour
vous sensibiliser sur le fait que le problème peut se poser en ce qui
concerne le transport, la fabrication, le stockage ou le transport des
matières premières. Le fait de demander la connaissance des
ingrédients présents permet non seulement d'entrer dans les
secrets de fabrication (peu importe s'ils en mettent 18 ou 15 %) mais de
savoir qu'un aliment que l'on donne à un bovin ne contient que des
ingrédients conformes à l'alimentation des bovins.
C'est pourquoi j'insiste sur la distinction entre la composition qui a
effectivement changé par rapport à ma livraison du mois de
décembre 1992 mais qui n'a à aucun moment changé par
rapport aux mélanges qui peuvent intervenir au moment de la fabrication
ou de la livraison.
Le meilleur exemple que nous avons est celui de M. Vaxelaire, un éleveur
qui a eu le premier cas d'ESB de notre département alors qu'il n'a
jamais mis dans son silo d'autres aliments que des aliments pour bovins. Des
prélèvements ont été réalisés sur la
paroi intérieure du silo et on y a relevé la présence
d'os. Cela veut dire qu'à l'insu de l'éleveur, à un moment
donné, soit par contamination croisée, soit par introduction
volontaire, de la farine animale a été dans ce silo.
C'est un exemple concret qui a été vécu dans le
département des Vosges au mois de décembre 2000.
M. le Président -
Si je comprends bien, vous pensez qu'il y a eu
des retards dans les décisions pour faire évoluer les
réglementations. Quel est votre sentiment sur ce point ? Est-ce
tout à fait cela ou pensez-vous qu'on ne pouvait pas faire
autrement ?
M. Jean-François Hervieu
- On pourrait comprendre qu'il y ait un
décalage de quelques jours. En revanche, le fait qu'il y ait un
décalage de plusieurs mois me paraît incompréhensible face
à un problème de cette importance. Il y a donc eu, à un
moment ou à un autre, un laisser-aller ou une faute, disons quelque
chose d'anormal par rapport soit à des décisions qui ont
été prises à Bruxelles, soit à des faits qui se
sont passés en particulier en Grande-Bretagne.
Le dernier point qui est assez étrange, c'est qu'en ce qui concerne
l'incinération des farines animales, la réglementation
européenne datait de 1996 et que l'adaptation française n'a
été faite qu'un an et demi après, alors qu'on était
en pleine crise. L'ensemble des sites d'incinération français
correspondait-il de façon satisfaisante aux réglementations
européennes ? Je ne le sais pas, mais la réglementation
aurait pu être adaptée quasiment au même moment.
M. le Président -
Par ailleurs, pensez-vous que les
éleveurs ont été suffisamment informés à
l'époque de l'interdiction de l'utilisation des farines animales pour
les bovins ? L'information a-t-elle été suffisante et cela
n'a-t-il pas entraîné une continuité, en dehors même
des fabricants d'aliments du bétail, d'utilisation par les
éleveurs, à certains moments, d'une petite partie de farines
animales dans la fabrication d'aliments faits à la ferme, par
exemple ?
M. Daniel Grémillet
- J'ai dans les mains une note qui a
été faite par l'ambassade de France en Grande-Bretagne au mois de
mars 1989 et qui alerte la France sur ce qui se passe en Angleterre. Cette note
est très claire et je pense que vous l'avez sûrement.
M. le Président -
Vous nous la donnerez. Nous pourrons la
comparer pour vérifier que c'est bien celle que nous avons.
M. Daniel Grémillet
- Il en est de même pour la lettre du 3
août 1989. Elle a été envoyée par la
Fédération nationale des groupements de défense sanitaire
qui, suite à une visite en Angleterre, a interpellé le
ministère en demandant une rencontre. Cela s'est passé en 1989.
Je vous rappelle qu'à cette époque, tout est géré
par les services et non par le ministère, puisque la lettre
envoyée aux fabricants d'aliments datant du mois de novembre 1989 est
envoyée par les services du ministère et non pas signée
par le ministre, mais tous les fabricants l'ont eue.
La seule remarque que je tiens à rapporter est un propos plein de bon
sens de la part du directeur de la DGCCRF. Il nous a en effet expliqué
que les farines anglaises étant interdites en Angleterre, elles n'ont
pas eu une interdiction européenne. Cela veut dire qu'elles ont pu
continuer, soit par d'autres pays, soit par dérogation, de rentrer dans
notre pays. C'est un premier problème.
Par ailleurs, dès lors qu'une farine en est effectivement une, les
contrôles s'arrêtent là. Il nous a alors donné un
exemple plein d'images : la personne qui introduit de la drogue dans un
camion frigorifique ne va pas marquer sur le bon de livraison que c'est de la
drogue. Autrement dit, même si on voulait recenser les importations et
connaître les transits des farines, vous ne pourrez pas déceler si
cela a été fait d'une manière illégale. La DGCCRF
expliquait que ce n'était pas en demandant des bordereaux aux
entreprises que l'on pouvait déceler s'il y avait eu fraude. S'il y a
fraude, il faut tomber dessus au moment précis de la fraude. Sinon, on
ne peut plus refaire l'histoire.
C'est un point important à signaler, parce qu'il ne faut pas oublier
qu'une matière première qui est interdite soudainement dans un
pays ne vaut plus rien. Je vous rappelle --mais je pense que vous avez dû
avoir cette information-- que les fabricants des farines françaises ont
alerté le ministère des finances en 1988-1989 sur les bas prix
des farines anglaises qui entraient dans notre pays en disant qu'il
n'était pas possible d'avoir des distorsions de concurrence aussi
importantes. Je le dis parce que ce sont les fabricants français
eux-mêmes qui l'ont indiqué, ce qui voulait dire qu'il y avait une
certaine spéculation et des intérêts financiers
derrière cela.
Quant aux éleveurs et à la question plus précise de
l'utilisation de farines animales dans les exploitations, je peux vous dire
qu'au niveau des EDE, la plupart des aliments donnés aux bovins sont
malgré tout achetés par les éleveurs. De toute
façon, si jamais ce sont des farines qui sont légalement
entrées dans l'alimentation du bétail, vous aurez les bordereaux
de livraison, mais cela ne dira pas si ces farines viennent de France ou
d'Angleterre, puisque la réglementation nous l'interdit du fait du
marché unique. Je parle bien des bovins et non pas des porcins. Le
système de fabrication des aliments du bétail est très
développé en ce qui concerne l'alimentation bovine alors que,
dans le système porcin, on a peut-être un pourcentage plus
élevé de personnes qui fabriquent elles-mêmes leurs
aliments.
M. le Président
- De toute façon, il fallait bien qu'ils
achètent leurs compléments d'aliment et on ne peut pas savoir
d'où ils viennent.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Avez-vous gardé par devers vous, dans
les archives de l'APCA, des échanges de courriers entre les fabricants
d'aliments du bétail et les pouvoirs publics sur cette distorsion de
concurrence et le bas prix des farines animales anglaises ?
M. Daniel Grémillet
- Je peux vous donner le nom de la personne
qui a envoyé cette lettre aux fabricants le 13 novembre 1989. Il s'agit
de M. Jacques Olry, qui était contrôleur général au
Conseil général des vétérinaires entre 1990 et 1994.
M. le Président
- Pouvez-vous nous la donner ?
M. Daniel Grémillet
- Je ne l'ai pas. C'est lui qui nous a
informés de ce qui a été envoyé.
M. le Rapporteur
- En s'adressant à lui, nous pourrions donc
avoir le double de ce courrier. Il s'agit bien du 13 novembre 1989 ?
M. Daniel Grémillet
- Exactement. C'est une lettre qui a
été envoyée à l'ensemble des fabricants d'aliments
par les services du ministère, signée de M. Olry.
M. Paul Blanc
- Dans le même ordre d'idée, en ce qui
concerne la fabrication de ces aliments, vous avez tout à l'heure mis
dans le même sac, si je peux m'exprimer ainsi, les privés et les
coopératives fabricant des aliments. Or il me semble que les
coopératives sont elles-mêmes gérées par des
agriculteurs. Vous avez dit tout à l'heure que vous aviez insisté
auprès des fabricants pour qu'ils prennent en compte ce problème.
N'avez-vous pas pu être mieux entendu par les coopératives ?
M. Daniel Grémillet
- Hier, j'ai présidé, avec le
président Hervieu, une réunion à l'APCA avec tous les
présidents de l'élevage des chambres d'agriculture de France et
leurs directeurs, et nous avions invité le président
Montécot, pour le privé, et M. Rabiller, pour le SYNCOPAC.
A la demande de tous les éleveurs, j'ai dit : "Compte tenu de ce
qui est en train de se passer, travaillons ensemble autrement et allons plus
loin que la réglementation", mais je n'ai eu qu'une fin de non-recevoir.
Je vous précise que, dans le département des Vosges (quand on est
dans cette situation, il faut bien prendre des initiatives à un moment
donné), nous avons mis en place un système qui fait que les
éleveurs sont en train de signer des contrats et que, dès lors
que le fabricant, quel qu'il soit, ne s'engage pas à fournir, avec
chaque bon de livraison, la totalité des ingrédients
présents, nous n'achetons plus des aliments chez ces fabricants. Nous
allons au-delà la réglementation française et
européenne. C'est très important.
L'APCA souhaite que cette transparence, qui est nécessaire aujourd'hui
pour la confiance et l'exercice de notre métier en tant
qu'éleveurs, mais aussi pour le citoyen et le consommateur, puisse
s'exercer à tous les niveaux de la chaîne, que ce soit pour que
nous connaissions la composition des aliments que nous achetons, que ce soit
lorsque nous vendons nos produits (aujourd'hui, la réglementation a
changé et beaucoup de choses sont maintenant connues) ou que ce soit
pour le produit final qu'achète le consommateur.
M. Jean-Paul Emorine
- Tout à l'heure, lorsque vous avez
évoqué la période de 1996, vous nous avez dit qu'à
l'époque, pour ce qui concerne les farines qui venaient de
Grande-Bretagne et qui pouvaient transiter par la Belgique, on vous avait
répondu qu'à ce titre, on n'avait pas à savoir d'où
elles venaient. Je pense qu'au titre de la traçabilité,
même si c'est dans une directive européenne, rien n'empêche
l'entreprise belge de vous indiquer d'où viennent ces farines. Dans
l'entreprise, il y a bien, à un moment donné, un certificat qui
donne l'origine de ces farines, même si elle ne fait que du commerce.
La directive n'empêche pas les denrées de circuler au niveau
européen et on peut parler du passé mais aussi de l'avenir. Quand
on parle de traçabilité, si on reste dans ce contexte, il suffira
qu'un produit circule au niveau de l'Europe pour ne pas connaître son
origine de départ.
La réponse qui vous a été faite, à mon avis, ne
peut pas satisfaire le monde agricole, parce que si on devait rester sur cette
position au niveau européen, je ne vois pas à quel titre vous
pourriez faire de la traçabilité.
J'ai une autre question à vous poser. Dans le secret de fabrication, on
vous donne les ingrédients et non pas le niveau de ces
ingrédients, et vous avez très bien répondu sur ce point.
Cela dit, quand on parle de traçabilité, je ne vois pas au nom de
quoi on ne peut pas arriver à connaître la fabrication des
aliments. Quand vous achetez certains produits, même si une concurrence
se fait automatiquement, on doit vous donner la composition des
ingrédients.
On ne pourra pas, au niveau français, mettre en place une
traçabilité définitive si on ne peut pas aller plus loin
dans la composition de ces aliments. Je ne vous pose pas beaucoup de questions,
mais je trouve anormal qu'en 1996, on s'appuie sur une directive pour vous
dire : "vous n'avez pas à nous demander d'où vient cette
farine animale puisqu'elle vient d'Europe".
M. Jean-François Hervieu -
Sur la traçabilité
elle-même, effectivement, un acheteur peut toujours demander l'origine,
mais, dans la mesure où il n'y a pas de traçabilité et
où la farine est indiquée comme étant belge, elle change
de nationalité, elle devient belge ou hollandaise et l'acheteur ne peut
pas savoir, si son vendeur veut le lui cacher, s'il y a une origine de
Grande-Bretagne.
M. Jean-Paul Emorine
- Vous sentez bien que c'est néanmoins la
vraie question qui est posée aujourd'hui, même si on ne va pas
refaire le passé.
On est pour l'Union européenne, mais on peut connaître quand
même le pays d'origine de la denrée. Au titre de la
traçabilité, on n'échappera pas à cette notion ni
à la décision qui a été prise dans les Vosges et
que M. Grémillet exposait tout à l'heure. Si vous dites aux
fournisseurs d'aliments : "on veut tout connaître", vous verrez
qu'ils vont s'y plier.
Je suis très heureux de vous entendre, parce que, lorsque les gens ne
voulaient rien vous dire en matière de composition des aliments, c'est
la preuve que cela cachait quelque chose. Cela ne cachait pas que les
ingrédients : s'il n'y avait eu que cela à donner, ils
l'auraient sans doute fait.
M. Jean-François Hervieu -
Sur le raisonnement, on vous suit
totalement. Cependant, je tiens à vous donner un exemple qui est
lié au même problème : la Hollande est aujourd'hui
dispensée de l'abattage d'animaux de plus de 30 mois au prétexte
qu'il n'y a pas d'animaux malades chez elle. On peut s'interroger. Le
résultat européen est là. On a donc le même
problème.
La deuxième question que vous posez concerne les farines animales. La
réglementation oblige à écrire : "farines venant
d'animaux terrestres". C'est la formule utilisée. Par conséquent,
ces farines peuvent provenir de bovins comme de porcins ou de volailles ;
elles peuvent aussi contenir de la viande, de la plume ou des os. On est
incapable de savoir ce qu'on a réellement dans un aliment à
partir d'une telle définition. C'est la réglementation de base.
M. le Président -
Quel est aujourd'hui votre sentiment sur les
dernières mesures qui ont été prises par l'AFSSA à
propos des ovins ?
M. Jean-François Hervieu
- Vous voulez parler de la fièvre
aphteuse ?
M. le Président
- Non. Je parle de la mesure consistant à
retirer les abats à risques, le crâne, etc., par rapport à
la tremblante.
M. Jean-François Hervieu
- Je pense que c'est une approche de
précaution qui est normale. Au niveau de l'AFSSA et du Conseil
scientifique européen, les approches ont été sensiblement
les mêmes et, compte tenu des démarches et des recherches qui sont
faites actuellement, il apparaît qu'en retirant les matériaux
à risques sensibles, on répond largement au principe de
précaution.
Je pense que nous pouvons en rester là en ce qui nous concerne. Nous
n'avons pas d'autres éléments qui nous permettent de penser qu'il
faut agir différemment. Je ne sais pas si M. Grémillet a des
éléments supplémentaires à apporter sur ce sujet.
M. Daniel Grémillet
- Je ne suis que paysan et non pas
scientifique. Cependant, pour nous aussi, en tant que paysans, il est important
que le scientifique parle lorsqu'il a des éléments, y compris
quand ils ne sont pas affirmés, c'est-à-dire quand il a des
éléments de suspicion. Il est important qu'il nous informe et,
surtout, qu'il informe les politiques pour que chacun prenne ses
responsabilités. Le rôle du scientifique est de chercher et le
rôle du politique est de décider.
A contrario, il est très dangereux que les scientifiques se mettent
à exprimer des craintes qui ne se sont pas identifiées pour
l'instant.
C'est important parce que, aujourd'hui, il y a un vrai débat sur ce
dossier. J'ai juré tout à l'heure et je ne voudrais pas que mon
propos soit considéré comme une affirmation mais, en tant
qu'éleveur et responsable, on m'explique aujourd'hui que certaines
choses pourraient être mises en avant, notamment sur le fait qu'au
départ, contrairement à ce qu'on avait expliqué, l'ESB
pourrait venir des farines animales anglaises qui traitaient à la fois
des moutons et des bovins, y compris des moutons qui avaient la tremblante,
alors qu'au début, on nous disait que ce n'était pas possible.
Aujourd'hui, c'est une chose qui n'est plus exclue.
On nous a dit aussi que l'interdiction d'utiliser les farines a
concerné, dans un premier temps, les bovins et non pas les ovins, si
bien que les ovins ont eu légalement le droit de consommer plus
longtemps des farines animales. Aujourd'hui, toujours d'après les
scientifiques (encore une fois, je ne fais que rapporter des
éléments que l'on nous donne en tant qu'éleveurs et
responsables et il faut trier là-dedans), on nous explique qu'un nouveau
variant possible de cette maladie serait passé du bovin à l'ovin,
après un premier passage de l'ovin au bovin, mais sous une autre forme
qui aurait des différences très nettes par rapport aux bovins. En
effet, d'après les scientifiques, il semblerait que, pour les bovins,
seul le système nerveux pourrait transmettre la maladie et non pas le
muscle et qu'en revanche, pour ce qui est des ovins, il y aurait moins de
certitudes sur le fait que le muscle ne puisse pas transmettre la maladie.
Je voudrais aussi que l'on évoque un autre point, si nous avons un peu
de temps, après celui des farines animales : celui des graisses
animales. En effet, on s'aperçoit qu'aujourd'hui, la plupart des animaux
contaminés sont nés en 1994 ou 1995. Comme on connaît le
temps d'incubation, cela veut dire que ces animaux ont été
contaminés très jeunes, souvent dans la première
année de leur existence, à une période où ils
peuvent consommer des aliments d'allaitement, qui sont composés --il
suffit de prendre les étiquettes-- à 50 % de lait en poudre
et à 50 % soit de produits végétaux, soit de graisses
animales.
Or les scientifiques ont démontré aujourd'hui que les graisses
animales pouvaient, elles aussi, être porteuses et transmettre le fameux
prion puisque, dans le traitement de ces graisses, on pouvait trouver des
matériaux à risques.
C'est aussi un élément nouveau. N'oublions pas que les graisses
animales étaient encore autorisées il y a très peu de
temps, y compris dans notre pays. C'est donc un élément qu'il
faut intégrer également.
Pour reprendre l'image de 1996, je pense que, dès lors que l'on sait, il
faut gérer les problèmes et non pas les cacher. Il faut les
gérer et voir où il y a risque ou non de manière
très transparente.
M. le Rapporteur
- Je voudrais revenir sur l'éleveur des Vosges,
dont j'ai oublié le nom, qui a eu un cas d'ESB dans son exploitation et
chez lequel, après prélèvement, vous avez découvert
des fragments d'os le long des parois de son silo. Accréditez-vous
l'hypothèse, qui court de plus en plus, selon laquelle les
contaminations croisées sont plus des contaminations issues d'un
problème de retour de fins de silo plutôt qu'une contamination in
situ dans l'exploitation agricole elle-même ?
Cette hypothèse s'appuie sur l'argumentation suivante. Dans un but de
bonne pratique commerciale, soit sur un atelier volailles, soit sur un atelier
porcs, lorsqu'un industriel de la transformation de farines
récupérait une partie d'un silo, on considère qu'il y
avait ensuite incorporation de ces retours de silo dans d'autres aliments pour
animaux en utilisant deux formulations qui, techniquement, étaient les
plus simples à élaborer : la formulation "aliments
complémentaires pour les jeunes bovins" et la formulation "aliments pour
les truies". Il paraît que c'est au sein de ces deux types d'aliments
qu'il était plus facile d'incorporer ces retours de lots.
C'est une thèse qui semble se développer. Avez-vous des
informations là-dessus et accréditez-vous cette
thèse ?
M. Daniel Grémillet
- Il est certain, sur l'aspect alimentaire,
que les bovins peuvent consommer des produits beaucoup plus souples que
d'autres espèces. Par exemple, le porc est un animal qui a besoin d'une
alimentation très précise, qui est beaucoup plus sensible que le
bovin.
M. le Rapporteur
- J'ajoute que cette thèse accréditerait
également l'hypothèse que les animaux seraient contaminés
précisément dans leur jeune âge. On a parlé des
lacto-remplaceurs au travers des graisses, mais, juste après les
lacto-remplaceurs, dans la période de transition, on a l'aliment "jeunes
bovins" et on pourrait imaginer que les animaux seraient contaminés dans
leur première année d'existence.
M. Daniel Grémillet
- Tout à fait. Dans les auditions qui
ont été faites à Créteil par l'expert, il me semble
que c'est M. Jean-Jacques Réveillon qui nous a expliqué que
chaque usine d'aliment avait un silo "infirmerie" qui contenait tous les
retours des lots d'aliment. Je ne le retrouve pas précisément
dans mes notes, mais je sais qu'une personne nous a effectivement parlé
de ce problème de fin de lots, de restes de camion, voire de reprises
d'aliments, lorsqu'une bande est terminée et qu'il y a un vide
sanitaire, avec des produits retraités. Pour cette personne, ces
produits pouvaient repartir dans l'alimentation des bovins.
Cela fait partie d'une autre source. La contamination croisée ne
s'arrête pas aux mélanges dans les camions mais va effectivement
jusqu'aux restes de fabrication.
M. le Président -
Je pense que nous avons fait le tour de ce que
nous avions à vous demander. Nous vous remercions d'avoir répondu
à cette audition, en espérant que les choses s'arrangeront pour
tout le monde parce que cela devient difficile.
Audition de M. Jérôme BÉDIER, Président de la
Fédération des entreprises du commerce et de la distribution
(FCD), accompagné de Mme Géraldine
POIVERT
(28 février 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Bedier, je vous
rappelle que vous êtes auditionné dans le cadre de la commission
d'enquête du Sénat sur le problème des farines animales,
élargi à la propagation de l'ESB sur les bovins, et que je dois
à ce titre vous faire prêter serment après vous avoir
rappelé les dispositions permettant le fonctionnement de cette
commission d'enquête.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Bédier et à Mme Poivert.
M. le Président -
Dans un premier temps, je vais vous laisser la
parole pour que vous nous disiez, vu de votre côté, ce que vous
savez et les conséquences que ce problème a pu entraîner,
après quoi nos collègues vous poseront les questions qu'ils
souhaitent pour éclaircir leur jugement.
M. Jérôme Bédier -
Merci, monsieur le
Président. Nous avons, comme beaucoup d'acteurs économiques,
découvert l'ampleur du problème de l'ESB au moment de la
première crise de 1996. C'est à ce moment-là que nous nous
sommes retrouvés affectés directement dans notre activité
et que nous avons entrepris, tout d'abord, de nous documenter sur la situation
scientifique et les informations qui étaient disponibles.
Nous avons créé, en avril 1997, un service d'information
alimentaire assorti d'un comité scientifique qui nous a permis d'exercer
une sorte de veille pendant l'ensemble de cette crise et nous avons
été amenés, à cette occasion, à nous
exprimer de temps en temps sur la situation de la viande bovine et sur les
mesures qui y étaient liées.
Nous l'avons fait d'ailleurs en faisant appel, le cas échéant,
à des personnalités extérieures. C'est ainsi que Mme
Brugère-Picoux est venue à plusieurs reprises devant nos
spécialistes et notre comité scientifique pour nous faire part de
ses observations et de ses connaissances.
Au plan interne de notre Fédération, c'est notre comité
"qualité" qui a suivi la crise bovine. Il s'agit d'un comité
composé de tous les responsables qualité, qui sont souvent des
vétérinaires, des gens qui suivent l'ensemble des questions de
qualité à l'intérieur des enseignes, avec l'appui de notre
comité "viande", qui suit plus particulièrement les questions
liées au marché de la viande bovine.
Voilà, en gros, l'architecture des organes amenés à
travailler sur cette question.
Qu'avons-nous fait ou entrepris à ce sujet ? Notre position est de
dire que nous avons besoin d'un maximum d'informations sur la crise pour
prendre, dans nos entreprises, les mesures les plus adaptées mais que,
bien sûr, nous ne pouvons pas avoir de pensée scientifique
autonome par rapport à ce que disent les pouvoirs publics,
c'est-à-dire que nous nous calons de manière précise sur
ce que les pouvoirs publics disent et dictent et que notre priorité est
évidemment de faire en sorte que ce que disent les pouvoirs publics, en
particulier ce qu'ils demandent aux commerçants, qui sont à
l'aval de la filière, soit véritablement mis en oeuvre dans les
magasins.
C'est ainsi que nous avons été amenés à travailler
sur cette question dans le cadre des cahiers des charges qui sont mis en place
entre les enseignes, certains producteurs et certains transformateurs et
à faire en sorte que ces cahiers des charges soient le plus possible
actualisés en fonction des informations qui existaient.
S'agissant des farines animales, nous avons été finalement
amenés à intervenir sur ce sujet, en particulier sur un aspect
latéral mais important : le problème du financement. En
effet, nous avons enregistré les décisions qui ont
été prises. La première l'a été en 1990,
avant même la sensibilité qui existe maintenant sur ce sujet, et
la suivante a été prise en 1996 pour le retrait des
matériaux à risques spécifiés. C'est finalement par
le biais financier et budgétaire que nous nous sommes trouvés
mêlés assez directement à l'opération, puisque c'est
à ce moment-là que le gouvernement de l'époque a
décidé de mettre en place une taxe d'équarrissage qui nous
paraissait présenter beaucoup de problèmes, parce que nous
considérions --et nous considérons d'ailleurs encore--, d'une
part, que cette taxe d'équarrissage avait tendance à
déresponsabiliser l'amont en faisant payer par l'aval,
c'est-à-dire, en définitive, le consommateur, l'essentiel des
charges liées à l'élimination des carcasses et au
problème du processus des farines et, d'autre part, que nous ne
bénéficiions pas, dans ce domaine, d'une suffisante
visibilité sur la façon dont fonctionnait le service public de
l'équarrissage qui a été institué à
l'époque.
Nous avons d'ailleurs milité pour dire qu'il fallait un système
plus ouvert qui ne bénéficie pas de manière directe d'une
fiscalité propre. Cela s'est traduit par l'article 3 de la loi
instituant le service public de l'équarrissage, article dans lequel on
dit qu'il faut un rapport tous les ans pour donner toutes les informations sur
la mise en oeuvre de ce service public. Ce rapport, à ma connaissance,
est sorti une année, début 1999 sur l'exercice 1998 et, depuis,
nous avons eu assez peu d'informations. Nous avons donc dit que cette
façon de calculer une fiscalité pour l'équarrissage nous
paraissait problématique et dangereuse.
C'était le premier épisode : celui de 1996.
En ce qui concerne la crise de l'année dernière, nous avons
été parmi les derniers à prendre position, en tant que
profession, sur l'élimination des farines animales de l'alimentation.
Nous avons en effet considéré longtemps que les mesures
édictées par le gouvernement, c'est-à-dire les mesures de
précaution pour le traitement des farines, d'une part, et l'interdiction
absolue d'utiliser les farines dans l'alimentation des herbivores, d'autre
part, suffisait à garantir à nos consommateurs une
sécurité alimentaire nécessaire.
Nous avons été obligés de constater qu'il y avait un tel
doute sur l'application réelle de la mesure édictée en
1990 qu'il fallait que nous changions un peu de position. Les premiers qui
l'ont fait, d'ailleurs --cela nous avait un peu surpris à
l'époque--, sont les industriels et l'ANIA, c'est-à-dire
l'industrie agroalimentaire, qui ont dit en juin 2000 : " il faut
interdire les farines animales dans tous les types d'alimentation des animaux".
Nous avons dit qu'il était dangereux de le dire parce que cela
signifiait que nous n'étions pas sûrs que les contrôles sont
véritablement appliqués. Si c'est un problème de
contrôles inappliqués, il vaut mieux faire les contrôles et
appliquer la réglementation, dès lors que l'on
considérerait que des farines traitées pourraient continuer
à servir à l'alimentation d'autres animaux que les herbivores.
Finalement, nous avons eu l'addition des cas de vache folle naïfs avec,
à chaque fois, un communiqué ou des commentaires tendant à
indiquer que c'était sans doute la contamination croisée qui
expliquait les cas. Tout cela a abouti à une crise de confiance,
à notre avis assez compréhensible, de l'opinion. C'est pourquoi
on a fini par se dire qu'il valait mieux prendre une mesure drastique et
éliminer les farines animales avec le risque que cela comportait, dans
la mesure où on émettait un doute sur l'application des mesures
qui avaient été prises dans le passé.
C'est ainsi qu'après que l'ANIA eût rappelé (tout cela
s'est passé au CIAL, comme vous le savez), le lundi, qu'elle souhaitait
l'interdiction des farines, que l'une de nos grandes enseignes, Carrefour,
eût dit le mardi qu'elle souhaitait que les farines animales n'entrent
pas dans l'alimentation et que le président de la République
eût dit le mercredi qu'il fallait prendre cette mesure, nous avons en
quelque sorte confirmé cette position dans une interview aux Echos qui
est intervenue peu de temps après.
Voilà la position que nous avons prise. Nous avons eu le sentiment que
l'absence de garanties suffisantes sur les contrôles, cette remarque
valant aussi pour la non utilisation ou l'élimination des
matériaux à risques spécifiés, nous obligeait
à prendre une mesure qui avait un impact lourd et qui, en outre, avait
l'inconvénient de donner l'impression aux Français que les
mesures de sécurité alimentaire n'avaient pas été
véritablement respectées dans le passé.
La question qui est posée aujourd'hui est de savoir comment les choses
peuvent se passer. La seule remarque que je ferai, parce que l'interdiction est
provisoire --elle doit durer six mois mais elle durera vraisemblablement plus
longtemps--, c'est qu'il faudrait éviter, après avoir banni les
farines animales de l'alimentation, d'avoir des circuits de farines
insuffisamment contrôlés. Il faut que l'on puisse, d'une part,
continuer à traiter les farines pour que des éléments
contaminants ne puissent pas continuer à se promener d'une
manière ou d'une autre dans la nature et, d'autre part, avoir une
traçabilité complète des farines, quelle que soit
l'utilisation finale, même si on en revient, un jour, à les
utiliser dans un processus alimentaire dès lors qu'il y aurait un
consensus des scientifiques pour le faire.
Voilà la position que nous avons prise.
Nous avons également été amenés à intervenir
à nouveau sur la taxe d'équarrissage. Pour être francs,
nous avons été franchement déçus par la
décision prise à cet égard et le Sénat
connaît bien le débat puisqu'il a voté à deux
reprises contre l'augmentation de la taxe d'équarrissage dans sa
nouvelle forme. En effet, il nous est apparu totalement inadéquat de
multiplier par plus de trois le produit de la taxe d'équarrissage
à un moment où il fallait recréer la confiance des
Français à l'égard de la viande. Ce n'est pas en
créant un impôt de 4 % sur la viande, à comparer avec
une TVA de 5,5 %, que l'on allait contribuer à recréer la
confiance chez les Français, d'autant plus qu'il s'agissait à
notre sens d'une question de santé publique qui devait être
financée par le budget général du pays.
Par ailleurs, on ne dispose aujourd'hui d'aucune visibilité sur le
circuit des farines, la rentabilité et la façon dont on peut
recréer un processus industriel de valorisation ou d'utilisation des
farines. On voit des articles sur ce point dans les journaux. Certains disent
que l'on peut les brûler et que cela a un pouvoir calorifique
considérable ; d'autres disent que cela coûte 2 milliards...
En tout cas, nous, opérateurs économiques qui nous nous
retrouvons mêlés à l'impôt qui est
prélevé, n'avons aucune visibilité sur le coût
réel de ce processus et de son optimisation. En effet, nous sentons bien
que si on crée une fiscalité pérenne, cela ne pousse pas
à une forme d'optimisation, y compris si on veut avoir un usage
énergétique des farines animales.
Nous avons donc dit de manière très claire qu'il nous paraissait
extrêmement contre-productif, dans la période transitoire que nous
traversons, de créer une fiscalité définitive. C'est
malheureusement ce qui a été fait, avec le paradoxe que la taxe
est finalement reversée au budget général. En effet, si
elle avait été reversée, comme c'était le cas dans
le passé, au CNASEA, pour financer les farines animales, elle aurait
été manifestement anticommunautaire. On a donc créé
une taxe de 4 % sur les produits de viande pour alimenter le budget
général. Je pense que l'on aurait pu essayer de trouver une autre
solution pour essayer de conforter la filière bovine.
Nous ne contestons pas qu'il puisse y avoir des coûts, car il faut
absolument que ce problème des farines animales soit
réglé, mais si on doit financer certains coûts, il faut le
faire, premièrement, sur la base de données scientifiques et
techniques précises permettant d'ajuster véritablement les
coûts, deuxièmement, sur le fondement d'un contrôle
extrêmement précis de ce que serait un service public de
l'équarrissage ou de l'élimination des farines et,
troisièmement, sous la forme d'une fiscalité qui devrait, comme
il s'agit d'un problème de santé, dépendre du budget
général et non pas d'une fiscalité propre sur le produit.
Voilà, monsieur le Président, ce que je voulais dire pour
commencer. Je m'en tiendrai là pour respecter le délai avant de
répondre à vos questions.
M. le Président -
Merci. Le problème de la crise de l'ESB
a eu forcément un impact considérable sur l'activité de
l'ensemble des commerces. Quel impact réel sur les chiffres d'affaires a
eu cette crise de la fin de l'année dernière ?
M. Jérôme Bédier -
Nous avons perdu, en chiffre
d'affaires, 50 %, en gros, entre octobre et début
décembre ; nous sommes remontés début
décembre, nous sommes redescendus en janvier et nous sommes actuellement
à environ - 25 % pour la viande bovine. Cela dit, il y a des effets
de report sur d'autres productions. En gros, nous chiffrons la perte de nos
enseignes, globalement, pour l'année 2000, à plusieurs centaines
de millions de francs, entre 500 et 800 millions de francs. Une seule enseigne
a perdu 80 millions de francs, en affectant les frais fixes que nous sommes
tenus d'affecter. Ce sont des montants considérables.
Aujourd'hui, nous sommes inquiets sur l'évolution de la consommation,
comme nous l'avons dit à plusieurs reprises au ministre de
l'agriculture. En effet, la meilleure manière de financer cette crise
est de recréer de la consommation, c'est-à-dire de recréer
de la confiance. Or nous avons le sentiment que les conditions ne sont pas
encore réunies pour que la confiance soit au rendez-vous, et ce pour une
raison essentielle : la difficulté que nous avons, dans cette
crise, à réunir tous les partenaires autour de la table et
à les faire parler d'une même voix, avec un même objectif et
sur un même sujet : le produit.
Les Français n'attendent pas qu'on leur parle du financement des
agriculteurs ou des dernières hypothèses de tel ou tel chercheur
anglais ou américain ; ils attendent qu'on leur dise :
"voilà le produit qu'on vous présente et voilà ce qu'on a
fait pour répondre aux questions qui ont été
soulevées au cours des semaines précédentes".
Malheureusement, nous avons un mal fou à y arriver.
Dans l'interview des Echos auquel j'ai fait allusion tout à l'heure,
j'ai dit publiquement que l'interprofession ne fonctionnait pas et c'est le cas
encore aujourd'hui, c'est-à-dire que nous assistons à une
série d'effets d'annonce individuels. On a vu récemment
apparaître des logos dont personne n'avait véritablement
discuté auparavant ; on a vu apparaître, au cours d'un
congrès récent, une charte de l'élevage que l'on
connaît plus ou moins mais qui n'a pas été
véritablement discutée ; on a vu l'initiative de tel ou tel
syndicat pour prendre telle ou telle mesure d'élimination des animaux.
Bref, les Français sentent qu'il y a une assez forte cacophonie de
l'ensemble des acteurs et c'est un point auquel nous sommes
particulièrement sensibles. Tout notre effort serait donc d'arriver
à mettre sur pied, pour que ce soit en application d'ici
l'été, un système très simple mais très
coordonné consistant à dire aux Français : "on s'est
mis d'accord, pour vous garantir, par des voies de contrôle, non
seulement que les réglementations sont appliquées mais que toutes
les bonnes pratiques que nous connaissons sont mises en oeuvre pour l'ensemble
des produits", ce qui suppose de mettre en place un nouveau logo ou cahier des
charges qui serait une sorte de "VBF plus" avec des contrôles de tiers.
Cela suppose aussi que l'on ait une politique claire et explicite sur les prix
de la viande bovine qui, aujourd'hui, son réellement la bouteille
à l'encre. Certains disent qu'il faut absolument ne pas baisser les
prix, sans quoi c'est la catastrophe, et d'autres disent qu'il faut absolument
les baisser, sans quoi le marché ne reprendra pas. Certains disent qu'il
y a trop de marges et d'autres qu'il n'y en a pas assez, etc. Il y a aussi le
problème, assez difficile à résoudre, des valorisations ou
covalorisations de l'animal, qui peut baisser en vif mais dont le rumsteck,
celui du même animal, peut augmenter parce que le reste n'est pas
valorisé.
Bref, il faut arriver à trancher une série de problèmes
sur les prix. Nous l'avons dit à M. Glavany et à M. Patriat
à la table ronde sur les tests d'ESB au mois de janvier et il faut
vraiment une politique claire sur les prix. Soit on fait comme les Anglais qui
ont dit : "on baisse de 20 à 30 %" et on explique cela aux
Français, soit on fait autre chose, mais on le dit.
Certaines de nos enseignes ont essayé de faire des promotions au mois de
décembre et ont vendu de la viande à -- 25 ou - 30 %. Cela
n'a pas marché du tout parce que, lorsque le consommateur, qui n'a pas
été informé de manière collective, voit arriver
dans le magasin une viande à - 25 ou - 30 %, il se demande ce qu'on
est en train de lui vendre et où on est allé chercher le produit
en question. Quand on lui dit : "c'est exactement la viande que vous aviez
deux mois avant, mais comme les prix ont baissé, on vous la vend moins
cher", il n'achète pas. S'il n'y a pas une information collective, c'est
très difficile à gérer.
Voilà où nous en sommes. Les chiffres restent bas et nous sommes
dans une période où nous pensons que, s'il n'y a pas de sursaut,
nous risquons d'avoir des comptes d'exploitation durablement affectés.
M. le Président -
Vous parlez de 800 millions de pertes sur 2000,
mais cela se rapporte à quel chiffre d'affaires total ?
M. Jérôme Bédier -
Nous représentons environ
70 % de la commercialisation de viande.
M. le Président -
Cela ne nous donne pas le chiffre.
M. Jérôme Bédier -
Je ne l'ai pas à l'esprit.
Pour nous, cela représente beaucoup.
M. Paul Blanc
- Combien représente la taxe
d'équarrissage ?
M. Jérôme Bédier -
Elle a un rapport prévu de
3,5 milliards de francs environ. Elle a la caractéristique de porter sur
tous les achats de produits à base de viande. Si vous avez une pizza
dans laquelle il y a 5 % de viande, on paie la taxe d'équarrissage
sur la pizza, donc y compris sur le reste. Cela dit, nous pourrons vous fournir
le chiffre que vous demandez.
M. le Président
- Nous souhaitons l'avoir.
M. Paul Blanc
- Si je vous ai bien compris, aujourd'hui, en ce qui
concerne la viande, la loi du marché ne joue plus.
M. Jérôme Bédier -
La loi du marché joue
d'une certaine façon, dans la mesure où les clients ont
eux-mêmes arbitré, en fonction de l'image qu'ils se font de la
sécurité de tel ou tel produit, pour certains types de
production. Ils ont arbitré pour d'autres viandes que la viande bovine
et, au sein de la viande bovine, ils ont arbitré, pour résumer
les choses, plus vers de l'allaitant et du jeune bovin.
On voit bien que tout ce qui est signe de qualité, filières
tracées, allaitant, etc. a eu des chiffres d'affaires qui ont
plutôt augmenté, avec d'ailleurs une certaine difficulté
à trouver du produit, et qu'en revanche, la vache laitière, qui a
de très bonnes qualités gustatives et qui est l'un des produits
classiques que les Français consomment, a perdu beaucoup de part de
marché.
M. Paul Blanc
- En matière de prix, elle n'a pas baissé.
M. Jérôme Bédier -
Dans les magasins, elle a
légèrement baissé.
M. Paul Blanc
- C'est d'ailleurs ce que vous reprochent les
éleveurs en disant : "nous ne pouvons pas vendre notre production
et, parallèlement, sur l'étal, elle n'a pas baissé d'un
centime".
M. Jérôme Bédier -
Nous disons aux éleveurs
que, d'une part, il ne faut pas comparer directement le prix du vif et le prix
du bifteck, parce que lorsqu'on ne vend plus les avants, que le steak
haché est à moins de 40 %, que l'on ne vend plus les abats
(qui représentaient, pour certains, une valorisation importante) et que
les farines deviennent une source de coûts au lieu d'être une
source de vente, il peut arriver dans certains cas que le prix du vif baisse
alors que le prix "prêt à découper", comme on dit, que l'on
achète pour le vendre dans les magasins, n'a pas véritablement
baissé.
M. Paul Blanc
- C'est très difficile à faire comprendre
aux consommateurs français.
M. Jérôme Bédier -
Oui, mais nous sommes en face de
produits avec des co-valorisations et il faut bien que le consommateur puisse
le comprendre. C'est pourquoi il faut faire de la pédagogie ensemble. Si
on dit aux consommateurs français : "vous allez vous faire arnaquer
si vous allez acheter de la viande parce qu'ils vous ont fait des marges", ce
n'est pas ce qui fera remonter la consommation. On a plutôt
intérêt à nous mettre d'accord --c'est ce que nous disons
aux agriculteurs-- sur un niveau de prix et à en discuter entre nous
plutôt que sur la place publique.
Je pense qu'aujourd'hui, si on décide de le faire, on pourrait baisser
les prix de certaines catégories de bovins, notamment de certaines
vaches laitières, de manière drastique. C'était d'ailleurs
l'une des hypothèses de la discussion qui s'est conclue à Berlin.
La Commission avait dit elle-même qu'on ne pouvait plus continuer, sur la
viande bovine, à avoir un différentiel de prix aussi
élevé par rapport à la viande blanche et donc qu'il
fallait baisser de 20 à 30 % les prix de la viande bovine en
tendance. Une partie des éleveurs français est d'ailleurs assez
favorable à cette évolution. C'est ce qu'ont fait les Anglais.
Le troupeau allaitant y est très opposé. J'ai eu l'occasion d'en
parler avec certains leaders du troupeau allaitant qui ont dit : "si on
fait cela, on aura une grappe de prix de la viande blanche assez basse et une
grappe intermédiaire, et la viande allaitante va devenir une viande de
riches, avec un décalage important de prix visuels. On sera donc
obligé d'aller vers le bas". Ce serait donc compliqué à
gérer pour des troupeaux soumis à des contraintes assez fortes.
Par conséquent, cette décision ne peut être prise que
collectivement. Si nous voulons baisser le prix du bifteck dans les magasins,
nous ne pouvons pas le faire individuellement.
Si nous le baissions trop, les agriculteurs nous le reprocheraient. Si nous
faisions des promotions trop fortes sur la viande, les agriculteurs
protesteraient en disant : "vous allez casser l'éventuelle
remontée des cours".
C'est d'ailleurs ce qu'ils ont fait. Quand la viande a été vendue
trop peu cher dans certains cas, le sentiment des agriculteurs a
été que, par rapport aux interventions des pouvoirs publics qui
étaient faites à certains niveaux, on courait le risque de faire
migrer les prix vers le bas. C'est une problématique que l'on
connaît bien et nous avons eu souvent l'occasion d'en parler avec les
producteurs de porcs, qui ont des cours très erratiques et qui sont
souvent venus nous dire : "ne faites pas trop de promotions et ne vendez
pas trop bas parce que, si on veut baisser les prix, il faut que nous le
fassions par promotions".
Nous pensons qu'on ne peut pas baisser les prix du fond de rayon sans courir un
risque. Si on fait passer aux Français l'idée que le prix du fond
de rayon de la viande est durablement peu élevé, on va freiner la
remontée des cours si elle intervient un jour. Donc si nous voulons
vendre moins cher, il faut le faire par promotions et, dans ce cas, on le fait
dans un contexte qui ne contribue pas à tirer le marché vers le
bas.
Tout cela est assez compliqué. Comme c'est une audition publique, je
sais que les autorités chargées de la concurrence m'entendent,
mais, sur des sujets comme celui-là, il faut, d'une manière ou
d'une autre, que les acteurs économiques se mettent d'accord sur une
évolution. Nous sommes prêts à le faire. Nous sommes tout
à fait prêts à envisager, avec nos partenaires de la
filière, que, sur certaines catégories de produits, on se mette
d'accord pour dire qu'il y a une baisse durable.
Par exemple, on doit avoir un débat sur certaines catégories de
vaches, sur le steak haché (là aussi, les positions sont
contrastées : certains industriels souhaiteraient que l'on baisse
le prix du steak haché de manière assez forte, mais il faut
mesurer les conséquences que cela peut avoir) et sur les abats. Je
considère aujourd'hui que certains abats sont vendus trop chers par
rapport au prix du marché et qu'on ne peut pas espérer que leurs
prix remontent. Dans ces conditions, on a intérêt, en tendance,
à plutôt les baisser.
En tout cas, c'est une stratégie que nous devons arrêter tous
ensemble, avec les partenaires de la filière.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Monsieur le Président, dans cet
effort de pédagogie collective auquel vous aspirez et sur lequel nous ne
pouvons être que sensibles, je pense que cela doit passer
également par une transparence en ce qui concerne l'élaboration,
tout au long de la chaîne, du prix final de la viande. Or cela a toujours
été, pour l'ensemble de la filière, quelque chose d'assez
nébuleux. Ne serait-il pas l'occasion de clarifier les choses sur ce
point précis ?
Nous sommes tout à fait d'accord avec vous sur le fait que le
cinquième quartier n'a plus la valeur d'autrefois et que les quartiers
avants, puisqu'il n'y a plus d'écoulement sur le steak haché, ont
perdu beaucoup de leur valeur. Ne serait-ce pas l'occasion de clarifier
très nettement les choses ? Je crains qu'en effet, certes à
la marge, se développent malgré tout, sur l'ensemble du
territoire national, une filière et des circuits un peu plus courts. Je
pense que nous aurions tous intérêt à jouer la
transparence. Ce serait l'occasion de jouer sur l'élaboration de la
grille et, par conséquent, de la fixation finale du prix de la viande.
M. Jérôme Bédier -
Nous y sommes favorables,
monsieur le Rapporteur. Nous avons d'ailleurs fait une conférence de
presse le 14 décembre dernier --nous pourrons vous laisser le document--
au cours de laquelle nous avons réclamé une sorte d'observatoire
des prix de la viande. Nous avons souhaité qu'il puisse y avoir, de
façon régulière, à partir des chiffres qui existent
et que l'on connaît (il y a les cotations, les chiffres de l'OFIVAL,
etc.), une analyse de l'évolution du marché aux différents
stades. En effet, nous avons toujours constaté dans le passé que,
lorsqu'il y avait des débats ou des conflits sur ces sujets de prix, une
bonne analyse factuelle et chiffrée réglait beaucoup de
problèmes.
Je me souviens des crises que nous avons eues sur la tomate et le choux-fleur.
Des analyses ont été faites et, depuis, chacun a pu
considérer la réalité des compositions de coûts et a
pu voir que, par exemple, entre un prix de vente dans l'exploitation et un prix
de vente dans le magasin, il y avait une série d'étapes avec des
coûts. Bref, les études faites par des experts extérieurs
ont contribué à éclaircir les esprits et à
circonscrire les éventuels problèmes que nous pouvions avoir.
Nous y sommes favorables. Nous avons été à deux doigts de
le faire tout seuls et de dire que nous allions financer nous-mêmes des
études sur la décomposition des prix, mais il nous est apparu
qu'il était préférable que cela puisse être fait par
des experts totalement indépendants qui ne puissent pas être mis
en cause.
Il nous paraîtrait donc utile qu'à partir des chiffres qui
existent, on puisse avoir régulièrement ces analyses, qu'elles
soient diffusées à tous les acteurs et que, lorsqu'elles sont
produites, les acteurs en parlent entre eux pour considérer tel
problème ou telle question stratégique à régler
ensemble.
M. Paul Blanc
- Vous m'excuserez, mais, sur la tomate, étant du
département des Pyrénées-Orientales, j'aurais beaucoup
à dire sur le prix de production chez nous et sur le prix de revient de
la tomate marocaine ou espagnole. Il y a de gros problèmes.
M. Jérôme Bédier -
Vous avez tout à fait
raison, mais il ne faut pas nous en rendre responsables, monsieur le
Sénateur. Ce n'est pas nous qui signons les accords avec le Maroc et ce
n'est pas nous non plus qui allons opérer au Maroc... (Rires.)
M. Paul Blanc
- Je sais bien que des agriculteurs catalans sont
allés investir au Maroc.
Je ne veux pas vous rendre responsable de tout, mais il y a quand même
une chose qui m'embête un peu. En définitive, vous avez toujours
essayé de tirer les prix vers le bas. Cela a été votre
leitmotiv, en particulier pour la viande. Par là même, vous avez
incité les agriculteurs et les éleveurs à produire les
produits les moins chers possible. Maintenant, ne pensez-vous pas que vous avez
une part de responsabilité, dans la mesure où vous leur dites
maintenant : "il faut en discuter" ?
Vous dites qu'il faut organiser la filière et se mettre d'accord autour
d'une table, mais ils sont réticents sur ce point aujourd'hui car vous
n'avez pas toujours tenu ce langage. Ne pensez-vous pas qu'une part de
responsabilité vous incombe, dans la mesure où, maintenant, les
mêmes sont assez frileux ?
M. Jérôme Bédier -
Nous n'essayons pas de tirer les
prix vers le bas en tant que tels. Nous essayons simplement, évidemment,
de négocier des prix compétitifs par rapport au marché. On
nous prêterait beaucoup de talent en prétendant que nous avons
fait évoluer l'agriculture et provoqué le productivisme en
agriculture avant même que nous existions.
La révolution agricole a commencé au XVIIIe siècle et la
politique de production de masse de l'agriculture, qui a été
confirmée par la PAC des années 60, date des années 50,
avant même que nos formes de commerce ne se soient véritablement
créées. Il ne faut donc pas nous rendre responsables, nous, du
productivisme agricole. Le productivisme agricole est une chose qui
correspondait parfaitement, à mon avis, à des priorités
qui étaient celles des années 50 et 60, au moment où on a
créé notamment la Politique agricole commune.
M. Paul Blanc
- Nous en sommes tous responsables, parce que tout le
monde a dit : "il faut manger du poulet, du saumon, etc."
M. Jérôme Bédier -
Tout à fait, et on ne peut
pas contester le choix de nos parents qui l'ont fait à l'époque.
Ce choix du productivisme agricole a été fait à une
époque et je pense que c'est maintenant terminé.
D'ailleurs, dans nos magasins, nous ne vendons pas que du premier prix. Nous
avons, certes, des premiers prix, mais si vous allez dans nos magasins, quelle
que soit leur taille, vous verrez que tout le travail que nous faisons depuis
quinze ans consiste justement à sortir d'une logique dans laquelle nous
étions, en vendant uniquement des produits de masse à des prix
indifférenciés. Nous avons au contraire cherché à
arbitrer des marchés pour créer des filières, des
segmentations et des produits à valeur ajoutée, sachant que, dans
beaucoup de filières, cela a produit beaucoup d'effets.
Je vais vous faire une confidence : nous, commerçants, nous aimons
beaucoup vendre des produits chers si les clients les achètent. Quand
nous vendons du vin à 1 000 F la bouteille, nous sommes ravis
si un client nous l'achète. C'est la même chose pour la
viande : quand nous vendons une viande à 100 F le kilo, comme cela
nous arrive parfois, parce qu'elle est tracée, nous sommes ravis.
La réalité, aujourd'hui, et l'avenir de l'agriculture, c'est la
création de la valeur ajoutée sur les produits et c'est
là, d'ailleurs, que beaucoup de richesse va être
créée. Il y aura peut-être moins d'agriculteurs mais
beaucoup plus de richesse. On le voit bien dans les filières qui ont
fait le travail : la filière viti-vinicole qui, depuis quinze ans,
a su créer de la valeur ajoutée, fonctionne bien. Elle a d'autres
défis pour demain qui sont la marque, le cépage et le commerce
international, mais elle a très bien fonctionné durant les quinze
dernières années.
Il en est de même pour la filière de la pomme de terre, que vous
connaissez bien. La pomme de terre a augmenté sa valeur ajoutée
de 2,5 % en quinze ans avec le même tonnage. Dans les magasins, vous
avez dix sortes de pommes de terre : on vend de la rate à 30 F le
kilo dans les magasins, ce qui était impensable il y a quinze ans.
Par conséquent, tout un travail est en train de se faire. Ce travail est
justement lié à l'abandon du concept de l'agriculture de masse et
nous nous sentons les acteurs de cette évolution.
Ceux qui, au contraire, sont pour le prix minimum (je l'ai souvent dit à
nos amis syndicalistes agricoles), ont encore dans le cortex le réflexe
de l'agriculture de masse. On fait des produits indifférenciés,
le bon agriculteur est celui qui fait le plus de quantité possible et
comme il y a le prix minimum, il a un revenu minimum.
L'agriculture de demain, ce n'est pas cela du tout. Elle consiste à
faire de la valeur ajoutée et à avoir des produits que l'on
place, ce qui est une autre logique qui fait que l'on n'a plus besoin de prix
minimum. A quoi servent les prix minimum si on vend huit sortes de pommes de
terre ? On ne va pas faire un prix minimum sur la roseval, sur la rate,
sur la bintje, etc. Donc on sort de cette logique.
Malheureusement, à mon avis, le monde agricole y est, d'une certaine
façon, moins prêt que nous.
M. le Rapporteur
- Je pense que cela évolue, quand même. Ce
que vous venez de décrire est tout à fait vrai. C'était la
théorie de M. Gourvenec, mais je pense quand même que, même
chez les Bretons --et je ne suis pas breton--, c'est un point de vue qui
évolue.
Cependant, quand vous parlez de valeur ajoutée, je me permets
d'insister, avec tout le respect que je dois à la fonction que vous
représentez, car je pense qu'il est essentiel que la captation de la
valeur ajoutée ne soit pas le fait de la seule grande distribution. Il
faut être, à cet égard, assez objectif et il va falloir
plus équitablement partager cette notion de valeur ajoutée. Je
pense que l'on est à l'aube d'un nouveau partage en la matière,
et Dieu sait si vous connaissez ma sensibilité politique.
M. Jérôme Bédier
- Je pense que ce partage
dépend, en définitive, de l'équilibre des marchés.
Dans certains domaines, pour des produits très particuliers, on peut se
mettre d'accord entre acteurs avec des cahiers des charges et des
rémunérations pour les uns et pour les autres. Cela existe pour
certaines filières. Dans ce cas, on passe un contrat individuel entre
acteurs économiques et il y a ce que l'on peut appeler une forme de
partage de la valeur ajoutée. Certains contrats sont passés de
cette façon et, en général, ils ne fonctionnent pas mal.
Si on est dans un domaine dans lequel il y a des effets de cours, c'est une
toute autre logique, parce qu'on ne partage pas la valeur ajoutée. On a
un système dans lequel les niveaux de cours s'établissent en
fonction de l'équilibre du marché. Si le marché est bas,
valeur ajoutée ou non, la rémunération du producteur est
mauvaise. En revanche, si le marché est élevé, la
rémunération est bonne. En général, quand le
marché est bas, on dit que c'est de la faute des distributeurs et
lorsqu'elle est élevée, on dit : "c'est grâce à
notre talent que nous arrivons à vendre nos produits à des prix
élevés".
S'il n'y a pas d'équilibrage des marchés ni ce que j'appellerai
la gestion de la rareté de certains marchés, il ne faut pas
croire qu'il pourra y avoir une bonne rémunération des
producteurs.
La réponse finale à la question que vous avez posée tout
à l'heure sur le revenu des éleveurs est dans les cours de la
viande bovine qui n'ont pas été mauvais depuis 1995 ; il y a
eu une bonne tenue des cours non pas parce que nous ou d'autres avons
été particulièrement vertueux ou parce que nous avons
voulu faire plaisir à tel ou tel éleveur mais, tout simplement,
parce qu'il y a eu un bon équilibre du marché, et il y a eu un
bon équilibre du marché parce qu'il y a eu de bonnes mesures
gouvernementales. Comme le marché a été tenu, les cours
ont été corrects, et comme les cours sont la
rémunération de l'éleveur, il y a eu une
rémunération correcte de l'éleveur.
Il faut pouvoir analyser ces phénomènes de cours. Nous sommes
favorables, évidemment, à des cours stables car il est alors plus
facile de faire notre métier. Quand on a des cours stables, on peut
prévoir les choses et les organiser, et il y a ce qu'on appelle une
image "produit" chez le consommateur qui est cohérente. Quand vous avez
des cours en yoyo, vous avez beaucoup plus de mal à expliquer au
consommateur à quel prix il faut acheter et pourquoi tel produit est
différent d'un autre.
Nous sommes d'accord avec l'idée de dire que, pour des filières
particulières, il faut se mettre d'accord entre opérateurs
économiques sur des contrats, sachant que, dans ces contrats, il y a une
forme de partage de la valeur ajoutée avec éventuellement des
surplus ou des surrémunérations dues à telle ou telle
opération ou telle ou telle contrainte de cahier des charges. En
revanche, quand on est dans une économie collective, ce sont purement
les effets de cours qui jouent. Il ne faut pas nous demander à nous,
distributeurs, de compenser des effets de cours qui n'auraient pas
été bien gérés ou réglés par ailleurs.
On peut donner un coup de main à un moment donné, comme on le
fait de temps en temps sur les fruits et légumes pour dégager le
marché (on essaie de faire des actions ponctuelles de cette sorte dans
le cadre des filières), mais s'il y a un déséquilibre
structurel sur un marché, ce n'est pas en parlant de valeur
ajoutée et par des actions que chacun voudra mener de son
côté que l'on pourra le régler.
M. Jean-Paul Emorine
- Vous avez évoqué l'agriculture
productiviste depuis les années 50. La difficulté à
laquelle l'agriculture est confrontée aujourd'hui, c'est que, même
en voulant avoir des produits de qualité, le prix du produit est
toujours basé sur les périodes où il y avait des
surproductions.
Vous avez dit tout à l'heure qu'il fallait que le prix de la viande
rouge se rapproche de celui des viandes blanches. Or vous êtes assez
averti pour savoir que c'est une chose très difficile. En effet, une
viande rouge a un minimum de deux ans au moment où elle est abattue
alors que les viandes blanches (on ne va pas en faire la critique ici) ont
souvent 42 à 50 jours. L'immobilisation dans les entreprises n'est pas
la même et si vous voulez laisser croire au consommateur que cette viande
devrait avoir le même prix dans l'avenir, ce serait le tromper.
Vous avez évoqué par ailleurs la baisse des prix, dont vous
n'êtes pas forcément responsable. Aujourd'hui, il y a deux
options. Soit on pense que l'agriculture et l'élevage vont s'en sortir
avec la baisse des prix, soit on pense que l'agriculture doit faire partie de
l'économie dans laquelle l'agriculteur vit de son produit. Si on veut
qu'il vive de son produit, il faut bien qu'il tire son revenu le plus possible
de son produit.
Vous évoquiez à l'instant même le revenu des
éleveurs. Je suis désolé, mais si on n'avait pas les
primes européennes, aucun compte d'exploitation ne serait bouclé,
aujourd'hui, en matière d'élevage.
Je pense que nous sommes à un moment charnière auquel vous pouvez
participer --je vous ai bien entendu sur ce point-, sachant que vous
préférez travailler sur un produit qui a une valeur assez
élevée au départ pour pouvoir dégager des marges.
Ce que je crains --et je vous le dis pour que vous le sachiez--, c'est que,
plus vous irez vers un produit bas au départ, moins cela laissera de
marge pour tout le monde par la suite. On ne peut pas baser un élevage
ni une agriculture sur des prix bas systématiques parce qu'on est en
train de confondre le prix de revient d'une viande rouge avec celui d'une
viande blanche alors que ce n'est pas comparable.
Je suis d'accord avec vous sur le fait que les éleveurs doivent aller
vers des politiques de qualité, mais il faut qu'ils puissent en tirer
des profits. Je suis éleveur de charolais et je sais de quoi je parle
aujourd'hui. Nous avons beau développer des politiques de qualité
(je me suis inscrit dans le charolais de Bourgogne). On voit bien que nous ne
valorisons pas notre produit dans une période de crise.
Je pense que nous en sommes à un moment charnière. En ce qui
concerne la PAC, en 2000, deux politiques pouvaient se dessiner. Je me souviens
que j'ai été rapporteur d'un projet de loi, avec mon
collègue Deneux, qui prenait en compte la politique consistant à
aller vers la baisse des prix, et c'est ce qui a été retenu dans
la PAC 2000, mais quand on évoque des baisses de prix de 20 à
30 %, on ne voit pas comment on va pérenniser l'agriculture parce
qu'on va vers un produit intérieur brut qui va représenter un
jour (je parle de l'agriculture et non pas de l'industrie agroalimentaire)
1 % du produit intérieur brut national, si bien que tout le monde
peut remettre en cause l'avenir de l'agriculture.
Je souhaite donc qu'à travers vos responsabilités, vous ayez
à prendre en compte des produits de qualité plutôt que
d'aller vers la baisse des prix, sans quoi nous ne pourrons pas avoir une
agriculture pérennisée.
En tout cas, il ne faut surtout pas confondre la viande rouge et la viande
blanche. J'ai des voisins qui ont des poulaillers et qui, sur une exploitation
d'élevage bien plus importante, sortent chaque mois quatre fois le
tonnage d'une exploitation d'élevage. Si on veut aller vers des produits
de qualité, il faut prendre en compte le fait que la viande rouge a un
prix de revient. Cela dit, comme vous l'évoquiez sur l'élevage
laitier, il faut peut-être avoir une réflexion au niveau des
professionnels.
Je ne vous pose pas de question parce que vous y avez déjà
répondu en partie, mais je voulais avoir votre sentiment, malgré
tout, sur le fait de pouvoir défendre le prix de la viande rouge par
rapport à celui de la viande blanche en expliquant bien aux
consommateurs que ce n'est pas la même chose, ainsi que sur une
agriculture qui, comme c'est malheureusement le cas à l'heure actuelle,
perçoit des primes par rapport à une agriculture qui pourrait
vivre de son produit.
M. Jérôme Bédier -
Nous sommes plutôt
favorables, mais nous ne voulons pas préjuger d'une décision
prise par l'ensemble de l'interprofession, à "sortir de la crise par le
haut", comme nous le disons. Ce sont les termes que nous avions utilisés
en décembre. Nous ne croyons pas, en ce qui nous concerne, à une
baisse des prix de la viande bovine et à son intérêt.
Cependant, il ne faut pas nous dire en même temps qu'il faut baisser les
prix dans le magasin.
On nous dit en même temps qu'il ne faut pas baisser les prix des
producteurs et qu'il faut baisser les prix dans les magasins. Il faut savoir.
Si la collectivité veut que l'on baisse les prix dans les magasins, on
peut le faire, mais notre expérience, c'est que l'on est toujours sorti
des crises alimentaires par le haut. Au moment du problème des hormones
avec la volaille, le veau, etc., c'est toujours en refaisant des
filières par le haut et en offrant des garanties, des qualités,
etc. que l'on a pu s'en sortir. Je ne pense donc pas que c'est en baissant les
prix que l'on s'en sortira. Je suis tout à fait d'accord avec vous sur
ce point, et il est vrai que les deux produits que sont la viande blanche et la
viande rouge sont très différents. Il faut simplement arriver
à vendre les particularités de l'un et de l'autre à un
consommateur.
Quand on voit les courbes de la viande blanche et de la viande rouge, on voit
bien la substitution assez forte qui est intervenue, d'où
l'intérêt de cette réflexion.
Encore une fois, nous sommes plutôt favorables à sortir par le
haut, à condition que tout le monde soit d'accord pour le dire et le
faire.
En ce qui concerne la rémunération des producteurs sur les
contraintes nouvelles et particulières qui sont liées à la
réglementation ou au cahier des charges, finalement, différents
types de contraintes peuvent être édictés.
Un premier type de contraintes apparaît comme étant un minimum
exigible dans l'avenir. On voit que, par exemple, en ce qui concerne les
antibiotiques à des fins autres que thérapeutiques (pour
l'instant, c'est dans les cahiers des charges), les Suédois ont
déjà décidé une interdiction parce qu'il y a un
risque de santé avéré énorme, même s'il n'est
pas dû qu'à la viande bovine. Dans quinze ans (nous avons
d'ailleurs fait un dossier scientifique dans le cadre de notre comité
qui est intéressant ; il est fait par les professeurs Lagrange et
Carlier), les antibiorésistances auront tellement augmenté qu'il
faudra prendre des mesures.
Il est possible que, si on va dans cette logique, il faudra avoir une
rémunération correspondante dans un premier temps mais
qu'ensuite, cela devienne le lot commun, c'est-à-dire qu'on ne le
valorise pas spécialement.
Il y a une deuxième manière de valoriser les choses. Il s'agit de
dire que nous avons en face de nous une caractéristique objectivement
valorisée pour le consommateur, qui fait la différence entre le
produit précédent et celui qui a une nouvelle
caractéristique, auquel cas il accepte de payer plus. Finalement, c'est
le consommateur qui décide. S'il dit : "vous m'expliquez cela mais,
finalement, j'y ai droit de toute façon ; donc vous n'allez pas
m'expliquer que, comme vous n'avez pas mis de produits que vous ne devez pas
mettre de toute façon, il faut que je vous paie plus". En revanche, s'il
y a une caractéristique propre ou une origine, le consommateur est
prêt à payer plus.
C'est là le travail que nous devons faire ensemble. Ce n'est pas nous,
commerçants, qui allons deviner tout seuls ce que le consommateur est
prêt à payer, pas plus que les éleveurs. C'est ensemble que
l'on va dire : "voilà ce qu'on peut faire et voilà vers quoi
nous pouvons aller". Dans ce cas, on sent qu'une chose va intéresser le
consommateur.
Le troisième élément de rémunération pour
les producteurs, c'est que ceux qui sont dans ces filières
bénéficient d'une sorte de compartimentage de la production et
donc d'une plus grande sécurité en cas de crise. Si je prends
l'exemple des filières de porc gascon, quand on a eu la crise sur le
porc avec des prix du porc extrêmement bas, tout ce qui était
porcs fermiers et porcs labellisés s'en est beaucoup mieux tiré.
Les producteurs avaient, à ce moment-là, une sorte de garantie de
revenus due au fait que leurs produits n'étaient pas affectés
comme les produits tout venant.
C'est aussi une manière d'assurer au producteur une certaine
pérennité de sa rémunération, mais c'est la
contractualisation qui va régler tout cela progressivement.
M. le Président
- Nous passons très vite à la
dernière question, parce que nous avons dépassé le
délai.
M. le Rapporteur
- Monsieur le Président, j'aimerais avoir votre
avis sur les derniers dispositifs définis par l'Union européenne
en matière d'étiquetage et d'identification suite à la
décision de l'Union européenne du 18 juillet 2000. On
connaît la position d'un certain nombre d'associations de consommateurs
qui, pourtant, à travers l'accord interprofessionnel de 1997,
étaient tout à fait en phase avec l'ensemble de la filière.
Quelle est votre position sur ce point et comment pensez-vous vous en
sortir ? Serez-vous ouverts, à terme, à la mise en place,
comme on le lit dans certaines revues spécialisées, de bornes
d'information interactives dans vos magasins déterminant un
étiquetage beaucoup plus informatif ?
M. Jérôme Bédier -
Nous sommes négatifs sur
l'accord qui est intervenu au printemps sur l'étiquetage. Nous
considérons que c'est un mauvais accord et qu'il doit être
renégocié. Nous l'avons redit au ministre.
Il est mauvais parce qu'il a été passé avant la
deuxième crise sur la base d'un compromis avec les Allemands, qui
considéraient eux-mêmes qu'ils n'avaient pas d'ESB chez eux et qui
ont donc dit qu'ils ne voulaient pas entrer là-dedans et qu'il fallait
mettre sur l'étiquette des indications qui n'intéressent pas du
tout le consommateur et qui n'ont aucune contrainte pour la structuration de la
filière : le numéro de l'abattoir et celui de l'atelier de
découpe. Nous l'avons dit à l'époque et nous continuons
à le dire.
Comme il y a eu la crise de l'ESB, nous pensons qu'il faut renégocier
l'accord. Nous voulons continuer à mettre la catégorie et la
race ; nous continuons d'ailleurs à le faire dans beaucoup de
magasins --c'est l'accord que nous avons signé--, sachant que c'est une
vraie information pour le consommateur et un élément très
structurant. En effet, dès que l'on met la catégorie et la race,
on est obligé de faire des choix commerciaux d'un bout à l'autre
de la filière. Cela veut dire qu'un magasin ne peut pas avoir un grand
nombre de catégories ou de races. Il choisit donc de se
spécialiser dans tel ou tel domaine ou de recréer une
filière avec telle ou telle appellation. Cela structure le
marché, cela recrée la concurrence et cela débanalise
complètement le produit. Donc cela a un effet tout à fait positif.
En revanche, nous sommes opposés à mettre la catégorie et
la race, plus l'atelier de découpe et l'abattoir, et ce pour au moins
deux raisons.
La première, c'est que nos étiquettes sont totalement
surchargées. Les consommateurs sont d'ailleurs en train de discuter avec
nous pour savoir comment simplifier les étiquettes parce qu'ils ont du
mal à s'y retrouver avec des étiquettes trop complexes, sachant
que, si on met deux choses qui ne servent à rien, cela a un impact
négatif.
La deuxième raison, c'est que si nous allions dans cette direction
consistant à tout mettre sur l'étiquette, cela coûterait
encore une fois cher au consommateur, en définitive, parce qu'on serait
obligé de reprendre toutes les machines à étiqueter et
à refaire tout un système pour étiqueter l'atelier de
découpe alors que nous avons, pour chacun des produits, un numéro
de lot qui nous permet tout à fait de remonter en amont si nous avons
une crise sanitaire à assumer.
Nous estimons donc que le numéro de lot plus la catégorie et la
race sont ce qu'il faudrait faire. Le problème, aujourd'hui, c'est que
nous sommes verbalisés dans les magasins par la DGCCRF, qui vient nous
reprocher de ne pas appliquer la réglementation européenne. Elle
dit : "vous faites ce que vous voulez, mais il faut que vous mettiez le
numéro de l'atelier de découpe et l'abattoir". Nous avons
même eu un agent zélé qui est venu verbaliser 3 000 F par
barquette dans un supermarché en disant : "il n'y a pas le
numéro de l'atelier de découpe". J'ajoute que lorsque nous en
parlons à la DGCCRF, elle nous dit qu'elle a les agents de Bruxelles sur
le dos.
Nous souhaitons que les pouvoirs publics puissent traiter ce problème
rapidement, c'est-à-dire que nous puissions nous mettre d'accord sur le
fait que, si nous avons le numéro de lot, la traçabilité
est suffisante pour retrouver les origines en cas de crise alimentaire et sur
le fait qu'il suffise de mettre la catégorie et la race sans avoir
à refaire l'ingénierie de l'étiquetage et aboutir à
des étiquettes trop complexes.
Nous sommes favorables au principe de mettre la catégorie et la race,
mais à condition que cela ne s'additionne pas au reste.
M. le Président -
Très bien. C'est parfait. Merci d'avoir
consacré ce temps à notre commission. Vous nous ferez donc passer
les chiffres que nous vous avons demandés.
M. Jérôme Bédier -
On va vous donner ces chiffres et
vous faire passer des communiqués de presse et des déclarations
que nous avons faites ces derniers temps et qui reprennent en partie tout cela.
M. le Président
- Très bien.
Audition de M. Alain DECROP,
Président de la société
Guyomarc'h nutrition animale,
accompagné de M. Alain
GUYONVARCH
(28 février 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Decrop, vous
êtes ici en tant que président de la société
Guyomarc'h nutrition animale. Je vous rappelle que vous êtes
auditionné dans le cadre d'une commission d'enquête mise en place
par le Sénat sur le problème des farines de viande, des farines
animales et des conséquences sur le développement de l'ESB et
qu'étant entendu dans le cadre d'une commission d'enquête
parlementaire, vous devrez prêter serment. Auparavant, je vais vous
relire les conditions dans lesquelles cette commission fonctionne.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Decrop
et Guyonvarch.
M. le Président
- Très bien. Monsieur Decrop, je vais vous
passer la parole dans un premier temps pour que vous puissiez brièvement
nous donner votre position par rapport à ce problème
d'utilisation des farines animales, à ce que vous avez fait, vous, dans
votre entreprise et sur la façon dont les choses se sont passées,
après quoi mes collègues et moi-même vous poserons les
questions que nous souhaitons vous poser. Vous avez la parole.
M. Alain Decrop
- Je suis effectivement président de la
société Guyomarc'h depuis 1994 et j'étais auparavant dans
différentes fonctions au sein de la société Guyomarc'h,
avec mon collègue, qui est directeur scientifique. Nous sommes tous les
deux ingénieurs agronomes et nous avons fait toute notre carrière
au sein du groupe Guyomarc'h.
Je vais vous présenter, si vous ne le connaissez pas bien, ce qu'est le
groupe Guyomarc'h. Nous sommes une entreprise spécialisée dans la
nutrition animale en général avec trois branches
d'activité : la santé, les services que nous apportons
à des fabrications indépendantes et la fabrication d'aliments
complets.
Nous avons réalisé, en l'an 2000, un chiffre d'affaires de 4,3
milliards de francs et nous employons 3 000 salariés, dont 1 500 en
France. En France, nous disposons à l'heure actuelle de 25 usines, qui
vont d'une capacité de fabrication de l'ordre de 40 000 tonnes par an
jusqu'à 500 000 tonnes par an dans notre usine la plus importante, qui
est située en Bretagne, à Questembert.
Nous produisons environ 2 millions de tonnes d'aliments pour animaux par an en
France, 2,5 millions de tonnes dans le monde, et 6 millions de tonnes sont
produites sous notre technique dans le monde.
Je pense que vous avez eu le temps d'explorer notre métier au cours de
ces différentes auditions. Nous sommes concepteurs de recettes
alimentaires --c'est la partie des services-- et nous sommes des assembleurs de
matières premières, c'est-à-dire que nous achetons des
matières premières à des fournisseurs.
Qu'est-ce qu'un aliment ? C'est une recette spécifique à une
espèce animale et à un âge de l'animal, recette qui est
également spécifique d'une qualité requise dans le produit
fini selon la qualité gustative ou autre que l'on veut lui donner.
Si on veut bien faire ce métier, il faut avoir une bonne connaissance
des besoins des animaux, notamment des apports nutritionnels des
matières premières. Ces recettes sont définies par un
calcul matriciel entre trois ensembles de données qui sont, d'une part,
les apports nutritionnels des différentes matières
premières, les besoins nutritionnels des animaux et les prix des
différentes matières premières disponibles à un
instant t. Ce calcul matriciel donne ensuite la meilleure solution en termes
d'apports équilibrés de nutriments à l'animal.
On peut dire à l'heure actuelle que la diététique animale
est une science plus élaborée encore que l'alimentation humaine,
puisqu'on arrive à connaître très précisément
les besoins des animaux en fonction de ce que l'on recherche.
Cette recherche s'appuie, chez nous, sur un centre de recherche et de test de
différentes recettes que nous mettons au point avec un certain nombre
d'animaux, mais également beaucoup, sur le plan historique, de la
recherche publique, notamment de l'INRA qui a établi, au cours de ces
travaux, un certain nombre de tables d'utilisation de matières
premières.
Je tiens à préciser, parce qu'on a souvent mis en cause les
raisons pour lesquelles, dans cette industrie, on avait pu utiliser des farines
de viande dans l'alimentation de ruminants, en particulier de bovins, que c'est
une pratique qui existe depuis très longtemps, qui a été
recommandée dès le siècle dernier par des
vétérinaires et qui faisait tout à fait partie des tables
officielles de l'alimentation des animaux en France. J'ajoute qu'en 1988, les
farines de viande en provenance des industriels de la fabrication de ces
farines faisaient encore partie des matières premières devant
être utilisées pour obtenir une bonne production laitière.
Les matières premières utilisées globalement sont des
produits bruts issus directement de l'agriculture, entre 60 et 70 % (des
céréales, des pois, etc.), beaucoup de co-produits d'industries
alimentaires issus de la transformation de matières premières
agricoles, c'est-à-dire tout ce qui reste lorsqu'on a extrait d'une
matière première un produit qui va aller dans l'alimentation
humaine (je pense par exemple aux tourteaux : on prend des graines
oléagineuses et on en ressort une huile d'un côté et un
tourteau de l'autre), des minéraux, des vitamines et des additifs
nutritionnels ainsi que les matières premières qui sont l'objet
de cette commission, qui sont issues de la transformation de produits animaux,
qui étaient utilisées dans le passé et qui provenaient
essentiellement, mais non pas exclusivement, de l'industrie de
l'équarrissage.
C'est une spécificité européenne liée au fait que
l'Europe est faiblement productrice de protéines végétales
qui a fait qu'en Angleterre, bien sûr, mais aussi dans le reste des pays
de l'Union européenne, la diététique et la connaissance
des matières premières a été sans doute plus
élaborée que dans d'autres pays et que l'on a été
amené, pour des raisons de disponibilité de matières
premières, à utiliser une palette très large de
matières premières dans l'alimentation des animaux.
Aujourd'hui, l'Europe dispose à cet égard d'un savoir-faire, qui
est reconnu dans le reste du monde, pour l'utilisation d'une palette
très large de matières premières du fait, justement, de la
non-possibilité d'utiliser un modèle de type américain,
c'est-à-dire maïs et soja, puisque les Américains ont sur
place les protéines végétales et l'énergie qui sont
nécessaires à leurs animaux en quantité suffisante, ce qui
n'est pas le cas en Europe.
Je ferai un peu de sémantique sur les farines animales. En effet, j'ai
été surpris de l'intitulé de la commission, puisqu'on
parle de "farines animales" alors que le mot "farine" recouvre une
présentation, comme la farine de blé.
M. le Président -
Je vous donne une explication. Cela vient
simplement du mot générique qui était utilisé
à ce moment-là dans la presse et le grand public. C'était
pour que nous soyons compris. Cela étant dit, nous avons largement fait
la différence depuis.
M. Alain Decrop
- Donc vous parlez bien des farines de viande et d'os.
Je le précise parce que notre métier a été souvent
confondu avec l'industrie de l'équarrissage et de la fabrication des
"farines animales". Nous sommes des assembleurs de matières
premières, mais je tiens à dire que les deux industries sont
totalement séparées, comme vous le savez sans doute.
J'ajoute un autre point de sémantique : la poudre de lait que l'on
prend dans son petit déjeuner le matin est une farine animale.
Je ne parlerai donc ici que des farines de viande et d'os (FVO).
J'en viens au fond du sujet. Quelle ont été les mesures de
sécurité mises en place par la France sur l'usage des FVO ?
Il y a eu tout d'abord des dispositions réglementaires, puis des
dispositions qui ont été le fait de la profession et, enfin, des
dispositions que nous avons pu prendre, nous, en tant qu'entreprise.
Globalement, quand on regarde les décisions qui ont été
prises, on s'aperçoit que la réglementation sur l'alimentation
animale a globalement précédé la réglementation sur
l'alimentation humaine, c'est-à-dire que l'on a pris des dispositions
réglementaires en alimentation animale avant de prendre des dispositions
dans l'alimentation humaine pour des produits de même nature. La raison
me paraît évidente : entre 1990 et 1996, c'est une
épidémie animale qui a été gérée tant
par les pouvoirs publics que par les différentes catégories
professionnelles qui étaient concernées.
Sur le plan réglementaire, le dispositif qui a été mis en
place en France a toujours reposé sur le principe d'une triple
sécurité.
Le premier niveau de sécurité porte sur la source des co-produits
animaux qui entraient dans la fabrication des farines de viande et d'os.
A cet égard, je peux revenir sur un certain nombre de points, sachant
que cette industrie pourra vous en parler mieux que moi. Des dispositions
européennes ont été prises dès 1990 afin de
demander un traitement différencié des matériaux à
risques. En 1991, un arrêté français a repris la directive
européenne et a défini les matières à hauts risques
qui devaient subir un traitement des produits à 133 degrés et 3
bars pendant 20 minutes ou un système équivalent.
En 1996, la sécurisation a été considérablement
renforcée en France par l'élimination des cadavres et des MRS.
Ensuite, une révision régulière de cette liste de MRS a
été effectuée et on peut rappeler qu'en 1996, il y a eu
une extension de l'interdiction d'usage des FVO dans les aliments pour
ruminants à toutes les protéines animales.
Je le dis parce que, alors que l'on a souvent reproché --vous me poserez
sans doute la question tout à l'heure-- à notre industrie d'avoir
importé des farines de viande anglaises en 1988 et 1989, il faut savoir
que les Anglais, en 1989, ont supprimé les abats spécifiés
bovins (ASB) de la fabrication des farines de viande et d'os, ce que nous
n'avons fait en France qu'en 1996.
Le second niveau de sécurité, c'est le traitement.
Jusqu'en 1997, en France, le traitement qui a été appliqué
aux farines de viande et d'os était 100 degrés pendant 25
minutes, c'est-à-dire le traitement qui existait historiquement en
France et qui était considéré comme sûr.
En 1997, l'Union européenne a préconisé le traitement de
133 degrés, 3 bars et 20 minutes, qui a été mis en
application en France en 1998, qui était le traitement allemand
utilisé depuis 1938 et que les Allemands considéraient comme les
mettant à l'abri de la transmission de cette maladie.
Le dernier dispositif de sécurité, après la source et le
traitement, c'était l'espèce destinataire.
En 1990, la réglementation française a interdit l'incorporation
de farines de viande et d'os dans les aliments bovins, elle l'a fait en 1994
dans les aliments ovins et caprins et, le 14 novembre 2000, dans toutes les
espèces.
Dans un second point, je vais parler de la réglementation et de la
profession, qui a souvent anticipé sur la réglementation.
Le 30 novembre 1989, dans une recommandation syndicale, on a recommandé
de ne plus incorporer dans les aliments ruminants des farines de viande et
d'os, c'est-à-dire neuf mois avant l'interdiction officielle pour les
bovins et quatre ans avant l'interdiction officielle pour les ovins et les
caprins.
En 1997, on a transcrit les mesures qui existaient dans notre industrie dans ce
qu'on a appelé un guide de bonne pratique de maîtrise des
contaminations croisées.
Enfin, en 1999, notre industrie, le SNIA, et l'industrie de
l'équarrissage se sont mises d'accord sur une liste positive des
matières premières entrant dans la fabrication des farines de
viande et d'os. Cette décision a été prise suite à
un incident qui est survenu lors de l'incorporation de boues de stations
internes d'épuration chez un fabricant de farines de viande. Nous avions
donc demandé à l'époque que ces fabricants nous
garantissent une liste positive de matières premières entrant
dans la fabrication de FVO.
Voilà ce que la profession a fait. J'ai souhaité vous lister ces
quelques points, sachant qu'il y en a certainement d'autres encore.
Qu'avons-nous fait au niveau de notre entreprise ?
D'une part, nous avons anticipé la réglementation et, dans
certains cas, les recommandations syndicales. Nous l'avons fait sur les
préconisations de nos techniciens et de nos scientifiques, au fur et
à mesure des informations qu'ils avaient eux-mêmes. D'une certaine
manière, on peut dire que notre profession, d'une part, et nous,
industriels, d'autre part, nous avons appliqué en quelque sorte le
principe de précaution.
Par exemple, nous avons supprimé les farines de viande et d'os dans les
aliments porcs en 1996 alors qu'elles n'ont été interdites que le
14 novembre 2000. Nous l'avons fait parce que cela nous permettait de renforcer
la sécurité concernant les contaminations croisées
potentielles dans une usine d'aliments. Nous l'avons fait aussi parce que nous
avions lu quelque part qu'il était possible, pour des porcs,
d'être contaminés par cette maladie par injection dans le cerveau
ou par consommation de quantités très importantes de farines de
viande contaminées.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- A quelle époque avez-vous pris cette
mesure ?
M. Alain Decrop
- En 1996, lorsque nous avons eu l'information, en
provenance d'Angleterre, selon laquelle cette maladie était
potentiellement transmissible à l'homme.
M. le Rapporteur
- Vous l'avez donc fait pour sécuriser davantage
vos unités de fabrication ?
M. Alain Decrop
- Cela a été fait parce que cela
permettait, effectivement, de renforcer considérablement la
sécurité.
M. le Rapporteur
- Cela voudrait dire qu'entre 1990 et 1996...
M. Alain Decrop
- J'attendais votre question sur ce point. Cela veut
simplement dire que c'était un renforcement de la sécurité
sur la fabrication, mais je ne veux pas dire par là qu'il n'y avait pas
de sécurité auparavant.
M. le Rapporteur
- Je reviens sur la question que je souhaitais vous
poser. En 1990, on a interdit l'utilisation des farines dans l'alimentation des
bovins et vous dites qu'en 1996, dans vos usines où vous fabriquez des
aliments pour les bovins, pour les porcs et, éventuellement, pour les
volailles, vous avez supprimé les FVO pour les porcs afin
d'éviter les contaminations croisées.
M. Alain Decrop
- Nous l'avons fait afin de renforcer les dispositions
qui existaient déjà.
M. le Rapporteur
- Cela veut-il dire que, dès 1990, vous avez
été en mesure de fabriquer véritablement des farines pour
les bovins à partir d'éléments techniques vous permettant
d'être sûrs d'une absence de contamination ?
M. Alain Decrop
- C'est le fond de la question que vous voulez me poser.
A partir du moment où nous avons pris la décision de ne plus
incorporer de farines de viande dans les aliments pour ruminants et où,
ensuite, cela a été effectivement interdit, nous avons
géré cette question exactement comme nous le faisons pour les
autres incompatibilités qui existaient déjà et qui
existent toujours entre des produits qui peuvent passer dans nos process de
fabrication.
Les aliments "label", par exemple, depuis l'origine, n'autorisent pas
l'utilisation des farines de viande dans leur fabrication. Ces aliments "label"
sont contrôlés historiquement, depuis 1980, pour vérifier
la présence ou l'absence de ces farines de viande. Nous avons
traité l'ensemble des ruminants, et non pas simplement les bovins, de la
même manière.
Les ovins sont très sensibles au cuivre, qui est dangereux pour eux. En
revanche, on amène cet oligo-élément dans l'alimentation
des autres espèces de manière régulière : on
met du cuivre dans tous les aliments. Or, dans une usine, quand vous fabriquez
à la fois de l'aliment pour ovins et d'autres aliments, vous avez
potentiellement un risque de contamination.
Nous gérons aussi ce principe quand nous mettons un anticoccidien comme
le Monensin dans un aliment poulet, en sachant que ce produit, à
très faible dose, est capable de tuer un cheval et que nous fabriquons
aussi de l'aliment pour chevaux dans nos usines.
Globalement, le système de précaution qui a été
appliqué à cette époque relevait du même principe de
précaution qui était appliqué pour la fabrication de ce
type de produits.
M. le Rapporteur
- Aujourd'hui, vos usines sont-elles
spécialisées pour tel type d'animaux ?
M. Alain Decrop
- Cela dépend des cas, mais nous avons pris,
depuis 1996, des dispositions visant à supprimer l'usage des farines de
viande et d'os dans les usines polyvalentes. Quand la décision a
été prise le 14 novembre, sur toute la France, nos 22 usines
polyvalentes n'utilisaient plus les farines de viande et d'os, non pas parce
que nous considérions que c'était dangereux mais parce que nous
estimions que ce n'était plus médiatiquement acceptable puisque,
à l'époque, les farines de viande étaient
considérées comme totalement saines.
C'est d'ailleurs sans doute l'un des problèmes que peut avoir la France.
En effet, nous avons toujours eu comme discours global que les farines de
viande françaises sont saines.
M. le Président -
Comme certains de vos collègues nous
l'ont affirmé, y a-t-il eu des farines anglaises (on va toujours parler
de farines puisque c'est le terme qui est utilisé) qui auraient
été mélangées avec des farines françaises et
qui auraient été ensuite incorporées dans des aliments
fabriqués par des entreprises comme la vôtre ? Je parle bien
des équarrisseurs, parce que cela ne venait pas de vous,
évidemment. Je précise donc ma question. Au niveau des
équarrisseurs, chez qui vous vous serviez, y aurait-il eu des
mélanges de farines anglaises et de farines françaises qui
auraient été ensuite rachetés par des entreprises comme
les vôtres pour être incorporés dans les aliments que vous
fabriquiez ?
M. Alain Decrop
- Des documents officiels, qui n'ont d'ailleurs pas
été rendus de façon officielle à mon avis,
indiquent qu'effectivement, des fabricants de farines de viande ont
importé des farines de viande anglaises dans les années 1988-1989.
M. le Président
- Avez-vous des documents qui le disent ou qui le
montrent, afin que nous puissions les joindre à notre rapport ?
M. Alain Decrop
- Il s'agit d'un document qui a été
diffusé dans la presse, notamment par la Confédération
paysanne.
M. le Président
- Cela a été fait ces derniers
temps. Mais auparavant ?
M. Alain Decrop
- Auparavant, je ne le savais pas.
M. le Président -
Mais est-ce que cela s'est dit ?
M. Alain Decrop
- Non. Tout s'est dit, en fait, mais en ce qui concerne
quelque chose de crédible, sincèrement, je n'avais pas entendu
parler de cela. Je ne l'ai vu que sur ce document qui a été remis
par la Confédération paysanne à la presse.
M. le Président -
Cela veut dire qu'à une époque,
malgré toute votre bonne volonté, s'il y a eu ce mélange
de farines anglaises et françaises, vous avez pu en acheter sans le
savoir.
M. Alain Decrop
- Bien sûr.
M. le Rapporteur
- Quel était le prix d'une tonne de farines
animales en comparaison avec celui d'une tonne de protéines
végétales à l'époque ?
M. Alain Decrop
- C'est en général à peu
près le même niveau de prix.
M. le Président -
Aujourd'hui ou à l'époque ?
M. Alain Decrop
- Même à l'époque. Cela a toujours
été à peu près le même niveau de prix, mais
la qualité des protéines animales, en termes de nutrition, est
supérieure à celle des protéines végétales.
A équivalence de prix, il y avait donc un usage, pour des pourcentages
faibles dans les fabrications, de ces farines de viande, mais
M. Alain
Guyonvarch
sera peut-être plus explicite que moi.
M. le Rapporteur
- A partir de 1988-1989 et pendant quelques
années, les farines anglaises ont eu un prix très
"compétitif", si je puis dire. Avez-vous ressenti cette baisse des prix
des farines en question chez vos différents fournisseurs de
l'époque ?
M. Alain Decrop
- Je n'ai pas de point de vue là-dessus,
sincèrement.
M. le Président -
Vous n'avez pas de point de vue, mais vous avez
peut-être des documents.
M. Alain Decrop
- Pour être très clair, je dirai que le
prix des matières premières évolue absolument tous les
jours. Nous avons une centrale d'achats qui se charge de l'achat de toutes les
matières premières que l'on qualifie d'oligopolistiques,
c'est-à-dire pour lesquelles il y a peu de fournisseurs potentiels. Les
farines de viande et d'os et les graisses sont un marché oligopolistique
parce qu'il n'y a que dix fabricants en France, dont deux qui sont les plus
importants.
M. le Rapporteur
- Votre centrale d'achats est-elle propre au groupe
Guyomarc'h ?
M. Alain Decrop
- Oui.
M. le Rapporteur
- Pourrions-nous avoir les documents d'archives qui
existent dans la période 1990-2000 ?
M. Alain Decrop
- Je pense que c'est possible. Vous voulez donc des
documents sur l'évolution des prix ?
M. le Président
- Sur les tonnages et les prix.
M. Alain Decrop
- Si je les retrouve, il n'y aura aucun problème
pour vous les communiquer.
M. le Président -
Nous vous les demandons tout à fait
officiellement. Nous souhaiterions donc avoir, sur la période 1988-2000,
des documents sur les tonnages et les prix d'acquisition de ces farines chez
vos fournisseurs. Ce serait, pour nous, très important. Je reconnais que
c'est un travail important, mais je peux vous dire que nous l'avons
demandé aussi à vos concurrents. Au moins, le handicap est le
même.
M. Alain Decrop
- Nous allons rechercher cela.
M. le Rapporteur
- Quels étaient précisément vos
fournisseurs de farines ? Est-ce que c'était les centres
d'équarrissage français et lesquels ?
M. Alain Decrop
- Nous avons des usines qui sont réparties
à peu près sur toute la France. Donc ce sont tous les fabricants
de farines de viande qui existent en France, à peu de choses
près. Je n'en ai pas la liste exhaustive, mais il y avait des groupes
comme Saria et Caillaud ... Ce sont les principaux qui me viennent à
l'esprit, mais d'autres petits fabricants étaient concernés
également.
M. le Rapporteur
- Vous ne vous approvisionniez pas directement sur le
marché étranger ? Vous ne passiez que par ces
intermédiaires ?
M. Alain Decrop
- Fin 1988 jusqu'au tout début de 1989, nous
avons acheté très exactement 2 752 tonnes de farines de viande
anglaises qui ont été utilisées principalement dans une
usine spécialisée volailles et nous avons acheté, entre
1993 et 1996, environ 3 000 tonnes de farines de viande d'origine irlandaise.
M. le Rapporteur
- Entre 1993 et 1996 ?
M. Alain Decrop
- En fait, cela a commencé en 1994-1995.
M. le Président
- L'intérêt d'acheter ces farines
venait-il du fait que les prix étaient plus faibles ?
M. Alain Decrop
- Les qualités étaient différentes.
Les farines de viande irlandaises étaient d'une qualité
intéressante et étaient vendues à un prix sans doute
compétitif à l'époque. Je l'espère pour nos
acheteurs. Sinon, ils n'auraient pas fait leur travail.
M. le Rapporteur
- Quand vous dites que la qualité était
différente, vous estimez que la qualité était
supérieure aux farines de viande françaises ?
M. Alain Guyonvarch
- Les caractéristiques sont un peu
différentes. La farine de viande irlandaise est un peu plus faible en
termes de protéines et plus riche en termes de matières grasses.
Pour les aliments volailles, auxquels elles étaient principalement
destinées, il y avait une adéquation plus claire par rapport au
type de formules que nous avons. Ce sont des produits qui rentrent mieux, pour
tout dire.
M. Alain Decrop
- Ces farines de viande irlandaises ont
été utilisées uniquement dans une usine
spécialisée volailles que nous avons à Questembert. Nous
avons deux usines sur place : l'une qui ne fait que des aliments volailles
et l'autre qui fait tous les autres types d'aliments.
M. le Rapporteur
- Nous l'avions bien noté. A partir du
marché unique, le 1
er
janvier 1993, les documents
d'accompagnement de ce type de produits étaient beaucoup plus succincts,
si je peux m'exprimer ainsi, que dans la période antérieure,
avant 1993. Donc je suppose que vous ne pouviez pas, à votre niveau,
faire de distinguo entre farines anglaises, farines irlandaises, etc.
M. Alain Decrop
- Si, puisque notre attention était
attirée sur le sujet. A l'époque, l'un de nos acheteurs est
allé en Irlande et il est allé voir les fabricants irlandais
d'où nous sont venus ces produits. Nous avons obtenu de leur part des
certificats d'origine des produits et nous avons eu aussi, de la part du
ministère de l'agriculture irlandais, un certificat indiquant que
l'importation de farines de viande anglaises était interdite en Irlande
et que, par conséquent, les produits vendus par l'Irlande étaient
en provenance de l'Irlande. Par ailleurs, tous ces produits ont
été contrôlés à l'arrivée des bateaux
par les services de l'Etat français.
M. le Président
- Pourrez-vous nous retrouver les documents ?
M. Alain Decrop
- Absolument. J'en ai un exemplaire.
M. le Président -
Très bien. Il sera important que vous
nous les donniez.
M. Paul Blanc
- J'ai une question à poser au scientifique. En
1989, les Anglais ont interdit les farines animales. Cela ne vous a-t-il pas
interpellé et avez-vous fait des démarches pour savoir
pourquoi ?
M. Alain Guyonvarch
- Nous n'avons pas fait une démarche.
Dès 1989, quelques articles français parlaient de
l'épidémie d'ESB en Angleterre. Des gens, en particulier Marc
Savet, commençaient à s'en préoccuper. Vers la fin de
l'année 1989, des réunions ont eu lieu avec la profession et ont
provoqué, devant l'absence de réaction ou de prise de
décision de l'administration française, la décision de
l'interprofession.
Je précise que les Anglais, en 1988, n'ont pas interdit les farines de
viande. Ils n'ont interdit que les protéines d'origine ruminants dans
les aliments pour ruminants, c'est-à-dire que leur exclusion a
été extrêmement sélective.
M. le Rapporteur
- Pouvez-vous préciser ?
M. Alain Guyonvarch
- Ils ont interdit dans les aliments pour ruminants
l'utilisation de protéines provenant de ruminants.
M. Paul Blanc
- Est-ce qu'ils les séparaient ?
M. Alain Guyonvarch
- Bien sûr. C'était effectivement ce
qui était réclamé. Maintenant, je ne suis pas allé
voir sur place s'ils le faisaient, mais c'était effectivement ce qui
était demandé. Les Anglais ont continué à utiliser
très longuement des protéines d'origine animale dans les aliments
pour ruminants, puisque ce n'est finalement qu'en 1996 qu'ils ont interdit les
protéines d'origine mammifère dans les aliments pour ruminants.
M. le Rapporteur
- Auriez-vous des documents sur ce point
précis ? Le distinguo me paraît important.
M. Alain Guyonvarch
- Je vais pouvoir vous en retrouver, mais je ne sais
pas si je les ai avec moi. J'ai un document issu d'une conférence
à ce sujet qui a eu lieu en 1997 à la Commission de Bruxelles.
M. le Rapporteur
- Entre 1990 et 1996, on a importé des
quantités relativement importantes de viandes anglaises.
M. Alain Guyonvarch
- C'est exact.
M. Alain Decrop
- Il faut être très clair, et c'est bien le
distinguo que j'ai fait en introduction. Même la réglementation
française a pris, en ce qui concerne la nutrition animale, des
dispositions réglementaires bien avant que des dispositions soient
prises sur la viande elle-même, ce qui démontre à
l'évidence que le souci de voir une transmission à l'homme
n'était pas présent dans les esprits à cette époque.
M. le Président -
Par ailleurs, vous utilisiez des graisses
animales et je suppose que, de la même manière, vous achetiez chez
les mêmes fournisseurs.
M. Alain Decrop
- Absolument.
M. le Président
- Est-ce que vous en utilisiez encore dans les
dernières années?
M. Alain Decrop
- Nous en avons utilisé encore dans les
dernières années pour tous les aliments et il a pu y en avoir
ponctuellement dans les aliments pour ruminants jusque dans les années
1997-1998, mais nous avions progressivement éliminé ces produits
dans les aliments ruminants.
Il n'y avait jamais eu de suspicion sur les matières grasses animales
jusqu'en août 2000 et c'est donc au mois d'août 2000 que l'AFSSA a
rendu un avis en indiquant qu'il serait de bonne précaution de prendre
une disposition visant à retirer les graisses animales. Nous l'avons
fait tout de suite dans toutes nos usines, partout où il pouvait
éventuellement rester quelques formules qui en avaient. C'est pourquoi
je dis que cela n'a pas été complètement supprimé,
parce que ce n'était pas une décision formelle que nous avions
prise. Nous avions dit qu'il fallait être prudents sur ce plan, mais sans
plus, parce que ce n'était pas mis en avant comme étant un risque.
C'est donc en septembre 2000 que nous avons pris une décision formelle
d'exclusion et que nous avons demandé à tous nos approvisionneurs
d'aliments de lacto-remplaceurs de supprimer de leur fabrication toutes les
matières grasses animales qui provenaient de ruminants.
M. le Président
- Pouvez-vous nous citer les noms de vos
fournisseurs pour la fabrication des lacto-remplaceurs ?
M. Alain Decrop
- Je ne pourrai pas toutes vous les citer, mais nous
avons notamment Spécilait-Serval, Bonilait, Even, Celtilait... Ce sont
les principaux.
M. Paul Blanc
- Je voudrais revenir sur ce que vous avez dit au sujet
des farines anglaises interdites pour les ruminants. Pensez-vous
réellement que, dans la fabrication des farines animales, les Anglais
ont vraiment séparé celles provenant des bovins des autres ?
Ont-ils des usines séparées ? La séparation
paraît extrêmement difficile.
M. Alain Decrop
- Personnellement, je ne suis pas capable de
répondre à cette question. Cela dit, à une certaine
époque, en France, il y a eu des fabrications séparées
entre les farines de volaille, les farines de viande et d'os, qui prenaient les
déchets d'abattoir de toutes provenances, et d'autres types de
fabrication comme les farines de plumes ou de sang, mais il s'agissait
éventuellement d'installations industrielles séparées.
Quant à l'Angleterre, je ne peux pas le dire. On devrait pouvoir le
retrouver dans la littérature, mais ce n'est pas une information que
nous avons à l'esprit.
M. Paul Blanc
- Il faudra poser la question aux Anglais.
M. Alain Decrop
- Je vais continuer mon exposé en disant que nous
avons fait un arrêt formel de toute importation de farines de viande et
d'os étrangères en 1996, c'est-à-dire que nous avons
arrêté l'importation de farines de viande irlandaises (nous
l'avions déjà fait en 1995 mais nous l'avons arrêté
formellement à ce moment-là). Globalement, lorsque le guide des
bonnes pratiques de fabrication est sorti, nous sommes allés
au-delà de ce guide et nous avons mis en place des procédures
plus strictes, notamment des réceptions totalement
séparées et des contrôles renforcés. Comme nous
avons un laboratoire important sur le plan du contrôle, nous faisions des
prélèvements statistiques systématiques qui nous
permettaient de contrôler qu'il n'y avait pas de contamination. Nous
avons également spécialisé les lignes de fabrication.
Par conséquent, en juin 2000, toutes nos usines étaient
spécialisées ou n'utilisaient pas de farines de viande et d'os.
Nous avons également mis en place, depuis 1998, la méthode
d'analyse des risques intitulée "méthode HACCP", qui est
utilisée dans le domaine alimentaire, dans toutes nos usines et nous
avons créé en interne un corps de quarante auditeurs qui audite
nos différentes usines que nous avons. Nous avons donc toujours
essayé d'aller au-delà de ce que nous préconisait la
réglementation ou même la profession.
Globalement, on peut dire que c'est en France qu'à la fois les pouvoirs
publics et les professionnels sont allés le plus loin dans la prise de
dispositions visant à assurer la maîtrise du risque ESB et que,
malheureusement, on s'en aperçoit aujourd'hui, c'est-à-dire que
l'on voit que d'autres pays, autour de nous, qui étaient assurés
d'avoir des bons systèmes de traitement, sont aujourd'hui plus
touchés que la France. Certes, il y a 260 cas et il y en aura sans doute
500 à 1 000 en France.
M. le Rapporteur
- C'est votre analyse ?
M. Alain Decrop
- Il n'y a pas de raison que cela s'arrête
brutalement demain matin. Je pense que l'on va trouver encore des cas
jusqu'à ce que toutes les dispositions successives qui ont
été prises éliminent les principaux facteurs de risques,
même si, aujourd'hui, on considère que ce sont les farines de
viande et d'os qui sont l'un des vecteurs principaux avec les matières
grasses. Une théorie qui est en train de s'élaborer à
l'heure actuelle tendrait à prouver que la contamination se ferait
plutôt dans le jeune âge. Par quelle voie ? Cela reste
à définir ; je ne suis pas compétent pour le dire.
Le fait qu'il n'y a eu que 260 cas à l'heure actuelle signifie que le
problème a été globalement maîtrisé,
même s'il l'a été insuffisamment, puisque ce sont sans
aucun doute 260 cas de trop. En tout cas, cela n'a rien à voir avec ce
qui s'est passé en Angleterre et cela n'a probablement rien à
voir avec ce qui risque de se passer en Allemagne.
M. Jean Bernard
- Est-ce que des élevages qui se fournissaient
chez vous ont été affectés ?
M. Alain Decrop
- Certains élevages dont nous étions
fournisseurs, mais non pas forcément exclusivement (de toute
façon, il est rare que nous soyons fournisseurs exclusifs) ont
été touchés, effectivement.
Je pense que d'autres vous le diront car ils seront mieux à même
d'avoir des statistiques complètes sur le sujet, mais nous avons
nous-mêmes nos analyses sur le sujet et nous nous apercevons que c'est
très largement réparti.
M. le Rapporteur
- Pourrions-nous avoir cette analyse ?
M. Alain Decrop
- C'est aux pouvoirs publics de vous la donner. Ce sont
des informations internes qui ne peuvent pas avoir une valeur officielle, dans
la mesure où c'est une indication selon laquelle tel éleveur est
fourni principalement par tel ou tel fournisseur.
M. Jean Bernard
- Il faudrait faire le rapport entre l'importance du
cheptel et ce qui vient de chez vous. Il faudrait avoir des ratios moyens, en
fait.
M. Alain Decrop
- C'est très compliqué.
M. le Rapporteur
- Vous avez parlé de contaminations des animaux
dans leur jeune âge.
M. Alain Decrop
- C'est une théorie dont je fais état et
non pas ma théorie, car je ne suis pas compétent pour l'exprimer.
M. le Rapporteur
- On peut donc imaginer que cela se fasse au travers
des lacto-remplaceurs. Nous l'avons lu également, mais nous avons vu que
cette théorie est assise aussi sur une contamination un peu plus
tardive, c'est-à-dire au-delà de trois mois de vie de l'animal,
par le biais des aliments jeunes bovins...
M. Alain Decrop
- J'ai lu cela aussi.
M. le Rapporteur
- ...au travers de contaminations croisées sur
des retours de lots et non plus de contaminations in situ dans l'exploitation
agricole elle-même. Quelle est votre analyse sur ce point ?
M. Alain Decrop
- Mon analyse, c'est que, dans la mesure où, dans
les usines, même s'il peut y avoir des retours ou des fins de lots, nos
opérateurs, par définition, ont l'habitude de les gérer et
ne le font pas dans le cadre des farines de viande, en particulier, il n'y
avait pas de réincorporation de retours de lots de volailles ou de porcs
dans des aliments ruminants puisqu'il y avait l'interdiction de l'usage d'une
matière première dans cet aliment.
C'était la même chose pour les labels. Si nous avions eu des
retours de lots de farines de viande, c'est-à-dire de volailles et
porcs, avant 1996, dans des aliments sur lesquels il y avait des interdictions,
nous aurions constamment eu des problèmes avec les organisme
certificateurs de labels, puisque c'était interdit par le cahier des
charges dans les aliments. Donc c'est une chose que nos opérateurs
géraient.
M. le Rapporteur
- Comment la géraient-ils ?
M. Alain Decrop
- Les retours allaient principalement dans les aliments
porcs, et peut-être un peu en volailles.
M. le Rapporteur
- Nous avons appris l'existence de "silos infirmerie",
si je puis dire, comme on le dit dans le jargon de votre profession. Vous dites
donc que ces silos étaient principalement destinés au
reconditionnement d'aliments pour porcs ?
M. Alain Decrop
- Oui, principalement, voire essentiellement, et ce pour
une raison simple : globalement, le coût matières aliments
ruminants est plus bas que le coût matières aliments porcs ou
volailles. Economiquement, cela n'aurait pas de sens. Globalement,
l'interdiction et le fait que cela n'avait pas de sens économique
expliquent que ce qu'on appelle "le réengrainement" se faisait
principalement dans le porc, qui est omnivore et pour lequel les choses se
passaient correctement.
M. le Président -
Très bien. Nous allons vous remercier
pour cette audition. Vous avez à nous donner quelques documents.
Par ailleurs, si, malgré tout, vous avez vos statistiques de
répartition du nombre de cas par rapport à vos clients,
même si c'est un document interne, nous en aurons besoin simplement pour
avoir une vision des choses. Je précise que, bien sûr, cela ne
sortira pas de chez nous. Si vous pouviez nous donner ce document, ce serait
intéressant.
M. Alain Guyonvarch
- Je pense que la Brigade nationale des
enquêtes vétérinaires a les plus belles statistiques de la
profession sur ce point.
M. le Président
- On me dit que nous avons ce document.
M. Alain Decrop
- Il est toujours difficile de mettre son nom lorsqu'on
est multifournisseur d'un éleveur.
M. le Président -
On le comprend parfaitement. Nous le savons
très bien.
M. Alain Decrop
- J'ai un point à ajouter. Comme on a souvent
entendu que notre profession ne donnait pas d'informations aux éleveurs,
je vais vous remettre des documents qui montrent l'étiquetage tel qu'il
existe à l'heure actuelle et l'étiquetage tel qu'il existait, en
ce qui nous concerne, avant septembre 2000.
Pour notre part, nous avons décidé de passer par
ingrédients, en donnant la liste, par ordre décroissant
d'importance quantitative, des ingrédients dans les aliments, mais nous
avions également une déclaration par catégorie, puisque
c'était une possibilité offerte à ce moment-là.
Cependant, nous avions, pour éclairer les éleveurs,
édité des documents qui permettaient de lire quelles
matières premières existaient à l'intérieur de
l'aliment en fonction des catégories indiquées sur
l'étiquette.
Il faut savoir que, jusqu'en 1992, la législation française
imposait l'étiquetage par ingrédients et que, par
conséquent, jusqu'à cette date, la liste exhaustive des
matières premières utilisées dans les aliments
était portée sur les étiquettes, et donc à la
connaissance des éleveurs.
J'ai également apporté un document qui est utilisé
à l'heure actuelle pour expliquer à nos éleveurs ce que
contiennent les aliments, quels qu'ils soient, et qui reprend toutes les
matières premières qui peuvent être utilisés dans un
aliment à l'heure actuelle de manière exhaustive.
M. Alain Guyonvarch
- Pour répondre à l'interrogation de
M. Blanc sur les matières premières qui ont été
interdites dans l'alimentation des ruminants en Angleterre, j'ai ici un article
(il s'agit d'un exemplaire unique mais je peux vous en donner la copie si elle
vous suffit) d'une conférence qui a eu lieu en juillet 1997 à
l'initiative de la Communauté européenne. Il s'agit d'un travail
effectué par M. J.W. Wilesmith qui est l'un des pontes anglais de l'ESB
et qui indique comment les choses ont été faites.
Je vous précise donc que les protéines de ruminants ont
été interdites dans l'alimentation des ruminants le 18 juillet
1988 en Grande-Bretagne et en janvier 1989 en Irlande du nord, que les abats
spécifiques bovins ont été interdits de l'alimentation
animale britannique dès le 25 septembre 1990 (je rappelle qu'ils l'ont
été six ans plus tard en France) et que la protéine
d'origine mammifère a été interdite dans l'alimentation de
tous les animaux en Grande-Bretagne depuis avril 1996.
M. le Président -
Très bien. Nous vous remercions.
Audition de M. Claude BELLOT,
Président de la
Confédération générale de l'alimentation de
détail
(CGAD)
(28 février 2001)
M.
Gérard Dériot, Président -
Vous êtes M. Claude
Bellot, président de la Confédération
générale de l'alimentation de détail et c'est à ce
titre que vous êtes auditionné aujourd'hui par notre commission
d'enquête parlementaire sur le problème des farines animales et de
la propagation de l'ESB.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Bellot.
M. le Président
- Merci. Dans un premier temps, je vais vous
demander très brièvement de nous dire à votre niveau ce
que vous pensez de ce problème des farines animales par rapport à
votre activité, après quoi nous vous poserons les questions que
nous souhaitons vous poser.
M. Claude Bellot
- Merci, monsieur le Président.
Je tiens tout d'abord à remercier la commission d'enquête sur les
conditions d'utilisation des farines animales dans l'alimentation des animaux
d'élevage et les conséquences qui en résultent pour la
santé des consommateurs d'avoir souhaité m'auditionner
aujourd'hui.
Je devais commencer par une brève présentation de la
Confédération générale de l'alimentation de
détail et de ses actions en matière de sécurité
alimentaire et, ensuite, passer la parole à M. Pierre Perrin,
président de la section artisanale de la CGAD et, surtout,
président de la Confédération française de la
boucherie, boucherie-charcuterie et traiteur, qui s'occupe plus
particulièrement de cette question. Malheureusement, son
beau-père est décédé ce matin et il a
été obligé de regagner son domicile précipitamment.
Vous voudrez donc bien nous en excuser.
La Confédération générale de l'alimentation de
détail (CGAD) représente à la fois les entreprises du
commerce indépendant de l'artisanat et de l'alimentation. Si ces deux
secteurs sont juridiquement distincts, sur le plan professionnel, ils forment
un tout car les artisans et les commerçants de l'alimentation exercent
des activités de transformation et de service vraiment très
spécialisées.
Ainsi, la CGAD représente plus de 290 000 entreprises couvrant seize
métiers regroupés au sein de dix-sept
confédérations nationales qui, afin de garder leur
spécificité, sont regroupées en deux sections : une
section commerciale et une section artisanale.
La section artisanale regroupe les bouchers, les charcutiers, les
pâtissiers, les glaciers, etc., et la section commerciale regroupe les
épiciers détaillants, les détaillants en fruits et
légumes, les hôteliers et la restauration, les
crémiers-fromagers et les commerçants sur les marchés,
c'est-à-dire les non-sédentaires.
Au fur et à mesure des années, la CGAD s'est
développée sur le plan local et, aujourd'hui, 500 syndicats
départementaux sont regroupés en sections départementales
et régionales de notre confédération. C'est un organe de
liaison et de représentation de tout un secteur.
La CGAD est un interlocuteur privilégié des pouvoirs publics et
des différents partenaires économiques avec lesquels elle
entretient des rapports constants. En outre, elle travaille à la
création d'outils spécifiques destinés aux professionnels
du secteur.
Soucieuse de répondre aux exigences des consommateurs, d'aider les
entreprises des métiers de bouche et de répondre aux exigences
réglementaires depuis 1992, la CGAD a entrepris, avec l'ensemble de ses
confédérations, de multiples actions en matière
d'hygiène. Elle a notamment engagé la réalisation de
guides de bonnes pratiques d'hygiène. Ces outils, réalisés
en se fondant sur les principes d'une démarche de type "HACCP", sont des
documents collectifs conçus par les professionnels pour des
professionnels et validés, bien sûr, par les administrations qui
proposent des savoir-faire et des méthodes à appliquer pour
atteindre un niveau satisfaisant d'hygiène.
C'est ainsi que dix guides de bonne pratique d'hygiène sont
proposés aujourd'hui aux professionnels : les guides
pâtissiers, glaciers, fromagers, traiteurs, bouchers, restaurateurs,
confiseurs chocolatiers, charcutiers, poissonniers et fruits et légumes.
Parallèlement à l'élaboration de ces guides, et afin
d'apporter un appui concret aux entreprises sur le terrain, la CGAD a mis en
place des mesures d'accompagnement en partenariat avec ses administrations de
tutelle, en particulier avec la DGAS, et ses administrations dites de
contrôle, dont la DGCCRF et la Direction générale de
l'alimentation. Elle a été ainsi à l'initiative de la
création des centres d'action qualité.
Le Centre national d'action qualité (CNAQ) a été
créé en 1994 et les Centres locaux d'action qualité
(CLAQ), créés à l'initiative de chaque CGAD
départementale, se mettent en place progressivement. Leur mission
essentielle est d'assurer dans les départements un véritable
partenariat avec les administrations de contrôle et d'accompagner les
entreprises dans la mise en oeuvre des recommandations des guides de bonnes
pratiques d'hygiène.
A ce jour, soixante-cinq CLAQ ont été homologués par le
CNAQ, ce qui représente quatre-vingt-six départements.
Outre ces actions spécifiques, la CGAD suit actuellement, à
travers ses branches ou directement, tous les grands chantiers ouverts en
matière de sécurité sanitaire. Elle participe notamment
aux travaux du Conseil national de l'alimentation sur la
traçabilité, la gestion de crise, le principe de
précaution. Elle suit le dossier OGM au sein du Conseil national de la
consommation ou participe aux travaux du Conseil supérieur d'orientation
et de coordination de l'économie agricole et alimentaire allié de
l'AFNOR.
En dehors de cette participation concrète à tout ce qui peut
concourir à l'amélioration de la qualité des produits,
notre organisation dénonce depuis plusieurs années les
méfaits de l'industrialisation et de l'intensification des productions.
Nous avons notamment souligné à de nombreuses reprises que la
course aux prix bas pouvait avoir des conséquences désastreuses
sur la qualité des produits et, malheureusement, les faits nous ont
donné raison.
Nos métiers de l'alimentation ont subi et subissent encore fortement les
effets des dernières crises alimentaires. Selon les sondages d'opinion
réalisées au dernier trimestre 2000, la sécurité
alimentaire constitue une préoccupation croissante pour les
Français. Plus spécifiquement, si le pic de la crise de l'ESB
semble maintenant dépassé, une forte inquiétude persiste
malgré le moratoire sur les farines animales.
Certes inquiet, le consommateur se tourne plus volontiers vers les
commerçants et les artisans traditionnels mais, parallèlement, il
exige beaucoup plus d'informations et de traçabilité. C'est dans
ce sens que la CGA poursuit ses investigations en matière de
sécurité alimentaire.
M. le Président
- Merci. Avez-vous une idée de l'impact
qu'a eu le problème de cette crise sur les chiffres d'affaires de vos
professions ?
M. Claude Bellot
- En ce qui concerne l'impact immédiat de la
dernière crise liée à l'ESB (je parle de celle de 2000 et
non pas de celle de 1996), dans un premier temps, on a frisé les
40 %, mais cela s'est rétabli relativement vite. Il est vrai que
les consommateurs ont fait confiance à leur boucher traditionnel
où ils retrouvaient une traçabilité. Actuellement, au
moment où je vous parle, on peut dire que les bons bouchers (parce que,
dans une profession, il y a effectivement des spécialistes mais il y a
également un tout) ont retrouvé leur niveau, mais certains
artisans qui se retrouvaient dans des régions où ils ne pouvaient
pas proposer à la clientèle une haute qualité ont perdu
quand même jusqu'à 20 ou 25 % de chiffre d'affaires.
M. le Président
- Qu'est-ce que cela représente
réellement en chiffres ? Vous nous parlez de pourcentages, mais
nous souhaiterions avoir des chiffres. Vous ne les avez peut-être pas ici
mais on vous demandera de nous les faire parvenir.
M. Claude Bellot
- Je suis très ennuyé, monsieur le
Président, mais je suis vraiment incompétent sur ce
problème. C'est en effet le président Perrin qui était
saisi de ce dossier : en tant que président de la boucherie
traditionnelle, c'était son secteur. Je vous propose donc qu'il puisse
répondre par écrit aux demandes que vous pourriez lui formuler.
M. le Président -
Tout à fait. C'est ce que je voulais
vous demander. C'est la meilleure solution.
M. Claude Bellot
- Je vous prie encore une fois de m'excuser de ce
contretemps qui est vraiment indépendant de notre volonté.
M. Paul Blanc
- Quand vous parlez de 25 % de baisse, parlez-vous
d'une baisse globale ou ne concerne-t-elle que la viande bovine ? N'y
a-t-il pas eu une compensation sur autre chose ?
M. Claude Bellot
- Je ne parle que de la race bovine. Cela a
été effectivement compensé sur d'autres produits,
notamment sur la volaille.
M. le Président -
Pour en revenir sur ce problème de
chiffres, que nous comprenons très bien, nous vous demanderons de nous
envoyer le plus rapidement possible le volume que cela a
représenté en viande bovine et le pourcentage, ce qui nous
permettra d'avoir ce que cela représente en francs, et également
les compensations qui ont pu être faites sur d'autres viandes, pour que
nous puissions avoir le montant réel.
M. Claude Bellot
- J'ai en ma possession une étude qui a
peut-être été portée à votre connaissance. En
effet, le Centre d'information de l'industrie laitière (CIDIL) -je suis
personnellement dans les produits laitiers et fromagers- a fait une
étude d'impact sur les consommateurs pour connaître leur position.
Je ne sais pas si elle est arrivée à votre connaissance, mais je
pourrai peut-être vous annexer ce rapport ou, du moins, le demander aux
services du CIDIL. Il s'agit d'une étude qui a porté sur la
listeria de 1988, sur celle de 1992 ou 1993 et, surtout, sur la crise
liée à l'ESB en 1996 et actuellement.
M. le Président
- Vous pourrez en effet nous la faire parvenir.
M. Claude Bellot
- Je pense qu'elle est intéressante en ce qui
concerne la position des consommateurs.
Je vous signale par ailleurs que la Confédération de la boucherie
a porté plainte, le 16 décembre 1996, avec constitution de partie
civile, et que le dossier est en cours d'instruction. Elle a réagi en
disant que, bien évidemment, c'était un tort causé aux
produits ainsi qu'aux détaillants qui avaient constaté, en 1996,
une forte baisse de consommation, plus difficile à remonter que
l'actuelle et que, bien sûr, il y avait eu des dépôts de
bilan et des fermetures, ce qui a engendré chez le consommateur des
soupçons et des critiques, sans parler du préjudice financier.
Si le président Perrin avait été là, il vous aurait
également parlé de la taxe d'équarrissage.
M. le Président -
D'autres nous en ont parlé...
M. Claude Bellot
- Cela ne m'étonne pas.
M. Paul Blanc
- Vous dites qu'il y a actuellement une certaine reprise.
A votre sens, à quoi est-elle due ? A l'ambiance
générale ou au fait que le consommateur trouve une meilleure
traçabilité ?
M. Claude Bellot
- Honnêtement, je pense que c'est une question de
traçabilité.
M. Paul Blanc
- Bien que le consommateur ne vérifie pas toujours,
il sait que son boucher peut lui fournir une traçabilité. Il
m'arrive assez souvent d'aller chez mon boucher, en particulier le samedi
--c'est souvent moi qui fais les courses--, et je peux dire que, dans le
magasin, les gens savent que l'étiquette existe mais que personne ne la
vérifie. C'est plutôt un sentiment général de
confiance.
M. Claude Bellot
- C'est vrai, mais les artisans ont, depuis 1996,
accordé une attention toute particulière à la
traçabilité et je pense que, vis-à-vis de leurs clients,
la confiance s'est renforcée à partir de cette date. Avec l'ESB,
il y a eu une réticence au départ parce qu'on ne savait pas
où on allait mais cette confiance est revenue.
Je pense que les professions alimentaires, d'une façon
générale, ont mis du temps à pouvoir compter sur la
reprise économique. Nous avons été l'un des derniers
secteurs dans lesquels les choses sont reparties, mais je ne pense pas que
l'impact soit dû à la reprise économique. Il est
sûrement dû à la confiance que les bouchers ont pu redonner
depuis quelques années et à la traçabilité.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Monsieur le Président, la
confédération que vous représentez est très
intéressée par l'origine des viandes que vous commercialisez.
Votre préoccupation, maintenant, va-t-elle jusqu'à rechercher
quelle est l'alimentation des bovins sur le territoire national ? Si oui,
quelles sont vos suggestions en matière de traçabilité,
d'information et d'étiquetage à l'adresse du consommateur ?
M. Claude Bellot
- Vous m'excuserez, mais je suis vraiment
incompétent pour vous répondre sur la viande. Je pense qu'il y a
effectivement une préoccupation de la profession au sujet de la
nécessité d'avoir cette traçabilité et de remonter
en amont le plus haut possible, mais je ne peux pas vous répondre dans
le détail. Cependant, je peux poser la question.
M. le Rapporteur
- Il serait intéressant que vous posiez la
question aux personnes compétentes de votre confédération.
M. Claude Bellot
- Pouvez-vous me la reformuler ?
M. le Rapporteur
- Nous nous doutons de votre préoccupation en
matière d'origine des viandes que vous commercialisez, mais cette
préoccupation va-t-elle maintenant au-delà, c'est-à-dire
sur la problématique de l'alimentation des animaux ? Si oui,
quelles sont les mesures que vous êtes prêts à mettre en
oeuvre pour mieux informer les consommateurs sur ce point ? Est-ce que
vous imaginez aller jusqu'à des contractualisations avec les producteurs
ou des circuits un peu plus courts qu'à l'heure actuelle au niveau de la
grande distribution, pour vous démarquer un peu plus et de façon
à mettre davantage l'accent sur la traçabilité et
l'identification ?
Je suis persuadé que vous devez avoir avec vous des gens qui
réfléchissent à cette problématique et qui ont des
idées et des propositions. Il serait donc intéressant que nous
puissions les avoir.
M. Claude Bellot
- D'accord, monsieur le Sénateur.
M. le Président -
Nous vous avons posé les questions
principales que nous voulions vous poser et nous comprenons bien la situation.
Nous préférons donc que vous nous répondiez par
écrit et que vous nous envoyiez les documents qui correspondent, car il
ne servirait à rien que nous vous posions d'autres questions. Il vaut
mieux faire de cette façon.
M. Claude Bellot
- Très bien, Monsieur le Président.
M. le Président -
Nous vous remercions infiniment d'avoir
été patient, puisque vous étiez arrivé en avance,
et nous vous demandons donc de nous répondre par écrit. Merci
beaucoup.
M. Claude Bellot
- Merci, monsieur le Président.
Audition de M. Jean-Jacques MENNILLO,
PDG de la société Agro
marchés internationaux
(28
février 2001)
M.
Gérard Dériot, Président -
Tout d'abord, merci,
monsieur Mennillo. Je rappelle que vous êtes M. Jean-Jacques Mennillo,
PDG de la société Agro marchés internationaux, que vous
êtes auditionné à ce titre dans le cadre de la commission
d'enquête du Sénat sur le problème des farines animales et
de la propagation de la maladie de l'ESB et qu'étant auditionné
dans le cadre d'une commission d'enquête, je suis obligé de vous
faire prêter serment. Auparavant, je vais rappeler les conditions dans
lesquelles fonctionne notre commission.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à MM.
Mennillo et Volant.
M. le Président -
Très bien. Dans un premier temps, je
vais vous passer la parole pour que vous nous disiez, à votre niveau, ce
que vous pensez du problème qui nous concerne, après quoi mes
collègues et moi-même vous poserons les questions que nous
souhaitons vous poser.
M. Jean-Jacques Mennillo
- Merci, monsieur le Président. Je vais
commencer par vous dire qui je suis et ce que je représente.
L'entreprise que je dirige et qui est installée sur huit pays en Europe
s'est spécialisée depuis de très longues années
dans tout ce qui est mise en marché des produits agro-alimentaires frais
dans lesquels entrent les produits de la pêche, les fruits et
légumes et, bien entendu, les animaux vivants. C'est sans doute à
ce titre que je me trouve ici aujourd'hui, d'autant plus que notre groupe a
développé, depuis mars 1989, une démarche de
traçabilité.
A cette époque --le mot "traçabilité" n'était pas
dans le dictionnaire il y a deux ans--, vous pouvez imaginer que c'était
une avancée considérable. Nous étions donc
considérés comme des gens très curieux et bizarres, tout
le monde ne voyant pas l'intérêt de la traçabilité
à cette époque. Aujourd'hui, évidemment, avec tout ce qui
se passe, en particulier avec l'ESB, la traçabilité est devenue
à l'ordre du jour et tout le monde en parle beaucoup.
Cependant, je ne suis pas certain que tout le monde sache avec précision
ce qu'on met dans la traçabilité et que les différents
opérateurs des différents intervenants sur les filières,
depuis le producteur jusqu'au consommateur final, savent exactement ce qu'on
peut mettre dans la traçabilité.
Bien entendu, je n'ai strictement aucune compétence en matière
d'ESB. En revanche, le gros avantage d'une entreprise comme la mienne et de
tous les gens qui font de la traçabilité, c'est de vivre au
quotidien avec les producteurs, avec les éleveurs, avec les
pêcheurs, etc., c'est-à-dire avec toutes les personnes qui font
les matières premières pour lesquelles nous avons mis en place
des services.
Vous savez par ailleurs que le Salon de l'agriculture vient de se terminer. Je
ne sais pas si vous avez eu l'occasion de le visiter, mais il était
remarquable de noter que, cette année, il n'y avait pas un seul stand
sur lequel on ne trouve pas le mot "traçabilité". Dieu sait ce
que cela recouvre, mais tout le monde se targue de faire de la
traçabilité.
Par ailleurs, on a vu ça et là apparaître des termes comme
"tiers de confiance" ou "nécessité absolue d'une forme de
labellisation" de cette traçabilité.
Tous ces éléments font qu'en tant que personnes qui parlons de la
traçabilité et qui la faisons de façon concrète
depuis plus de dix ans, nous sommes un peu choqués. Vous me permettrez
d'être très direct. Je crois qu'il faut arrêter d'insulter
(j'utilise le terme à dessein, même s'il peut paraître fort)
les producteurs, les éleveurs et les pêcheurs en leur parlant de
"tiers de confiance", de "contrôle", etc.
Je pense en effet que, dans la population des producteurs de l'agroalimentaire
et des produits frais, au sens très large du terme, il y a très
exactement la même proportion d'escrocs que celle que l'on trouve dans la
population nationale. On pourra parler de 0,8 ou 0,6 %. Vous me permettrez
de faire une autre lecture de ce chiffre, qui veut dire que nous avons 99,2 ou
99,4 % de gens qui font leur métier d'une façon claire,
nette et sincère, en véritables professionnels, qui tiennent
depuis la nuit des temps des cahiers d'élevage, puisque c'est le sujet
dont on parle aujourd'hui, des cahiers de culture ou des cahiers de
pêche, pour les pêcheurs, et qui ont découvert, de
même que M. Jourdain ne savait pas qu'il faisait de la prose, qu'ils
faisaient de la traçabilité depuis des décennies.
Nous qui nous targuons d'être des professionnels de la filière,
nous disons : "arrêtons, cela suffit !" Ces gens sont, dans leur
grande majorité, des vrais professionnels qui notent tout ce qu'ils font
sur les animaux et qui n'ont pas besoin du tout de tiers de confiance, voire de
gendarmes qu'il faudrait poster derrière chacun des producteurs.
Par conséquent, dans leur grande majorité, les éleveurs,
puisque le sujet porte sur les farines animales, de façon très
précise et détaillée, ont toujours noté ce qu'ils
faisaient, comme je viens de le dire. La grande nuance, aujourd'hui, c'est que,
premièrement, on a donné un nom à ce travail --c'est la
traçabilité-- et que, deuxièmement, on leur demande de
transmettre ces informations.
Que se passait-il jusqu'à ce qu'on rencontre tous ces problèmes
bactériologiques, ces maladies dues à des virus ou des prions sur
le marché ? Lorsqu'un camion venait charger la production ou les
animaux d'un éleveur, on ne transmettait pas le cahier d'élevage,
c'est-à-dire que le camion partait avec un produit qui avait eu une
traçabilité à un moment donné et qui arrivait chez
un autre opérateur, lequel refaisait lui-même sa propre
traçabilité pour ce qui se passait chez lui, et ainsi de suite
jusqu'au bout de la filière.
La nouveauté, c'est qu'il faut tirer un trait d'un bout à l'autre
et c'est le travail dans lequel le groupe que je préside s'est
engagé dans huit pays d'Europe. Cela implique un travail très
précis au contact des producteurs en leur donnant la capacité de
faire cette transmission.
Vous me direz qu'il existe des systèmes qui imposent aux producteurs de
fournir des informations sur le cheptel qui est géré à
l'intérieur de l'exploitation, sur les animaux qui sont à
l'intérieur de cette exploitation, sur les numéros des boucles de
chacun des animaux, sur les numéros des boucles des numéros de
cheptel, sur les numéros dans le cheptel, etc., autant de choses que
vous avez dû voir en détail depuis le début de vos
auditions. Toutes ces informations sont transmises à des bases de
données officielles qui sont gérées
généralement sur le plan national. En France, sauf erreur ou
omission de ma part, ce sont les ARSOE qui gèrent cela.
Je peux donc vous en donner la répartition, car cela peut être
intéressant : 70 % des inscriptions se font encore par minitel
aujourd'hui, bien que nous soyons à l'ère d'Internet --cela
prouve que c'est un bon outil--, mais nous n'abandonnons pas pour autant
Internet, puisque 5 % des éleveurs font leurs inscriptions sur les
bases officielles des ARSOE par Internet, et 25 % le font sur papier, soit
par fax, soit par courrier. C'est un système qui fonctionne parfaitement
bien et qui sert à renseigner une base de contrôle permettant
à tous les opérateurs, notamment les vétérinaires
et autres personnes chargées de contrôler la filière, de
pouvoir identifier ce qui se passe à l'intérieur de chaque
cheptel et de chaque exploitation.
Sur le petit document que je me suis permis de vous apporter, sur un seul
schéma --c'est parfois mieux qu'un long discours--, vous voyez une ligne
en pointillés qui sépare bien ce qui est du domaine des
inscriptions obligatoires officielles d'un autre monde complètement
différent : le monde du commerce et de la traçabilité
commerciale.
Ce qui est intéressant -vous trouverez cela dans un dossier que j'ai
apporté-, c'est de savoir quelles sont les attentes des personnes qui,
sur le marché, in fine, vont s'approvisionner avec le produit qui a
été élevé avec soin par les producteurs.
Mon groupe a fait faire un sondage par l'IFOP, dont je vous transmets quelques
échantillons, pour savoir quelles étaient les attentes des
distributeurs. Il s'agit d'un très gros document que je vais vous
résumer, sachant que, si vous souhaitez avoir le document in extenso, il
est bien entendu à votre disposition. Il est tout à fait
remarquable de voir qu'aussi bien les ménagères que les acheteurs
de la distribution finale, quelle que soit sa forme, sont des personnes qui
attendent de la tranquillité, si vous me permettez d'utiliser ce terme.
Ils veulent en effet savoir ce qui impose la traçabilité dans les
textes, par exemple le fait de dire que l'animal est arrivé chez M. un
tel, qu'il est reparti tel jour chez M. un tel, qu'il a été
transporté de telle façon vers tel marché et qu'il est
allé à tel abattoir, mais ce qui est beaucoup plus important et
intéressant, c'est ce qui est arrivé à cet animal,
à ce produit lors de son passage chez M. X, le contexte dans lequel cela
s'est fait et ce qu'il a mangé. Il s'agit de savoir si cet animal, parce
qu'il s'est blessé, a été vacciné et combien de
temps après avoir été vacciné il est allé
à l'abattoir. Ce sont des informations essentielles qu'il faut ajouter
aux éléments de traçabilité pour permettre à
un certain nombre d'acheteurs d'avoir des informations exhaustives sur un
produit.
C'est pourquoi nous faisons une distinction, sur le schéma que je vous
ai remis, entre des données obligatoires d'identification et des
données qui complètent la traçabilité par des
éléments commerciaux pour permettre d'informer l'aval des
marchés.
Cette information n'est pas neutre. Je vous ai dit tout à l'heure en
commençant que nous nous occupons de deux choses, la première
étant l'organisation des marchés et la commercialisation des
produits et la deuxième étant la traçabilité, qui
est absolument indissociable aujourd'hui. Or la mise en marché des
produits, aujourd'hui, ne peut plus être réalisée si les
éléments de traçabilité ne sont pas
communiqués aux marchés.
Nous nous retrouvons donc dans une période où la mise en place de
ces éléments qualitatifs qui viennent compléter la
traçabilité est essentielle pour fluidifier le marché et
vendre les produits.
Quelle est la situation exacte des éleveurs que nous connaissons ?
D'origine, je ne suis pas un grand spécialiste des bovins. Ce n'est pas
mon métier : j'ai commencé mon métier et mon
entreprise sur les problèmes de la pêche et des bateaux de
pêche, mais lorsque nous avons voulu aborder le marché des bovins,
nous sommes allés voir des spécialistes des bovins et avons
passé un accord avec eux. C'est ainsi que la plus grande structure
française de commercialisation de bovins sur pieds est notre partenaire
et que c'est avec elle que nous avons commencé à découvrir
et à vivre ce marché et le drame dans lequel vivent les
éleveurs aujourd'hui.
Je pense que vous devez savoir mieux que moi qu'il y a quinze jours, en
Bretagne, il a été créé un numéro vert "SOS
suicide éleveurs". Bon nombre d'éleveurs se trouvent dans une
situation absolument dramatique du fait de la psychose du marché
à l'heure actuelle. En effet, la commercialisation des bovins se fait
très mal (j'enfonce une porte ouverte car la presse s'en est fait
l'écho) et les prix ont chuté sur le marché ; c'est
un effet mécanique habituel.
Le problème, c'est qu'il n'y a pas que des marchés locaux et
nationaux. Il y a des marchés à l'étranger qui sont
parfaitement accessibles mais que l'on ne savait pas toucher et exploiter
encore très récemment. Je vous dis donc, sans vous en faire la
démonstration (sachant que je peux bien entendu la faire), que l'un des
très grands intérêts de ce qu'on appelle communément
aujourd'hui la mise en place des nouvelles technologies est de permettre
d'associer les éléments statistiques obligatoires, ce qu'impose
l'Etat, pour pouvoir suivre le cheptel, les éléments de
traçabilité et les éléments de qualité et
d'aboutir à une mise en marché, à une reprise commerciale
des exportations ou à la constitution de lots convenables (les
spécialistes pourront identifier ce que je viens de dire) afin de
réamorcer la commercialisation des produits.
Voilà, à grands traits et très rapidement, l'exposé
général que je peux faire en associant ce qui est obligatoire et
qui est géré par l'Etat de façon parfaite, disons-le, et
ce qui est absolument nécessaire commercialement pour permettre une
reprise.
Je vous ai dit que j'avais commencé mon métier avec le poisson.
Je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais, en février 1994, sauf
erreur de ma part, les pêcheurs ont mis le feu au Parlement de Rennes au
cours d'une manifestation un peu forte. C'est en tout cas ce qu'on a dit. Dans
quelle situation étaient les pêcheurs à cette
époque ? Il ne s'agissait pas de problèmes de virus ou de
maladies mais de problèmes d'organisation et de dynamisation du
marché pour toutes sortes de raisons.
Je ne ferai pas de parallèle entre le prion et les difficultés
que connaissait le poisson en 1994, mais le résultat était le
suivant : un marché stagnant et des pêcheurs qui
travaillaient extrêmement durement, au péril de leur vie, et qui
n'arrivaient pas à commercialiser leurs produits. Que s'est-il
passé entre 1994 et 2001 ? Les méthodes et les moyens mis en
oeuvre pour améliorer la commercialisation des produits, garantir la
qualité et assurer la traçabilité ont été
modifiés. On a intégré, dans les moyens de mise en
marché de ces produits, les nouvelles technologies.
Je peux vous dire qu'aujourd'hui, nous assurons un tout petit peu moins de
50 % des transactions de la pêche fraîche française, ce
qui fait quand même beaucoup. Savez-vous sur quoi cela se fait ?
Intégralement sur des systèmes électroniques.
Cela veut dire qu'il est temps, vu de notre côté, d'associer le
savoir-faire incontestable de 99,4 % des producteurs (et je
répète qu'il faut arrêter de les insulter) et de leur
donner les moyens de réaliser ce qui va leur permettre de sortir de la
crise dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui et à laquelle on a
encore ajouté une nouvelle couche de difficultés avec cette
véritable maladie qui est apparue et qui arrive à un très
mauvais moment.
Voilà le schéma général, monsieur le
Président. Bien entendu, je suis prêt à répondre
à l'ensemble de vos questions.
M. le Président -
Merci. Je vais passer la parole à notre
rapporteur pour qu'il puisse vous poser les premières questions.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Monsieur le Président, si je regarde
le petit document de synthèse que vous nous avez livré, je vois
que la traçabilité a pour but de rassurer le consommateur qui,
dans son supermarché, veut avoir davantage d'informations sur la
barquette ou le produit qu'il est en train d'acheter. Comment se déroule
ensuite tout le processus informatif ? On connaît le langage des
codes barres, mais ce n'est pas un langage qui parle directement au
consommateur. Par conséquent, à partir de votre structure,
comment le consommateur peut-il avoir ensuite toutes les informations
concernant les pièces de l'animal, son vécu chez
l'éleveur, etc. ?
M. Jean-Jacques Mennillo
- C'est une remarquable question, comme on le
dit à la télévision. Je vous remercie de me la poser parce
qu'elle me donne la possibilité d'expliquer comment un éleveur
(vous savez que nous en avons 230 000 ou 240 000 en France) peut transmettre
toutes les informations qui sont nécessaires à l'aval pour
valoriser le produit, sécuriser l'ensemble des personnes et garantir la
qualité des produits.
Au-delà de la traçabilité stricto sensu, qui est
obligatoire et qui consiste à dire où était le produit
à tel moment et où il est passé, j'ai insisté tout
à l'heure sur tout le côté qualitatif qu'il faut ajouter et
qui, en fait, se retrouve dans les cahiers d'élevage de chacun des
éleveurs dans lesquels il dit ce qu'il fait.
Il importe de donner une façon simple à l'éleveur de
transmettre ses informations. J'ai parlé des nouvelles technologies et,
évidemment, on parle tout de suite d'Internet, mais tous les
éleveurs français ne disposent pas d'Internet. Pour une
entreprise comme la mienne, notre réponse a été
extrêmement simple, mais nous ne sommes pas les seuls à faire de
la traçabilité dans le monde, fort heureusement : elle se
retrouve dans ce petit appareil.
(M. Mennillo montre un téléphone portable.)
Il suffit de donner la possibilité à chacun des éleveurs
de nous appeler sur un numéro, après avoir été
abonné à notre base de données, et de nous transmettre des
informations. C'est extrêmement simple, cela prend quelques dizaines de
secondes chaque jour ou toutes les semaines et cela nous permet de saisir pour
leur compte un certain nombre d'informations qualitatives qui vont venir
ajouter des éléments sécurisants à l'ensemble du
produit.
C'est un exemple parmi beaucoup d'autres. Il y a également le fax et,
évidemment, l'Internet.
M. Paul Blanc
- Le problème, c'est que, dans
l'arrière-pays, il y a des endroits où ni Itinéris, ni SFR
ne passent, mais fermons la parenthèse... (Rires.)
M. Jean-Jacques Mennillo
- Monsieur le Sénateur, intervenez pour
qu'il n'en soit plus ainsi.
M. Paul Blanc
- Je suis fatigué d'intervenir...
M. le Rapporteur
- En quelque sorte, votre société
gère une banque de données qui est nourrie par les informations
que vous livrent les éleveurs.
M. Jean-Jacques Mennillo
- Exactement.
M. le Rapporteur
- Il faut donc qu'il y ait une interrogation de la part
du consommateur qui vient d'acheter son produit dans un supermarché.
M. Jean-Jacques Mennillo
- C'est vrai, mais cela ne se passe pas
exactement de cette façon. Lorsqu'un lot est proposé à un
organisme de distribution, que ce soit la grande distribution ou autre chose,
il est évident que beaucoup d'offres se font électroniquement
aujourd'hui et que les avant-derniers vendeurs font leurs offres aux acheteurs
de la distribution par des moyens électroniques. A ce moment-là,
nous associons aux lots l'ensemble des fiches de traçabilité pour
que l'acheteur puisse disposer de ces informations en ligne.
M. le Rapporteur
- J'ai bien compris l'ensemble du système mais
ce qui me manque, c'est le dernier chaînon, si je puis dire.
M. Jean-Jacques Mennillo
- J'y arrive si vous me le permettez. Cela
donne la possibilité à l'acheteur qui a choisi un lot (parce
qu'il ne choisit évidemment pas la totalité des lots qui lui sont
proposés) de faire selon les moyens qu'il a jugé utiles. Parmi
ces moyens, il peut fort bien imprimer tout ou partie des informations, sachant
que toutes les informations ne sont pas bonnes à donner au consommateur
final.
Je crois savoir qu'il y a des médecins, des vétérinaires
ou des pharmaciens parmi vous. Vous pouvez imaginer ce que peut penser une
ménagère à qui on dit que, dans telle entrecôte, il
y a 800 000 germes au gramme en flore totale mésophile à
30 degrés. Elle va partir en courant alors que c'est une norme
parfaite. La ménagère ne sait pas que, sur le bout de sa langue
ou de la mienne à l'heure actuelle, nous flirtons avec les 2,5 millions
ou les 3 millions de germes au gramme et que cela n'empêche personne de
se porter très bien.
On ne va donc pas dire cela à la ménagère. On va lui dire
que c'est un produit conforme aux normes, aux règles, aux cahiers des
charges ou à un cahier des charges de label, par exemple. A partir du
moment où la centrale d'achats a eu le choix entre les lots, a pu
obtenir la traçabilité on line et a choisi un produit de
qualité en toute conscience, elle dispose des moyens de transmettre ces
informations jusqu'au point de vente final.
Je vous donne un exemple. Nous sommes en train de travailler à l'heure
actuelle sur la mise en place de bornes interactives de saisie pour permettre
aux charmantes mamans de nos bambins de savoir ce que leurs enfants vont manger
à l'école et, dans les semaines qui viennent, on pourra savoir
d'où vient la vache qui a donné le steak que l'on va donner
à ces bambins. C'est une information importante qui permet de
sécuriser l'ensemble et d'être conforme aux normes et aux
règles qui sont imposées sur la traçabilité en
ajoutant des informations de nature commerciale.
Je vous choque peut-être en disant que je fais non pas un amalgame mais
un parallèle entre l'efficacité commerciale et la gestion de la
traçabilité à laquelle on ajoute des
éléments qualitatifs. Sans les deux, on ne sortira pas de la
crise la tête haute parce qu'il faut que les ventes reprennent. Donc il
faut bien transmettre les deux informations.
Vous voyez que, sur le schéma que je vous ai remis, j'ai fait une
distinction très précise entre les informations obligatoires qui
sont l'apanage des organismes de contrôle de l'Etat habilités
à faire ces contrôles et les éléments commerciaux
qui relèvent d'un autre monde, le monde du commerce et du business, qui,
in fine, est celui qui valorise le travail rigoureux et difficile que le
producteur a réalisé dans son exploitation.
M. le Rapporteur
- Dans un domaine à peu près voisin, en
ce qui concerne par exemple la traçabilité
génétique, l'analyse de l'ADN est-elle, pour vous, une chose qui
doit se développer et qui a un avenir compte tenu de son prix ?
M. Jean-Jacques Mennillo
- A titre personnel, ma réponse est oui,
mais, en tant que chef d'entreprise, je n'ai pas à porter de jugement.
En tout cas, je peux vous dire que nous avons pris des dispositions pour
recevoir des informations provenant de laboratoires agréés et
pour les stocker en parallèle sur la base de données.
Nous l'avons prévu et nous sommes en train de le mettre en place. Nous
avons un partenaire mondial pour ces opérations, dont je ne dirai pas le
nom mais qui est l'un des plus grands au monde en matière de bases de
données et nous développons avec lui le stockage de ces
informations sur notre base de traçabilité. C'est un
élément qui doit nous permettre de suivre de façon
extrêmement précise et sans aucun doute le produit d'un bout
à l'autre.
Cela étant dit, monsieur le Sénateur, vous me permettrez de
revenir sur un élément sur lequel je n'ai pas insisté. Il
faut savoir ce que coûte, pour un éleveur, le fait de gérer
sa traçabilité. Comme cela vous intéresse sans doute, je
vais vous donner ces éléments de coût. Entre les
abonnements au serveur et les coups de téléphone qu'il a à
donner, le coût est d'un peu moins de 300 F par mois. Pour un certain
nombre de personnes, cela peut apparaître comme très bon
marché. Pour un éleveur, je vous assure que ce n'est pas
neutre : cela fait environ 3 600 F par an. Je pense donc qu'à ce
sujet -mais c'est vous qui êtes juges-, il conviendrait d'instaurer une
aide aux éleveurs pour ce genre d'opération, non pas une aide
directe ou financière mais plutôt un avoir fiscal ou une chose de
ce genre.
Ne vous méprenez pas. Mon groupe a été construit sur fonds
privés, sans subventions. Nous ne réclamons aucune subvention.
Nous disons simplement que, pour que ces services soient accessibles au plus
grand nombre, que ce soient les nôtres ou les services d'autres
entreprises (encore une fois, nous ne sommes pas les seuls, même si nous
sommes les premiers et les plus gros en Europe), il conviendrait qu'une aide
appropriée soit mise en place pour aider cette chose-là.
C'est l'une des conditions sine qua non de l'efficacité de la
sécurisation du marché et d'une véritable reprise de la
commercialisation, qui sont deux éléments essentiels sans
lesquels on va constater la crise sans savoir comment en sortir tant que la
psychose n'est pas terminée.
J'ajoute que nous avons des discussions extrêmement précises,
aujourd'hui, avec des compagnies d'assurance, parce que nous disons que la
traçabilité pourrait fort bien être gérée
comme une assurance. Il faut réfléchir à ce sujet.
M. le Président -
Permettez-moi de vous reposer une question.
Votre entreprise met donc à disposition, moyennant un abonnement, une
banque de données dans laquelle sont rentrées toutes les
caractéristiques de l'animal, mais cela s'arrête-t-il
là ?
M. Jean-Jacques Mennillo
- Pas du tout. Si cela s'arrêtait
là, nous ne serions pas distincts des stockages d'informations que font
à juste titre les organismes officiels. La vocation de ce stockage est,
bien entendu, de déboucher sur quelque chose.
M. le Président -
D'accord. Ensuite, vous faites donc la
commercialisation ?
M. Jean-Jacques Mennillo
- C'est très complet, mais je ne vais
pas entrer dans les détails. Dans l'ensemble du système, vous
avez des animaux qui vont être mis en vente dans des marchés
physiques, par exemple des marchés comme Guerlesquin, où on va
vendre l'animal aux enchères à des acheteurs qui sont autour.
Nous gérons ce marché, c'est-à-dire que nous avons des
systèmes, à l'intérieur du marché, qui permettent
à l'exploitant du marché d'utiliser des moyens
électroniques. On ne se tire plus l'oreille ou on n'aboie plus
très fort pour dire que l'on est acheteur d'un animal ; on appuie
sur un bouton et notre base de données est derrière ce bouton,
c'est-à-dire qu'elle est capable de dire que tel animal de M. Mennillo
qui vient d'arriver en vente dans le marché vient d'être
racheté par M. X à un prix qui existe, qui est connu et qui
permet de sortir les statistiques commerciales du marché en temps
réel, sur écran. Aujourd'hui, sur Internet, si vous vous
connectez sur notre système, vous avez les cours en temps réel.
M. Paul Blanc
- C'est la criée, en fait.
M. Jean-Jacques Mennillo
- Exactement. Un animal, par exemple, va passer
quelques semaines ou quelques mois dans un élevage quelconque, ce qui
est très bien : on sait où il est allé, après
quoi il va réapparaître sur le marché parce qu'il va
être engraissé, et, au bout de quelques mois, l'éleveur qui
sera détenteur de l'animal va dire qu'il est temps de le vendre. On en
arrive alors dans la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui :
comme il n'y a plus de marché, il n'arrive pas à écouler
son animal et comme on est en hiver, il faut qu'il achète des aliments.
On retrouve tout ce que l'on connaît aujourd'hui et ce que la presse a
longuement retracé.
J'énonce une nuance extrêmement importante qu'il faut bien
comprendre. Dans tout ce qui est distribution et exportation, vous avez
aujourd'hui l'apparition de cahiers des charges du fait même des
difficultés. Cela veut dire que tout acheteur qui va proposer un produit
a un cahier des charges de plus en plus exigeant et contraignant.
Je vais schématiser cela de façon très simple. On ne vous
dit plus : "je veux 200 tonnes de viande pour alimenter mes
restaurants" ; on vous dit : "je veux 200 tonnes de viande selon le
cahier des charges n° X".
Il y a trente-quatre ans que je suis dans le métier, monsieur le
Président. Quand j'ai commencé, les cahiers des charges que nous
recevions représentaient deux pages alors qu'aujourd'hui, on
reçoit des cahiers des charges de quatre kilos dans lesquels on va tout
vous définir : la longueur et la largeur minimum ou maximum de
l'entrecôte, comme si la nature faisait tout au moule, le taux
d'aponévrose, le taux de graisse, la longueur des fibres, la couleur de
la viande (en fait, on ne vous parle pas de la "couleur de la viande" mais de
sa couleur selon tel colorimètre et tel numéro), etc. Cela veut
dire que c'est de plus en plus contraignant.
Mettez-vous à la place d'un acheteur --les puristes vont me pardonner de
schématiser-- ou d'un exploitant qui va, dans un abattoir, acheter ces
200 tonnes de viande. Autrefois, il disait : "je veux 200 tonnes de
viande", tous les négociants du coin allaient dans les marchés et
dans les fermes trouver les 800 vaches qui faisaient les 200 tonnes de viande
finie et c'était terminé ! Aujourd'hui, avec les cahiers des
charges et les contraintes, l'acheteur ne demande plus 800 vaches ; il
dit : "il me faut 800 Holstein de quatre ans". Comment pouvez-vous les
trouver si vous n'avez pas une base de données ? Il vous faut une
base de données. C'est notre travail.
M. le Rapporteur
- Votre société existe depuis quelle
année ? Depuis 1984 ?
M. Jean-Jacques Mennillo
- J'ai commencé avec une entreprise de
conseil en 1984, nous sommes passés aux "nouvelles technologies" (ce qui
était à l'époque les nouvelles technologies) en mars 1989,
ce qui ne date pas d'hier matin, et nous sommes passés sur les bovins il
y a deux ans en faisant une joint venture avec la SICAMOB, que je citais tout
à l'heure et qui est l'une des plus grandes structures françaises
de commercialisation.
Nous venons par exemple de reprendre la majorité des quatre plus grands
marchés de bestiaux en Hollande mais nous sommes également
implantés en Allemagne, où nous avons importé des
systèmes pour la gestion des marchés.
M. le Rapporteur
- Combien avez-vous de personnes dans votre
société ?
M. Jean-Jacques Mennillo
- J'ai 160 ingénieurs aujourd'hui et
l'équivalent d'une capitalisation boursière de l'ordre de 450
millions de francs.
M. le Rapporteur
- Où sont-ils basés ?
M. Jean-Jacques Mennillo
- Ils sont répartis entre la France,
l'Espagne, l'Allemagne, l'Angleterre, la Hollande, la Finlande, l'Islande (nous
détenons l'équipement de la totalité des 31 criées
au poisson d'Islande), le Maroc, la Tunisie et, au travers de la Tunisie,
l'Algérie et la Libye.
Nous sommes en train de nous installer en Pologne, parce que nous avons
commencé des accords commerciaux pour la traçabilité des
produits polonais et leur commercialisation, et nous y serons installés
physiquement d'ici deux mois. Nous serons également en Grèce
avant les vacances.
C'est une entreprise totalement privée qui se développe. Nous
avons fait le contraire de ce que l'on voit dans les "dot.com" ou les nouvelles
technologies : nous sommes partis de quelque chose de très
concret : le sol, la discussion avec les agriculteurs et les producteurs
et la connaissance de leur métier. Sur les 160 ingénieurs qui
sont chez moi, 130 sont des spécialistes de l'agroalimentaire, de
l'aquaculture, du poisson et de l'halieutique, et il n'y a que quelques
ingénieurs informaticiens, c'est-à-dire que ce n'est pas la
cohorte de masse. Pour nous, l'informatique, c'est de la plomberie. Ce qui est
important, c'est d'être capable de discuter avec l'éleveur et de
connaître son problème pour lui ciseler un produit qui va lui
permettre d'être performant.
Je vous livrerai une dernière anecdote, si vous me le permettez. Il y a
trois semaines, l'un de mes amis, au fin fond de la France profonde, m'a dit un
jeudi soir : "à 20 h 30, je réunis quelques-uns de mes
éleveurs qui ont besoin de discuter parce qu'ils ont vraiment de
très gros problèmes". Le matin même, il me
téléphone en disant : "je suis navré, mais je n'en
aurai que quatorze". Je lui ai répondu que j'avais promis de venir et
que je viendrais. C'était un jeudi et il y avait un quelconque "Navarro"
à la télévision. Nous pensions que nous n'aurions personne.
Je peux vous dire, messieurs, qu'il y avait 137 personnes dans la salle et
qu'à minuit moins le quart, ces éleveurs étaient encore en
train de nous poser des questions pour savoir comment ils allaient pouvoir s'en
sortir et si, en faisait ceci ou cela, ils seraient performants sur le
marché.
Il faut avoir vécu cela pour voir l'état et la situation dans
lesquels ils sont. Il y a tout ce qui peut être fait du point de vue
administratif pour contrôler les choses, mais je répète une
troisième fois avec force --vous me pardonnerez--qu'il faut
arrêter de mettre un gendarme derrière eux. Ils n'en ont pas
besoin. Ce sont des gens qui travaillent de façon dure et raisonnable
pour faire un produit de qualité et qui sont prêts à se
suicider quand on leur démolit leur troupeau. Il faut le savoir.
Ajoutons à la performance de ces gens des outils d'aujourd'hui. Ce n'est
pas de leur faute si on élève les vaches de la même
façon depuis des centaines d'années et ce n'est pas leur faute si
le marché qui est chargé de vendre leurs produits a changé
d'outils. On est en train de confronter des gens qui sont en trottinette
à des gens qui sont en BMW de l'autre côté. Il faut
harmoniser les moyens.
Nous essayons d'y parvenir en connaissant finement le travail de ces
producteurs et en leur donnant des outils d'une façon aussi transparente
que possible. Qu'ils prennent le téléphone s'ils ne savent pas
travailler sur un écran. Il s'agit d'adapter leurs moyens aux exigences
de ceux qui sont chargés de mettre en vente leurs produits. Voilà
le vrai challenge. Nous attendons donc une collaboration étroite sur ce
plan.
Sur mon schéma, j'ai mis une ligne en pointillés entre les deux
bases de données avec un point d'interrogation. Ma base de
données, en Hollande, est connectée avec la base de
données officielle de la Hollande. Nous l'avons obtenu du gouvernement
hollandais sans aucun problème. Notre base de données, en
Allemagne, est connectée avec la base officielle allemande. Même
en Pologne, sans être encore une société polonaise, nous
avons obtenu la même chose. Je ne dirai pas que nous avons des
difficultés en France, mais nous attendons toujours la
possibilité d'obtenir des informations sur une base de données
officielle. C'est un élément de fond.
M. le Président -
Très bien, nous vous remercions de cette
intervention et nous réfléchirons sur ce sujet
Audition de Mme Annick ALPÉROVITCH,
Directrice de l'unité
Inserm 360 à la
Pitié-Salpétrière
(28 mars 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Je vous remercie d'avoir
répondu à notre convocation. Je rappelle que vous êtes
Madame Annick Alpérovitch, Directrice de l'unité INSERM 360
à la Pitié-Salpétrière. C'est en tant que
Directrice de ce service et de vos fonctions d'épidémiologiste
que vous êtes auditionnée aujourd'hui dans le cadre de la
commission d'enquête sur les farines animales du Sénat et que,
dans le cadre de cette commission d'enquête, nous sommes obligés
de vous faire prêter serment.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à Mme
Alpérovitch.
M. le Président
- Pouvez-vous nous donner votre avis sur ce
problème ESB et surtout sur la maladie de Creutzfeldt-Jakob et
l'épidémie qui a pu se développer ? Ensuite, nous
poserons les questions qui nous sembleront utiles pour éclairer notre
investigation.
Mme Annick Alpérovitch
- Je vais brièvement situer le
contexte général des recherches que nous avons en cours sur la
maladie de Creutzfeldt-Jakob, recherches que nous avons commencé
à mettre sur pieds fin 1990. Pourquoi en 1990 entreprendre des
études épidémiologiques sur cette maladie ? C'est
avant tout dans un objectif de connaissance. La maladie de Creutzfeldt-Jakob
est une maladie passionnante, la maladie sporadique, sans parler du nouveau
variant qui nous préoccupe actuellement, sur lequel on sait encore
très peu de chose. En 1990 il y avait eu très peu d'études
cas témoin pour trouver les facteurs de risque de la maladie sporadique.
Des éléments nouveaux étaient connus depuis peu de temps,
en particulier les facteurs génétiques qui influencent la
susceptibilité à la maladie. En 1990, il nous avait paru
intéressant, sur un plan de connaissance scientifique
épidémiologique de la maladie, d'entreprendre une étude
sur l'ensemble du territoire national sur l'incidence et les facteurs de risque
de la maladie de Creutzfeldt-Jakob essentiellement sporadique puisque à
l'époque il n'était pas question de nouveaux variants.
C'était la préoccupation principale de notre recherche et
l'objectif principal. Il y avait déjà à cette
époque, en arrière-plan de cette étude, une
préoccupation de santé publique.
A la fin de 1990, l'épidémie d'ESB en Grande-Bretagne
était déjà importante ; il y avait déjà
plusieurs centaines de cas à l'époque par an en 1991 et
1922 ; on a culminé en 1993 à 30 000 cas par an. En
1990 l'épidémie était déjà importante. Cette
épidémie remettait en question un certain nombre de postulats qui
venaient de la recherche expérimentale, et en particulier que la
barrière entre les espèces, si elle n'était pas absolue,
était cependant assez solide pour que la possibilité d'un passage
inter espèce dans des conditions naturelles apparaisse comme très
peu probable. L'épidémie d'ESB remettait en question ce postulat.
En 1990 en effet, l'hypothèse qui a été faite assez
rapidement est que l'épidémie avait pour origine l'adaptation
d'une souche scrapie aux bovins, même si cette hypothèse est
remise en question aujourd'hui. En 1990, c'était l'hypothèse
principale.
L'autre postulat que remettait en question l'épidémie d'ESB et
qui reposait également sur des faits expérimentaux est la
très faible probabilité d'un passage inter espèces par
voie orale dans des conditions naturelles. En laboratoire il fallait se placer
en situation extrême pour obtenir ce passage. L'épidémie
d'ESB en Grande-Bretagne montrait que dans des conditions naturelles,
exceptionnelles mais naturelles, il pouvait y avoir transmission inter
espèces de la maladie par voie orale puisque non seulement les bovins
étaient contaminés par voie orale, mais aussi d'autres
espèces comme des chats et des animaux de zoo.
Cette souche de Prion responsable de l'ESB ayant été transmise
à différentes espèces, il fallait ne pas
complètement écarter la possibilité, même s'il elle
paraissait très peu probable, qu'elle puisse se transmettre à
d'autres espèces et bien sûr l'espèce humaine.
Un moyen de disposer d'une alerte si ce passage devenait réalité
est de disposer de données épidémiologiques très
solides sur la maladie de Creutzfeldt-Jakob pour détecter tout
changement de la fréquence de cette maladie qui pourrait constituer une
alerte et ce réseau mis en place en France pour surveiller l'incidence
de la maladie sur le territoire était en relation avec le réseau
qui se mettait en place en Grande Bretagne pour surveiller l'incidence de la
maladie de Creutzfeldt-Jakob dans ce pays et dans d'autres pays
européens comme à ce moment-là l'Allemagne, l'Italie, la
Slovaquie et les Pays Bas, qui ont fait partie du premier réseau de
surveillance de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Ce premier réseau
européen a commencé à travailler en 1993.
Les événements et l'évolution que vous connaissez ont
montré l'importance d'avoir mis sur pied cette surveillance. Lorsque les
2 premiers cas de nouveaux variants de la maladie de Creutzfeldt-Jakob sont
survenus en Grande Bretagne avec des décès à la fin 1995,
les données dont disposait l'ensemble du réseau européen,
qui montraient que la maladie sporadique n'existait pas pratiquement aux
âges où on avait observé le nouveau variant -les 2 premiers
cas publiés avaient moins de 20 ans-, l'ensemble des données
recueillies au niveau du réseau européen qui travaillait depuis
plus de 3 ans permettaient de dire que, dans ce réseau, on n'avait
observé aucun cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob à ces
âges, en dehors des cas iatrogènes liés à l'hormone
de croissance, et que donc il se passait là probablement un
phénomène qui méritait l'attention, même si on ne
savait pas à ce moment qu'il s'agissait d'un nouveau variant et de la
transmission à l'ESB.
Voilà le contexte général de nos recherches. Notre travail
consiste à essayer de faire un enregistrement le plus exhaustif de tous
les cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob survenant en France, qu'il s'agisse de
maladie sporadique, génétique, ce travail se fait en relation
avec le Centre National de Référence pour les maladies
iatrogènes, et bien sûr de nouveaux variants.
L'ensemble du dispositif de surveillance est cordonné depuis
l'année dernière par l'Institut National de la Veille Sanitaire,
à qui nous transmettons de manière régulière des
données sur la fréquence des formes de la maladie en France et
l'Institut National de la Veille Sanitaire transmet les données
françaises au niveau européen.
Concernant la maladie sporadique, qui est de très loin la plus
fréquente en France, depuis que le système de surveillance a
été mis en place, nous avons observé une augmentation
régulière du nombre de cas de maladie sporadique. L'incidence de
la maladie est passée d'une quarantaine de cas par an en 1992, qui est
la première année où nous avons disposé de
données considérées comme exhaustives pour l'ensemble du
territoire, d'une quarantaine de cas en 1992 donc à 80 en 1999
2000 ; le nombre de cas que nous avons recensés a doublé au
cours de cette période de 12 ans, tout en restant très
modéré puisque nous sommes passés de 40 à 80 par an.
Lorsqu'on regarde un peu plus en détail cette tendance à
l'augmentation de l'incidence, on s'aperçoit qu'elle s'explique
essentiellement par une augmentation de l'incidence chez les personnes les plus
âgées, alors qu'on observe pas d'augmentation de l'incidence avant
60 ans. Ce phénomène d'augmentation de l'incidence parmi les
groupes d'âge les plus âgés se retrouve dans l'ensemble des
pays européens qui surveillent la maladie, quel que soit leur niveau
d'exposition à l'ESB. Il est interprété
généralement comme le résultat d'une meilleure
surveillance de la maladie qui, probablement, auparavant, était
sous-estimée dans les groupes d'âges les plus âgés.
Nous avons aussi étudié la répartition des cas de maladie
de Creutzfeldt-Jakob sporadiques sur l'ensemble du territoire à la
recherche d'éventuels foyers de la maladie qui pourraient nous mettre
sur la piste de facteurs de risque. Je parle là de la maladie sporadique
classique. En fait l'analyse que nous avons faite ne montre pas de
résultat très important. Le seul foyer potentiel qu'a mis en
évidence l'analyse statistique est un petit foyer de 3 cas dans le
sud-ouest de la France mais il faut être très prudent dans
l'interprétation des foyers parce que l'effet du hasard peut expliquer
des occurrences exceptionnelles. Il est très difficile de retrouver un
lien entre des cas dans un petit foyer parce que des personnes vivant dans une
même région ou un même village depuis des années,
parfois depuis leur naissance, ont des habitudes communes qui ne permettent pas
de faire un lien entre ces habitudes et l'origine de la maladie.
Nous avons comparé les facteurs de risque des malades atteints de
maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique à ceux de témoins sans
mettre en évidence de résultat très net en dehors, mais
c'est retrouvé dans toutes les études et depuis longtemps, d'un
discret excès de cas parmi les professions liées à
l'agriculture ou à l'élevage, mais c'est un résultat connu
depuis longtemps et qui existait bien avant l'apparition de l'ESB en Grande
Bretagne. Concernant le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, le
premier cas français est survenu pratiquement en même temps que
les premiers cas britanniques. Le premier patient est
décédé en 1996. Ses premiers symptômes
étaient survenus 12 à 18 mois plus tôt. Le premier cas est
survenu en France en même temps que les premiers cas en Grande Bretagne.
Depuis ce premier cas il y a eu un autre cas confirmé en France qui est
décédé en 2000. Actuellement, il y a un troisième
cas probable sur la base des critères cliniques disponibles.
Il n'y a pas, à notre meilleure connaissance aujourd'hui, d'autre cas de
nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob en cours d'évolution
en France. En termes de nouveau variant, la situation
épidémiologique générale en Europe est de 96 cas
confirmés ou probables en Grande Bretagne, 3 cas en France et un en
Irlande. Il n'y a de cas dans aucun autre pays européen.
M. Jean Bizet, rapporteur
- L'évolution au cours de
l'année passée du nombre de cas britanniques de nouveaux variants
de la maladie de Creutzfeldt-Jakob a-t-elle pour conséquence de
réévaluer dans un sens pessimiste les estimations
réalisées pour la France ? L'an passé, on est
passé à 29 cas en Angleterre.
Mme Annick Alpérovitch
- Je ne crois pas que cela doive
être interprété de manière pessimiste. Si on fait
l'hypothèse que la durée d'incubation de nouveaux variants
pourrait être au minimum de l'ordre de 15 à 20 ans et que l'on
voit l'image de ce qu'a été l'allure de l'épidémie
d'ESB en Grande Bretagne, on peut s'attendre, avec les premiers cas
diagnostiqués en 1985 -il y avait une cinquantaine de cas puis
augmentation très rapide jusqu'en 1989, où les premières
mesures de réduction de risque ont été prises en Grande
Bretagne avec interdiction de certains tissus dans l'alimentation humaine, dans
cette période, il y a eu augmentation très forte de l'exposition
de la population anglaise _cette période a probablement duré 5
ans- sans mesure de réduction de risque-, on doit s'attendre à
trouver pendant au moins 5 ans et peut-être plus une augmentation de
l'incidence de la maladie en Grande Bretagne parallèle à
l'augmentation de l'exposition qui a eu lieu entre 1985 et 1990. On pourrait
s'attendre à ce que l'année prochaine on puisse avoir plus de cas
qu'en 2000 sans que cela puisse être considéré comme un
élément alarmant. C'est un élément attendu compte
tenu de l'allure de l'épidémie d'ESB. Entre 1985 et 1990, la
population de Grande Bretagne a été de plus en plus
exposée sur cette période de 5 ans, et on voit actuellement, et
c'est plutôt bon signe car cela veut dire peut-être que la
durée d'incubation est peut-être moins longue qu'on ne pourrait le
craindre, on voit actuellement une augmentation du nombre de cas, qui pourrait
encore augmenter pendant un, deux, trois ans sans que ce soit vraiment
très alarmant.
M. le Rapporteur
- 2 épidémiologistes se sont
penchés sur les modélisations et la prospective de
l'évolution de la maladie, Monsieur Anderson et vous-même sur le
territoire national. Confirmez-vous les chiffres que vous annonciez,
c'est-à-dire peu près 300 cas sur une vingtaine d'années
en France ? Vous faudra-t-il encore deux ou trois ans pour les confirmer
ou les infirmer ?
Que pensez-vous de la projection de votre confrère Monsieur Anderson sur
les 136 000 cas ? Il était passé de 580 000
à 136 000 pratiquement.
Mme Annick Alpérovitch
- Je me suis appuyée sur la
projection d'Anderson pour essayer d'en déduire ce que pourrait
être l'épidémie en France en considérant que la
projection est valide et qu'on peut la prendre en compte. Compte tenu des
très nombreuses incertitudes sur le nouveau variant et l'incertitude qui
pèse le plus et qui gêne le plus les prédictions, celle sur
la durée d'incubation, l'équipe d'Anderson a effectué une
modélisation en simulant un très grand nombre possible de
durées d'incubation, des plus courtes aux plus longues, les plus courtes
étant moins de 10 ans ou 20 ans, ce qui est probablement une
hypothèse optimiste, jusqu'à des durées d'incubation
très longues puisque leur travail a pris en compte des durées
d'incubation moyennes de plus de 60 ans. Une durée d'incubation moyenne
de plus de 60 ans, cela veut dire que, pour un nombre de patients non
négligeable, pour presque plus de 50% des patients, la durée
serait de plus de 60 ans. On est dans des scénarii qui ne sont
probablement pas les plus plausibles et qu'il est difficile de maîtriser
complètement lorsqu'on se place à cet horizon.
Selon la durée d'incubation que l'on considère, le nombre de cas
que l'on peut envisager est très différent. Dans cette
hypothèse qui est la plus pessimiste mais peut-être pas la plus
plausible, qui est une durée d'incubation en moyenne de 60 ans, la
modélisation d'Anderson donnait une borne supérieure de
l'intervalle qui était de 136 000. La borne inférieure
était beaucoup plus basse.
Lorsqu'on écarte la durée d'incubation moyenne de plus de 60 ans
et qu'on admet qu'elle ne peut dépasser 60 ans, la borne
supérieure de la prédiction, dans l'hypothèse la plus
pessimiste, est 6 000 cas pour la Grande Bretagne. 136 000 est la
borne supérieure de l'intervalle pour une durée d'incubation de
plus de 60 ans en moyenne. Si on considère que la durée
d'incubation moyenne ne dépassera pas 60 ans, ce qui laisse la
possibilité que pour certaines personnes elle soit supérieure
à 60 ans, ce qui est déjà une durée d'incubation
très longue, pour laquelle on n'a pas de précédent et
d'exemple dans l'espèce humaine, sous cette hypothèse la
modélisation d'Anderson trouve qu'au maximum le nombre de cas attendus
en Grande Bretagne serait de 6 000.
Si on retient cette borne supérieure, qui est déjà
supérieure -la valeur inférieure de l'intervalle est beaucoup
plus basse- et que l'on essaie d'évaluer quel a été le
niveau d'exposition de la population française par rapport à la
population britannique, les données dont on peut disposer, avec les
réserves qu'on peut faire sur leur validité, laissent penser que
la population française a pu être exposée entre 10 et 20
fois moins que la population britannique, et probablement plutôt 20 fois
moins. Ce raisonnement est très simpliste, s'appuyant sur la
modélisation d'Anderson, en faisant l'hypothèse qu'il y a
relation entre le niveau d'exposition et le nombre de cas, qui est une
hypothèse raisonnable, on peut envisager pour la France un nombre de cas
qui serait d'un petit nombre de centaines dans les dizaines d'année
à venir.
M. le Rapporteur
- Pourtant la population française a
été celle qui a été la plus exposée au
regard du nombre de quantité d'abats que nous avons importé dans
les années critiques par rapport aux anglo-saxons.
Mme Annick Alpérovitch
- Je ne suis pas la mieux placée
pour parler de ce sujet. Malgré tout, le tissu dont le pouvoir
infectieux est le plus important chez l'animal est le système nerveux
central. Les autres tissus, même si dans certains on sait qu'il y a de
l'infectivité, ont un niveau d'infectivité bien inférieur
au système nerveux central.
C'est peut-être ce tissu qui est le plus critique et qui peut expliquer
les différences de niveau d'exposition entre les différents pays.
Le cerveau, la moelle épinière ne sont pas des abats directement
utilisés dans la consommation humaine de manière la plus
fréquente. Concernant cette importation d'abats, ce ne sont
peut-être pas les abats les plus à risque pour l'homme.
M. le Rapporteur
- Y aurait-il une fraction de la population
française plus exposée sur le plan physiologique, on sait les
informations que nous livrait il y a quelque temps Madame Jeanne
Brugère-Picoux sur les MET MET ou les MET VAL, et sur un plan
sociologique ? Il semblerait se dessiner que ce sont les classes moyennes
ou assez pauvres de la population anglo-saxonne qui, compte tenu de leurs
habitudes de consommation, seraient plus à même de
développer la maladie.
Mme Annick Alpérovitch
- Pour ce qui est du facteur
génétique, tous les cas de nouveaux variants
génotypés en Grande Bretagne sont méthionine. Cela
représente 40% de la population qui a ce génotype en France comme
en Grande Bretagne, donc une fraction importante de la population. Comme
probablement, si ceci a été évoqué devant vous,
Jeanne Brugère-Picoux a dû le dire, il est peut-être trop
tôt pour écarter la possibilité que les personnes ayant un
autre génotype puissent être infectées par l'agent et
développer le nouveau variant.
Concernant les groupes qui pourraient être les plus exposés, il
semble qu'effectivement en Grande Bretagne certaines différences nord
sud par exemple sur la fréquence de la maladie puissent être
expliquées par le niveau socio-économique et la qualité
des produits consommés. C'est une hypothèse tout à fait
plausible.
M. le Rapporteur
- Quels sont les progrès accomplis dans la
connaissance de ce nouveau variant maladie de Creutzfeldt-Jakob depuis
1996 ? Pouvez-vous nous parler des doses cumulatives infectieuses de la
clairance de la protéine Prion pathologique ?
Mme Annick Alpérovitch
- Beaucoup de progrès ont
été accomplis dans la connaissance du variant depuis 1996. En
cette année, le lien entre ce nouveau variant et l'ESB était une
simple hypothèse, qui était contestée par beaucoup, y
compris par beaucoup de scientifiques. Les premières données
importantes qui ont été obtenues sont celles qui ont
montré que l'agent du nouveau variant était identique, compte
tenu de nos moyens d'investigation, à celui de l'ESB. Un
élément important de la connaissance sur la maladie aussi a
été la démonstration que, contrairement à ce qui se
passe dans la maladie sporadique, il y a dans le nouveau variant de
l'infectivité dans les tissus périphériques et en
particulier dans les organes lymphoïdes. C'est la base d'un test qui
permet de porter le diagnostic de nouveaux variants probables du vivant du
malade s'il y a de la protéine Prion pathologique dans l'amygdale. Les
autres résultats expérimentaux importants obtenus par
transmission expérimentale à l'animal souvent ne font que
confirmer des résultats déjà connus pour d'autres souches
de Prion, comme par exemple le fait que la transmission est plus facile et que
la durée d'incubation est plus courte lorsqu'il y a passage intra
espèce.
Concernant votre seconde question, l'effet cumulatif d'exposition à des
doses infectantes répétées, on sait très peu de
choses sur ce point. C'est un point très important en particulier pour
prédire ce que peut être l'importance du risque pour la population
britannique et aussi un peu pour modérer ce que je disais à
l'instant sur le fait que l'essentiel de l'infectivité est
concentrée dans le système nerveux central. C'est dans ce tissu
qu'il y a des doses infectantes fortes pour lesquelles on peut penser qu'une
exposition à une dose est suffisante pour infecter une personne et
qu'elle développe la maladie. Il y a peut-être des tissus avec des
doses infectantes plus faibles, dans lesquels une consommation
répétée pourrait avoir effet cumulatif. A ma connaissance,
on ne sait rien sur le sujet.
M. le Rapporteur
- Confirmez-vous les travaux d'un chercheur qui avaient
contribué à démontrer que, dans une période
inférieure ou égale à 3 jours, l'effet cumulatif de doses
infectieuses minimales a précisément un effet cumulatif fort sur
une période de trois jours ?
En d'autres termes, se gorger de hamburger infectieux pendant 3 jours aurait un
effet assez néfaste par rapport au fait de manger cette même
quantité sur plus de temps.
Mme Annick Alpérovitch
- Je ne connais pas suffisamment ces
travaux pour répondre à votre question.
M. le Président
- Je vous remercie, Madame , d'avoir
accepté de témoigner devant notre commission d'enquête.
Merci.
Audition de M. Gilbert BORNHAUSER,
Courtier
(28 mars 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Je vous remercie
d'être présent. Vous êtes Monsieur Gilbert Bornhauser,
Courtier. Vous avez répondu à la convocation que nous vous avons
envoyée. Vous êtes entendu ici dans le cadre d'une commission
d'enquête parlementaire mise en place par le Sénat sur le
problème de l'utilisation des farines animales dans l'alimentation des
animaux d'élevage et les conséquences qui en résultent sur
la santé des consommateurs. Comme dans toute commission d'enquête
je suis obligé de vous faire prêter serment puisque vous
êtes tenu de témoigner sous serment.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Bornhauser.
M. le Président
- Dans un premier temps je vous donne la parole,
vous nous ferez un exposé sur votre vision à partir de votre
profession et en rapport avec ce problème des farines animales. Ensuite
nous vous poserons les questions que nous jugerons utiles pour éclairer
notre investigation.
M. Gilbert Bornhauser
- Je vais vous expliquer en quoi consiste mon
métier. Je suis courtier en matières premières. J'ai fait
un petit dessin pour que les choses soient claires.
Je suis assis au centre du schéma. J'ai comme interlocuteurs des
fabricants d'aliments du bétail qui ont un poste d'acheteur ; ces
gens ont besoin d'approvisionner des matières premières pour
nourrir les animaux. Comme pour nourrir les hommes, on mange du pain donc on
met des céréales. On mange de la viande, on met de la farine de
viande, on mange de la salade on met de la luzerne déshydratée.
Les composants de l'alimentation animale ne sont pas loin de ressembler aux
nôtres. Ces gens ont donc des matières premières à
acheter. Pour ce faire ils peuvent s'adresser à une palette de
fournisseurs existants. Pour se simplifier les choses, des courtiers existent.
L'acheteur fabriquant les aliments de bétail appelle un courtier ce qui
lui permet de connaître le marché des produits des vendeurs avec
lesquels le courtier a l'habitude de travailler. Pour parler de farine de
viande, puisque c'est la plus grande partie des produits que je vends, ce
fabriquant d'aliments du bétail, quand il avait besoin d'acheter la
farine de viande -ce qui n'est plus le cas aujourd'hui, mais on parle du
passé- s'adressait à un courtier et , sur le marché des
courtiers spécialisés en farines de viande, il y en avait peu. Je
dois être un des seuls. Ils m'appelaient. En un coup de
téléphone, ils connaissaient la valeur du marché des
vendeurs français. Il y en avait une petite dizaine à
l'époque, il en reste deux gros aujourd'hui environ. Cela leur
permettait de savoir ce que cela valait, comment était le marché,
quel était le marché sur les autres pays européens,
Irlande, Angleterre, Belgique, Allemagne, Italie etc. En un coup de
téléphone, cet acheteur est renseigné sur le
marché. S'il veut acheter il peut le faire par mon intermédiaire.
Il peut acheter seul car souvent il connaît tous les vendeurs. Il a une
liberté totale.
Ce métier de courtier existe depuis très longtemps. Une
ordonnance de Charles VII régit et interdit aux courtiers de faire du
commerce pour leur propre compte. Nous sommes des intermédiaires du
commerce. Ce métier existe depuis longtemps surtout pour les
céréales ; historiquement le courtier vendait des
céréales. Les fabricants d'aliments du bétail se sont
développés, d'autres produits sont intervenus, donc il existe des
courtiers, comme moi, qui étaient spécialisés dans les
farines de viande.
Voilà pourquoi nous existons. Ce fabricant d'aliment du bétail
mélange les matières premières, livre un éleveur
avec son camion. Il livre des élevages. Dans cette filière un
éleveur ne peut pas m'appeler pour acheter de la farine de viande. Il
achète un aliment composé. Les gens ont souvent du mal à
comprendre ; ils disent que des éleveurs ont fraudé et ont
mis de manière frauduleuse des farines de viande dans
l'alimentation ; ce n'est pas réaliste. Les farines de viandes se
vendent par unité de camion de 25 tonnes, c'est un petit produit dans la
ration. Au même titre qu'on ne mange pas que de la viande, dans les
rations des animaux, vous avez dû entendre chez les fabricants d'aliments
de bétail que les farines de viande s'incorporent à des doses de
2, 3, voire 5% dans les aliments. Jamais on ne peut voir un éleveur
acheter de la farine de viande, cela n'existe pas. Dans la déontologie
de notre métier, nous sommes à même de faire des affaires,
de conclure des contrats. Nous avons une responsabilité de part la
législation au moment où nous faisons des contrats. Si nous
vendions des farines de viande dans une période où c'est interdit
ou à des gens à qui ce ne serait pas autorisé, ce serait
aussi grave que de vendre des armes. On doit y être attentif. Dans
l'organisation de mon métier il existe une chambre arbitrale.
Ma spécialité, c'était les produits de
l'équarrissage donc des farines de viande et des graisses animales
essentiellement du marché français, avec un certain nombre de
vendeurs, une petite dizaine, et des fabricants d'aliment du bétail du
marché français. Je travaillais un peu avec tout le monde. Je
suis un des seuls courtiers à avoir fait autant de farines de viande sur
le marché français.
En matière d'import, mon frère possède un cabinet
international à Genève. La connaissance des marchés
irlandais, anglais, allemand et italien sont de sa compétence. Pour
avoir des informations, j'avais le relais du cabinet de mon frère, qui
me renseignait sur les produits d'import. J'ai été amené
à faire quelques importations dans les années 1990, au moment
où c'était autorisé, qui étaient des farines de
viande venant d'Irlande. J'ai eu l'occasion de faire 3 ou 4 bateaux, le tonnage
total étant de 3 800 tonnes. Les volumes mensuels que je traitais
à l'époque étaient de 3000 tonnes par mois du
marché français à des fabricants d'aliment du
bétail français.
M. le Président
- Je donne la parole à notre rapporteur.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Vous nous avez dit que vous aviez
importé quelques farines venant d'Irlande. Y a-t-il eu évolution
dans vos importations à partir de 1988-1989 ?
M. Gilbert Bornhauser
- Je n'ai fait des importations que dans
l'année 1990. A cette période le marché français
devait être un peu déficitaire de farine de viande et il est
probable que les prix à ce moment-là des farines de viande
française étaient élevés, puisque nous en
exportions aussi. Nous étions gros consommateurs en tant que fabricants
d'aliments du bétail puisque notre filière volaille est
performante et faisait des exportations en quantité. Les prix à
ce moment-là des farines d'importation pouvaient être
compétitifs. A cette période, c'était rare. Il y a
probablement une raison de marché, puisqu'il y a avait
déjà des troubles en Angleterre. Les Anglais n'utilisaient plus
leur farine ; il est probable que cet élément avait fait
baisser les prix des marchés européens et mondiaux.
M. le Rapporteur
- Vous dites " probablement ". Auriez-vous
conservé de cette époque le montant des cours ?
M. Gilbert Bornhauser
- Quand un fabricant d'aliment du bétail
importe un produit, c'est parce qu'il y trouve un intérêt
nutritionnel et économique. On ne met pas un produit en alimentation
s'il n'y a pas ces 2 raisons. Ces importations se sont faites parce qu'elles
étaient moins chères que les produits du marché
français.
M. le Rapporteur
- Vous avez dit être un des principaux courtiers
sur le plan national. Je suis surpris. Il y a eu décision de ne plus
incorporer de farine animale en Angleterre en juillet 1988 puis interdiction en
France en 1990 pour les bovins. Or il s'avère que, dans les
années 1987-88 la France importait peu de farine anglaise, de l'ordre de
4 000 tonnes par an. On est monté à 15 000 tonnes par
an en 1989 et 1990. Vous étiez le principal intervenant, et vous dites
que vous n'avez pas importé de farine anglaise. Vous avez donc des
concurrents qui l'ont fait.
M. Gilbert Bornhauser
- En matière d'importation, 100% de ce qui
a été importé l'a été par le cabinet de
courtage de mon frère. C'est un concurrent. C'était sa
spécialité de travailler avec le marché anglais, irlandais
etc.
M. le Rapporteur
- Vous pouviez ensuite vous adresser à lui pour
vous fournir.
M. Gilbert Bornhauser
- Quand des opportunités commerciales se
sont produites, j'ai pu le faire et je l'ai fait. Avant, il n'y avait pas de
possibilité car les prix ne pouvaient intéresser les acheteurs.
M. le Rapporteur
- Donc il y a bien eu un prix intéressant
à cette époque.
M. Gilbert Bornhauser
- Il y a eu dans cette période,
probablement entre juin et novembre de l'année 90, des conditions
où ces produits d'importations se sont trouvés moins chers que
nos productions.
M. le Rapporteur
- Pourrions-nous avoir un éventail de ces
prix ?
M. Gilbert Bornhauser
- Oui.
M. le Président
- C'est important pour nous. Je vous demande de
nous les fournir. Cela nous permettra d'étayer certaines
hypothèses qui pouvaient être lancées sans preuve formelle.
Je vous demande de nous fournir dans les meilleurs délais ces montants
de prix, avec les volumes importés, pour que nous puissions savoir
exactement ce qu'il en est.
M. Gilbert Bornhauser
- Les volumes totaux sont connus des douanes, qui
peuvent vous les donner. Ils ont fait les contrôles chez moi. Mon
frère s'est déplacé de Suisse pour leur apporter les
contrats quand ils ont fait les contrôles. Ils ont dit " on regrette de
ne pas vous avoir connus avant ". Cela leur a permis de toiser la
totalité de ce qui s'est importé et d'avoir un résultat
dans lequel il est mentionné qu'aucune fraude n'a été
commise. 4,5 tonnes d'aliments ont été retirées suite
à ces contrôles. Tout a été contrôlé.
Sur le plan des fraudes vous avez là une certitude qu'il n'y a pas eu
fraude réglementaire à l'importation des farines de viande. On
trouve cela épouvantable aujourd'hui d'avoir importé des farines
de viande ; à l'époque ça ne l'était pas. J'ai
vendu cette semaine deux bateaux de luzernes à l'exportation. On a
retrouvé des mites dans des foins de prairie en Islande, ces mites sont
porteuses du Prion et ont contaminé des souris auxquelles on l'a
inoculé. Les bateaux de luzerne que je vends en ce moment pourront
sembler épouvantables dans 10 ans. On me montrera peut-être du
doigt car j'aurai vendu de la luzerne déshydratée. Tout
aujourd'hui vous semble horrible, mais il n'y a rien d'horrible à cela.
Cela n'avait rien d'extraordinaire à l'époque. Il est facile
après coup de trouver les choses épouvantables.
M. le Rapporteur
- Une chose semble plus controversée. Lors d'une
audition devant la commission d'enquête sur l'ESB de l'assemblée
nationale, Monsieur Gilbert Houins, inspecteur général de
l'agriculture belge, a révélé qu'une inspection
réalisée par les autorités belges en novembre et
décembre 1996 dans le port d'Anvers avait permis de découvrir un
trafic de farines carnées et a personnellement mis en cause Monsieur
Youssef Chataoui, le courtier français dirigeant de l'entreprise EFI
Euro feed Industries SA-, entreprise de négoce et de fabrication
d'alimentation animale basée à Boulogne et possédant
plusieurs usines dans l'Oise et la Somme qui aurait procédé
à des réensachages, à des réétiquetages de
farines importées illégalement d'Irlande et des Pays-Bas.
Pouvez-vous nous en dire plus sur cette affaire ?
M. Gilbert Bornhauser
- J'ai rencontré une fois Monsieur
Chataoui ; il fait ou faisait des concentrés protéiques
à l'export. C'est une des spécialités européennes.
Beaucoup de négociants le font. Ces gens vendaient dans des pays souvent
du Golfe, pays arabes etc., des concentrés protéiques qui leur
permettent sur place de faire de la volaille. Ils sont capables d'acheter des
céréales sur le marché mondial. Les volailles qui sont des
omnivores sont des animaux qui ont besoin de farine de viande, de graisses.
C'est tout à fait nécessaire pour avoir une performance dans ce
type d'alimentation. Monsieur Chataoui achète des farines de viande dans
l'Europe entière, en Irlande et pourquoi pas en Belgique. Il les
mélange avec ce qui est à haute teneur protéique, farine
de viande, farine de sang, farine de plume et ils font un hyper
concentré de protéines qui ensuite sert à faire la partie
protéique d'un aliment volaille. Au lieu d'expédier un aliment
composé complet, vous n'expédiez que la partie concentrée.
Cela permet de faire du commerce alors que, peut-être, l'aliment complet
n'aurait pas supporté les frais de transport.
L'Egypte était je crois gros acheteur de ce type de concentrés.
Ils étaient capables d'acheter les céréales sur le
marché mondial, de rentrer des bateaux de blé, de maïs et la
partie concentrée était toute faite par des gens comme Monsieur
Chataoui. Il a importé des farines de viande d'Irlande, de Belgique, il
en a fait un mélange, les a réexpédiées sous son
étiquette. Sous cet angle on dit que c'est un fraudeur car il a
baptisé des farines. Mais c'est un métier normal de
mélanges d'un quasi fabricant d'aliments du bétail.
C'est peut-être cela qui est interprété de manière
peut-être anormale.
M. le Rapporteur
- Ces concentrés étaient-ils plutôt
destinés à l'alimentation des volailles d'après vous ?
M. Gilbert Bornhauser
- Oui, mais il n'est pas le seul. Guyomarc'h est
sur ce marché des concentrés et tous les fabricants d'aliments
qui ont un service export. La SARB était assez fort là dedans.
C'était le groupe COFNA etc. C'est un métier qui existe. Ils sont
assez peu à le faire. C'est un métier qui existe. Cela
mérite de se renseigner. Je ne suis pas formel car je n'ai pas fait
d'affaire avec Monsieur Chataoui. Vous pourriez demander à mon
frère ce qu'il lui a vendu comme farines de viandes et comme origine.
Cela correspond à ce que je sais.
M. le Rapporteur
- Donc la fabrication plutôt de concentrés
destinés à l'export.
M. Gilbert Bornhauser
- Dans lesquels il y a des farines de viande les
plus riches possible. Il va chercher des 60 de protéines plutôt
que des 50, de la farine de sang, de la farine de plumes et des
oligo-éléments pour équilibrer les formules.
M. le Rapporteur
- Pouvez-vous confirmer l'existence de circuits de
blanchiment de la farine animale anglaise ?
Il y a eu une évolution importante après l'interdiction sur le
territoire national anglo-saxon de la vente de ces farines. Par quels pays
passaient ces farines ? La France était-elle concernée
à votre avis et votre société y aurait-elle pris
part ?
M. Gilbert Bornhauser
- Non, et je doute qu'il y ait eu des
opérations de blanchiment. C'est un produit dont les prix ne sont pas
énormes. La moyenne est de 1600 francs la tonne. Ce n'est pas de l'or.
Dès que le soja baisse, la farine de viande baisse aussi. Elle est
toujours en compétition avec le soja. Cette protéine a un
intérêt en alimentation un peu supérieur au soja car il y a
des vitamines, des matières minérales. Pour remplacer ces
protéines animales, il vous faut mettre du soja, du phosphate bicalcique
et médicamenté pratiquement en vitamine etc. C'est faisable,
puisque les fabricants d'aliments ont supprimé les farines de viande, en
mélangeant d'autre chose. Mais c'est une matière première
qui était toujours freinée par le soja. Les prix marchent
ensemble. Il y a peu de marge. Si vous faites voyager un bateau de farines de
viande et que vous l'envoyez en Belgique puis que vous faites un transport sur
la France, le transport sur la France est de trop, elle ne sera plus
compétitive. On ne met pas des farines de viande pour le plaisir. Il
faut que cela vaille la peine économiquement. On ne peut pas tellement
les faire voyager. Je ne vois pas l'intérêt de blanchir de la
farine de viande et je ne crois pas que ce soit tellement possible.
M. le Rapporteur
- Ce qui est troublant, c'est que quand on regarde les
exportations de farines anglaises, on voit qu'ils en ont exporté
jusqu'en Indonésie et au Sri Lanka. Vous dites que cela ne vaut pas le
coup de transporter des farines jusqu'en France, mais ils l'ont fait jusque
là-bas. A mon avis il devait y avoir un différentiel de prix
relativement intéressant, même si l'incorporation n'a jamais
dépassé les 5% dans une ration animale, je pense que les Anglais
ont dû les brader et des sociétés telles que les
vôtres ou des sociétés de courtier sur le marché
international n'ont pas dû rester insensibles à cette baisse de
prix, c'est inévitable.
M. Gilbert Bornhauser
- Au même titre que je ne m'amuserais pas
à vendre des pistolets mitrailleurs, je ne m'amuserais pas à
vendre une farine anglaise interdite.
M. le Rapporteur
- Vous avez eu raison de dire " il faut remettre cela
dans les connaissances scientifiques de l'époque ". En 1988-89, lorsque
les Anglais les ont interdites sur le territoire national, il n'y avait pas les
connaissances que nous avons et la dangerosité qu'on leur accorde
aujourd'hui.
M. Gilbert Bornhauser
- Il les ont interdites en alimentation de bovins
un an avant nous. Ils ne devaient pas les avoir interdites à ce moment
dans l'alimentation porc et volaille. Leur attitude semble épouvantable
aujourd'hui mais à l'époque l'état des connaissances
probablement ne rendait pas cela épouvantable. Je ne pense pas que cela
puisse induire un trafic. Que leurs prix se soient écroulés
à un moment donné, c'est normal. Quand il y a eu les histoires de
dioxines, le prix du poulet s'est écroulé. Ce sont des
mécanismes de marché normaux.
M. le Rapporteur
- Quand on passe de 4 000 à 15 000
tonnes, pour la seule partie française, il y a bien une raison.
M. Gilbert Bornhauser
- Il y a eu un intérêt
économique pendant cette période, mais il n'y a que cela.
M. le Rapporteur
- Donc il y a eu utilisation en France et incorporation
en France.
M. Gilbert Bornhauser
- Oui, cela a été importé car
cela faisait gagner de l'argent.
M. le Président
- Avez-vous en tant que courtier la
nécessité de repréciser aux personnes à qui vous
vendez que les farines que vous importiez à l'époque pour les
raisons que vous venez d'expliquer devaient être utilisées
uniquement pour volaille etc.? Dans la déontologie votre métier,
cela ne fait-il pas partie d'une obligation ?
M. Gilbert Bornhauser
- Nous ne sommes pas l'utilisateur mais notre
responsabilité serait engagée. Quand ces importations se sont
faites, je m'en souviens, elles se sont faites au profit de gens qui
étaient les volaillers, qui avaient des usines
spécialisées, performants sur l'export, les Bourgoin,
etc., qui avaient des usines qui ne faisaient que cela. Dans leurs usines,
ils ne faisaient que du poulet de chair. C'était du poulet de chair pour
l'exportation à 1,2 Kg en six semaines.
C'est une industrie de la volaille qui était à même
d'acheter cela. C'étaient les seuls qui l'achetaient à cette
époque.
M. le Président
- Quand vous importiez les farines anglaises de
manière légale, aviez-vous la responsabilité après
de savoir si c'était utilisé exclusivement pour les volailles et
pas pour les bovins ou n'est-ce pas votre problème ?
M. Gilbert Bornhauser
- Si, derrière, un fabricant trichait en
nous racontant des histoires ... Nous travaillons au téléphone.
Derrière, nous n'avons pas d'action pour le savoir. Quand j'ai vendu de
la farine de viande à une usine en Vendée par exemple, cette
société ne fait que du poulet, pas de porc ni de bovin, j'avais
une certitude sur les usines. D'autres fabricants qui ont de multiples usines
les achetaient pour les usines dédiées. Je n'aurais pas vu si une
fraude avait été faite.
Avez-vous vu des fabricants d'aliments du bétail ? Vous ont-ils
semblé être des fraudeurs ? J'ai assez confiance dans leur
mode de travail.
M. le Président
- C'était pour savoir du point de vue
déontologique.
M. Gilbert Bornhauser
- Je ne pourrais pas le savoir.
M. Gérard César
- Les statistiques s'arrêtent en
octobre 2000. Depuis, où en êtes-vous par rapport au commerce et
à votre chiffre d'affaires ?
Votre chiffre d'affaires a-t-il subi les conséquences de la crise que
nous connaissons ?
M. Gilbert Bornhauser
- Je suis assez sinistré par cette
interdiction de commercialiser les farines de viandes et graisses animales car
c'était le gros de mon activité. J'avais des produits annexes,
les luzernes, pulpes de raisin etc., mais qui représentaient 30% environ
de mon activité. J'ai perdu 70% du chiffre d'affaires que je faisais, et
ceci suite à l'interdiction d'utilisation des farines de viande.
J'ai apporté de la graisse animale. C'est aujourd'hui interdit. On vend
aujourd'hui des huiles végétales. Au lieu de vendre de l'animal,
on vend du végétal. Les courtiers qui font des sojas en vendent
plus qu'avant, puisqu'il n'y a plus de farines de viandes. Je ne suis pas
capable de vendre du soja car ces courtiers sont dans leur marché depuis
toute une vie. Je ne délogerais pas un courtier qui fait du soja de sa
place. Je fais les choses que je peux faire, remplacer ces graisses animales
aujourd'hui interdites par des huiles végétales. Je faisais en
commissions autour de 200 000 francs par mois de chiffre d'affaires, donc
2,2 MF par an. Je suis tombé le mois dernier à 70 000 francs
de chiffre d'affaires. C'est une chute d'au moins la moitié, parfois
plus.
M. Bernard Cazeau
- Vous dites qu'il y avait des opportunités
économiques et que cela a conduit des gens à acheter plus de
produits importés. Nous avons eu l'occasion de visiter une entreprise il
y a quelques mois. Cette entreprise a dit " dès 1989 nous avons eu des
doutes et nous avons refusé d'utiliser les farines animales
importées d'Irlande ". D'autres, semble-t-il, ont continué
à en acheter de plus en plus puisqu'on est passé à
15 000 tonnes par an. Avez-vous le sentiment que dans vos clients il y a
eu des différences de comportement entre ceux qui ont appliqué le
principe de précaution maximum, ayant des doutes, des interrogations, et
ceux qui ont voulu faire le maximum de profit en tirant partie de ces
opportunités économiques ?
M. Gilbert Bornhauser
- C'est toujours vrai. Je me souviens d'un
fabricant d'une coopérative bretonne à qui j'avais vendu un
bateau ; la presse s'est déchaîné sur lui en disant
qu'il importait des choses épouvantables. Il a cessé tout de
suite, mais je pense que c'était plus une question médiatique, de
peur des médias. Ce n'était pas réglementaire,
c'était une précaution car les médias lui étaient "
tombés sur le dos ". Il existe une graisse animale aujourd'hui, une
graisse de couenne de porc, sous-produit de la gélatine, faite avec des
peaux de porc, sans os. Elle est utilisable dans l'alimentation animale
aujourd'hui, malgré l'interdiction des graisses animales. Pas un
fabricant d'aliment du bétail ne la met. Il a trop peur qu'on lui tombe
sur le dos.
Elle ne se vend pas à l'alimentation animale. Ces précautions
supplémentaires que certaines entreprises prennent dépendent de
médiatisation ou de précaution supplémentaire. Certains
fabricants ont pu vous dire qu'avant même que certains règlements
soient sortis, ils avaient anticipé un peu. Ils l'ont un peu tous fait,
c'est un peu normal.
M. le Président
- A quels contrôles étaient soumises
les farines que vous importiez ? Etaient-ce des contrôles simplement
sur pièce ou des contrôles sanitaires ?
Ces contrôles étaient-ils systématiques? De quelle
administration ces contrôles émanaient-ils ?
M. Gilbert Bornhauser
- Dans les années 90, pour importer un
bateau, c'était sous contrôle vétérinaire du pays
exportateur et du pays réceptionnaire. Il y avait un
vétérinaire au chargement du bateau, un à la
réception du bateau.
M. Jean Bernard
- La traçabilité existait-elle ?
M. Gilbert Bornhauser
- Pour l'Irlande, ils pouvaient être parfois
1 ou 2 fabricants à mettre de la marchandise sur un bateau. Pour un
bateau de 700 tonnes, c'est le plus souvent un fabricant mais il n'est pas
impossible d'en trouver 2. Donc une traçabilité moyenne.
M. le Président
- Le contrôle à l'arrivée
était-il fait par les services vétérinaires ?
M. Gilbert Bornhauser
- Il y a toujours un contrôle
vétérinaire pour vérifier l'absence de salmonelle. C'est
ce qui était contrôlé à l'époque.
M. le Président
- Savez-vous si, par rapport à vos
clients, par ce que vous avez fait importer ou revendu à vos clients, il
y a eu beaucoup de cas de vache folle déclarés en lien avec ce
que vous avez importé ?
M. Gilbert Bornhauser
- GLON est un gros volailler. Il n'a pas eu de
vache folle dans sa clientèle, par rapport à d'autres qui n'ont
pas importé de farines. Je ne pense pas qu'on puisse faire une relation.
M. Jean-François Humbert
- Tout ce qui a pu être
écrit et dit sur une éventuelle fraude n'a pas
résisté à votre analyse, pour 2 raisons principales. Il ne
peut y avoir eu fraude car ce sont des professionnels consciencieux qui
travaillent dans ce secteur et ensuite une absence d'intérêt
économique éventuelle en raison des cours supposés ou
connus de ces farines animales.
Cela veut-il dire qu'on peut affirmer, et est-ce ce que vous faites, qu'il n'y
a pas eu fraude, qu'il est impensable qu'il y ait eu fraude et que par
conséquent ce qu'on a pu lire ou entendre n'est que pure invention de
personnes qui n'avaient pas préalablement cherché à savoir
ce qui s'était réellement passé ?
M. Gilbert Bornhauser
- J'ai été soumis à une
enquête de la répression des fraudes. Ils ont tout
contrôlé. Avec les contrats qu'ils avaient chez moi, ils ont
contrôlé les fabricants d'aliment du bétail. A cette
époque, il leur a été rendu justice. Ce n'est pas
très médiatique. Cela a été dit par Yves Galland.
Il décrit les contrôles. Ils ont contrôlé tout le
monde et ont trouvé 0 fraude. Il y avait un certain nombre d'erreurs.
Il y avait des farines de plumes qui se vendaient d'Angleterre et qui
étaient autorisées à cette époque. Des farines de
volaille allaient en aliment chiens et chats et étaient
autorisées. Ils ont tout recoupé. Il y a eu quelques erreurs. Ils
ont retrouvé 0 fraude. Ils ont trouvé 4,3 tonnes d'aliments
retirés pour je ne sais quelle raison.
Un communiqué a été fait à l'époque que j'ai
là est que je pourrai vous donner. Il a été fait le 23
juillet 1996.
Ces contrôles ont été faits et bien faits. Ces gens sont
des contrôleurs très efficaces.
M. Jean-François Humbert
- Je ne remets pas en cause la
conscience professionnelle. Je ne vous mettais pas en cause, je m'interrogeais
sur d'autres personnes qui travaillent dans cette filière. Votre
réponse m'a semblé définitive : ce n'est pas possible
et d'ailleurs un communiqué le démontre. Sera convaincu celui qui
voudra bien l'être.
Sur l'intérêt économique, il est vrai que les farines
animales avaient des cours qui suivaient le marché et aussi le
marché du soja. Est-ce que je me trompe quand je pense que quand quelque
chose est interdit il prend de la valeur ? Quand les farines animales ont
été interdites, n'y a-t-il pas sur le plan économique,
dans une économie non officielle, quelque intérêt à
éventuellement les faire entrer sur un territoire qui n'en veut
plus ?
M. Gilbert Bornhauser
- Pour moi non. Le fait qu'il soit interdit ne lui
donne pas de valeur. Pour qu'il ait une valeur il faut qu'il soit bon
marché.
M. Jean-François Humbert
- Ne pensez-vous pas que ceux qui
utilisaient quand elles étaient autorisées ces farines animales
pouvaient avoir intérêt à continuer à les utiliser
quand elles étaient interdites car cela apportait en matière
nutritionnelle soit disant des performances supplémentaires ?
M. Gilbert Bornhauser
- Les farines de viande et les graisses animales
sont interdites ; dans l'heure qui suit tous les fabricants d'aliments du
bétail ont fait des formules végétariennes. Le dommage est
un surcoût. On s'interdit de mettre des graisses animales. C'est un
surcoût de la filière, mais le fabricant d'aliments du
bétail achète ses matières premières et revend un
aliment ; que son aliment coûte 5 ou 10 centimes de plus, tout le
monde est à la même enseigne sur le marché français.
Vis-à-vis de ses concurrents, il n'a pas de problème à ne
pas mettre de farine de viande , il fait son métier de mélangeur
avec les produits qui sont autorisés. Le dommage est ailleurs. Nos
voisins européens ont le droit de mettre des graisses animales. C'est
déclassé car comme nous n'en mettons plus et que nous les
brûlons, il y a désaffection des graisses animales. Aujourd'hui
sur le marché européen cette graisse animale vaut 150 francs le
quintal. On achète des huiles végétales
mélangées, qui viennent du monde entier, qui valent 230 francs.
On met dans nos formules d'aliments en ce moment des huiles à 230 francs
alors que nos voisins européens qui se conforment à la
législation européenne, qui n'est pas notre législation
particulière, mettent un produit à 150 francs, ils font du poulet
moins cher. La filière va avoir une concurrence de volaille
européenne moins chère que les nôtres. Bloque-t-on ces
volailles à l'entrée ? On leur vend des Citroën et des
Renault. Peut-on bloquer leurs volailles ? Non. On se met des liens
coûteux et qui coûtent à notre économie.
Professionnellement, cela ne change pas la vie du fabricant d'aliments.
Quand on se met des réglementations françaises qui ne sont pas
les réglementations européennes, cela ne va pas.
On prend des précautions maximum mais je pense qu'on a tort de prendre
des précautions différentes de celles de l'Europe. On importe des
agneaux en pagaille. En France on ne fait pas beaucoup d'agneaux, ils viennent
d'Angleterre. Je ne pensais pas que des bovins ou des agneaux venaient vivants
d'Angleterre. On est en Europe et tout cela circule librement. On le
découvre quand il y a épidémie etc. Ces farines de viandes
qui sont choquantes sont européennes et avaient le droit de circuler.
M. Jean-François Humbert
- On pourrait être choqué
dans l'hypothèse où, une fois l'interdiction prononcée, il
y aurait eu continuation de l'importation.
M. Gilbert Bornhauser
- Les enquêtes sont bien faites.
Appuyez-vous sur les contrôles qui ont été faits ;
cela vous permettra de vous faire une opinion, ne vous appuyez pas sur des
sous-entendus comme on le fait. Il n'y a rien d'abominable dans ce qui se passe
dans le commerce.
En Angleterre, ils continuent à avoir des cas de vaches folles. Cela
fait pourtant longtemps qu'ils ne mettent plus de farine de viande. Donc
concernant la contamination aujourd'hui, on peut regarder ailleurs que vers la
farine de viande. Il faut faire les contrôles, mais dès qu'il y a
une vache folle, on dit " elle a probablement mangé de la farine de
viande en douce ". C'est une hypothèse. Il est facile de se
défausser.
M. Jean-François Humbert
- Vous avez parlé de graisse
animale. Avez-vous eu l'occasion de vendre ce type de produit à des
fabricants de lacto-remplaceurs ?
M. Gilbert Bornhauser
- Non. Ce n'est pas ma clientèle. Les
fabricants de lacto-remplaceurs mettaient des suifs premier jus. Quand les
suifs étaient chers, les graisses d'os ont été
utilisées, qui sont des produits animaux très durs. Ils ont
besoin d'un produit dur qui ressemble au suif de vache.
Ils achètent du Coprah ou du Palme raffiné. Ils auraient le droit
de mettre des suifs premier jus. Il reste pratiquement un unique producteur,
Minguet. Il y a projet de retirer dans les abattoirs le suif avant la vente des
carcasses, qui fait que ces gens vont fermer la boutique.
Des produits vont disparaître, qui sont des suifs et des saindoux qu'on
retrouvait en cuisine. Ces graisses probablement vont disparaître.
M. Jean-François Humbert
- Ils ont remplacé des graisses
animales ou de suif par du végétal. Donc cela a été
utilisé.
M. Gilbert Bornhauser
- Cela n'a pas été coûteux.
Les suifs sont difficiles à trouver et coûteux ; aujourd'hui
un suif pour l'aliment veau vaudrait autour de 300 francs. Ils ont
payé un peu moins cher du végétal. Les prix fluctuent.
Certains regardent s'ils ne sont pas obligés de revenir en
arrière pour essayer de réutiliser des suifs ou des saindoux car
ils peuvent avoir des problèmes de couleur. Le problème technique
n'est pas réglé pour eux.
M. le Rapporteur
- Confirmez-vous le fait que certains fabricants
d'aliments d'allaitement ont incorporé à des doses
infinitésimales des concentrés de protéines ?
M. Gilbert Bornhauser
- Pas à ma connaissance.
M. le Rapporteur
- Des farines de viande excessivement
concentrées dans l'aliment d'allaitement ?
M. Gilbert Bornhauser
- Cela peut faire référence au CPSP,
Concentrés Protéines de Poissons par Évaporation ?
C'est un produit de luxe. C'est possible.
M. le Rapporteur
- On n'est pas sur du poisson mais sur du bovin.
M. Gilbert Bornhauser
- Je ne connais pas ce produit.
M. le Rapporteur
- Sur le marché hollandais, cela s'est fait.
Pouvez-vous confirmer que cela s'est fait sur le marché
français ?
M. Gilbert Bornhauser
- Non, et je ne vends rien aux lacto-remplaceurs.
M. le Président
- Merci pour tous ces renseignements.
Audition de M. Philippe MANGIN,
Président de la
Confédération française de la Coopération
agricole,
et Mme DEBREDEVILLE,
Chargée des Relations
parlementaires pour la Coopération
agricole
(28 mars 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Vous êtes Monsieur
Philippe Mangin, Président de la Confédération
Française de la Coopération Agricole. Merci d'avoir
répondu à notre convocation. Vous êtes entendu ici dans le
cadre d'une commission d'enquête parlementaire mise en place par le
Sénat sur le problème des farines animales et des
conséquences pour la santé des consommateurs. Dans le cadre d'une
commission d'enquête vous devez témoigner sous serment. Je vous
lis le processus et je vous ferai prêter serment.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Mangin
et Mme Debredeville.
M. Philippe Mangin
- J'interviendrai en qualité de
généraliste président de la Confédération
Française des Coopératives Agricoles, qui réunit
l'ensemble des coopératives du territoire national, tous métiers
confondus. Mes collègues, Daniel Rabiller, Président des
coopératives d'aliments du bétail, François Toulis,
Président des Coopératives de bétails et viandes ont
été auditionnés par cette commission en décembre et
ont pu évoquer les aspects plus techniques de la fabrication des
aliments et de l'évolution de la filière de fabrication.
J'évoquerai quelques réflexions sur les filières de
production et les choix qui pourraient être faits pour accroître la
sécurité alimentaire conformément aux attentes de nos
concitoyens, attentes légitimes après les peurs qui ont pu
être cultivées et révélées ces
dernières années.
J'articulerai mon exposé rapide autour de 3 points : la place et le
rôle des coopératives dans les filières de production
animale, et tout particulièrement d'aliments du bétail, la
traçabilité et la sécurité alimentaire dans les
coopératives et une conséquence qui m'apparaît
indispensable à évoquer, la nécessité d'un plan de
relance des protéines végétales à l'échelle
européenne.
1. La place des coopératives dans les filières de production
animale est importante. Je rappelle une spécificité forte qui
fait qu'un agriculteur qui fait le choix d'adhérer à une
coopérative est un actionnaire, un client de produits ou de services et
il est encore un fournisseur. Aucun acteur économique ne peut
aujourd'hui revendiquer une telle étroitesse de ses relations avec ses
actionnaires ou ses clients ou ses fournisseurs et rares sont les entreprises
qui peuvent réunir 3 ou 2 de ces conditions à la fois. Cette
spécificité coopérative offre une immense chance à
la structuration de filières organisées et donc organisées
peut sous entendre rassurantes pour le consommateur au sens où elles
peuvent raccourcir le processus que nous appelons souvent " de la fourche
à la fourchette " et mettre beaucoup de rigueur dans les relations de
cette chaîne de production.
Il existe de nombreux types de coopératives, mais historiquement ce sont
les coopératives de mise en marché qui ont connu le plus fort
développement notamment sur des produits très périssables
comme le lait. Depuis de nombreuses années, les coopératives se
sont impliquées dans le secteur de la viande, dans la création
d'outils industriels notamment les usines d'aliments, les abattoirs, les
unités de transformation, ceci dans la continuité de la mise en
place des groupements de producteurs, de cette mise en marché qui a
d'abord initié cette organisation, et dans un souci de conquête de
valeur ajoutée et de sécurité des débouchés.
Mais il faut souligner que tout ce mouvement organisationnel des agriculteurs,
cette naissance du monde coopératif dans la filière de production
d'aliments du bétail et de commercialisation de la viande s'est
créée aussi en réaction à des pratiques
professionnelles traditionnelles qui ont souvent été opaques et
contestées par les agriculteurs et par les consommateurs à
certains moments. Elles ont ainsi contribué à l'organisation des
filières et à la transparence des circuits de mise en
marché, condition indispensable à la sécurité
sanitaire, plus spécifiquement pour accompagner les besoins des animaux.
Ces organisations coopératives ont depuis longtemps investi, souvent
à plusieurs, dans des usines de fabrication d'aliments du bétail.
La part des coopératives représente 400 000 tonnes par an,
400 000 étant la capacité moyenne des outils des
coopératives dans ce secteur de production.
On estime qu'entre 1985 et 2000 la part de la coopération dans
l'alimentation animale est passée de 32 à 52%, donc il y a eu un
fort développement de la présence coopérative dans la
fabrication d'aliments du bétail, par croissance interne des outils ou
par rachat d'unités privées. Ce mouvement a été
initié le plus souvent par des coopératives polyvalentes
multibranches ou par des coopératives céréalières
soucieuses de trouver, à travers les productions animales, en
général, et l'aliment en particulier, un débouché
régulier pour les productions végétales de leurs
adhérents.
La part du prix de revient du kilo d'aliment dans le prix de revient du produit
final, porcins, volailles, ovins, moutons, connaît une importance
croissante selon les filières. Les outils d'alimentation animale ont
joué un rôle clef dans un secteur très concurrentiel et les
coopératives ont largement contribué à la croissance de la
production, qu'elles ont dû également accompagner par des
structures adéquates de mise en marché, qu'il s'agisse d'animaux
vivants ou de produits transformés.
Comme les autres entreprises de ce secteur, les coopératives ont
dû faire face à la pression croissante de la grande distribution,
qui a eu un impact direct sur l'amont des filières, ce qui les a
contraints à se concentrer, à essayer de réduire les
coûts pour offrir à leurs adhérents des produits et des
services aussi compétitifs que possible. J'insiste pour dire que le
renforcement de l'organisation des producteurs nous paraît être une
condition essentielle à l'évolution d'une agriculture dynamique
et plus encore au moment où on s'inscrit dans moins de politique
agricole sur les marchés, il nous faudra plus d'organisation de
producteurs pour rendre ces agriculteurs capables de conquérir ces
marchés et de rester des acteurs économiques dignes de ce nom.
Il faut qu'on milite pour amener les agriculteurs plus loin dans les
filières. On constate au cours de ces 20 dernières années
le déplacement de la valeur ajoutée d'un maillon à l'autre
des filières de production. C'est en essayant d'organiser les
producteurs le plus loin possible dans la filière que nous pourrons les
aider à conquérir plus de valeur ajoutée face à une
concentration des acteurs de la grande distribution sur laquelle il n'est pas
nécessaire de s'attarder ici.
2. La traçabilité et la sécurité alimentaire dans
les coopératives. Comment est-elle pratiquée ? Cette
particularité de l'actionnariat, du statut de client et de fournisseur
qui était celui des agriculteurs, c'est parce qu'elle regroupe les
différents maillons de la chaîne de production que la
coopération nous semble particulièrement
prédisposée à occuper une place de premier plan dans le
renforcement de la sécurité alimentaire. C'est le fondement des
entreprises coopératives que de valoriser la production de leurs
adhérents sur une zone bien définie. Si, comme les entreprises
concurrentes, elles n'excluent pas le recours à des importations,
à des apports de produits non issus de leur région territoriale,
leur activité technique et commerciale s'appuie quand même avant
tout sur des produits locaux et de ce fait contribue nettement à la mise
en valeur du territoire.
Avant de parler de qualité et de traçabilité, les
coopératives ont travaillé à la mise en place de cadres
interprofessionnels, encouragées dans leur démarche par les
pouvoirs publics.
Le mouvement interprofessionnel n'a pas d'équivalent en Europe. Il est
extrêmement puissant sur notre territoire national et il a
été fortement encouragé par les coopératives. A ce
titre nos coopératives sont, plus que d'autres entreprises,
attachées à la segmentation des produits et au
développement des démarches de qualité.
Tout ce qui concerne les signes officiels de qualité, AOC, Label Rouge,
HACCP, même agriculture biologique, c'est le mouvement coopératif
qui en est, si ce n'est à l'origine, en tout cas le vecteur, le support,
le vulgarisateur. Cette situation est à prendre à compte pour
essayer d'améliorer encore cette recherche de sécurité
alimentaire.
Depuis longtemps nos coopératives ont ainsi sensibilisé les
producteurs à l'importance des aspects qualitatifs, notamment dans le
secteur des produits élaborés, plus directement en contact avec
les marchés, comme le lait ou le vin.
A la fin des années 90, on a vu se mettre en place dans les outils
industriels agroalimentaires coopératifs les premières assurances
qualités système, selon des normes internationales ISO 9000, base
d'une organisation visant à améliorer la sécurité
des systèmes de production. En complément à cette mise en
place des normes ISO dans nos entreprises coopératives se sont
développés différents outils d'amélioration, comme
la démarche HACCP, et les premiers guides de bonne pratique, disponibles
progressivement dans toutes les filières. Depuis plusieurs
années, pour contribuer au renforcement de la qualité et à
la sécurité des approvisionnements, le programme Agriconfiance
concernant l'assurance qualité des exploitations agricoles voit le jour
sous l'égide de la CFCA.
Certifié par des organismes de certification indépendants,
Agriconfiance articule une démarche autour de la relation entre
l'agriculteur et la structure coopérative de mise en marché d'une
part, et entre cette structure coopérative et le besoin exprimé
par le client final d'autre part. En 2000, ce référentiel
Agriconfiance, en cours de développement dans la filière de
production d'aliments du bétail, a fait l'objet d'une normalisation par
l'AFNOR pour permettre à toute structure organisée des
productions agricoles de bénéficier des procédures
d'assurance qualité des exploitations agricoles. A ce jour 40
entreprises coopératives sont certifiées Agriconfiance, 130 sont
engagées dans la démarche, ce qui représente plus de
40 000 exploitations agricoles, ce n'est que 10% du total national. La
démarche est en cours dans toutes les filières, qu'il s'agisse
des filières de céréales, de vins, en passant par les
produits laitiers et la viande.
Cette approche est particulièrement adaptée à
l'organisation en filière, du producteur au consommateur, mise en oeuvre
dans nos coopératives et cette approche facilite la
traçabilité des produits et permet un meilleur suivi de la
qualité.
C'est donc l'effort global des entreprises coopératives sur les usines
et dans leurs relations avec les agriculteurs que j'ai plaisir à
souligner ici, même si nous sommes conscients que le chantier reste
ouvert et que les programmes d'assurance qualité se doivent d'être
encore plus développés.
En conclusion de ce deuxième point, la sécurité
alimentaire, par la traçabilité, c'est plus facile en
coopérative, plus rigoureux en coopérative et plus facilement
vulgarisable, développable en démarche coopérative. Quand
une entreprise coopérative qui réunit 3000 adhérents se
lance dans une telle démarche, c'est une dynamique de groupe qui suscite
l'adhésion de l'ensemble des agriculteurs et qui apporte plus de rigueur
que toutes autres démarches dispersées.
Dernier point : en conséquence de cette crise de l'ESB et de la
suppression des farines animales, nous croyons à la
nécessité d'un plan de relance des protéines
végétales à l'échelle européenne.
La décision de suppression des farines d'origine animale de novembre
2000 a de lourdes conséquences quantitatives et qualitatives. Dans le
contexte de consommation et de prix actuels, la commission européenne
estime le besoin complémentaire en protéines à 2 millions
de tonnes d'équivalents tourteaux de soja, ce qui vient s'ajouter aux
importations habituelles.
Sur le plan qualitatif le besoin supplémentaire va se traduire par
l'importation d'aliments oléo-protéiques dont il sera difficile
de contrôler la nature, risques liés aux organismes
génétiquement modifiés et plus encore le contrôle de
la traçabilité dans un marché mondialisé.
Au-delà de cet accroissement immédiat du besoin lié
à cette décision, c'est une réflexion sur l'ensemble de la
situation protéique européenne et les conséquences de
notre dépendance qu'il faut mener.
Très résumée, la situation actuelle de dépendance
se traduit par des conséquences économiques liées au
coût direct des importations massives de protéines qui nous sont
expédiées par les grands pays producteurs, USA, Argentine et
Brésil, et au manque à gagner pour la production agricole
européenne. Elle se traduit encore par des risques du point de vue de la
sécurité alimentaire car l'absence de choix réel et donc
l'obligation d'importer fragilise les mesures destinées à
accroître la traçabilité et à améliorer la
sécurité alimentaire souhaitée par les opérateurs
et les consommateurs.
Lorsqu'on nous présente un certain nombre de pays producteurs de
protéines comme indemnes d'OGM, et je pense notamment au Brésil,
et qu'en se rendant sur place dans des exploitations agricoles nous constatons
comme je l'ai vu au cours d'une dernière mission- des agriculteurs
désherber leur production de soja avec des produits supportables
uniquement par des semences résistantes à ce produit, et donc
génétiquement modifiées, vous nous permettrez d'exprimer
beaucoup d'interrogations quant à la sécurité et à
la traçabilité qu'offrent ces pays qui, pourtant, sont
présentés comme ayant chez eux interdit la production d'OGM. Si
on prend en compte l'ensemble des sources de protéines, on peut estimer
que le taux européen de dépendance est de 33% environ,
c'est-à-dire qu'environ un tiers de nos besoins globaux sont couverts
par des importations, avec une très large part accordée au soja
sous différentes formes, graines, farines et tourteaux. Ce taux
s'accroît jusqu'à 75% si on prend en considération les
besoins spécifiques des espèces mono gastriques, porcs et
volailles, et la réponse protéique particulièrement bien
adaptée, offerte notamment par le tourteau de soja, dont la composition
est proche des farines animales qui viennent d'être interdites.
Sur le tonnage équivalent tourteau de soja des matières à
haute teneur en protéines nécessaires au fonctionnement actuel de
l'alimentation animale, on estime que les 2 tiers sont importés.
Pour couvrir une partie de ce déficit, il nous semble indispensable de
mettre en oeuvre rapidement un plan encourageant ces productions
protéagineuses.
En plus ces cultures ont l'avantage de capter l'azote de l'air et donc
présentent des avantages sur le plan environnemental incontestables. Le
développement de ces cultures complémentaires, tant du point de
vue agronomique que zootechnique, a récemment fait l'objet de
propositions de la part de la profession. Il s'agit de demander des mesures
destinées à encourager la culture de ces plantes, qui souffre
aujourd'hui d'un certain désintérêt de la part des
agriculteurs, et pour des raisons essentiellement économiques. A cet
effet, il serait entre autres solutions envisageable soit d'utiliser les
jachères disponibles, soit de réorienter une partie des terres
actuellement consacrées aux céréales. Cette
dernière voie ne sera réalisable que dans la mesure où les
producteurs et les coopératives de collecte valident
économiquement ces orientations et tiennent compte des régions.
Naturellement, les producteurs devraient être accompagnés dans ces
évolutions par les instituts techniques et les organismes
économiques.
Nous pensons, dans les coopératives, être particulièrement
bien placés pour accroître la production de protéines
végétales destinées à l'alimentation animale. La
plupart des coopératives ont depuis longtemps mis en oeuvre des
productions contractualisées destinées à différents
opérateurs, la meunerie, le malt, il y a une culture de la
contractualisation dans nos coopératives qui est réelle et qui
pourrait permettre le développement de ce plan protéine de
façon rapide.
Une politique volontariste de la part des Pouvoirs publics pour une relance de
ces productions de protéines aurait également des
conséquences économiques directes sur l'accroissement de la
production végétale finale.
A ce jour, en dépit de l'analyse demandée lors des sessions du
4-12-2000 et du 26-02-2001 par le Conseil de l'Agriculture à la
commission européenne, il n'apparaît pas que des décisions
claires aient été prises et on pourrait même parler d'un
certain désintérêt pour ce problème de la part des
autorités européennes.
En conclusion, je me permettrai d'inviter les membres de la commission
d'enquête à souligner l'importance de l'enjeu proposé aux
coopératives agricoles, particulièrement bien placées pour
l'organisation des filières de production, la maîtrise des
relations avec les exploitations agricoles, et donc la rigueur dans les
procédés de traçabilité et de
sécurité alimentaire, vous inviter à soutenir la recherche
de solutions destinées à accroître la production de
protéines végétales, en relayant les propositions
formulées par la profession ; même si cette question est du
domaine européen, nous en sommes bien conscient, il nous paraît
quand même important que la France formule cette demande avec plus
d'insistance encore.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Concernant Syncopac, qui représente
les coopératives fabriquant des aliments pour animaux au sein de votre
confédération, avez-vous eu connaissance d'importations de
farines d'origine douteuse, et si oui vous êtes-vous porté partie
civile dans un certain nombre de procès ?
M. Philippe Mangin
- Non, nous n'avons pas eu connaissance d'importation
et de ce fait, nous n'avons pas été interrogés sur
l'opportunité de nous porter partie civile.
M. le Rapporteur
- Sur un plan plus général,
considérez-vous que le secteur de la production de farine animale est
suffisamment et efficacement contrôlé et encadré en
France ?
M. Philippe Mangin
- Je ne le pense pas. Je ne pense pas que nous nous
soyons entourés de toute la rigueur et de tous les contrôles qui
auraient été souhaitables. Je veux insister sur l'attitude
plutôt offensive des coopératives de fabrication d'aliments du
bétail, qui ont été les premières à poser le
problème de la présence de farines animales dans certains
aliments, notamment dans la chaîne de production d'aliments du
bétail pour bovins. Nous étions bien avancés
déjà dans nos réflexions avant que les décisions
n'aient été prises par les autorités publiques, nous
étions bien avancés dans des réflexions et dans des
stratégies visant à ce que des ententes coopératives
puissent séparer les circuits de production d'aliments. C'est ainsi que
plusieurs coopératives ont créé des alliances pour
spécialiser leurs usines et faire en sorte qu'il n'y ait plus de
contamination possible entre la fabrication d'aliment pour viande blanche pour
les mono gastriques et la fabrication d'aliments pour les bovins. Je suis
président d'une coopérative qui a participé à une
stratégie de ce type en alliance avec trois autres coopératives.
Cela nous a permis de spécialiser 4 de nos outils industriels de
façon à ce que plus aucune contamination ne puisse avoir lieu,
qu'on ait des camions de distribution qui n'aient eu aucun contact d'une gamme
de produit à une autre. Cela a été conduit dès le
début des années 99. Il est bon de rappeler que le Syncopac a
formulé publiquement des demandes en ce sens. On peut regretter une
insuffisance de rigueur de contrôle en la matière, effectivement.
M. le Rapporteur
- Êtes-vous toujours en phase avec les
décisions gouvernementales, c'est-à-dire interdiction totale des
farines animales sur l'ensemble des animaux, porcs, volailles, bovins ou
seriez-vous plus tolérant sur porcs et volailles ?
M. Philippe Mangin
- Sous réserve d'expertises scientifiques qui
resteraient à réaliser encore pour l'alimentation des mono
gastriques, j'aurais tendance à penser que, si nous avions pu
spécialiser complètement nos outils de production et assurer une
traçabilité la plus totale qui ne présente aucun risque de
contact et de mélange, autrement dit si nous avions des usines de
fabrication à destination des seuls mono gastriques et qu'il n'y ait
aucun contact possible avec l'alimentation des bovins -c'est par cette approche
que nous avons été longtemps guidés-, j'aurais tendance
à dire que, sous réserve d'expertise scientifique qui
démontre qu'il n'y a pas de risque dans la famille mono gastrique, cela
me semble être une solution qui pourrait redevenir possible.
M. le Rapporteur
- Vous n'avez pas peur qu'en terme d'image
vis-à-vis de l'opinion ce soit désormais impossible ?
M. Philippe Mangin
- Nous pourrons assez facilement, et c'est un peu le
cas, dire au consommateur que malheureusement l'origine des protéines
végétales aujourd'hui n'est pas beaucoup plus rassurante pour lui.
M. le Rapporteur
- Est-ce un discours que l'on peut tenir ? On peut
le tenir ici entre nous, on le comprend bien, mais ce n'est pas en disant que
l'origine des protéines végétales n'est pas plus
sûre qu'on peut aborder vraiment le problème.
M. Philippe Mangin
- Les peurs alimentaires, qui sont tout à fait
légitimes après les difficultés rencontrées ces
dernières années, sont quand même souvent excessives. Il
convient d'en revenir à la raison. Cette raison qu'il faut rechercher,
c'est l'expertise scientifique sous surveillance des pouvoirs publics qui nous
permettra d'y revenir. Si nous avons des instances scientifiques
indépendantes qui peuvent démontrer à l'issue de travaux
rigoureux que les farines animales dans l'alimentation des mono gastriques ne
présentent pas de danger, je ne vois pas pourquoi le consommateur
continuerait à s'affoler exagérément. Il faut tenter de
rassurer le consommateur sur la rigueur, l'indépendance, la
qualité de l'expertise scientifique. Cela demandera un peu de temps sans
doute. C'est selon nous le meilleur moyen pour que le consommateur s'y retrouve
dans les informations qui lui sont livrées pêle-mêle et qui
parfois sont davantage dues à des lobbies de tout poil qu'à des
supports crédibles.
M. le Rapporteur
- Vous avez fait un long exposé et plaidoyer
concernant les protéines végétales et le souci que vous
avez de relancer un plan protéine au niveau européen et
français en particulier. Nous sommes assez désemparés. Que
ce soit auprès de Franz Fischler, que nous avons rencontrée il y
a quelques semaines à Bruxelles, ou suite à l'audition de
Monsieur Moscovici où nous lui avons posé la question au sein de
la délégation à l'Union Européenne, on ne sent pas
une volonté très nette sur ce point et vous avez vu les
résultats du document de travail de la commission.
Je ne sais pas quels seraient les moyens pour bien faire comprendre
déjà au niveau national la pertinence. On a reçu le
président de la FOP, qui était d'une clarté exemplaire sur
ce point. Cela paraît excessivement rationnel de relancer un plan
protéique au plan national. Nous sommes encadrés par les accords
de Blair House sur une partie seulement de ce plan.
Une fois qu'on a rencontré ces personnes, on va reposer la question
à Monsieur Glavany, on ne sent pas de volonté très claire.
Cela ne passerait-il pas non plus par une action auprès de l'INRA, pour
avoir des variétés plus compatibles avec la climatologie
nationale ?
Toutes tendances politiques confondues, nous sommes très
réceptifs à cela pour faire un relais, mais nous sommes
déçus.
M. Philippe Mangin
- On se heurte à ce qui pourrait sembler
être un certain désintérêt de la commission
européenne sur la question. Si c'est le cas, c'est parce que cela cache
des préoccupations budgétaires importantes. Vouloir au niveau
européen être offensif en ce domaine et relancer un
véritable plan protéine supposerait un certain
rééquilibrage du budget en défaveur de certains secteurs.
Il y a 2 possibilités. Soit on se dit : pour relancer ce plan
protéine on va prendre un peu sur les filières animales. Ce n'est
pas le moment, puisqu'au contraire, du côté des filières
animales, il y a besoin de moyens budgétaires plutôt plus
importants.
Si tel n'est pas le cas, c'est peut-être dans la filière
céréalière qu'il faut trouver les moyens d'y parvenir. Je
ne sais pas si l'état de la céréaliculture
européenne peut permettre cette éventualité. La
filière a dû accepter de gros efforts ces derniers temps, en
France, en plus, avec la mise en place de la modulation, donc essayer
d'expliquer au secteur céréalier qu'on va devoir lui baisser les
primes à la faveur d'une relance du secteur protéine ne me
paraît pas non plus être chose facile.
L'équation de la politique agricole européenne aura du mal
à trouver une réponse à budget constant et à la
veille d'un élargissement. C'est ce qui nous encombre dans cette
recherche de solution que de se dire en préalable " nous ne pouvons
raisonner qu'à budget constant et à l'intérieur du budget
actuel".
Cela étant, une évolution budgétaire est-elle
possible ? La question me dépasse. Je sens que s'il y avait un
effort réalisé de ce côté, les choses pourraient se
dénouer assez vite. Deuxième crainte que peuvent avoir les
autorités européennes : la réaction des
États-Unis. Le panel soja que nous avons perdu n'est pas très
ancien. A la veille de l'ouverture de négociations difficiles, bon
nombre de négociateurs sont tentés de nous dire " patientez un
peu ". Or, il y a des intérêts que vous avez bien compris qui
pourraient nous permettre d'être plus offensifs dans ce domaine. J'en
rajoute un, cher à une région comme la mienne : toutes les
régions agricoles dites intermédiaires, le grand pourtour du
bassin parisien, qui va même jusque dans le Sud-Ouest, se heurtent
à la difficulté de ne pas pouvoir développer de cultures
dites industrielles, comme des régions du bassin parisien peuvent en
avoir avec la betterave, la pomme de terre etc.
Elles sont en système de production un peu enfermées en termes de
tête d'assolement, autour soit du tournesol dans le sud-ouest, et du
maïs, ou du colza pour une grande partie l'est de la France.
Développer le plan protéines, c'est redonner des chances à
l'agriculture de ces régions, qui présente toutes les conditions
pédo-climatiques pour redévelopper de la culture qui
historiquement se faisait, comme la féverole, le lupin et d'autres
productions de ce type.
Il y a un avenir pour les régions dites intermédiaires qui passe
par le développement de ces cultures de protéines. Il faut le
verser au débat politique.
Ce sont les régions actuellement qui souffrent le plus de
l'évolution de la réforme de la PAC des derniers accords de
Berlin, ce sont celles qui ont le moins de chance de diversification, sauf
à espérer relancer ces productions de protéines.
M. le Rapporteur
- Il faudra que l'on raisonne à budget constant.
Les informations qu'on peut avoir au plus haut niveau nous amènent
à le penser. Mais il y a des priorités. Celle-ci en est une,
voire la première. Au sein de votre système coopératif,
est-ce une réflexion à laquelle vous commencez à avoir des
conclusions entre vous ?
M. Philippe Mangin
- Beaucoup de coopératives ont commencé
à prendre le taureau par les cornes en réalisant ce qui peut
paraître bien petit eu égard à l'ampleur du
problème, mais en remettant dès l'année dernière
par exemple des parcelles d'essai de ces productions dans toutes les
coopératives à peu près, ce qui avait été
abandonné et ce qui nous amène à la difficulté dans
laquelle nous sommes. Il n'y a pas eu de recherche génétique
depuis des années, il n'y a pas eu de moyen tellement
développé auprès des instituts etc. Il y a une
mobilisation des coopératives. Certaines ont passé des accords
avec des collectivités territoriales, c'est le cas en
Languedoc-Roussillon où il y a un accord de la région pour
soutenir à titre expérimental, mais dans un souci de
vulgarisation, ces cultures à titre d'essai.
Donc cette mobilisation côté coopératives est
réelle. Elle est en train de se traduire par des faits concrets. La
première chose à faire est celle-là pour que les
agriculteurs se disent " j'ai intérêt à recommencer cela ".
Qu'on leur montre grandeur nature " nous avons fait des essais, les
résultats économiques ne sont pas aussi négatifs que
chacun a pu le penser ". Cette mobilisation existe. La volonté des
coopératives de mettre tout en oeuvre pour contribuer au retour de ces
productions est certaine, notamment pour celles qui sont aussi productrices
d'aliments du bétail, qui sentent bien l'intérêt, et qui se
disent que ce sera même comparatif très rapidement.
Pouvoir dire à ses sociétaires " je vous vends un aliment du
bétail qui certes n'a plus de farines animales, mais qui en plus
contient des protéines " du pays ", sera un avantage compétitif ".
M. le Rapporteur
- Au travers du secteur Languedoc-Roussillon, donc,
dans le cadre d'un contrat de plan État région, pourrons-nous
avoir un document sur ce point ? Il serait intéressant de le verser
au dossier de la commission. Cela pourrait être l'objet d'une incitation
au travers de ce document sur d'autres régions françaises.
Ma dernière question a trait à la réflexion sur la
réforme de la Politique Agricole Commune. Je suis persuadé que la
coopération y pense activement et de façon pertinente.
Cela doit être également l'objet d'une des réflexions de
cette commission d'enquête. Quelle est votre approche concernant la
réforme de la PAC ? Nous sommes là à un virage. La
PAC a été un élément fondamental dans la
construction européenne. Là on est au bord de l'implosion. Il
serait intéressant qu'on puisse vous entendre sur ce point. Cela
demandera sans doute d'autres rencontres, mais cela fait partie de l'objet de
la commission.
M. Philippe Mangin
- Nous craignons le glissement d'une politique
agricole vers une politique de revenus. Nous sommes persuadés qu'un jour
viendra où les agriculteurs vendront avant d'avoir produit ou ne
mettront rien en production sans avoir un contrat, un débouché,
une contractualisation.
Ce jour viendra. C'est en plein développement. Ce sera étendu
à la plupart des agriculteurs rapidement.
Cette simple analyse pourrait nous amener à dire " il n'y a plus besoin
de politique agricole, il n'y a que de la compensation à faire pour les
agriculteurs en situation plus défavorable ". J'émets une forte
réserve à cette déduction. Nous avons affaire là,
contrairement à des secteurs industriels, à du vivant. C'est une
production qui ne se contractualise pas et qui ne se régule pas comme
une chaîne de production de voitures. On peut se dire qu'un fabricant
automobile, à part dans la phase de lancement d'un nouveau produit, fait
ensuite travailler sa chaîne en fonction des bons de commande. Il adapte
sa production ainsi. En agriculture nous n'y parviendrons jamais
complètement, parce que nous avons affaire à du vivant. Cela
supposerait que la politique agricole européenne continue à
intervenir en deux directions :
* Qu'elle maintienne un filet de protection au sens où nous ne sommes
pas à l'abri de crise dans un sens ou l'autre en terme quantitatif. 2%
de plus d'excédent d'une production sur un marché mondial, c'est
tout le secteur qui connaît une très forte dégradation des
prix. Un agriculteur ne peut supporter de telles variations. Il est important
qu'on conserve dans cette politique agricole un niveau minimum de filet de
protection.
* Puisque c'est du vivant, nous sommes soumis à tous les risques que
présente le vivant et donc des risque sanitaires, liés à
la santé. On ne peut imaginer que la profession soit capable
elle-même d'assumer toujours les conséquences de tous ces
risques.
Ces 2 raisons m'amènent à dire que toutes les évolutions
de politique agricole européenne sont imaginables. Il faut être
ouverts à ces formes d'évolution à condition qu'on ait
bien pris en compte cette spécificité de l'agriculture qui vise
à traiter du vivant et qui donc nécessiterait ce filet de
sécurité et cette capacité à gérer les
crises maintenue au niveau européen. Ce sont 2 piliers sur lesquels il
faut axer notre réflexion. Je n'ai pas évoqué les
conditions climatiques et les variations qu'elle peut engendrer. L'Europe est
un des continents le plus stable en matière de production, par son
climat. Les variations climatiques sur d'autres continents sont
extrêmement fortes et vous voyez des courbes de production
extrêmement cycliques quand vous prenez la production de l'Australie ou
des États-Unis dans certains secteurs au cours des 10 dernières
années.
Ces 2 conditions étant posées, imaginer une autre intervention
des soutiens publics, une autre conditionnalité à l'octroi de
soutien aux agriculteurs me paraît souhaitable. Il faut que la profession
s'en ouvre et soit force de proposition en la matière. Nous devons dans
toute cette approche rassurer le consommateur et rendre des comptes au citoyen.
Ce sont deux questions qu'on ne pourra balayer d'un revers de main, comme la
profession l'a fait un peu trop sans doute dans les réflexions
précédentes en 1992 et en 1997 ou 1998.
M. le Rapporteur
- Au sein d'une contractualisation forte à
laquelle je crois personnellement, vous n'avez pas évoqué le
dernier maillon, celui de la grande distribution et de la concentration qui est
la sienne, que l'on dénonce. Au niveau de la coopération,
pensez-vous avoir un effet de levier sur lequel vous voudriez vous appuyer
davantage ? Concernant le partage de la valeur ajoutée, on voit de
plus en plus où va le glissement. Il est très net. Même
s'il y a un excellent rapport de nos collègues Le Déaut et
Charié sur ce point, on ne sent pas une volonté gouvernementale,
quel que soit le gouvernement, pour aider à déplacer ce niveau de
captation de valeur ajoutée. Avez-vous des propositions sur ce
point ?
M. Philippe Mangin
- Nous interpellons depuis longtemps
déjà, mais plus récemment encore, les pouvoirs publics
pour qu'ils conditionnent l'octroi des aides à l'organisation des
producteurs. Pas toutes les aides, mais un certain nombre d'aides en provenance
des offices notamment, pourraient être octroyées en étant
davantage conditionnées à l'organisation des producteurs.
L'organisation des producteurs procurera des économies aux pouvoirs
publics. Elle fera réaliser des économies aux pouvoirs publics
car elle limitera les crises. Plus nos agriculteurs seront organisés
pour être présents sur les marchés, moins nous serons
confrontés la crise.
Quand on en a les moyens au niveau des pouvoirs publics, comme c'est le cas
dans les offices, nous avons eu ce débat au Conseil supérieur
d'orientation et nous n'avons pas été suivis, nous
coopérations, et nous le regrettons. Nous n'avons pas été
suivis par une partie de la profession aussi. Nous avons eu ce débat et
nous pouvions sous-tendre, conditionner davantage un certain nombre d'aides
à ce degré d'organisation économique. Cela n'a pas
été fait mais nous continuons à la CFC à militer
dans ce sens et invitons avec force les entreprises coopératives
à créer des alliances pour essayer d'être plus
présentes dans la conquête de la valeur ajoutée, essayer
d'aller plus loin dans la chaîne alimentaire.
M. le Rapporteur
- Créer des alliances entre différentes
coopératives ?
M. Philippe Mangin
- Oui. Le terme " alliance " n'a pas toujours
été bien compris par les agriculteurs puis par les pouvoirs
publics, qui considéraient que nous invitions nos coopératives
à créer des choses monstrueuses que les agriculteurs ne
maîtriseraient plus etc. Nous n'étions pas tellement compris dans
cette approche. Il s'agit d'inviter les coopératives à
créer des alliances. Cela ne sous-tend pas toujours des fusions pour ne
créer qu'une seule entité. On peut être coopérative
en relation directe avec ses agriculteurs et sur un territoire donné,
s'en tenir là et, dans l'aval, dans les outils industriels, dans la
conquête de la valeur ajoutée, se doter d'outils à 2, 3 ou
5. J'ai 2 exemples en tête, dont Malt Europe, qui réunit 20
coopératives du grand Nord Est de la France, premier malteur
européen, deuxième malteur exportateur au monde. Ce sont 20
coopératives qui ont leur propre entité et ont su à une
époque créer un outil commun qui est devenu un des principaux
acteurs dans le malt au niveau mondial, qui a maintenant des malteries en
Espagne, en Allemagne, au Portugal, en Argentine et en Chine.
Des coopératives, donc, peuvent faire s'il y a la volonté des
hommes et si elles se sentent soutenues, invitées. Nous ne demandons pas
de privilège particulier mais une dynamique qui nous amène
à agir dans ce sens. Chaque fois que les pouvoirs publics pourront
inviter les agriculteurs à cette démarche d'organisation, ils
aideront ensuite les coopératives à des démarches
d'alliance pour cette conquête de la valeur ajoutée.
M. Jean-Marc Pastor
- Vous avez brossé un tableau
général de l'action et de l'action de groupe nécessaire au
monde agricole, auquel on adhère tous. Je reviens sur une des
interrogations qui est également la nôtre. Comment, dans la
période 1990 à 2000, où il y a eu fabrication d'aliments
du bétail, comment la confédération, vous-même, avez
été intégrés, mêlés de près, de
loin, à la mise en place de tout cela ? Derrière cette
préparation d'aliment du bétail planent les farines animales.
Avez-vous été interpellé sur cette question de
façon directe par des coopératives de fabrication d'aliments dans
cette période ? Je ne parle pas de 1999. Comment cela s'est-il
passé avant ? Quelle est la tutelle que peut exercer la
confédération par rapport aux coopératives ? C'est
lié.
M. Philippe Mangin
- Interpellée par nos coopératives, la
CFCA en tant que telle, non. Nous sommes une confédération qui
réunit 19 fédérations spécialisées par
métier, plus un certain nombre d'entreprises qui adhèrent
directement à la CFCA, en l'occurrence les polyvalentes et les plus
grosses d'entre elles.
Nous n'avons pas de relations directes à la CFCA avec les entreprises
coopératives, à l'exception des plus grosses. Ce sont nos
fédérations spécialisées qui ont cette relation.
Elles nous interpellent régulièrement, notamment quand une
relation avec les pouvoirs publics est souhaitable. La CFCA est la
confédération qui est chargée de porter des
préoccupations sectorielles au plus haut niveau.
Je fais une petite parenthèse : cette organisation ne nous
satisfait pas, sur laquelle depuis mon arrivée à la
présidence de la CFCA je travaille beaucoup pour faire que cette
confédération soit un peu plus fédération et faire
en sorte que le mouvement coopératif se dote d'une organisation plus
musclée en termes d'expertise. Notre expertise est diffuse dans ces
fédérations. Je souhaite la concentrer pour la renforcer et
l'améliorer, de façon aussi à renforcer notre expression
politique. Vous avez reçu 2 présidents, l'un de la
fédération d'aliments du bétail, le Syncopac, l'autre de
la fédération de production d'aliments de bétail et de
viande ; tout cela reste une voie assez dispersée. Qu'il y ait des
approches par filière et métier est indispensable. Que nous
soyons capables de nous réunir pour nous doter d'une vraie expertise me
paraît souhaitable, d'abord pour traiter de problèmes aussi graves
que ceux-là. La CFCA ne peut donner tout ce qu'elle pourrait compte tenu
de ce mode d'organisation, mais nous y travaillons et j'espère que 2001
sera révélatrice en termes d'amélioration.
M. Jean-Marc Pastor
- Dans le prolongement de ce débat et dans
une vision plus perspective, vous touchez du doigt que la notion de
confédération est difficile dans l'équilibre national pour
essayer d'être le porte-parole dans une diversité de points de
vue. Sur le terrain nous nous rendons compte de cette diversité de
points de vue. Soutien des pouvoirs publics, soutien du monde professionnel
agricole. Tant qu'il n'y aura pas une fédération, il y aura du
mal à trouver une adhésion, une expression unanime par rapport
à ce mode d'organisation économique. Vous avez là un point
faible qu'on retrouve dans notre interrogation pour essayer d'y voir plus clair
dans ce cheminement, cheminement qui vous échappe quelque part car il
n'y a pas de tutelle. Si l'idée est intéressante, dans la
pratique on se rend compte d'un point faible par rapport à cette
organisation. Il y a du chemin que l'on partage.
M. Philippe Mangin
- Je ne veux pas dresser un tableau trop sombre de la
situation. Nous exerçons une certaine tutelle, même si le mot est
un peu fort, sur nos fédération. Je ne peux nier cette situation
et je travaille pour que cela s'améliore.
M. Bernard Cazeau
- L'enseignement principal de la crise de l'ESB est
qu'il y a une préoccupation de plus en plus manifeste du consommateur
par rapport à la qualité des aliments. A cet égard, on
peut aujourd'hui s'interroger sur les précautions prises. L'ESB est un
problème que l'on vit, qui nous conduit à réfléchir
sur le passé. Si on regarde l'avenir, on voit des préoccupations
sur les pesticides, les herbicides par exemple, sur les résidus
très importants qu'on trouve dans l'eau et les produits alimentaires.
Dans cette idée de précaution maximum, y a-t-il des
démarches actives au niveau des coopératives qui ont plus que
d'autres le sens éthique, dans l'optique de faire en sorte que les
pesticides diminuent très vite dans les années qui viennent et
qu'on puisse dire dans 10 ans " on avait à l'époque pris les
précautions, on avait essayé de diminuer fortement les pesticides
" ? Y a-t-il une réflexion, un projet collectif sur ce point au
niveau des coopératives ?
M. Philippe Mangin
- On pourra toujours démontrer qu'on a
trouvé une coopérative qui n'est pas très soucieuse de ces
questions. Cela m'arrive fréquemment, quand je tente d'expliquer
l'action coopérative dans ce domaine, qu'on me trouve un contre-exemple.
Il y en a sans doute, comme dans tout secteur professionnel, comme dans toute
famille organisationnelle. Cela étant, l'investissement des
coopératives dans ce domaine est réel et déjà
ancien. Le rôle des coopératives est précieux. Elles ont
une capacité de levier auprès des agriculteurs qui est
très forte, bien plus que celle d'une chambre d'agriculture ou d'une
autre organisation. Lorsqu'une coopérative a décidé
qu'elle devait faire tous les efforts possibles pour diminuer la consommation
d'engrais azotés, elle met ses équipes techniques au travail et
une fois que le message part dans la nature, cela va très vite. Une
autre organisation agricole, avec toute son honnêteté et sa
légitimité, n'aura jamais cette capacité
d'entraînement, de mobilisation, d'adhésion des agriculteurs.
Même les agences de bassins, souvent réticentes à
l'égard des coopératives, notamment de celles qui peuvent
être acheteurs de produits et vendeurs d'intrans, ont revu cette approche
et ont vu qu'avec les coopératives, elles pouvaient jouer sur ce
rôle de levier qu'elles avaient, qui est incontestable. On a beaucoup de
démarches de gestion parcellaire, d'optimisation des itinéraires
conduites par des coopératives. Beaucoup des expérimentations et
des conseils diffusés aujourd'hui s'appuient sur de l'optimisation.
Comment réussissons-nous à inviter les agriculteurs à
être plus précautionneux ? Autour de la notion de marge
brute. Dire à un agriculteur " En diminuant tes doses d'intrans de x% tu
vas améliorer les conditions de la nappe phréatique etc., " c'est
bien ; lui démontrer en même temps qu'il y a un gain
économique qui va améliorer sa marge brute à l'hectare,
cela va encore mieux. Les coopératives savent le faire. Si en plus elles
peuvent ajouter une approche contractuelle avec un cahier des charges qui
permet auprès du client final une petite valorisation -car ces
écarts restent infimes-, l'adhésion est encore meilleure.
Beaucoup de coopératives sont dans cette logique de contractualisation
qui nous conduira nous l'espérons à dire que le produit
alimentaire a une origine mais qu'en plus, ses modes de production auront
été soucieux de l'environnement. On touche là la notion
d'agriculture raisonnée qui nous pose des problèmes pour
être reconnue et mise en oeuvre au niveau national. Nous progressons.
Audition de M. Lucien ABENHAÏM, Directeur général de la
santé
(28 mars 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Lucien
Abenhaïm, vous êtes Directeur général de la
santé et c'est à ce titre que vous êtes auditionné
dans le cadre de la commission d'enquête du Sénat sur le
problème des farines animales et des conséquences que cela peut
entraîner sur la santé humaine. C'est pourquoi nous avons
souhaité vous entendre.
Comme vous le savez, nous sommes dans le cadre d'une commission d'enquête
parlementaire et, bien sûr, les témoignages doivent se faire sous
serment. Je vais donc vous lire le protocole habituel et, à la fin, vous
demander de bien vouloir jurer de dire la vérité et toute la
vérité.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Abenhaïm.
M. le Président -
Merci. Si vous le voulez bien, dans un premier
temps, je vais vous demander de nous dire quel est votre sentiment sur le sujet
qui intéresse notre commission, après quoi, avec nos
collègues, nous vous poserons les questions que nous souhaitons vous
poser. Je vous passe donc la parole.
M. Lucien Abenhaïm
- Monsieur le Président, messieurs les
Sénateurs, je vais très rapidement vous exposer la vision de la
Direction générale de la santé sur la question
spécifique des farines animales, puisque j'imagine que vous souhaitez
que je centre mon exposé sur ce point. Je précise que, bien
entendu, pour la Direction générale de la santé, c'est
à la fois une question centrale mais également une question
périphérique parce que nous n'avons pas directement de
compétence dans la gestion de l'alimentation animale, ni même de
compétence, au sens juridique et strict du terme, en termes de
sécurité des aliments, dont la compétence revient au
ministère de l'agriculture et au ministère qui a la charge de la
consommation.
Néanmoins, c'est une question centrale, dans la mesure où, en
termes de santé humaine, d'épidémiologie et de suivi
éventuel de l'épidémie de la maladie de Creutzfeldt-Jakob,
qui nous intéresse directement, les facteurs de risques de cette maladie
nous concernent, bien entendu, et que les farines animales sont donc un facteur
de risques principal. C'est en ce sens que nous l'abordons.
Je vais simplement vous dire rapidement comment nous
réfléchissons à ces questions du point de vue de la
santé publique. Nous nous intéressons à cette question en
termes de risques de développement d'un nouveau variant ou de la
nouvelle variante (les scientifiques changent d'appréciation pour savoir
si on doit parler de "nouveau variant" ; je pensais qu'il avait
été décidé que c'était une "nouvelle
variante") de la maladie de Creutzfeldt-Jakob pour laquelle, en France, nous
avons eu jusqu'à présent deux cas confirmés et certains et
un cas très probable et encore vivant. Nous avons donc pour l'instant un
certain nombre de cas relativement peu nombreux dans ce pays, mais nous savons
qu'au plan international, on en est aujourd'hui à cent cas, l'essentiel
d'entre eux étant bien entendu au Royaume-Uni et un cas confirmé
se situant en Irlande. Aucun cas ailleurs dans le monde n'a été
rapporté pour l'instant.
Cent cas d'une maladie inconnue jusqu'alors, même si on connaît
d'autres formes approchantes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, c'est
évidemment une épidémie, même s'il ne faut pas
confondre épidémie et maladie contagieuse. En effet, cela ne veut
pas dire que la maladie soit contagieuse et puisse se transmettre de l'homme
à l'homme de façon simple, mais il est très clair que cela
représente une épidémie et un nouveau
phénomène.
Quelles sont les raisons de ce phénomène ? Je pense
qu'aujourd'hui, il ne fait pratiquement aucun doute dans l'esprit des
scientifiques que l'origine en est la consommation d'aliments contaminés
par le prion pathologique, en particulier la consommation qui pourrait provenir
de la transformation de produits d'origine bovine. On n'en a pas de preuve
absolue au sens scientifique du terme puisque, évidemment, on n'a pas pu
faire d'expérience chez l'homme mettant en évidence cette
transmission, mais on a suffisamment d'éléments
épidémiologiques pour pouvoir l'affirmer avec certitude.
Une autre source pourrait être la contamination inter humaine, ne
serait-ce que par le partage des produits du sang ou à travers les
soins. Pour l'instant, nous n'avons pas d'éléments
épidémiologiques qui nous permettent de mettre en évidence
ce facteur de risques. J'ajoute que, pour la consommation d'aliments, nous
n'avons pas non plus d'éléments épidémiologiques
formels sur l'origine bovine. C'est simplement la correspondance entre les
types de maladie que l'on a pu détecter chez l'homme et ceux que l'on
connaît chez l'animal qui nous fait penser à une relation causale,
mais on n'a pas pu le mettre en évidence comme on peut le faire dans
d'autres maladies.
Par exemple, entre le tabac et le cancer du poumon, on a une relation
statistique établie. En l'occurrence, la relation statistique n'est pas
établie. En revanche, on dispose d'éléments biologiques et
de coïncidences temporelles qui nous font penser que l'on a une relation.
Pour les animaux contaminés, quel est le facteur de risque principal et
peut-être unique qui a pu être mis en évidence pour la
contamination de ces animaux ? Ce sont bien entendu les farines. C'est
évident pour vous et vous l'avez évidemment beaucoup entendu,
mais je crois qu'il faut remonter l'ensemble de la filière pour se le
rappeler.
On n'a pas pu démontrer que les farines animales sont responsables
expérimentalement mais on a pu le faire sur le plan
épidémiologique. En effet, on a vu très clairement, en
particulier, la chute considérable de l'épidémie chez les
bovins britanniques à partir du moment où les farines animales
ont été retirées et interdites et où cette
interdiction a été effective. C'est l'argument principal sur
lequel on se fonde pour considérer que les farines qui ont
été consommées en Grande-Bretagne étaient à
l'origine de l'épidémie de l'encéphalopathie spongiforme
bovine.
On a déterminé une autre source qui pourrait être une
transmission verticale et qui ne serait pas responsable d'une très
grande partie de la contamination, et on cherche une troisième voie,
depuis un certain temps, qui n'a pas pu être mis en évidence ni
expérimentalement, ni biologiquement : il n'est pas strictement
impossible que les lacto-remplaceurs, qui contenaient des graisses d'origine
animale, y compris des graisses d'os d'origine bovine ou de ruminants, soient
considérés comme une autre voie possible, théoriquement,
sans en avoir aucune preuve scientifique, de contamination.
A partir du moment où ces farines sont mises en cause, il se pose la
question de savoir ce qui est vraiment mis en cause, si c'est le fait d'avoir
des farines de viande et d'os, si c'est le fait d'avoir des farines de viande
et d'os qui n'ont pas été traitées de façon
adéquate ou si c'est le fait d'avoir des farines de viande et d'os qui
proviennent d'animaux contaminés ou qui n'ont pas subi les
opérations de prévention nécessaires.
Assez rapidement, vers la fin des années 80, on s'est rendu compte que
les farines de viande et d'os pouvaient être à l'origine, en
Grande-Bretagne, de l'épidémie qui commençait à
être identifiée. Il faut se rappeler qu'en 1987 ou 1988, on n'en
était encore qu'à quelques centaines de cas, uniquement en
Angleterre, après quoi la courbe a été exponentielle dans
les années qui ont suivi. On a donc pensé immédiatement
à ces farines comme étant à l'origine éventuelle de
l'épidémie, et les mesures qui ont été prises, en
Grande-Bretagne, ont été d'abord, bien entendu, la
déclaration obligatoire des cas et l'interdiction des farines de viande
et d'os en juillet 1988 pour les ruminants, puis une interdiction totale qui
n'est survenue que beaucoup plus tard.
En Grande-Bretagne, on a ensuite interdit l'utilisation des abats à
risques pour la constitution des farines, évidemment, mais
également pour l'alimentation animale en général et pour
l'alimentation humaine à partir de 1990 et, en théorie, ces
interdictions ont été considérées comme effectives
à partir de 1991.
C'est la raison pour laquelle des mesures ont été prises pour
limiter la consommation de certains abats à risques dans l'alimentation
humaine pour les animaux qui seraient rentrés dans la chaîne
alimentaire après 1991.
Vous connaissez tout cela. J'insisterai simplement sur le fait que, lorsque je
suis arrivé à la Direction générale de la
santé, en août 1999, j'ai pris connaissance du fait que la
Direction générale de la santé, assez rapidement, en 1992
mais surtout en 1994, avait été la première à
réellement alerter un certain nombre de partenaires. En particulier, une
démarche spécifique a été faite avec une
délégation de la DGS qui est allée en Allemagne pour
renforcer l'alerte par rapport au fait que la transmission de l'ESB ou, en tout
cas, d'une encéphalopathie spongiforme, pouvait être plus
importante que l'on pouvait le croire. Cette conséquence avait
été mise en évidence par mes services quand ils ont appris
qu'une quarantaine de chats étaient atteints en Angleterre.
Cela remettait en question le dogme qui prévalait jusqu'alors et selon
lequel la transmission inter espèces n'était pas très
facile. Il faut bien se dire que, jusqu'à cette date, l'opinion
majoritaire était que l'ESB que l'on voyait chez les bovins en
Angleterre était de la "tremblante du mouton recyclée",
c'est-à-dire que les bovins avaient développé l'ESB
à cause du fait qu'ils avaient consommé des farines étant
elles-mêmes contaminées par les carcasses de mouton. On disait
alors que l'on connaissait la tremblante du mouton depuis deux siècles
(elle existe depuis peut-être plus longtemps) mais qu'elle n'avait jamais
été transmise à l'homme et il n'y avait donc aucune raison
qu'elle le soit.
C'est donc le fait qu'en 1993, les Britanniques aient mis en évidence la
transmission à des chats qui a fait penser que la barrière inter
espèces pouvait être franchie beaucoup plus facilement.
A ce moment-là, la DGS, fin 1993, a participé au Conseil de la
santé, au niveau européen, du 30 mars 1994 et a conduit une
mission à Bonn qui a débouché, à la suite d'une
réunion à Matignon, le 14 juin 1994, sur une démarche
simultanée des ministres français et allemands auprès de
la Commission. C'est donc la date à laquelle on a commencé
à se dire, à la DGS, qu'il y avait peut-être un
problème.
Par la suite, jusqu'en 1999, le nombre de cas d'encéphalopathie
spongiforme bovine en France était extrêmement
limité : il y avait eu cinq cas en 1991, zéro en 1992, un
cas en 1993, quatre cas en 1994, trois cas en 1995, six en 1997... On n'avait
donc pas le sentiment que l'on avait, en France, à faire face à
un problème de l'ampleur de celui qui était vécu en
Grande-Bretagne. Nous n'avons d'ailleurs jamais eu un problème de cette
ampleur.
Quand je suis arrivé à la DGS en 1999, mes services m'ont
alerté sur le fait qu'ils avaient le sentiment que, dans le dernier
trimestre 1999, il y avait eu une légère augmentation du nombre
de cas par rapport aux années précédentes. Effectivement,
sur 1999, nous avons eu trente cas, dont une bonne partie se sont
accumulés dans le dernier trimestre 1999, et, en l'an 2000, nous avons
eu 102 cas rapportés de façon clinique chez l'animal.
Tout cela pour dire que la plupart de ces animaux étaient nés
dans les années 1993, 1994 et 1995. On parle de 13 cas nés en
1993 pour les animaux qui ont déclaré la maladie en 2000, 43
nés en 1994 et 33 nés en 1995, c'est-à-dire "nés
après l'interdiction des farines", des cas NAIF.
Très clairement, on a donc eu un deuxième pic, même s'il
n'est pas extrêmement élevé par rapport aux centaines de
milliers de cas que l'on a connus en Grande-Bretagne, dans
l'encéphalopathie spongiforme bovine, et il s'est passé quelque
chose. Il est probable que notre système de surveillance
précédent n'était pas très bon ni suffisant, mais
la DGS n'a pas les moyens de savoir quel était notre système de
surveillance précédent et cette explication ne peut pas
s'appliquer à tous les cas. En effet, lorsqu'on examine les chiffres
avec précision, on se rend compte qu'à système de
surveillance à peu près équivalent, si on compare
plusieurs années, on a le même phénomène qui se
reproduit.
Donc le système de surveillance n'est pas suffisant pour expliquer le
phénomène. On sait que, bien entendu, il y a eu beaucoup de cas
infracliniques, mais il n'y a pas de raison de penser que le rapport entre cas
cliniques et infracliniques ait changé considérablement.
Ce qui s'est passé très probablement, au début des
années 90, c'est la consommation par des bovins français de
farines ou d'alimentations contaminées. Evidemment, il n'y a que trois
sources possibles : soit la contamination croisée entre le
producteur, le transporteur et l'utilisateur, soit la fraude, soit
l'utilisation illégale.
Il ne faut pas complètement mettre de côté
l'hypothèse des lacto-remplaceurs, puisqu'ils ont été
utilisés jusqu'à la fin de l'année 2000, à notre
grande surprise d'ailleurs. En effet, les services de la DGS étaient
persuadés, sur la base de discussions qu'ils avaient eues en 1997, que
cette consommation n'existait plus ou, en tout cas, qu'elle était
marginale. Nous avons donc appris vers le milieu de l'année 2000 qu'en
fait, elle était encore très largement répandue.
Voilà ce que je voulais vous dire en introduction, sachant que vous
connaissez déjà ces éléments. Je vais maintenant
répondre à vos questions.
M. le Président
- Merci. Je vais passer la parole à notre
rapporteur pour qu'il vous pose les premières questions.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Monsieur le Directeur, je voudrais revenir
sur un point qui nous a un peu surpris, non seulement les sénateurs mais
également l'ensemble de la population française, suite aux propos
de Mme Dominique Gillot, lorsqu'elle s'est exprimée, il y a quelque
temps, sur le nombre futur de cas français de la nouvelle variante de la
maladie de Creutzfeldt-Jakob. Quand elle s'est exprimée, l'a-t-elle fait
en disposant d'informations que possède la Direction
générale de la santé ? Comment pouvez-vous expliquer
non pas un écart de langage mais une crainte manifeste de sa part ?
M. Lucien Abenhaïm
- Je ne me permettrai pas de dire que c'est un
écart de langage. Nous avons effectivement des données qui sont
des analyses faites par des scientifiques et dont Mme Gillot s'est fait
l'écho.
Une modélisation a été effectuée en Angleterre par
une grande équipe de scientifiques britanniques qui a utilisé
tous les modèles possibles et imaginables.
M. le Rapporteur
- Vous voulez parler de la modélisation du
professeur Anderson ?
M. Lucien Abenhaïm
- Exactement. Le premier chercheur, dans la
publication, est Mme Ghani.
Cette modélisation, qui est mathématique et pour laquelle 5
millions de modèles ont été testés, a montré
que, selon certains modèles, on pouvait soit avoir quelques dizaines de
cas attendus en Angleterre, soit 136 000 cas, au maximum de la fourchette
qui avait été étudiée. Je précise que ce
chiffre de 136 000 cas correspondait à un temps d'incubation moyen
--je dis bien moyen-- supérieur à soixante ans pour l'ESB.
Mme Annick Alpérovitch, Directrice de l'unité de recherche de
l'INSERM en France, a repris ces données dans le cadre du groupe de
travail de l'Agence française de sécurité sanitaire des
produits de santé (AFSSAPS), chargé de faire des recommandations
sur le sang et les produits dérivés du sang. Elle a
défendu l'idée, qui est rapportée dans le rapport et qui
est d'ailleurs reprise par le groupe d'experts en question, selon laquelle
l'hypothèse d'une durée d'incubation moyenne supérieure
à soixante ans était peu réaliste et que, si on utilisait
une durée moyenne d'incubation pouvant aller de trente à soixante
ans, c'est-à-dire assez élevée (il est évident que
plus la durée d'incubation est courte, plus le nombre de cas attendus
est faible, puisque si la durée moyenne d'incubation est de cinq ans,
nous aurions déjà passé cette durée et
l'épidémie serait derrière nous, ce qui n'est pas vrai
puisqu'on voit que l'on a encore des cas et que cela ne baisse pas en
Angleterre), une hypothèse pessimiste mais non pas impossible, on
arrivait à environ 6 000 cas d'une nouvelle variante de
Creutzfeldt-Jakob attendus au total pour la Grande-Bretagne.
On peut faire des hypothèses sur l'exposition française
comparée à l'exposition britannique, sachant qu'il y a deux
sources d'exposition en France : soit la consommation de viandes ou
d'aliments provenant de Grande-Bretagne, directement ou indirectement, soit,
bien entendu, la consommation de viandes et d'autres produits français.
Tous les modèles font penser qu'au début des années 90, on
a eu une exposition qui, en France, pouvait être au maximum de 5 à
10 % au maximum de celle qui a été connue en Angleterre.
Autrement dit, en croisant ces deux données et en tenant compte d'autres
petits facteurs épidémiologiques ou statistiques,
Mme Alpérovitch est arrivée, avec le groupe de travail de
l'AFSSAPS dirigé par le professeur Begaud, à évaluer qu'en
France, l'exposition pouvait être à l'origine d'un maximum de 300
cas de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob à
l'intérieur de ce modèle, que les hypothèses les plus
réalistes étaient peut-être inférieures à
celle-ci mais que celle-là n'était pas impossible, sachant que
c'est une estimation qu'elle considérait comme pessimiste.
Mme Gillot a repris ces chiffres quand elle a parlé de quelques dizaines
de cas attendus dans les prochaines années. Il s'agit de 300 cas sur
soixante ans, bien entendu, puisque le modèle part d'une
hypothèse de trente à soixante ans d'exposition.
Voilà les chiffres que je peux vous donner. En tout cas, nous en avions
parlé avec elle.
M. le Rapporteur
- Dans le droit fil de cette approche, avez-vous pris
des mesures concernant la contamination du matériel chirurgical et les
problèmes liés à la transfusion sanguine compte tenu de la
problématique de la contamination interhumaine ?
M. Lucien Abenhaïm
- Je vous prie de m'excuser de ne pas avoir
abordé cette question. Je pensais en effet que vous souhaitiez surtout
parler des farines animales, mais il est évident que j'aurais dû
aborder ces questions qui nous concernent beaucoup plus directement et dont
nous sommes responsables. Si vous le permettez, je vais prendre quelques
minutes pour répondre à cette question extrêmement
importante.
La position de la Direction générale de la santé, dans
cette affaire, a consisté à rechercher l'éradication du
nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. En santé publique,
on fait face à deux types de modèle : soit la recherche de
l'éradication, soit la gestion du risque. Quand on n'est pas en mesure
d'éradiquer complètement une maladie, on cherche à
gérer son risque.
Quand on sait comment éradiquer une maladie et que c'est possible
techniquement, nous cherchons bien entendu l'éradication ou, en tout
cas, nous nous en faisons les avocats. Cette éradication a
été atteinte dans un certain nombre de maladies comme la variole,
par exemple, qui est pour l'instant complètement
éradiquée. En Europe, nous avons aussi éradiquée
complètement la poliomyélite, même si elle ne l'est pas
complètement dans le monde. Les conditions, c'est que l'on connaît
l'origine de la maladie et que l'on est en en mesure de mettre en place les
mesures.
C'était notre analyse pour le nouveau variant de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob, dont on sait que l'origine est la consommation de viande
contaminée provenant de différents types d'animaux souffrant
d'encéphalopathie spongiforme bovine et qu'en outre, chez ces animaux,
le facteur de risque, sinon unique du moins principal, ce sont les farines.
C'est la raison pour laquelle la Direction générale de la
santé a toujours défendu l'idée de la
nécessité d'éradiquer cette maladie et d'aboutir à
son éradication par des mesures aussi importantes que possible.
En effet, si le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob se
développait dans l'espèce humaine, on se trouverait dans une
situation extrêmement difficile en termes de gestion du risque, par la
suite, au sein de l'espèce humaine, parce que le prion du nouveau
variant semble être distribué très largement dans
l'anatomie humaine, c'est-à-dire qu'on en trouve bien entendu dans le
cerveau et les tissus nerveux centraux, mais également dans les tissus
nerveux périphériques, au niveau des plaques de Peyer ou des
tissus lymphoïdes. Il s'agit donc d'une distribution très
importante et on ne peut pas exclure non plus sa présence dans le sang,
même si, pour l'instant, aucun élément scientifique ne nous
permet de le mettre en évidence.
Vous savez qu'on a été capable de transmettre --on l'a appris
l'été dernier--l'encéphalopathie spongiforme bovine d'un
mouton à un autre par transfusion de sang du premier au second.
Autrement dit, par la suite, la gestion du risque est extrêmement
difficile.
Il faut savoir que nous n'avons pas de moyens de test nous permettant
d'identifier, par exemple, parmi les donneurs de sang et les personnes qui
subiraient des interventions chirurgicales, des endoscopies ou un certain
nombre de gestes médicaux, ceux qui pourraient être
contaminés, contrairement au VIH, par exemple.
Par ailleurs, le prion semble extrêmement difficile à
éliminer. Les procédures de stérilisation et de
désinfection efficaces demandent des moyens importants, drastiques et
très compliqués.
C'était donc la troisième raison pour laquelle nous étions
en faveur de l'éradication, sachant que le risque, par la suite, serait
très difficile à gérer.
Néanmoins, nous avons émis assez récemment une circulaire
pour la stérilisation et la désinfection appropriée au
risque du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il nous a fallu
attendre les positions de l'OMS et des groupes d'experts, très
divergents d'ailleurs jusqu'à il y a très peu de temps, pour nous
amener à prendre cette position, la circulaire ayant été
signée par la ministre il y a quelques semaines. Voilà ce que je
peux dire pour répondre à votre question.
Sur le sang, j'ai saisi une première fois, fin 1999, l'Agence
française de sécurité sanitaire des produits de
santé, qui a remis un rapport en février 2000 en expliquant que,
grosso modo, les mesures de sécurisation ou de sécurité
sanitaire qui étaient déjà prises étaient
suffisantes et qu'il n'y avait pas de raison d'ajouter d'autres mesures
à l'époque mais que, bien entendu, tout ce que l'on pouvait faire
devrait être fait.
Nous avons saisi à nouveau l'AFSSAPS en août ou en septembre 2000,
à la lumière des nouvelles données scientifiques, en
particulier celles auxquelles je faisais allusion, sur la transmission par le
sang chez un mouton, et l'AFSSAPS nous a remis un rapport dans lequel elle a
à nouveau considéré que le risque associé à
l'utilisation du sang ou des produits dérivés du sang ne
justifiait pas de remettre en cause leur utilisation aujourd'hui.
Le groupe d'experts, dans sa majorité, était en faveur de ne pas
exclure du don de sang les personnes qui avaient vécu en Angleterre
compte tenu du fait que le risque absolu en excès qui pouvait leur
être attribué a été considéré par ce
groupe d'experts, dans sa majorité, comme extrêmement faible,
voire négligeable. En revanche, une partie du groupe d'experts a
considéré que, puisqu'on pouvait le faire, autant le faire. C'est
ainsi que les ministres ont décidé de suivre cette opinion et
que, par mesure d'extrême précaution, les personnes qui avaient
séjourné en Angleterre plus de douze mois ont été
exclues du don de sang.
M. le Rapporteur
- Une chose est assez troublante en ce qui concerne la
Direction générale de la santé, c'est qu'elle n'est pas en
première ligne médiatique sur le plan de la gestion de ce type de
problème, cette place étant plutôt gérée,
médiatiquement parlant, par le ministère de l'agriculture. Cela
ne vous gêne-t-il pas trop ?
D'un autre côté, pouvez-vous nous parler de l'articulation qui
existe entre l'Institut de veille sanitaire, l'Agence française de
sécurité sanitaire des aliments et la DGS ?
M. Lucien Abenhaïm
- La DGS n'est pas en première ligne
uniquement médiatiquement. Je me permets de dire qu'en termes de
responsabilités, puisqu'il s'agissait surtout et qu'il s'agit encore
d'un problème de sécurité des aliments, la
compétence, au plan juridique, de la DGS est extrêmement
limitée. Nous n'avons pas des moyens de contrôle, d'inspection ni
de police sanitaire par rapport aux aliments au sens strict du terme. Cela
relève de la Direction générale de l'alimentation et de la
DGCCRF et, jusqu'à un certain point, l'AFSSA, l'Agence française
de sécurité sanitaire des aliments, a un pouvoir d'enquête
que je n'ai pas personnellement au niveau de la Direction
générale de la santé. Autrement dit, notre pouvoir est
extrêmement limité.
Néanmoins, il a été décidé, en 1998, en
réunion interministérielle, que toutes les saisines de l'AFSSA
devaient être, autant que faire se peut, interministérielles,
entre l'agriculture, la consommation et de la santé. Malgré cette
limite au point de vue juridique, il est très clair que la Direction
générale de la santé se sent concernée par tout ce
qui peut se passer dans le domaine de l'alimentation et, dans la limite des
moyens dont elle dispose, elle essaie d'alerter et de soulever les
problèmes qui lui sont évidents. Je l'ai d'ailleurs fait à
plusieurs reprises au cours des dernières années, de même
que mes prédécesseurs.
Il faut rappeler que, dès 1994, c'est la DGS qui a alerté les
autorités sur ce risque, qu'en 1999, c'est à la suite d'une
initiative de la DGS que l'AFSSA a été saisie à nouveau en
novembre 1999, de façon interministérielle, compte tenu du fait
que nous sentions ce frémissement dans l'augmentation du nombre de cas
d'ESB chez les bovins, et que c'est à nouveau la DGS qui a poussé
à la saisine de l'AFSSA en novembre 2000 à propos de l'ensemble
du dispositif.
Nous jouons donc ce rôle d'alerte en posant des questions et en ne nous
satisfaisant des réponses que lorsqu'elles vont dans le sens que nous
considérons comme étant le meilleur pour la santé publique.
Le ministre de la santé a la tutelle complète de l'institut de
veille sanitaire et il partage la tutelle de l'AFSSA avec l'agriculture et la
consommation, sachant que 80 % du budget de l'AFSSA vient de
l'agriculture. Cela n'empêche pas que nous puissions jouer un rôle
de tutelle complet au point de vue administratif.
M. le Rapporteur
- C'est quand même, en bout de chaîne, la
problématique de santé humaine qui se pose. Je trouve donc un peu
anormal que la DGS ne soit pas en première ligne.
J'ai une dernière question sur ce point. Je trouve un peu curieux que ce
ne soit que sous la pression des associations des familles de victimes que
l'administration de la santé ait daigné sortir une circulaire sur
la prise en charge des malades. Que pouvez-vous nous dire sur ce point ?
M. Lucien Abenhaïm
- Puisque vous y faites allusion, je pense
également, en tant que Directeur général de la
santé, que ces questions concernent la santé publique et que la
DGS doit avoir les moyens de sa politique. Jusqu'à présent, je ne
disposais pas d'un bureau des aliments. Je n'avais qu'un bureau de l'eau et des
aliments dans lequel j'avais une personne en charge des aliments, compte tenu
des moyens dont je disposais.
Evidemment, pour l'ESB, j'ai mobilisé plusieurs personnes au sein de la
DGS que j'ai fait sortir de leur activité normale pour s'occuper de la
question de l'ESB et de la nouvelle variante de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob, mais il est exact que la Direction générale de
la santé n'a pas les moyens juridiques dont disposent d'autres
ministères pour assurer la sécurité alimentaire. Je ne
peux pas dire que je considère que cette situation soit totalement
satisfaisante.
Grâce à l'annonce du Premier ministre, nous avons de nouveaux
moyens dans le domaine de l'alimentation et nous créons d'ailleurs un
bureau des aliments pour lequel je suis en train de recruter le chef de bureau
(mes services font des entrevues à ce sujet cette semaine). Nous serons
donc, je l'espère, de mieux en mieux armés dans ce domaine
à l'avenir.
J'en viens à votre question sur la circulaire de prise en charge des
malades. La plus grande partie de cette circulaire reprend et explique mieux la
manière dont fonctionne un certain nombre de mécanismes et de
prises en charge auxquels les malades ont toujours eu droit. Elle identifie
cependant deux éléments nouveaux par rapport aux malades qui
souffrent de ces pathologies.
Le premier est la mise en place d'une cellule de référence et de
coordination. Cette cellule, dans sa grande partie, existe et fonctionne
déjà de façon informelle, mais il s'agit qu'elle soit plus
formellement mise en place, notamment sur des éléments
psychologiques nouveaux.
Le deuxième élément, qui a été
rajouté dans les toutes dernières heures avant la sortie de la
circulaire, c'est l'identification d'une somme forfaitaire pour l'aide aux
familles des patients vivants.
M. le Rapporteur
- De quel ordre ?
M. Lucien Abenhaïm
- De 200 000 F au maximum.
Cela dit, la maladie de Creutzfeldt-Jakob n'est pas la seule maladie dont on
peut mourir et qui entraîne des situations difficiles, voire dramatiques,
pour les patients. Nous avons commencé par identifier le type de maladie
auquel cela pourrait correspondre. Selon les définitions, on peut
retenir les maladies à évolution subaiguë et très
graves comme la sclérose latérale amyotrophique, par exemple.
Faudrait-il la classer avec des maladies comme le mélanome malin ou tous
les cancers ? La question pourrait se poser. C'est donc un problème
très important.
C'est en raison de la grande émotion qui a été
soulevée à ce sujet que le gouvernement a souhaité que
cette circulaire soit faite et que ces éléments soient pris en
compte, mais il est certain que nous devons mener un débat pour savoir
jusqu'à quel point les personnes atteintes de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob sont les premiers exemples de ce qu'il faudrait
élargir ou si elles ont une singularité telle que cette
circulaire ne devrait s'appliquer qu'à elles ou à une forme de
maladie très similaire.
Le débat n'est pas du tout évident, et vous savez qu'il est
d'ailleurs soulevé à partir d'autres questions.
M. le Rapporteur
- Combien avez-vous de personnes qui, au sein de la
DGS, suivent ces problèmes des maladies
neuro-dégénératives ?
M. Lucien Abenhaïm
- Actuellement, nous avons une cellule sur le
nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob qui comporte, si je ne me
trompe, six ou sept personnes et qui suit très
régulièrement tous les développements sur cette question,
ce qui est important comparativement à d'autres maladies. Ce n'est pas
forcément non justifié compte tenu des incertitudes qu'il y avait
et qu'il y a encore sur le développement possible de cette maladie en
termes épidémiques.
Il est certain que l'on ne traite pas une situation épidémique ou
possiblement épidémique (pour la France, nous n'en sommes pour
l'instant qu'à une maladie possiblement épidémique et nous
n'en sommes pour encore au début d'une épidémie) de la
même façon que des maladies endémiques ou chroniques, pour
lesquelles on a une stabilité du nombre de cas.
Je rappelle qu'au début de l'épidémie de sida, pendant
plusieurs années, le nombre de cas, en France, se mesurait en
unités ou en quelques dizaines et qu'il a fallu un certain temps pour
atteindre quelque 100 000 personnes contaminées. Pendant plusieurs
années, dans une épidémie d'une maladie nouvelle et
mortelle, il est normal que la veille soit renforcée.
Cela concerne la DGS, mais il ne faut pas oublier que nous avons aussi
l'Institut de veille sanitaire qui fait une surveillance
épidémiologique approfondie avec l'équipe d'Annick
Alpérovitch à l'INSERM, ainsi que, bien entendu, l'AFSSA et
l'ensemble des agences qui travaillent, notamment l'AFSSAPS en matière
de sang. Ce sont autant d'organismes qui font aussi partie de nos ressources
puisque nous en avons la tutelle. Si on compte l'ensemble de ces organismes, il
y a probablement plusieurs dizaines ou centaines de personnes qui travaillent
sur cette question aujourd'hui. C'est donc une question qui, à mon avis,
est surveillée de très près par rapport à d'autres
maladies.
M. Georges Gruillot
- Monsieur le Directeur, j'ai essayé de bien
vous écouter, mais j'ai quelques problèmes de chronologie avec
les dates que vous nous avez indiquées.
Vous nous avez dit qu'à la fin des années 80, l'Angleterre
était certaine de l'origine de l'épidémie : les
farines, que l'on a pris des mesures en Angleterre, en 1988, en interdisant de
distribuer ces farines aux ruminants et qu'en 1990, les Anglais ont pris aussi
des décisions pour interdire les matériaux à risques.
Dans le même temps, vous nous indiquez qu'entre 1992 et 1994, votre
Direction informe ses partenaires de sa certitude d'une transmission possible
de l'ESB inter espèces, donc éventuellement à l'homme.
Vous nous avez alors dit que c'est en mars et en juin 1994 que vous aviez
officiellement informé un certain nombre de partenaires européens.
Cela bouleverse un peu ce que j'avais appris depuis quelques mois. Il me
semblait en effet que les Anglais, de manière bien plus précoce,
s'étaient rendu compte que les matériaux à risques
étaient dangereux pour une éventuelle transmission à
l'homme et qu'ils les avaient interdits en Angleterre en 1989, alors que l'on a
continué à les exporter sur la France qui, elle, ne les a
interdits qu'en 1992, soit trois ans plus tard. On savait donc bien en
Angleterre, en 1989, quand on a pris cette décision, qu'il y avait, par
là, une transmission possible à l'homme. Je suis donc surpris que
la Direction générale de la santé, en France, n'ait
réagi que trois, quatre ou cinq ans postérieurement à
cette découverte anglaise.
Je suis un peu perdu dans ces dates. Il me semble qu'au cours de ces quatre ou
cinq années-là, soit on n'a pas bien géré les
problèmes, soit on s'est trompé dans les dates.
M. Lucien Abenhaïm
- Je ne le pense pas. Les dates que je
possède, à quelques mois près, sont les mêmes que
celles que vous avez indiquées. En juillet 1988, l'Angleterre interdit
les farines de viande et d'os pour les ruminants et, en 1996, elle interdit
leur utilisation totale, non pas simplement pour les ruminants.
Jusqu'en 1996, tout le monde pensait, y compris les Britanniques, contrairement
à ce que j'ai cru entendre dans ce que vous avez dit, que la
transmission de l'ESB en dehors de l'espèce bovine, ou même en
dehors des ruminants, était très peu probable, puisque les
Britanniques eux-mêmes qui, entre 1990 et 1992, avaient plusieurs
centaines de milliers de bovins malades (en 1994 ou 1995, ils en étaient
à 175 000), ont attendu 1996 pour interdire les mêmes farines
qui avaient rendu malades un million de leurs bovins (175 000
déclarés et près de 1 million probablement). Autrement
dit, ils ont attendu 1996, avec la découverte des premiers cas humains,
pour interdire ces farines chez d'autres animaux que chez les ruminants.
Il faut bien comprendre qu'en Angleterre, des centaines de milliers d'animaux
étaient malades et que les Anglais pensaient eux-mêmes qu'ils
n'avaient pas à interdire ces farines.
M. Georges Gruillot
- Je ne vous parle pas des farines mais de
santé humaine. Les Anglais ont interdit en 1989 de consommer des
cervelles...
M. Lucien Abenhaïm
- Si je peux me permettre de le dire, ils ne
l'ont pas fait sur des arguments de santé humaine. L'initiative
franco-allemande de 1994 (à l'initiative de la DGS, je le rappelle)
demandant de rendre plus stricte l'interdiction des farines au niveau
européen et de prendre des mesures à ce niveau s'est
heurtée à un refus de la Commission, d'après laquelle il
n'y avait aucune raison de penser que l'ESB pouvait être transmise
à l'homme.
On a sinon mis en évidence, du moins très sérieusement
suspecté la transmission à l'homme pour la première fois
à l'occasion d'une publication dans le Lancet fin 1995 ou début
1996 (je ne me souviens plus des dates exactes) mais, surtout, quand les dix
cas ont été rapportés en Angleterre, en mars 1996. Le
premier article soulevant la question de la possibilité d'une
transmission à l'homme date de fin 1995/début 1996.
Jusqu'à cette époque, aucune des mesures qui ont
été prises ne l'a été en fonction de la
transmission à l'homme ou pour le risque humain.
Il n'était pas du tout question, à l'époque, d'une
transmissibilité à l'homme et si la DGS a soulevé la
question en 1994, c'était à partir de la transmission à
des chats en Angleterre, fin 1993. La DGS a dit à l'époque :
"puisque cela peut se transmettre à des chats, on peut émettre
l'idée que la barrière inter espèce peut être
franchie. Donc soyons prudents et prenons des mesures par rapport aux farines
pour l'homme".
Il ne faut pas oublier qu'en France, en 1991, il y avait en tout et pour tout
cinq cas d'ESB qui ont été rapportés alors que les
Britanniques, si je ne me trompe pas, en avaient 30 000 cette
année-là. En France, on n'avait absolument pas le sentiment
d'être au niveau d'une épidémie comparable. Je ne
prétends pas que rien n'aurait dû être fait, mais
l'impression que l'on avait, c'est que le risque était extrêmement
faible.
Ce qui est plus problématique, c'est le fait qu'on ne dispose toujours
pas d'évaluation française du nombre d'animaux malades qui ont pu
entrer dans la chaîne alimentaire en France. Les services de
l'agriculture ont fait une étude épidémiologique
récente à partir des animaux abattus d'urgence, dont les
résultats ont été rapportés par l'AFSSA, mais pour
savoir combien d'animaux ont pu entrer dans la chaîne alimentaire, en
France, à la fin des années 80 et au début des
années 90, on ne dispose que d'une évaluation qui a
été publiée par une Britannique, Mme Donnelly, dans Nature
et on va disposer très bientôt d'une évaluation de
chercheurs français.
Le problème est là. En tout cas, quand on se demande si, en 1994,
la transmission à l'homme pouvait être établie, je
réponds que non seulement elle n'était pas établie mais
qu'elle s'opposait à l'opinion de l'ensemble de la communauté
scientifique de l'époque. A l'époque, on n'avait pas une seule
preuve ou un seul élément scientifique pour le dire et on n'avait
aucun cas rapporté chez l'homme. Je répète que le premier
cas humain a été rapporté en 1996 ou fin 1995 (quand on
retourne dans les dossiers, on se dit qu'il avait peut-être
été rapporté un peu avant) en Angleterre et qu'en tout
cas, nous n'en avons eu connaissance au plan international qu'en mars 1996.
M. le Président -
Vous avez répondu déjà
à un certain nombre de questions et vous nous avez donné votre
opinion et votre avis sur cette affaire.
Il est certain --vous l'avez dit vous-même-- que, de plus en plus, dans
l'avenir, votre Direction sera appelée à intervenir dans de
nombreux domaines de ce type, parce qu'on se rend bien compte que les
problèmes qui peuvent toucher l'alimentation animale concernent
très vite des problèmes de santé publique. C'est à
la lumière de ce qui se passe que l'on peut évoluer. Je pense que
nous n'y couperons pas, ni les uns, ni les autres.
M. le Rapporteur
- D'où l'intérêt du livre blanc et
de l'Autorité alimentaire européenne.
M. Lucien Abenhaïm
- Il ne m'appartient pas de vous encourager en
ce sens, mais c'est évident.
M. le Président
- Nous l'avons bien compris. Monsieur le
Directeur, merci d'avoir répondu à nos questions et merci encore
d'être venu.
Audition de M. Claude CHÉREAU, Ambassadeur, représentant
permanent de la France auprès de l'Organisation des nations unies pour
l'alimentation et l'agriculture à
Rome
(28 mars 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Claude
Chéreau, vous êtes ambassadeur, représentant permanent
auprès de l'ONU pour l'alimentation et l'agriculture à Rome
Vous êtes auditionné dans le cadre d'une commission
d'enquête parlementaire mise en place par le Sénat sur les
problèmes causés par l'utilisation des farines animales et les
conséquences qui en découlent pour la santé des
consommateurs. Comme nous sommes dans le cadre d'une commission d'enquête
parlementaire, vous savez que les témoignages se font sous serment. Je
vais donc être obligé de vous lire le texte habituel et de vous
demander ensuite de prêter serment.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Chéreau.
M. le Président -
Si vous le voulez bien, dans un premier temps,
je vais vous passer la parole pour que vous nous donniez votre sentiment et
votre vision des choses, après quoi nous vous poserons les questions que
nous souhaitons.
M. Claude Chéreau
- Si vous me le permettez, monsieur le
Président, je vais vous poser une question. J'ai occupé, au cours
des douze dernières années, des fonctions assez diverses et je
n'ai pas tout à fait bien saisi au titre de quelles fonctions vous
souhaitiez m'entendre, en vous priant de m'excuser de vous poser la question
comme cela. Je souhaite également vous remercier d'avoir accepté
de changer la date de mon audition, puisque cela m'a permis de la faire
coïncider avec un déplacement que je faisais dans le cadre d'une
mission.
M. le Président
- Nous vous auditionnons parce que vous
êtes représentant de la France auprès de l'Organisation des
nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, mais aussi parce que vous
êtes un ancien conseiller à Washington.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Si je puis me permettre, nous souhaitons
vous entendre précisément sur l'éclairage, monsieur
l'Ambassadeur, que vous pouvez avoir sur ce qui s'est passé aux
Etats-Unis, à la fois en tant qu'ancien conseiller chargé des
problèmes agricoles au niveau de l'ambassade de France à
Washington et au titre de votre poste actuel d'observateur
particulièrement engagé auprès de l'ONU sur les
problèmes alimentaires. C'est cette période qui est importante
pour nous.
M. Claude Chéreau
- Merci, monsieur le Président et
monsieur le Rapporteur. Je vais donc essayer de résumer
l'expérience que j'ai pu avoir.
Je suis arrivé aux Etats-Unis en novembre 1994 comme conseiller
chargé de l'agriculture à l'ambassade de France à
Washington avec également une compétence -mais cela n'est pas
notre sujet aujourd'hui-- sur les questions économiques relatives
à la mise en place de l'ALENA, le traité qui groupe les trois
pays d'Amérique du Nord.
Au cours de mon séjour à Washington, j'ai été
amené à avoir des contacts, bien entendu, avec l'administration
américaine et à suivre les retombées et les jugements qui
pouvaient être portés sur la situation en Europe, en particulier
à partir d'avril 1996, quand la crise de l'ESB a atteint un paroxysme.
La situation américaine était à ce moment-là la
suivante. Il n'y avait pas de suivi très précis, et même
pas du tout de suivi, dans beaucoup d'Etats par les centres
vétérinaires des maladies animales pour la détection
possible d'encéphalopathies, du moins de manière
systématique.
Pourtant, les encéphalopathies n'étaient pas inconnues aux
Etats-Unis puisque, dès 1947, si je me le rappelle bien, des travaux ont
été menés sur certaines encéphalopathies touchant
des visons d'élevage et que l'on avait trouvé ensuite le
même type de maladie (excusez-moi si je ne suis pas très
précis parce que ma connaissance vétérinaire est
très limitée) chez des cervidés d'élevage. Cela a
d'ailleurs posé des problèmes, tardivement, pour certaines
populations de chasseurs qui consommaient ces cervidés, mais on n'a
jamais pu mettre en évidence, à l'époque,
à
ma connaissance --je suis parti en 1997--, une contamination humaine par ces
cervidés produits du gibier.
Il apparaissait aussi qu'encore une fois, les Centers for veterinarian diseases
(les centres vétérinaires de suivi), avaient des activités
extrêmement inégales. L'un d'eux est important dans le Colorado,
zone d'élevage par excellence, mais on s'est aperçu qu'il n'y
avait eu aucun prélèvement ou aucune analyse effectuée,
dans la perspective des encéphalopathies, pendant un certain nombre
d'années.
Depuis, les Américains ont quelque peu rattrapé leur retard pour
ce qui est de la connaissance des populations bovines. Il faut dire qu'il
arrive assez fréquemment, dans le centre des Etats-Unis ou au Texas, de
trouver des animaux morts au bord de la route et que personne ne s'en occupe,
puisque ce sont les prédateurs habituels qui les font disparaître.
Donc les problèmes ne se posent pas exactement de la même
manière qu'en Europe.
Cela dit, les services américains ont été quand même
assez effrayés par ce qui s'est passé en Europe à partir
de 1996. Ils ont alors estimé qu'il fallait faire quelque chose, mais
cela s'est mis en route avec une certaine lenteur, notamment au niveau du Food
Inspection Service (le FSAIS), du ministère de l'agriculture; qui a
progressivement intensifié ses analyses.
La coordination, aux Etats-Unis, entre les différents services
concernés n'est pas non plus très évidente compte tenu de
la structure fédérale de ce pays. Tant que j'étais
là-bas, je n'ai pas vu de choses extrêmement significatives.
Cela n'empêchait pas les farines animales d'être utilisées
de manière courante dans beaucoup d'Etats. Finalement, compte tenu des
décisions ou des sanctions que j'ai vu paraître petit à
petit dans le bulletin du ministère de l'agriculture américain,
certains fournisseurs d'aliments du bétail n'étaient probablement
pas tout à fait dans les règles par rapport aux conditions
édictées par le ministère de l'agriculture lui-même.
Cela ne veut pas dire qu'il y a eu des contaminations, sachant que, encore une
fois, on n'en a pas constaté sur le plan humain. Cependant, comme pour
beaucoup de secteurs alimentaires aux Etats-Unis, notamment dans l'industrie de
la viande, je pense qu'il y avait des zones d'ombre que personne n'essayait
d'éclairer, de manière traditionnelle. Je veux dire par là
que, dans les abattoirs, aussi bien en matière de qualification de la
main-d'oeuvre qu'en matière d'inspection vétérinaire, non
pas pour les bovins mais en tout cas pour les volailles et quelques autres
petits animaux, il y avait certainement beaucoup à dire par comparaison
avec les règles que nous appliquons en Europe.
M. le Rapporteur
- Précisément, maintenant que vous
êtes en poste à Rome auprès de la FAO, avez-vous un
éclairage encore plus précis de ce qui se passe aux
Etats-Unis ? Si on vous pose cette question, c'est que l'on a toujours
l'idée, en filigrane, que, dans le cadre des négociations
internationales, il nous semblerait pertinent que nos amis d'Outre-Atlantique
essaient de cacher un éventuel problème. En effet, s'ils ont
exactement la même problématique, c'est-à-dire la
nourriture de leurs animaux à partir de farines, et les mêmes
imperfections en ce qui concerne les process de fabrication, j'imagine mal
qu'ils n'aient pas, par un effet indirect, de telles affections.
Aujourd'hui, pouvez-vous avoir d'autres informations ?
M. Claude Chéreau
- Je pense qu'il y a une volonté de
l'administration américaine d'aller plus loin et de mieux
connaître ce qui se passe. Ce qui a été
détecté récemment dans des troupeaux de moutons du Vermont
importés du Bénélux en est un exemple. Cependant, c'est
aussi un contre-exemple, dans la mesure où il apparaît qu'il y a,
pour cet éleveur du Vermont qui était concerné, un certain
nombre de possibilités de recours qui ont empêché
jusqu'à présent les services vétérinaires
américains fédéraux de procéder à
l'abattage, du fait d'une décision de justice de l'Etat du Vermont.
Il y a donc un certain nombre de blocages, mais je pense qu'il y a une
volonté beaucoup plus nette aujourd'hui qu'il y a trois ans, même
si ce n'est toujours pas parfait, de l'administration américaine de pas
se laisser surprendre par une maladie dont elle est vraiment très
consciente du risque qu'elle représente. En tout cas, elle ne nous
accuse plus, sur l'ESB, à la différence de ce qui se passe pour
l'interdiction en Europe des viandes hormonées, à travers cela,
de faire du protectionnisme. Les Américains ont vraiment compris qu'ils
devaient essayer, chez eux, d'éviter que ce problème apparaisse.
Je serais donc plutôt tenté de leur faire confiance maintenant,
mais c'est récent.
M. le Rapporteur
- N'imaginez-vous pas que la double mission de la FDA,
à savoir l'évaluation et la gestion du risque, par rapport
à ce que nous essayons de mettre en place au niveau européen au
travers de l'Autorité alimentaire européenne, n'est pas un gage
d'efficacité et d'indépendance, précisément ?
M. Claude Chéreau
- Ils sont en train de faire une réforme
de la FDA, car cet organisme a été beaucoup attaqué
à la fois par les consommateurs, qui lui ont reproché sa trop
grande opacité et son manque de transparence, et par l'administration,
qui a trouvé qu'il y avait des failles dans le dispositif.
La réforme de la FDA ne sera pas vue de la même manière que
la création de l'Agence européenne de sécurité
sanitaire, mais elle permettra peut-être d'amorcer, plus tard, un
dialogue un peu plus fructueux entre les deux bords de l'Atlantique.
M. Paul Blanc
- Les Américains ont-ils importé des farines
animales en provenance d'Angleterre ?
M. Claude Chéreau
- Les Américains n'importaient pas de
farines animales, du moins en quantités significatives à ma
connaissance, c'est-à-dire qu'elles n'apparaissaient pratiquement pas.
Cependant, ils ont importé des animaux de Grande-Bretagne qui,
normalement, ont tous dû être abattus, même s'ils avaient
été importés depuis assez longtemps.
Je sais qu'au Canada, il y a eu le cas d'un animal qui avait
développé quelque chose. Les autorités ont ensuite
retracé toutes les importations et sont allées rechercher des
troupeaux, y compris jusque dans le fond de l'Alabama, quand j'étais
encore aux Etats-Unis, pour éviter de laisser quelque
postérité que ce soit de ces animaux.
Cela dit, ils produisent eux-mêmes les farines animales et ils n'ont pas
besoin d'aller les chercher ailleurs.
M. Paul Blanc
- Dans la mesure où les farines animales anglaises
étaient peut-être à des coûts moins
élevés que les leurs, ils auraient peut-être
été tentés d'en importer. De toute façon,
même en petites quantités, on a pensé qu'il pouvait y avoir
des contaminations simplement par l'utilisation de récipients ayant
contenu des farines animales ou pour des traces qui pouvaient être
contaminantes.
M. Claude Chéreau
- Sur les traces dans les moyens de transport
ou dans des conteneurs de produits d'alimentation animale, je ne peux pas vous
contredire, parce qu'il est très difficile de démontrer qu'il n'y
avait rien. En revanche, je ne pense pas que les conditions étaient
réunies pour avoir un intérêt à importer des farines
animales, parce que le coût de production aux Etats-Unis était
certainement beaucoup plus bas.
M. Paul Blanc
- Savez-vous ce qu'ils ont fait des animaux qui ont
été abattus ? Ont-ils été remis dans le
circuit de leurs farines animales ?
M. Claude Chéreau
- Il y a deux sortes d'animaux. Il y a tout
d'abord les moutons dont j'ai parlé tout à l'heure et qui ne sont
pas encore abattus, à ma connaissance, du fait de cette procédure
juridique.
Par ailleurs, il y a eu une recherche des troupeaux d'origine britannique qui
ont été abattus, sachant que, compte tenu des délais,
certains animaux avaient déjà été consommés.
Il devait en rester soixante-dix qu'ils ont fini par retrouver et qu'ils ont
abattus. En tout cas, je ne pense pas qu'ils les aient remis dans le circuit de
l'alimentation, qu'elle soit animale ou humaine.
Voilà mes remarques sur ma période américaine. Si vous
n'avez pas d'autres questions et si vous me le permettez, je passerai à
ma période romaine.
M. le Président -
S'il n'y a plus de questions sur cette
première période, vous pouvez poursuivre.
M. Claude Chéreau
- Le type d'information que je peux avoir au
niveau de l'Organisation des nations unies pour l'alimentation et
l'agriculture, c'est-à-dire la FAO, qui est un sigle anglais, est d'une
autre nature.
La FAO a reçu un encouragement de la part du sommet du G8, lors de la
réunion d'Okinawa, pour expertiser un peu plus un certain nombre de
problèmes d'actualité en matière de santé animale.
D'où une recommandation récente qu'elle a publiée et des
explications qu'elle a fournies pour les pays susceptibles d'avoir
importé des produits d'origine britannique. Si cela vous
intéresse, je peux verser à vos dossiers --c'est tout à
fait public-- les deux avis qu'elle a fournis récemment.
Par ailleurs, la FAO, en collaboration avec l'OMS --M. le Rapporteur le sait
bien puisqu'il a lui-même été à l'origine d'un
rapport sur le Codex alimentarius-- est le siège de bon nombre de choses
concernant la Commission du Codex alimentarius, commission qui a une
activité normative et qui est très décentralisée,
dans la mesure où, suivant le secteur de l'alimentation concerné,
les réunions se tiennent dans un pays ou dans un autre.
Les réunions du comité du Codex pour les principes
généraux, donc la base de l'activité normative du Codex,
se tiennent en France, à Paris, et d'autres réunions sur les
produits laitiers ou la viande se tiennent ailleurs. Il y a des réunions
périodiques aux Etats-Unis, en Nouvelle-Zélande ou dans d'autres
pays en fonction du type de produit concerné. Il s'agit simplement d'une
spécialisation.
Cependant, cette spécialisation n'est pas sans avoir des
conséquences économiques, puisque les pays, comme par hasard, qui
hébergent ces commissions sont généralement très
intéressés aux normes concernant le type de produits dont elles
s'occupent.
Les activités du Codex sont encore insuffisamment
développées mais elles sont considérables parce qu'elles
ont une influence non seulement sur la bonne compréhension de ce que
doit être l'alimentation pour être saine et ne pas mettre en danger
la santé du consommateur, mais également, comme on l'a vu depuis
la création de l'OMC, sur le fait que les normes élaborées
dans le cadre du Codex alimentarius sont ensuite reprises par l'OMC pour
justifier ou infirmer les positions jugées à ce moment-là
protectionnistes de certains Etats au nom de la santé alimentaire.
C'est donc un autre type d'information qui n'est pas en prise sur
l'événement mais qui est une anticipation sur ce que peut
être la gestion de crise plus tard.
Les autres travaux de la FAO sont entrepris dans le cadre de ce qu'on appelle
le programme EMPRES, un sigle britannique qui vise la prévention des
maladies transfrontalières animales ou phytosanitaires. Ce programme est
en train de se développer (cela concerne aussi, par exemple, la lutte
contre le criquet pèlerin qui date de très longtemps) et il
englobe notamment le suivi et la prévention non seulement de la
fièvre aphteuse mais de toute autre maladie importante. C'est à
travers ces programmes que remonte à la FAO un certain nombre
d'information sur les maladies, notamment l'ESB.
Je me permets de signaler --on ne le savait pas encore il y a peu de temps--que
l'on recrute un Français à partir du 15 juin comme n° 2 du
Codex dans le cadre de la FAO. Il était à Bruxelles et s'appelle
M. Jouve.
M. le Rapporteur
- Je voudrais revenir deux secondes sur le Codex.
Où en est-on du code d'usage pour une bonne alimentation animale ?
Est-ce en train de se formaliser ?
M. Claude Chéreau
- C'est en train de se formaliser et cela ne
devrait plus beaucoup tarder. C'est à peu près au point. Il
restait des problèmes techniques, notamment de traduction, mais, sur le
fond, je pense que l'on est très proche d'une sortie de ce code.
M. le Rapporteur
- Il y a une interaction très forte --vous
pouvez le deviner-- avec le livre blanc sur l'alimentation. Sur ce point
précis, le Codex va-t-il émettre un avis sur l'interdiction
définitive des farines animales sur l'ensemble des animaux
d'élevage ? Je pense aux monogastrites.
M. Claude Chéreau
- J'ai bien compris, mais je ne suis pas
certain que le Codex le fasse dans des termes aussi précis. On touche
là à des points qui sont d'un intérêt tout à
fait essentiel pour certains pays, qui avancent pour l'instant à bon
droit que, malgré l'utilisation des farines animales, ils n'ont pas eu
de cas de maladie. C'est là que cela accroche.
M. le Rapporteur
- Est-ce que, dans le droit fil de votre période
romaine, la FAO a un avis à donner, ce qui serait très important
pour la France, sur la relance de la production des protéines
végétales ?
M. Claude Chéreau
- Normalement, la FAO pourrait être
amenée à se saisir elle-même de ce dossier, mais je la sens
un peu timide.
M. le Rapporteur
- Compte tenu des interactions avec les règles
de l'OMC ?
M. Claude Chéreau
- Oui.
M. le Rapporteur
- En ce qui concerne les tests de dépistage ESB,
la FAO a-t-elle l'intention de susciter leur mise en place dans des pays en
voie de développement ou, plus précisément, dans des pays
qu'elle a classifiés "à risques" sur ce point précis ?
M. Claude Chéreau
- Pour l'instant, la FAO n'en est pas à
interdire les farines animales ; elle conseille de les éviter. La
notion d'interdiction n'est pas tout à fait en son pouvoir. Seul le
Codex pourrait le faire. Elle recommande de prendre des mesures de surveillance
active et d'éliminer les matériaux à haut risques
spécifiés, de la même manière que nous l'avons fait
en France et en Europe. Elle voudrait également interdire l'utilisation
des animaux morts impropres à la consommation humaine, pour
éviter qu'on les retrouve dans les circuits de l'alimentation animale.
Enfin, elle voudrait améliorer la gestion des risques et la
communication sur ces questions de sécurité.
Voilà les recommandations de la FAO. A ce stade, cela reste très
général.
M. le Rapporteur
- Je reviendrai deux secondes sur votre période
américaine, si vous me le permettez. Avez-vous connaissance du fait que
les Américains ont lancé des campagnes de dépistage d'ESB
et avez-vous une idée du résultat de ces débuts de
dépistage ?
M. Claude Chéreau
- Non, je n'ai pas eu d'informations
récentes sur ce point, mais je pense que mon successeur à
Washington pourrait vous le dire mieux que moi.
M. le Rapporteur
- Pourriez-vous récupérer ce type
d'information et nous le faire parvenir ? Ce serait important pour la
commission.
M. Claude Chéreau
- Tout à fait. Je le note.
M. le Rapporteur
- J'en viens à l'un des derniers points qui nous
préoccupe : ce qu'on appelle le "syndrome de la vache
couchée". D'après les experts scientifiques de la FAO, est-ce
véritablement une affection différente de la maladie de la vache
folle ou un problème purement de sémantiques sur lequel les
Américains resteraient campés ?
M. Claude Chéreau
- C'est une grande question que l'on a
déjà posée en 1997. Là aussi, il faut que je me
renseigne car je n'ai plus d'informations suffisantes sur ce point. A ma
connaissance, on n'en a pas parlé récemment à la FAO.
M. le Président
- N'ayant plus de question à vous poser,
monsieur l'Ambassadeur, nous allons vous remercier d'avoir répondu
à toutes nos questions. Si, effectivement, vous pouvez nous faire
parvenir les renseignements dont nous venons de parler, ce sera parfait pour la
commission.
Audition de M. Damien VERDIER, Président de la Commission
qualité, sécurité alimentaire du Syndicat national de la
restauration collective
(SNRC)
(28 mars 2001)
M.
Gérard Dériot, Président -
Vous êtes M. Damien
Verdier, Président de la Commission qualité,
sécurité alimentaire du Syndicat national de la restauration
collective.
M. Damien Verdier
- Je suis maintenant président du Syndicat
lui-même.
M. le Président
- C'est parfait. Je vous précise que vous
êtes entendu au titre de la commission d'enquête du Sénat
sur les problèmes causés par l'utilisation des farines animales
et les conséquences sur la santé des consommateurs, que vous
êtes donc entendu dans le cadre d'une commission d'enquête
parlementaire et qu'à ce titre, vous devez témoigner sous serment.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Verdier.
M. le Président
- Merci. Dans un premier temps, je vais vous
demander, de manière très synthétique, de nous donner
votre point de vue sur cette affaire par rapport à ce que vous
représentez, après quoi nos collègues vous poseront les
questions qu'ils souhaitent. Je vous passe la parole.
M. Damien Verdier
- Je vous remercie, monsieur le Président et
messieurs les Sénateurs. En quelques minutes, de façon
très synthétique, je vais vous expliquer qui je représente
et la manière dont nous travaillons dans les domaines de la
sécurité alimentaire.
Je rappelle qu'en France, environ 15 millions de consommateurs
bénéficient chaque jour d'une prestation de restauration
collective, que ce soit dans des entreprises, dans des écoles, dans des
établissements de soins ou dans des établissements pour personnes
âgées ou personnes handicapées.
Sur ces 15 millions de consommateurs qui, tous les jours,
bénéficient de cette prestation, les entreprises
spécialisées, regroupées au sein du Syndicat national de
la restauration collective, représentent une part qui est croissante,
année après année, mais qui reste minoritaire, de
25 % environ. Aujourd'hui, en France, 75 % des repas servis en
restauration collective sont réalisés par les
collectivités elles-mêmes et 25 % par les entreprises que je
représente.
Le Syndicat national de la restauration collective regroupe 22 entreprises
spécialisées de toutes tailles, des grandes et des petites, et
emploie environ 65 000 salariés en France.
Notre présence est très irrégulière selon les
secteurs d'activité. Nous sommes très présents dans le
secteur de la restauration d'entreprise, puisque environ 85 % des
entreprises ont confié leur restauration collective à des
entreprises spécialisées. En revanche, nous sommes quasiment
absents de tout le secteur des lycées et des collèges, où
nous sommes présents pour 2 %, puisque c'est l'Education nationale
qui assure elle-même la restauration des lycéens et
collégiens, et nous sommes également très peu
présents dans le milieu hospitalier public, à hauteur de
8 %, tout le reste étant effectué par les
collectivités elles-mêmes.
Par conséquent, la présence des sociétés de
restauration n'est pas du tout homogène suivant les secteurs
d'activité.
Je rappelle simplement que plusieurs entreprises de restauration collective
occupent des positions extrêmement significatives au plan mondial et que
l'on peut dire aujourd'hui que les savoir-faire développés en
France en matière de restauration collective font
référence dans le monde entier et sur certains domaines, y
compris aux Etats-Unis.
Dans toute sa diversité, notre métier se caractérise par
deux points importants. Le premier, c'est que les repas que nous servons ont un
caractère social très important, que ce soit en entreprise, dans
les établissements de soins ou dans les écoles ; le
deuxième, c'est que nous servons tous les jours des consommateurs, mais
toujours dans le cadre d'un contrat qui est signé avec la
collectivité à laquelle appartiennent les consommateurs.
Nous sommes toujours dans une relation directe, au quotidien, avec nos
consommateurs, mais toujours dans le cadre d'un contrat avec une
collectivité, et la collectivité a elle-même, bien entendu,
des points importants qu'elle peut exiger de son fournisseur. Elle a un
rôle très important en matière de définition de
cahier des charges ou d'établissement du marché.
Au niveau du syndicat, nous avons, depuis plus de dix ans, une commission de
sûreté alimentaire qui se focalise sur trois sujets essentiels.
Le premier est l'hygiène et la qualité. Je ne vais pas beaucoup
m'y attarder : ce sont tous les problèmes d'hygiène
alimentaire, sachant que beaucoup de progrès ont été faits
en France depuis quinze ans en matière de maîtrise de chaîne
de froid et autres.
Le deuxième est la nutrition. Je ne vais pas non plus m'y attarder, mais
je rappelle que c'est aussi l'une des questions clés de notre
métier quand on voit la progression de l'obésité chez les
jeunes ou les difficultés que l'on rencontre aujourd'hui, compte tenu
des habitudes alimentaires des enfants, à les faire néanmoins
déjeuner de façon équilibrée. Il est certain que si
on leur donnait du poulet-frites tous les jours, tout irait très bien,
mais ce n'est pas notre vocation. C'est donc souvent dans la restauration
collective qu'ils découvrent ce qu'est un repas équilibré
et que nous sommes chargés de leur faire manger des légumes, par
exemple, ce qui n'est pas la chose la plus simple. Je passerai donc assez vite
sur les questions de nutrition, sauf si vous avez des questions, bien entendu.
Le troisième, c'est que, depuis plusieurs années, nous avons un
groupe de travail qui
s'occupe d'approvisionnement et de
sécurité alimentaire. C'est le sujet clé qui vous
intéresse.
Je voudrais aussi rappeler en guise d'introduction que nous sommes
présents dans tous les groupes de travail, notamment au Conseil national
de l'alimentation, que nous avons beaucoup travaillé avec le GPMDA pour
établir toutes les règles qui sont en train d'évoluer sur
la passation des marchés publics en matière de restauration
collective et donc que notre syndicat est très présent et actif
auprès de tous les acteurs publics pour que certains textes
évoluent et soient de plus en plus précis et rigoureux.
Encore une fois, il s'agit du GPMDA et du Conseil national de l'alimentation.
Nous sommes très actifs en ce qui concerne le guide des bonnes pratiques
en matière d'hygiène qui devrait sortir bientôt dans notre
métier et cela fait partie du rôle du syndicat.
Enfin, je voudrais dire quels sont nos moyens d'action. On agit beaucoup en
matière de formation ; c'est un métier qui s'est beaucoup
professionnalisé ces dernières années et nous consacrons
une grosse part de nos budgets à la formation de nos personnels, que ce
soit en matière de connaissance des convives, de savoir-faire culinaire
ou de partenariat avec les écoles hôtelières.
Nous sommes extrêmement engagés sur des processus d'assurance
qualité et beaucoup de nos entreprises adhérentes ont
certifié leur service achats, ce qui implique des cahiers des charges
précis, des audits de qualité et des contrôles de
qualité. Nous menons aussi des actions de recherche sur les questions de
nutrition, notamment avec le CNRS, le Centre Foch, l'université de
Toulouse Le Mirail et l'Institut Pasteur de Lille sur les questions de
nutrition.
Nous avons aussi un dispositif de veille sur des problèmes sociaux et de
santé publique nouveaux comme les allergies et l'impact des 35 heures
sur les habitudes alimentaires (nous pensons que les 35 heures vont sans doute
accélérer les phénomènes de grignotage).
Nous travaillons également sur les techniques de cuisson et les
règles de l'intercommunalité pour mieux utiliser les
équipements de restauration collective et nous auditons
régulièrement des spécialistes chercheurs.
J'en viens tout de suite à la question de la sécurité
alimentaire. Nous avons mené depuis plusieurs années des
négociations actives auprès des filières agro-alimentaires
et nous avons fait deux grands types d'action.
La première, c'est que nous nous sommes entendus entre
sociétés de restauration, au niveau du syndicat, pour mettre au
point des cahiers des charges précis sur certains produits sensibles.
Par exemple, dès 1996, nous avons mis au point un cahier des charges
homogène pour toutes nos sociétés sur le steak
haché. Nous avions légèrement anticipé la
législation sur un steak haché 100 % pur boeuf sans viande
séparée mécaniquement et sans matériaux à
risques spécifiés.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Cela voudrait-il dire
qu'antérieurement, ce n'était pas le cas ?
M. Damien Verdier
- Antérieurement, nous n'avions pas, nous, en
tant qu'utilisateur final, la preuve absolue que, depuis l'année 1990,
qui correspond à l'arrêt des farines animales sur les ruminants en
France, toutes ces questions de fabrication des steaks hachés
étaient totalement garanties. On sait que le déclenchement de
l'ESB date de 1990 et il faut reconnaître qu'au début, y compris
nos fournisseurs n'étaient pas capables de nous répondre
là-dessus et que l'on ne savait pas qui était la cause de l'ESB
au Royaume-Uni. Nous nous sommes donc occupés surtout de mettre au point
un produit de qualité dès 1990 et nous avons exclu les viandes
séparées mécaniquement et les matériaux à
risques spécifiés dès 1996.
M. le Rapporteur
- Sur ce point précis, avez-vous eu connaissance
du fait que certains transformateurs en France utiliseraient ou auraient
utilisé des abats dans l'incorporation de steaks hachés, comme
cela a été déclaré officiellement en
Angleterre ?
M. Damien Verdier
- Dans le cadre de ces cahiers des charges "steak
haché", toute la profession s'est engagée en 1996. Nous avons
assuré, derrière, des contrôles histologiques que nous
avons confiés à des organismes spécialisés comme
l'Institut Pasteur et nous n'avons jamais eu d'analyse reflétant des
steaks hachés qui ne soient pas 100 % pur boeuf.
Pour les autres produits du boeuf, je rappelle que nous ne travaillons et que
nous n'achetons que du muscle. Nous n'achetons pas de carcasse, nous ne
désossons pas et nous ne débitons pas. Nous achetons des muscles
de bavette, de rumsteck et autres.
Je vais enchaîner sur ce que nous avons ensuite. Pour renforcer cela,
nous avons signé une charte de transparence, il y a un an et demi, en
précédant le texte du 25 août sur les questions de
lieu d'abattage et, depuis la signature de cette charte de transparence, que
j'ai à votre disposition, nous avons demandé à tous nos
fournisseurs de s'engager vers le "né, élevé et abattu"
et, dans un premier temps, vers la garantie du lieu d'abattage, qui existe
depuis un an chez nous.
Aujourd'hui, nous pouvons garantir une traçabilité du lieu
d'abattage, que nous faisons contrôler par le BVQI. Autrement dit, toutes
nos entreprises et tous nos fournisseurs sont contrôlés par le
BVQI sur la traçabilité d'abattage. En outre, nous nous sommes
battus pour que le "né, élevé et abattu"
précède le texte (qui le prévoit en janvier 2002) et nous
voulons absolument être en "né, élevé et abattu"
à la prochaine rentrée scolaire.
M. le Rapporteur
- Pour rester deux secondes sur cette partie concernant
le steak haché, avez-vous l'intention de revenir sur la
possibilité d'exercer des circuits courts, c'est-à-dire de
permettre à des boucherie "de proximité" de fournir des cantines
scolaires ou des établissements que vous fournissez habituellement ?
M. Damien Verdier
- Je ne vois pas bien ce que cela peut garantir en
plus à partir du moment où nous sommes en 100 % pur muscle.
M. le Rapporteur
- En automne dernier, lorsqu'il y a eu un
problème sur ce point, nous avons eu une réaction des maires des
différentes municipalités de France qui ont raisonné comme
cela en remettant le circuit court et les produits issus de boucheries de
proximité.
M. Damien Verdier
- A mon sens, cela ne change pas grand-chose. Pendant
la période de la crise, nous avons eu des clients qui nous ont
effectivement demandé de suspendre le service de boeuf et nous l'avons
fait raisonnablement, parce que le repas d'un enfant doit être pris dans
un climat de sérénité, ce qui n'était pas le cas
alors.
Aujourd'hui, on remet petit à petit, avec les mêmes conditions de
contrôle, que nous avons réexpliquées à nos clients,
dans les collectivités, notamment scolaires, la viande de boeuf à
nos menus et nous savons aujourd'hui apporter autant de garanties qu'un boucher
de quartier.
Ensuite, il faut savoir que, sur un certain nombre de collectivités, le
boucher de quartier ne peut pas fournir. Quand vous servez 10 000 steaks
hachés sur une même journée dans une collectivité,
le boucher de quartier ne peut rien faire.
M. Gérard César
- J'ai quelques questions à vous
poser. Tout d'abord, quelle est la traduction du sigle BVQI ?
M. Damien Verdier
- C'est ce qu'on appelait le cabinet Véritas.
Il s'agit d'un bureau de vérification et de certification
indépendant.
M. Gérard César
- Ensuite, pour continuer sur le steak,
avez-vous aujourd'hui le sentiment que les collectivités reviennent
positivement au steak haché ? Entre à la période de
la crise et maintenant, quel est le pourcentage de consommation du steak
haché ?
M. Damien Verdier
- Il faut savoir que ce phénomène a
touché surtout la restauration scolaire. Dans les autres
clientèles, l'émotion collective a été moins forte.
L'émotion a été manifestée spécialement dans
la restauration scolaire et nous n'avons pas eu la même émotion
dans les établissements de soin dans lesquels nous sommes
présents ou dans les entreprises. Cela ne veut pas dire que nous n'avons
pas informé nos consommateurs de ce que nous faisions, mais je veux dire
qu'il n'y a pas eu de retrait comme ce qui a été constaté
en matière de restauration scolaire.
On peut dire qu'avant la crise, c'est-à-dire avant Noël, une
collectivité sur deux cliente des sociétés de restauration
nous avait demandé de suspendre la présence de viande de boeuf
dans les menus et qu'aujourd'hui, nous devons avoir 10 à 20 % des
collectivités qui attendent des textes et encore des textes pour la
réintroduire. Il y a donc une espèce d'attente par rapport
à la réglementation. Ce sont des collectivités qui ne
souhaitent toujours pas mettre la viande de boeuf au menu. Cela dépasse
bien entendu le problème du steak haché : il s'agit de la
viande de boeuf.
M. Paul Blanc
- Quelle est l'origine française de votre viande de
boeuf ? Est-elle française ?
M. Damien Verdier
- Nous sommes à 80 % en approvisionnement
français.
M. Paul Blanc
- Et les 20 % restants ?
M. Damien Verdier
- Il s'agit de viande provenant de la
Communauté économique européenne en dehors des pays sous
embargo, évidemment.
M. le Rapporteur
- Êtes-vous satisfait de la
traçabilité telle qu'elle est faite aujourd'hui ?
M. Damien Verdier
- Comme je vous l'ai dit, il y a un an et demi, nous
étions la première profession (on n'a peut-être pas assez
bien communiqué là-dessus parce que la restauration collective a
été parfois désignée comme étant un mauvais
élève alors qu'à l'inverse, nous étions
plutôt le fer de lance) à demander du "né,
élevé et abattu" à nos fournisseurs, c'est-à-dire
une traçabilité d'origine complète. Il y a un an et demi,
nos fournisseurs ont accepté de rédiger la charte --je peux vous
la lire-- en disant qu'ils étaient d'accord pour aller vers le
"né, élevé et abattu", c'est-à-dire que nous ne
l'avions pas encore.
Nous sommes aujourd'hui sur la traçabilité d'abattage,
c'est-à-dire que nous connaissons le lieu d'abattage, ce qui n'est pas
mal et ce qui permet de faire des audits. Quant au "né,
élevé et abattu", comme je vous l'ai dit tout à l'heure,
alors que la réglementation l'exige pour janvier 2002, nous
espérons aller plus vite.
M. Paul Blanc
- Et sur les 20 % de viande provenant de la CEE ?
M. Damien Verdier
- Nous avons eu aussi la traçabilité de
d'abattage. Plusieurs sociétés se servent avec un fournisseur
italien, par exemple, qui a été extrêmement précis
sur les traçabilités d'abattage.
M. le Président
- Vous savez qu'en Espagne et en Allemagne, ce
n'est pas le cas, que la traçabilité n'existait pas.
M. Damien Verdier
- Je pense que nous ne nous fournissons pas en Espagne.
M. le Rapporteur
- "Né, élevé et abattu" est une
chose, mais êtes-vous susceptible de répondre à une
opération de retrait lorsqu'il se déclare un
événement désagréable sur la filière ?
M. Damien Verdier
- Vous pouvez interroger la DGAL, qui peut
témoigner que notre organisation est capable, en une
demi-journée, de procéder à des retraits sur 10 000
restaurants. Nous avons tout un système, qui a d'ailleurs
été mis au point au moment de la crise de la dioxine sur les
poulets. A cette époque, nous avons été capables de
vérifier tous nos stocks de volaille en trois heures de temps et de
consigner des lots. La DGAL pourrait en témoigner parce qu'elle nous
contrôle là-dessus.
M. le Rapporteur
- Vous avez donc élaboré un concept bien
particulier de réactivité très fort. Pourrions-nous avoir
ce document ?
M. Damien Verdier
- Je pourrai vous le donner. En liaison directe avec
la DGAL, nous avons tout un système de communication, en cas de crise,
avec le réseau des 22 adhérents et chaque adhérent a tout
son réseau pour mobiliser tout ces sites.
M. le Rapporteur
- Dans le droit fil de la notion de
traçabilité, n'avez-vous pas conscience qu'au fil du temps,
compte tenu du fait que l'un de vos objectifs majeurs est de comprimer vos
coûts de production, vous avez tiré vers le bas à la fois
la qualité gustative des repas et la qualité sanitaire ? On
sait bien que, comme vous l'avez dit vous-même, il y a une connotation
sociale dans votre activité.
M. Damien Verdier
- Je m'inscris totalement en faux sur le fait que
notre compétitivité ait pu se faire au détriment de la
qualité. Je pense qu'au contraire, depuis quinze ou vingt ans, la
restauration collective en France n'a cessé de progresser au plan des
savoir-faire. J'ai parlé tout à l'heure de la chaîne du
froid et de la maîtrise de notre professionnalisme. Notre concept de
cuisine centrale est une chose que le monde entier regarde avec envie et je
dirai qu'aujourd'hui, notre compétitivité est, certes,
liée aux achats (quand on arrive à massifier des achats, on est
plus compétitif que quelqu'un qui fait ses courses tout seul) mais qu'en
restauration collective, l'enjeu n° 1 de la gestion est d'abord le
gaspillage.
Comme je l'ai dit en deux mots tout à l'heure, il faut comprendre qu'en
restauration scolaire, par exemple, il y a encore beaucoup de gaspillage alors
que nos coûts et nos prix de revient en dépendent avant
tout : il s'agit de faire en sorte que ce qui est dans les assiettes soit
mangé par les enfants et ne passe pas à la poubelle.
Le deuxième enjeu, ce sont les frais fixes. Les frais de fonctionnement
de la restauration collective représentent des enjeux beaucoup plus
importants que le coût des denrées dans l'assiette. Aujourd'hui,
les expertises développées par nos entreprises concernent avant
tout le management et l'organisation des outils de travail (j'ai pris l'exemple
des cuisines centrales tout à l'heure, qui sont de vrais outils de
travail), et je rappelle qu'en restauration scolaire, il faut amortir ces
outils sur 140 jours de chiffre d'affaires par an. C'est là que se joue
la compétitivité de nos entreprises, de façon beaucoup
plus importante que de gagner 10 centimes sur un coût alimentaire. En
l'occurrence, on ne parle pas de 10 centimes mais de francs par repas et par an.
Cela dit, vous avez raison, monsieur le Sénateur, dans la mesure
où nous sommes au contact du consommateur et que nous avons
sûrement un défi difficile à relever aujourd'hui :
faire comprendre au consommateur, sans doute un peu comme la grande
distribution, que s'il veut manger de la viande de Salers, on est capable de
lui en servir, de même que l'on est capable de faire du Charolais et du
poulet label rouge tous les jours, sans aucun problème, mais qu'il faut
alors qu'il le paie.
Aujourd'hui, avec un certain nombre de villes, nous avançons sur cette
notion en essayant d'avoir une bonne communication et une bonne information aux
parents d'élèves, pour faire comprendre qu'effectivement, le prix
du kilo de la viande de Salers n'est pas le même qu'un rumsteck issu
d'une vache laitière française tracée VBF.
Allons-nous gagner ce défi ? Aujourd'hui, des sondages montrent que
des parents seraient prêts à payer 30 % de plus, mais ce
n'est pas vérifié.
M. Paul Blanc
- Ils demandent alors que les communes paient.
M. Damien Verdier
- Quant aux collectivités, nous nous sommes
aussi inscrits dans leurs attentes et je ne pense pas que les maires aient fait
n'importe quoi, sachant qu'ils ont aussi à gérer ce budget de
restauration collective qui est non négligeable. Les
collectivités participent déjà beaucoup par le biais des
quotients familiaux et autres prises en charge de coûts du repas et nous
sommes conscients aussi que ce ne sont pas les collectivités qui
paieront.
En rémunération de services, nous faisons un
bénéfice, mais cela n'a pas de commune mesure avec les
écarts de coût qu'il faudrait mettre si on veut faire de la viande
de race bouchère partout, par exemple. Comme les collectivités
ont un budget déjà très important à gérer,
il faut savoir si, au bout du compte, le consommateur est capable de payer.
En tout cas, j'insiste pour dire que ce n'est pas parce que nous avons cet
enjeu que, pour autant, les questions de prix de la restauration collective se
sont faits au détriment de la qualité.
M. le Rapporteur
- Vous avez malgré tout un défi
médiatique à relever, sans vouloir tomber dans l'excès.
Vous avez parlé de l'utilisation de produits sous signe de
qualité et, là aussi, sans tomber dans cette approche, il est
bien évident qu'il y a eu une spirale à la baisse. A l'identique
de ce qui s'est fait dans la grande distribution, dont vous avez parlé
tout à l'heure, je pense que cela s'est fait au détriment de la
qualité organoleptique de ce que vous serviez à vos consommateurs.
M. Damien Verdier
- Je ne le sais pas. Les études ne le
démontrent pas.
M. le Rapporteur
- Cela apparaît clairement suivant les
études qui ont été menées ici ou là. Je ne
parle pas de l'aspect sanitaire mais de l'aspect organoleptique qui est,
là aussi, très important. Je pense que vous avez là un
grand défi à relever.
M. Damien Verdier
- Nous avons un défi de communication et
d'information des consommateurs et des parents d'élèves à
relever. Je suis totalement d'accord là-dessus. Aujourd'hui, le
consommateur demande la transparence de tout. Nous commençons donc
à expliquer où nous achetons nos poulets et nous venons de signer
une charte de transparence sur les poissons d'élevage afin de l'afficher
dans tous nos restaurants scolaires. Il faut savoir que nous sommes les
premiers à signer cette charte de transparence sur les poissons
d'élevage qui ne représentent que 15 % de nos consommations.
Les signataires de cette charte s'engagent à ne pas utiliser d'hormones
de croissance, de farines animales, etc. et nous allons l'afficher.
Nous avons --c'est vrai-- besoin d'expliquer ce que nous faisons, mais de
là à dire que nous faisons moins bien aujourd'hui qu'avant, je
pense que ce n'est pas possible. Je pense sincèrement que la
restauration collective, en France, est professionnelle, à la fois au
plan des équilibres alimentaires et des savoir-faire.
Je vais vous donner un exemple. Dans nos sociétés
spécialisées (et je sais que nous n'avons pas communiqué
sur ce point), cela fait presque dix ans que nous avons mis au point une fiche
technique sur le poisson pané, qui est un grand sujet parce que les
enfants aiment le poisson pané. Les taux de panure et de matière
grasse dans le poisson pané ont été décrits dans
des cahiers des charges qui sont établis depuis pratiquement dix ans.
Nous avons des niveaux d'exigence, sur le poisson pané, qui sont
supérieurs à ceux de la ménagère. Cela veut dire
que ce que nous donnons aux enfants est meilleur que ce qu'elle achète
en moyenne.
En revanche, nous avons un déficit de communication. Il est clair
qu'aujourd'hui, la restauration collective est souvent mise au banc des
accusés, parce que c'est de la restauration de masse. Il est vrai que
nous nourrissons beaucoup de monde et que nous avons donc un devoir de
sécurité et de santé publique. Nous en sommes conscients.
Cependant, je crois --et j'insiste sur ce point-- que ce métier s'est
énormément professionnalisé.
M. Jean-François Humbert
- Pour vous permettre cette transparence
à laquelle vous êtes très attaché, et sans doute
parce que j'ai mal compris, je voudrais vous demander une précision, si
vous le voulez bien.
Lorsque l'un de mes collègues vous a interrogé sur l'origine des
viandes qui sont servies dans la restauration collective, vous nous avez dit
que 80 % étaient d'origine française et 20 % d'origine
Union européenne. Vous avez poursuivi en nous indiquant que l'on avait
la certitude, en Italie, par exemple, de connaître la
traçabilité de l'abattage, mais est-ce que le "né,
élevé et abattu" est possible avec ces viandes d'origine
européenne ?
M. Damien Verdier
- Je représente ici toute la profession. Notre
devoir est de référencer les fournisseurs, de les
contrôler, de les auditer et de vérifier qu'ils font ce qu'ils
promettent. Je dis donc que nous avons trouvé un ou deux fournisseurs en
Italie (je ne parle pas de l'Italie en général et je ne dis pas
qu'il y en a 250) qui sont, semble-t-il, aussi avancés en matière
de traçabilité que les meilleurs industriels transformateurs
français.
M. Jean-François Humbert
- Ils font du "né,
élevé et abattu" ?
M. Damien Verdier
- Ils y vont au même rythme que les
Français, sachant que tous les fournisseurs français n'en sont
pas non plus au "né, élevé et abattu".
M. Jean-François Humbert
- C'est vrai, mais cela a bien
avancé, quand même.
M. Damien Verdier
- Tout à fait. C'est pourquoi je vous dis que
j'espère que l'on va pouvoir anticiper la mise en place du "né,
élevé et abattu" avant l'obligation légale de janvier
2002. Nous travaillons pour cela.
M. le Président
- Avez-vous d'autres questions mes chers
collègues ? Non ? Vous avez peut-être quelque chose
à ajouter, monsieur Verdier.
M. Damien Verdier
- Je tiens simplement à souligner que nous nous
sentons très responsables en matière de sécurité et
de santé publique. Quand nous nourrissons des enfants, des personnes
âgées ou des salariés sur un lieu de travail, ce ne sont
pas des gens qui ont forcément choisi de venir déjeuner
là, contrairement à la restauration commerciale. Si vous
choisissez d'aller déjeuner dans un restaurant, c'est votre choix. Pour
notre part, nous travaillons dans des univers où les gens viennent
manger pour une raison donnée et ils n'ont pas le choix d'aller
ailleurs, du moins la plupart du temps. Nous sommes donc des acteurs
responsables.
Par ailleurs, les questions de santé publique ne souffrent pas de
compromis et nous représentons des entreprises qui sont le fer de lance
de tous ces sujets.
Cela dit, il y a des actions à renforcer et nous avons été
les premiers à déplorer des manques de transparence dans les
filières. Sur la filière des poissons d'élevage, il nous a
fallu dix mois pour aboutir à notre charte de transparence. Ce n'est pas
un hasard : c'est parce que nous faisons des contrôles afin de voir
si ce qui est écrit a des chances d'être respecté, sachant
que nous confions ensuite à des auditeurs externes le travail de
contrôle de ces chartes de transparence. On peut difficilement faire
mieux.
Je pense qu'effectivement, au-delà de tout ce travail de fond qui est
fait, il faut restaurer le capital de confiance.
Cela dit, il me semble que toutes les filières progressent et je ne
pense pas que l'on fasse moins bien qu'avant. Je pense que l'on fait toujours
mieux. Or, il se trouve que, malgré cette progression, le capital
confiance, malheureusement, ne se rétablit pas, ce qui est un vrai
souci. Cependant, ce n'est pas parce qu'on ne fait pas, que l'on fait moins ou
que l'on fait moins bien ; c'est parce qu'on a un vrai défi de
restauration du capital confiance. Nous nous sentons très
concernés sur ce capital confiance, qui dépend d'une
communication sur des choses simples que nous faisons.
J'ajoute que, dans ces périodes de crise, il y a eu parfois --il faut le
reconnaître-- des communications un peu compliquées à
comprendre. En effet, entre les avis scientifiques, l'Union européenne,
les mesures de la France et ce que nous nous engageons à faire en tant
que prestataires, il faut reconnaître que, pour le consommateur parent
d'élève dans une ville, il faut devenir expert pour tout
comprendre. Cela devenait très compliqué.
Je pense que le capital confiance vient de plusieurs leviers. Il faut d'abord
que l'Etat explique les contrôles qu'il fait. Nous avons un Etat qui ne
contrôle peut-être pas assez mais nous ne pouvons pas nous
substituer à lui sur les contrôles aux frontières ou dans
les filières. Il y a la DGCCRF et la DGAL pour cela et je pense que
l'Etat doit mieux communiquer sur les contrôles.
A un moment donné, on disait : "plus on dit que l'on
contrôle, plus cela sème le doute". Je pense qu'il faut aller plus
loin dans ce débat. En effet, après n'avoir rien dit pendant des
années, on s'est retrouvé face à des gens qui
découvraient d'un coup qu'il y avait des risques et à qui on
n'avait rien dit, ce qui faisait s'écrouler le capital de confiance,
même si ces risques étaient connus. Je pense donc qu'il y a eu un
manque de transparence dans la communication sur toutes ces crises.
La deuxième chose, c'est qu'il faut une harmonisation avec l'Europe
parce que, aujourd'hui, cela devient vraiment trop compliqué. Quand nous
sommes face à des parents d'élèves, il est difficile
d'expliquer ne serait-ce que la crise de fièvre aphteuse actuelle,
même si la France semble, pour l'instant, un peu
privilégiée. C'est trop compliqué. Il faut donc vraiment
une harmonisation européenne sur la sécurité alimentaire.
On sent que cela vient, mais il faut vraiment que cela vienne vite.
La troisième chose, ce sont nos engagements à nous. Il s'agit,
comme je l'ai dit, d'être plus transparents, d'être auprès
des élus dans les collectivités. Comme nous l'avons dit et comme
les élus le savent, nous sommes prêts à aller dans les
réunions de quartier. Les élus qui ont choisi de confier leur
restauration collective à des sociétés
spécialisées par choix, en considérant qu'elles exercent
tellement de métiers qu'elles ne peuvent pas tous les faire
convenablement, n'ont qu'à nous emmener avec eux. Nous sommes là
pour expliquer aux parents d'élèves ce que nous faisons et la
manière dont nous travaillons. Faisons des journées portes
ouvertes dans les cuisines centrales et ouvrons nos frigos. Nous avons vraiment
un gros travail de communication et de transparence à faire.
Nous nous y engageons, en tout cas, et nous faisons savoir à nos clients
que les cuisines centrales sont visitables et qu'il y a des journées
portes ouvertes. Encore une fois, il faut sans doute que nous allions
davantage, avec les élus, au contact du consommateur final qui est
l'élève, l'enfant et ses parents. En tant que professionnel, on
peut aussi aller s'engager directement auprès du consommateur final.
M. le Président -
Très bien. Nous vous remercions
infiniment de nous avoir apporté un certain nombre de renseignements qui
seront utiles pour notre rapport.
M. Damien Verdier
- Souhaitez-vous que je vous envoie mon texte en
filigrane ?
M. le Président
- Il a été pris en sténo et
nous devrions l'avoir. Merci beaucoup.
Audition de M. Jean GLAVANY, ministre de l'agriculture et de la
pêche
(28 mars 2001)
M.
Gérard Dériot, Président -
Mes chers collègues,
nous pouvons reprendre nos travaux.
Monsieur le Ministre, merci d'avoir répondu à notre invitation.
Je vous rappelle que vous êtes entendu dans le cadre de la commission
d'enquête parlementaire mise en place par le Sénat sur les
problèmes posés par l'utilisation des farines animales et les
conséquences qui en résultent pour la santé des
consommateurs et que, comme vous le savez, ces témoignages doivent se
faire après avoir prêté serment. Je vais donc vous rappeler
la formule consacrée et vous demander, ainsi qu'à vos
collaborateurs, si vous leur passez la parole, de bien vouloir prêter
serment.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Glavany.
M. Jean Glavany
- Je le jure. Je vous présente les collaborateurs
qui m'entourent : Mme Geslain-Lanéelle, directrice
générale de l'alimentation, que vous avez déjà
auditionnée, ainsi que Bénédicte Herbinet et Loïc
Evain, qui sont tous les deux membres de mon cabinet.
M. le Président -
Nous avons eu également la chance de
voir Mme Herbinet.
M. Jean Glavany
- Quand vous l'avez auditionnée, elle
était fonctionnaire des services alors qu'elle est maintenant dans mon
cabinet.
M. le Président
- Tout est donc changé...
M. Jean Glavany
- Quand j'ai vu la qualité de sa
déposition devant vous, je me suis dit qu'il fallait absolument l'amener.
M. le Président -
Très bien. Je me permets de vous faire
prêter serment les uns et les autres.
Mme Geslain-Lanéelle -
Je le jure.
Mme Bénédicte Herbinet -
Je le jure.
M. Loïc Evain
- Je le jure.
M. le Président
- Merci. Si vous le permettez, monsieur le
Ministre, je vais vous donner la parole pour que, dans un premier temps, vous
nous donniez votre opinion et votre position sur ce phénomène,
après quoi, avec l'ensemble de nos collègues, nous nous
permettrons de vous poser les questions qu'il nous semble important de vous
poser.
M. Jean Glavany
- Je vous remercie, monsieur le Président. Je
suis très heureux d'être là, devant vous, un peu
intimidé, même s'il m'est déjà arrivé de
présider des commissions d'enquête parlementaires et d'être
à votre place. C'est la première fois que je suis de ce
côté de la barrière, mais il faut de tout pour forger une
expérience. Je suis heureux d'avoir l'occasion de parler devant vous
aussi librement que possible d'un sujet qui, à bien des égards,
est passionnant et difficile en même temps.
J'ai choisi de le faire en commençant évidemment par la
problématique du risque en général et du risque
alimentaire en particulier. Je crois que la France avait, de ce point de vue,
beaucoup de progrès à faire et qu'elle en a encore beaucoup
à faire, mais que ces dernières années ont permis à
notre organisation publique de faire des progrès considérables,
notamment avec la création de l'Agence française de
sécurité sanitaire des aliments, en 1999, Agence, dont, d'une
certaine manière, je voudrais remercier le Sénat, puisque c'est
une proposition de loi d'initiative parlementaire, notamment du Sénat,
qui en est à l'origine. Elle marque à mon avis un bouleversement
extrêmement positif et constructif pour l'approche du problème des
risques, en particulier alimentaires.
Dans une démocratie moderne, transparente et qui se veut efficace, il
était indispensable de séparer les fonctions d'évaluation
et de gestion du risque. L'évaluation du risque relève de la
compétence de l'autorité des scientifiques, si possible
indépendants, alors que la gestion du risque ne peut relever que des
autorités publiques démocratiquement élues et responsables
devant le peuple.
Le mélange des genres est dommageable à bien des égards,
aussi bien quand les responsables politiques et publics se targuent de pouvoir
évaluer le risque mieux que les scientifiques que lorsque des
scientifiques veulent sortir de leur rôle pour entrer dans la gestion du
risque, ce qui n'est pas forcément meilleur, parce qu'ils ne sont pas
responsables, eux, devant le peuple et qu'ils ne sont pas forcément non
plus détenteurs de ce sens de l'intérêt
général qui doit animer tous ceux qui gèrent la chose
publique.
En tout cas, pour avoir vécu cette mise en place, puisque j'ai
été nommé ministre à la fin de 1998, alors que
l'initiative parlementaire était en pleine gestation, mais aussi parce
que l'essentiel des moyens accordés à l'AFSSA sont d'anciens
moyens du ministère de l'agriculture et que nous suivons la
montée en puissance de l'AFSSA avec les moyens budgétaires du
ministère de l'agriculture, je considère que l'AFSSA est l'une
des plus belles réussites de création d'agences ou de nouvelles
entités administratives depuis ces dix ou vingt dernières
années.
J'ajoute même que, lorsque, après un an et demi à peine, on
fait le bilan de son action, on est assez émerveillé de la place
qu'elle a prise dans le dispositif d'évaluation des risques, de sa
respectabilité et de son indépendance. Pour une entité
administrative aussi neuve et aussi jeune, la réussite est assez
exemplaire.
En tout cas, je veux dire ici que, maintenant qu'on s'appuie sur ce dialogue
public entre les gestionnaires du risque que sont les gouvernements, le
gouvernement français en l'occurrence, et les évaluateurs du
risque que représente l'AFSSA, j'imagine bien ce que cela devait
être avant, quand on avait une espèce de confusion des genres et
un manque de visibilité entre l'évaluation et la gestion.
J'ajoute, pour finir sur ce point, que ce que nous avons réussi à
faire dans notre pays, il est indispensable de le faire maintenant au plan
européen. La nécessaire mise en place de l'Autorité
alimentaire européenne, qui est une proposition faite par la France, me
paraît plus que jamais urgente parce que, là aussi, il y a eu et
il y a toujours des dysfonctionnements au niveau européen --j'en dirai
un mot tout à l'heure-- entre l'évaluation et la gestion du
risque. Là aussi, nous avons besoin d'une autorité
indépendante qui puisse animer le débat entre les
autorités nationales, éclaircir un certain nombre
d'évaluations et conseiller les gestionnaires des risques au niveau
européen.
C'était mon premier point.
Le deuxième, c'est que, dans cette gestion du risque, j'ai
souhaité moi-même, quand je suis devenu ministre, procéder
à une réforme de l'administration, et en particulier de la
Direction générale de l'alimentation, qui m'était apparue
comme héritant d'une sorte de vice constitutif, dans la mesure où
la Direction générale de l'alimentation exerçait la
tutelle des industries agro-alimentaires et, en même temps, assurait les
tâches de sécurité alimentaire, notamment la gestion des
services vétérinaires et toutes les tâches de
contrôle de ces industries agro-alimentaires.
J'ai considéré que le procès qui pouvait être fait,
et qui était d'ailleurs fait ça et là, à la
Direction générale de l'alimentation d'être juge et partie
vis-à-vis des industries agro-alimentaires devait nous amener à
la réformer. J'ai donc transféré la tutelle des industries
agro-alimentaires à la Direction de la production, la DPEI, de sorte que
la Direction générale de l'alimentation, dont la directrice
générale est à mes côtés, est devenue la
Direction de la sécurité alimentaire à part entière.
C'était une sorte de gageure ou de révolution culturelle, je dois
le dire, parce que, y compris pour les fonctionnaires de cette administration,
cela n'allait pas de soi. J'ai souhaité que ce ministère, trop
souvent perçu comme le ministère des agriculteurs, des
producteurs, devienne aussi à part entière le ministère de
la sécurité alimentaire. J'ai donné des consignes
extrêmement rigoureuses en ce sens parce que je pensais que
c'était à la fois une nécessité de la
société moderne et une attente de l'opinion et surtout, pour tout
vous dire, que si nous ne le faisions pas, d'autres le feraient à notre
place et que cette direction serait peu ou prou rayée de la carte,
puisque telle était l'attente centrale que l'opinion affichait ou
exprimait à l'égard de l'administration en matière
d'alimentation.
Je l'ai fait et, en même temps --j'en dirai aussi un mot plus tard--,
j'ai souhaité qu'avec les autres ministres en charge de ces
problèmes, nous franchissions un cap dans la fluidité, la
transparence et l'harmonie du travail interministériel en matière
de sécurité alimentaire.
Traditionnellement, les territoires de sécurité alimentaire sont
traités par trois ministères : le ministère de
l'économie et des finances, avec l'administration de la consommation, la
DGCCRF, le ministère chargé de la santé, par le biais de
la Direction générale de la santé, et le ministère
de l'agriculture et de la pêche, à travers la Direction
générale de l'alimentation.
Reconnaissons que des décennies de travail de ces trois directions ont
été émaillées de bien des rivalités, de bien
des difficultés, de bien des heurts et de bien des incidents. Nous avons
donc pensé, depuis la réforme de la Direction
générale de l'alimentation, qu'il fallait forcer le pas sur
l'interministérialité et qu'au fond, loin d'être un
handicap, cette interministérialité touchant les consommateurs,
la santé et la Direction générale de l'alimentation
pouvait être une chance à condition qu'on arrive à
harmoniser totalement les travaux de ces trois directions.
C'est ce que, peu ou prou, nous sommes en train de réussir. Cela n'a pas
été simple compte tenu des histoires de ces trois
administrations. Je n'en dirai pas plus car vous connaissez ces histoires, qui
sont traditionnelles, avec leur autonomie, leurs identités et leurs
histoires propres, mais nous sommes en train de réussir cela, les trois
directeurs généraux apprenant à travailler ensemble sur la
base d'une régularité de rencontres et de protocoles de
communication communs. Nous avons essayé de forcer le pas à toute
cette interministérialité et nous sommes même en train de
réussir la mise en place des pôles de compétence de
sécurité alimentaire dans des départements, auprès
des préfets, ceux-ci ayant reçu une circulaire des trois
ministres concernés, plus le ministre de l'intérieur, il y a un
an et demi, les incitant à mettre en place, au plan
départemental, des pôles de sécurité alimentaire
réunissant les services vétérinaires, les services de la
DGCCRF et les DDASS pour les forcer à travailler ensemble et nommant un
animateur de ces pôles de compétence. Dans un certain nombre de
préfectures, ce sont les DSV, dans d'autres, ce sont les DDASS, dans
d'autres encore, ce sont les directeurs départementaux de la concurrence.
Cela marche bien et, en cas de crise, cela permet de faire face de
manière commune, harmonieuse et efficace, sur le terrain. Aujourd'hui,
plus d'une vingtaine de départements ont mis en place ces pôles de
compétence et une autre vingtaine sont en train de se mettre en place.
Nous aurons ainsi une quarantaine de pôles de compétence d'ici la
fin de l'année.
Le troisième point que je voulais évoquer avec vous, après
avoir parlé de cette problématique du risque et du positionnement
de l'administration que j'ai l'honneur de diriger, concerne le problème
des farines animales, qui vous préoccupe, en essayant d'aller droit au
but sur ce qui m'est apparu être le déficit d'Europe dont je
parlais tout à l'heure.
À partir du moment où on a interdit, en 1990, les farines
animales pour les bovins, toute la problématique de la gestion des
farines animales a tourné autour des matériaux à risques
spécifiés (MRS). Il s'agissait de savoir si, bien qu'on les ait
interdites pour les bovins, puisqu'elles restaient autorisées pour les
porcs, les volailles et les autres bétails, on arrivait à les
sécuriser non seulement par les conditions de cuisson que vous
connaissez comme moi (133 degrés pendant 20 minutes et à 3 bars
de pression), mais aussi en en retirant tous les matériaux à
risques spécifiés.
D'où les décisions qui ont été prises en 1996 et
auxquelles je rends toujours hommage. Je pense en effet qu'Alain Juppé
et Philippe Vasseur, à l'époque, ont pris des décisions
courageuses qui sont la base même du dispositif de sécurité
que nous avons mis en place. Je ne sais pas si c'est à 80, 85 ou
90 % que le dispositif a été arrêté à
cette époque ; ensuite, nous avons sophistiqué les choses,
mais les dispositions ont été prises à ce
moment-là.
D'où les dispositions qui ont été prises en France en
1996, mais aussi d'où les difficultés que nous n'avons
cessé de connaître depuis.
Nous avons continué à connaître ces difficultés tout
simplement parce que, jusqu'à l'automne dernier, certains pays que vous
connaissez comme moi, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, l'Autriche et
même le Danemark jusqu'à l'année dernière (il a
viré six mois avant les autres), considérant qu'il n'y avait pas
d'ESB chez eux, au nom d'une certaine forme --je ne sais pas comment le dire--
d'aveuglement, d'autisme ou de surdité, estimaient qu'il n'y avait donc
pas de prion. Ces pays disaient : "circulez, il n'y a rien à voir,
vous nous embêtez avec tout ce que vous nous proposez !", alors que,
d'évidence, ils ne pouvaient pas ne pas en avoir, tout simplement parce
qu'on leur disait quotidiennement, hebdomadairement ou mensuellement, à
chaque fois qu'on les rencontrait à Bruxelles : "vous ne pouvez pas
ne pas en avoir puisque vous avez importé des farines animales anglaises
entre 1985 et 1995, comme nous, dans cette période où elles
étaient contaminées et dangereuses".
Simplement, ils ne voulaient pas regarder les choses en face et ils
s'opposaient donc à toute mesure européenne de restriction ou de
sécurisation de la fabrication des farines animales.
D'où cette attitude qui est finalement parmi les plus choquantes et sur
laquelle je pense que les historiens, et peut-être même les
juristes ou les juges, devront s'interroger un jour : certains pays ont
continué à mettre non seulement des matériaux à
risques spécifiées mais des cadavres d'animaux dans les farines
animales pour nourrir leur bétail jusqu'à il y a encore quelques
mois ! Devant nos protestations, nous étions face à des murs
d'obstination et de refus de toute évolution sur le sujet.
Pour moi, c'est un problème central.
Il aura fallu que se produise cette espèce de miracle et cette
concordance des temps étonnante, au moment de la crise de l'ESB, en
novembre et décembre derniers, entre deux Conseils de l'agriculture,
dont l'un s'était très mal passé, avec une crise
larvée, et le suivant s'était mieux passé. Ce miracle,
c'étaient les cas d'ESB qui s'étaient déclarés en
Allemagne et en Espagne, bousculant tout sur leur passage et permettant, au
mois de décembre, que toutes les propositions soient adoptées,
non seulement l'interdiction des farines animales, l'allongement et
l'harmonisation de la liste des matériaux à risques
spécifiés, mais aussi la mise en place des tests
systématiques.
Il aura fallu des années, de 1996 à fin 2000, pour que cette
évidence que représentait le danger des MRS dans l'alimentation
animale et dans les farines qui continuaient à être
distribuées aux porcs et aux volailles soit enfin admise par les pays
qui gardaient se pouvoir de blocage et nous empêchaient d'harmoniser le
dispositif sur le plan européen.
L'Europe, à cet égard, a montré des défaillances
évidentes qui, en matière de gestion du risque, doivent nous
amener à nous poser des questions et, surtout, à trouver des
solutions.
J'en viens au quatrième point de mon exposé quant à
l'interdiction elle-même des farines animales en France. En Europe, il
s'agit d'une suspension pour six mois, mais je dis tout de suite à votre
commission d'enquête, comme je l'ai dit devant le Conseil
européen, que je ne crois pas qu'une disposition de ce type puisse
marquer quelque retour en arrière que ce soit. A partir du moment
où nous avons pris ce pli de l'interdiction, je ne vois pas le Conseil
européen ou quelque gouvernement que ce soit retourner devant son
opinion en disant : "compte tenu de tout ce que nous savons depuis, nous
allons nous permettre de les réutiliser". Je crois que la page est
tournée et bien tournée. Tant mieux.
Cela dit, je voudrais distinguer deux choses : tout d'abord
l'évaluation du risque par les scientifiques et, ensuite, la gestion de
ce risque par les politiques.
En l'occurrence, vous aurez noté que l'actualité politique,
nationale et européenne nous aura amené à prendre la
décision de l'interdiction des farines animales avant l'avis des
scientifiques, qui était demandé à l'AFSSA à la fin
du mois de novembre et que nous aurons peut-être la semaine prochaine,
quand les scientifiques auront terminé leur travail. Peut-être
pourrez-vous vous nourrir de cet avis vous-mêmes pour le rapport de la
commission d'enquête.
D'une certaine manière, je pourrais presque vous dire mon intuition de
ce que sera cet avis. Je ne dis pas que je suis un scientifique et que je peux
me mettre à leur place, car je ferai ainsi une faute par rapport
à ce que j'ai dit tout à l'heure, mais je pense que les
scientifiques nous diront quelque chose du genre : "si vous pouviez nous
donner des garanties absolues sur les conditions de fabrication de ces farines,
sur la sécurisation des filières, sur l'hermétisme les
lignes de production et de transport et si vous pouvez nous donner des
garanties absolues sur le fait qu'il n'y a pas d'alimentation croisée, y
compris dans les exploitations mixtes, celles qui ont à la fois des
bovins, des porcs ou des volailles, si vous pouvez nous donner, sur tous ce
points, des garanties, y compris sur les conditions de fabrication (sur les 133
degrés, 20 minutes et 3 bars dont on parlait tout à l'heure) et
sur le retrait absolu de tous les MRS, si vous pouvez nous garantir tout cela,
alors il n'est pas nécessaire d'interdire les farines animales. Mais
comme nous subodorons que vous ne pouvez pas nous donner ces garanties et que,
d'une certaine manière, aucun gouvernement ne pourrait jamais donner des
garanties absolues qu'il n'y a pas de fraude, de légèreté
ou quoi que ce soit, la décision d'interdiction ne manque pas de
sagesse".
Je respecte l'indépendance des scientifiques et nous verrons si c'est ce
qu'ils disent, mais cela ne devrait pas être très
différent.
Nous avons donc été amenés, pour des raisons que vous
connaissez bien et que je n'ai pas tellement envie de commenter, parce que cela
n'apporte rien, à les interdire d'abord en France et, aussitôt
après, au niveau européen.
Je vais vous dire pourquoi j'ai plaidé dans ce sens et vous rappeler que
j'ai été le premier ministre de l'agriculture, en Europe,
à dire qu'il faudrait interdire les farines animales. Je l'ai fait
quelques semaines après ma nomination, à la fin de 1998, dans un
Conseil de l'agriculture au niveau européen.
Je l'ai fait d'abord pour des raisons européennes, en
dénonçant la faiblesse que j'indiquais tout à l'heure. Je
l'ai fait en disant très clairement que, puisque certains pays ne
veulent pas harmoniser les conditions de fabrication des graisses animales et
ne veulent pas entendre raison, tôt ou tard, nous serions amenés
à interdire ces farines.
J'avais retiré cette conviction d'une conversation que j'avais eue avec
un certain nombre de scientifiques, notamment avec le professeur Dormont, qui
me disait que la faille du dispositif en matière de farines animales
était européenne, avec cette possibilité d'harmoniser les
conditions de fabrication. Il m'avait dit : "si vous n'obtenez pas cette
harmonisation, tôt ou tard, les scientifiques français vont vous
demander de prendre une décision d'interdiction parce que la faiblesse
se trouve là".
Très vite, entre fin 1998 et fin 1999, je me suis engagé dans
cette voie en fixant l'objectif d'une interdiction, avant tout pour des raisons
européennes.
Je l'ai fait aussi pour des raisons d'ordre pratique, je dirai presque
pragmatique, en pensant à la charge de travail et aux missions des
services du ministère, en particulier ceux de la Direction
générale de l'alimentation et des Directions
départementales des services vétérinaires.
En effet, la sécurisation des filières de fabrication et tout ce
que je citais tout à l'heure, c'est-à-dire
"l'hermétisation", si je puis dire, des lignes de fabrication et de
transport, la vérification des conditions de cuisson et du retrait
effectif des MRS ainsi que la lutte contre les alimentations croisées
dans les exploitations, étaient autant d'éléments qui
imposaient des tâches de contrôle tellement importantes que je me
suis vite fait l'idée qu'au fond, le plus simple était de
décharger l'administration de ces tâches en interdisant purement
et simplement les farines animales.
Je me suis dit que le jour où je les interdisais, je libérais
l'administration d'un gros problème, sachant qu'elle a bien d'autres
tâches au moins aussi utiles à faire. J'ai trouvé que, sur
le plan pragmatique, il était plus utile d'aller dans ce sens.
Je l'ai fait aussi pour des raisons que je qualifierai de politiques --c'est
d'ailleurs ce qui a mené à la décision politique qui a
été prise--, parce que l'opinion avait focalisé son
attention sur les farines animales. On a vu à quel point le débat
était devenu public sur le sujet. Au fond, je sentais depuis longtemps
qu'il fallait en finir avec ce feuilleton douloureux des farines animales en
disant : "basta ! C'est fini, il n'y a plus de farines".
L'opinion nous a amenés à le faire, y compris, reconnaissons-le
et soyons francs, avec cette forme d'irrationalité dont elle est
capable. Je vous renvoie à la crise de la filière bovine du mois
de novembre, cette deuxième crise de l'ESB que vous connaissez. On a vu
l'opinion, dans son irrationalité, dire que, premièrement, il
fallait absolument interdire les farines animales (les sondages le montraient
de manière massive), que, deuxièmement, elle consommait beaucoup
moins de viande bovine (la chute de la consommation de viande bovine a atteint
presque 50 % au pire de la crise), alors que les bovins n'étaient
plus du tout produits avec des farines animales depuis 1990, et que,
troisièmement, elle transférait sa consommation sur les porcs ou
les volailles alors qu'ils étaient encore nourris avec des farines
animales.
Il y a donc une forme d'irrationalité. L'opinion est comme cela. Il faut
la prendre comme elle est et gérer cette irrationalité comme une
donnée de la difficulté de notre tâche.
J'ai un dernier point sur lequel je souhaite insister. Je pense que l'on a bien
fait de prendre cette décision à la fois au plan national et au
plan européen et que l'on a clos ainsi un feuilleton qui a
été difficile et douloureux et qui a duré trop longtemps,
mais il reste --c'est ma responsabilité de le dire ici comme je l'ai dit
devant le Conseil des ministres du gouvernement français ainsi que
devant le Conseil des ministres de l'agriculture-- que c'était simple
à dire mais, en même temps, très difficile à faire.
On a mis, en France, quelques semaines à étudier ce dispositif et
reconnaissons que, alors qu'on nous a accusés de tarder, même
quand on l'a fait, on a été encore très vite. C'est le
débat politique. Cependant, nous n'étions pas encore tout
à fait prêt --reconnaissons-le pour la filière
elle-même (avec les entreprises, on a frisé la correctionnelle du
point de vue de leur équilibre économique) mais, surtout, pour le
problème considérable que posait le stockage de ces montagnes de
farine qu'il fallait gérer.
De ce point de vue, je tiens vraiment à rendre hommage au préfet
Proust pour le travail effectué par sa mission. Il quitte aujourd'hui sa
mission pour devenir préfet de police de Paris, ce qui est une juste
récompense de la qualité du travail qu'il a exercé au
moins pendant ces six derniers mois, sachant qu'il a d'autres titres qui
méritent cette récompense. Le travail qu'il a fait avec son
équipe a été remarquable. En effet, improviser dans
l'urgence une quinzaine de sites de stockage sécurisés, se mettre
en disposition de stocker cette année, à la fin de 2001,
près de 400 000 tonnes de farines animales et, à la fin de
2002, près de 600 000 tonnes avant que le dispositif mis en place
permette de résorber le stock, de repartir à la baisse et de
lancer des appels d'offres et des contrats pour l'incinération de ces
sites, le tout dans des conditions d'urgence et de sécurité
écologique et environnementale maximum, est une véritable
prouesse.
Je tiens à dire ici que ce travail qui a été fait par
cette équipe limitée mais très efficace a
été remarquablement bien fait et que nous avons ainsi pu
étaler la difficulté sans grand drame, même si je sais que,
ça et là, il reste quelques tensions locales que je ne veux pas
minimiser... Je vois certains d'entre vous grimacer, mais mettez-vous, quelques
mois en arrière, devant la difficulté de la tâche. Si on
m'avait dit à l'époque que, venant ici devant vous au mois de
mars, je dirais que les choses se sont bien passées, j'aurais
signé tout de suite, même avec ces difficultés.
C'était un problème considérable et la capacité que
nous avons eue, grâce à cette équipe
interministérielle, de faire face à ce dossier est globalement
très satisfaisante.
Voilà l'exposé que je voulais faire de manière liminaire.
J'ai sûrement oublié beaucoup de choses, surtout compte tenu de
vos connaissances du dossier, mais je vais essayer de me rattraper en
répondant à vos questions.
M. le Président
- Merci, monsieur le Ministre. Vous nous avez
rappelé au début de votre propos que vous aviez
réorganisé l'ensemble des services, pensant en cela, sans doute
avec juste raison, que le cloisonnement pouvait engendrer des
difficultés dans les prises de décision. Avez-vous le sentiment
qu'auparavant, le fait que ces services soient séparés et non pas
coordonnés ait pu entraîner, par exemple dans le cas de la crise
de l'ESB, des retards de prise de décision à une époque
où des décisions n'ont peut-être pas été
prises de façon suffisamment ferme pour éviter quelques
propagations ?
M. Jean Glavany
- Je ne peux vraiment parler que de ce que je connais et
donc de ce que j'ai vécu. Dans tout ce que j'ai eu à
connaître depuis que je suis ministre de l'agriculture et de la
pêche, je n'ai pas le souvenir de cas spécifiques, de retards ou
d'incidents particuliers. Ce que je sais, c'est que j'ai vécu, dans les
premiers mois du ministère, avec les autres ministres qui sont en charge
de ces problèmes, qui ont d'ailleurs changé les uns et les autres
à plusieurs reprises, les restes ou les suites de dysfonctionnements
interministériels qui n'avaient pas lieu d'être.
J'ai toujours dit, et je le répète ici devant vous, qu'avant
d'être fonctionnaire d'une direction, on est fonctionnaire de l'Etat et
qu'il ne peut pas y avoir de concurrence entre les administrations, surtout
quand on traite un problème de sécurité et de santé
publique.
Trop longtemps, ces administrations ont vécu une sorte de concurrence
que je n'hésite pas à qualifier de malsaine et je suis--je le dis
en pesant mes mots--assez fier du travail que l'on a fait pour forcer le
passage de l'interministérialité, qui est beaucoup plus
harmonieuse maintenant.
M. le Président
- Merci. Je passe la parole au rapporteur, M.
Bizet.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Monsieur le Ministre, j'ai une série
de questions à vous poser, dont la première concerne les farines,
mais vous y avez déjà en partie répondu. Je note, comme
vous l'avez souligné, que l'interdiction totale des farines fait l'objet
aujourd'hui d'un moratoire qui prendra fin dans quelques semaines et que la
position que vous semblez prendre aujourd'hui, qui est très rationnelle
et médiatiquement incontournable et qui consiste à continuer
à les interdire pour l'ensemble des animaux d'élevage ne semble
pas correspondre, malheureusement, à l'approche que le commissaire
européen, David Byrne, a présentée lorsque nous l'avons
rencontré à Bruxelles, il y a quelques semaines.
Cela veut-il dire que, lorsque la question sera posée lors d'un prochain
Conseil agricole européen, vous aurez une position très ferme au
nom de la France ?
M. Jean Glavany
- Bien sûr. Je ne suis pas inquiet, pour tout vous
dire, monsieur le Rapporteur. En effet, la position que je viens d'exprimer
devant vous et que j'ai exprimée devant le Conseil de l'agriculture est
quasi unanimement partagée. Il ne reste qu'un ou deux pays qui, dans
leur rationalité protestante anglo-saxonne, se demandent pourquoi on ne
pourrait pas y revenir si on prouve que ce n'est vraiment pas dangereux, mais
une immense majorité a une position inverse dans le Conseil de
l'agriculture.
Je sais que David Byrne est plus prudent et je le regrette, mais c'est le
Conseil qui décidera.
M. le Rapporteur
- En termes d'image, je pense qu'il est impensable que
l'on puisse revenir en arrière, même si, scientifiquement, pour
les porcs et les volailles, cela pourrait s'appréhender correctement. Ce
n'est pas vendable.
M. Jean Glavany
- Je le pense aussi.
M. le Rapporteur
- Ma deuxième série de questions sur les
farines a trait au laps de temps, que vous avez également
souligné (a posteriori, on trouve que cela a été long,
mais vous avez aussi souligné l'excellent travail qu'a fait le
préfet Proust), qui s'est écoulé entre 1997 et la date
d'interdiction totale des farines, c'est-à-dire novembre 2000, alors que
vous dites que les services de votre ministère --vous n'étiez pas
encore en place-- étaient au courant, à partir de la fin 1997,
d'une contamination croisée qui était inévitable en
matière de farines. Pourquoi ce laps de temps aussi long ?
J'ai une deuxième question, toujours en ce qui concerne les farines.
Pourquoi, dans ce laps de temps qui nous paraît a posteriori assez long
entre la directive européenne fixant les conditions d'attribution des
farines, les fameuses trois règles que vous connaissez
(température, pression et temps de cuisson), et sa transcription dans le
droit national qui a eu lieu en février 1998, c'est-à-dire
quasiment 18 mois après, ce process --on le sait aussi-- n'est-il pas
parfait à 100 % ?
Ce laps de temps, sur ces deux points --je le dis toujours avec
précaution--, a posteriori, nous semble assez long.
M. Jean Glavany
- L'hypothèse des contaminations croisées
n'est pas une hypothèse des services mais des scientifiques,
c'est-à-dire du Comité Dormont et de l'Agence française de
sécurité sanitaire des aliments. Elle ne mettait en rien en cause
le dispositif tel qu'il était arrêté parce qu'elle portait
sur un dispositif datant d'avant 1996. Il faut bien le comprendre.
Nous sommes dans une situation où nous gérons un risque qui est
incertain et toujours décalé. Le risque de l'ESB est incertain,
à l'inverse de la fièvre aphteuse, qui n'est ni un
problème de santé publique ni même, quasiment, un
problème de santé animale et qui n'est qu'un problème
économique. C'est surtout un problème bien
maîtrisé : il s'agit d'un virus que l'on connaît et que
l'on sait traiter.
Avec l'ESB, on gère une incertitude, et je vous assure que, dans la
gestion des risques, c'est une difficulté majeure, ne serait-ce que
parce que nous sommes obligés d'adapter en permanence le dispositif
à l'évolution de la connaissance scientifique, qui a encore de
considérables zones d'ombre sur l'ESB, et que la succession de
décisions que nous sommes amenés à prendre pour tenir
compte de l'évolution de la connaissance scientifique désoriente
l'opinion. Elle a le sentiment qu'on en rajoute et qu'à chaque fois, on
recommence tout à zéro.
C'est donc une difficulté majeure, mais nous avions aussi des points de
repère. Dans ces points de repère, l'année 1996 est
essentielle. Je vous ai dit ma conviction de quelqu'un qui a passé
quelques dizaines ou centaines d'heures sur ces dossiers : le coeur du
dispositif de sécurisation vis-à-vis de l'ESB, c'est 1996, avec
à la fois le retrait des MRS et ces conditions de fabrication des
farines.
Or les alimentations croisées portent sur des événements
entre 1990 et 1996. Ce sont des alimentations croisées dans des
élevages ou des exploitations après interdiction, d'où
l'expression "NAIF" ("né après l'interdiction des farines"),
c'est-à-dire après 1990 mais avant 1996, c'est-à-dire
avant la sécurisation sur les farines animales. Ce sont donc des bovins
qui, bien que ne s'alimentant plus avec des farines animales depuis 1990,
pouvaient être nourris avec des farines animales destinées aux
porcs ou aux volailles entre 1990 et 1996 alors que ces farines
n'étaient pas encore totalement sécurisées. La
difficulté est là.
Le fait de donner cette explication sans en tirer de conséquences
n'était en rien dommageable, puisque les conséquences avaient
été prises en 1996. Simplement, l'effet de ces
conséquences tirées en 1996 intervient cinq ans après
l'incubation moyenne, après 2001.
Il est donc normal, compte tenu de cette connaissance scientifique --et je le
dis avec prudence-- que nous ayons eu une croissance (d'ailleurs, les
scientifiques l'ont toujours dit) du nombre de cas NAIF jusqu'en 2001.
Théoriquement, nous sommes dans la dernière année de
montée de la courbe. Les décisions de 1996 produisant leurs
effets, nous devrions avoir une baisse à la fin de cette année et
l'année prochaine et, très sincèrement, je n'ai pas de
raison de ne pas le croire à ce stade.
Donc le fait que nous fassions l'hypothèse que les cas d'ESB qui
étaient révélés étaient des cas NAIF avec
des alimentations croisées, qui était l'hypothèse la plus
scientifiquement vraisemblable, ne changeait en rien le dispositif, puisque les
conséquences avaient été tirées en 1996. Suis-je
assez clair ?
M. le Rapporteur
- Oui.
M. Jean Bernard
- Monsieur le Ministre, vous avez parlé du
problème des stockages et vous avez rendu hommage au préfet
Proust, qui fait effectivement preuve d'une pugnacité et d'un engagement
formidables. Cependant, je suis au coeur du problème dans mon
département parce que, à 300 mètres d'un village, on va
entreposer 50 000 tonnes de farines. Il y a des peurs irrationnelles, dont
vous avez parlé et vous avez raison, mais il y a aussi des
résistances.
M. Jean Glavany
- Dans quel département êtes-vous ?
M. Jean Bernard
- La Marne. On mobilise l'opinion publique pour moins
que cela et vous le savez.
Cela dit, dans notre secteur, des espaces militaires extrêmement
importants sont désactivés depuis la réorganisation de nos
forces, avec des locaux immenses, et j'ai donc j'ai interrogé le
ministre de la défense, par l'intermédiaire de M. de Villepin,
président de la Commission de la défense, pour savoir s'il y
avait d'autres possibilités. Je souhaiterais vivement avoir une
réponse pour pouvoir informer la population, qui est alarmée par
cette affaire, qu'il n'y a pas d'autre possibilité, mais on ne me
répond pas. Cela crée une espèce de réticence dans
cette commune.
Il y a la proximité des usines Calcia, l'une des plus grandes
cimenteries d'Europe, qui brûlent déjà de la farine et il y
a donc une opportunité à situer ce stockage dans ce secteur,
mais, grand Dieu, qu'on me dise que les militaires n'en veulent pas ou ne
peuvent pas les stocker.
M. Jean Glavany
- Je ne peux pas vous répondre sur ce point mais
je pourrai vous donner des éléments le moment venu. Je peux
simplement vous indiquer la manière dont nous avons fonctionné
sur le plan méthodologique. Nous avons sollicité le
ministère de la défense, qui a fait des propositions à la
mission Proust sur un certain nombre de sites qui ont été
recensés par les préfets. Je le sais puisque l'un deux a
été proposé dans mon département.
Le ministère de la défense a donc fait ses propositions et
celles-ci ont ensuite été évaluées par la mission
Proust, soit à l'aune d'un certain nombre de critères de
protection (ce n'est pas parce que c'est un site de la défense que, pour
autant, il est sécurisé), soit en fonction des besoins,
c'est-à-dire d'une répartition géographique aussi
harmonieuse que possible.
La démarche a été faite. Maintenant, je peux prendre des
dispositions pour qu'on vous donne les réponses précises.
M. Jean Bernard
- Cela me permettrait de répercuter cela
auprès de la population locale.
M. Jean Glavany
- Bien entendu. Très sincèrement, si, dans
la même zone, il y a un site de la défense et un autre site civil
qui a été préféré, c'est sûrement que,
soit le site de la défense n'était pas disponible compte tenu des
besoins des forces armées, soit, s'il l'était, qu'il ne
répondait pas aux critères de la mission Proust. C'est une
réponse que je fais a priori et que je vais faire vérifier pour
vous apporter la réponse.
M. Jean Bernard
- J'y serai très intéressé. Merci.
M. Gérard César
- Monsieur le Ministre, nous avons vu tout
le secteur des farines animales, mais la question que je veux vous poser
concerne les éleveurs eux-mêmes. Où en êtes-vous par
rapport aux indemnités et aux problèmes qui entraînent le
surcoût lié au fait que l'on doit garder les animaux beaucoup plus
longtemps à la ferme ? Les agriculteurs, dans certaines
régions, ont aujourd'hui des problèmes de fourrage et aussi de
surcoût.
Tant que j'y suis, je vais vous poser une autre question, avec votre
autorisation, monsieur le Président, concernant la substitution des
farines animales par les protéines végétales et sur la
position que vous pouvez avoir au niveau du Conseil de l'agriculture
européen, en particulier, par rapport à la PAC et aux accords de
Berlin. C'est un problème qui nous est posé aujourd'hui au sujet
des aides qui pourraient intervenir de la part de Bruxelles.
Enfin, sachant que cela pourra être fait, avec l'autorisation du
président, en fin d'audition, je souhaiterais que vous nous fassiez un
point sur le problème de la fièvre aphteuse, ce dossier
douloureux entre tous.
Voilà quelques questions très précises, monsieur le
Ministre.
M. Jean Glavany
- Sur le premier point, dans la gestion de la crise de
l'ESB, nous avons deux grands volets : le volet sanitaire et le volet
économique.
Je dirai ici non pas que le volet sanitaire est réglé mais que
l'on est au mieux de ce que nous pouvons faire. Avec l'interdiction des
farines, avec l'allongement de la liste des MRS et son harmonisation au plan
européen et avec la mise en oeuvre des tests systématiques sur
les bovins de plus de trente mois depuis le début du mois de janvier, je
pense que nous avons un dispositif qui, du point de vue de la
sécurité sanitaire de la filière bovine, est bon. Il
était temps. On a mis du temps et on a beaucoup traîné,
mais on y est et je ne peux que m'en féliciter. Ce dispositif ne devrait
plus beaucoup bouger, sauf découverte particulière des
scientifiques.
Il est possible que la première décision sera d'abaisser
l'âge des bovins pour les tests, en passant de 30 à 24 mois dans
quelques semaines ou quelques mois, mais cela ne va pas changer l'essence du
dispositif.
Par ailleurs, il y a le traitement économique. A ce sujet, je veux
distinguer deux choses : les éleveurs touchés par l'ESB et
la crise économique.
Pour ce qui est des éleveurs, il y a deux éléments :
le problème de l'abattage total du troupeau et le problème de
l'indemnisation.
Nous n'avons pas de problème d'indemnisation. Nous avons choisi, il y a
plusieurs années --cela a été fait par un gouvernement
précédent--, de bien indemniser les éleveurs au-dessus de
la valeur du marché pour les inciter à ne pas cacher la maladie,
pour qu'ils sachent que, s'ils ont un cas d'ESB, ils vont avoir une bonne
indemnisation. Il n'y a donc pas de problème d'indemnisation pour ces
éleveurs.
En revanche, il y a un problème d'abattage total des troupeaux qui
provoque, reconnaissons-le, un traumatisme croissant et une difficulté
croissante pour les services vétérinaires à faire
appliquer la mesure. Comme je l'ai dit publiquement, ainsi que devant le
Sénat et l'Assemblée nationale : dès que je peux
revenir à un abattage sélectif, je le ferai tout de suite.
D'abord, ce sera économique pour les deniers de l'Etat et, ensuite, cela
fera une charge de travail moins importante pour les services
vétérinaires.
Simplement, je pense qu'il faut le faire avec un signal à l'opinion qui
soit positif, c'est-à-dire avec un prétexte. Si je prends cette
décision aujourd'hui, en pleine défiance à l'égard
de la consommation de la viande bovine, je pense que l'opinion serait
désorientée. Il faut donc que j'aie l'occasion de le faire.
Evidemment, j'interroge l'AFSSA et je la presse de me dire s'il n'y a pas des
données nouvelles qui nous permettent de ne faire qu'un abattage
sélectif. En particulier, je lui demande si le test systématique
sur les bovins de plus de 30 mois ne nous donne pas l'occasion de lever un peu
le dispositif. J'espère avoir, en avril, mai ou juin, un avis de l'AFSSA
qui nous permettra d'aller dans ce sens.
Les scientifiques de l'AFSSA, à vrai dire, se fondent moins sur le
dispositif de mise en place des tests systématiques que sur des
études épidémiologiques, c'est-à-dire qu'ils font
des tests sur les animaux à risques et sur tous les troupeaux abattus et
qu'ils se font une idée épidémiologique pour voir si,
effectivement, l'abattage sélectif ne présente aucun danger. Ils
veulent que leurs séries statistiques soient suffisamment nourries pour
que leur avis soit éclairé.
Par ailleurs, il y a la crise économique, dont il faut bien mesurer le
poids dans la mesure où, aujourd'hui encore, quatre mois après,
même si la consommation a quelque peu repris, le niveau de consommation
de viande bovine se situe entre - 20 et - 25 % en ce qui concerne la
consommation des ménages, - 40 % pour ce qui concerne la
restauration collective (beaucoup de collectivités locales n'ont
toujours pas rétabli la consommation de viande bovine dans leurs
cantines) et entre - 90 % et - 100 % pour l'exportation, puisque la
fièvre aphteuse nous a mis un verrou supplémentaire.
Nous sommes donc dans une situation de sous-consommation considérable
qui provoque évidemment cette surproduction. Autrement dit, nous avons
des problèmes à la fois physiques et financiers.
Le problème physique, c'est que cette surproduction fait que l'amont de
la filière, dans les exploitations, garde des bêtes qui
s'engraissent et qui représentent un poids et un surcoût
considérables pour les éleveurs. Il nous faut absolument purger
cet amont. Si nous ne trouvons pas les moyens de le faire, nous ne retrouverons
pas les équilibres de marché qui, eux seuls, seront le signe de
la sortie de crise en termes économiques.
L'abattage destruction a été mis en place. Cependant,
aujourd'hui, sur quinze pays en Europe, quatre ou cinq le font, dont seulement
deux le font sérieusement : l'Irlande et la France. Tous les autres
pays répugnent à le faire parce qu'ils nous expliquent, de
manière tout à fait convaincante, que cela pose des
problèmes à leur opinion que de détruire des bêtes.
Moi aussi, cela me pose des problèmes, de même qu'à
l'opinion française et, surtout, aux éleveurs français qui
doivent envoyer leurs bêtes à la destruction alors qu'ils ont mis
des années à produire de la qualité. C'est
évidemment un crève-coeur et un déchirement. Simplement,
si on ne le fait pas, on va traîner cette crise pendant des mois.
La problématique qui nous est posée est donc de convaincre
l'Union européenne de passer à la vitesse supérieure pour
purger cet amont que nous n'arrivons pas à purger, loin de là.
C'est un problème fondamental.
Le deuxième problème est économique et financier. Nous
avons effectivement des éleveurs, quoique de manière
inégalitaire, qui sont dans une situation économique et
financière déplorable, sachant que la crise de la fièvre
aphteuse rajoute là-dessus une difficulté considérable.
Nous avons mis en place un plan de 1,400 milliard de francs d'aides directes
pour les éleveurs, que j'ai annoncé il y a environ un mois. Les
enveloppes départementales ont été définies et
elles sont dans les départements. Elles ont été
débattues ou sont en train de l'être devant les CDOA, parce que
j'ai fixé des critères nationaux mais laissé des marges
d'appréciation pour tenir compte des réalités
départementales ou locales.
Maintenant, il faut que les éleveurs déposent leurs dossiers, le
plus vite étant le mieux. Je suis en train de prendre des mesures pour
que cela aille le plus vite possible. Je souhaite que, lorsqu'on a donné
la date limite de fin avril pour le dépôt des dossiers, on puisse
faire remonter cela au 15 avril si possible et que, pour instruire ces dossiers
et pour aller plus vite, on verse les crédits de telle sorte que, fin
avril ou début mai, les premières avances arrivent, même si
on régularise après, parce que je pense qu'il y a urgence et que
cette solidarité doit se traduire le plus vite possible. En tout cas, je
suis très préoccupé par cette urgence.
La deuxième grande question que vous me posiez concerne la substitution
végétale des farines animales et les plans protéines.
Je suis très choqué de la manière dont la Commission a
pris le problème. Dans un premier temps, elle a arrêté une
"mesurette" sur le bio et les oléoprotéagineux ou les
protéagineux bio sur la jachère, une mesure qui n'est pas
mauvaise en soi mais qui n'est pas du tout à la hauteur du
problème, en nous promettant, pour le dernier Conseil de l'agriculture,
un plan digne d'intérêt parce qu'elle reconnaissait que cette
mesure n'était qu'une mesurette, sachant qu'in fine, le dernier Conseil
de l'agriculture nous a dit : "on a bien tout compté : cela
n'a pas de sens de faire un plan protéines ; mieux vaut importer".
Pourquoi est-ce choquant ? Parce que, pour moi c'est la négation de
la Politique agricole commune. On dit : "on est dans une telle situation
qu'il vaut mieux acheter à l'extérieur". C'est l'absence totale
de volontarisme, de régulation, de solidarité et d'action.
Le gouvernement français ne peut pas se satisfaire de cette situation et
de cette proposition ; il l'a fait savoir et le refera savoir avec force.
Reconnaissons honnêtement que nous sommes devant une difficulté
majeure : le fait que les caisses de l'Europe agricole sont vides,
notamment du fait de la crise bovine, et que, pour faire un plan
protéines, il faut trouver des incitations à l'hectare dignes de
ce nom. Or il est difficile de le faire sans moyens financiers nouveaux. C'est
donc un peu la quadrature du cercle.
Votre troisième question concerne la fièvre aphteuse...
M. Gérard César
- ...qui nous intéresse tous.
M. Jean Glavany
- Evidemment, j'ai scrupule à en parler devant
votre commission d'enquête, mais évidemment, je vais m'y
prêter de bonne grâce...
M. le Président -
Vous comprenez bien que cela intéresse
tout le monde.
M. Jean Glavany
- J'avais l'intention de venir demain après-midi,
mais je crains que le fait que nous en parlions ce soir ne me dispense pas de
venir demain... (rires.)
M. le Président
- Je le pense aussi.
M. Jean Glavany
- Sinon, je vous aurais demandé l'autorisation.
J'ai donc des scrupules à en parler ici parce que je pense que nous
avons vraiment tous intérêt à ne pas faire d'amalgame entre
l'ESB et la fièvre aphteuse. L'ESB est un problème de
santé publique incertain et difficile alors que la fièvre
aphteuse n'est vraiment pas un problème de santé publique. Moi
aussi, je suis très irrité et choqué de la multiplication
de ces images télévisées qui, en montrant ces charniers et
ces bûchers, participent du traumatisme de la campagne anti-viande, avec
des effets sur l'opinion qui sont sûrement détestables.
On n'a pas besoin de cela. Je ne vois pas pourquoi on se délecterait de
passer ces images. Quel besoin avons-nous de le faire ? C'est
l'actualité, certes, mais je ne sais pas pourquoi on a besoin de montrer
ces cadavres d'animaux par centaines ou milliers, en prenant une espèce
de plaisir malsain à le faire, alors que les conséquences
économiques sont sûrement beaucoup plus grandes qu'on ne le croit.
Ce n'est pas un problème de santé publique, ni même,
quasiment, de santé animale. C'est un problème économique.
Aujourd'hui, le point que je peux vous faire, c'est que, premièrement,
c'est un virus clairement importé du Royaume-Uni --cela ne fait pas de
doute--, que, deuxièmement, nous avons pris des dispositions qui ont
été qualifiées de drastiques, de draconiennes ou de
brutales autour du premier foyer de la Mayenne et de l'Orne mais que mon
sentiment, c'est qu'on a bien fait de le faire et que de cette brutalité
dépendait la suite et notre capacité à juguler
l'épizootie au moment où elle naissait en France.
Au fond, nous sommes en train de faire la démonstration qu'à
l'inverse des Britanniques, nous sommes plutôt dans une logique de
prévention que dans une logique curative. Les Anglais courent
après l'épizootie alors que nous l'avons, semble-t-il,
maîtrisée, même si je reste très prudent et si je
touche du bois avec vous.
Nous avons donc eu deux foyers. Honnêtement --je vous parle sous le sceau
du serment--on aurait pu éviter le deuxième si nous avions eu
toutes les coopérations. Je ne veux montrer personne du doigt, mais si
nous avions eu tout de suite la transparence sur les mouvements d'animaux, nous
aurions pu éviter le deuxième. Il est survenu parce qu'on ne nous
a pas tout dit alors que nous aurions vraiment pu nous en passer.
Je ne montre pas quelqu'un du doigt et je ne veux pas faire de
polémique ; je parle sous le sceau du serment et, de toute
façon, je l'ai déjà dit. Quand je parle de pratiques
frauduleuses, je ne parle pas du tout des éleveurs. Il y a
peut-être des éleveurs qui fraudent, comme c'est le cas chez les
Français : la proportion d'éleveurs qui fraudent doit
être la même. En revanche, dans la filière du commerce, du
transport et de l'import-export, il y a beaucoup de fraudes. On les
tolère parce que c'est la souplesse de l'économie de
marché, mais enfin...
Commençons par la fraude à l'import-export. La directive de 1992
sur l'identification des traçabilités n'est pas du tout
respectée en matière ovine. Elle est très bien
respectée en matière bovine grâce à la crise de
l'ESB (maintenant, toutes les vaches ont leurs boucles aux deux oreilles ;
c'est impeccable), de même qu'en matière porcine, parce que c'est
par lots que se fait l'identification. En revanche, en matière ovine, il
n'y a quasiment aucune identification.
Comme nous sommes un pays fortement importateur, cela veut dire que nous
importons des lots entiers d'ovins sur lesquels nous n'avons aucune
espèce de véritable information en matière de
traçabilité et d'identification. C'est un premier
problème. Quand ils ne respectent pas ces réglementations de
1992, les exportateurs prennent une responsabilité lourde.
En matière de transport, vous savez que des réglementations
sanitaires font que chaque transporteur, après avoir transporté
du bétail, doit désinfecter son camion. On ne peut pas mettre des
gendarmes derrière chaque transporteur pour vérifier s'il a bien
désinfecté sa bétaillère.
En matière de ventes, les ventes "au cul de camion" ou sur les parkings
sont des pratiques assez courantes. Cela permet de faire un peu de fraude
à la TVA. C'est la souplesse de l'économie de
marché ; on ne va pas mettre des gendarmes derrière chaque
parking non plus.
Simplement, le jour où on a une crise comme celle-là à
gérer, toutes ces petites fraudes deviennent un énorme handicap,
parce qu'on ne sait pas retrouver les lots. La lutte contre l'épizootie
de fièvre aphteuse est une course contre la montre considérable
pour rattraper tous les lots qui ont été au contact et qui sont
donc susceptibles d'avoir été contaminés avant que la
maladie éclate. Les services vétérinaires, ces
dernières semaines, ont passé des week-ends entiers à
rechercher des adresses et à faire des enquêtes pour essayer de
retrouver, notamment en région parisienne, où était
passé tel ou tel lot.
Ces fraudes deviennent un véritable handicap. Malgré tout --je
touche du bois--, il semble que nous maîtrisions à peu près
la situation.
Il reste le problème de la vaccination. Honnêtement, pour moi,
c'est un faux débat. Tout d'abord, il faut distinguer la vaccination
préventive ou la vaccination curative. La vaccination préventive
a été arrêtée en 1991 sur un raisonnement
parfaitement mûri de l'Union européenne, qui est à la fois
--c'est vrai-- économique et sanitaire. On peut toujours reprendre ce
débat, mais, en l'occurrence, ce n'est pas le moment.
Il s'agit aujourd'hui de savoir si on doit faire de la vaccination curative.
Elle peut être nécessaire (j'espère qu'elle ne le sera pas,
mais je touche encore du bois) le jour où on ne fait pas face et
où on n'arrive plus à maîtriser la situation. Dans ce cas,
il faut effectuer une vaccination curative notamment périfocale pour
empêcher la dissémination des foyers.
Aujourd'hui, nous ne sommes pas dans cette situation et j'espère
franchement que nous ne le serons pas. Il faut savoir que, si on fait de la
vaccination curative (certains d'entre vous le savent sans doute), cela ne nous
dispenserait nullement de faire, malgré tout, de l'abattage. C'est de la
vaccination curative périfocale dans l'attente de l'abattage des
troupeaux. Si on les abat assez vite, il n'y a pas besoin de faire de la
vaccination curative.
Personnellement, j'ai le souci de la filière de l'élevage en
France, qui représente une richesse considérable pour notre
agriculture et le secteur agroalimentaire. Je citais les chiffres suivants
hier, à l'Assemblée : le commerce extérieur de la
filière bovine en France représente 8 à 8,5 milliards pour
le bétail vivant, 10 à 10,5 milliards pour les viandes
transformées, 25 ou 26 milliards sur les produits laitiers et produits
transformés. Cela fait 44 à 45 milliards potentiels. Tout ne
serait pas sous embargo, y compris parce que des pays, dans le monde,
consomment ouvertement des produits qui sont eux-mêmes touchés par
l'épizootie de fièvre aphteuse (je pense à des pays
d'Afrique ou d'autres pays de ce type), mais ce serait une handicap
considérable à l'exportation pour une filière difficile
qui a déjà suffisamment de mal.
Il faut donc garder à tout prix notre statut de pays indemne de
fièvre aphteuse. C'est ce que j'essaie de faire. J'espère y
arriver. Je ne peux pas vous donner l'assurance que j'y arriverai, mais toutes
nos forces sont tendues vers cela. Là aussi, je touche du bois, je
croise des doigts et je fais tout ce que vous voulez, mais je pense que l'on
est plutôt dans une logique de maîtrise. Cependant, compte tenu de
ce que j'ai dit tout à l'heure sur ces pratiques, je ne peux pas en
avoir la certitude.
M. Georges Gruillot
- Monsieur le Ministre, je voudrais m'adresser au
ministre des consommateurs. Chacun sait --vous plus que quiconque-- combien les
consommateurs français sont attachés maintenant à la
qualité de l'alimentation. Ils l'ont démontré dans toutes
les crises. Cela a été le cas de la crise de la dioxine mais,
avec l'ESB, on a vu le paroxysme de la crise, qui nous a provoqué une
baisse de 50 % la consommation de viande bovine.
Dans cet esprit, les médias ont, à mon avis, trop joué
leur rôle puisqu'on était en face d'une véritable psychose
du consommateur, qui demeure aujourd'hui et qui fait que, dans l'esprit du
consommateur français --je schématise un peu-- les produits de
qualité sont forcément ceux qui sont produits localement, en
petite quantité et avec des certifications d'origine. C'est ainsi que
l'on exclut les produits de masse et tout ce qui est passé par les
grandes surfaces. C'est un peu ce qui est dans l'esprit des consommateurs
actuellement et je pense qu'on a été beaucoup trop loin dans ce
sens, au point que l'on en arrive à une espèce de
désinformation.
Je crois que c'est particulièrement vrai quand on pense à
l'agriculture biologique. Dans l'esprit des Français, non
informés, le "biologique" signifie qu'ils peuvent manger en toute
sécurité. C'est peut-être vrai sur le plan de la
qualité gustative, mais cela ne l'est pas du tout en matière de
qualité et de sécurité sanitaires. C'est un ancien
vétérinaire qui vous parle et qui a vu cela professionnellement,
toute la journée, pendant une vingtaine d'années.
Si je vous interroge, c'est que je viens d'avoir, dans ma région, en
Franche-Comté, deux cas d'ESB dans une exploitation biologique. Le
premier s'est produit en Haute-Saône, il y a quelques semaines (nous
avons le président de la région ici), dans un troupeau qui avait
fait sa conversion en "bio" depuis seize ou dix-sept années,
c'est-à-dire depuis longtemps. La presse, même la presse locale,
n'en a pas parlé. C'était le black-out total, ce qui nous a un
peu surpris quand on l'a appris quelque temps après.
Or nous venons d'avoir récemment, il y a huit ou dix jours, puisque le
troupeau n'est pas encore abattu, un nouveau cas d'ESB, cette fois dans le
Jura, également sur un troupeau en agriculture biologique mais, lui,
depuis seulement deux ans. Là aussi, il nous semble qu'il y a une
espèce de black-out (qui, finalement, a éclaté quelque peu
puisqu'on le sait quand même) dû essentiellement à tous les
gens de la filière bio et non pas tellement à nos fonctionnaires
qui ont fait leur travail normalement.
En tout cas, je voudrais profiter de cette occasion, monsieur le Ministre, pour
que vous puissiez officiellement clarifier les choses. Je n'ai rien et nous
n'avons rien contre l'agriculture biologique, mais essayons d'être
honnêtes avec nos consommateurs français et de leur faire
comprendre qu'avec des produits d'origine biologique, ils n'ont pas une
sécurité sanitaire supérieure à ce qu'ils peuvent
trouver ailleurs, bien au contraire, malheureusement.
De plus, je voudrais vous interroger sur ce que l'AFSSA en pense. Je sais que
l'AFSSA a été saisie, sur ce thème, d'une enquête ou
d'une étude dont nous n'avons pas aujourd'hui les résultats. Je
ne sais pas si vous connaissez déjà peu ou prou ces
résultats, mais pourriez-vous nous les communiquer ?
M. Jean Glavany
- Je vais vous parler franchement. Il y a eu ces deux
cas, en effet, sur lesquels il n'y a pas de lock-out particulier. Simplement,
l'un des deux éleveurs ne veut pas y croire et demande des
vérifications à n'en plus finir, notamment en matière
d'ADN.
M. Georges Gruillot
- C'est surtout pour faire monter les
enchères financières.
M. Jean Glavany
- Je ne ferai pas ce procès d'intention, monsieur
le Sénateur. Je n'imagine pas que cela puisse arriver. En tout cas, je
ne crois pas que ce sont les premiers cas bio. Il me semble bien qu'il y en a
déjà eu un l'année dernière.
M. Georges Gruillot
- Peut-être, mais je vous parle des deux que
l'on connaît.
M. Jean Glavany
- La difficulté dans laquelle on est, c'est que,
compte tenu de la durée d'incubation de la maladie, le problème
n'est pas de savoir s'ils sont bio maintenant mais s'ils l'étaient au
moment de la naissance de l'animal. Les derniers cas dont on parle sont des cas
nés en 1993 et donc tout à fait dans le cadre de la
période critique, entre 1990 et 1996, des alimentations croisées
dont on parlait tout à l'heure. Si l'exploitation s'est convertie au bio
en 1994, en 1996 ou en 1998, le bio n'est nullement à l'abri de
désagréments.
En règle générale, je suis très favorable au
développement de l'agriculture bio, mais je ne considère pas que
ce soit la solution de l'agriculture française ou européenne. Il
faut la développer parce qu'il y a une vraie demande, que, là
aussi, nous ne sommes pas autosuffisants et que nous importons du bio qui est
souvent de moins bonne qualité que le bio français. Il vaut donc
mieux développer notre bio à nous, si j'ose dire. En tout cas, ce
n'est pas du tout l'antidote à la problématique de l'ESB. Je
pense simplement qu'il faut prendre des mesures de précaution pour tous
les modes d'élevage, bio ou non. Je vous dis les choses très
clairement.
M. Georges Gruillot
- Ma question concerne le consommateur, monsieur le
Ministre. Je pense que le consommateur français est leurré dans
cette affaire et qu'il faudrait vraiment que l'on arrive à lui faire
comprendre que le bio a des qualités mais que ce n'est pas là
qu'il va trouver la sécurité sanitaire.
M. Jean Glavany
- Le cahier des charges sur le bio est exigeant, encore
plus en France qu'au niveau européen. Ce n'est pas seulement en termes
de sécurité sanitaire que se pose le problème, mais aussi
en termes de sécurité environnementale. De toute façon, le
label bio n'est pas estampillé "sécurité sanitaire des
aliments". A aucun moment il n'y a une publicité autorisée sur ce
thème.
M. le Rapporteur
- Si ma mémoire est bonne, monsieur le Ministre,
sur le plan du cahier des charges, la filière bio est soumise à
une obligation de moyens mais non pas à une obligation de
résultat. Donc j'appuie totalement l'interrogation de mon
collègue Gruillot. Je pense qu'il faut faire très attention en la
matière. L'agriculture biologique représente 1,1 % de la
surface agricole utile nationale, ce qui est très bien, mais si elle est
multipliée par cinq ou par dix, il ne faudra pas oublier les 95 ou les
90 % du restant de l'agriculture française.
Nous n'avons aucune aversion envers cette forme d'agriculture, mais je crois
qu'il faut faire attention. En France --vous le savez mieux que quiconque--, on
mute souvent par coups de balancier assez amples. On risque donc d'avoir des
déconvenues et de nuire à l'agriculture biologique si on ne
l'encadre pas davantage.
M. Jean Glavany
- Je vous rejoins. En même temps, je ne voudrais
pas qu'à l'inverse, de manière paradoxale, on fasse le
procès de l'agriculture bio, qui donne des garanties sur les modes de
production mais qui n'a pas une obligation de résultat.
M. Paul Blanc
- Monsieur le Ministre, j'ai une série de questions
à vous poser.
Si vous le permettez, je voudrais vous faire une remarque sur les derniers
propos que vous nous avez tenus concernant l'Europe et le développement
des cultures de substitution aux oléoprotéagineux, auxquels il
faut prêter attention. J'ai lu récemment un article de presse dans
lequel on dit que, finalement, l'Europe n'est pas mécontente de cette
crise, car si l'élevage européen disparaît, cela
coûtera moins cher à l'Europe. C'est extrêmement grave,
parce que si jamais cela venait à se produire, cela voudrait dire que
nous serions totalement dépendants de l'Amérique ou de l'Afrique
du sud.
Je pense qu'en tant que ministre de l'agriculture de la France, vous avez une
position très ferme à défendre à cet égard
par rapport aux autres pays européens. Vous m'excuserez de faire cette
remarque mais, compte tenu de ce qu'on commence à entendre, je dirai
qu'un homme averti en vaut deux.
Je voudrais ensuite vous poser une série de questions, dont la
première est très simple : quand avez-vous pris la
décision d'interdire les farines ? Je sais que cette
décision a été prise au mois de novembre, mais vous nous
avez dit tout à l'heure que vous aviez déjà pensé
le faire avant. Pouvez-vous dire quand, exactement, vous avez pensé le
faire ?
J'ai une deuxième question. Actuellement, les farines à haut
risque, qui sont destinées à l'incinération, ne font pas
l'objet d'une sécurisation par la température à la sortie
de l'équarrissage. Cela veut dire que les 133 degrés à 3
bars et pendant vingt minutes ne sont pas respectés. Il y a donc
là, à mon sens, un risque, dans la mesure où ces farines
vont être transportées et stockées. Quelle est votre
position là-dessus ?
Sur le problème de l'équarrissage, dans le cadre de notre
mission, nous avons entendu à plusieurs reprises que le secteur de
l'équarrissage et de la production de farine valorisable était
insuffisamment contrôlé. Les industriels nous disent que c'est
hyper contrôlé, mais on nous dit ailleurs que ce n'est pas aussi
sûr. Quelle est votre position là-dessus ?
Troisièmement, que pensez-vous de la réintroduction des farines
animales dans l'alimentation des animaux domestiques ? Pour l'instant,
c'est interdit, mais on parle de les autoriser à nouveau. Compte tenu
des cas d'ESB chez les chats, en particulier en Angleterre, que pensez-vous de
ce problème ?
Ma dernière question concerne les importations de farines animales
depuis des pays dans lesquels les matériaux à risques
n'étaient pas exclus. Ne pensez-vous pas qu'entre 1996 et 2000, il a pu
y avoir une faille dans le système de sécurisation des produits
et des farines produites en France ? Dans cette hypothèse,
pensez-vous, comme nous le souhaitons tous, bien entendu, que la décrue
de l'épidémie d'ESB puisse intervenir très
rapidement ?
M. Jean Glavany
- Je vais répondre à votre première
réflexion sur l'Union européenne, qui ne serait pas
mécontente qu'après tout, cela fasse disparaître tout ou
partie de l'élevage. C'est un discours que l'on entend y compris au
niveau national, compte tenu du système d'aide que l'on met en place.
Je vous dis les choses comme je le pense : je n'ai aucune raison de
suspecter cela de la part de la Commission. Aujourd'hui, elle met en oeuvre des
dispositions contre l'avis d'un certain nombre de gouvernements ; je pense
au groupe de Londres, réformé groupe de Capri,
c'est-à-dire à ces quelques gouvernements très
libéraux qui mettent en cause la notion même de PAC et qui
accusent aujourd'hui la Commission d'intervenir dans la gestion de la crise
bovine en disant : "de quel droit vous mêlez-vous de cette
crise ? Laissez faire le marché". Je vois la Commission clairement
résister et, par son intervention publique, défendre la notion
même de Politique agricole commune et défendre donc l'existence
des éleveurs de bovins. Je n'ai donc aucune raison de suspecter la
Commission, dans la gestion de la crise, d'avoir cette mauvaise pensée.
Quant au gouvernement français, c'est une question de jugement
politique. On peut toujours considérer que le gouvernement
français "ne serait pas fâché de cela", mais je peux vous
dire que je ne mobiliserais pas 1,4 milliard de francs d'aides ciblées
sur les plus petites exploitations si je souhaitais les voir disparaître.
Les choses, de ce point de vue, sont assez claires pour moi.
Quand ai-je commencé à envisager l'interdiction des
farines ? Au premier semestre de 1999. J'ai été nommé
ministre le 20 octobre 1998 et c'est au premier semestre 1999 que j'ai dit au
Conseil de l'agriculture européen que je ne voyais pas d'autre moyen que
de se préparer à aller vers l'interdiction. Je n'ai pas fait un
franc tabac à ce moment-là, je dois le dire, mais je
précise qu'alors qu'elles ont été suspendues en
décembre, quand j'en parlais en novembre, j'étais quasiment le
seul à le faire. Cela a donc basculé entre fin novembre et
début décembre.
M. Paul Blanc
- Si vous me le permettez, j'exprimerai un petit regret
devant vous : lorsque je vous ai posé cette question écrite
en juin 2000, vous ne m'avez pas répondu.
M. Jean Glavany
- J'en suis absolument navré. C'est contraire
à tous les usages et, en tout cas, à toutes les règles que
je souhaite appliquer à mon propre travail.
J'en viens au service public d'équarrissage. C'est une vraie
difficulté. Je ne vais pas fuir votre question qui consiste à
demander s'il est assez contrôlé. On suit, dans le service public
d'équarrissage, la procédure équivalant au traitement
à 133 degrés, 20 minutes et 3 bars pour les farines
destinées à la destruction et on a des contrôles avec deux
visites par mois par les DSV.
Cela dit, mon angoisse ou mon inquiétude n'est pas là. Le
problème, c'est qu'on a un service public de l'équarrissage qui
est saturé et à la limite de l'explosion compte tenu de ce qu'on
lui met sur la tête actuellement. Il a son travail normal, plus les
farines, plus le retrait et la destruction. Cela explose de partout. Si, en
plus, je devais multiplier les visites de contrôle, que se
passerait-il ?
On a donc un vrai problème de capacité d'agir du service public
de l'équarrissage, qui est aujourd'hui saturé par la succession
des crises et les dispositions nouvelles que nous avons prises en termes de
destruction. A cet égard, j'ai une vraie inquiétude.
Quant au pet food, c'est-à-dire à l'alimentation pour les animaux
domestiques, nous envisageons effectivement, au niveau européen, un
retour en arrière, c'est-à-dire une libéralisation, mais
avec des conditions beaucoup plus strictes qu'auparavant, en n'autorisant
notamment que des produits propres à la consommation humaine, dans des
conditions de fabrication qui seront draconiennes.
Sur les importations qui se passaient avant, que voulez-vous que je vous dise
en un jour où, actualité oblige, la séparation des
pouvoirs fait l'objet d'un grand débat public ? À partir du
moment où des plaintes ont été déposées sur
cette période, je suis obligé de me référer
à ce que fera la justice. Je suis comme vous : je trouve que cela
pourrait aller plus vite. Alors que nous avons recensé environ seize
plaintes, concernant ces années-là, sur les importations
illicites, très sincèrement, je souhaiterais non seulement que
cela aille plus vite mais que, si c'est avéré, les condamnations
soient fermes et exemplaires et qu'il y ait là une base d'appui pour une
réaction du pouvoir législatif, du pouvoir exécutif et de
l'opinion devant de telles pratiques. Cela dit, je ne peux pas faire autrement
que de me référer à l'action de la justice et de regretter
que cela n'aille pas plus vite.
M. Jean-François Humbert
- Pour prolonger ce que vous venez de
dire, monsieur le Ministre, sans vouloir à mon tour mettre à mal
la séparation des pouvoirs, au-delà de l'information sur les
seize plaintes, en savez-vous un peu plus sur les procédures judiciaires
qui sont conduites contre des fabricants de farine et, si oui, que pouvez-vous
nous dire sur ce point ?
M. Jean Glavany
- Je ne peux que vous donner mon sentiment, car j'ai
vécu une chose très étonnante. Un expert mandaté
par le tribunal de Besançon, M. Mouton, je crois, a interpellé le
ministère par voie publique en le mettant en demeure de fournir des
éléments sous huitaine sous peine d'astreinte d'un million de
francs par jour. Je peux simplement vous dire --et je suis prêt à
corriger mes propos si cela est démenti-- que cet expert avait
été nommé depuis quatre ans.
M. Jean-Marc Pastor
- Monsieur le Ministre, je vous poserai une question
double. Vous nous avez dit tout à l'heure que l'une des
difficultés, c'est qu'il y avait de la fraude par rapport aux
problèmes évoqués, en particulier, dans la filière
ovine.
M. Jean Glavany
- Je le dis pour l'import-export. Certaines pratiques
s'affranchissent de la directive de 1992 en matière ovine, mais, pour
tout ce qui est négoce et transport de bestiaux, cela ne concerne pas
que la filière ovine. Cela concerne les intervenants commerciaux du
transport ou du négoce de bestiaux au sens large.
M. Jean-Marc Pastor
- Ma première question est de savoir ce que
vous comptez faire sur ce problème particulier.
Deuxièmement, dans un problème aussi complexe que celui que nous
vivons depuis maintenant plusieurs mois entre, d'un côté, l'ESB
et, de l'autre côté, le problème nouveau qui est
arrivé avec la fièvre aphteuse, comment les choses se
passent-elles entre, d'un côté, vous qui représentez le
gouvernement et, d'un autre côté, les partenaires professionnels
et, particulièrement, la profession ? Comment les uns
s'impliquent-ils sur cette voie et comment y a-t-il un soutien
réciproque du gouvernement par rapport à la profession et de la
profession par rapport au gouvernement ?
S'il n'y a pas d'échange, on risque de buter contre un mur. Pouvez-vous
nous en dire deux mots ?
M. Jean Glavany
- Je vais vous dire ce que je pense. En matière
d'identification et de traçabilité, les éleveurs ont fait
beaucoup d'efforts, pour ce qui est des bovins, sur le plan européen.
L'ESB nous y a aidés. Il y a maintenant une identification de
traçabilité quasi parfaite en matière bovine, à la
fraude près, bien sûr, mais il est évident que, dans aucun
secteur d'activité, aucun gouvernement, même le plus totalitaire
(je dois dire d'ailleurs que c'est sous les gouvernements les plus totalitaires
qu'il y a le plus de fraude et que ce n'est donc pas cela qu'il faut
souligner), ne peut garantir 0 % de fraude chez lui.
Il y a donc un
système, en matière bovine, qui est satisfaisant au niveau
européen.
En matière ovine, la France est sûrement en avance. Nous avons une
bonne coopération avec la fédération nationale ovine, qui
a fait des efforts et qui fait des progrès, mais nous sommes victimes de
notre dépendance à l'égard de l'extérieur. En
Europe, nous avons des efforts considérables à faire. Je pense
(nous pourrons l'exiger d'autant plus facilement de nos partenaires
européens) qu'en France, nous sommes plutôt en avance. Les
éleveurs français, en matière ovine, sont plutôt en
avance en matière d'identification et de traçabilité.
Cela ne veut pas dire que tout est parfait chez nous, loin de là, mais
nous n'en exportons quasiment pas alors que nous en importons beaucoup. De ce
point de vue, honnêtement (et j'ai eu, ces derniers jours, beaucoup de
conversations avec certains de mes collègues), pour traiter le
problème de la fièvre aphteuse, je pense que ce besoin de
progrès en matière d'identification et de
traçabilité pour ce qui est du secteur ovin est bien
identifié en Europe. C'est l'une des principales leçons que nous
tirerons de cette crise très vite
M. le Rapporteur
- Monsieur le Ministre, je voudrais rebondir sur deux
ou trois points en ce qui concerne la problématique de l'abattage total
ou sélectif. Nous avons bien compris que vous attendiez l'avis de
l'AFSSA, mais également...
M. Jean Glavany
- Vous me permettrez de vous interrompre. J'attends
l'avis de l'AFSSA, bien sûr, mais j'attends aussi tout
élément qui me permettrait d'expliquer à l'opinion que
cette mesure n'affaiblit pas le dispositif de sécurité sanitaire.
Si j'en avais un autre, je le prendrais, tout simplement parce que je pense
qu'il est urgent de le faire pour les raisons que j'ai expliquées tout
à l'heure. Cela dit, pour l'instant, celui qui s'annonce le plus proche,
c'est l'avis de l'AFSSA.
M. le Rapporteur
- C'est ce que j'allais vous dire. Vous recherchez donc
également une fenêtre de tir qui n'est pas facile vis-à-vis
de l'opinion publique.
M. Jean Glavany
- Méfiez-vous de l'expression "fenêtre de
tir"... (Rires.)
M. le Rapporteur
- Je le dis tout à fait à dessein.
Aujourd'hui, la législation fait que, si ma mémoire est bonne,
l'agriculteur chez qui un cas d'ESB a été décelé et
confirmé par analyse a un mois pour abattre son cheptel. C'est bien
cela ?
M. Jean Glavany
- Absolument, mais on le fait le plus vite possible et
cela se passe d'un commun accord et de manière harmonieuse. Ce n'est pas
lui qui, tout seul dans son coin, procède à l'abattage, qui se
fait avec les services vétérinaires qui sont présents.
Dans le cadre de cette disposition, le préfet met parfois des moyens de
force publique pour que cela se fasse dans la discrétion, avec les DSV.
Cela se fait donc le plus vite possible, en coopération avec
l'éleveur.
M. le Rapporteur
- J'ai eu l'occasion de le constater, malheureusement,
dans mon département, et je peux dire que cela se fait "correctement".
M. Jean Glavany
- Je vous arrête. Cela se fait de plus en plus
difficilement, c'est-à-dire que l'on rencontre de plus en plus de
difficultés.
M. le Rapporteur
- Cela étant, tant que vous n'avez pas pris un
autre arrêté, la législation, qui prévoit l'abattage
dans un délai aux alentours d'un mois, doit s'appliquer. Or nous avons,
dans nos départements, surtout ceux du grand ouest, de plus en plus de
difficultés, et j'avoue que je suis inquiet, parce que le cas auquel je
fais référence sans le nommer et que vous connaissez nous pose un
énorme problème.
M. Jean Glavany
- Tout à fait. A moi aussi.
M. le Rapporteur
- Je voulais le souligner.
M. Jean Glavany
- En même temps, monsieur le Sénateur, au
total, depuis le début de la crise de l'ESB en France, nous sommes
aujourd'hui, je crois, à un total de 292 cas (je vérifierai ce
nombre pour vous le donner très précisément) et nous
n'avons qu'une difficulté d'application concrète avec un
éleveur. Donc ce n'est pas un phénomène très
important, mais je reconnais que c'est de plus en plus difficile. L'abattage
total est de moins en moins accepté. Par conséquent, plus vite je
m'en affranchirai, mieux cela vaudra.
M. le Rapporteur
- Par ailleurs, je voudrais revenir sur les propos de
mon collègue César concernant la filière protéique.
Nous avons eu l'occasion de rencontrer M. Franz Fischler, qui ne nous a pas non
plus satisfaits en ce qui concerne ses réponses. Au-delà de
l'indispensable accompagnement financier des agriculteurs qui s'orienteraient
vers ce type de culture, compte tenu du statut de l'INRA et de vos rapports
avec cet institut, l'avez-vous mandaté pour la recherche de
variétés correspondant aux spécificités
climatologiques nationales ? Suite à diverses auditions, il
apparaît que les agriculteurs restent habitués aux performances
techniques de variétés qui ne sont peut-être plus à
l'ordre du jour.
Avez-vous demandé à l'INRA de travailler sur de nouvelles
variétés ? Je pense que ce serait important.
M. Jean Glavany
- Tout d'abord, j'ai retrouvé le chiffre et je
peux vous dire qu'il s'agit bien de 292 cas (dernier cri hier soir).
Ensuite, il se trouve que nous avons eu une rencontre de travail avec
l'ensemble des dirigeants des organismes de recherche nationaux et que nous
avons parlé de cela, sachant que l'INRA s'était mis
spontanément sur l'affaire et sur ce dossier. Je pense donc
qu'effectivement, l'INRA va nous aider très vite à faire cette
prospective de solutions alternatives. Il s'y était mis
spontanément.
M. le Rapporteur
- Vous nous le confirmez ?
M. Jean Glavany
- Tout à fait.
M. le Rapporteur
- Ma troisième question concerne la
problématique de la fièvre aphteuse. Je suis d'accord avec vous
sur l'approche qui est celle de votre ministère et de l'ensemble de vos
services. Il est évident que tant qu'on peut tenir sans procéder
à une vaccination, cela permet une classification de la France par
rapport aux autres pays de l'Union européenne. A contrario, à
partir du moment où un pays de l'Union européenne, en
l'occurrence la Grande-Bretagne, dont on connaît, sans être
méchant, les carences en matière de réseau
épidémiologique, ne peut pas contenir une infection de ce type,
dans quelle mesure, au niveau de l'Union européenne, un ou plusieurs
pays parmi les Quinze peut obliger précisément la Grande-Bretagne
à procéder à une vaccination systématique, soit
périfocale, soit générale, de son cheptel ?
Il y a là, sans attendre la mise en place de l'autorité
alimentaire européenne, si je puis dire, des dérives
inacceptables. C'est le fruit, à mon avis, d'un laxisme très
ancien et très fort de la Grande-Bretagne sur ce point. Dans quelle
mesure la France peut-elle obliger nos amis anglais, par le biais de l'Union
européenne, à vacciner ?
M. Jean Glavany
- Pour ce qui concerne l'opportunité de la
vaccination au Royaume-Uni, le débat est en cours et les Britanniques
sont, en ce moment même, en train d'en discuter avec les autorités
vétérinaires européennes. Ils y viennent enfin, mais, dans
leur incapacité à maîtriser les choses --je le dis devant
vous même si ce n'est pas le sujet de votre commission d'enquête--,
il est tout à fait probable qu'ils ont eu "du retard à
l'allumage".
Ce qui a fait notre chance, c'est que nous avons démarré vite et
fort, avant le premier foyer alors que, pour ce qui les concerne, on doute
qu'il aient démarré vite et fort ; on subodore même
qu'ils ont eu du retard à l'allumage, y compris pour nous informer, mais
avant tout parce qu'ils n'étaient pas informés eux-mêmes.
Ils courent donc après l'épizootie et ils ne la maîtrisent
pas.
Comme ils ne la maîtrisent pas, ils ont le débat sur la
vaccination. Ils vont donc y être amenés tôt ou tard. C'est
d'ailleurs presque acquis au niveau du Royaume-Uni.
Deuxièmement, il est bien évident que, dans ces conditions, nous
ne pouvons obtenir des pays tiers qu'un traitement régionalisé de
l'Union européenne, dans la mesure où il n'y a pas de raison que
l'Union européenne tout entière subisse le contrecoup. On peut
régionaliser les mesures à l'export. Si je puis dire, c'est
encore plus facile quand c'est une île. La régionalisation
fondée sur un blocus à l'égard d'une île facilite
les choses. Il faut bien que les Anglais aient aussi, de temps en temps, les
inconvénients de leur insularité.
M. Paul Blanc
- On va refaire le blocus continental... (Rires.)
M. Jean Glavany
- Pour eux, ils ont fait le blocus sur le continent et
non pas l'inverse.
Donc je vous réponds que l'on doit régionaliser.
M. le Rapporteur
- Il faudrait que cela serve, en quelque sorte, de
jurisprudence pour une malheureuse prochaine fois, même si c'est triste
à dire.
Mon dernier point n'appelle pas, de votre part, une réponse qui serait
trop longue mais que vous pourriez peut-être formaliser au travers d'un
document que vous pourriez nous transmettre d'ici quelque temps. Toute la
problématique de l'ESB et de la fièvre aphteuse, mais surtout de
l'ESB, pose le problème de la réorientation, à terme, de
la PAC, pour laquelle on est arrivé à un tournant. Dans quelle
mesure pourrez-vous concilier (l'exercice est particulièrement difficile
mais, à mon avis, vous êtes tout à fait habilité
à le faire) la réorientation de la PAC, d'un côté,
et les exigences d'un grand pays agricole comme la France, d'un autre
côté, notamment au travers de la production de produits
agro-alimentaires, qui est le fleuron de l'industrie française ?
Nous serions très satisfaits si vous pouviez produire un document pour
la commission. Ce serait d'autant plus intéressant, monsieur le
Ministre, que les chambres d'agriculture viennent d'être
réinstallées. Je ne parlerai pas des contrats territoriaux
d'exploitation, parce que c'est le dossier de notre ami César...
M. Gérard César
- Il n'y a pas de chasse gardée.
M. le Rapporteur
- ..., mais on sent poindre à l'horizon une
forme de "renationalisation" de la PAC. Pourriez-vous donc nous livrer (mais
pas ce soir, parce qu'il sera trop tard) vos réflexions en la
matière ?
M. Jean Glavany
- J'ai souri quand vous disiez : "vous êtes
habilité à le faire", parce que les mots sont précis et
lourds de sens, en l'occurrence. Disons que j'en serais peut-être capable
ou que, à défaut, j'ai quelques idées assez
précises sur la question. Cependant, le mot "habilité" est
pertinent parce que nous sommes en cohabitation et que celui qui engage la
France sur la scène internationale est le président de la
République. Or je ne suis pas tout à fait capable de vous dire si
je pense exactement la même chose que lui, ou s'il pense la même
chose que moi.
M. le Rapporteur
- Dites-nous ce que vous pensez.
M. Jean Glavany
- Je ne voudrais pas que ce soit une position du
gouvernement français sur la scène internationale. Il est
important de le dire comme cela.
Cela étant, j'y réfléchis et j'y travaille, puisque je
pense que c'est de ma responsabilité, y compris pour mes successeurs.
Des services du ministère travaillent sur le sujet et font de la
prospective parce que c'est fondamental. Pour tout vous dire, y compris pour
régler le problème de l'habilitation, et donc de la cohabitation,
en ce qui concerne la PAC, on ne peut pas toucher au cadre qui a
été fixé par les accords de Berlin et qui va
jusqu'à 2006, un cadre de visibilité et de lisibilité
indispensable pour les agriculteurs, parce qu'on ne peut pas changer les
règles du jeu tous les ans ou tous les deux ans. Les agriculteurs sont
des agents économiques qui ont besoin, pour programmer leurs
investissements et leur endettement, de lisibilité à moyen terne.
En même temps, je tiens à dire ce que je pense avec un minimum de
culot. Je ne pense pas que l'on peut attendre 2006 pour donner des signes de
réorientation. Il faut donc trouver le moyen de garder le cadre et, dans
ce cadre, de donner des signes que l'opinion publique attend. Je pense que
c'est possible.
Cela dit, je tiens à vous mettre en garde. En effet, vous avez dit que
la crise de l'ESB et celle de la fièvre aphteuse nous amenaient
forcément à nous poser la question, mais je ne pense pas que les
choses se posent en ces termes. Pour ce qui est de l'ESB, c'est vrai. A un
moment, le fait de faire manger des farines animales à des bovins
correspondait à une logique productiviste.
En revanche, la fièvre aphteuse est une maladie vieille comme le monde.
C'est presque une logique de maladie de pays pauvre, d'une certaine
manière. Donc elle n'est pas le fruit du productivisme, sauf à
dire que c'est parce que nous avons des élevages très
développés, et parfois intensifs, que nous sommes plus
exposés aux risques d'une contamination rapide. Sinon, cette
épizootie n'est pas le fruit naturel du productivisme, d'autant plus que
l'on sait, comme l'indique la FAO, qui a suivi les progrès de
l'épizootie à travers le monde, que ce sont des tendances
géographiques lourdes qui viennent --on le sait bien-- d'un certain
nombre de foyers qui se trouvent dans des pays en difficulté ou en voie
de développement.
Ce n'est donc pas du tout le fruit naturel du productivisme et c'est pourquoi
je ne veux vraiment pas que l'on fasse l'amalgame.
M. le Président -
Monsieur le Ministre, merci d'avoir
consacré autant de temps aux travaux de notre commission et merci de vos
réponses.
Je terminerai avec un petit clin d'oeil. La commission va se rendre en
Angleterre demain...
M. Jean Glavany
- Quelle chance ! Surtout, utilisez les
pédiluves, messieurs !... (Rires.)
M. le Président
- C'est ce que je voulais dire. Devons-nous
emmener nos pédiluves personnels ?...
M. Jean Glavany
- Je serai très heureux de lire les commentaires
que vous ferez sur les informations auxquelles vous serez confrontés au
cours de votre voyage.
M. le Président
- Nous verrons. Je voulais simplement vous poser
une petite question : que pensez-vous de l'attitude des Anglais,
après 1989, par rapport à l'ESB, puisque c'est après cette
date que l'on a continué à vendre les farines anglaises et
même les abats ?
M. Jean Glavany
- Vous pouvez bien deviner ce que j'en pense. Je l'ai
d'ailleurs dit une fois. L'honnêteté commerciale eut
été au moins de dire à l'époque : "attention,
nous vous vendons cela, mais c'est interdit chez nous".
M. le Président -
Très bien. Merci, monsieur le
Ministre.
Audition de Mme Chantal JAQUET, Directrice prévention
santé,
sécurité et environnement du groupe
Carrefour,
accompagnée de M. Christian D'OLÉON, Directeur
de la
communication
(28 mars 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Nous vous prions de nous
excuser de vous avoir fait attendre longtemps. Vous aurez compris que lorsque
nous avons le ministre de l'agriculture en audition, nous ne pouvons que
déborder.
Vous êtes donc Mme Chantal Jaquet, Directrice de la prévention
santé, sécurité et environnement du groupe Carrefour, et
vous êtes accompagnée par M. Christian d'Oléon. Vous
êtes auditionnés dans le cadre de la commission d'enquête
sur le problème des farines animales et des conséquences sur la
santé des consommateurs, qui a été mise en place par le
Sénat, et vous savez que, dans le cadre d'une commission
d'enquête, les personnes qui sont auditionnées doivent le faire
sous serment. Je vais donc vous lire les dispositions et vous demander à
la fin, à l'un et à l'autre, de bien vouloir prêter serment.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à Mme Jaquet
et à M. D'Oléon.
M. le Président -
Dans un premier temps, je vais vous demander,
très brièvement, de nous fait un topo sur la manière dont
vous procédez, dans votre entreprise, par rapport à ce qui s'est
passé, à ce que l'on vit actuellement et à ce que vous
prévoyons pour l'avenir, après quoi nous en viendrons aux
questions que nous avons à vous poser les uns et les autres.
Mme Chantal Jaquet
- Je souhaite tout d'abord excuser le
président Daniel Bernard. Comme il a perdu son père hier, il n'a
naturellement pas pu être là aujourd'hui et il vous prie de bien
vouloir l'excuser.
M. le Président
- Vous lui ferez part de nos condoléances.
Mme Chantal Jaquet
- Je n'y manquerai pas. Comme vous l'avez
souligné, je suis Chantal Jaquet, Directrice de la prévention, de
la santé et de la sécurité pour le groupe Carrefour. Ce
poste est tout récent puisque j'ai été nommée il y
a quelques mois, après l'affaire dont nous avons été
victimes.
Je vais me permettre de lire l'intervention que Daniel Bernard souhaitait vous
faire.
Avant 1991, nos achats de viande bovine étaient réalisés
par magasin et de façon non centralisée. A cette époque,
nous connaissions rarement l'origine de la vente et, encore moins,
l'alimentation des animaux. Les éléments concernant les origines
des viandes étaient difficiles à constituer puisque
c'était une filière extrêmement atomisée et que les
relations avec le monde agricole étaient inexistantes. Avant 1991, nous
passions par des intermédiaires et nous n'avions aucune relation avec le
monde agricole.
Dès 1991, Carrefour a été le premier distributeur à
engager un partenariat de longue durée avec le monde agricole en
valorisant les qualités organoleptiques de la viande bovine
française et en privilégiant certaines origines telles que la
race normande, la première race avec laquelle nous avons commencé
à travailler sur nos filières "Qualité Carrefour".
C'est donc ainsi que sont nées nos filières "Qualité
Carrefour", dont la filière bovine a été le premier
maillon. Le terme "Qualité Carrefour" est un sigle que, dès 1993,
nous avons apposé sur des viandes sur lesquelles nous avions une
certaine démarche que je vais vous relater ici.
Nous avons aujourd'hui 83 filières qui regroupent 36 000
producteurs dans des domaines très variés, aussi bien des
filières végétales, comme la carotte ou la pomme de terre,
que la filière bovine ou le saumon.
Les filières, dont la viande bovine a été le premier
exemple, s'inscrivent dans une démarche de progrès continu dont
l'objectif est de répondre aux attentes des consommateurs, bien
évidemment, et cette démarche est fondée sur les principes
suivants :
- le principe de partenariat,
- le principe d'authenticité,
- le principe de sécurité,
- le principe de transparence,
- le principe de précaution.
L'application des principes de partenariat et d'authenticité, en ce qui
concerne la filière bovine, nous a amenés à engager
directement des partenariats avec le monde agricole et les
sociétés d'abattage pour assurer un approvisionnement de viande
française et identifier les meilleures races.
Dès 1991, nous avons voulu concentrer nos achats, pour la filière
"Qualité Carrefour", sur les viandes d'origine française.
L'application du principe de sécurité, dans une première
étape, nous a aidés à construire la
traçabilité des troupeaux en identifiant les origines. En effet,
vous n'êtes pas sans savoir que le secteur de l'élevage bovin,
surtout à l'époque, était très peu
structuré. Nous nous sommes retrouvés face à un
véritable challenge, à l'époque, consistant à
fédérer, sous le couvert d'un même cahier des charges et
d'une même doctrine, environ 20 000 éleveurs, mais nous nous
sommes appuyés pendant toute cette étape sur la
réglementation en vigueur et, en particulier, sur l'interdiction
d'utiliser des farines carnées, puisque celle-ci date de 1991.
Notre volonté était de construire une traçabilité
du troupeau qui rassure le consommateur, qui sécurise son choix et
conforte son attachement à différents terroirs. C'est pourquoi,
dès 1991, nous avons pris parti pour un approvisionnement 100 %
français. Dès 1991, toutes les filières "Qualité
Carrefour" étaient fondées sur cet approvisionnement 100 %
français.
Notre démarche s'est concrétisée en 1994 --elle a donc
duré quatre ans-- par un contrat et un cahier des charges qui
engageaient les trois partenaires. C'était une chose extrêmement
innovante, à l'époque, parce que c'était la
première fois qu'un distributeur, des partenaires agricoles et des
intermédiaires tels que les abatteurs se trouvaient ensemble et,
ensemble, définissaient un cahier des charges commun.
Au-delà du marché, une prime supérieure au cours du
marché était versée par Carrefour aux éleveurs qui
s'engageaient dans cette démarche. C'était, là aussi, une
rémunération de la valeur ajoutée.
L'application du principe de transparence nous a conduits à mettre en
place, progressivement, un système de qualification des élevages
et de sécurisation de l'alimentation des animaux. Notre première
démarche a été vraiment de dire que l'on assurait la
traçabilité, ce qui n'était pas du tout évident
à l'époque. Il faut dire que cela a été
intéressant puisque, en 1996, lors de la première crise de la
vache folle, avec les problèmes venant de Grande-Bretagne, tous les
éleveurs, dès le lendemain, ont pu être dans les magasins
Carrefour pour dire : "les viandes issues des filières viennent de
chez nous et viennent de troupeaux français".
L'opération "qualification des élevages" est une démarche
de partenariat entre Carrefour et les associations de groupements
d'éleveurs consistant à établir des codes de bonne
pratique que les éleveurs adoptent ensuite de leur plein gré.
C'est vraiment fondamental. Il s'agit d'une démarche de progrès
à laquelle adhèrent les différents partenaires et d'une
série de dispositions concrètes avec, comme élément
essentiel, la tenue d'un cahier d'élevage dans lequel tous les
événements liés à la vie du troupeau sont
consignés. En particulier, sont notés les formulations des
aliments, les traitements thérapeutiques, avec le classement des
ordonnances des vétérinaires, le nom des matières actives
utilisées, la dose et la date d'application, afin de vérifier si
les délais légaux avant abattage sont bien respectés, les
conditions de nettoyage et les dispositions concernant le bien-être des
animaux.
Dans le cadre d'un partenariat basé sur une confiance réciproque,
les contrôles de ces dispositions sont réalisés par les
techniciens des associations d'éleveurs. Il est admis que Carrefour
puisse procéder à des audits de manière à s'assurer
que les préconisations apportées d'un commun accord dans le
cahier des charges sont bien suivies d'effet.
Ces audits sont réalisés par un organisme tiers
indépendant qui, lui aussi, est choisi par les trois parties. Ce qui est
original dans cette démarche, c'est qu'à chaque fois, les parties
se mettent d'accord.
Ces contraintes sont donc librement consenties et sont le socle qui justifie
les plus-values que nous donnons aux éleveurs.
Ces démarches ont été initiées en 1994 et sont
finalisées depuis décembre 2000. Cela montre bien la
progression : de 1991 à 1994, on assure la
traçabilité, on crée ce climat de confiance et on a un
approvisionnement 100 % français ; en 1994, on contractualise
notre partenariat et on s'engage jusqu'en 2000 pour arriver à la
qualification des élevages puisque, aujourd'hui, l'ensemble des
élevages bovins de filière "Qualité Carrefour" a un
certificat de qualification.
C'est un contrôle réciproque parce que les éleveurs
viennent dans nos magasins, de même que les organismes de contrôle,
pour voir si les viandes que nous mettons sous la filière
"Qualité Carrefour" sont bien celles qui sont issues de nos
élevages certifiés. C'est un double contrôle qui consiste
à contrôler à la fois nos magasins et les élevages.
Le principe de précautions nous a amenés à interdire, en
1999, les farines animales terrestres dans l'ensemble de nos filières en
anticipant les dispositions légales. Nous avons commencé cette
démarche en 1996 avec les filières porcines, et l'aboutissement
de tout cela a été l'année 1999.
En effet, nous nous sommes aperçu que les contaminations
croisées, surtout, chez les éleveurs pluri-espèces,
paraissaient possibles. Les opérations de rinçage des
installations n'étaient pas adaptées au faible volume d'aliments
pour les petits élevages, puisqu'on sait que, dans l'élevage
bovin, on peut avoir quelques petits producteurs qui ont une dizaine de vaches
dans leur troupeau et que c'était financièrement trop
coûteux pour eux.
Nous avons pris aussi cette décision parce que l'alimentation
végétale était reconnue comme un élément de
valorisation dans tous les signes de qualité. Le comité des
labels et de certification, notamment, dans tous ses labels, recommande
l'alimentation végétale.
Cette mesure a été accompagnée de la suppression de tous
les antibiotiques utilisés comme facteurs de croissance afin de
prévenir les risques de résistance que de nombreux scientifiques
estimaient comme probables. Là aussi, aujourd'hui, dans l'ensemble des
filières "Qualité Carrefour", nous avons, encore une fois d'un
commun accord avec nos partenaires, supprimé les antibiotiques facteurs
de croissance.
En 2000, nous avons fédéré autour d'un seul
référentiel l'ensemble des associations. Ce dossier a
été reconnu et certifié par le Comité national des
labels et des certifications.
Il s'agit toujours de ce principe de précaution. On en parle maintenant
beaucoup, mais il est vrai que nous l'utilisions depuis longtemps. C'est ce
principe de précaution qui nous a conduits, le 21 octobre 2000, à
faire une information immédiate à l'ensemble de nos
consommateurs, à la suite de l'incident dont nous avons
été victimes dans un site d'abattage pour un produit hors
filière "Qualité Carrefour", alors que la bête
incriminée n'était jamais rentrée dans le circuit
commercial.
Le rappel des produits a pu être fait, parce que nous avons, dans
l'ensemble des enseignes du groupe Carrefour, une procédure de rappel
qui est extrêmement efficace et qui nous permet de rappeler les produits
très rapidement.
Toujours dans le cadre du principe de précaution, nous avons
sollicité, dès octobre 2000, la mise en place systématique
des tests avant abattage et la suppression des farines carnées pour
l'ensemble des filières animales. On nous a souvent reproché
d'avoir fait de cette opération une opération marketing, ce qui
n'est pas du tout le cas. Tout ce que nous avons mis en place, tant la
suppression des farines carnées que celle des antibiotiques facteurs de
croissance ou la demande du test que l'on avait déjà
évoquée sont des choses dont vous avez peu entendu parler dans la
presse. Nous le faisons parce que nous estimons que, pour nos clients, ce sont
des précautions supplémentaires dans des marques qui engagent
l'enseigne.
Ce long cheminement dans le temps concrétise bien la
préoccupation constante de Carrefour de proposer à ses
consommateurs des produits à la fois bons, sains et sûrs. Notre
démarche est pragmatique et non pas scientifique ; elle est pleine
de bon sens et vise à réintégrer les valeurs d'origine de
l'élevage français auxquelles nous croyons fortement. C'est un
partenariat avec des hommes, une alimentation la plus saine possible pour les
animaux, des conditions d'élevage avec un maximum de liberté pour
les animaux et des conditions de transport et d'abattage qui respectent les
animaux.
Pour conclure, je dirai que nous avons besoin de transparence pour que les
constats du passé puissent nous donner la mesure de l'avenir. Nous avons
toujours souhaité avoir une concertation avec les pouvoirs publics et
les professionnels de l'agriculture pour mieux appréhender les
avancées scientifiques et les nouvelles données du monde
agricole, et nous sommes heureux que cette commission puisse nous permettre de
nous exprimer sur ce sujet.
Nous tenons à votre disposition les résultats et les moyens dont
nous disposons pour mieux appréhender ces nouveaux
phénomènes de société, et nous pensons même
que des réflexions du même type pourraient être
menées sur un certain nombre de problèmes que l'on voit
aujourd'hui émerger, par exemple sur l'utilisation de l'épandage
des boues urbaines. Je pense qu'il faut que nous ayons une vraie
réflexion sur ces thèmes, notamment sur l'utilisation des
antibiotiques comme facteurs de croissance, qui sont toujours
tolérés aujourd'hui, ou sur les OGM. Je pense que ce sont des
vrais problèmes de fond qu'il serait important de creuser de
façon dépassionnée et objective.
En tout cas, je vous remercie de votre attention et je me tiens à votre
disposition pour répondre, dans la mesure du possible, dans le cadre de
mes compétences et de mes connaissances, à toutes les questions
que vous jugerez utile de nous poser.
M. le Président
- Merci, madame. Vous faisiez allusion au
problème qui s'est passé dans votre marque ou sous votre toit, si
je puis dire. L'animal en question n'était pas parti dans la
chaîne alimentaire, effectivement. Je suppose donc que vous aviez
déjà eu une alerte au niveau de l'abattoir et que d'autres
animaux du même troupeau étaient, eux, partis dans le circuit
alimentaire. Est-ce que je me trompe ?
Mme Chantal Jaquet
- Nous avons été prévenus par
les services vétérinaires qu'un animal avait été
retiré de l'abattage et évacué du service et qu'il nous
fallait procéder à un retrait des produits dont on nous avait
donné les éléments. On l'a fait immédiatement et
l'animal en question n'était donc absolument pas rentré dans la
chaîne alimentaire et dans nos magasins. En revanche, il y avait des
animaux du même troupeau qu'on nous a demandé de retirer. Ce sont
donc les services vétérinaires qui nous en ont informés.
De plus, un juge a fait une déclaration publique pour annoncer ce qui
s'était passé. Il nous paraissait donc extrêmement
important d'informer nos clients, sachant que les services
vétérinaires nous avaient demandé de retirer les lots de
bêtes et que le juge a fait une déclaration publique à
travers les médias.
M. le Président -
D'accord. Je donne la parole à M. Bizet.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Je vous prie de m'excuser car j'étais
absent au début de votre intervention, mais j'ai simplement noté
un point, dans la dernière partie de votre intervention, sur lequel je
voudrais rebondir. Vous avez en effet utilisé le mot "partenariat".
C'est un mot à la mode qui sous-entend un travail véritablement
en commun et, surtout, un partage équitable de la valeur ajoutée,
qui dépasse très largement le problème de l'ESB.
Là aussi, je pense que nous sommes à un virage. Avez-vous pris
conscience qu'en tirant les prix par le bas, soit au niveau de votre enseigne,
soit au niveau d'autres enseignes, il y a un moment où on atteint le
plancher, si je puis dire, et qu'il faudra malgré tout revenir à
des productions d'un autre aspect et d'une autre qualité, ce qui suppose
également une élévation du prix et un meilleur partage de
la valeur ajoutée ? Que pouvez-vous nous dire à ce
sujet ?
Mme Chantal Jaquet
- Le mot "partenariat" est effectivement un peu
galvaudé aujourd'hui ; vous avez raison de le souligner. Comme je
l'ai rappelé tout à l'heure, cette démarche que nous avons
initiée date de 1991. A l'époque, c'était une chose
totalement originale. Nous avons beaucoup travaillé avec les pouvoirs
publics à l'époque (c'était M. Philippe Guérin qui,
à ce moment-là, était le directeur de l'alimentation et
nous avons beaucoup travaillé avec ses équipes) sur les
référentiels des filières "Qualité Carrefour", un
travail dont nous nous sommes beaucoup inspirés par la suite.
Je précise que les filières "qualité Carrefour"
étaient, en gros, 10 % plus chères, en magasin, que les
viandes de nos concurrents ou le VBF couramment vendu. Cela représentait
entre 70 et 80 % des ventes de viandes de Carrefour et plus de 60 %
du nouveau groupe, parce que, là aussi, ces filières ont
été mises progressivement en marche. On sait bien que ce sont des
démarches longues qui s'inscrivent dans la durée avec des projets
communs.
Cela a donc représenté environ 60 % des ventes de viande du
nouveau groupe Carrefour et entre 70 et 80 % auparavant, et il y avait une
prime que nous donnions aux agriculteurs. Lors de la première crise de
1996, nous avons payé environ un ou deux francs du kilo de plus,
malgré la prime que nous donnions déjà naturellement
à l'époque, pour aider les agriculteurs à sortir de cette
crise.
Je crois vraiment que cette démarche que nous avons initiée
depuis le départ permet de rémunérer la valeur à
son juste prix. C'est vrai pour les filières bovines, pour les
filières porcines ou pour des filières comme les carottes, pommes
de terre ou d'autres produits que nous vendons aujourd'hui sous notre sigle. Ce
ne sont absolument pas les produits les moins chers des rayons et nous
valorisons justement les terroirs français, les origines
françaises et une qualité avec ces partenaires.
M. le Rapporteur
- Qui dit partenariat dit contractualisation avec un
groupement de producteurs, mise en place d'un cahier des charges commun, avec
une négociation entre un groupement de producteurs et votre enseigne,
mais quid de la propriété du cahier des charges ? Est-ce la
propriété de Carrefour ou celle du groupement de
producteurs ?
Mme Chantal Jaquet
- C'est une propriété partagée,
puisque nous l'élaborons ensemble. En général, nous
faisons ces cahiers des charges avec les représentants des groupements
de producteurs. Si je prends l'exemple de la race normande, comme nous avons
20 000 producteurs, nous ne faisons pas un cahier des charges avec les
20 000 producteurs.
Nous avons donc des groupements en essayant, en fonction de l'implantation de
nos magasins, d'avoir des groupements de directeurs. Nous travaillons avec le
groupement "la Montbéliarde", avec "l'Abondance", avec la
"Charolaise"... Je précise que les Charolais sont venus les derniers et
que ce sont eux qui sont venus nous le demander parce qu'au début, nous
avons commencé avec des petits groupements de producteurs et que les
Charolais nous disaient : "cela ne nous intéresse pas parce que
nous sommes gros". Cela dit, assistant à nos démarches, ce sont
eux qui sont venus nous voir ensuite pour nous dire : "nous aussi, nous
voudrions nous inscrire dans les démarches filières
Qualité Carrefour".
Nous mettons donc en place ces cahiers des charges avec les groupements de
producteurs qui, ensuite, démultiplient avec leurs producteurs.
M. le Rapporteur
- Il serait souhaitable, malgré tout --car je
connais un peu le problème--, que le cahier des charges reste la
propriété des éleveurs. Je pense que vous pouvez deviner
pourquoi. Je trouve que ce serait plus rationnel.
Mme Chantal Jaquet
- Ce cahier des charges nous engage nous aussi dans
la façon dont nous mettons en vente nos produits. A partir du moment
où cela engage les deux partenaires, je pense qu'il est important qu'il
soit partagé. Il est même partagé entre trois partenaires,
parce qu'il comprend aussi les conditions d'abattage, le bien-être des
animaux, les conditions de stockage, de transport, etc. Là aussi c'est
un engagement fort. Si vous souhaitez que l'on vous fasse parvenir un cahier
des charges, nous le ferons avec grand plaisir.
M. le Rapporteur
- Tout à fait.
J'ai une dernière question à vous poser : êtes-vous
satisfaits de la traçabilité ? Je sais que de gros efforts
ont été faits, mais pensez-vous aller encore plus loin en
matière de traçabilité et de transparence afin de
permettre aux consommateurs d'avoir l'information la plus large possible, qui
soit conciliable avec un packaging bien encadré, avec des signes de
qualité qui sont, là aussi, bien encadrés mais qui
mériteraient peut-être d'être diminués, parce qu'il
ne faut pas non plus que le consommateur soit noyé dans trop
d'informations ? Avez-vous une réflexion sur ce point pour vous
permettre d'aller plus avant dans une meilleure information du
consommateur ?
Mme Chantal Jaquet
- Je dirai d'abord que plus les filières sont
organisées, plus la traçabilité est facile. Les
filières porcines ou avicoles, par exemple, sont très
organisées et la traçabilité ne pose vraiment aucun
problème, ni en matière d'alimentation, ni en matière de
conditions d'élevage. On arrive vraiment à maîtriser non
pas parfaitement, parce que rien n'est jamais parfait, mais relativement bien
la traçabilité.
Effectivement, plus les filières sont éclatées, plus c'est
difficile. La filière bovine, aujourd'hui, n'est pas encore très
organisée, d'autant plus qu'il y a beaucoup d'intermédiaires. On
a vu qu'il y avait beaucoup de problèmes à travers des
intermédiaires qui commercialisent des viandes bovines, et je pense
qu'il faudrait se pencher un peu plus sur la façon de suivre les animaux
à travers leurs différents circuits depuis leur naissance.
On a eu parfois du mal à avoir l'origine totale des animaux. On avait la
traçabilité à partir du moment où le producteur
l'avait ainsi qu'à partir du moment où il avait acheté la
bête, mais il était assez difficile --c'est très
particulier à la filière bovine-- de remonter jusqu'à
l'origine et la naissance des bêtes pour des bêtes qui ont une
dizaine d'années. Je pense qu'il faut vraiment se pencher ce
problème particulier.
Nous avons été les premiers sur la filière porcine.
Auparavant, une fois que le porc était découpé, on n'avait
plus la traçabilité. Or, aujourd'hui, dans nos filières,
nous suivons la bête, même découpée ; elle a un
numéro et on peut la suivre. Dans nos magasins, aujourd'hui, dans nos
filières porcines, nous pourrions mettre le nom du producteur,
même si c'est un peu difficile en matière de marquage.
En revanche, aujourd'hui, sur les filières bovines, c'est beaucoup plus
difficile. Nous pouvons donner le centre d'élevage : le groupement
d'éleveurs certifie un certain nombre d'élevages qui ont
été qualifiés. Les viandes arrivent et nous les avons donc
parfaitement tracées à partir de l'éleveur et de
l'abattoir. En revanche, pour des bêtes qui ont dix ans, nous avons
beaucoup de mal, encore aujourd'hui, à retracer ce qui s'est
passé les trois ou quatre premières années.
M. Jean Bernard
- Vous avez dit, madame, que le contrat avec les
éleveurs vous permettait d'avoir une fourniture d'un certain pourcentage
de vos ventes, mais cela ne les concerne pas toutes.
Mme Chantal Jaquet
- Pas toutes, en effet.
M. Jean Bernard
- Au niveau de l'étal, y a-t-il des marques
distinctives et le prix supérieur se justifie-t-il par une
indication ? Le consommateur peut-il faire la différence entre une
viande dite "foraine" et une viande provenant d'un éleveur avec lequel
vous êtes sous contrat ?
Mme Chantal Jaquet
- Oui. Chez Carrefour, depuis 1991, nous ne
commercialisons que des viandes françaises. Nous avions soit du VBF,
soit des viandes de qualité filière. Sur ces viandes de
qualité filière, on certifiait un certain nombre de choses, dont
nos élevages qui sont certifiés, alors que les viandes VBF
étaient françaises mais ne venaient pas forcément
d'élevages certifiés.
Nous nous sommes d'ailleurs rendu compte qu'après la première
crise, en 1996, Carrefour avait eu des résultats bien meilleurs que les
autres enseignes de distribution parce qu'à l'époque, le label
VBF n'existait pas (il n'a été mis en place que plus tard). Tous
les éleveurs étaient venus dans les magasins, puisqu'on leur
avait donné la possibilité de valoriser la viande
française, et nous avions eu des résultats bien meilleurs (on le
voyait à travers le FCD) que nos autres concurrents.
Dans cette nouvelle crise, on s'aperçoit qu'à chaque fois que
l'on a des viandes filières, elles se vendent mieux que les autres. Par
exemple, dans l'ancien périmètre de Continent, dans lequel on
n'avait pas eu le temps de faire monter en puissance l'ensemble des viandes
vers la filière qualité, les résultats sont un peu moins
bons. De la part du consommateur, il y a vraiment une reconnaissance de ces
produits.
M. François Marc
- J'ai deux ou trois petites questions à
vous poser.
La première concerne les décisions que vous avez prises au mois
d'octobre dernier, qui ont été spectaculaires et
importantes : le retrait des viandes et une information assez
médiatisée. N'avez-vous pas eu l'impression d'écraser une
mouche avec une marteau-pilon ou, par rapport à un
phénomène limité et sporadique, de créer quelque
part une psychose ? Est-ce une chose que vous avez analysée a
posteriori ?
Ma deuxième question concerne les viandes que vous mettez aujourd'hui
sur le marché. Pouvez-vous nous confirmer qu'il n'y a pas de viande
espagnole ou allemande ? On entend en effet des éleveurs qui
disent : "ce n'est pas normal ; il y a des viandes allemandes ou
espagnoles qui viennent !"
Enfin, j'ai un dernier point lié à cela. Nous avons aujourd'hui
un certain nombre de producteurs qui souhaitent que l'on crée au plus
vite un observatoire des marges, puisqu'ils ont constaté que les prix
étaient très élevés alors qu'on leur achetait leurs
bêtes trois fois rien. Êtes-vous favorable à ce que l'on
crée un observatoire des marges pour dire clairement où passe
l'argent, où sont les marges et comment se répartit la valeur
ajoutée au sein de la filière de la viande bovine ?
Mme Chantal Jaquet
- Je vais répondre à vos trois
questions.
Nous avons un comité scientifique chez Carrefour, même si nous
n'en parlons pas, ce qui nous paraît normal dans le cadre de nos
responsabilités. Nous nourrissons aujourd'hui près de 25 %
de la population française et nous ne pouvons donc pas faire les choses
n'importe comment. Nous nous étions donc penchés sur ce
problème de l'ESB parce que nous sommes vraiment au coeur de la
chaîne alimentaire, entre le producteur et le consommateur. Comme
beaucoup de choses se passent, nous nous sentons responsables aujourd'hui et
nous voyons à quel point nos clients, qui sont en même temps
consommateurs, citoyens et écologistes, nous rendent de plus en plus
responsables d'un certain nombre de choses.
Par exemple, on a pu nous dire : "vous vous occupez de ce qui ne vous
regarde pas" dans un certain nombre de cas, alors qu'en fait, tout nous regarde
parce que nous nous sentons responsables devant nos clients et que ceux-ci nous
rendent de plus en plus responsables d'un certain nombre de choses.
Dans le cadre de ce comité scientifique, puisque nous entendions parler
de l'ESB comme tout le monde et que nous voulions savoir ce qui était
vrai ou non, nous avons fait venir M. Dormont, quelques jours avant que se
déclare ce problème chez Carrefour. Cela nous a permis d'avoir
connaissance de ce qu'était l'ESB et de ses conséquences, et nous
avons été vraiment extrêmement perturbés par ce que
nous avons appris.
Par conséquent, quand cet événement s'est
déclaré, c'était pour nous quelque chose d'important et
non pas un épiphénomène. De plus, les services
vétérinaires nous ont toujours fait confiance, de même que
nous faisions confiance à la compétence et la diligence des
services vétérinaires ainsi qu'aux pouvoirs publics. Le fait de
retirer un produit était donc un acte important pour nous.
Par ailleurs, il y a eu la déclaration du juge. Je pense que nos
consommateurs n'auraient pas compris que nous ne fassions rien. Je ne puis pas
là pour parler de nos concurrents, mais, dans quelques enseignes qui
n'ont rien fait, les clients (on l'a vu à travers des enquêtes
récentes n'ont pas trouvé normal qu'on ne les prévienne
pas.
Je pense que nous avons un devoir vis-à-vis de nos clients. Les
enquêtes que l'on a pu faire montrent que Carrefour a été
reconnu par les consommateurs, auxquels nous devons répondre en premier,
comme une entreprise responsable. Là aussi, nous pourrons mettre ces
enquêtes à votre disposition si elles vous intéressent.
Voilà ce que je peux répondre sur votre première question.
Je passe à la deuxième question sur les viandes venant
d'Allemagne, d'Espagne ou d'ailleurs. Je peux vous assurer que, chez Carrefour,
tout le périmètre des hypermarchés, aujourd'hui, ne se
fournit en aucun cas avec une viande autre que française. C'est vrai
également pour les supermarchés.
Simplement, vous savez que, depuis la fusion avec Promodès, nous avons
des affiliés et des associés qui, ici ou là (mais je ne
veux surtout pas dire que cela existe), de façon très sporadique,
pourraient faire un achat de viandes étrangères, mais ce n'est en
aucun cas une pratique de l'entreprise puisque, depuis 1991, nous menons cette
action. Nous le faisons vraiment pour tout. Par exemple, par rapport aux
fraises d'Espagne, nous achetons des fraises le jour où la production
française démarre et, en général, nous travaillons
avec les organisations françaises pour ne pas trop baisser les prix de
façon à ce que, lorsque les fraises françaises arrivent,
il n'y ait pas de décalage au point de vue des prix. Dès que la
production française arrive, nous mettons en place la production
française.
Nous faisons la même chose pour les tomates et pour un certain nombre de
produits.
Je vous assure qu'en interne, ce ne sont pas toujours des positions faciles
à tenir vis-à-vis des directeurs de magasin, parce que certains
de nos concurrents ont des prix beaucoup plus bas mais nous le faisons.
Voilà ce que je peux répondre à votre deuxième
question.
Enfin, sur l'observatoire des marges, je vais vous donner une réponse
qui m'est très personnelle et que j'avais faite à
l'époque. En effet, au moment de tous les problèmes sur la
filière lait, je faisais partie d'Onilait parce que je m'occupais de la
marque "Carrefour" et j'ai été concernée par le
problème parce que je faisais partie de la commission constituée
autour du ministre pour traiter ce problème.
Ce qui est fondamental, c'est que les producteurs soient
rémunérés à leur juste prix et au prix de leur
juste travail. Je pense qu'à partir du moment où ils sont
payés et que c'est indiqué sur la facture (je ne m'étais
pas fait toujours des amis quand je l'avais dit à l'époque),
personne ne peut s'y opposer. Il est important que le producteur soit
rémunéré à son juste prix.
Ensuite, les marges des transformateurs et des distributeurs appartiennent
à chacun, selon sa politique commerciale. Des grands groupes comme
Danone, Nestlé ou Yoplait ont aussi, entre eux, des bagarres
commerciales et ils doivent pouvoir, en fonction de leurs produits, de leur
stratégie ou de leurs outils, être libres de leurs marges. De la
même manière, les distributeurs doivent aussi être libres de
leurs marges, parce qu'ils peuvent à un moment donné, pour telle
ou telle raison, décider de mettre en avant tel ou tel produit.
En revanche, il est fondamental que le producteur soit
rémunéré à son juste prix. Il faut se battre pour
cela et j'en suis partisane. C'est possible.
J'espère avoir répondu à vos questions.
M. le Président -
Très bien. S'il n'y a pas d'autres
questions, nous allons vous remercier d'avoir fait le tour de la question.
Merci d'avoir répondu à toutes les questions des collègues.
Mme Chantal Jaquet
- Nous vous ferons parvenir les
éléments dont j'ai parlé : le cahier des charges et
l'enquête consommateurs.
M. le Président
- Très bien. Cela nous intéresse.
Audition de M. Yves BOISARD,
Directeur du contrôle qualité du
groupement d'achats Leclerc,
et de M. Hervé AUBÉ, Directeur
général de la société
Kermené
(28 mars 2001)
M.
Gérard Dériot, Président -
Je vous remercie d'avoir
répondu à notre invitation et aussi d'avoir attendu patiemment.
Monsieur Yves Boisard, vous êtes Directeur du contrôle
qualité du groupement d'achats Leclerc et, monsieur Hervé
Aubé, Directeur général de la société
Kermené. Je vous précise que vous êtes auditionnés
dans le cadre de la commission d'enquête mise en place par le
Sénat sur le problème des farines animales et des
conséquences pour la santé des consommateurs et qu'à ce
titre, vous ne pouvez témoigner qu'après avoir prêté
serment. C'est pourquoi je vais vous rappeler le protocole de cette
opération.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Boisard
et Aubé.
M. le Président -
Dans un premier temps, je vais vous passer la
parole pour que vous puissiez nous indiquer assez succinctement l'organisation
qui est en place à l'intérieur de votre société,
après quoi nous vous poserons les questions que nous souhaitons vous
poser.
M. Hervé Aubé
- Vous savez que le mouvement Leclerc est un
groupe de 550 indépendants à travers la France, mais aussi trois
autres pays : l'Espagne, le Portugal et la Pologne. Cela veut dire aussi
que ces 550 magasins disposent d'un acte d'achat séparé.
Moi-même, je représente le seul outil collectif que nous ayons,
c'est-à-dire un outil d'abattage et de transformation d'animaux, qui
représente un chiffre d'affaires de 3 milliards de francs, en
Bretagne, avec 1 800 personnes, mais qui ne représente que 12 à
20 % des besoins en produits carnés du groupe.
Par essence, ces 550 magasins déclinent régionalement leurs
achats de produits carnés et donc nous n'avons pas, à
l'intérieur du groupe, de filière organisée. Chacun est
libre de pratiquer ses achats comme il le veut.
M. Yves Boisard
- Compte tenu de la structure et de l'organisation en
magasins indépendants, le système qualité reflète
exactement ces dispositions.
Si l'on prend le problème par la base, chaque magasin a donc un
responsable qualité. Chaque magasin est une entreprise et un responsable
qualité est rattaché directement à la direction du
magasin.
Ces magasins sont regroupés en seize centrales régionales ou
plates-formes et il y a donc un responsable qualité par plate-forme.
Au niveau national, nous avons des responsables qualité par outil. Ce
qu'on appelle "outil", ce sont toutes les sociétés qui
référencent les produits : les produits alimentaires d'un
côté et les produits non alimentaires de l'autre. On va ensuite
dans un niveau encore plus détaillé avec le textile, le bazar et
ainsi de suite. On attache une importance particulière à tout ce
qui est marques de distributeurs, avec un service qualité
complètement intégré dans la société que
l'on appelle Scamarque et qui gère les marques des distributeurs.
Enfin, au dernier échelon, relié directement à la
structure dirigeante de l'enseigne, il y a un service qualité groupe
dans lequel je travaille et qui est chargé de trois tâches
principales : tout ce qui touche à la veille, au sens large, tout
ce qui touche aux préconisations quant aux démarches
qualité que chaque niveau doit adopter et une démarche de
surveillance du bon fonctionnement de l'ensemble des outils des centrales et
des magasins.
Au fond, nous avons une structure comparable à ce qu'on trouve dans les
groupes industriels, avec, de haut en bas, une direction de qualité
groupe, une direction de qualité branches (pour nous, ce sont les
régions) et une direction de qualité sur chaque site, un peu
comme si nous avions des usines.
M. le Président -
Si je comprends bien, cela veut dire qu'en
particulier pour ce qui concerne la viande, chaque magasin est
indépendant.
M. Yves Boisard
- Chaque magasin a la liberté d'acheter.
M. le Président -
Donc vous n'avez pas de cahier des charges
commun et réel pour l'ensemble des magasins Leclerc ?
M. Yves Boisard
- Absolument.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Je voudrais savoir quelle a
été l'incidence, à ce jour, de la crise de l'ESB sur vos
ventes, dans l'ensemble de vos magasins, si vous pensez retrouver le niveau de
consommation antérieur et, si c'est le cas, à quelle
échéance.
M. Hervé Aubé
- C'est une crise qui a amené une
variation dans les ventes. Les deux premières semaines de la crise,
c'est-à-dire au mois de décembre, les tonnages ont baissé
de pratiquement 40 à 50 % pour se relever dès la
troisième semaine, où nous avons atteint un niveau de -
20 %, et ce jusqu'à il y a quatre semaines, où nous
retrouvions nos tonnages, puisque, comme nous l'avons dit tout à
l'heure, les magasins sont indépendants mais que l'on a une vision
relativement précise de ce qu'achètent les magasins. Les magasins
achetaient surtout des races à viande et, de ce fait, avaient
retrouvé des tonnages qui devaient se situer entre - 8 et - 10 %.
C'est la crise de la fièvre aphteuse qui a fait replonger les magasins,
depuis trois semaines, à un niveau de - 20 %. Voilà la
situation.
Cela dit, il faut ajouter une particularité sur la viande
déstructurée, comme le steak haché, qui n'a jamais
retrouvé les tonnages que nous connaissions avant la crise. Ces tonnages
doivent se situer encore aujourd'hui autour de - 30 %.
M. le Rapporteur
- Imaginez-vous mettre en place des relations de
partenariat plus fortes qu'elles n'existent aujourd'hui entre producteurs,
transformateurs et distributeurs, les contractualisations allant jusqu'à
l'identification de l'exploitation agricole avec, à la clef, un partage
de la valeur ajoutée différent d'aujourd'hui ? Est-ce une
démarche à laquelle vous avez réfléchi et dans
laquelle vous allez vous lancer ? Si c'est le cas, n'est-ce pas une
difficulté pour vous compte tenu du fait que chaque magasin est
indépendant ?
M. Hervé Aubé
- Effectivement, c'est une
difficulté. En ce qui concerne l'outil collectif et les besoins qu'il
représente vis-à-vis de ces 550 magasins, on a déjà
pratiqué ce que vous évoquez, mais on l'a fait beaucoup plus sur
d'autres espèces animales que le bovin. Nous l'avons pratiqué
depuis dix ans sur le veau, en contractualisant avec les éleveurs sur un
veau spécifique élevé uniquement avec de la
protéine laitière dans un cahier des charges très
précis.
Nous avons aussi contractualisé ce type de cahier des charges pour les
espèces porcines parce que, avant cette crise bovine, nous nous
apercevions que les consommateurs voulaient un produit déjà sans
farine de viande. Nous avions donc contractualisé avec un certain nombre
d'éleveurs un produit à la fois sans farine de viande, sans
antibiotiques et sans facteurs de croissance. Nous avons vu ainsi les ventes
largement se développer au cours de la crise bovine.
La grande difficulté que nous avons, c'est de contractualiser avec 550
magasins, mais les 550 magasins jouent leur citoyenneté
municipale : leurs fournisseurs sont à côté des
magasins et ils sont connus. Ce sont donc des achats de proximité qui
sont faits. Par conséquent, même s'il n'y a pas une
contractualisation sur le papier, il y a une contractualisation morale avec un
certain nombre de fournisseurs, région par région.
M. le Rapporteur
- Avez-vous une harmonisation de votre cahier des
charges ou chaque magasin doit-il définir son cahier des charges ?
M. Hervé Aubé
- En fait, il y a une harmonisation des
cahiers des charges. Les magasins ont beaucoup d'espaces non pas en
libre-service mais que l'on appelle traditionnels et, de ce fait,
déclinent des achats d'animaux "boucher". Quand on parle d'animaux
"boucher", on parle pratiquement toujours des mêmes catégories
d'animaux. De ce fait, sans avoir de contractualisation écrite, les gens
se réfèrent toujours aux mêmes animaux.
M. le Rapporteur
- Êtes-vous satisfaits de l'état de la
traçabilité, aujourd'hui, vis-à-vis des demandes de vos
consommateurs ? Dans le même ordre d'idée, êtes-vous en
phase avec les consommateurs sur la décision de l'Union
européenne du 18 juillet dernier sur les normes d'étiquetage et
d'identification qui ont été en deçà de ce qui
avait été logiquement demandé et prévu ?
M. Yves Boisard
- A l'automne dernier, lorsque nous avons diffusé
les documents d'application des recommandations européennes, nous avons
conseillé aux magasins de continuer à indiquer les deux
informations qui étaient utilisées précédemment et
qui manquaient, à savoir la catégorie et le type racial, parce
que nous pensions --nous le pensons toujours-- que ces informations
étaient demandées par les consommateurs.
Il n'y a pas de difficulté particulière à l'indiquer,
puisqu'on l'a fait pendant très longtemps, et la marche arrière
que l'on a constatée à l'automne et qui a été
appliquée à partir du 1er janvier (il y avait une
tolérance de quelques mois pour mettre en place la démarche) nous
paraît être un recul par rapport à une chose qui
était parfaitement établie et qui ne posait pas de
problème particulier.
C'est pourquoi les magasins qui l'ont souhaité peuvent continuer
à indiquer sur leurs étiquettes à la fois la
catégorie et le type racial.
M. le Rapporteur
- Mais vous n'êtes pas en conformité avec
la législation.
M. Yves Boisard
- Non, mais nous pouvons aussi donner des informations
parce que nous pensons que les consommateurs les demandent.
M. le Rapporteur
- Quels sont vos rapports avec la DGCCRF sur ce point
précis ?
M. Yves Boisard
- A aucun moment elle ne nous a fait remarquer que nous
donnions plus d'informations que ce à quoi nous étions tenus,
mais il est possible que cela change. A ce moment-là, nous demanderons
aux magasins de rentrer dans la légalité, au moins sur ce niveau
d'étiquetage.
M. le Rapporteur
- Avez-vous, sur ce point précis, une
réflexion qui va plus loin en termes d'information du
consommateur ? En dehors du type racial, du lieu d'abattage, etc.,
avez-vous l'intention de médiatiser davantage ?
M. Yves Boisard
- Pas à ce jour. Les informations qui sont
données sont, à notre sens, très complètes pour la
viande bovine. Maintenant, on peut se demander si on est en mesure de faire le
même travail sur les autres espèces animales, sur la viande de
porc, sur la viande ovine et ainsi de suite.
M. le Président
- Très bien. Il n'y a pas d'autres
questions ?
Je pense que vous nous avez donné la totalité de ce que nous
attendions, sachant que nous avons pu poser les questions que nous voulions.
Merci d'avoir répondu à cette invitation. Nous avons ainsi
l'organisation telle qu'elle est établie chez vous, qui est
différente d'autres groupes.
M. Yves Boisard
- Très différente.
M. le Président -
Cela nous permet aussi de comparer. Merci
beaucoup.
Audition de M. Régis LESEUR,
Vice-Président du Conseil
général
vétérinaire
(4 avril 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Merci, Monsieur Leseur
d'avoir répondu à notre convocation. Vous êtes
Vice-Président du Conseil Général
Vétérinaire. Nous avons souhaité vous auditionner dans le
cadre de cette commission d'enquête sur les farines animales et les
conséquences provoquées sur la santé des consommateurs.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Leseur.
M. Régis Leseur -
Monsieur le Président, Messieurs les
sénateurs, Mesdames, Messieurs, nommé Vice-Président du
Conseil Général Vétérinaire le 25 décembre
1999, j'ai auparavant exercé au sein du ministère de
l'Agriculture et de la Pêche un certain nombre de fonctions, notamment de
décembre 1987 à juillet 1992, où j'étais
sous-directeur de l'Hygiène alimentaire à la Direction
générale de l'Alimentation et, en 1992, Monsieur le ministre de
l'Agriculture et de la Pêche m'a demandé de créer ce qui
est devenu au 1er juillet 92 la Brigade Nationale d'Enquêtes
Vétérinaires.
C'est à ce titre que la commission d'enquête que vous
présidez souhaite entendre l'histoire de cette époque.
Je crois que pour aborder cette question il est nécessaire de rappeler
quelques connaissances historiques pour bien délimiter le sujet.
En 1988, apparaît une nouvelle maladie qualifiée d'ESB. En 1990,
sont prises en France les premières mesures vis-à-vis d'un
éventuel passage de l'animal à l'homme et, en 1996, nous
connaissons la révélation anglaise du passage presque
avéré à l'homme.
Mon histoire personnelle, dans cette affaire, se situe autour de trois
dates : il se trouve que, par le hasard des circonstances, c'est moi qui
en 1991, à Bruxelles, ait annoncé le premier cas d'ESB
français. En 1990, j'ai géré l'embargo britannique contre
les viandes. En avril 1996, alors que le nombre de cas d'ESB paraissait
augmenter, le Directeur Général de l'Alimentation de
l'époque a demandé à la Brigade que je dirigeais, de
s'intéresser aux enquêtes épidémiologiques
concernant l'ESB.
Quelques points concernant les connaissances réelles dans l'histoire
car, aujourd'hui, on fait une certaine confusion dans la connaissance des faits
au cours des ans.
En 1988, je rappelle que l'on parlait d'un élément de
transmission intitulé : « un agent de transmission non
conventionnel ». Le mot « prion » n'existait pas.
En 1989, la France prend les premières mesures vis-à-vis des
farines anglaises.
En 1990, l'épisode du chat a amené ultérieurement les
premières mesures concernant la viande.
En 1994, un certain nombre d'informations parcellaires ont montré qu'il
pouvait exister un passage à l'homme.
Début 1996, il n'était pas encore question du principe de
précaution, mais du principe de prévention.
En 1997, seulement, une méthode d'analyse fiable et pertinente a vu le
jour.
Tout ceci et ces quelques éléments de rappel pour qu'en 2001 il
soit possible de relativiser la connaissance que les uns et autres avions des
problèmes à cette époque. Il est évident
qu'à la faveur des connaissances que nous avons en 2001, nous pouvons
porter un jugement différent sur les actions qui ont pu être
menées au cours de cette décennie, mais il était normal et
nécessaire de rappeler cette connaissance.
Me concernant, pour être très clair, en 1996, quand il a
été demandé à la Brigade Nationale d'Enquêtes
Vétérinaires de s'intéresser au problème de l'ESB,
il existait une dizaine de cas avérés (premier cas
officiel : 1991) et les travaux avaient toujours été
générés et pilotés par l'Administration Centrale,
organisme auquel je n'appartenais plus.
Compte tenu de la flexibilité de la structure que j'animais, de ses
pouvoirs étendus puisqu'ils avaient compétence sur l'ensemble de
la France et que nous rendions compte de l'existence de mouvements à
l'intérieur du territoire français, il était logique de
nous intéresser à la question.
Pour ce faire, nous avons procédé à un travail collectif
et méthodologique entre nous : comment allions-nous aborder cette
question ? Il est bien évident que nous avions un certain nombre de
connaissances scientifiques avérées, mais qu'il était
nécessaire de les coupler avec les connaissances de terrain recueillies
et celles que nous allions devoir recueillir.
Nous avons préparé ce travail par une approche dans plusieurs
domaines. Dans le domaine alimentaire, de la génétique, des
diverses productions situées autour de la ferme et dans les modes de
culture qui pouvaient se présenter au niveau de chaque ferme.
Nous avons pris comme éléments de base essentiels à toute
notre enquête les cas qui étaient signalés et
déclarés et c'est à partir de ce travail au niveau de
l'endroit où le cas s'est développé que nous avons
remonté toute l'histoire, sans oublier que nous nous intéressions
à des faits qui s'étaient passés entre 5 et 10 ans
auparavant. La mémoire des personnes est une chose et la mémoire
des textes est autre chose et, entre temps, il y avait eu, du fait de
l'évolution économique, des disparitions.
Nous avons été amenés à faire des enquêtes de
terrain, ce qui a abouti à une publication d'un rapport administratif
à la fin de chaque année et, compte tenu de l'incidence
judiciaire qui commençait à se manifester en 1996, par la saisine
de deux juges d'instruction, l'un à Nantes, M. le juge Petillon et
l'autre à Paris, Mme le juge Boizette, nous avons collaboré
à ces enquêtes judiciaires.
Au cours de ces 5 à 6 années de travail sur ce sujet, au titre de
la Brigade Nationale d'Enquêtes Vétérinaires, nous avons
été amenés à traiter trois types de sujets.
Le premier concernait les veaux, le deuxième les viandes anglaises et le
troisième les cas d'ESB avec une incidente sur les farines. Je rappelle
que notre saisine n'était pas, contrairement à celle de Mme le
juge Boizette, une saisine de toutes les entrées sur le territoire
national, mais un travail d'enquête lié à l'apparition des
cas avérés et, de ce fait, nous n'avons travaillé, nous
concernant, que sur les cas déclarés.
A partir de 1997, nous avons eu un certain diagnostic que nous avons
présenté à la Commission Dormont pour qu'elle ait une
connaissance des faits passés que nous supposions réels et pour
que, dans ses recommandations scientifiques, elle puisse
délibérer de manière pertinente et proposer aux
autorités des ministères considérés, un certain
nombre de mesures.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Monsieur le Vice-Président, j'ai
noté au travers de vos propos trois points fondamentaux. En 1991, vous
avez été celui qui avez annoncé à Bruxelles le
premier cas d'ESB. Quel était votre interlocuteur et avez-vous
reçu une certaine écoute ?
M. Régis Leseur -
C'était dans le cadre des
réunions des chefs de service vétérinaires, au titre du
Conseil où (je ne sais plus quelle était cette réunion)
tous les chefs de service vétérinaires étaient
présents. L'homologue anglais était Keith Meldrum et je me
souviens -puisqu'il était mon vis-à-vis- lui avoir dit, d'une
forme de clin d'oeil, que c'était une vache d'origine britannique.
Voilà en deux mots la relation de cette situation car n'étant pas
compétent dans les affaires de santé animale, car mon domaine de
compétence était la sécurité alimentaire,
j'étais le chef de service en exercice à la réunion des
chefs de service et c'est pourquoi j'ai annoncé ce premier cas anglais.
M. le Rapporteur -
Avez-vous eu le sentiment d'être pris au
sérieux, écouté, entendu et compris ?
M. Régis Leseur -
Il faut relater les problèmes ou
l'ambiance de cette époque : l'ESB était une maladie animale
et uniquement animale.
M. le Rapporteur -
Max était mort en 1991.
M. Régis Leseur -
C'était en février 1991. En 1991
encore, et en 1992 c'était une maladie considérée comme
étant animale.
Je n'ai entendu aucune remarque de la part des autres délégations
ni de la commission.
Je rappelle que cette information était un élément
informel -ce n'était pas dans le cadre du conseil- que le chef de
service de l'époque m'avait demandé de rapporter aux autres chefs
vétérinaires.
M. le Rapporteur -
Vous nous avez dit avoir géré
vous-même l'embargo dans les années 1992.
M. Régis Leseur -
1990.
M. le Rapporteur -
Or, étaient-ce des embargos de la viande
britannique ?
M. Régis Leseur -
Oui.
M. le Rapporteur -
La concomitance entre cette date 1990 et 1992 nous a
troublés. En 1995 la Commission Européenne, au travers d'une
directive, avait enjoint nos amis britanniques de procéder à des
opérations d'identification correctes de leur cheptel, et nous venons de
découvrir avec l'ensemble de nos collègues que ce n'est qu'en
1997-1998 que l'on peut considérer que le processus d'identification du
cheptel bovin a été mis en place. Comment gérer un embargo
quand vous n'avez pas d'identification des animaux ?
M. Régis Leseur -
Nous sommes en 1990 et le fait que je rapporte
est l'épisode ordonné par Henri Nallet, ministre de l'Agriculture
de l'époque à la veille de la Pentecôte 1990 qui stipulait
de procéder à un embargo sur les viandes britanniques et quelques
jours après, puisqu'une réunion du Comité
Vétérinaire Permanent dans un premier temps et du Conseil de
l'agriculture dans un deuxième temps ont eu lieu, les mesures concernant
les viandes anglaises ont été rapportées.
Nous sommes dans une situation où les Etats membres se font confiance.
Je rappelle que sous présidence française en 1989 -j'étais
le Président du Comité des experts à l'époque-,
nous avons fait passer une directive intitulée : « La
Directive Assistance Mutuelle ». A ce titre, les Etats membres
s'engageaient à aider leurs partenaires.
Nous sommes à l'époque de l'ouverture du Grand
Marché ; à ce titre, il était tout à fait
normal et logique de faire confiance aux autorités des Etats membres.
Ou alors -c'est hélas ce qui a pu se passer après et que nous
avons découvert plus tard-, un certain nombre de partenaires,
britanniques notamment, n'ont pas tout à fait joué le jeu.
M. le Rapporteur -
C'est la première fois que j'entends parler de
cette notion de Directive Assistance Mutuelle. Nous nous procurerons le
document en question.
M. Régis Leseur -
Elle a été transcrite dans le
droit français par un arrêté de 1991.
M. le Rapporteur -
D'où provenaient les farines utilisées
par les fabricants d'aliments pour animaux jusqu'auxquels les enquêteurs
sont remontés ?
M. Régis Leseur -
La grande difficulté est que notre
« commission d'enquête » à l'intérieur de notre
structure est une commission nationale. Notre pouvoir d'investigation est
national. Quand nous nous sommes trouvés devant un certain nombre de
problèmes concernant des farines étrangères, nous n'avions
que deux solutions. La première consistait, pour une période
très ancienne, à nous assurer que les farines étaient
anglaises ou d'un autre pays, auquel cas nous interrogions les services
compétents dudit pays, et la deuxième était d'utiliser la
voie judiciaire, ce que nous avons fait dans un certain nombre de cas et, de ce
fait, munis d'une commission rogatoire délivrée par un juge et
accompagnant un officier de police judiciaire, nous nous sommes rendus en
Belgique.
Nous pouvons dire avec une certaine certitude, pour ne pas dire une totale
certitude, que l'ensemble de la première vague des cas français a
très clairement une origine de farines britanniques puisqu'elle est
liée aux importations régulières des farines de
Grande-Bretagne jusqu'en 1989.
Nous ne pouvons pas aller plus loin, car il aurait fallu faire des tests en
disant que c'est la farine qui a procuré la mort, mais tout concourrait
à pouvoir dire qu'il était possible de rapporter les cas
avérés à la consommation de farines anglaises.
Dans un deuxième temps, c'était compliqué. Il est
évident que, très certainement (cela doit figurer dans notre
rapport de 1998), des farines françaises ont provoqué cette
épidémie. Pourquoi ? D'après moi, plusieurs raisons
expliquent cette situation. L'histoire nous permet de le dire : il y a eu
une sous-déclaration des cas d'ESB en France dans les années
1991-1992.
M. le Rapporteur -
L'affirmez-vous ?
M. Régis Leseur -
Pourquoi une sous-déclaration ?
C'est une maladie nouvelle, inconnue ou quasiment, parce que dans la
littérature en 1880, M. le Professeur X de l'Ecole
Vétérinaire de Toulouse a mentionné son existence. C'est
une maladie inconnue dont on voit éventuellement les premiers prodromes
par l'agriculteur, et la tentation naturelle d'un agriculteur est de se
débarrasser d'un animal dont il soupçonne qu'il n'ira pas au bout
de sa vie que ce soit en tant qu'animal de viande ou de sa vie
économique.
Ce n'est pas porter injure à qui que ce soit.
Deuxième raison : jusqu'en 1996, il y avait réutilisation
dans l'appareil d'équarrissage d'éléments qui
historiquement parlant, faisait partie de l'histoire : on
réutilisait dans le cadre de la chaîne alimentaire un certain
nombre d'éléments que l'on considère aujourd'hui comme
horribles mais qui étaient parfaitement acceptés par la
population et tout le monde à cette époque : l'utilisation
des saisies d'abattoir, voire l'utilisation de cadavres. Jusqu'en 1996, ces
produits entraient dans la chaîne de fabrication des produits
destinés à l'alimentation des animaux et personne n'y avait
trouvé à redire.
Troisième élément peut-être : on a beaucoup
glosé sur l'histoire du traitement 133 degrés, 20 minutes, 3
bars. Je rappelle qu'en 1990, à Bruxelles, quand a été
acceptée la « Directive concernant le traitement
d'équarrissage », une bagarre extraordinaire a eu lieu entre les
délégués français et allemands. Pourquoi ? Ce
procédé était allemand et uniquement allemand. De ce fait,
comme les Allemands avaient déjà utilisé un système
de ce genre concernant les poules pondeuses quelques années auparavant,
la délégation française s'est battue bec et ongles pour
obtenir « un traitement équivalent » et non pas le traitement
133 degrés, 20 minutes, 3 bars. C'est la raison essentielle pour
laquelle, dans cette directive, apparaissent ce procédé « ou
traitement équivalent ».
M. le Rapporteur -
Les importations de farines britanniques ont-elles
perduré en France après l'interdiction au plan européen
et, dans l'affirmative, d'où tenez-vous ces sources et pouvez-vous
donner quelques précisions ?
M. Régis Leseur -
Pour pouvoir dire qu'il y a eu fraude, il faut
le prouver et il est clair que les autorités britanniques en 1988 ont
décidé théoriquement, provisoirement, de ne plus donner
leurs farines animales aux animaux du cheptel britannique. Bien
évidemment, ils l'ont annoncé très tardivement. Là
encore quand il est dit qu'ils l'ont fait en 1988, cela n'a pas
été connu immédiatement. Il a fallu écrire
plusieurs fois aux autorités britanniques pour leur demander quelles
mesures elles avaient prises, et je mets ceci en parallèle avec la
Directive Assistance Mutuelle.
M. le Rapporteur -
Vous êtes allé chercher l'information,
eux-mêmes ne l'ont pas donnée.
M. Régis Leseur -
Ils l'ont peut-être donnée quelque
part, mais pas clairement. Dans cet épisode (je ne voudrais pas que l'on
ressorte de cette salle en disant que les Anglais n'ont pas joué le
jeu), mon sentiment et ma conviction profonde sont que ce dossier eût
été mieux géré si les autorités britanniques
avaient joué le jeu comme elles auraient dû le faire et si la
commission avait également joué le jeu qui était le sien
et qu'elle n'a pas joué : vous en connaissez les raisons.
A partir de là, nous pouvons nous poser un certain nombre de questions.
On a beaucoup glosé également sur le passage des farines
anglaises via l'Irlande, la Hollande et la Belgique. Nous avons vu des projets
de transactions entre des opérateurs, mais nous ne sommes ni capables ni
en mesure de dire si elles ont eu lieu. N'oublions pas qu'à partir de
1993, au terme de la modification douanière -puisque nous étions
dans le Grand Marché- une modification essentielle a eu lieu puisqu'il
n'existait plus de passages en frontières ; ils étaient
abrogés et transformés en une déclaration d'échange
de biens dont le montant variait selon les pays. Après nous pouvons dire
que nous avons constaté ceci ou cela ; je n'irai pas jusque
là. Nous n'avons pas pu, nous, avec certitude dire qu'il y a eu fraude
et nous n'avons jamais constaté de fraudes de l'embargo sur les farines
britanniques.
Cependant, une idée (plus même) est à rapporter des
procédures pénales que nous avons diligentées : des
farines anglaises ont pu être ajoutées à ce que l'on
appelle le « corn gluten field », les maïs américains et
autres sur un certain nombre de ports du Nord de l'Europe, et les poids
spécifiques, les pourcentages en phosphore et en calcium étant
à peu près identiques, il n'était pas possible de faire la
différence, mais ce n'est qu'une hypothèse.
M. le Rapporteur -
Que vous n'avez jamais pu vérifier.
M. Régis Leseur -
Que je n'ai pas pu confirmer. Il eût
fallu que les autorités belges, voire les autorités
néerlandaises, puissent approfondir le dossier.
M. le Rapporteur -
C'est une hypothèse, mais si vous l'avez
émise, vous aviez donc des idées...
M. Régis Leseur -
J'ai personnellement alerté les deux
familles professionnelles -le SYNCOPAC et le SNIA- pour leur dire de faire des
contrôles sur le corn gluten field qu'ils importaient, parce qu'il y
avait peut-être matière à fraudes. Quand nous avons
découvert cela, nous étions en 1997.
M. le Rapporteur -
Avez-vous eu le sentiment d'une écoute de la
part de ces deux organismes ?
M. Régis Leseur -
Oui. Et nous sommes en 1997-1998. Nous
commençons en 1996, nous remontons en 1992-1993 et 1990 et les
éléments que j'évoque : 1998. Tout ce qui a
été écrit à partir des contaminations
croisées sont le résultat de toutes nos enquêtes de
terrain. En 1996, nous n'imaginions pas un seul instant que nous
déboucherions sur ces problèmes.
M. le Rapporteur -
Un point nous trouble également -et quand nous
interrogeons les anglo-saxons, les réponses ne nous satisfont pas-
concernant les abats. Nous connaissons les quantités d'abats
importées avant 1990, et à partir de 1990 jusqu'en 1996, nous
savons quelle a été l'inflation en la matière. Avez-vous
des réponses, des ventilations car, quand il est question de
quantités d'abats, cela a été multiplié par 20 dans
la dernière période, et même si l'on nous dit que nous
importons du foie et des rognons, nous ne nous sommes pas mis brutalement, en
France, à manger 20 fois plus de foie ou de rognons.
M. Régis Leseur -
Quand on parle d'abats, on tombe dans la
classification douanière, anatomique et, de nombreux
éléments sont classés sous le terme d'abats. En 1990, il y
avait une interdiction de pénétration sur le territoire national
de la moelle épinière et de l'encéphale. Le foie et les
rognons n'ont jamais figuré sur cette liste.
Les Anglais ne sont pas des consommateurs d'abats. D'un autre
côté, un certain nombre d'abats ont toujours été
utilisés dans la fabrication de l'alimentation pour animaux de
compagnie. Il ne faut pas oublier cette possibilité qui a
été que, compte tenu du fait que c'est une matière
première peu onéreuse, il a pu y avoir et il y a eu beaucoup
d'utilisation d'abats pour les animaux de compagnie. Je ne pense pas qu'en
termes de consommation humaine il y ait eu brusquement une multiplication par
10 de la consommation des ménages français en foie et en rognons.
M. Georges Gruillot -
Ce que je viens d'entendre m'étonne quelque
peu. Quand nous avons abordé ce type de problème, tout le monde
s'accordait à dire que nous avions consommé
énormément de cervelles anglaises jusqu'en 1992. Ces cervelles
arrivaient à Rungis.
Vous nous dites que nous avons arrêté en 1990. Il est très
important, entre ces deux dates, de savoir la réalité.
M. Régis Leseur -
Monsieur le sénateur, je crois qu'il
existe -comme dans toute activité commerciale, des fraudes. L'histoire,
notamment en 1997 ou en 1998, nous l'a démontré. En 1990, la
décision d'interdire les cervelles anglaises figure expressément
dans l'avis aux importateurs des 5 et 6 février 1990.
De là à dire qu'il n'y a pas eu de possibilités
d'entrées sur le territoire national via la Belgique notamment, puisque
nous l'avons démontré nous concernant sur les viandes dans les
années 1997-1998, c'est un pas que je ne franchirai pas. Il n'y a pas
contradiction entre ce que je dis sur le plan du droit et les pratiques qui ont
pu exister jusqu'en 1992 et peut-être ensuite.
Encore une fois, à partir du moment où une cervelle
supposée anglaise, arrive à quitter le Royaume-Uni, qu'elle se
retrouve en Belgique ou en Allemagne, à ce moment-là elle devient
belge, allemande ou hollandaise. Comment voulez-vous dire qu'elle était
interdite sur le territoire français ? C'est le problème du
commerce triangulaire que vous évoquez par là et ce sont ceux que
nous avons eus à gérer dans le cadre des viandes en 1996 et 1997.
J'ai quitté mes fonctions à l'Administration centrale en 1992.
Rungis nous avait signalé des arrivées anormales de cervelles
anglaises qui ont été saisies à chaque fois que nous nous
étions rendu compte qu'elles étaient d'origine anglaise mais si
elles n'étaient pas expressément d'origine anglaise, si elles
avaient bénéficié d'un changement de nationalité
entre temps, elles ont, hélas, pu passer.
M. Georges Gruillot -
Cela bouleverse tout ce que l'on nous a dit depuis
3 mois. Il faudrait retrouver qui nous a dit quoi. Jusqu'à
maintenant, nous savions, dans la commission, que les Anglais avaient interdit
en 1989 en Angleterre la consommation d'abats dangereux, en particulier toutes
les matières nerveuses dont les cervelles.
M. Régis Leseur -
Ne les consommant pas, il leur était
facile de les interdire.
M. Georges Gruillot -
En France, nous ne les avons interdites
qu'à partir de 1992.
M. Régis Leseur -
Non.
M. Georges Gruillot -
Vous nous dites l'inverse de ce que nous savions
jusqu'à maintenant.
M. le Président -
Reprécisez-nous à ce sujet quels
sont les dates que vous pouvez affirmer.
M. Régis Leseur -
Monsieur le Président, je fais appel
à ma mémoire car je ne gère plus les affaires
administrative au jour le jour comme je l'ai fait à l'époque
depuis fort longtemps, mais il me semble sans trop me tromper pouvoir dire que
c'est l'avis aux importateurs de février 1990 qui a interdit la
pénétration sur le territoire français de ces abats
à risques.
Il faudrait que l'on puisse vous fournir les arrêtés, les avis aux
importateurs en question, mais ils existent et, dans tous les cas, car j'ai en
mémoire une note d'information du 23 mars 1990 où ces
éléments figurent expressément.
M. le Rapporteur -
En 1990 : interdiction et ce n'est qu'en 1992
que nous interdisons officiellement suite à un avis du Comité
Vétérinaire Permanent l'incorporation de cervelle dans les pots
pour bébés.
M. Régis Leseur -
En France, nous n'étions pas favorables
à l'utilisation de ces tissus nerveux quelle que soit l'origine. Encore
une fois, il faut repartir d'un autre débat qui est celui sur la viande
hachée. Avant les années 90, il y avait eu un très grand
débat opposant la France aux autres pays et notamment le Royaume-Uni,
sur la viande hachée.
La viande hachée française comme je le disais à
l'époque, « la viande hachée à la française
» était constituée exclusivement de parties nobles. Alors
que nos amis britanniques utilisaient pour cette viande hachée,
plutôt consommée sous la forme de boulettes, un magma de tout.
La Directive Viande Hachée qui a fini par sortir était
très claire sur la question : ne pouvait recevoir la
dénomination « viande hachée » que des viandes
constituées uniquement de morceaux nobles.
Un débat a eu lieu sur un autre concept : la préparation de
viandes hachées, où entraient un certain nombre de
mélanges, de produits, mais je ne me souviens plus à quelle
époque et étant en responsabilité à cette
époque, je peux vous dire que l'une des négociations à
laquelle nous avions abouti était que ces fameuses viandes de
piètre qualité étaient destinées, tout au moins
jusqu'en 1992, au marché anglais. Il n'était pas question
qu'elles pénètrent sur le territoire français, car nous
maintenions le fait que les viandes hachées avec une valorisation
extrêmement importante, qu'elles étaient très
intéressantes pour les collectivités et la filière parce
que c'était l'utilisation d'un certain nombre de bas morceaux que le
consommateur français ne voulait plus consommer (les avants des animaux)
et qu'il était intelligent et intéressant de les faire consommer
sous la forme de viande hachée. La spécificité
française de la viande hachée a été très
forte en cette matière.
Ensuite, le débat s'est posé sur les pots pour
bébés. Nous n'étions plus dans le cadre de la viande
hachée mais dans celui des préparations quelle que soit la
destination et, à ce titre, compte tenu que les anglais continuaient
d'utiliser les magma de tout ce que vous voulez, le débat a eu lieu et
cela a abouti à un arrêté en France en 1993 sur
l'interdiction d'utiliser les cervelles et autres dans le cadre de
l'alimentation pour les enfants.
En 1993, est sorti le fameux arrêté sur les petits pots pour
bébés.
M. Paul Blanc -
Précédemment, vous avez insisté
lourdement en disant que jusqu'en 1992 l'ESB était
considérée exclusivement comme une maladie animale. Or, il semble
qu'il ait existé un rapport de l'Académie de Médecine de
1990 qui demandait de ne pas exclure la possibilité de la transmission
à l'homme. Qu'en est-il ?
M. Régis Leseur -
Il est évident que quand je
déclare que les connaissances scientifiques de l'époque nous
incitaient à dire que la maladie n'était qu'une maladie d'animal,
je le tiens des scientifiques pertinents de l'époque, mais il est
évident qu'au titre du ministère de l'Agriculture, dans le cadre
de nos fonctions (je rappelle que la loi de 1965 commence ainsi : «
Dans le cadre de protection de la santé publique, il doit être
procédé à... », l'interrogation d'une possible
transmission à l'homme a toujours existé, même en 1989 et
en 1990, mais aucun élément pertinent ne venait corroborer cette
thèse, en raison de sa similitude avec la tremblante avec laquelle nous
vivons depuis 200 ou 300 ans et qui ne s'est jamais transmise à l'homme.
Il a fallu attendre officiellement 1996 pour avoir une approche
différente car, encore une fois en 1993 et en 1994, aucun scientifique
digne de ce nom n'a commencé à dire : « Attention, cela
risque de passer la rampe ».
Bien sûr, il y a eu ce cas de la barrière d'espèce par les
chats en 1990. Les scientifiques ont dit que ce sont des choses qui arrivent.
L'Administration est devenue le gestionnaire du risque (puisque cette
répartition des rôles est relativement récente) et,
à l'époque, nous avions fait l'analyse et n'imaginions pas
collectivement que la maladie passerait à l'homme. Jusqu'en 1996, nous
ne l'imaginions pas et, aujourd'hui, Monsieur le sénateur, des questions
restent ouvertes, même si nous ne pouvons raisonnablement pas penser
qu'elle a pu être transmise à l'homme par la Maladie de
Creutzfeldt-Jakob.
M. Paul Blanc
- Vous n'avez pas eu connaissance de ce rapport de
l'Académie de Médecine en 1990 ?
M. Régis Leseur -
Dans un compte rendu de réunion, je me
souviens qu'a été évoqué le problème de
passage à l'homme et nous avons dit rapidement que pour l'instant ce
n'était pas d'actualité sur le territoire français, car
nous n'avions aucun cas et, dès 1990, nous avions pris des mesures
officiellement vis-à-vis de l'importation des denrées à
risques britanniques.
Voilà la raison pour laquelle nous n'avons pas poussé plus avant
cette recherche.
M. le Rapporteur -
Je reviendrai sur un point concernant la viande.
Je me suis laissé dire qu'il existait un mouvement
d'exportation/importation de viande française allant vers l'Angleterre
et de l'Angleterre revenant en France considérant que des outils de
désossage britanniques avaient une performance bien supérieure
aux outils français, et des mouvements tout à fait légaux
ont eu lieu en la matière. Confirmez-vous ce savoir-faire bien
supérieur des outils de découpe anglo-saxons ?
M. Régis Leseur -
Tout dépend, là encore, Monsieur
le rapporteur, à partir de quand. Il est exact que certains outils
britanniques étaient plus performants, mais je ne vois pas
l'intérêt économiquement d'abattre des animaux sur le
territoire français, de les transformer à Rungis, ou
éventuellement en Normandie, de les amener à Rungis de les
renvoyer au Royaume-Uni, de les triturer et de les ramener sur le territoire
français à un prix compétitif.
Sur le plan purement économique j'ai du mal à le croire. Que
certains faiseurs dans le cadre de sociétés pouvant avoir deux
ateliers avec des commerces ou des destinations différentes aient pu
pratiquer cette opération, pourquoi pas, mais il ne peut s'agir d'un
phénomène de grande ampleur.
M. le Rapporteur -
Concernant les lacto-remplaceurs, avez-vous eu des
informations concernant l'incorporation à un certain moment dans
certaines marques, d'extraits de protéines ?
M. Régis Leseur -
Avec un lacto-remplaceur, ou une matière
grasse, car le lacto-remplaceur est une matière grasse, on a
forcément un pourcentage de protéines, le support de la
matière grasse étant lié par des lignes protéiques.
C'est de la physiologie basique.
Il n'est pas nécessaire d'ajouter des éléments car il
existe déjà un support protéique dans la matière
grasse. Il est faible, inférieur à 1 %, mais il existe.
La vraie question qui s'est posée est de savoir si les matières
grasses en tant que telles pouvaient transmettre un certain nombre
d'éléments.
A ce jour, la réponse n'est pas donnée. Nous avons posé
cette question en 1995-1996, dans une des recommandations au titre du
ministère de l'Agriculture dans un rapport que le ministre m'avait
demandé d'établir. J'avais écrit qu'il paraissait
souhaitable de s'intéresser à la connaissance scientifique
concernant ce problème pour qu'il soit définitivement
tranché, mais il est vrai qu'une des hypothèses de transmission a
été l'utilisation non pas de protéines ajoutées
à la matière grasse mais de matières grasses en tant que
telles, parce que ce composant protéique peut dans certaines conditions
être générateur.
M. le Rapporteur -
En tant qu'ancien sous-directeur à
l'Hygiène Alimentaire, à la D.G.A.L. vous avez sans doute
assisté à des réunions du Comité
Vétérinaire Permanent. Etes-vous satisfait de son
fonctionnement ? Vous avez vu de l'intérieur comment fonctionnait
la Commission Européenne dans cette affaire. Etes-vous conscient sous la
présidence Ray Mac Sharry et dans le contexte de la préparation
du marché unique, qu'il y a eu une volonté ferme d'occulter tous
ces problèmes qui n'avaient pas l'ampleur qu'ils ont aujourd'hui ?
M. Régis Leseur -
Monsieur le rapporteur, ma connaissance du
Comité Vétérinaire Permanent était liée,
durant l'exercice de mes compétences à l'Administration centrale,
aux problèmes de santé publique. Ces problèmes ne sont
jamais venus sur la table, hormis une fois en 1990. Nous n'avons pas eu
à en parler, ce qui ne signifie pas qu'ils n'existaient pas mais cela me
permet de confirmer l'hypothèse que vous formulez, à savoir une
volonté manifeste, de la part de la Commission, de ne pas
débattre sur ce sujet.
Toutefois, je n'ai pas été le témoin personnellement de
quelconques problèmes. A posteriori, je peux dire qu'en dépit de
demandes extrêmement fortes de la délégation
française, notamment au niveau de la maladie, de la farine, il n'y a pas
eu de débat. Il a fallu attendre 1994 pour que sorte une directive
concernant l'utilisation des protéines dans l'alimentation animale.
M. Jean-François Humbert -
Accepteriez-vous que nous revenions
sur l'importation des matériaux à risques ? Notre rapporteur
a attiré l'attention sur une augmentation considérable des
importations après l'interdiction en Angleterre, et il semblerait que
certaines ayant transité par la Hollande et la Belgique il
n'était pas possible de s'y retrouver. Notre rapporteur évoquait
l'augmentation considérable des matériaux à risques
importés d'Angleterre clairement identifiés comme étant
britannique. Cela signifie-t-il qu'il y en aurait eu plus avec ce qui a
transité par la Hollande et la Belgique ?
M. Régis Leseur -
Je n'ai pas le sentiment que, sur les
matériaux à risques (je n'ai pas parlé de foie ou de
rognons, mais de la cervelle et de la moelle épinière, ce que
nous appelons dans notre jargon les « amourettes »), une augmentation
très importante, voire extrêmement importante en provenance du
Royaume-Uni, soit intervenue. Qu'il y ait eu des fraudes, bien
évidemment, car je vous ai dit que Rungis avait signalé un
certain nombre de fraudes, mais qu'elles aient été nombreuses et
aient duré longtemps, je ne le pense pas.
M. Jean Bernard -
Aucune traçabilité n'était-elle
exigée ?
M. Régis Leseur -
Ce terme n'était pas créé
en tant que tel.
M. le Président -
Je crois que l'ensemble de nos collègues
ont posé toutes les questions qu'ils avaient à poser, Merci de
vous être prêté à cette séance et nous
espérons pourvoir en faire le meilleur usage.
Audition de M. Jean-Marc BOURNIGAL,
Attaché agricole à
l'Ambassade de France à
Rome
(4 avril 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Merci d'avoir
répondu à notre convocation. Vous êtes auditionné ce
matin comme attaché agricole à l'ambassade de France à
Rome, mais principalement compte tenu des postes que vous avez occupés.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Bournigal.
M. le Président -
Dans votre cursus, des passages indiquent que
vous avez été adjoint d'attachés agricoles au poste
d'expansion économique de l'ambassade de France à Londres entre
1988 et 1990 et que, par ailleurs, vous avez également été
chargé de missions au ministère de l'Agriculture, en particulier
auprès de M. Philippe Vasseur. Vous avez obligatoirement au cours de vos
différentes missions, été au courant des problèmes
qui nous intéressent tout particulièrement. Peut-être
pouvez-vous nous dire dans un premier temps votre sentiment sur cette affaire
et ensuite nous vous poserons les questions que nous souhaitons vous poser.
M. Jean-Marc Bournigal -
Je vais replacer mon cursus depuis les
années 1988. J'ai commencé ma carrière dans le cadre du
service national au Pôle d'Expansion de Londres où j'étais
chargé du suivi des problèmes vétérinaires.
Je suis vétérinaire inspecteur en chef et j'ai été
nommé à la Direction Générale de l'Alimentation en
1990 où j'ai commencé par m'occuper plus particulièrement
des programmes d'assurance qualité dans l'agro-alimentaire et les
aspects environnementaux, puis j'ai été responsable d'un bureau
chargé de la tutelle de l'industrie agro-alimentaire dans les secteurs
de la charcuterie et salaisons, de la volaille et de l'alimentation animale, de
la restauration collective et, ensuite, conseiller du Directeur
Général de l'Alimentation chargé des relations avec le
cabinet.
En 1995, j'ai été nommé conseiller technique au cabinet de
M. Philippe Vasseur où j'étais en charge des dossiers relatifs
à l'Aménagement rural, au Développement rural, à
l'Environnement et à tous les aspects sanitaires. J'ai été
chef de la mission de coordination sanitaire internationale où j'ai
été chargé des négociations internationales en
matière sanitaire, du suivi des importations et du suivi du
Comité Vétérinaire permanent à Bruxelles. Je suis
depuis 1989 attaché agricole à l'ambassade de France à
Rome.
Depuis le début de ma carrière, j'ai rencontré l'ESB
à différentes reprises dans les postes successifs que j'ai
occupés. Dès 1988-1989 (mon premier poste en Grande-Bretagne)
c'était l'apparition d'une nouvelle maladie animale dans les
années 1987, avec les premières mesures qui ont été
prises par les Britanniques à partir de 1988 et une succession de
mesures, aussi bien au niveau britannique qu'au niveau communautaire qui se
sont enchaînées régulièrement sur maintenant plus de
10 ans.
Je crois que, globalement, deux phases sont apparues dans ce dossier. La
première : apparition d'une nouvelle maladie animale et les mesures
de lutte mises en place au niveau britannique et communautaire avec
différents épisodes de prises de mesures unilatérales par
certains Etats membres.
Il était question d'une nouvelle maladie animale où, sans que
l'aspect transmission à l'homme n'ait été
complètement écarté des réflexions, dans tous les
cas, il n'était pas au coeur des décisions de cette phase.
La deuxième phase date de mars 1996 où le ministre de la
Santé britannique a fait une déclaration devant le Parlement dans
laquelle les autorités anglaises mettaient officiellement en avant un
risque potentiel de transmission de la maladie à l'homme et, à
partir de ce moment-là, les événements se sont
accélérés, probablement peut-être à
l'initiative de la France dans un premier temps car dès l'annonce de M.
Stephen Dorrell devant le Parlement britannique, la France a mis en place un
embargo sur les produits britanniques suivi d'une certaine
accélération liée à une mobilisation plus
importante de la communauté scientifique qui, pendant de nombreuses
années, a été tenue à l'écart des
réflexions techniques et des connaissances par leurs collègues
britanniques. Quand la communauté scientifique française et celle
des autres pays européens ont commencé à avoir
accès à toute une série de données, il est devenu
possible de lever les doutes et prendre des mesures de précaution alors
qu'avant 1996 des études et des recherches étaient menées
en Grande-Bretagne, dont la transmission aux collègues des autres pays
européens était véritablement très limitée.
D'après ma connaissance personnelle, quand j'étais en 1988-1989
en Grande-Bretagne, le rôle d'une ambassade était de suivre ce qui
se passe dans le pays d'implantation et d'informer régulièrement
les autorités parisiennes des décisions prises en
Grande-Bretagne. L'ambassade a tenu son rôle pendant cette
période.
Il est vrai que la situation pouvait paraître (surtout a posteriori) peu
claire, mais il est vrai qu'il s'agissait d'une nouvelle maladie animale. Nous
avons recherché la source. Les publications n'étaient pas d'une
grande clarté de même que les mesures prises par les Britanniques.
Nous envoyions des informations régulières en France sans qu'une
analyse globale puisse être faite dans des instances de réflexions
périphériques car, au fur et à mesure que les
données sortaient, les Britanniques donnaient des bribes d'information
et prenaient des mesures.
M. le Président -
Confirmez-vous que l'ambassade a envoyé
en France les informations que l'on pouvait connaître à
l'époque ? Sous quelle forme étaient-elles transmises ?
M. Jean-Marc Bournigal -
Les formes habituelles de transmission :
les télégrammes diplomatiques.
M. le Président -
Que l'on peut retrouver à l'ambassade.
M. Jean-Marc Bournigal -
A l'ambassade ou au Quai d'Orsay.
M. Paul Blanc -
Cela transitait-il par le Quai d'Orsay ?
M. Jean-Marc Bournigal -
Les télégrammes diplomatiques
sont signés systématiquement par l'ambassadeur.
M. Paul Blanc -
Il n'y a pas de transmission directement au
ministère de l'Agriculture ou de la Santé.
M. Jean-Marc Bournigal -
En général, non.
M. le Président -
Normalement, le Quai d'Orsay retransmet ensuite
aux différents ministères concernés.
M. Jean-Marc Bournigal -
Oui.
Ensuite, la deuxième phase de ma carrière pendant laquelle j'ai
eu à connaître l'ensemble de ce dossier a plutôt
commencé en mars 1996, car plusieurs mesures ont été
prises entre début 1990 et mars 1996 pour lesquelles je n'étais
pas directement concerné. Quand en 1996, nous avons recommencé
à prendre ce dossier lié aux déclarations du
ministère britannique, des mesures étaient en place aussi bien au
niveau communautaire qu'au niveau français :
Les interdictions d'utilisation des farines pour l'alimentation ont
été mises en place en 1990 pour les bovins en France et, en 1994,
ont été étendues à l'ensemble des ruminants.
Un réseau d'épidémio-surveillance existant depuis 1990 en
France, avait permis de détecter quelques cas.
Les mesures d'éradication dès la découverte d'un cas,
à savoir l'abattage de l'animal et du troupeau, étaient en place.
Les échanges avec les Britanniques étaient limités depuis
le début les années 1990 aux animaux de moins de 6 mois et l'on
ne pouvait recevoir sur le territoire français que de la viande
désossée des animaux de plus de 30 mois.
C'était la situation en 1996.
La déclaration du ministère Britannique publique, devant le
Parlement et la presse nous a énormément inquiétés
car elle n'avait pas été préparée, et ses
collègues des autres pays n'avaient pas été
prévenus préalablement, ce qui n'est pas une pratique habituelle.
Nous l'avons su le matin avant la communication. Ensuite, nous avons
tenté désespérément d'avoir des informations
complémentaires de la part des Britanniques. J'ai essayé d'avoir
mon homologue au ministère de l'Agriculture. En désespoir de
cause M. Vasseur et M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat
à la Santé, avaient fait de même.
C'est dans ce climat d'inquiétude où nous ignorions ce qui
sous-tendait la décision britannique, dans laquelle il n'entrait pas de
communication scientifique, que l'on mettait en avant un risque. En l'absence
de toute possibilité de clarification, il a été
décidé au niveau du Premier ministre, de bloquer totalement la
Grande-Bretagne et nous avons mis en place un embargo qui a été
généralisé au niveau communautaire quelques jours plus
tard.
Dès cette décision, tout le reste de la gestion de la crise s'est
opérée en appliquant un principe relativement simple : le
principe de précaution, qui est véritablement devenu à la
mode, à partir de cette date et que nous avons tenté d'appliquer
pendant toute la phase suivante.
Egalement, un principe de transparence car cette nouvelle annonce avait
fortement inquiété les consommateurs, ce qui se traduisait sur le
niveau de la consommation de l'ensemble de ces produits et la situation
était catastrophique.
A partir de ce moment, nous avons regardé quels étaient les
niveaux de connaissance que l'on pouvait avoir en France sur cet aspect
particulier de la transmission de la maladie à l'homme et des
modalités de transmission. Nous nous sommes alors aperçus que nos
scientifiques, globalement, disposaient d'assez peu d'informations et,
qu'ensuite, nous n'avions pas de structure ad hoc pour répondre au
Gouvernement de façon continue, d'où la création le 17
avril du Comité Dormont, l'idée étant de rassembler dans
une seule instance la totalité des données scientifiques capables
d'apporter un éclairage médical vétérinaire ou
universitaire sur cette problématique avec un triple objectif :
- Faire un inventaire des connaissances disponibles et notamment essayer
d'avoir des contacts avec leurs homologues Britanniques pour voir quel
était l'état des connaissances.
- Répondre ou accompagner le Gouvernement dans les différentes
décisions qu'il était amené à prendre, ce qui s'est
traduit par une série de questions qui ont été
posées par l'ensemble des administrations concernées pendant des
années à l'ensemble de la filière, sur les comportements
non seulement sur les aspects alimentaires, mais sur tous les aspects
sanitaires.
- Bâtir un cadre pour créer un programme de recherche digne de ce
nom au niveau français, de façon à fédérer
les différentes équipes françaises et à les mettre
sur les pistes des recherches impérativement nécessaires.
Toute la difficulté de la crise était, pendant très
longtemps et encore aujourd'hui, que nous avions à gérer des
doutes. Le principe de précaution est une disposition très
difficile à manier car nous gérons de l'incertitude, et prendre
les décisions en gérant de l'incertitude et communiquer s'est
révélé un exercice extrêmement difficile à
mener pendant les mois qui ont suivi.
A partir de ce moment, une fois ce Comité créé, une
première question a été très rapidement
posée et les réponses se sont enchaînées. Les
premières actions en direct sont venues plus tôt, car les 3 et 4
avril une première réunion a eu lieu au niveau de l'OMS sur l'ESB
à partir de laquelle le Gouvernement avait pris la décision de
retirer de la consommation humaine et animale les premiers matériaux
à risques spécifiés des animaux nés avant juillet
1991 qui étaient la moelle épinière, le cerveau, les yeux,
la rate, le thymus et l'intestin ; c'était la première
préconisation donnée par l'OMS, qui indiquait que dans les pays
connaissant des cas d'ESB, il convenait de prendre des mesures
particulières pour que les tissus susceptibles d'être
contaminés soient retirés de la consommation.
Dès ce moment et dès la création du Comité, le
ministère de l'Agriculture, mais également tous les autres
ministères, ont systématiquement, sur la base de chacun des avis
scientifiques tant au niveau de l'OMS que du Comité sur les
encéphalopathies spongiformes sub-aiguës transmissibles
présidé par M. Dormont, suivi à la lettre les mesures
préconisées par les comités scientifiques. A posteriori,
l'on peut trouver apocalyptique d'ajouter le cerveau, l'oeil et la rate puis
d'enlever un morceau.
Il faut être honnête, les avis scientifiques, tout au long de ces
périodes, ont été assez variables. L'appréciation
générale du risque de cette maladie au fur et à mesure de
l'évolution de la connaissance a amené des modifications
successives de la réglementation, qui ont été quelque peu
difficiles à expliquer à la population mais, dans tous les cas,
les mesures de précaution ont été prises
systématiquement.
S'agissant des difficultés de gestion, puisque c'est peut-être ce
qui vous intéresse, outre la difficulté de mise en place des
mesures, notamment celles concernant le retrait des cadavres et des saisies
d'abattoir de la fabrication de farines pour l'alimentation qui ont
été extrêmement importantes à gérer puisqu'il
y avait des farines un peu partout, le temps de réussir à
déterminer les problèmes de stockage, d'incinération et de
destruction avec la totalité des avis scientifiques pour trouver dans
quelle industrie, pour assurer la protection des travailleurs, l'inactivation
effective de l'agent et la mise en oeuvre de l'utilisation des
incinérateurs comme les cimenteries, ont été
pénibles à gérer pour tout le monde.
Cela a abouti également à une modification de la loi de 1975 sur
l'équarrissage avec la création d'un service public.
C'était une difficulté de mise en oeuvre liée à
l'ampleur du système qu'il a fallu modifier, aux quantités,
à la répartition sur le territoire, ce qui peut expliquer les
difficultés que nous avons eues.
Les difficultés plus graves se situent dans les rapports que nous avons
pu avoir avec nos partenaires Etat membres et la Commission.
Il est vrai que la France a pris les premières mesures dès le 4
et le 5 avril, suite à la réunion de l'OMS et, au fur et à
mesure que le Comité Dormont prenait des mesures,
systématiquement, elles ont été transmises à la
Commission Européenne.
La création d'un comité multidisciplinaire avait
été demandée par la France et par le Premier ministre au
Président Santerre qui a répondu à cette attente, mais
force est de constater que les avis scientifiques sur lesquels la France avait
pris des mesures n'ont pas permis pendant de nombreuses années à
la Commission d'obtenir une harmonisation communautaire en la matière.
Ceci a amené la France non seulement à prendre des mesures sur
son propre territoire mais à les étendre aux échanges
intérieurs à partir du mois de septembre 1996 pour limiter
l'importation des MRS et des aliments en contenant, de façon à
assurer une cohérence de la mise en place des mesures qui avaient
été prises au niveau français.
Je crois que c'est la principale difficulté rencontrée sur ce
dossier, qui n'était pas forcément liée à la
mauvaise volonté de la Commission qui, dès l'été
1996, avait fait des propositions qui allaient dans le sens des mesures prises
en France. C'est surtout la division de l'Europe entre le clan des pays
comportant des cas d'ESB et le clan des pays non atteints qui a joué.
Il est vrai que les avis scientifiques pouvaient toujours être lus
à double sens, puisqu'à chaque fois on disait qu'il convenait de
prendre des mesures pour les pays ayant des cas d'ESB ou dont le risque
était avéré. Les autres pays n`ayant pas de cas d'ESB ont
toujours considéré que le risque n'était pas
avéré. Rétroactivement au vu du nombre de cas en
Allemagne, en Espagne et en Italie, nous pouvons en sourire.
La grande difficulté a été là, et le levier a
commencé à basculer à partir du moment ment où le
nombre de pays avec des cas d'ESB est devenu plus important que le nombre de
pays sans cas d'ESB. Nous avons finalement abouti à des mesures de
retrait de MRS au niveau communautaire qui sont entrées en application
en septembre 2000.
C'était la grande difficulté de la gestion de ce dossier outre
celles d'ordre pratique, de mise en oeuvre de ses mesures qui ont
été extrêmement lourdes.
M. le Rapporteur -
S'agissant de votre période britannique, vous
avez dit que, d'après vous, l'ambassade avait « fait son travail
» et transmis les informations qu'elle avait recueillies ou que vous lui
aviez fournies en la matière. Avez-vous l'impression avec le recul, que
les autorités britanniques ont fait preuve de rigueur ou de
désinvolture dans l'approche du phénomène et, dans un
deuxième temps, rigueur ou désinvolture dans la transmission de
l'information ?
M. Jean-Marc Bournigal -
A la fin des années 80, l'organisation
générale de l'Administration de contrôle en Grande-Bretagne
était extrêmement faible. On sortait de la fin de la
révision structurelle de l'Etat Britannique sur la période de Mme
Thatcher et, en matière vétérinaire, la totalité
des contrôles était passée dans les mains des communes qui
avaient des employés locaux en la matière. Il n'existait plus
véritablement de services d'Etat.
M. le Rapporteur -
Le garde champêtre faisait office de ?
M. Jean-Marc Bournigal -
Il n'y avait plus de services d'Etat en tant
que tels ; les communes, les municipalités possédant un
abattoir, embauchaient elles-mêmes le vétérinaire. Il
existait néanmoins un vétérinaire dûment
patenté conformément au droit communautaire en vigueur.
M. le Rapporteur -
Sans aucune centralisation ni cohérence ?
M. Jean-Marc Bournigal -
Les obligations de communication sont
prévues dans les textes communautaires avec un minimum de flux de
remontée d'informations, de façon que chaque pays puisse informer
la Communauté qui établit des rapports annuels. Il n'y avait pas
de structure d'Etat dans le sens où l'Etat était responsable des
négociations communautaires et les autorités locales
géraient la mise en place des mesures, ce qui ne rendait pas pratique la
vision que l'on pouvait avoir de la réalité sur le terrain. Nous
n'avions pas d'interlocuteurs avec une vision très horizontale de tout
ce qui passait.
En matière d'ESB, quand la maladie a été
identifiée, pendant un certain temps, la communication officielle
britannique a toujours été minimaliste : « C'est une
nouvelle maladie animale, une encéphalopathie existant
déjà chez les moutons et dans toutes les espèces, y
compris chez l'homme. Cela n'a rien d'extraordinaire ». Il a fallu
regarder l'augmentation de la courbe ; au fur et à mesure que les
cas augmentaient, l'inquiétude a grandi et les discours ont
changé.
Dans un premier temps, c'était présenté comme étant
une encéphalopathie banale puisqu'elle existait dans toutes les
espèces de mammifères de façon étendue.
La communication vis-à-vis de l'étranger en la matière a
toujours été très faible, car la Grande-Bretagne a
dû en faire état à l'O.I.E. (qui est véritablement,
dans le monde vétérinaire, la référence pour le
suivi de tout ce qui concerne les maladies animales) en 1988-1989 en
présentant cette maladie comme étant une encéphalopathie...
Quand les scientifiques ont commencé à isoler potentiellement
l'origine car, compte tenu de l'augmentation du nombre de cas, ils sont
arrivés à se demander pourquoi ils avait une explosion de cas
à ce niveau, l'épidémiologie a rapidement
démontré que nous étions face à une «
anadémie », une contamination de source alimentaire. Les
premières théories sont apparues ; « Soit c'est la
tremblante qui est passée sur le bovin ou, plus probablement, une
maladie préexistant chez les bovins et qui a été
recyclée dans l'espèce à travers l'alimentation animale
».
La présentation initiale qui avait plutôt pour but de calmer les
foules, était fondée sur le fait qu'il s'agissait d'une maladie
animale sans problème particulier vis-à-vis de l'homme et ils
mettaient en avant la comparaison avec la tremblante non transmissible à
l'homme. Concernant la communication des décisions prises, la tradition
britannique est de procéder à communications très simples.
Ils sortent des petits communiqués de presse indiquant que telle
réglementation sera mise en place, sans de publicité ni lettre
d'avertissement particulières.
M. le Rapporteur -
Sur votre période française de 1995
à 1997, sous le ministère de M. Vasseur, vous avez pris la
décision de déterminer un embargo en 1996. Quels ont
été les éléments déclenchants la
réaction de la Commission Européenne ? Cela a-t-il
été facile à gérer ?
M. Jean-Marc Bournigal -
Nous étions dans un contexte où
depuis les années 90 la Commission Européenne avait
édicté toute une série de textes, aussi bien pour limiter
les exportations d'animaux vivants que de produits ; avaient
également été mis en place des systèmes de
traitement des farines de 1994 avec la norme de 133 degrés,
20 minutes, 3 bars.
Le facteur déclenchant résidait dans la manière quelque
peu impromptue dont le Gouvernement britannique a décidé de
communiquer en la matière, sans avertir personne, sans communication
technique préalable. Quand nous avons demandé à nos
scientifiques s'ils étaient au courant d'éléments
particuliers, ils n'en savaient pas plus que nous. Aucune réponse de la
part des Britanniques et du monde scientifique, du côté
français, quelque peu perplexe à l'égard de ce qui pouvait
sous-tendre la communication du Gouvernement britannique en la matière.
Nous l'avons annoncé ainsi à l'époque : « Nous
bloquons tout , nous attendons de voir ce qui se passe et nous verrons ensuite
». C'était dans cet esprit, alors que nous étions
très inquiets, que nous avons pris l'assurance de voir comment
réagissait la presse britannique à la communication faite au
Parlement par le Gouvernement britannique. Nous nous sommes aperçus, le
lendemain matin, en téléphonant dans quelques salles de presse
que cela ferait la Une de tous les journaux en Grande-Bretagne. Cela allait
« souffler très fort » le lendemain, sans que nous soyons
capables du côté français de répondre quoi que ce
soit à nos consommateurs globalement puisque, de toutes les
manières, nous ne savions rien.
Le facteur déclenchant était inconnu. Nous savions que nous
allions devoir répondre à une série d'interrogations et
nous n'avions pas d'éléments ni pour dire que c'était vrai
ni pour dire que c'était faux, mais c'était inquiétant.
La meilleure solution était de dire : « Nous fermons tout,
nous attendons de voir ce que diront les Britanniques et sur quelle base ils
ont pris cela et qu'ils s'expliquent » et le lendemain nous avons
été capables de répondre qu'effectivement la France
décidait d'un embargo .
La réaction de la Commission : toute mesure unilatérale
d'une ampleur aussi importante est rarement bien reçue. Compte tenu du
fait que la Commission n'avait pas beaucoup plus d'éléments que
la France en la matière, le débat a tourné relativement
court. Le lendemain, cela a soufflé extrêmement fort sur tous les
pays européens, d'autres pays ont suivi la France et la Commission de
même.
M. le Rapporteur -
Durant votre période italienne, avez-vous pu
recueillir des informations sur les quantités de farines
importées par le Gouvernement italien et les entreprises italiennes, et
savez-vous à quelle date les autorités italiennes ont pris des
mesures pour les retraits des matériaux à risques, l'interdiction
des farines pour les ruminants et les tests de dépistage ? Un
décalage s'est-il produit par rapport à la position
française ?
M. Jean-Marc Bournigal -
Indéniablement. S'agit-il des
importations de farines des années 80 ?
M. le Rapporteur -
Surtout après.
M. Jean-Marc Bournigal -
Traditionnellement, l'Italie n'est pas un grand
importateur de farines. Les quantités doivent être relativement
faibles. Il est possible de retrouver ces données, chaque pays ayant
remis un rapport dans le cadre de l'évaluation des risques conduite au
niveau communautaire. Sur la base du rapport italien, l'Italie se retrouvait
dans une catégorie à risques, similaire à celle de la
France.
L'exposition aux risques, en la matière, bien que probablement un peu
plus faible en termes quantitatifs en raison de la proportion de leur
système d'élevage et leur spécificité, est
similaire. En matière de prise de décisions, l'Italie s'est
calée sur les décisions communautaires. Les interdictions
d'utilisation des farines pour l'alimentation des ruminants ont
été prises en 1994, en même temps que la décision
communautaire, et les retraits des matériaux à risques ont
été imposés le jour de l'entrée en vigueur du texte
à savoir en septembre 2000. Avant cette période, il n'existait
aucune mesure spécifique en la matière.
Le réseau d'épidémio-surveillance a été mis
en oeuvre depuis de nombreuses années mais, au regard des chiffres, nous
nous apercevons que le réseau n'a jamais permis de détecter de
cas d'ESB depuis la mise en place des tests au 1er janvier de cette
année ; sur 60 000 tests réalisés à ce jour
par les autorités italiennes, 11 cas ont été
découverts, toujours grâce aux tests. Le réseau
d'épidémio-surveillance n'a jamais fait remonter un seul cas en
la matière.
L'Italie est un grand importateur d'animaux : nous expédions un
million de bovins par an sur l'Italie (comme sur l'Espagne, l'Allemagne et la
Pologne). Il ne s'agit pas uniquement des farines.
Le niveau de risques a été jugé par les experts
communautaires comme étant similaire à celui de la France pour
les échanges de farines et d'animaux, extrêmement importants
depuis toujours.
M. le Rapporteur -
Avez-vous le sentiment que les autorités
italiennes réfléchissent à une réorientation de la
politique agricole commune ou a-t-elle pris des distances ?
M. Jean-Marc Bournigal -
Il est difficile de présenter la
situation sous cette forme, car le Gouvernement en place en Italie est en
période pré-électorale. Les chambres sont dissoutes et les
élections se passeront en mai. La particularité du Gouvernement
italien est d'avoir un ministre de l'Agriculture qui se trouve être le
n° 2 des Verts et milite, depuis son arrivée à ce poste,
pour une certaine réorientation de l'agriculture en faveur des produits
typiques et biologiques. Aujourd'hui, l'Italie fait partie des pays qui
demandent une réorientation de la politique agricole commune rapide et
immédiate.
Il faut attendre un peu. Lors des négociations de l'agenda 2000, un
groupe de pays s'était ligué (la Suède, l'Angleterre, le
Danemark et l'Italie) et avait réussi à bloquer les
négociations malgré des intérêts divergents.
Ce groupe s'est maintenu par la suite, s'est élargi l'année
dernière au premier semestre (il a été
dénommé le Groupe de Capri) avec l'arrivée des Pays-Bas.
Il se réunira une fois avec l'Allemagne. Ce Groupe est le plus
véhément, actuellement, dans les débats sur la
réorientation de la politique agricole commune.
M. le Président -
Nous vous remercions.
Votre carrière est tout à fait intéressante par rapport
à l'ESB, car vous l'avez vécu à différents niveaux
et vous avez bien retracé la qualité de ce qui s'est passé
tel que vous l'avez vu et ressenti.
Merci beaucoup.
Audition de M. Philippe VASSEUR,
ancien ministre de l'Agriculture, de la
Pêche et de
l'Alimentation
(4 avril 2001)
M.
Gérard Dériot, Président -
Merci d'avoir
répondu à notre convocation, Monsieur le ministre.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Vasseur.
M. le Président -
Je vous passerai la parole afin que vous
puissiez donner votre sentiment sur le problème qui nous
intéresse et auquel vous avez été confronté.
Ensuite nous vous poserons des questions.
M. Philippe Vasseur -
Merci, Monsieur le Président, mon
introduction sera relativement brève car, soit je retrace la
totalité des faits mais vous les connaissez déjà, soit je
plante quelques points de repère et je réponds aux questions.
J'ai exercé ma responsabilité entre mai 1995 et mai 1997, pendant
2 ans, mais je pense que l'on ne peut pas détacher sur une
période de 2 ans des faits qui se sont produits antérieurement et
ont continué de se produire ensuite .
Je rappellerai quelques dates qui me paraissent des dates clés et ferai
ressortir sur ces dates quelques points forts qui, de mon point de vue,
méritent que l'on s'y arrête.
La première période était celle de ces 3 années
(1988 1989 et 1990) au cours desquelles nous avons connu, en 1988,
l'interdiction au Royaume-Uni de nourrir les ruminants avec les farines,
période qui s'est traduite conjointement, entre 1988 et 1989, par une
très forte augmentation -pratiquement un doublement- des importations de
farines d'origine britannique en France, compte tenu du fait que ces farines
avaient vu leur coût baisser en Grande-Bretagne et qu'il y a eu, de la
part des exportateurs britanniques une attitude qui a consisté à
essayer d'en vendre un maximum en France. C'est un premier point sur lequel
nous insistons. En 1989, la France a interdit les importations de farines en
provenance du Royaume-Uni et en 1990 la décision a été
prise dans notre pays d'interdire de nourrir les bovins avec les farines
animales.
Deux années (1988-1989) pendant lesquelles cette mise en place a eu
lieu.
La date de 1990 est importante à rappeler car, si nous le savons bien,
j'ai encore entendu récemment, à propos du débat sur
l'interdiction des farines animales dans l'alimentation des animaux, des
personnes dire qu'il serait grand temps d'interdir de nourrir des bovins avec
de la farine de viande alors que cela existe depuis 1990.
Deuxième période, celle allant de 1993 à 1996 au moment
où nous avons eu connaissance par le secrétaire d'Etat à
la Santé britannique Stephen Dorrell de la transmissibilité
fortement probable de la maladie de l'ESB à l'homme. Pendant une
période se situant entre 1990 et 1993, il ne s'est pas passé
grand-chose. Quelques dérogations avaient été
accordées pour des importations entre 1989 et 1990 où cela n'a
plus été le cas.
A partir de 1993, la mise en place du marché unique a commencé,
d'où une libre circulation des marchandises sur le territoire de
l'Union. Nous avons constaté a posteriori, qu'entre 1993 et 1996, a eu
lieu un commerce de farines destinées à l'alimentation animale
sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne. C'est un point sur
lequel je reviendrai si vous le souhaitez, en raison d'une grande confusion sur
l'appréciation de ce qui s'est passé pendant cette période
avec des chiffres qui ont été diffusés, démentis,
et qui ont donné lieu a des vérifications. J'ai le sentiment
qu'il a fallu plusieurs vérifications et plusieurs mois pour y voir
clair.
Dans ce domaine, si vous le souhaitez, je suis prêt à m'appesantir
sur les éléments dont je dispose pour établir ce qui s'est
passé pendant cette période.
Comme vous le savez, en 1994 -et cela correspondait à cette
période-, l'Europe avec un peu de retard, a interdit au Royaume-Uni
d'exporter ses farines animales.
Troisième période : à partir du 21 mars 1996, avec
cette annonce brutale du ministre de la Santé et avec l'annonce d'un
embargo total de tous les produits bovins directs ou dérivés
pouvant provenir de Grande-Bretagne. Parallèlement, pour tenter
d'appréhender ce qui se passe et ce qu'il est nécessaire de
faire, il est décidé de créer un comité
pluridisciplinaire, un comité scientifique, présidé par le
Professeur Dominique Dormont et comprenant des chercheurs, des médecins
et des vétérinaires qui commencent très rapidement
à faire des préconisations. Certaines ont été
faites par le Comité Dormont, d'autres -à peu près dans la
même période- par le Conseil Supérieur d'Hygiène
Publique de France ou par l'Organisation Mondiale de la Santé.
Nous avons été amenés à prendre, à partir de
ces recommandations scientifiques, un certain nombre de décisions
concernant les farines animales. J'en citerai deux. Le 4 avril, à la
suite d'une communication de l'OMS, nous avons décidé de retirer
de la consommation humaine et animale certains abats (la rate, la cervelle, les
yeux, la moelle épinière, les amygdales, le thymus et les
intestins pour les bovins nés avant le 31 juillet 1991, date
à partir de laquelle il était considéré qu'il ne
devait plus y avoir, dans l'alimentation des animaux, de farines de viande et
d'os, à savoir de farines animales.
La deuxième décision, plus lourde, a été prise
à la suite du rapport remis par le Comité Dormont le 27 juin,
avec deux mesures principales : l'interdiction d'introduire dans
l'alimentation humaine et animale le système nerveux central des bovins
de plus de 6 mois et des ovins et caprins de plus de 12 mois, et l'interdiction
de faire entrer dans la composition des farines de viande, les cadavres et les
saisies d'abattoir. Les conséquences économiques très
lourdes de cette décision nous ont amenés ensuite à
créer un service public de l'équarrissage et à instaurer
une taxe sur les viandes que vous connaissez, puisque ce texte est passé
dans votre Assemblée.
Quelle conclusion puis-je tirer de ce regard ? Celle qui me paraît
la plus importante est que nous sommes dans un processus où nous devons
à tout moment nous baser sur des donnés objectives.
Ce n'est jamais simple ; l'opinion est parfois complètement
décalée par rapport à la réalité des faits
avec, à certains moments, des réactions fortement contradictoires
(je pense actuellement à la fièvre aphteuse dont nous savons
concrètement et de façon scientifique qu'elle ne fait pas courir
de risque à la santé humaine). Nous notons des réactions
de méfiance de la part de l'opinion alors qu'en même temps (je
lisais un sondage paru dans Le Monde hier), l'opinion trouve que nous en
faisons trop.
D'une part, il y a toujours cette volonté d'appliquer le principes de
précaution de manière absolue et, d'autre part, à un
certain moment, nous prenons trop de précautions, ce que nous avons
ressenti par rapport à d'autres pays qui estimaient que la France
prenait un luxe de précautions. De mon point de vue, la seule
façon de procéder est de tenter de s'appuyer sur des bases
scientifiques incontestables, ne venant pas de tel ou tel parti mais d'une
communauté scientifique pluridisciplinaire et incontestée. A
partir de là, nous avons le devoir d'appliquer le principe de
précaution tel que les scientifiques peuvent tenter de le
définir.
D'après moi, nous avons toujours la possibilité d'aller
au-delà de ce que nous demandent les scientifiques mais pas le droit de
faire moins que ce qui nous est dit. Dans le cas de l'interdiction des cadavres
et saisies d'abattoir dans la fabrication animales, le coût était
considérable, mais nous ne pouvions pas nous imaginer (et si nous
l'avions fait, les réactions auraient été brutales) que
l'on puisse ne pas suivre la préconisation qui était faite.
Nous avons des besoins de transparence scientifique et d'informations aussi
objectives que possible dans un domaine où l'on sait bien que toute
polémique, y compris sur les travaux scientifiques, a des
répercussions immédiates dans l'opinion et sur le devenir de la
filière. J'ai constaté qu'à chaque fois qu'il y avait une
polémique (y compris d'origine politique mais les polémiques se
déclenchent dans tous les domaines), même sans
éléments nouveaux ou susceptibles d'inquiéter davantage
l'opinion, nous notions des réactions de retrait.
En conclusion : besoins d'avis scientifiques, de transparence et
d'information.
Deuxième élément très net ; l'Europe n'a pas
suivi dans cette affaire. L'interdiction de l'importation des farines
britanniques remontait à 1994 alors qu'en France cette interdiction
avait été décidée en 1989. L'Europe a mis 5 ans
avant de suivre. De même, quand nous avons pris la décision de ne
plus incorporer les cadavres et les saisies d'abattoir dans la fabrication des
farines de viande, immédiatement nous avons vu ce que cette mesure
pouvait avoir d'insuffisant puisqu'en France nous ne les fabriquions plus, mais
les farines fabriquées dans d'autres pays d'Europe, sans parler du
Royaume-Uni, continuaient d'être fabriquées en incorporant ces
cadavres et ces saisies d'abattoir.
En dépit de notre insistance et de nos demandes
répétées, l'Europe a considérablement tardé
(la décision ayant été prise il y a peu de temps) à
suivre la France dans ce domaine. Cela pose un problème, quand on a une
confusion statistique sur les mouvements se produisant d'un pays à
l'autre de l'Union, sur la commercialisation de farines de viande et
simultanément une lenteur de l'Europe à intervenir dans le
domaine sanitaire et étendre des précautions prises dans certains
pays, que ce soit la Grande-Bretagne ou la France.
M. Jean Bizet, Rapporteur -
Monsieur le ministre, vous avez
imposé la séparation entre des matières à haut
risque traitées par le service public de l'équarrissage et les
co-produits à bas risques destinés à la fabrication de
farines valorisables. Cette mesure n'a pas été prise dans la
plupart des pays européens. Avez-vous pris les décisions visant
à contrôler les farines importées de pays moins stricts que
la France, concernant leur importation ?
M. Philippe Vasseur -
Plusieurs types de contrôle : des
contrôles vétérinaires ont eu lieu, mais ont
été diligentés dès le mois de mars 1996 et se sont
poursuivis pendant toute la période y compris aujourd'hui. Il s'agissait
de contrôles sur lesquels nous opérions, mais nous n'avions pas de
pouvoir réel pour interdire l'entrée des farines allemandes ou
belges.
Ni les contrôles vétérinaires qui contrôlaient ni la
DGCCRF ni la Direction Générale des Douanes ne disposaient des
textes leur permettant de pouvoir interdire l'entrée de ces farines.
Dans ce domaine, nous pouvons prendre toute la réglementation que nous
voulons, mais encore faut-il les faire respecter. Il n'est pas possible de
mettre un gendarme dans chaque ferme et derrière chaque sac de farine.
La réglementation est faite pour être respectée. Autant que
faire se peut, il faut procéder par réprobation et par
coercition. Je pense que dans le domaine qui nous occupe, la première
des opérations à effectuer était de diffuser une
information la plus complète possible vis-à-vis des utilisateurs,
des fabricants et des importateurs. Je rappelle que, s'agissant de ces farines
animales, de toutes les façons, ni les bovins depuis 1990 ni les autres
ruminants depuis 1994 ne pouvaient en être destinataires.
M. le Rapporteur -
Pour quelle raison vos services n'ont-ils pas
transposé la Directive européenne de juillet 1996 sur les normes
de cuisson des farines ? Jusqu'à ce qu'elle soit applicable en
France, en février 1998 il n'existait dans notre pays aucune obligation
de moyens concernant les températures, mais seulement une obligation de
résultat sur le plan purement microbiologique.
M. Philippe Vasseur -
Dans la directive que vous connaissez, il
était stipulé qu'il s'agissait de « ce procédé
ou un procédé jugé équivalent déjà
appliqué en France ». Il nous a été dit de
surcroît par le Comité Dormont que la simple directive sur les
températures (les 133 degrés, 20 minutes, 3 bars) était
jugée insuffisante. La préconisation européenne ne nous
garantissait pas la destruction du prion comme cela pouvait être fait par
le système français. Nous avons appliqué un système
reconnu par la Directive Européenne comme étant validé par
l'Europe et nous avons eu un débat avec les services de la Commission
sur le fait que nous souhaitions un dispositif plus contraignant et
garantissant mieux la sécurité.
M. le Rapporteur -
Quelle est la différence techniquement ?
M. Philippe Vasseur -
Je ne suis pas un scientifique et dans cette
affaire je ne pouvais que me référer à ce qui nous
était transmis par le Comité Dormont. Les documents sont à
votre disposition.
M. le Rapporteur -
Vous avez contribué à ma mise en place
du logo « Viande Bovine Française » après la crise de
mars 1996. Pensez-vous, au regard des évolutions récentes, que
l'origine française de la viande a été une garantie de
sécurité alimentaire ?
M. Philippe Vasseur -
Le logo « Viande Bovine Française
» n'était pas un logo disant : « Vous êtes certain
que cette viande est à 100 % exempte d'ESB » , mais un logo
destiné à assurer la traçabilité et à
permettre au consommateur de savoir qu'il ne risquait pas d'acheter une viande
en provenance d'un pays dans lequel existait des cas d'ESB supérieurs
aux nôtres. La traçabilité des viandes vendues a
été -je le crois- respectée, même si quelques
fraudes ont eu lieu mais qui ont été trouvées et
réprimées.
Cela étant dit, au moment où nous avons lancé ce logo
« Viande Bovine Française », nous devions être à
160 000 cas d'ESB en Grande-Bretagne. En France, nous étions en 1996
à 13 cas, et 15 si nous prenons la période de 1996. Notre taux
d'ESB était considéré comme extrêmement faible et je
pense qu'il est utile de rappeler que même après que les
contrôles aient été probablement renforcés,
même si notre réseau d'épidémio-surveillance a
été satisfaisant, quand nous avons procédé comme
récemment à des tests systématiques, les taux d'ESB dans
notre pays restent extrêmement bas par rapport au Royaume-Uni.
De ce point de vue, la sécurité de la viande française me
paraît supérieure à celle de la viande britannique d'autant
que des préconisations étaient indiquées sur les produits
pouvant être commercialisés et qu'encore à ce jour, en
2001, on n'a pas trouvé de présences du prion infecté dans
le muscle qui représente l'essentiel de la viande vendue.
Le logo « Viande Bovine Française » était
destiné à rassurer le consommateur sur la provenance de la viande
et nous n'avions pas caché qu'il y a eu quelques cas d'ESB en France,
mais que par rapport au cheptel français (20 millions de bêtes)
c'était infinitésimal.
M. le Rapporteur -
Quelle a été la réaction
première de la Commission européenne aux mesures
unilatérales prises par la France ?
M. Philippe Vasseur -
Le jour où nous avons
déclenché l'embargo, la réaction de l'Union
Européenne a été réprobatrice. Le commissaire nous
a fait savoir, dans un communiqué publié par la Commission, que
nous n'avions pas le droit.
Nous nous sommes appuyés sur une réglementation prévoyant
qu'en cas de péril sanitaire, on a le droit de procéder à
ce genre de mesure. La commission est revenue sur sa position.
De même quand nous avons lancé le logo « Viande Bovine
Française », nous avons déclenché les foudres de la
commission. Je ne mets pas le Commissaire Fischler en cause, car son approche
était pragmatique et il tentait de voir comment évoluait la
situation. Nous avons pu mesurer quels étaient les différents
groupes de pays qui agissaient en la matière et nous ne sommes pas
allés d'emblée vers une prise en compte au niveau européen
des mesures telles que nous aurions pu les souhaiter en France.
Les premières réactions ont été hostiles à
la France.
Par la suite (je n'ai pas de preuve de ce que j'avance, mais nous avons des
présomptions) quand nous faisions pression auprès de la
Commission et auprès d'un certain nombre de pays pour augmenter les
précautions prises, nous avons vu surgir quelques rumeurs soigneusement
entretenues dans les couloirs des bâtiments européens selon
lesquelles la France prenait un luxe de précautions parce qu'en fait la
situation était beaucoup plus grave chez elle alors que les autres pays
étaient exempts d'ESB. Nous avons eu à subir ce type de
difficultés. Cela n'a pas duré longtemps mais nous avons
constaté cette tentative de déstabilisation de la position
française consistant à dire que nous voulions aller trop loin.
J'ai relevé récemment un article de journal écrit par un
journaliste au Monde, Jean-Yves Nau, qui a bien suivi cette affaire, dans
lequel était dit : « La France, au nom d'une politique
fondée sur le principe de précaution tenta longtemps en vain de
mobiliser tant la Commission que ses partenaires de l'Union ».
Longtemps nous avons essayé, parce que nous étions tous
très préoccupés par la situation telle qu'elle existait
sur un plan sanitaire et économique mais nous n'avons pas eu en face de
nous, des institutions européennes -Commission et Conseil- aussi
sensibles que nous à ce qui se passait.
M. le Rapporteur -
Compte tenu de l'expérience qui a
été la vôtre à cette époque et maintenant du
recul qui est le vôtre, alors que nous sommes à un tournant de la
politique agricole commune, nous le voyons bien, au travers d'un certain nombre
de réflexions, et que nous sommes également à la veille de
l'élargissement de l'Union Européenne, comment voyez-vous la
réorientation, la modification de la politique agricole commune qui,
d'après moi, va au-delà de la problématique des
agriculteurs, mais qui doit prendre en compte l'ensemble de la
réalité ? Vous avez sans doute réfléchi
à tout cela. Pouvez-vous nous livrer vos réflexions ?
M. Philippe Vasseur -
C'est un sentiment et un regard d'observateur
engagé car je continue professionnellement à travailler avec
l'agriculture. De plus, ce que je dis là, je ne le dirais pas
nécessairement devant une assemblée syndicale (quelle qu'elle
soit) d'agriculteurs, ni même si j'avais une campagne électorale
à mener.
Que cela nous plaise ou non, que nous le souhaitions ou non, nous allons vers
une réforme très profonde de la politique agricole commune. Telle
que nous l'avons connue depuis 40 ans, elle a vécu et atteint ses
objectifs. Aujourd'hui, les problèmes qui nous sont posés ne sont
plus les mêmes que ceux que nous connaissions à la fin des
années 50 ou au début des années 60 et nous aurons une
réorientation profonde.
Deuxième réflexion que nous pouvons faire : plus il est
possible d'étaler dans le temps l'application de cette politique, mieux
cela vaut que les ruptures brutales sont plus difficiles à vivre que
d'autres), mais il ne faut pas considérer que le délai
gagné peut être mis à profit pour ne rien faire.
Plus il est possible d'anticiper et mieux cela vaudra, tout au moins dans
l'approche que l'on peut avoir. Je rappelle que nous avons eu tendance à
oublier que l'Organisation Mondiale du Commerce continue à
fonctionner ; contrairement à ce que certains imaginent, elle ne
s'est pas arrêtée à Seattle fin 1999 : une clause de
paix prendra fin en 2003 et remettra en question un certain nombre
d'éléments.
Troisièmement, nous ne pouvons imaginer une agriculture livrée
purement et simplement à elle-même. L'agriculture fait partie des
secteurs stratégiques d'un pays qui méritent d'être
soutenus, toujours encouragés et accompagnés, même si
l'attente de l'opinion et la légitimité des soutiens que l'on
peut accorder à l'agriculture ne sont plus de même nature que
lorsqu'il s'agissait d'assurer à la population française la
satisfaction de ses besoins en alimentation. Nous sommes aujourd'hui dans une
approche plus qualitative, certainement plus rurale, et la
légitimité des soutiens devra être revue dans ce sens.
Probablement, la justification que nous pourrons trouver vis-à-vis de
l'Europe et du reste du monde passera probablement plus dans des politiques de
promotion de la qualité et de soutien à l'environnement.
Cela dit, il faut le faire avec raison sans céder parfois à la
tentation de se replier sur une agriculture de type « jardin d'Eden
». Remontons 100 ans en arrière, si on faisait du lait et du
fromage au lait cru comme il y a 50 ans, il n'y aurait plus un camembert dont
la vente serait autorisée dans notre pays. Il faut avoir cette
perception et ne pas retomber dans une vision passéiste contre le
progrès.
Si aujourd'hui nous pouvons continuer de manger du fromage au lait cru dans
notre pays, c'est parce que nous avons fait des progrès
considérables en matière de génétique,
d'hygiène et de fabrication. Je prends cet exemple mais nous pourrions
en prendre d'autres. Nous avons des défis scientifiques à relever
y compris dans l'agriculture et il ne faudrait pas que la réorientation
de la Politique Agricole Commune revienne à condamner un outil
économique. L'agriculture doit rester un outil économique
important même si je pense qu'il faut revoir notre façon de
travailler.
Il est question aujourd'hui de productivisme. C'est un terme qui n'est pas tout
à fait approprié, car il est possible de produire, de mon point
de vue, et beaucoup, tout en ayant un respect de la nature et de
l'environnement. Tout ce qui est développé aujourd'hui, notamment
en faveur de l'agriculture raisonnée, pratiquée de façon
concrète dans un certain nombre de régions, me paraît
devoir être pris en considération au titre de la politique
environnementale et discuté dans le cadre européen, tout autant
que d'autres types de productions.
Nous ne ferons pas l'économie d'une réforme en profondeur d'une
politique agricole commune. Que cela nous plaise ou non, nous savons
pertinemment que notre système de quotas est remis en cause, de
façon abusive parfois, car certains d'entre eux ne coûtent
pratiquement rien au budget européen.
Je pense au domaine sucrier qui n'est pas budgétivore. L'un des
reproches à la Politique Agricole Commune est de coûter cher pour
des résultats qui ne sont pas avérés. La France doit, dans
ce domaine, être une force de proposition importante. J'ai vécu un
certain moment, dans une réunion où je disais qu'il faudrait
réfléchir à... et l'on m'a dit : « On ne parle
pas de cela. Tant que cela dure, cela dure ». Un jour ou l'autre on est
rattrapé par l'histoire sans avoir rien prévu. Il ne faudrait pas
reconduire une telle erreur et, d'après moi, nous avons 2 ou 3 ans
devant nous et pas davantage. Ce n'est pas un discours politique car je le
donne en tant qu'observateur.
M. Michel Souplet -
Je vous ai écouté avec beaucoup
d'intérêt et je partage la totalité de l'analyse que vous
venez de faire. Nous ne sommes pas là pour chercher des responsables
mais nous voulons voir clair.
Il a été dit que nous avions pris des décisions qu'il
fallait, en France au moment où il le fallait. Nous nous apercevons, au
sein de la commission, qu'un message n'est pas passé, celui qui aurait
consisté à prévenir les utilisateurs de farines animales
à partir du moment où elles étaient interdites pour la
viande bovine, et qu'il existait un grand risque de croisement d'utilisation
sur les exploitations : ceux qui faisaient du mouton ou du porc en
même temps que la viande, ou les patrons ne le savaient pas, ou les
employés se disaient : « Il n'y a plus de farine, on en prend
dans le tas d'à côté ».
Avons-nous suffisamment informé à ce moment ? Il est facile
de dire : « Il n'y avait qu'à » et « Il fallait que
». Nous ne connaissions pas l'importance du désastre. L'information
a-t-elle été suffisante ou pas ?
Ma deuxième réflexion concerne la disproportion énorme
entre la médiatisation des phénomènes et des risques
existants, qu'il ne s'agit pas d'occulter. Vous avez dit : « La
Commission a beaucoup trop tardé à prendre des mesures
énergiques ». Nous en sommes convaincus mais la Commission est
composée de personnes irresponsables et qui continuent de l'être,
car elles ne se sentent pas aujourd'hui fautives dans le cas présent qui
nous concerne.
Une médiatisation démoniaque a conduit des personnes au suicide.
J'aimerais que l'on parvienne à nous dire le nombre d'éleveurs
qui se sont suicidés depuis 1 an. Il est plus important que le nombre de
malades en France.
Troisième réflexion sur la réorientation de la politique
agricole commune. Je fais confiance aux agriculteurs et à leurs
responsables pour être capable de prendre le virage indispensable. Au
moment de la mise en place de la politique agricole commune, un mandat a
été donné au monde agricole : sécurité
alimentaire pour l'ensemble de l'Europe en volume et qualité.
Nous l'avons réussi pleinement mais ce que l'on ne dit jamais c'est que
la mise en place de la politique agricole commune, l'alimentation
représenta 45 % du budget des ménages, contre à peine
15 % aujourd'hui. Le consommateur doit savoir demain que la
réorientation de la politique agricole commune vers plus de
qualité et un meilleur environnement aura un coût et qu'il doit
être capable d'admettre de le payer.
Quand j'ai été rapporteur de la loi d'orientation agricole pour
le Sénat, des représentantes d'organisation de consommateurs,
deux dames, m'ont dit « Monsieur le sénateur, l'alimentation est un
besoin de première nécessité, cela devrait être
gratuit ». Pourquoi pas l'habillement et le logement. Tout est de
première nécessité, sauf le téléphone et les
produits de beauté qui représentent beaucoup plus que les
15 % de l'alimentation. Cela me révolte quelquefois car nous sommes
conscients qu'il existe une évolution importante à conduire, mais
face à cette exigence du consommateur nanti dans les pays
industrialisés, il ne faut pas oublier qu'un tiers de la population
mondiale est sous-alimentée et nous fera payer la situation dans
laquelle elle se trouve.
M. Jean-Paul Emorine -
L'ancien ministre de l'Agriculture a
participé pendant deux ans aux affaires européennes car le
ministre de l'Agriculture se réunissait au niveau de l'Europe. Nous
voyons bien le manque de réactivité de l'Union européenne.
Même si nous sommes tous des Européens convaincus. Comment
pourrions-nous améliorer l'intervention de l'Union européenne en
matière de santé animale ? Faut-il une agence
européenne, une recherche européenne pour que l'Europe puisse
prendre une décision immédiate ?
Je voudrais connaître l'avis de l'ancien ministre de l'Agriculture car
nous percevons que les difficultés auxquelles les éleveurs ont
été confrontés ont été imputables aux
difficultés de décision au niveau européen. Comment faire
évoluer la situation ? Existe-t-il des structures de recherche sur
la santé animale, pour qu'immédiatement l'Europe puisse avoir une
position, par rapport à toutes les épidémies, au niveau de
la santé animale ?
M. Roland du Luart -
Je suis d'accord avec l'analyse de M. Vasseur sur
tous les problèmes concernant la réforme de la PAC et il est
important d'y réfléchir, mais le problème de fond (car la
réforme de PAC s'impose et nous n'en sortirons pas autrement) est le
suivant : comment pourra-t-on, quel que soit le gouvernement, faire en
sorte -je rejoins les propos de M. Souplet- que le consommateur soit prêt
à payer le juste prix car on ne peut envisager une réforme de la
PAC que si l'agriculteur est dignement rétribué de son travail et
sort de l'assistanat ?
Comment préparer l'opinion publique à ce qu'il en soit
ainsi ?
M. Philippe Vasseur -
Tout d'abord : « A-t-on pris les
décisions qu'il fallait quand il le fallait et, notamment, en termes
d'information ? » J'ai le sentiment que l'information avait
été faite. Peut-être pas suffisamment, ni de façon
massive compte tenu de l'appréhension que l'on pouvait avoir du
problème de l'époque. J'ai regardé derrière moi,
dans un souci non polémique en me demandant ce que j'aurais fait
à la place d'Henri Nallet. Globalement -c'est un sentiment personnel- on
peut toujours dire : « Il aurait dû prendre telle mesure 6 mois
avant ».
D'après moi, il a pris les bonnes mesures compte tenu du contexte et des
connaissances de l'époque. Il faut se replacer dans ce que l'on savait
à l'époque et rechercher les articles de presse de 1988, 1989 et
1990. Nous aurions pu gagner 6 mois, mais il est facile de dire
ultérieurement que la mesure aurait du être prise en avril
plutôt qu'en décembre.
Globalement, je crois que les mesures qui ont été prises en
France ne sont pas parfaites et peut-être à tel ou tel moment
peut-on porter un jugement critique mais en comparaison de ce qui a
été fait dans d'autres pays, nous n'avons pas à rougir. Je
le dis depuis l'origine de la crise : 1988, 1989.
Sur la disproportion médiatique, je ne peux qu'être d'accord.
Antérieurement, j'ai exercé quelques responsabilités dans
le domaine des médias et il est vrai que j'ai parfois le sentiment (je
ne me souviens plus de ce qui s'était passé ou le monde a
changé) que la disproportion que prend la médiatisation d'un fait
par rapport à l'origine est redoutable.
Nous y pensons et oublions. Une semaine, un mois, un événement va
faire la Une de toute la presse et ensuite on passera à autre chose,
mais le dégât est là. Je n'ai pas la réponse.
J'ai vécu un cas difficile : un jour, une publication
imprimée (cela ne lui a pas porté chance et il ne suffit pas de
faire du sensationnel pour gagner des lecteurs que l'on perd à la
vitesse grand V) a publié : « Le Gouvernement vous ment, il y
a 200 cas d'ESB, et des cas cachés que le Gouvernement ne vous dit pas
» Quand vous lisez cela, vous tombez de haut Je me retourne vers mes
services en demandant : « Que se passe-t-il ? » Il
s'agissait de l'exploitation d'un communiqué fait par une association
pseudo-écologiste, que nous ne connaissions pas, et sur le financement
de laquelle nous nous posions des questions, toute la presse avait mis le
communiqué à la poubelle parce que n'importe qui peut
créer une association de loi 1901 : « Comité
français de protection contre l'encéphalopathie spongiforme
bovine » et faire un communiqué totalement erroné.
Si un journal le reprend, il est coupable. Ce titre à la Une
était scandaleux, il ne pouvait qu'apporter du trouble et de la crainte
supplémentaire à l'opinion. J'ai fait un procès en
diffamation pour propagation de fausse nouvelle que j'ai gagné
après les procédures classiques : première Instance,
Appel. Deux ans après, nous avons obtenu la publication du
jugement : cela a été quatre lignes, même un peu plus,
mais tout le monde s'en moquait et le mal était fait.
Dans une telle affaire, la seule façon de procéder
vis-à-vis de la médiatisation excessive était de jouer la
transparence totale, mais encore fallait-il convaincre les médias que
c'était le cas. En revanche, des journalistes, même
dépendant de médias qui voulaient gonfler l'affaire, se sont
comportés de façon responsable et sont par ailleurs toujours en
place. Ce n'est pas le journaliste qui tempérera qui sera
écouté de même que, dans un débat scientifique, si
99 scientifiques vous disent qu'il n'y a pas de problème, il suffit
qu'un seul évoque un grave problème pour qu'il soit
écouté, car il dérange et émet une opinion
différente.
Concernant la Commission européenne, ses pesanteurs et ses lourdeurs,
ainsi que les structures qui pourraient être mises en place : je
dirai que la Commission est irresponsable, puisque ce n'est pas elle qui
décide. Elle propose. Il est vrai que quand la Commission propose, son
pouvoir de proposition est supérieur à celui du Président
du Conseil. Si un représentant du Gouvernement fait une proposition et
la met aux voix, il lui faut obtenir davantage d'adhésions que si la
Commission qui propose.
La Commission dispose d'outils importants lui permettant de faire passer plus
facilement une mesure que si la mesure émane du conseil.
Néanmoins, les décisions sont prises par les politiques.
Il est arrivé plusieurs fois, et même relativement souvent, dans
des conseils que l'on s'oppose à une décision, notamment quand le
couple franco-allemand arrivait à se mettre d'accord pour faire
échouer telle ou telle demande (c'était donnant-donnant). Ce
n'est pas forcément un exemple car, si jamais pour faire fonctionner
l'opération, il faut un accord apparent entre 2 pays ou 2 groupes de
pays, ce n'est pas l'idée que l'on peut avoir de l'Europe. Mais la
Commission avait beau jeu de dire : « C'est vous qui avez pris la
décision. J'ai proposé et vous avez décidé ».
Dans le cas de réticences de la Commission, celles-ci n'étaient
que le reflet de la position de certains pays. A l'intérieur de la
Commission, tel Directeur de telle Direction ou à l'intérieur de
telle Direction et de telle nationalité, bien évidemment sera
sensible à la position de son pays. Nous-mêmes en avons
bénéficié à un certain moment. Quand nous avions la
direction de la DG 6, c'était plutôt un atout pour la France qu'un
handicap.
Le problème vient du conseil et des divergences existant entre
différents pays au sein du Conseil. Par exemple dans l'affaire de l'ESB,
certains pays ne voulaient pas dire qu'ils couraient un risque d'ESB. Contre
toute vraisemblance, des pays ont dit : « L'ESB ? Connaît
pas. Cela ne nous concerne pas. » Nous avons constaté ensuite,
quand il a été procédé à des
dépistages systématiques, qu'ils étaient aussi atteints
par l'ESB.
Nous pouvons soupçonner que dans tel pays européen qui ne fait
pas partie de l'union européenne, mais lorsque une vache se mettait
à trembler on disait qu'elle avait la rage et on l'enterrait. Ce que je
dis là ne pourrait arriver dans aucun pays de l'Union.
Nous avions des doutes certains sur la réalité du
phénomène ESB dans différents pays. Mais il existait
contre l'intérêt même des populations une volonté
dans certains pays de dire : « Nous n'avons pas d'ESB », de
façon à occulter le problème et à dire à
l'opinion publique : « Nous n'avons pas ce problème ».
Nous avons des structures et notamment un comité
vétérinaire permanent qui n'est peut-être pas parfait mais
qui existe. Nous constatons néanmoins qu'au travers de ce comité
vétérinaire, l'opinion des différents pays resurgit.
Faudrait-il une structure complètement indépendante et de
quoi ? La question mérite d'être posée. Une structure
composée de scientifiques complètement indépendants,
pourquoi pas ?
Faudrait-il un Comité Dormont au niveau européen avec des
personnes estimant devoir dire ce qu'elles ont à dire ? Les
scientifiques mettent leur point d'honneur à garder une forme
d'indépendance. Je ne serais pas contre. Il faudrait que ce soit une
autorité incontestable, indépendante avec des personnes dont la
préoccupation serait purement scientifique, qui ne soient pas les
représentants de leur pays, ce que l'on a très souvent tendance
à faire. Quand on crée un comité européen, on veut
y peser de son influence.
M. Paul Blanc -
Ou des lobbies.
M. Philippe Vasseur -
Le terme lobby n'est pas péjoratif. Ce sont
des personnes qui défendront leurs intérêts. Ce qui peut
être condamnable, c'est la méthode employée.
Concernant la réforme de la PAC, nous sommes tous convaincus qu'il se
passera quelque chose. Il est certain que si nous voulons détacher la
Politique Agricole Commune du soutien au prix, tel que nous l'avons
pratiqué pendant un certain temps, il faut mener une opération
vérité vis-à-vis du consommateur qui doit savoir que cela
un coût. Je partage l'avis de M. Souplet. Nous avons vu en cinquante ans
les dépenses pour l'alimentation divisées par trois. Nous sommes
passés de 42 % à 15 %, dont 4 % pour
d'agriculture.
J'avais fait le calcul : si le prix du blé est augmenté de
5 %, la répercussion sur le prix de la baguette est de 3 centimes.
Une baguette vaut 4 F chez moi. Nous ne ferons pas payer la baguette 3,97 F,
mais 4 F. Le prix payé à l'agriculteur ne représente pas
une inflation considérable vis-à-vis du consommateur.
J'ai également eu des contacts avec des associations de consommateurs
et, notamment une personne qui a évolué dans son approche de
l'agriculture, laquelle est aujourd'hui est moins manichéenne. Cette
femme disait qu'il était scandaleux d'avoir une alimentation à
deux vitesses. Concernant le poulet, il en existe trois sortes : le poulet
industriel, le poulet Label et le poulet AOC.
L'un est élevé pendant 42 jours et ils sont serrés les uns
contre les autres, un autre est élevé deux fois plus longtemps et
nourrit différemment dans davantage d'espace et le troisième...
Ils ne sont pas au même prix. Le consommateur doit demander la même
sécurité sanitaire pour le poulet industriel que pour le poulet
Label, mais il ne peut pas avoir la même qualité gustative.
Tout cela passe, de mon point de vue, par l'affirmation d'une volonté
politique forte, ne concernant pas seulement le gouvernement, mais plus
globale : la France et l'Europe veulent-elles encore d'une
agriculture ? Je commence à entendre des discours du type :
« Après tout, on fait venir le soja du Brésil, le boeuf
d'Argentine et on se fournit ainsi ».
D'après moi, il faut d'abord avoir une première affirmation,
à savoir une volonté politique : voulons-nous toujours d'une
agriculture et d'une agriculture qui gère notre espace ? Ensuite,
nous examinerons les moyens pouvant être mis en oeuvre.
La nécessité -parce qu'elle vient de l'extérieur- de la
réforme de la Politique Agricole Commune doit être l'occasion pour
le pays, son agriculture et la collectivité publique d'une façon
générale, de réaffirmer des principes -peut-être de
nouveaux principes ou des principes qui auront évolué- sur
l'agriculture, en tenant compte précisément de l'attente de
l'opinion en termes de sécurité, de qualité et de respect
de l'environnement.
M. le Président -
Monsieur le ministre, merci. Vous avez
apporté un certain nombre d'enseignements.
Audition de M. Henri NALLET,
ancien ministre de l'Agriculture et de la
Forêt
(4 avril 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur le ministre, merci
d'avoir répondu à notre convocation.
Vous êtes auditionné ce matin dans le cadre de la Commission
d'enquête mise en place par le Sénat à propos du
problème des farines animales, des conséquences sur le
développement de l'ESB, mais aussi sur la santé des
consommateurs.
Compte tenu que vous êtes auditionné comme ancien ministre de
l'Agriculture qui avez eu à vivre ce problème et que dans le
cadre d'une commission d'enquête comme celle-ci, les témoignages
doivent se faire sous serment, je vous lirai le processus et, à la fin,
je vous demanderai de bien vouloir prêter serment.
Il est à noter que vous avez déjà été
auditionné ce matin par l'Assemblée nationale.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Nallet.
M. le Président -
Je vous demanderai de faire un exposé
personnel sur ce que vous avez vécu comme ministre de l'Agriculture sur
ce problème, et ensuite nos collègues vous poseront les questions
qu'ils souhaitent vous poser.
M. Henri Nallet -
Merci, Monsieur le Président.
Mesdames, Messieurs, je suis très heureux de venir apporter ma
contribution à votre travail et votre recherche, ainsi qu'aux questions
que vous vous posez.
Je souhaiterais vous dire que non seulement je vous dirai toute la
vérité comme je m'y suis engagé, mais que j'essayerai de
collaborer au mieux de mes possibilités à votre travail
d'investigation, car il me semble très important pour nos concitoyens de
tout savoir et ce, de la manière la plus transparente possible. C'est en
ne cachant rien que nous pouvons peut-être contribuer à restaurer
une confiance qui aujourd'hui fait défaut, entre une grande
majorité des consommateurs et leur système d'alimentation.
Je formulerai quelques remarques introductives, Monsieur le Président,
qui vous paraîtront bien simples et bien ordinaires mais m'apparaissent
importantes, pour, en quelque sorte, brosser le tableau des conditions dans
lesquelles j'ai eu à faire face, entre 1988 et octobre 1990 à ce
qu'il est convenu d'appeler « la première crise de la vache
folle ».
Bien évidemment, Monsieur le Président, tout cela remonte pour
moi à 11 ans et, comme tout le monde, ma mémoire a fait un tri.
Je tenterai donc, chaque fois que je le pourrai, de vous dire ce qui est
présent dans ma mémoire concernant cette période et ce que
j'ai en revanche reconstitué, soit en interrogeant mes collaborateurs de
l'époque, soit en lisant des textes, des ouvrages ou des articles.
Si je mobilise devant vous ce matin un instant ma mémoire sur cette
période et sur la manière dont j'ai eu à traiter, en tant
que ministre de l'Agriculture, de l'ESB, je voudrais vous dire -comme je
l'avais dit en 1996, devant la commission d'enquête de l'Assemblée
nationale présidée par Mme Guilhem et ensuite par le Professeur
Mattei- que je dois établir deux périodes extrêmement
distinctes.
La première qui va jusqu'en avril-mai 1990 et la deuxième
jusqu'au moment où j'ai quitté le ministère de
l'Agriculture en octobre 1990, sont différentes.
Durant la première période, Monsieur le Président -je vous
le dis sans aucune gêne- je n'ai aucun souvenir que la question de l'ESB
(intitulée à l'époque BSE car l'on ne parlait qu'en
anglais de cette maladie) ait été évoquée de
manière directe auprès de moi ou, si l'on m'en a parlé
-car il est possible que l'on m'en ait parlé-, c'est dans des termes qui
n'appelaient pas de ma part de décision.
Ce n'est qu'à partir d'avril-mai 1990 que je m'empare de ce
problème, non pas parce que tel ou tel collaborateur m'aurait fait une
note impressionnante ou parce que les services vétérinaires
m'auraient prévenu d'une catastrophe imminente, mais parce que
l'attaché agricole de Londres m'envoie directement à mon Cabinet
la photocopie de deux articles de la presse « People » indiquant que
2 chats sont morts d'une maladie étrange dont les manifestations
symptomales rappellent la maladie de la vache folle.
J'ai un souvenir extrêmement précis que je vous livre
d'entrée de jeu : je rentre du Conseil des ministres et à
peine suis-je arrivé dans mon bureau que mon Directeur de cabinet, Jean
Nestor, se précipite et me dit : « Il faut que tu nous
rejoignes à la réunion du Cabinet, il se passe quelque chose de
très grave ».
Je suis à cent lieux d'imaginer ce qui m'attend. Je vois une partie de
mes collaborateurs, ceux qui sont directement au travail avec moi et sont pour
la plupart d'entre eux des ingénieurs agronomes (ce point est important,
ce ne sont pas des énarques), me dire qu'il se passe quelque chose de
grave et me raconter cette histoire. Et ils ajoutent : « Tu
comprends, là nous ne sommes plus dans un problème
vétérinaire. Si des chats peuvent avoir contracté la
maladie de la vache folle, cela signifie que la barrière des
espèces est franchie et cela devient un problème pour toi, le
ministre ».
A partir de là, je me trouve dans une toute autre situation, j'ai
beaucoup de souvenirs à vous raconter et vous m'interrogerez sur ce que
vous voudrez. Il est devenu, me concernant, un problème politique,
éthique et, beaucoup plus, de santé humaine que de santé
animale, même s'il n'est qu'une hypothèse.
Pourquoi cette coupure, pourquoi pendant pratiquement 18 mois de ma
responsabilité, ce problème existant au Royaume-Uni est un
problème dormant, se développant, du point de vue de
l'Administration française, en dehors du regard immédiat du
ministre ? Pour les raisons suivantes que vous connaissez, Monsieur le
Président, mais que je rappellerai : jusqu'en mai 1990, pour moi et
mes collaborateurs, l'ESB est une maladie strictement limitée aux bovins
et de plus strictement limitée aux bovins du Royaume-Uni ; cela ne
concerne pas la France et nos élevages.
Limitée aux animaux, elle relève de l'autorité
spécifique des vétérinaires qui ont la
responsabilité de la police sanitaire. A l'époque, il me semble
-et je l'ai reconstitué, Monsieur le Président, que quand on
parle de l'ESB, on se pose beaucoup plus de questions que l'on n'affirme de
certitudes.
J'ai retrouvé quelques documents que je vous indique, mais que vous
possédez ; en mai 1988, j'ai retrouvé le rapport final de la
session annuelle de l'Organisation Internationale des épizooties qui, en
point n° 166, indique : « Qu'une nouvelle maladie est apparue au
Royaume-Uni, qu'elle est dénommée ESB et qu'elle comporte 5 cas
qui ont été rapidement éliminés par abattage de la
totalité du troupeau, et les épreuves sérologiques
effectuées sur 25 000 échantillons prélevés
à ce jour dans le cadre de l'enquête nationale n'ont pas mis en
évidence de cas de cette maladie ».
J'ai retrouvé un deuxième document, peut-être pour vous
encore plus intéressant. Je crois (je dis bien : « Je crois
») que c'est la première note des services
vétérinaires français sur l'encéphalite spongiforme
bovine. C'est une note de service -diffusée au Directeur des services
vétérinaires et, pour information, aux préfets ou aux
Directeurs départementaux de l'Agriculture- qui est une
présentation de la maladie.
Je mettrai cette note à votre disposition si vous ne l'aviez pas. Elle
est très dubitative.
Le signataire, le chef du service, déclare à propos de la
question que vous vous posez : « Ces données, ajoutées
à la faible prévalence de la maladie (455 cas pour un cheptel de
13 millions de bovins), permet de penser que des éléments comme
les facteurs génétiques et l'environnement jouent un rôle
important dans l'apparition de la maladie ».
Au paragraphe suivant : « Certains chercheurs anglo-saxons pensent
que l'utilisation à partir de 1981 de sous produits d'abattoirs bovins
pourrait être à l'origine de l'apparition de la BSE ». En
juin 1998, les vétérinaires français s'interrogent encore
sur la relation à établir entre les farines et la maladie.
La conclusion : « Dans l'attente de plus amples connaissances, des
recommandations ont été faites aux éleveurs et
vétérinaires anglo-saxons pour éliminer les bovins
malades, désinfecter les locaux et assurer la surveillance d'animaux
nés de vaches malades ».
Je me suis interrogé : pourquoi ce décalage ? Pourquoi
les Britanniques commencent-ils à prendre des mesures en 1988 alors que
nous-mêmes, en juin 1988, quand nous en parlons, sommes loin de ces
mesures ? Pourquoi ne prend-on pas une décision (sur laquelle vous
m'interrogerez) d'interdiction des importations de farines britanniques en
août 1989 ?
Je crois qu'à l'époque, non seulement les connaissances sur la
maladie sont faibles, mais nos vétérinaires pensent que notre
troupeau en étant indemne (puisque nous vérifions assez
rapidement que nos pratiques y compris de fabrication des farines, sont
conformes aux exigences techniques et scientifiques). De plus -je le crois et
pense devoir le dire car des documents l'attestent- que les autorités
communautaires -dans tous les cas les autorités
vétérinaires en contact avec leurs collègues britanniques-
mettent en doute un certain nombre de mesures prises par les britanniques.
En particulier, j'ai retrouvé un document -que je mettrai
également à votre disposition- où le
vétérinaire français qui siège au Comité
Vétérinaire bruxellois dit dans une réunion : «
Nos collègues britanniques nous ont dit qu'un certain nombre de mesures
ont été prises, en particulier les mesures d'interdiction
d'utilisation d'un certain nombre de parties des animaux dans les aliments pour
bébés, sont des mesures purement cosmétiques,
destinées à l'opinion publique, qui ne reposent sur aucune
étude scientifique ».
Je pense que les services vétérinaires français, dans la
période 1988-1989 s'interrogent, se posent des questions, tentent de
vérifier, de comprendre ce qui se passe et de voir si les mesures
britanniques sont justifiées.
J'ai retrouvé -je le mets à votre disposition- un compte rendu de
ce qui me semble être la première grande réunion qui s'est
tenue au ministère de l'Agriculture sur l'ESB, avec l'ensemble des
personnalités concernées, qui datent de septembre 1989. Vous
verrez que l'on s'y interroge sur les farines animales mais sans leur attribuer
de manière certaine le rôle de vecteur de la maladie qu'on leur
attribue aujourd'hui. Dans cette réunion tout le monde est
présent, y compris M. Blandin, et vous verrez les échanges des
uns et des autres. Au fond, ils s'interrogent beaucoup.
En revanche, en mai 1990, il se passe un événement notable et
important et, dès lors, la maladie de l'ESB cesse d'être une
maladie animale limitée au Royaume-Uni et devient potentiellement un
risque, un danger, pour la consommation humaine.
Je réfléchis pendant quelques jours à cette question qui
m'a été posée par l'attaché agricole à
Londres. Nous avons une série de réunions, et celles que mes
collaborateurs organisent pour éclairer ma décision ne m'avancent
pas beaucoup. Je ne peux pas attendre grand-chose à l'époque des
scientifiques, car ils sont divisés et ceux qui pensent qu'il existe un
risque de zoonose, représentent une extrême minorité en
France. Une équipe à Lyon, que je n'ai pas rencontrée
à l'époque, se pose cette question.
Les services vétérinaires pensent que c'est une hypothèse
que rien ne permet d'établir et je me rappelle une réflexion
(j'ai un souvenir précis et je peux décrire le lieu et le type de
lumière qui prévalait à ce moment) d'un responsable
vétérinaire en qui j'ai confiance, à qui j'ai posé
la question et qui m'a répondu : « C'est la tremblante du
mouton, restez tranquille, on connaît cela depuis 2 siècles et
c'est répertorié, cela ne s'est jamais transmis à l'homme.
Aucune chance, c'est la presse, les médias.... »
Je reste avec ma question. Je n'ai pas grand chose à attendre des
responsables britanniques de l'époque.
Monsieur le Président, j'assume et j'essaie d'assumer toutes mes
responsabilités, mais je crois pouvoir dire aujourd'hui (peut-être
plus que je ne l'ai dit en 1996, et peut-être avais-je encore une
attitude trop retenue) que je pense que les autorités publiques
britanniques en 1989-1990 n'ont pas joué le jeu pour plusieurs raisons.
Elles ont retenu l'information. On ne m'a pas prévenu. Mon
collègue ministre ne m'a pas dit : « Je te signale que l'on
vient d'interdire l'utilisation des farines ». J'ai regardé dans
mes notes et j'ai demandé à mes collaborateurs de l'époque
d'essayer de retrouver certains éléments.
Leur attitude, que j'ai reconstituée depuis, me paraît
inadmissible, parce que je crois que les autorités britanniques ont
interdit l'utilisation des farines animales dangereuses dans leur espace
national, mais qu'elles n'ont rien fait pour empêcher leur exportation
et, du point de vue de la responsabilité publique, une telle attitude
est injustifiable.
Rappelez-vous ce qui s'est décidé il y a quelques mois quand la
France a interdit toute utilisation de farines animales : les
autorités communautaires ont bien veillé que ce soit la
même décision partout ou, dans tous les cas, à ce qu'elles
n'exportent jamais ces farines animales. Quand j'ai affronté à la
fin du mois de mai 1990 les autorités britanniques, il m'a
été répondu que tout était sous contrôle et
que l'attitude de la France n'était pas dictée par des
considérations de santé humaine, mais de protection du
marché intérieur.
Je crois qu'un point très net est à marquer. Je savais en 1990
que je n'avais pas grand-chose à attendre de mes collègues
britanniques (même si j'avais de bonnes relations personnelles avec eux)
car, je dois le dire, ils étaient très « Thatcheriens
», totalement et uniquement soucieux d'assurer les relations commerciales
les plus fluides, les plus ouvertes et les plus faciles possible et bien loin
de tous nos systèmes de contrôle qui leur paraissaient totalement
déraisonnables.
Un exemple : j'ai eu un affrontement violent avec mon collègue
britannique quand, en 1989, j'ai changé la position de la France sur la
question des hormones.
En 1986, la France avait adopté une loi sur l'utilisation des hormones
qui autorisait les hormones naturelles et interdisaient les hormones de
synthèse. Cela posait problème aux consommateurs. Le fondement
scientifique de la position française était parfait : «
On peut utiliser des hormones naturelles. Cela n'a aucune conséquence
sur la santé humaine », mais les consommateurs pensaient le
contraire et, pour cette raison, j'ai changé de position. Les
Britanniques ont été d'une violence à notre
égard : « Ce n'est pas scientifique, vous vous conduisez....
»
J'ai donc le souvenir qu'en 1990 j'aurais, face à moi, une attitude
très négative à l'égard des positions que l'on
pouvait prendre pour protéger la santé humaine.
Monsieur le Président, mais vous le savez aussi bien que moi, je savais
en 1990 que je ne pouvais pas compter sur le soutien du commissaire à
l'agriculture Ray Mac Sharry un homme qui avait de grandes qualités mais
extraordinairement soucieux des intérêts commerciaux de
l'élevage bovin irlandais ; l'affrontement a été
très dur à cette période.
J'ai essayé d'obtenir la réunion d'un conseil des ministres au
début du mois de mai, lors de plusieurs conversations
téléphoniques avec lui et c'était à chaque fois une
fin de non recevoir extrêmement dure et violente : « Tout est
sous contrôle. La commission a fait ce qu'elle devait faire. Les
Britanniques ont pris des engagements, n'y revenez pas ». Il n'y
avait pour lui aucune raison de réouvrir le dossier à moins
d'avoir des éléments scientifiques nouveaux apportés par
le comité vétérinaire permanent.
Dans cette situation, j'ai considéré -je le dis avec beaucoup de
simplicité en mon âme et conscience- que l'on ne pouvait pas se
satisfaire de cela et qu'il fallait forcer la porte. Je n'ai découvert
qu'une seule façon d'inventer de toute pièce une crise à
l'intérieur de l'Union pour obtenir une réunion du Conseil des
ministres et je l'ai proposé au Premier ministre de l'époque,
Michel Rocard, qui m'a suivi.
Nous avons décidé unilatéralement de fermer les
frontières à toute importation de viande britannique à la
fin du mois de mai, d'où crise violente qui a provoqué un Conseil
des ministres très dur et dramatique (nous l'avons assumé) et
l'obtention d'un certain nombre de mesures que j'ai fait valider par le
comité vétérinaire permanent à Bruxelles et, fort
de cet engagement et de ce qui m'avait été dit, à savoir
que l'ensemble des mesures décidées par les autorités
communautaires étaient de nature à maîtriser
l'épizootie, ou dans tous les cas à la limiter strictement au
Royaume-Uni, nous avons accepté que les frontières soient
réouvertes au début de juin 1990.
Monsieur le Président, quand je réfléchis à cette
période, je me dis qu'il est difficile aujourd'hui de juger ce qui a
été fait 10 ans après. J'en sais beaucoup plus sur ce qui
s'est passé quand j'étais ministre de l'Agriculture. Quand j'ai
pris des décisions que je croyais adaptées, je n'avais aucune
espèce de certitude et les savants, les vétérinaires, ne
m'avaient pas été d'un grand recours ; ils avaient
simplement éclairé ma réflexion. Je crois donc que le
système de décision a été ce que je vous ai
décrit. A-t-il bien fonctionné ? Ce n'est pas à moi
de le dire, mais à vous.
En revanche, le système de contrôle de ces décisions est
à mon sens une question bien différente sur laquelle j'ai
beaucoup découvert par la suite car, concernant toutes ces
décisions prises en 1989-1990, je n'ai su leur efficacité
pratique que des mois et des années plus tard, quand je n'étais
plus ministre. Les premières indications que nous avons pu avoir
étaient très vagues et très floues.
Je crois qu'il faut distinguer -c'est ce que j'ai retenu de cette crise- ce qui
relève du système de décision publique de ce qui
relève du système de contrôle, et autant je pense que le
système de décisions publiques a cherché à
s'adapter, autant je pense que notre système de contrôle qui
heureusement me semble-t-il s'est bien amélioré depuis, s'est
révélé incapable ou peu capable de vérifier que les
décisions étaient appliquées.
Quand je dis « notre système de contrôle » je ne vise
pas notre système de contrôle national mais surtout le
système de contrôle communautaire, car il est manifeste qu'une
partie des décisions prises en mai-juin 1990 n'a pas été
suivie d'effet et tout particulièrement au Royaume-Uni.
M. Jean Bizet, Rapporteur -
Monsieur le ministre, je reviendrai sur la
période 1988-1989, à propos de laquelle vous nous avez dit -et
nous partageons ce sentiment dont nous bien pris conscience lors de notre
déplacement à Londres jeudi et vendredi dernier- que les Anglais
ne vous avaient pas spécialement transmis d'information.
Or, quand nous avons questionné Lord Phillips (c'est notifié dans
son rapport), il dit l'avoir fait, mais nous n'avons pas ressenti un sentiment
de grande franchise. Il a fini par avouer qu'il l'avait dit sans trop
élever la voix et que peut-être au niveau de la Commission
européenne, on n'avait pas spécialement voulu entendre. Vous avez
également souligné qu'à cette époque, Ray Mac
Sharry, avec la sensibilité et les origines qui sont les siennes, n'a
pas voulu transmettre l'information.
Des télégrammes diplomatiques en provenance de l'ambassade de
France seraient-ils arrivés sur votre bureau ou celui de vos
collaborateurs ?
M. Henri Nallet -
Je me suis posé cette question Monsieur le
rapporteur car elle préoccupe. J'ai demandé à tous mes
collaborateurs s'il n'existerait pas une note.
J'ai retrouvé un télégramme du 1er mars 1990
rédigé par l'attaché agricole, mais signée par
l'ambassadeur, M. de Nanteuil, sur l'ESB, qui est, à ma connaissance le
premier télégramme officiel, car je n'ai rien retrouvé
d'antérieur et il est rédigé comme s'il en parlait pour la
première fois : « L'ESB est une maladie qui frappe les
bovins.... ».
C'était un cours sur l'ESB et une description de ce qu'ont entrepris les
Britanniques. Peut-être y a-t-il eu d'autres télégrammes
et, de la part de l'attaché agricole d'autres informations, mais qui
étaient destinées aux services et y ont circulé. Je mets
à votre disposition, Monsieur le rapporteur, le compte rendu de la
réunion de septembre 1989.
Elle est très intéressante, car tout le monde est présent
et les informations mises en commun démontrent que nous savons à
peu près tout ce qu'il faut savoir à cette époque, mais je
n'ai pas le souvenir qu'à aucun moment les autorités britanniques
elles-mêmes nous aient avertis comme cela se faisait dans d'autres cas.
Je donnerai un exemple de ce que je vise.
Je me souviens de discussions à cette même époque avec mon
collègue hollandais et mon collègue belge, en raison de
l'existence d'une épizootie de peste porcine dans ces deux pays et qu'il
fallait s'en protéger. En marge du conseil, mon collègue belge
Demersmaeker venait me dire : « Il faut que je te vois et que nous
discutions parce que c'est une catastrophe chez moi. On ferme les
frontières et on a un échange : Que peux-tu faire ?
Combien de temps cela durera-t-il ; je vais avoir des drames et des
manifestations ... ».
Nous en parlions directement et nous avions un sentiment de connivence et de
solidarité : « Qu'est-ce que je peux faire pour t'aider ?
Mais ne me mets pas tes saletés chez moi. ». De même avec le
Hollandais Brax qui était un rude négociateur. Nous avions
ensemble un sentiment de responsabilité commune. Nous étions
responsables à la fois du bon fonctionnement du marché commun
agricole (nous n'étions pas encore en marché unique) et nous
avions le sentiment d'être responsables de ce bon fonctionnement.
Entraver le moins possible mais, en même temps, dès lors qu'il y
avait un problème de santé animale, nous devions prendre des
mesures et nous cherchions à les prendre non seulement en commun, mais
de manière bilatérale.
Avec les Britanniques, jamais. Ni avec John Mac Gregor ni avec John Gamma,
même pas en marge du conseil où nous discutions de tout entre des
personnes qui passent des journées et des nuits ensemble, car cela
crée des liens. Comme disait Claude Cheysson : « Le Conseil
des ministres de l'Agriculture est redoutable car ce sont des voyous et des
marchands de tapis » .
Je n'ai aucun souvenir.
J'ai même demandé à certains de mes collaborateurs, la
D.P.E. dans, l'immédiat : « En as-tu parlé avec
ton homologue ? » en l'occurrence Michael Franklin, un francophile
avec qui nous avions de bons contacts. « Jamais » m'a-t-il
été répondu.
Ils ont pu faire courir des bruits dans certaines commissions et dans des
réunions de travail à Bruxelles. Ils l'ont sûrement fait
mais je n'en ai pas le souvenir -pas même d'une note ou d'un coût
de téléphone. Voilà Monsieur le rapporteur. Je suis, sur
ce point, extrêmement sûr.
M. Paul Blanc -
Vous avez insisté sur le fait que vous avez
été sensibilisé à ce problème au mois
d'avril-mai 1990 avec, en particulier, cette histoire des deux chats et
l'hypothèse émise par certains membres de votre cabinet. Il
semble qu'un rapport de l'Académie de Médecine en 1990,
déclarait disait que l'on ne pouvait pas exclure la possibilité
de transmission de cette maladie à l'espèce humaine. Avez-vous eu
connaissance de ce rapport ?
M. Henri Nallet -
Non. Ni de ce rapport ni de l'article de
Mme Brugère-Picoux. Concernant cette dernière, qui
était en avance dans ses recherches en France, vous pouvez le
vérifier facilement auprès d'elle, j'ai fait sa connaissance il y
a quelques mois sur un plateau de télévision. Je ne l'avais
jamais rencontrée.
M. le Rapporteur -
Au niveau de cette période clé, M.
Blandin, à l'époque Président national des Groupements de
Défense sanitaire dit vous avoir alerté au travers d'un courrier
mi -1989. Ce courrier a été précisément
suffisamment explicite ou pas ?
M. Henri Nallet -
J'ai vu cette déclaration du Président
Blandin. J'ai fait rechercher cette lettre, il semble qu'elle existe. Je ne
suis pas sûr qu'elle ait reçu une réponse écrite,
mais il n'est pas impossible qu'elle en ait eu une. J'ai demandé aux
archives du ministère de l'Agriculture de rechercher la correspondance
de mes collaborateurs. J'étais préoccupé de cette
déclaration, j'ai regardé et j'ai tenté d'en savoir plus.
Sur le fond, la déclaration du Président Blandin n'apportait pas
grand-chose de nouveau, sinon qu'il déclarait que l'épizootie au
Royaume-Uni se développait très rapidement.
Il dit également par ailleurs, ce qui à la fois me trouble ou me
rassure, qu'il considère que toutes les décisions que j'ai prises
en 1990 étaient celles qu'il fallait prendre.
Cela nous aurait-il échappé (et non pas été
caché, mes collaborateurs étant loyaux) ? Je crois que je
peux rassurer votre commission : le ministère de l'Agriculture
-à cette époque- n'a pas été autiste. Il n'a pas
fermé l'oreille à des informations qui lui auraient
été données, car vous le retrouverez dans le compte rendu
de la réunion qui s'est tenue en septembre 1989 au ministère,
où se retrouvent tous les partenaires concernés par cette
question, depuis les services vétérinaires, jusqu'à l'ENV
avec Mme Brugère-Picoux, la Fédération Nationale
Bovine, le Syndicat National des Vétérinaires Praticiens, le
Service Vétérinaire de la D.G.A.L. et les différents
services de la D.P.E. le CNEVA, et autres et la représentante de la
Fédération des Groupements de Défense sanitaire du
bétail, Mme Dufour, qui représente M. Blandin excusé. J'ai
retrouvé dans les déclarations des uns et des autres les
informations. Je suis assuré que les informations de M. Blandin ont
été prises en considération puisqu'au cours de cette
réunion sa représentante a pu faire part des observations de M.
Blandin.
Je souhaite que la lettre de M. Blandin ait reçu une réponse,
mais je n'ai pas le souvenir qu'à une occasion ou à une autre M.
Blandin m'ait parlé de cet situation. Il est possible qu'il m'en ait
parlé, mais quand je regroupe mes souvenirs, c'est une chambre
complètement obscure jusqu'au mois d'avril 1990.
M. le Rapporteur -
Je reviendrai sur l'embargo de mai-juin 1990 qui a
duré 15 jours, 3 semaines pendant lesquelles vous avez subi des
pressions de la Commission européenne. La France a levé cet
embargo sous réserve de pouvoir récupérer des viandes
désossées (de mémoire) provenant de cheptels indemnes.
Or, n'avez-vous pas été troublé de savoir qu'à
cette époque il n'existait pas d'identification du cheptel bovin
anglais ? L'assurance que voulaient bien vous donner les Anglo-saxons
devait être relativement légère.
M. Henri Nallet -
C'est même plus compliqué encore, puisque
nous avions demandé que non seulement les Anglo-saxons donnent
l'assurance mais que le comité vétérinaire vérifie
la faisabilité des décisions prises et que la commission nous
assure que des contrôles seraient opérés auprès des
autorités britanniques.
Peut-être de manière naïve et sûrement avec une
information incomplète nous avons accepté ces garanties et les
avons considérées comme fiables.
A l'époque, je n'avais pas la conscience que j'ai aujourd'hui de
l'état de déliquescence ou de quasi disparition des services
vétérinaires britanniques.
M. le Rapporteur -
Nous l'avons constaté, il y a 48 heures.
M. Henri Nallet -
Je me suis posé la question et
interrogé. Aujourd'hui, nous en savons tellement. Si j'avais su en 1990
que les Britanniques étaient en fait incapables d'assurer l'ensemble des
contrôles, qu'aurais-je fait ?
Peut-être aurais-je maintenu une position totalement fermée, parce
que dans cette période qui a été très difficile
pour moi (c'est sûrement la crise la plus violente que j'ai eu à
assumer même si elle a été brève), à
côté de ce que j'ai vu, les « engueulades » classiques
avec la F.N.S.E.A. et M. Souplet n'étaient rien du tout.
Nous avions renforcé notre position à partir du moment où
à la moitié du Conseil, quand la situation devenait très
difficile en raison de notre isolement, j'ai été rejoint par le
ministre allemand de l'Agriculture. Je suis devant des responsables politiques
je veux témoigner que là encore, si la relation
particulière, privilégiée entre la France et l'Allemagne
n'avait pas fonctionné, nous n'aurions pas tenu. Tous les Etats membres
étaient hostiles aux décisions, y compris les amis traditionnels.
M. le Rapporteur -
Etait-ce une approche personnelle de chaque Etat
membre ou du lobbying très fort des Anglo-saxons ?
M. Henri Nallet -
Monsieur le rapporteur, à cette époque,
le vent souffle dans un sens : il faut libéraliser, ouvrir,
qu'est-ce que ces Français .... c'est tout juste si l'on ne nous
demandait pas de supprimer les services vétérinaires. Nous
étions des personnes qui avions toujours trop de bureaucratie et trop de
contrôle. On préparait le marché unique et il fallait faire
tomber toutes les barrières ; ce n'était pas la mode.
Le grand objectif était de produire le moins cher possible dans les plus
grandes quantités possible, y compris vers l'exportation, le grand
large. Et nos amis britanniques de l'époque étaient, sur cette
ligne, totalement acharnés. Derrière eux venaient
immédiatement la Hollande, et nous étions
considérés comme les derniers des étatistes.
Sur ces questions comme sur d'autres, nous étions isolés
politiquement à l'intérieur du conseil. Fort heureusement, la
relation avec les Allemands et le fait que les Allemands avaient une conception
plus réservée sur le développement de l'agriculture, ont
fait que nous avons pu résister aux déchaînements des
Britanniques et des Irlandais.
M. le Rapporteur -
Lors de l'interdiction des farines animales dans
l'alimentation des bovins en 1990, cela s'est-il accompagné de mesures
de renforcement et de contrôle à l'adresse des industries
d'aliments de bétail ? Avez-vous imaginé dès cette
époque la possibilité de contaminations croisées ?
M. Henri Nallet -
Nous avons procédé sur les farines en
deux temps. Fin 1988, début 1989 : beaucoup d'interrogations.
Ensuite nos vétérinaires français se convainquent que
très vraisemblablement les farines britanniques, insuffisamment
chauffées, sont porteuses de l'agent de transmission et qu'il faut les
interdire, et les services vétérinaires français, dans le
cadre de leur pouvoir propre, préparent cet avis aux exportateurs
d'août 1989 : interdiction d'acheter des farines britanniques (sauf
dérogation pour des monogastriques ou d'autres usages mais, pour les
ruminants, c'est interdit.
Peu de temps après -la réunion de septembre 1989 ans en
témoigne- les importations de farines en provenance du Royaume-Uni
augmentent. Les services vétérinaires redonnent donc
l'information aux différents services vétérinaires
départementaux et j'ai reconstitué que la manière de
travailler à l'époque, mais qui prévaut encore, associait
largement les opérateurs. Les services vétérinaires
parlaient avec les fabricants de farines. Ils mettaient l'information à
leur disposition, leur signalaient l'existence d'un avis aux importateurs, leur
disaient qu'ils étaient prêts à discuter d'une
dérogation éventuelle.
Cela se faisait dans un tissu de coopération qui a bien
fonctionné jusque là. Peut-être n'avons-nous pas
été suffisamment informés et suffisamment alertés
que l'on enregistrait déjà, en 1989, des volumes d'importation
non conformes à l'habitude.
Je n'ai jamais été prévenu.
M. le Rapporteur -
Vous n'avez jamais été
informé ?
M. Henri Nallet -
Jamais personne n'est venu me dire : Monsieur le
ministre, il existe un avis aux importateurs interdisant l'importation des
farines animales.
Quelques informations ont été données à mes
collaborateurs, en particulier une lettre a été envoyée au
Directeur de cabinet lui faisant part (le Syndicat des Industries de
récupération animale avait signalé cette situation), et
l'un de mes collaborateurs (qui possède cette lettre que je peux mettre
à votre disposition) a répondu qu'il était demandé
aux services vétérinaires d'y veiller particulièrement.
Mais je crois qu'à partir de ce moment, un certain nombre
d'irrégularités ont eu lieu, voire de détournements de
trafics, et je pense que nous aurions dû nous préoccuper de la
contamination croisée, car l'arrêté pris en juillet 1990
interdisait toute utilisation de farine pour les ruminants. On laisse,
malheureusement, la porte ouverte à l'utilisation des farines pour les
porcs et les volailles.
Malheureusement, ceux qui préparaient l'aliment du bétail mais
peut-être aussi les utilisateurs, ont mis des farines contaminées
à disposition des animaux qui ne devaient pas les consommer.
M. le Rapporteur -
Etes-vous allé, vous-même ou votre
ministère, jusqu'à imaginer de prévenir les
éleveurs (et dans ce cas par quel canaux spécifiques) en les
tenant informés, juste avant la prise de décision de
l'interdiction de l'importation de farines animales ?
M. Henri Nallet -
Non. Il n'y a pas eu de travail spécifique sur
cette question. Tout le monde était informé et au courant. Et,
là encore, vous trouverez la liste des participants. Le Président
de la Fédération Nationale Bovine était présent
à cette réunion.
Je crois que nous avons été assez long, en France, à
penser que notre troupeau pouvait être concerné rapidement.
Peut-être tous, collectivement, avons-nous fait preuve de trop de
certitude. Il me semble que ce n'est qu'à partir de la crise d'avril-mai
1990 que nous suivons la situation de beaucoup plus près avec beaucoup
plus de rapidité de réaction. Jusque là, je pense que tout
le monde croit que cette maladie nous sera épargnée et que les
mesures prises étaient suffisantes.
Ce n'est qu'avec le recul que l'on constate que les contrôles n'ont pas
fonctionné correctement et que la traçabilité, même
si nous avions obtenu ce que nous pensions être un début de
traçabilité dans les décisions de mai 1990, n'était
pas rentrée dans les pratiques administratives et commerciales.
Je ne sais pas, Monsieur le Président et Monsieur le rapporteur, si vous
parviendrez à reconstituer à titre d'exemple quelques mouvements,
mais quand je réfléchis à ce qui s'est certainement
passé à l'époque : des farines animales britanniques
qui ont quitté le Royaume-Uni dans des navires, qui se sont
promenées dans la Manche et la Mer du Nord, ne sont pas toutes
allées à Roscoff ou à Brest, mais à Rotterdam et
ailleurs ou à Anvers et qui ensuite passent dans des camions avec une
plaque minéralogique belge vers les Vosges ou le Maine-et-Loire.
Le marché unique est déjà là pour partie, les
camions circulent facilement et pas toujours avec des pièces d'origine.
De plus, des pratiques industrielles et commerciales (dont on me dit qu'elles
existent encore mais je n'en suis pas sûr) n'indiquaient pas la
provenance des produits figurant dans les sacs vendus aux éleveurs. Ceci
n'explique pas cela, Monsieur le rapporteur, mais je crois que ces produits
dangereux ont dû circuler dans toutes les directions dans l'espace
européen.
M. Georges Gruillot -
Monsieur le ministre, je voudrais deux
précisions d'ordre différent. La première concerne les
importations en France de cervelles anglaises.
Pouvez-vous nous donner la date d'interdiction d'importation de ces cervelles,
car nous avons tout entendu dans cette commission, des dates qui, dans la
majorité d'entre elles citent 1992. On nous a également
cité 1990. Etes-vous capable de nous donner votre sentiment sur ce point
si vous le savez ?
Jeudi, nous étions reçus à l'ambassade de France à
Londres et nous avons interrogé l'ambassadeur pour savoir comment se
transmettaient les informations anglaises au Gouvernement.
Nous appris que cela se passait par télégramme signé de
l'ambassadeur mais que ce télégramme était toujours
systématiquement envoyé au ministère des Affaires
étrangères. En 1988-1989, quand a lieu ce problème, est-ce
que le ministère de l'Agriculture a bien été
informé de ce que l'on devait logiquement apprendre aux Affaires
étrangères, de notre ambassadeur ?
M. Henri Nallet -
Je pourrais répondre plus
précisément à ces deux questions mais je crois que c'est
en février 1990 que l'on étend l'interdiction de consommation
à un certain nombre de matériels à risques, dont les
cervelles, et à ce moment, que nous collons aux décisions
britanniques. Nous les prenons directement après eux. Il y a eu
interdiction d'utilisation à partir de ce moment.
M. Georges Gruillot -
Nous avons appris qu'à Rungis, pendant
cette période 1990-1992, des montagnes de cervelles ont
été importées.
M. Henri Nallet -
Je ne peux pas répondre à cette
question. Je me réfère seulement -et ce n'est sans doute pas le
côté le plus positif de notre réflexion- au rapport de
l'inspecteur général Villain, de l'inspection des finances, sur
la manière dont ont fonctionné les contrôles et vous avez
la réponse. Son jugement est sévère. Je ne veux surtout
pas en rajouter, car je ne voudrais pas donner le sentiment... je renvoie aux
propos de Claude Vilain qui peuvent expliquer un certain nombre de
dérapages.
Si je poursuis un peu plus, et certains d'entre vous connaissent ma position
sur ce point, car je me suis entretenu avec eux dans d'autres temps, ce que
révèlent ces dysfonctionnements : essentiellement l'absence
de système de contrôle efficace au niveau communautaire, parce que
toutes ces décisions, à partir de 1990, sont communautaires.
Elles auraient dû être vérifiées. C'est un
système de contrôle communautaire qui aurait dû être
vérifié. Tant qu'ils sont laissés à des
systèmes nationaux... les Britanniques avaient un intérêt
commercial à vendre leurs produits. Nous ne sommes pas toujours en
état de vérifier correctement.
Je crois que cette situation que vous décrivez, que je connais et que
j'ai appris à connaître, pointe cette insuffisance. Tant que nous
n'aurons pas un système de contrôle communautaire de
qualité avec des possibilités d'intervention, nous pourrons nous
attendre à des situations de ce type.
Sur le système d'information entre nos pays et nos ambassades (je vous
ai dit que je le mettais à votre disposition), j'ai retrouvé un
premier télégramme général sur l'ESB, datant de
mars 1990. Y en a-t-il eu d'autres ? C'est tout à fait possible,
mais je ne les connais pas.
Le système du télégramme diplomatique fait que lorsqu'un
télégramme est envoyé par l'une de nos ambassades à
l'Administration centrale, à savoir l'Administration du Quai d'Orsay, il
est automatiquement réparti dans les ministères techniques
concernés par la question dont il traite.
Si l'ambassadeur de France à Londres a envoyé à sa
centrale un télégramme préparé par l'attaché
agricole sur n'importe quel aspect de l'agriculture britannique, à un
moment ou à un autre, il a été expédié
quasiment en même temps à la Direction de la Production et des
Echanges du ministère de l'Agriculture. Il ne peut y avoir, par
construction, d'informations qui auraient été retenues
ministère des Affaires étrangères et n'auraient pas
été signalées au ministère de l'Agriculture.
M. le Président
- Ce qui voudrait peut-être dire que ce
serait à l'intérieur de votre propre ministère que des
informations auraient pu être retenues.
M. Henri Nallet -
Non. Nous pouvons le retrouver très facilement.
Il faut demander les télégrammes.
M. le Président -
Nous avons fait la demande. Cela étant,
il est vrai qu'à l'époque la maladie n'était pas
considérée comme un élément aussi important.
Peut-être la situation est-elle restée en l'état.
M. le Rapporteur -
De la prospective : il est évident que,
dans ce rapport, nous devrons écrire un chapitre concernant la
réorientation de la Politique Agricole Commune.
Je pense qu'il serait intéressant -vous connaissant, vous devez
déjà y réfléchir- que vous nous fassiez passer une
note sur l'état de vos réflexions et de la prospective en
matière de réorientation de la politique agricole commune. La
question est simple et la réponse est difficile.
M. Henri Nallet -
Je suis heureux de cette demande. Elle me fait
plaisir, si elle ne me flatte bas. Je vous promets de vous envoyer mes
réflexions simples. Je suis très préoccupé de cette
situation.
M. le Rapporteur -
Pour aller plus loin, forts de ce que nous avons
retenu en 48 heures de passage à Londres, nous ne voudrions pas voir
notre agriculture française et la ruralité française dans
l'état de déliquescence où se trouvent l'agriculture et la
ruralité anglo-saxonnes.
M. Henri Nallet -
C'est une réflexion encourageante.
M. le Président -
Monsieur le ministre, merci.
Audition de M. Jean-Philippe DESLYS,
Responsable du groupe de recherche sur
les prions au
CEA
(4 avril 2001)
M.
Gérard Dériot, Président -
Monsieur Jean-Philippe
Deslys, merci d'avoir répondu à notre convocation. Je rappelle
que vous êtes ici en tant que responsable du groupe de recherche sur les
prions au CEA.
Vous êtes auditionné dans le cadre d'une commission
d'enquête parlementaire mise en place par le Sénat sur le
problème des farines animales et leurs conséquences sur le
développement de l'ESB et la santé des consommateurs.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Deslys.
M. le Président -
Si vous le voulez bien, nous allons dans un
premier temps vous laisser la parole pour que vous puissiez nous donner votre
position et votre opinion sur les problèmes de l'ESB.
M. Jean-Philippe Deslys -
Merci Monsieur le Président. Je vous
rappelle que les maladies concernées, jusqu'à l'apparition de
l'ESB, ne posaient pas de problème particulier, la maladie la plus
fréquente chez l'homme étant celle de Creutzfeldt-Jakob, sous
forme sporadique, à raison d'un cas par an et par million d'habitants,
soit environ 80 cas par an en France.
Elle est dix fois plus rare sous sa forme familiale, et à chaque fois
liée à une mutation du gène du prion, et les formes
iatrogènes le sont encore plus, sauf en France, avec le problème
lié à l'hormone de croissance.
Sur environ 980 patients traités entre janvier 1984 et juin 1985 avec
des hormones de croissance d'origine extractive (qui étaient extraites
d'hypophyses de cadavres), 76 ont développé cette maladie, soit
près de 8 % de la population exposée.
Le Kuru est une maladie qui a disparu aujourd'hui. Elle a été
découverte à la fin des années 1950 dans des tribus de
Papouasie-Nouvelle Guinée -vivant à l'âge de pierre- qui
pratiquaient des rites cannibales.
Aujourd'hui, avec le recul, cette expérience permet de dire que la
période d'incubation de ces maladies chez l'homme, qui est silencieuse,
peut aller de 4 ans -c'est l'âge le plus jeune qui ait été
retrouvé- jusqu'à plus de 40 ans.
Nous trouvons parmi les maladies animales la tremblante naturelle du mouton et
de la chèvre, maladie endémique décrite depuis environ
1700, qui ravageait les troupeaux de moutons au 18ème siècle,
mais qui ne posait pas de problèmes à l'homme, les bergers, les
vétérinaires et les bouchers ne développant pas plus de
maladie de Creutzfeldt-Jakob que les autres catégories
socioprofessionnelles.
Par ailleurs, dans des pays indemnes de tremblante, comme l'Australie et la
Nouvelle-Zélande, le taux de maladie de Creutzfeldt-Jakob est le
même qu'ailleurs. Par conséquent, jusqu'à preuve du
contraire, les maladies animales telles qu'on les connaissait n'étaient
pas transmissibles à l'homme, ou en tout cas pas dans des proportions
décelables avec les moyens épidémiologiques.
La maladie du dépérissement chronique des ruminants sauvages (la
« chronic wasting disease ») a été décrite dans
les années 1960 aux Etats-Unis, dans le Wyoming et dans le Colorado.
C'est une sorte de tremblante qui touche les ruminants sauvages (daims,
wapitis, etc.), qui a tendance à s'étendre.
On estime aujourd'hui qu'elle double tous les ans et qu'elle touche environ
10 % des animaux abattus. Une étude a montré
récemment que, sur 133 animaux diagnostiqués positifs parce que
cette maladie était recherchée chez eux par des tests, seuls
trois présentaient des signes cliniques. C'est vous dire à quel
point l'on peut passer à côté de ces maladies quand on ne
les recherche pas.
Par ailleurs, l'attention du CDC a été attirée, car aux
Etats-Unis trois chasseurs anormalement jeunes -ces maladies sont très
rares chez les individus de moins de 40 ans-, de moins de 40 ans, qui
chassaient ou qui étaient en relation avec ces contrées, ont
développé une maladie de Creutzfeldt-Jakob. Cela a attiré
l'attention sur le risque de transmissibilité de cette nouvelle maladie
qui s'étend à l'homme, sans qu'aucun lien
épidémiologique ait été retrouvé. Il s'agit
simplement d'un signal d'alerte.
Reste bien entendu l'encéphalopathie spongiforme bovine, que vous
connaissez tous.
Le début de la crise, en 1996, a correspondu à la
démonstration épidémiologique que l'ESB était
transmissible à l'homme. Ensuite, nous avons apporté au
laboratoire la première preuve expérimentale de sa transmission,
puisque les singes inoculés avec l'agent de l'ESB développaient
exactement les mêmes lésions, tout à fait
caractéristiques, que les patients atteints cette maladie. Vous pouvez
voir ce que l'on appelle une « plaque floride ». Il s'agit d'une
accumulation de la protéine de prion sous forme amyloïde
entourée de légions de spongioses, d'où un aspect en fleur.
La seconde preuve expérimentale a été apportée en
septembre 1997, tous ces travaux ayant été publiés
successivement dans « Nature ». L'on s'est rendu compte que la
signature biochimique était tout à fait particulière, elle
a été baptisée de type 4.
Nous avons retrouvé exactement la même signature chez le premier
patient français qui a développé cette maladie, qui n'est
retrouvée dans aucune autre forme de maladie de Creutzfeldt-Jakob en
dehors du nouveau variant.
La troisième preuve expérimentale est la signature
lésionnelle, c'est-à-dire la transmission à la souris.
Nous sommes extrêmement démunis face à ces maladies, car
nous n'en connaissons toujours pas l'agent de façon précise et
parce que sérologiquement nous n'avons aucune possibilité
puisqu'il n'existe pas de réactions immunitaires.
Nous ne décelons aucun micro-organisme au microscope, ni aucune
protéine étrangère ou aucun acide nucléique
spécifique, mais nous avons la chance dans notre malheur d'avoir des
modèles expérimentaux extrêmement reproductibles.
Si une souris est inoculée à J zéro avec une souche
donnée, six mois après, à une semaine près, tous
les animaux de la boîte mourront en une semaine. Ce sont, sur ce plan, de
véritables horloges biologiques. Cela peut servir notamment pour
étudier les différentes souches qui existent ainsi que la
répartition des lésions dans le cerveau.
Il s'agit de maladies dites spongiformes -donc qui créent des trous- qui
peuvent être quantifiées, chacune des souches ayant sa signature,
c'est-à-dire qu'elle s'attaquera préférentiellement
à telle ou telle zone du cerveau, d'où des signes cliniques plus
particuliers. Vous avez ici la démonstration qu'au niveau du bulbe la
tremblante n'entraîne aucune lésion alors que l'agent de l'ESB
crée des trous partout.
La démonstration a très clairement été faite que la
même souche est responsable de la contamination des bovins en
Grande-Bretagne et en France, de différents animaux de zoo, de chats, et
d'hommes développant une variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
Le problème supplémentaire rencontré chez l'homme
réside non seulement dans cette transmission primaire du bovin à
l'homme, mais aussi dans les risques de transmission secondaires.
On pensait jusqu'à présent que la maladie de Creutzfeldt-Jakob ne
posait pas de problèmes particuliers en dehors de ceux que je vous ai
décrits pour l'hormone de croissance et les instruments
neurochirurgicaux, directement en contact avec le système nerveux
central.
Par exemple, les études épidémiologiques n'ont jamais
révélé de corrélation entre la transfusion sanguine
et le risque de développer une maladie de Creutzfeldt-Jakob. Cependant,
cela risque d'être différent avec la nouvelle forme de maladie de
Creutzfeldt-Jakob.
En effet, on retrouve la protéine anormale du prion non seulement dans
les amygdales, mais aussi dans la rate, les ganglions lymphatiques et au niveau
de l'intestin, tout le système réticulo-endothélial
étant contaminé. Cela signifie en d'autres termes que le niveau
de contamination du sang, surtout avec une souche nettement plus virulente,
n'est pas le même que celui qui était précédemment
connu et que, par conséquent, l'on ignore le risque encouru.
Vous pouvez voir sur la diapositive l'amygdale du deuxième patient
français et du troisième, qui est toujours vivant à ce
jour.
Un article va vous être distribué dans lequel il a
été démontré que chez le singe la souche gardait
ses propriétés en passage secondaire, avec toujours exactement la
même signature, et gagnait en virulence, la période d'incubation
étant raccourcie de moitié. Enfin, elle se transmet
remarquablement bien par voie intraveineuse, ce qui attire l'attention sur les
risques de transmission secondaire.
Concernant les risques liés à l'agent de l'ESB, plus de 180 000
bovins ont développé cette maladie au Royaume-Uni et l'on
approche les 300 en France. De plus, l'on estime à environ 900 000 les
bovins affectés censés être rentrés dans la
chaîne alimentaire humaine. Ils y sont rentrés, car la
période économique moyenne en Angleterre est d'environ deux ans
et demi et parce que la période moyenne d'incubation de cette maladie
est de cinq ans, aucun diagnostic n'étant possible avant l'apparition
des signes cliniques.
Le problème réside dans le fait que plus de la moitié des
bovins affectés sont rentrés dans la chaîne alimentaire
avant l'interdiction des abats à risque. Cependant, cela ne pose pas de
problème s'ils y sont rentrés suffisamment jeunes, car cet agent
n'a pas eu le temps de s'accumuler à des taux détectables. Ce
sont la cervelle et la moelle épinière qui sont dangereuses dans
ces maladies.
Il faut se souvenir que les expériences qui ont été
menées ont montré très clairement que, lorsqu'une souris
est inoculée à partir d'une vache développant
naturellement une maladie, cet agent n'est retrouvé que dans le
système nerveux central et périphérique, ainsi que dans
les ganglions para-vertébraux apparentés eux aussi au
système nerveux, et pas ailleurs.
On en trouve dans l'iléon et notamment au niveau des plaques de Peyer
uniquement dans un cas : quand l'animal a été
contaminé avec de très fortes doses par voie orale.
On le retrouve aussi, dans les contaminations naturelles, dans les ganglions
lymphatiques et ailleurs, mais à des taux tellement bas qu'il est
indétectable, sachant qu'il faut traquer ce qui est dangereux.
Par ailleurs, le nombre de cas naïfs (nés après
l'interdiction des farines) ne décroît pas comme prévu.
L'on imaginait il y a quelques années que le problème serait
résolu en 2000 puis en 2001, mais nous voyons bien qu'il n'en est rien.
L'agent de l'ESB est transmissible aux moutons par voie orale à faible
dose (0,5 gramme suffit) et il se répartit comme la tremblante, ce qui
signifie qu'on le retrouve dans tous les tissus périphériques
à des taux importants et, en d'autres termes, qu'il peut potentiellement
devenir endémique chez le mouton, comme l'agent de la tremblante.
Or, le problème réside dans le fait -on a déjà
dû vous l'indiquer- que l'on ne peut pas faire cliniquement la
différence entre la tremblante et l'agent de l'ESB. Par ailleurs, si
co-infection il y a, on peut imaginer si l'on est optimiste que, par un
phénomène de compétition de souche, la tremblante, qui est
endémique, occupe la niche écologique et donc va éviter le
développement de ce nouvel agent, ce qui est classique en infectiologie.
En revanche, on peut également envisager un maintien des deux souches en
même temps, que l'on ne saurait pas différencier de façon
simple.
L'agent de l'ESB est certainement transmissible à l'homme par voie
orale. 96 cas ont été enregistrés au Royaume-Uni. A
également été détecté en Irlande le cas
d'une personne qui avait vécu très longtemps au Royaume-Uni
auparavant. Enfin, 3 cas ont été enregistrés en France.
Le futur nombre de cas humains est extrêmement difficile à
modéliser. Les premières modélisations en
prévoyaient entre 80 et plus de 500 000, mais elles ont
été affinées et l'on en prévoit désormais
entre 63 et 136 000, sachant qu'il s'agit d'extrêmes, les
hypothèses les plus raisonnables allant de quelques centaines à
quelques milliers de cas.
Dans la mesure où la période moyenne d'incubation n'est pas
connue, nous ne savons pas si les cas que nous enregistrons actuellement
correspondent au pic de l'épidémie, auquel cas ce serait
malheureux pour les patients qui ont développé la maladie, mais
très rassurant pour le reste de la population. En revanche, si la
période d'incubation est très longue, cela signifie que ce que
nous constatons actuellement correspond à des cas anormalement courts
qui annoncent une énorme vague. C'est le fond du problème.
Vous pouvez voir l'évolution de la maladie chez l'homme au Royaume-Uni
à partir de 1995, mais des variations de la durée de la phase
clinique sont liées au fait que plus les personnes sont jeunes, mieux
elles résistent, sachant que l'âge moyen du décès
est de 29 ans, même si le plus jeune patient décédé
avait 14 ans. Grosso modo, plus le patient est jeune, mieux il se défend
contre la multiplication de l'agent, mais vous pouvez constater par
année d'apparition une progression importante, même si nous
n'avons pour le moment aucune idée de l'allure que prendra cette
évolution dans les années à venir.
Par ailleurs, il semblerait d'après le Professeur Robert Will,
responsable du groupe de surveillance de ces maladies chez l'homme au
Royaume-Uni
-c'est simplement une impression pour le moment-, que la
maladie touche davantage les classes défavorisées, qui sont les
plus à même de consommer des préparations de mauvaise
qualité contenant notamment de la cervelle et de la moelle
épinière, qui sont à l'origine des problèmes.
L'apparition de ces nouveaux cas amène à se poser des questions
ainsi qu'à confondre les cas humains liés à des
contaminations anciennes et à les mélanger avec les cas bovins
qui sont en train d'apparaître, mais ce sont des éléments
complètement différents, d'autant que toute une série de
mesures de précaution ont été prises dans l'intervalle.
Quand on fait figurer sur un même graphique les cas britanniques et les
cas français, on ne voit pas apparaître les cas français
à cause de la différence d'échelle (180 000 contre
300) ; ils sont complètement écrasés. Par
conséquent, le risque provient bien, aussi bien au Royaume-Uni qu'en
France, des cas britanniques.
La France est surtout concernée, car nous étions malheureusement
le principal importateur de viande britannique ou de produits bovins d'origine
britannique. Nous savons que 5 à 10 % de notre consommation
provenait de Grande-Bretagne et qu'il s'agissait apparemment non pas des
meilleures vaches, mais plutôt de vaches laitières de
réforme, qui sont les plus dangereuses. Même si l'embargo a
été très efficace en 1996, le risque est lié aux
importations de produits britanniques.
Quant aux abats à risques, nous ne parvenons pas à obtenir des
chiffres précis, ce qui est très ennuyeux. Ils diffèrent
à chaque fois que nous nous adressons à une source
différente et il est à ma connaissance impossible d'avoir des
chiffres précis concernant le cerveau et la moelle
épinière. Nous ne disposons donc que de chiffres
généraux sur les exportations d'abats britanniques.
Or, nous constatons malheureusement qu'entre 1987 et 1988 ces exportations ont
été multipliées par 20, les abats à risque ayant
été interdits en 1989 au Royaume-Uni et en 1990 en France, des
transferts massifs ayant pu avoir lieu, comme cela a été
observé avec les farines contaminées pour les bovins.
C'est une période particulièrement dangereuse, puisque la
cervelle et la moelle épinière étaient incorporées
de façon parfaitement légale dans la nourriture.
Cela dépend des habitudes des pays, mais en Angleterre, d'après
ce qui m'a été expliqué, la cervelle et la moelle
épinière n'étaient pas consommées en tant que
telles. En revanche, elles pouvaient être utilisées dans les
viandes séparées mécaniquement, dans les viandes
hachées, dans les hamburgers ainsi que dans certaines saucisses et
pâtés et jusqu'à 10 % dans certaines saucisses, soit
10 grammes de cervelle dans une saucisse de 100 grammes.
Cela recouvre en termes de risque la notion de dilution, d'où
l'intérêt de l'analyse du Cluster de Keniborough (Leicestershire).
Il nous est rapporté que cinq cas anormaux ont été
détectés dans un village particulier.
Il s'est avéré après analyse -avec tous les biais pouvant
exister quand on essaie de reconstituer des cas témoins avec 20 ans de
retard- que le point commun était un boucher qui avait des pratiques
particulières, interdites en France depuis 1965, mais qui étaient
encore légales en Angleterre et qui existaient encore dans de
très rares endroits, à savoir qu'il procédait
lui-même à l'abattage et à la découpe des animaux,
ce qui a généré un phénomène de
concentration.
En cas d'animal contaminé, ce n'était pas redistribué sur
des centaines de personnes, comme avec les produits industriels, mais
c'était au contraire localisé et concentré, les chiffres
étant significatifs.
D'après l'explication donnée, ce sont les couteaux qui servaient
à découper le bifteck qui étaient contaminés, mais
j'ai une analyse complètement différente. En effet, seuls
quelques milligrammes restent sur la lame d'un couteau puis se retrouvent sur
la viande. Or, si quelques milligrammes suffisent à contaminer un homme,
qu'en est-il de la moelle épinière qui pèse 200 grammes et
de la cervelle, qui en pèse 500 ?
Je veux bien que l'on m'explique que la cervelle n'était peut-être
pas retirée, car cela obligeait à casser la tête, mais le
boucher était obligé d'extraire la moelle épinière
puisqu'il découpait les carcasses. Par conséquent, il faut se
demander à mon sens ce qu'il faisait exactement de la moelle
épinière, sachant que dans la profession de boucher l'on ne jette
pas grand-chose et qu'il était légal de la réutiliser.
M. Paul Blanc -
Il avait une spécialité qui incorporait la
moelle.
M. Jean Bizet, Rapporteur -
Au cours de notre voyage de 48 heures en
Angleterre, c'est le seul endroit où il nous a été
clairement indiqué que des abats étaient incorporés dans
la fabrication des steaks hachés et que cette pratique s'était
éteinte avec le temps, mais l'on ne nous a évidemment pas
donné de date claire.
M. Jean-Philippe Deslys -
Je suis content que vous me l'indiquiez, car
c'est par déduction que je suis arrivé à cette conclusion.
J'ai été incapable de trouver quelqu'un pour me répondre.
M. le Rapporteur -
Dieu sait si les personnes auxquelles nous nous
sommes adressés ont été avares d'informations, mais nous
avons au moins eu celle-ci.
M. Jean-Philippe Deslys -
J'ai procédé à deux
représentations de la situation (au 9 mai et au 16 octobre 2000) pour
essayer de comprendre ce qui s'est passé, car j'ai été
très frappé par l'évolution des cas.
Il s'agit de représentations par année de naissance et
d'apparition pour établir une sorte de moyenne, sachant que des animaux
ont été contaminés tôt et que quand en France un cas
est décelé tout le troupeau est abattu. Cela fait
apparaître en 1988 et en 1989 le phénomène qui correspond
à l'importation massive des farines britanniques.
Au moment où elles ont été interdites au Royaume-Uni,
l'Irlande a divisé par 3 ou 4 ses importations, en passant de 700
à 200 tonnes, la France les a doublées, en passant de 7 000
à 15 000 tonnes, la Belgique et la Hollande les ont multipliées
par 4 ou 5, etc.
Paradoxalement, la Suisse n'a importé aucune farine britannique, mais
c'est elle qui a enregistré le plus grande nombre de cas. Ceci dit, elle
a importé des farines d'ailleurs, notamment de Belgique, et j'ai cru
comprendre qu'une farine qui revenait dans un autre pays et était
remélangée prenait l'étiquette du nouveau pays, et ce
indépendamment de la fraude.
De plus, incontestablement, l'on ne parvenait à obtenir aucun
détail sur ce qui se passait en Angleterre. J'ai demandé pendant
des années ce que devenaient ces farines : cela relevait plus du
secret défense que d'autre chose.
J'ai été très étonné, car il m'avait
été indiqué au départ que ces farines ne
voyageaient pas, parce que cela coûtait cher en raison des tonnages, et
qu'elles n'allaient pas très loin. Or, 20 000 tonnes ont
été importées en Indonésie en 1996. En fait, les
notions de diffusion limitée sont complètement fausses et ces
farines ont pu voyager très loin. De plus, il faut tenir compte des
périodes d'incubation, raison pour laquelle le phénomène
se poursuit.
Par année d'apparition en France, la subdivision en fonction de
l'âge est intéressante. En effet, toutes les tranches sont
touchées au départ, car les farines rentrent et l'on en donne
à tout le monde mais, à partir de 1996, la proportion
correspondant aux bovins de quatre ans augmente jusqu'à atteindre
40 % en 1998, ce qui est complètement anormal. Le fait que des
bovins de 4 ans développent la maladie anormalement tôt signifie
qu'ils ont été contaminés tôt avec des doses
importantes, à un moment où ils n'auraient jamais dû
recevoir la moindre farine. En fait, ils ont développé la maladie
plus rapidement à un moment où tout était censé
être verrouillé.
Comment expliquer que, quand les farines animales pouvaient rentrer
légalement et massivement, les cas étaient relativement peu
nombreux -même si je veux bien admettre qu'il y ait des trous dans
l'épidémio-surveillance, mais pas à ce point-, alors que
leur nombre a augmenté ensuite ? Nous avons l'impression que les
farines sont rentrées et ont été recyclées.
Nous savons aujourd'hui que les systèmes de traitement des farines ne
suffisaient pas. Il faut raisonner en seuils. Quand un système est
moyennement efficace et que la charge infectieuse est faible, le taux
infectieux est suffisamment diminué pour ne plus contaminer personne. En
revanche, si le système est alimenté avec des doses importantes,
l'on passe au-dessus du seuil fatidique et l'on peut amplifier l'agent
infectieux. C'est en tout cas ma lecture de la situation.
Vous me répondrez que les farines, même françaises,
n'auraient pas dû rentrer dans l'alimentation des bovins, sachant
qu'elles avaient été interdites, mais ils ont été
contaminés anormalement jeunes.
J'ai posé des questions pour comprendre ce qui se passait, car cela
annonçait un phénomène extrêmement
désagréable, qui est à suivre. En effet, si un bovin de 4
ans est contaminé, cela signifie que son petit frère, qui a
mangé des produits un peu moins contaminés, développera la
maladie à cinq ans, son autre petit frère à six ans, etc.
Il m'a été répondu que les paysans qui ont des porcs ou
des volailles pour lesquelles ces farines étaient autorisées -y
compris les farines britanniques, si j'ai bien compris-, ne décident pas
du moment de sacrifier les animaux. Ce choix revient à la
coopérative et ils ne sont pas maîtres du système. C'est la
raison pour laquelle leurs silos étaient de temps à autre
à moitié pleins.
De plus, dans la mesure où cet aliment n'est pas en fin d'engraissement
utilisable pour les animaux en début d'engraissement, il était
repris par les usines.
Enfin, il était impropre à la consommation par les vaches
laitières parce qu'il contenait des antibiotiques et toute une
série d'éléments incompatibles, mais il pouvait être
utilisé pour les veaux. C'est une explication qui me semble logique
s'agissant de ce qui m'a été décrit comme des « silos
hôpital ».
Il faut par ailleurs tenir compte du phénomène des
lacto-remplaceurs. Des animaux jeunes buvaient autre chose que du lait et l'on
a découvert que les lacto-remplaceurs contenaient des graisses animales.
Or, il semblerait que certaines d'entre elles servaient à cuire les
farines et pouvaient ensuite rentrer dans l'alimentation. Je vous livre pour le
moment les pistes que j'ai pu trouver afin d'essayer de comprendre, uniquement
à partir de l'analyse des courbes.
Le phénomène a été augmenté en 2000 de
façon artificielle pour deux raisons : la mise en place des tests,
qui correspondent à une augmentation d'environ un tiers des cas et,
comme en Suisse, un processus d'attention accrue. Par exemple, un
vétérinaire qui n'aurait pas fait son travail en laissant passer
une vache qui présentait des signes cliniques qui a ensuite
été repérée lors des tests a des retours de ce
manque d'efficacité. En tout cas, le résultat est là, le
nombre de bovins de cinq et six ans contaminés commençant
à augmenter, sachant qu'en 2001, surtout de par les tests
réalisés à très grande échelle, de nombreux
faits seront démasqués.
Ces fameux tests sont tous basés sur la détection d'une
protéine anormale, celle du prion expliquant la résistance de ses
agents ; elle forme une coque résistante.
Dans l'hypothèse du prion, la protéine anormale est l'agent,
alors que dans d'autres des éléments supplémentaires
viennent s'ajouter mais, dans tous les cas, cette coque est indispensable pour
expliquer la résistance à la dégradation. Elle
résiste à la chaleur, notamment sèche. Par exemple, un
bout de cerveau que l'on a eu le malheur de laisser sécher même
avant de l'autoclaver devient résistant, de même s'il est
traité au formol ou à l'éthanol. Elle résiste
également aux ultrasons, aux rayonnements ultraviolets, aux radiations
ionisantes et à quasiment tous les processus chimiques d'inactivation,
ce qui signifie clairement que les méthodes culinaires ne servent
strictement à rien.
La protéine anormale du prion existe sous une forme normale chez tous
les mammifères, mais elle est dégradée si l'on fait agir
une protéase.
Elle a sous sa forme anormale tendance à s'accumuler, ce qui est normal
car, dans la mesure où elle résiste à la
dégradation, la cellule n'arrive pas à s'en débarrasser,
tout au moins pas très efficacement. En effet, si elle était
complètement résistante, les animaux ne mettraient pas des mois
à mourir. L'incubation serait très rapide, de même que la
mort.
Le problème réside dans le fait qu'aucun anticorps ne
reconnaît actuellement spécifiquement la forme anormale de la PrP,
ce qui implique que dans toutes les techniques l'on doive se débarrasser
soigneusement de la forme anormale qui très souvent chez le bovin
présente la majorité de PrP.
Il s'agit d'un changement de conformation. La protéine normale comporte
une partie non structurée et une partie globulaire (c'est-à-dire
structurée) composée principalement d'hélices alpha -on en
retrouve par exemple dans la laine- consistant en enroulements torsadés.
C'est d'ailleurs ce qui permet à la laine d'être
étirée.
En revanche, elle acquiert sous sa forme anormale une structure en feuillets
beta. Il s'agit de feuillets parallèles ou anti-parallèles qui
donnent la rigidité, comme dans la soie, raison pour laquelle elle
résiste autant à la traction.
Quatre tests ont été évalués. Je m'étais
attendu en Europe à ce que l'agriculture s'en préoccupe, car,
d'après moi, la meilleure méthode était un test sensible,
en mettant ainsi en place un verrou naturel à l'abattoir, ce qui permet
de ne plus laisser passer de bovins dangereux.
Or, c'est la DG XXIV qui a développé ce test dans le cadre de la
protection du consommateur. Cela a mis du temps à se mettre en place, en
particulier pour trouver des échantillons négatifs, car personne
ne voulait en fournir, ce que la Nouvelle Zélande a finalement fait.
En fait, sur les dix tests initialement soumis aux experts européens,
quatre ont été sélectionnés :
Le test britannique, développé par la Société
Wallac, basé sur une technique de Delfia avec de
l'immuno-fluorescence ;
Le test suisse, développé par la Société Prionics,
basé sur un western blot ;
Le test irlandais, développé par la Société Enfer.
Il s'agissait d'un test Elisa simple, l'antigène étant
placé directement sur une plaque en plastique ;
Le test français, développé par notre laboratoire, qui
était plus compliqué dans la mesure où nous voulions qu'il
soit très sensible, avec une étape de purification et un
système Elisa de type sandwich très classique.
Le test A a été recalé, car c'était le moins
sensible des quatre. En l'occurrence, parmi des bovins cliniquement atteints,
l'on a retrouvé des faux positifs et des faux négatifs, ce qui
signifie que certains cas positifs n'étaient pas détectés
alors que certains cas négatifs étaient considérés
comme positifs.
Les trois autres tests ont été sélectionnés sur le
plan européen, tous les bovins cliniquement positifs ayant
été bien identifiés, sans aucune erreur sur les cas
négatifs.
Ce qui nous a surtout intéressés est la deuxième partie,
c'est-à-dire le test de sensibilité sur les dilutions successives.
Le test suisse s'est révélé le moins sensible des trois,
le test irlandais trois fois plus sensible que ce dernier et le test
français trente fois plus. Par conséquent, comparé au test
A (le test anglais), le test français était trois cents fois plus
sensible.
Nous pouvons dire « Cocorico », mais cela ne résout pas tous
les problèmes, et ce n'était pas cela le plus intéressant,
la question étant de savoir si le consommateur est réellement
protégé.
Je vous rappelle le principe du test. Il comporte deux étapes et part
d'un morceau de tronc cérébral, sachant qu'il est très
important de partir de l'obex, zone du cerveau dans laquelle s'accumule en
premier lieu cette protéine anormale.
Le nerf vague innerve tout le tube digestif, ce qui signifie que n'importe quel
endroit du tube digestif contaminé finira par contaminer l'une des
petites fibres du nerf vague, ce qui remontera tout le long de celui-ci
jusqu'à son noyau, qui se situe au niveau de l'obex.
Dans d'autres zones du cerveau -nous en avons fait l'expérience-, les
protéines anormales sont cent fois moins nombreuses, voire mille fois
moins ; c'est arrivé dans un cas. C'est la raison pour laquelle il
faut prendre garde à tenir compte de la bonne zone, sachant qu'au
départ elle était placée dans le formol pour
l'immunohistochimie, donc non disponible pour ce genre de technique.
Une homogénéisation est nécessaire afin de travailler sur
un produit solubilisé ou en suspension. Il s'en suit un traitement de
dix minutes par la protéinase K et une centrifugation de cinq minutes,
ce qui permet un résultat très rapide, puis on resolubilise et
l'on pratique un test de type ELISA, qui demande moins de quatre heures.
Un premier anticorps placé sur une plaque en plastique piège la
protéine, tandis qu'un second anticorps détecte une autre partie
de celle-ci et donne un signal.
Toute cette étude a été réalisée sous la
surveillance de personnes de la DG XXIV, qui allaient jusqu'à
cadenasser nos congélateurs à la fin de la journée pour
s'assurer que nous ne faisions pas autre chose. C'est inhabituel dans le
domaine de la recherche, mais cela permet que les résultats ne puissent
pas être contestés.
Ce qui à mon sens va vous intéresser le plus est un article que
nous avons publié dans « Nature », en janvier dernier, afin de
montrer l'intérêt d'un test sensible pour protéger le
consommateur.
Théoriquement, il nous a été expliqué que ce
n'était pas possible et, déjà avant les études, il
nous avait été signalé que les tests ne fonctionneraient
pas. Par conséquent, tout le monde a été surpris de voir
que c'était possible.
Cependant, ce n'est pas le fait d'effectuer un test plus sensible que les
autres qui est intéressant pour protéger les personnes ; il
est intéressant de ne pas laisser passer un élément
dangereux. Or, la dose minimale infectieuse par voie orale chez l'homme n'est
pas connue, ce qui est un premier obstacle.
Par ailleurs, deuxième obstacle, l'on sait parfaitement que le
système nerveux central est contaminé tardivement, ce qui
signifie que l'on ne peut rien faire pendant toute une période. Il
n'existait donc théoriquement aucun moyen de s'en sortir, mais c'est un
raisonnement fallacieux, ce que je vais vous démontrer.
Si vous prenez un échantillon et que vous procédez à des
dilutions, vous pouvez comparer un test biochimique comme celui que nous avons
développé -nous avons en l'occurrence tenu compte de la version
industrielle du test, car nous ne sommes qu'un institut de recherche ; il
ne nous appartenait pas de le développer et il a été
transféré à un industriel- à l'inoculation à
la souris par voie intra-cérébrale.
Lors d'une dilution au millième, on détecte tout avec le test
biochimique et l'on ne tue plus qu'une souris sur 14 par voie
intracérébrale, ce qui est au-dessous de la DL50 (dose
létale 50 %), qui est le gold standard dans le cadre de ces
maladies. L'on s'est basé sur cet élément pour annoncer
que seuls le cerveau et la moelle épinière étaient
concernés, que la viande n'était pas dangereuse, que le lait ne
posait pas de problème, etc.
Une fois ce type de résultat obtenu, on peut avoir un raisonnement
extrêmement simple. L'on sait de façon expérimentale que
les souris inoculées par voie intra-cérébrale sont cent
fois plus sensibles que les bovins contaminés par voie orale.
Vous entendrez dire parfois que les bovins sont mille fois plus sensibles que
les souris : c'est exact s'ils sont contaminés par voie
intracérébrale, car il est existe une barrière
d'espèce, mais c'est une situation peu courante.
Ce sont les bovins contaminés par voie orale qui nous
préoccupent. Or, l'on sait expérimentalement qu'ils sont cent
fois moins sensibles. Par exemple, avec 100 milligrammes
d'homogénat que nous avions utilisée précédemment,
nous avions de quoi tuer 200 souris contre seulement deux bovins.
Par ailleurs, un homme contaminé par voie orale -sachant qu'il existe a
priori une barrière d'espèce- sera moins sensible qu'un bovin
dans le même cas, ou au pire aussi sensible, étant entendu que
tous les scientifiques ne sont pas d'accord sur cette analyse, qui me semble
pourtant être du bon sens.
J'en ai parlé avec Stanley Prusiner. Il estime que nous n'avons aucune
preuve. Ceci dit, il considérait également, jusqu'à fin
1999, que le nouveau variant n'était pas lié à l'agent de
l'ESB, car cela ne correspondait pas à sa théorie et parce qu'il
n'en avait pas la preuve expérimentale entre les mains. Or, il a
changé d'avis depuis 1999.
Si un test du type souris était systématiquement utilisé
à l'abattoir, cela permettrait d'éliminer tout ce qui est
dangereux pour la souris et donc tout ce qui l'est pour le bovin et pour
l'homme, le seul problème étant qu'il faut un à deux ans
pour obtenir une réponse dans le cadre du test de la souris.
Dans la mesure où il est désormais techniquement possible d'avoir
une réponse en quelques heures et où les abattoirs ont la chance
d'avoir ce qu'ils appellent une phase de ressuyage -une nuit s'écoule
avant que la bête soit découpée-, si vous utilisez un test
de ce type, vous donnez la réponse avant que la bête soit
découpée en petits morceaux et vous pouvez donc la retirer de
l'alimentation.
Une fois cette démonstration faite, je me suis dit que le
problème était réglé et que tout le monde sauterait
de joie en pensant que la filière était sauvée puisque
l'on avait les moyens de protéger le consommateur. Or, je ne sais pas si
vous avez eu la même impression que moi, mais je n'ai noté aucune
réaction nulle part. Pour le moment, alors que ce type de test est
utilisé, personne n'explique qu'il permet de protéger les
personnes, ce qui me surprend énormément.
M. Michel Souplet -
Nous allons l'expliquer.
M. Jean-Philippe Deslys -
Merci, mais je n'ai pas entendu de
débat scientifique à ce sujet et, quand j'en ai parlé aux
Britanniques, ils m'ont répondu que ce n'était pas sûr.
Cela semble pourtant très logique, mais apparemment il existe un frein.
M. le Président
- C'est uniquement une question de seuil de
sensibilité, ce dernier n'étant pas très
élevé. C'est la raison pour laquelle tout le monde est
méfiant s'agissant de ce test.
M. Jean-Philippe Deslys -
Le problème est que les personnes
raisonnent en voulant rechercher la particule infectieuse, sachant que l'on se
situe au-dessous d'un seuil dangereux.
M. le Rapporteur -
A mon avis, si le test le plus sensible avait
été choisi, cela aurait participé à un état
de psychose de l'opinion publique parce que de plus en plus d'animaux
contaminés auraient été détectés.
M. Jean-Philippe Deslys -
Si vous raisonnez par rapport aux animaux
détectés, alors qu'il faut le faire par rapport à ceux que
l'on laisse passer et qui ne présentent pas de danger.
M. le Rapporteur -
Nous sommes bien d'accord.
M. Jean-Philippe Deslys -
Dans un cas l'on raisonne en termes
d'épidémiologie, pour essayer de trouver le plus possible de cas,
et dans l'autre en termes de protection du consommateur, sachant que ce qu'on
laisse passer, quoi qu'il arrive, (même si nous nous battons entre nous
sur l'origine du prion ou sur d'autres sujets) n'est plus son problème
puisqu'il a la garantie que ce qui arrive dans son assiette n'est pas dangereux.
Un autre raisonnement faux qui a cours consiste à se poser la question
de savoir combien de temps avant l'apparition des signes cliniques les cas sont
détectés, mais j'aurais tendance à vous dire que nous nous
en moquons. Ce qui compte est non pas de savoir que la vache va
développer la maladie dans trois jours, six mois ou trois ans, mais de
s'assurer que ce qui arrive dans l'assiette n'est pas dangereux, la courbe de
réplication de l'agent étant un autre problème, qui est
posé aux scientifiques.
M. le Rapporteur -
Ne pensez-vous pas qu'il serait pertinent de passer
maintenant à une deuxième phase en utilisant un test beaucoup
plus sensible et très clair comme celui-ci ? Je souhaite en tout
cas que nous y arrivions à travers notre rapport, en le
démontrant grâce à vos travaux.
M. Jean-Philippe Deslys -
Cela me semblerait logique.
M. le Président -
Oui, mais ce n'est pas ce qui est fait pour
l'instant.
M. Jean-Philippe Deslys -
Je ne sais pas pourquoi le message ne passe
pas.
M. le Rapporteur -
Nous sommes en train de faire un distinguo entre le
test de Biorad et celui de Prionics.
M. Jean-Philippe Deslys -
Nous pourrions aussi parler du test d'Enfer,
qui est également bon.
M. le Rapporteur -
La presse s'est déjà émue, il y
a quelque temps, en indiquant qu'il existait en effet une première
approche du problème, mais qu'elle était loin d'être
totalement sécuritaire, et je pense que nous ne pourrons pas nous en
satisfaire très longtemps.
M. Jean-Philippe Deslys -
Il existe un ensemble de mesures
complémentaires, celles qui sont prises étant bonnes.
L'élimination des abats à risque, de la cervelle et de la moelle
épinière s'inscrit dans une logique absolue. Cependant, il
faudrait que le système soit cohérent, notamment s'agissant des
farines, certaines situations étant pour moi complètement
incohérentes. La majorité des farines correspondent à des
animaux déclarés bons pour la santé humaine dont les abats
à risque ont été supprimés et qui de plus subissent
un traitement qui n'existe pas chez l'homme (134 degrés-3 bars). Or,
l'on considère cela comme dangereux.
M. le Président -
C'est un problème d'image. Vous avez
raison : les farines sont devenues parfaitement sécurisées.
M. Jean-Philippe Deslys -
Je vous ai parlé de la majorité
des farines, mais pas de la cervelle et de la moelle épinière ou
de la partie des bovins contaminée, qui eux doivent être
considérés comme à risque, prendre une filière
différente et faire l'objet d'un traitement spécifique.
Si l'on mélange tout, l'on arrive à des tonnages tels que les
résultats sont moyens pour tout le monde. Il est beaucoup plus rentable
de cibler ce qui est dangereux et de vérifier que ce qui ne l'est
vraiment pas ne fait l'objet d'aucune fraude, en le traitant comme un
déchet et non plus comme un produit à risque.
M. le Président -
De toute façon, on sépare bien
les matériaux à risque aujourd'hui, les farines devenant tout
à fait utilisables.
M. Jean-Philippe Deslys -
Tout à fait, d'autant plus que les
bovins de plus de 30 mois sont testés, ce qui à mon sens devrait
également être le cas de ceux de plus de 24 mois. D'ailleurs,
l'Allemagne a changé sa politique justement à la suite de
l'utilisation du test français, car elle trouvé 2 bovins de 28
mois contaminés qu'elle n'aurait jamais détectés autrement.
Des personnes déclarent que c'est dangereux, mais sinon ces bovins
n'auraient pas été détectés, car ils ne
présentaient pas de signes cliniques, et seraient passés dans
l'alimentation.
En effet, plus les tests seront sensibles, plus l'on descendra bas, mais cela
devrait au contraire être une garantie de travail bien fait au lieu
d'affoler les personnes, sachant qu'un contrôle à partir de 24
mois serait à mon sens plus logique qu'à partir de 30 mois.
M. le Rapporteur -
Quelques départements utilisent le test Biorad
à travers leurs laboratoires d'analyse, mais ils sont marginaux.
M. Jean-Philippe Deslys -
Cela se passe de façon curieuse en
France. Au départ, tel que nous avions conçu le test -sachant que
nous sommes des scientifiques et que nous considérons la situation
à l'échelon de notre laboratoire-, nous calculions le seuil de
sensibilité très simplement. Nous ajoutions des négatifs
dans la plaque et nous en faisions la moyenne. Le seuil était
fixé à deux fois et demi la moyenne des négatifs et cela
fonctionnait à chaque fois.
Cependant, les industriels nous ont indiqué que c'était
compliqué pour eux et que ce ne serait pas accepté s'ils devaient
envoyer des homogénats, etc., raison pour laquelle ils ont voulu
utiliser un incrément fixe.
Ils ont en l'occurrence ajouté 90 milli DO, ce qui ne change rien pour
nous dans la mesure où les négatifs se trouvent au niveau du
tampon.
Cependant, quand ils ont mis cela en place sur le terrain avec des personnes
qui n'avaient peut-être pas la même façon de travailler
-certaines d'entre elles ne savaient apparemment même pas utiliser une
pipette au départ-, ils ont obtenu des négatifs beaucoup plus
hauts, l'ajout d'un incrément fixe dans ces conditions par rapport
à un tampon qui lui ne bouge pas faisant que certains négatifs
sont au-dessus du seuil.
Ma position est de dire en tant que scientifique qu'il faut revenir à
notre méthode, qui permet d'éviter ces variations, mais celle
retenue par les industriels est d'ajouter un autre incrément fixe pour
tenir compte des négatifs trouvés sur le terrain.
C'est ce qu'ils ont fait dans tous les pays d'Europe et notamment en Allemagne
et en Belgique, où cela a été accepté par la
Commission européenne, sachant que leurs tests sont un peu moins
sensibles que les nôtres mais qu'ils continuent à l'être dix
fois plus que celui de Prionics. Cela se passe très bien, mais cela n'a
pas été accepté en France. La DGAL veut maintenir
l'incrément précédent, puis faire des calculs entre
celui-ci et le nouveau. Ils ont à mon sens une approche très
curieuse du problème.
Enfin, d'autres tests sont en cours d'évaluation. L'un d'entre eux
permet de détecter la maladie dans le sang -il a été
décrit comme tel- des moutons et des hamsters, mais il n'est pas
tellement reproductible pour le moment, et il est très loin d'être
utilisable.
Le laboratoire de Stanley Prusiner a développé un DO aux
Etats-Unis, sachant qu'il avait déjà tenté d'en
déposer un précédemment, mais qu'il n'était pas au
point. Il le fait évaluer par la Commission européenne et
espère le commercialiser.
Les Anglais représentent deux tests. De même, les Hollandais sont
concernés, mais je n'ai pas de précision à ce sujet.
Prionics développe un test Elisa -le western blot étant
très lourd et peu pratique pour les séries importantes-, mais
j'en ignore la sensibilité.
Enfin, nous poursuivons pour aller un peu plus loin, notamment pour les
moutons, ce test fonctionnant également pour ces derniers, pour lesquels
il est beaucoup plus sensible. Cela permettrait de disposer d'un outil afin
d'éliminer systématiquement à l'abattoir, si on le
souhaite, tous les animaux atteints de tremblante. Il ne reste qu'à le
valider.
De manière plus générale, en ce qui concerne notre groupe
et son sujet de recherche, je suis moi-même médecin de formation.
J'ai mis en place le groupe et me suis intéressé plus
particulièrement, au début, à la maladie de
Creutzfeldt-Jakob iatrogène, à la mise à place de
modèles expérimentaux, puis au développement du test.
Corinne Lasmezas, qui est vétérinaire, a procédé
pour sa part à toutes les expériences de transmission à
l'animal, aussi bien chez les souris que chez les primates. Elle s'oriente
aujourd'hui vers d'autres approches, avec des optamères et la recherche
de récepteurs.
Jean-Guy Fournier et Nicole Sales sont des spécialistes de la
morphologie. Nous voulons désormais utiliser tous nos outils pour
étudier ce qui se passe réellement au niveau des cellules.
Karim Adjou est vétérinaire et spécialiste de la
thérapeutique, étant entendu que nous recherchons de nouvelles
approches thérapeutiques dans la mesure où nous sommes
confrontés à un très important problème.
Emmanuel Comoy qui travaillait avec moi, a rejoint Biorad et a assuré le
transfert du test chez les industriels.
Des étudiants se sont occupés de la transmission par voie orale
ainsi que de la recherche de récepteurs et de nouvelles approches pour
rechercher des gènes dérégulés qui pourraient
servir de nouveaux marqueurs.
Enfin, nous avons des techniciens pour nous aider.
M. le Rapporteur -
J'ai noté dans votre exposé quelques
points qui correspondent à autant de questions. Avez-vous une approche
des tests ante-mortem ?
M. Jean-Philippe Deslys -
Les tests qui existent actuellement dans ce
domaine sont effectués sur les tissus accessibles que sont les
amygdales, la troisième paupière et les ganglions, qui sont
limités au mouton.
A cet égard, je ne vous ai pas précisé que, s'agissant des
tests auxquels nous avons procédé sur les dilutions, nous avons
effectué des vérifications chez les animaux au stade
pré-clinique, en trouvant la même corrélation entre la
souris et le test biochimique.
Le test ante-mortem est possible chez le mouton. Quant au sang, c'est une
question de sensibilité. Nous avons de premiers indices grâce
à l'approche de Marie-Jo Schmerr et nous devrions être capables de
détecter la protéine anormale chez le mouton dans le sang.
La seconde cible sera l'homme, sachant que ce sera plus difficile, que les
tests devront être encore plus sensibles et que si nous parvenons
à un résultat ce sera mauvais signe pour la transfusion sanguine.
Cela posera également des problèmes d'éthique, la question
étant de savoir comment procéder pour les patients dont il aura
été démontré qu'ils sont en période
d'incubation de la maladie et pour lesquels il n'existe pas de traitement pour
le moment. C'est la raison pour laquelle nous essayons avec acharnement de
trouver de nouvelles voies thérapeutiques.
En revanche, nous ne voyons pas comment faire pour les bovins dans la mesure
où nous ne trouvons pas de protéines anormales dans leur sang.
Cependant, un article est récemment paru dans « Nature
médecine » qui indique qu'en cas de maladie un gène est
dérégulé, le marqueur qui stimule normalement la
différenciation des érythrocytes étant abaissé.
C'est très curieux, car cela signifie que c'est un mécanisme
complètement indirect.
Personne ne comprend quel est le mécanisme, raison pour laquelle nous
avons recherché d'autres approches -par PCR- pour trouver de nouvelles
cibles. Cela modifierait le problème si elles étaient applicables
pour le sang,.
En tout cas, à court terme, aucun test ne sera utilisable avant au moins
un an -c'est un grand minimum- différemment de ce qui est fait
actuellement.
M. le Rapporteur -
Concernant la problématique de la transfusion
sanguine, les Américains, dans le cadre des dons du sang, ont pris la
précaution d'écarter certaines personnes.
M. Jean-Philippe Deslys -
Celles qui ont séjourné plus de
six mois en Grande-Bretagne et dix ans en France, mais je pense que le Canada a
été encore plus restrictif. C'est un principe de
précaution. A partir du moment où le nombre de cas est impossible
à prévoir, avec des patients en incubation potentiellement
porteurs, c'est relativement logique si cela ne perturbe pas l'équilibre
transfusionnel du pays. Il est tellement plus simple de procéder de la
sorte ! Cela fait partie des mesures globales en termes de précaution.
Il existe également des mesures techniques qui consistent en la
déleucocytation, le sang contenant grosso modo des globules rouges et
des produits stables. Les produits labiles peuvent être
déleucocytés, c'est-à-dire être
débarrassés des globules blancs en passant dans des filtres qui
vont les retenir, avec une grande efficacité, 90 % de
l'infectiosité étant considérés comme liés
aux globules blancs. Ceci dit, que l'efficacité de
déleucocytation soit égale à un facteur de 10, 100 ou 10
000, cela ne changera pas grand-chose ; il restera toujours 10 % que
vous ne pourrez pas toucher.
De plus, ces agents ont la propriété de se coller partout sur les
membranes et si l'on vous indique que les globules rouges n'en contiennent pas
on ne peut pas oublier que l'on n'est pas capable de concentrer ces derniers
suffisamment pour les injecter.
C'est facile pour les globules blancs, car les cellules sont peu nombreuses,
mais les globules rouges représentent un volume important, un cerveau de
souris pesant 400 milligrammes. L'on ne peut pas y injecter plus de 20
microlitres, ce qui montre les limites du système.
Concernant les produits labiles, il est également possible de
procéder à des nanofiltrations. Le LFB (laboratoire de
fractionnement du sang) a développé ce genre de technique sur les
facteurs anti-hémophiliques, mais j'ignore où il en est
exactement. En tout cas, ce sont là aussi des techniques reconnues comme
efficaces, qui diminueront énormément le risque. Cela semble
raisonnable ajouté au facteur de dilution.
M. le Rapporteur -
Qu'en est-il de la contamination éventuelle du
lait ?
M. Jean-Philippe Deslys -
Je ne vous ai pas parlé de la
contamination de l'environnement, qui est également un problème.
L'on n'a jamais rien trouvé pour le lait, mais là encore le
facteur de dilution est énorme et l'on est limité dans ce que
l'on peut inoculer. Par ailleurs, l'on ne s'est pas spécifiquement
intéressé, à mon sens, au lait d'animaux atteints de
mammite, etc., qui contient des cellules, d'autant plus quand il provient d'une
vache infectée. J'ai appris à cet égard que les vaches
développaient d'autant plus de mammites qu'elles sont traitées
avec des hormones de croissance, qui elles-mêmes sont
théoriquement interdites en France, mais pas aux Etats-Unis, où
elles sont utilisées à très grande échelle.
Concernant l'environnement, nous observons une contamination de tout le tube
digestif. Cela commence par les plaques de Peyer, qui sont les premiers relais
et -nous l'avons noté chez les souris que nous avons
étudiées- dans les endroits faisant l'objet d'une concentration
anatomique de cellules du système immunitaire, mais les cellules qui
sont dispersées dans la paroi sont contaminées et c'est à
la fin de la maladie le cas de tout le tube digestif, sachant que chez la
souris la répartition n'est pas la même en fonction des souches.
Dans le cas de la tremblante, tout le tube digestif est contaminé, alors
que pour l'ESB c'est uniquement le cas des plaques de Peyer, toutes les souches
ne se comportant pas de la même façon. Il est important de le
retenir.
Qu'en est-il chez les moutons ? Il a toujours été
indiqué officiellement que les fèces n'étaient pas
dangereux. Cependant, j'ai effectué des calculs pour voir s'ils
étaient dangereux ou pas, sachant qu'une souris produit par jour 1
gramme de crottes pour un poids de 20 grammes, ce qui est représente un
volume de dilution énorme. Je vous déconseille d'ailleurs
d'injecter des matières fécales concentrées dans le
cerveau d'un animal, car en général cela se passe mal.
Tous ces phénomènes mis bout à bout vous expliquent
pourquoi nous ne parvenons pas à nous y retrouver, mais il faut
également tenir compte d'un phénomène de logique. Par
exemple, un pays comme l'Islande n'arrivait pas à se débarrasser
de la tremblante malgré des campagnes très dures
d'éradication, sachant qu'il a pour caractéristique des hivers
très rudes, les animaux étant confinés dans des
étables pendant tout ce temps.
A l'inverse, l'Australie et la Nouvelle Zélande, qui ont importé
des moutons très contaminés de Grande-Bretagne du temps du Roi
George III, s'en sont débarrassés naturellement, sans campagne.
J'ai donc l'impression qu'un facteur de transmission horizontal pourrait
être lié aux fèces et pas seulement au placenta, comme
certains l'ont dit.
J'en ai discuté notamment avec les spécialistes américains
avec lesquels nous collaborons justement pour explorer ce
phénomène dans le cadre du « Chronic Wasting Disease ».
Quand les animaux sont maintenus en captivité, la maladie se
répand beaucoup plus rapidement. Ce sera par exemple le cas de
100 % des cerfs mulets (« mule deer ») maintenus dans
cet état, ce qui n'est pas lié au placenta, (la placentophagie
étant un système classique de défense contre les
prédateurs, afin de pas laisser traîner un tissu sanguinolent dans
l'environnement).
M. le Rapporteur -
Cela voudrait dire que la concentration de
fèces dans un environnement relativement limité peut
entraîner une pollution tellurique importante.
M. Jean-Philippe Deslys -
Les champs à tremblante sont connus.
L'on sait que certains champs ont été contaminés pendant
des années. Paul Brown a mené « l'expérience du
pot de fleurs », en mélangeant de la cervelle infectée
à de la terre dans un pot de fleurs qu'il a enterré dans son
jardin pendant trois ans. Quand il l'a déterré puis a
récupéré la terre, cela avait perdu moins d'un facteur 60,
alors qu'il avait mis plusieurs millions d'unités infectieuses.
Cela pose également des problèmes pour les instruments. L'on
raisonnait par rapport à ce que l'on savait desorber mais, quand on
inocule la souris directement par une tige en acier qui a été
contaminée, puis lavée et rincée, même si l'on ne
détecte plus rien sur celle-ci, elle se révèle infectieuse
pour la souris, ce qui pose problème.
M. le Rapporteur -
Par conséquent, on ne peut pas exclure la
contamination environnementale, loin de là.
M. Jean-Philippe Deslys -
Non.
Je ne suis pas trop inquiet pour les bovins dans la mesure où l'on ne
trouve pas ces agents à des niveaux détectables dans le tube
digestif, ce qui signifie que les maladies seront peu nombreuses. En revanche,
les données changent pour le mouton et la chèvre, de même
qu'il faut se poser des questions sur les stations d'équarrissage. Que
font-elles de leurs effluents liquides ? Que se passe-t-il dans les
stations d'épuration ? Que deviennent les boues d'épuration
ensuite ? etc.
Nous parvenons en laboratoire à diluer d'un facteur 1 000 à 10
000 un cerveau infectieux avant de perdre le signal. Par conséquent, si
le seuil diminue d'un facteur semblable, on se rend bien compte, en plus des
autres arguments que j'ai développés, que cela apporte une
sécurité, mais il faut vérifier qu'il n'existe pas de
maillon faible. Il faut savoir comment nettoyer et décontaminer
l'abattoir, quoi faire des effluents, etc.
Il m'a été demandé au moment de la mise en place des tests
s'il fallait les réaliser en P3, alors que paradoxalement les ouvriers
retiraient la moelle épinière à main nue dans les
abattoirs, ce qui était totalement incohérent.
Si l'on commence à dire qu'il faut absolument des P3 pour analyser des
bouts de cervelle, il faut mettre tous les abattoirs en P3, en étant
logique jusqu'au bout.
A l'inverse, s'agissant des tests, les bonnes pratiques de laboratoire
suffisent, étant entendu qu'il ne faut pas s'amuser à jeter
à l'égout certains éléments. Il suffit que les
laborantins portent des blouses, des masques et des gants pour travailler
proprement, dans une pièce qui ne soit pas ouverte aux quatre vents et
qui ferme avec une porte, ce qui n'est pas extraordinaire, les effluents devant
être décontaminés proprement. En appliquant ces mesures
simples, qui ne coûtent pas cher, le résultat est une
propreté cent ou mille fois supérieure à celle que l'on
trouve dans les abattoirs. Il faut une gradation ; sinon cela ne sert
à rien.
M. le Rapporteur -
Les USA nourrissent aussi leurs animaux avec des
farines animales et utilisent le même process : comment se fait-il
qu'ils n'aient enregistré aucun cas avéré de maladie ?
M. Jean-Philippe Deslys -
Le phénomène actuel est dû
à la conjonction de deux facteurs : une dose suffisamment
infectieuse au départ et une amplification. Les USA ont apparemment
réussi à verrouiller suffisamment leurs frontières pour
éviter des importations trop importantes d'Angleterre.
D'ailleurs, si nous suivons ce qui s'est passé à partir de
l'Angleterre, nous nous rendons compte que les pays géographiquement les
plus proches se sont retrouvés en première ligne, en dehors de la
Suisse, pour des raisons commerciales tout à fait particulières.
Nous savons que les USA ont rencontré des problèmes dans le
Vermont, avec des troupeaux de moutons qu'ils ont importés en 1996,
juste avant les mesures d'embargo, et qu'ils viennent seulement de les
sacrifier, après une bataille juridique effarante.
Si j'ai bien compris, d'après les informations en ma possession, les
moutons qu'ils ont importés ont développé des signes de
tremblante quelque temps après. Ils ont été mis en
quarantaine mais, du fait des particularités juridiques en vigueur aux
USA, ils n'ont pas pu être sacrifiés et ont donc été
maintenus.
Un scientifique a procédé à un essai et a trouvé un
western blot positif, avec un profil un peu bizarre, ce qui a été
ensuite amplifié et bloqué par les avocats. Les
prélèvements n'étaient pas disponibles et cela a
été une procédure extraordinaire. Je n'arrive pas à
titre personnel à comprendre comment, à partir du moment
où l'on sait qu'un problème de santé publique se pose, un
troupeau touché n'est pas abattu. C'est l'avantage des services
vétérinaires, mais c'est plus compliqué aux USA.
Quant aux farines, j'ignore si les USA en ont importé ou non. Ils ont en
effet la possibilité d'amplifier le risque de par leur système,
mais ils ont sur nous un avantage avec les tourteaux de soja. Ils n'avaient pas
le même besoin de supplémenter, ce qui renvoie à la notion
de dose. Si l'on en reste à des doses suffisamment basses, cela ne pose
pas de problème.
M. Paul Blanc -
Vous avez indiqué qu'à votre connaissance
l'importation des abats a été multipliée par 20.
M. Jean-Philippe Deslys -
Ce sont les chiffres que m'a fournis
Mme Brugère-Picoux.
M. Paul Blanc -
Il y a là une discordance avec ce qui nous a
été indiqué ce matin.
Vous pensez donc que les tests tels qu'ils sont pratiqués aujourd'hui
peuvent être qualifiés de sécuritaires. Cela signifie que,
s'ils sont négatifs, il n'y a pas de raison d'avoir suffisamment de
concentration de prion qui puisse contaminer.
M. Jean-Philippe Deslys -
Je considère à titre personnel
que c'est en cela qu'il manque une phase. Il faudrait qu'un débat
contradictoire ait lieu entre scientifiques, sur cette base, pour savoir s'ils
considèrent que le niveau de sécurité apporté par
le niveau de sensibilité d'un test utilisé dans telle et telle
conditions est garanti. En effet, mon raisonnement a été
validé sur le plan scientifique -il a été publié
dans une revue du type « Nature »-, mais cela s'est
arrêté là.
M. Paul Blanc -
Si tel est le cas, il n'est pas la peine de
développer des tests plus sensibles.
M. Jean-Philippe Deslys -
Plus les tests seront sensibles, plus vous
aurez une garantie, ce qui est toujours préférable. Si je pouvais
effectuer un test encore plus sensible, je serais encore plus content. Ceci
dit, le fait d'en être arrivé là avec la souris...
M. Paul Blanc -
Nous avons atteint un seuil de sécurité.
M. Jean-Philippe Deslys -
Nous atteignons un seuil qui semble
extrêmement satisfaisant.
M. Jean Bernard -
Quand nous sommes allés dans le Doubs, on nous
a parlé de la repopulation des élevages qui avaient
été supprimés sans qu'aucune mesure de désinfection
ait été prise.
M. Jean-Philippe Deslys -
S'il s'agit d'élevages bovins, cela me
gêne peu, car la transmission n'est pas horizontale parmi ceux-ci.
M. Jean Bernard -
Je le sais, mais cela pose problème aux yeux
des ressortissants qui ont eu à subir cela. Ils se sont
interrogés sur le fait de remettre des animaux dans un milieu
suspecté d'être infectieux.
M. Jean-Philippe Deslys -
C'est la tremblante qui pose problème,
l'Islande ayant mis en place des mesures drastiques. Elle a enlevé la
couche superficielle de terre, en traitant largement le sol à la chaux
vive.
Ce qui se dit s'agissant des élevages est que, dès qu'un cas
positif est détecté, il faut que le troupeau ait
été éliminé dans les six mois. L'on ne s'en sort
pas en attendant deux ou trois ans.
Cependant, cela dépend des modèles. Je vous décris le
modèle le plus extrême, la chronic wasting disease, qui a un
comportement anormal et peut toucher 100 % des animaux, ce qui est
très spectaculaire, mais le taux est estimé à 2 %
chez les moutons, qui sont pourtant parqués, et l'on considère
que chez le bovin il n'existe pas de transmission horizontale et que tout a
été transmis via les aliments contaminés.
Quant à la transmission materno-foetale, elle est estimée dans
10 % des cas au cours des derniers mois de gestation, sachant que
l'expérience n'était pas parfaite puisqu'elle avait
été menée sur des animaux qui avaient été
partiellement nourris avec des farines contaminées.
M. Jean Bernard -
Il nous a été indiqué qu'en
Australie la tremblante a été éliminée quasiment
naturellement.
M. Jean-Philippe Deslys -
En effet. C'est apparemment la concentration
des animaux qui augmente le risque.
M. Georges Gruillot -
Le délai d'incubation semble avoir une
relation directe avec la dose. Plus elle augmente, plus il est réduit.
M. Jean-Philippe Deslys -
Jusqu'à une certaine limite. Je vais
prendre l'exemple de la souris, car c'est le plus simple. Si je me prends un
homogénat à 25 %, 10 % ou 1 %, cela ne changera
rien à trois jours près. En revanche, si je dilue d'un facteur 10
supplémentaire, les souris mourront une semaine plus tard, si je le fais
à nouveau un mois plus tard, etc. La mortalité sera au
début toujours de 100 %, mais à la fin quelques animaux
survivront, puis 50 %, puis 99 % et en définitive plus aucun
d'entre eux ne mourra.
M. Jean Bernard -
Avez-vous des échanges avec les laboratoires
qui travaillent dans le même domaine de recherche que vous ?
M. le Président -
Notre collègue veut savoir si vous avez
des contacts avec des laboratoires tels que le vôtre qui travaillent sur
le même problème et si vous échangez vos connaissances.
M. Jean-Philippe Deslys -
Enormément de collaborations ont
été favorisées par les programmes de recherche
initiés en France. Les premiers ont commencé en 1994 et les plus
importants en 1996. Il s'agissait de programmes faits pour
fédérer les personnes et pour obliger de nouvelles équipes
à s'impliquer.
Dans la mesure où nous avions le savoir-faire et les installations, nous
avons collaboré avec beaucoup de personnes, le même
phénomène s'étant produit sur le plan européen. Je
pense que notre laboratoire est aujourd'hui celui qui a développé
le plus grand nombre de collaborations européennes et françaises,
ce qui a été très efficace.
Les PRR (Projets de Recherche en Réseau) ont été le second
phénomène efficace, à travers des actions
coordonnées ou assez libres, mais de façon plus incitative. L'un
des buts était par exemple de développer les anticorps.
M. le Président -
Nous avons reçu la semaine
dernière, en Angleterre, le Pr Will. Partagez-vous sa façon
de concevoir l'évolution de la recherche sur cette maladie ?
M. Jean-Philippe Deslys -
Le Pr Will est très ouvert -nous avons
en revanche, des difficultés à obtenir des informations d'autres
collègues- sachant que sa spécialité est
l'épidémiologie chez l'homme.
M. le Rapporteur -
Nous croyons savoir que depuis une dizaine
d'années, quand les enfants anglais subissent une extraction des
amygdales, cela donne lieu à des coupes histologiques, ce qui permet de
commencer à avoir une photographie de la quantité de prions qui
existe chez ceux ayant fait l'objet de ce type d'opération. Avez-vous
des échos sur les interprétations aujourd'hui possibles ? Un
document m'a été promis.
M. Jean-Philippe Deslys -
Vous aurez donc plus d'informations que nous.
M. le Rapporteur -
Il m'a été promis, mais je ne suis pas
certain que nous l'aurons ; c'est le problème.
M. Jean-Philippe Deslys -
Il est très difficile d'avoir des
informations, sachant que ce sont au début les équipes de
Cellenge qui s'étaient attelées à cela.
Je ne sais pas si les techniques utilisées à l'époque
étaient les plus sensibles, car les prélèvements
étaient formolés, donc inutilisables pour les autres techniques
ensuite.
Par ailleurs, les collectes ont commencé après la période
la plus à risque, étant entendu qu'avant 1996 il n'existait
officiellement aucun risque pour l'homme, raison pour laquelle personne ne se
préoccupait de ce genre de sujet.
Théoriquement, les individus n'ont plus été du tout
exposés à partir de 1996. Il faut voir à partir de quel
âge les enfants se font enlever les amygdales mais, le temps que cela se
mette en place, il est très probable que l'on ait affaire à une
population située au-delà de la période la plus
dangereuse. Il sera difficile, à l'intérieur de celle-ci, qui ne
sera plus assez représentative, de rechercher un événement
que l'on espère être rare, surtout en n'utilisant pas la technique
la plus efficace.
M. Michel Souplet -
Depuis que notre commission travaille, je me suis
aperçu que nous sommes en France relativement en avance sur le plan de
la recherche, des tests, etc. Cependant, je suis surpris : on nous parle
de 98 cas d'humains atteints en Grande-Bretagne -après qu'il ait
été question de 85 personnes-, d'un cas en Irlande et de trois en
France, dont le troisième date déjà de plusieurs
années.
On ne semble entendre parler de cas dans aucun autre pays du monde. Nous
camoufle-t-on la vérité, notamment s'agissant des pays
traditionnellement exportateurs, ou fait-on en sorte que cela ne transpire
pas ?
En effet, cela devient très grave. Nous parlons de
traçabilité pour satisfaire les consommateurs français ou
européens et nous allons consentir des efforts énormes, mais nous
serons concurrencés par les importations d'animaux provenant d'autres
pays qui nous diront n'avoir jamais détecté aucun cas. J'aimerais
que nous parvenions à savoir si des personnes meurent et sont malades
ailleurs.
M. Jean-Philippe Deslys -
Tout le monde a pu constater que, tant
qu'aucun test n'a été effectué, aucun cas n'a
été détecté chez les bovins dans plusieurs pays d'
Europe, cette certitude de l'absence de cas ayant même conduit à
une absence totale de mesures de précaution. Par exemple, l'Allemagne a
continué à incorporer de la cervelle et de la moelle
épinière jusqu'en novembre, sachant que les produits pouvaient
parfaitement revenir chez nous dans le cadre du libre commerce.
Par ailleurs, les cas sont encore très peu nombreux chez l'homme, tout
le monde espérant que nous en resterons là. De toute
façon, quand bien même beaucoup de cas feraient leur apparition,
nous serions toujours dans la situation où il s'agirait des personnes
qui ont été contaminées le plus tôt et avec les
doses les plus fortes, dans le pays qui totalise 98 ou 99 % des cas et
chez le principal importateur, à savoir la France. Quant à
l'Irlande, la personne touchée vivait auparavant en Angleterre. Par
conséquent, la situation est complètement logique pour le moment.
En revanche, nous devrions voir apparaître des cas ailleurs si le nombre
de ceux qui existent en Grande-Bretagne et en France croît de
façon importante. Nous sommes pour le moment dans une période
d'incubation courte.
M. le Président -
Nous avons pu vous poser toutes les questions
que nous souhaitions. Merci beaucoup pour la quantité et surtout la
qualité des renseignements que vous nous avez fournis. Vous nous avez
fait comprendre un certain nombre de choses.
Audition de M. Bernard KOUCHNER, Ministre délégué
à la
Santé
(4 avril 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Tout d'abord, merci,
Monsieur le Ministre, d'avoir répondu à notre convocation. Vous
êtes auditionné cet après-midi en tant que Ministre
chargé de la santé dans le cadre d'une commission d'enquête
parlementaire mise en place par le Sénat sur le problème de
l'utilisation des farines animales et les conséquences que cela a
entraîné avec le développement de l'ESB ainsi que celles
qui en résultent pour la santé des consommateurs. C'est bien
sûr plus à ce titre que nous vous auditionnons.
Je ne vous apprendrai rien en vous indiquant que dans les commissions
parlementaires les témoignages doivent avoir lieu après avoir
prêté serment. C'est la raison pour laquelle je vais vous rappeler
les conditions dans lesquelles fonctionne une audition. Je vous demanderai
à la fin de bien vouloir prêter serment.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Kouchner.
M. le Président -
Je dois également demander à vos
collaborateurs de bien vouloir prêter serment, car nous devons respecter
les règles s'ils ont à s'exprimer à un moment ou un autre.
M. Salomon
- Je le jure.
M. Brucker
- Je le jure.
M. Voiturier
- Je le jure.
M. le Président -
Je vais dans un premier temps, si vous le
voulez bien, vous passer la parole pour que vous puissiez nous donner votre
sentiment sur cette affaire et ses conséquences sur la santé
publique. Ensuite, si vous le permettez, nos collègues pourront vous
poser les questions qu'ils souhaitent.
M. Bernard Kouchner -
Merci, Monsieur le Président. Je suis
très heureux d'être devant vous et de répondre avec le plus
de précisions possible aux questions des sénateurs qui sont avec
vous.
Ce sera peut-être un peu fastidieux pour vous qui connaissez le sujet
-vous venez de plus d'entendre des spécialistes-, mais je me dois du
point de vue du Ministre de la Santé de vous indiquer assez sommairement
comment je vois la situation, comment nous l'avons vue et comment
éventuellement nous la verrons.
Les maladies à prions sont devenues -elles ne l'étaient pas
auparavant car nous ne les connaissions pas- une priorité pour le
Ministère de la Santé à partir des descriptions des
premiers cas iatrogènes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Je vous
rappelle qu'il existe plusieurs formes de celle-ci :
La maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique, que l'on connaît depuis le
début du siècle (avec 80 à 90 cas par an) et dont
l'incidence est stable.
Les formes familiales, d'origine génétique, qui sont
extrêmement rares. Nous avons répertorié 62 cas depuis 1992.
Les formes iatrogènes. Nous déplorons aujourd'hui 84 cas, dont
hélas 78 décès, sur les 1 000 enfants potentiellement
contaminés qui avaient été traités par l'hormone de
croissance extractive entre 1983 et 1985 en France, la première
description de ces cas datant des années 1990.
On note plusieurs dizaines de cas mondiaux après utilisation de la
dure-mère, c'est-à-dire en neurochirurgie, en stomatologie, en
oto-rhino-laryngologie et en radiologie interventionnelle.
On note également quelques cas mondiaux après utilisation
d'instruments neuro-chirurgicaux contaminés ou d'électrodes de
stéréo-électroencéphalogramme.
2 à 3 cas mondiaux ont été détectés
après des greffes de cornée.
En revanche, aucune transmission verticale (mère-enfant) ou par
transfusion n'a été démontrée, ce qui
résulte d'une étude européenne.
Nous avons concernant les premiers cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob pris
rapidement des mesures de santé publique en France en renforçant
la surveillance, à travers :
Depuis 1992 -j'étais Ministre de la Santé à
l'époque-, le réseau de surveillance multidisciplinaire,
l'INSERM, des neurologues et des biologistes.
Le centre national de référence de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob iatrogène, qui siége à la Pitié,
avec déclaration obligatoire des encéphalopathies spongiformes
subaiguës depuis 1996.
Le réseau coordonné par l'Institut national de veille sanitaire,
depuis l'an 2000, c'est-à-dire l'INSERM (avec l'unité 360), les
DDASS, les neurologues et le CEA.
Le réseau français est intégré dans une action
concertée européenne, Biomed.
Nous avons également tenté de prévenir le risque
iatrogène, des mesures ayant été prises et au fur et
à mesure de l'évolution des connaissances scientifiques, car je
vous rappelle que nous n'y connaissions pas grand-chose.
Elles ont concerné tous les risques connus, avérés ou
théoriques, et se sont appuyées à chaque fois sur les avis
d'instances comme le Conseil supérieur d'hygiène publique de
France, le Comité interministériel sur les
encéphalopathies spongiformes, dirigé par le Dr Dormont, ou les
agences que nous avons créées au fur et mesure depuis 1992.
L'hormone de croissance extractive a été traitée
dès 1987 puis remplacée par une hormone de synthèse
dès 1988.
Nous avons décidé en 1992 que la maladie de Creutzfeldt-Jakob
était une contre-indication aux dons d'organes et de sang et nous avons
interdit l'utilisation de la dure-mère dès 1994, celle-ci ayant
été remplacée par du tissu de synthèse. Je vous
rappelle que la dure-mère était avec d'autres tissus ce qui
était conservé de façon assez curieuse dans les
frigidaires autour des salles d'opération, etc.
Enfin, des mesures spécifiques de prévention ont
été prises contre la transmission par les instruments en milieu
hospitalier dès 1995. D'ailleurs, nous poursuivons et nous modifions les
consignes données aux établissements hospitaliers au fur et
à mesure des connaissances, car bien entendu la situation évolue.
Concernant la sécurité sanitaire du médicament, nous avons
évalué à partir de 1991 au cas par cas le risque le risque
d'encéphalopathie spongiforme bovine avec la Direction de la pharmacie
puis l'Agence du médicament.
Nous avons commencé par retirer les lyophilisats de foie de bovins, de
testicules de taureaux, d'extraits d'hypophyses et de surrénales, etc.,
qui représentaient des fortifiants dont certains étaient
utilisés par voie injectable.
Nous avons interdit les matériaux à risques
spécifiés en 1992, 1996 et 1997 et l'embargo sur les produits
bovins d'origine britannique date de 1991, alors que j'étais
déjà Ministre de la Santé.
Nous avons en 1996 substitué progressivement des dérivés
végétaux aux dérivés animaux et nous sommes
partenaires d'une certification européenne pour les médicaments
contenant des gélatines d'origine bovine depuis mars 2001, sachant que
la revue de tous les dossiers d'AMM prend beaucoup de temps, mais qu'il
faudrait savoir remplacer au mieux les gélatines, ce que nous ne savons
pas faire actuellement.
Concernant les mesures de sécurité sanitaire et de
précaution vis-à-vis des produits sanguins, nous avons dès
1992 exclu du don du sang les malades atteints de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob.
Nous avons en 1993 rappelé systématiquement les
dérivés du sang issus d'un donneur ayant développé
ultérieurement la maladie.
Nous avons en 1997 exclu les donneurs à risque
(antécédents familiaux, traitement par hormones extractives,
neurochirurgie, transfusés et greffés).
Nous avons en 1998 déleucocyté -l'on dit aujourd'hui «
leuco-réduit », car le déleucocytage n'est jamais
effectué complètement- les produits sanguins labiles, avec
l'interdiction du plasma d'origine britannique.
Nous avons en décembre 2000 exclu du don du sang les personnes ayant
séjourné plus d'un an en Grande-Bretagne entre 1980 et 1996.
La leuco-réduction des plasmas destinés au fractionnement a
été rendue opérationnelle en avril 2001.
Nous avons procédé à la nanofiltration des
médicaments dérivés du sang et à l'information des
prescripteurs pour le respect strict des indications relatives aux produits
sanguins.
Concernant la sécurité sanitaire des greffes, nous avons exclu du
don les donneurs dits à risque, entre 1992 et 1996, et interdit les
greffes de dure-mère, tympans, rochers.
S'agissant de la sécurité des dispositifs médicaux, nous
évaluons le risque -j'aimerais en parler avec vous, car il est
difficilement évaluable- en appliquant le principe de précaution
depuis 1996.
Nous procédons à la vérification des procédures de
désinfection, mais cela évolue, et nous prônons le
développement du matériel à usage unique, ce qui est
facile à dire, mais très difficile à mettre en place.
Enfin, nous avons mis en oeuvre le marquage CE et la traçabilité.
Pour revenir sur le matériel à usage unique, les premières
tentatives faites pour les endoscopes ont été couronnées
d'échecs, sachant que c'est horriblement difficile et que cela
coûte très cher.
De plus, un certain nombre d'oto-rhinos nous font remarquer -même si nous
devrons passer sur cela- que le prix de la consultation équivaut
à peu près au tiers de celui de l'enveloppe de plastique
destinée à protéger l'endoscope.
Pour les matériels à usage unique, par exemple en endoscopie
digestive, nous entrons dans des domaines inimaginables. La désinfection
des instruments et les mesures de stérilisation -nous avons
envoyé la dernière circulaire il y a un mois- coûte plus de
650 MF, et nous ne sommes pas vraiment certains du résultat. C'est ce
qu'indique en particulier le Comité du Dr Dormont.
Nous avons considéré pendant très longtemps
-c'était une culture commune- l'encéphalopathie spongiforme
bovine comme une maladie animale facile à éradiquer et qui
concernait essentiellement la Grande-Bretagne.
En tout cas, l'encéphalopathie a probablement toujours existé,
avec des cas sporadiques et rares, une tremblante ayant été
décrite chez le boeuf en 1882, l'incubation moyenne étant
à notre connaissance pour le moment -mais cela évolue- d'environ
cinq ans.
Nous avons considéré initialement l'encéphalopathie comme
une maladie animale fort proche de la tremblante du mouton, connue depuis des
siècles et qui à notre connaissance n'a jamais
présenté de danger pour l'espèce humaine.
Quant au suivi des épizooties et à la sécurité des
denrées animales et alimentaires, ils sont juridiquement du ressort
exclusif du Ministère de l'Agriculture, même si nous entretenons
avec ce dernier des rapports excellents et une consultation permanente, ce qui
n'était pas évident il y a dix ans.
Cette situation de connaissance partielle de la maladie a prévalu
jusqu'au début 1996, quand nous avons eu connaissance de la description
du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et de son lien avec
l'encéphalopathie spongiforme bovine.
Nous avions auparavant pris des mesures à titre de précaution,
dont certaines à mon initiative. Par exemple, nous avons retiré
les petits pots des pharmacies qui contenaient des cervelles ou des
ingrédients animaux à risque, en particulier quand ils venaient
d'Angleterre. Nous l'avons fait à notre initiative, en 1991 et 1992,
pour éviter la contamination humaine.
L'encéphalopathie a toujours été considérée
comme un problème transitoire dès lors que son origine
était identifiée. Non seulement elle nous semblait beaucoup plus
frapper les animaux et donc être du ressort du Ministère de
l'Agriculture, mais elle nous paraissait également poser un
problème transitoire.
Les farines animales de viande et d'os, qui ont permis le passage d'agents
infectieux lors d'une modification des procédés de fabrication
des farines en Grande-Bretagne, en 1982, la délipidation à
l'hexane ayant été supprimée, nous semblaient encore une
fois concerner les animaux.
Les animaux malades ont été initialement recyclés -ce qui
est une autre faute- après l'arrêt de la délipidation, dans
le circuit des farines, à un stade où l'épizootie
n'était pas encore reconnue, ce recyclage n'ayant fait que l'amplifier.
Enfin, l'importation des farines britanniques a été interdite
dès 1989 et l'utilisation des farines de viande et d'os pour les bovins
dès 1990, par un arrêté que vous connaissez.
Voilà pourquoi la situation nous semblait à cette époque
non pas maîtrisée, mais en voie de l'être. Par ailleurs,
l'encéphalopathie spongiforme bovine nous a semblé pendant
très longtemps être un problème qui ne concernait que le
Royaume-Uni puisqu'il n'existait en France aucun signe d'épizootie, au
début des années 1990, après la mise en place de la
Brigade nationale d'enquête vétérinaire, sachant que la
décision avait été prise d'abattre tout le troupeau
lorsqu'un animal était atteint.
Enfin arrive la description d'un lien entre le nouveau variant de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob et l'encéphalopathie spongiforme bovine, en 1996, ce
qui représente une nouvelle menace pour la santé publique.
Le premier cas est détecté en Grande-Bretagne, en 1994, et la
description officielle arrive en mars 1996, sachant que depuis, hélas,
97 cas ont été répertoriés en Grande-Bretagne, 1 en
Irlande et 3 en France, dont 2 décès.
La présentation clinique est très particulière :
troubles neuropsychiatriques, pas d'élément pour une origine
iatrogène, dépression, anxiété, etc. Il s'agit en
fait d'un syndrome au départ relativement banal, mais il est
aggravé par un syndrome démentiel, des douleurs très
fortes, etc.
L'attention portée à partir de 1996 témoignait d'une
infectiosité très différente de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob classique. En effet, l'agent semblait beaucoup plus virulent
et la distribution de la maladie d'abord périphérique (organes
lymphoïdes, rate, puis système nerveux, liquide
céphalo-rachidien).
Quelle en est l'origine ? A moins que vous ayez des éclairages
à ce sujet, nous n'avons que des hypothèses. S'agit-il de viandes
broyées mécaniquement ? L'infectiosité est-elle due
aux couteaux de boucherie contaminés par la cervelle dans les
années 1980 ? S'agit-il en outre d'une prédisposition ou
d'une susceptibilité génétique ?
Personne n'en sait rien. J'ai assisté pendant deux jours à une
réunion à l'Académie des sciences, avec les meilleurs du
monde et en particulier le Prix Nobel M. Prusiner : il existe en
effet des hypothèses sur la distribution génétique, mais
ce ne sont que des hypothèses.
On pense que l'incubation est très longue (au moins 10 à 15 ans),
certains parlant d'une plus longue durée, sachant qu'il n'existe pas de
traitement et que la moyenne d'âge des personnes atteintes est de 30 ans.
Nous avons réagi en terme de sécurité sanitaire,
c'est-à-dire que nous avons tenté, par des circulaires, de
prévenir la transmission de ce nouveau variant en milieu de soins.
Le risque réside dans une infectiosité supérieure, la
distribution plus large de l'agent infectieux dans les tissus et le postulat
d'une exposition large de la population à l'agent du nouveau variant, en
général par voie alimentaire.
Concernant les mesures prises, nous avons garanti un haut niveau de
sécurité et d'efficacité des soins, à travers une
stérilisation des dispositifs médicaux, les meilleures techniques
reconnues comme inactivantes, l'amélioration des conditions de
désinfection des endoscopes -mais là aussi nous sommes imparfaits
dans ce domaine- et le renforcement de l'utilisation du matériel
à usage unique lors des contacts avec des tissus à risque.
Ces mesures ont bien sûr été prises après avoir
été validées scientifiquement, en particulier par l'OMS et
le Comité Dormont.
Nous avons mis en place une politique d'assurance qualité en
stérilisation, en dépensant 652 MF. Je ne vous donne pas le
détail, mais je le tiens à votre disposition.
Nous avons pris les mesures d'accompagnement des malades suivantes :
Information des professionnels de santé, qui n'avaient pas ce syndrome
présent à l'esprit au début. De plus, il est multiforme.
Il fallait donc les aider à établir leur diagnostic et à
orienter les malades.
Création d'une cellule nationale de référence pour les
professionnels afin de renforcer la connaissance des équipes soignantes
et la prise en charge.
Recommandations pour assurer des soins de qualité, améliorer la
vie quotidienne des malades et des familles (filières de soins,
hospitalisation à domicile et soins palliatifs).
Prise en charge médico-sociale avec des aides financières
d'urgence, des aides sociales et fiscales et une relation particulière
entretenue avec les services sanitaires et sociaux.
Un véritable accompagnement -autant que faire se peut, car nous n'avons
pas assez de personnel- psychologique de l'entourage.
Nous avons suivi avec une extrême attention tous les dossiers
dépendant de l'agriculture, des douanes, de la consommation et de
l'environnement et relatifs à l'encéphalopathie spongiforme
bovine.
Je voudrais enfin attirer votre attention sur les problèmes qui
demeurent. Concernant l'encéphalopathie, nous avons observé une
forte contamination dans les années 1993-1995. Pourquoi ? Nous
pensons que l'interdiction n'était pas respectée, que des fraudes
massives avaient lieu et que les aliments étaient contaminés, y
compris par les matériaux à risques spécifiés.
De plus, dans la mesure où le délai d'incubation est de 5 ans,
nous avons besoin de recul pour connaître l'efficacité des mesures
prises en 1996 et 1998 et surveiller les cas super naïfs,
c'est-à-dire ceux qui concernent les animaux nés après les
interdictions et particulièrement après les mesures de
sécurité renforcées en 1996, 1997 et 1998.
L'agent peut-il passer à d'autres espèces ? Personne n'en
sait rien. Nous avons s'agissant du porc (peut-être) quelques indications
provenant d'Allemagne, mais elles sont peu recoupées. C'est simplement
une conversation avec le Ministre de la Santé allemand qui a
attiré notre attention sur ce point, mais rien n'a été
confirmé.
L'agent ne pourrait apparemment pas s'attaquer aux volailles et aux poissons,
tout d'abord parce qu'ils ne vivent pas assez longtemps et sans doute aussi
parce que les volailles et en tout cas les poissons ont été
très rapidement nourris avec des farines spécifiques, mais pas
les mêmes.
Quant aux ovins et caprins -vous avez entendu à ce sujet une personne du
Comité Dormont-, le risque est non négligeable que l'agent de
l'encéphalopathie spongiforme bovine puisse passer chez ces
espèces, masqué par une tremblante.
Nous sommes très vigilants sur ce point. L'Agence de
sécurité des produits alimentaires ayant diffusé un avis
dont nous avons tenu largement compte avec le Ministère de
l'Agriculture, étant entendu que tout ce que je vous indique a
été rendu public. En effet, depuis que j'ai été
Ministre de la Santé en 1991 et 1992, aucun document n'a
été conservé secret, ma règle absolue étant
de tout rendre public.
Enfin, je suis inquiet devant les problèmes environnementaux, sachant
qu'il existe un risque de persistance de l'agent prion dans le sol, apparemment
pendant jusqu'à trois ans. Faut-il faire un rapport entre le sol et la
tremblante du mouton ? En tout cas, il faut sans doute régler au
plus vite le problème du traitement des boues, de l'épandage des
déchets liquides et de l'utilisation d'eau potentiellement à
risque en agriculture, y compris dans les cultures maraîchères. Je
suis très attentif à la qualité de l'eau de boisson,
puisque c'est mon domaine, avec le Ministre de l'Environnement. Nous devons
avancer vite dans ce domaine.
Nous devons également réfléchir au problème de la
substitution, ce qui concerne 400 000 tonnes de farines animales et 270 000
tonnes de graisse. Cela demande un stockage complexe, leur destruction
présentant des risques de pollution, y compris dans le sol et les eaux.
Nous devons nous interroger sur le remplacement par des farines
végétales. Quelles seraient les conséquences pour la
santé ? Les risques sont les suivants :
Risque chimique : contaminants, mycotoxines.
Risque biologique : OGM -ils ne me font pas très peur, mais il faut
les surveiller-, bactéries, allergénicité.
Baisse de la qualité de la viande.
Conservation de moins bonne qualité, avec une oxydation.
Rejets de phosphore, de métaux et d'ammoniaque.
Il reste des mesures importantes à prendre : s'assurer de la mise
en oeuvre effective et complète de celles déjà prises
étant l'essentiel.
Si nous n'avons pas de suivi -c'est souvent le cas-, il faut auditer les
installations et les circuits et assurer la transparence de ces
contrôles, mettre en place des indicateurs de suivi et aboutir -je le
demande depuis des années- à une harmonisation communautaire.
Il faut maintenir l'interdiction des farines et des graisses,
réfléchir aux phosphates bicalciques et aux gélatines. La
saisine du Comité Dormont est en cours mais, comme je vous l'ai
indiqué, nous ne savons pas remplacer les enveloppes des
médicaments très rapidement et nous ne pouvons pas supprimer
immédiatement la majorité de ceux concernés, même si
nous y travaillons.
Nous devons procéder à la sécurisation des rejets liquides
et penser à la qualité de l'eau (épandages à
proximité de stations de traitement) ainsi qu'à la surveillance
stricte du risque ovin, ce à quoi nous travaillons avec le
Ministère de l'Agriculture, la question étant de savoir si
l'agent de l'ESB est passé aux ovins et aux caprins.
Nous devons aussi éviter au maximum la transmission inter-humaine, ce
qui est mon rôle. Nous l'assumons au maximum à travers les
activités de soins (pour la chirurgie et l'endoscopie), les dispositifs
médicaux et les produits dérivés du sang et des greffes.
Voilà, trop brutalement et trop sommairement, ce que je voulais vous
dire quant au rôle du Ministère de la Santé. Je vous ai
présenté la chronologie des mesures prises, mais je serais ravi
de répondre à vos éventuelles questions.
M. le Président -
Merci Monsieur le Ministre. Vous avez
évoqué dans votre discours des fraudes massives :
vouliez-vous parler d'importations de farines animales ?
M. Bernard Kouchner -
Oui.
M. le Président -
Je pense que vous avez des preuves, parce que
nous n'en avons pas forcément eues à travers les auditions que
nous avons effectuées et auprès des personnes qui normalement
sont concernées et auxquelles nous avons posé des questions.
Si vous avez des preuves réelles et formelles, cela nous apporterait des
renseignements supplémentaires, ce qui serait parfait. Par
conséquent, si c'est effectivement le cas, nous vous demandons les
documents sur lesquels vous vous appuyez.
M. Bernard Kouchner -
Je ne m'appuie que sur des hypothèses, mais
je ne vois pas comment la maladie aurait pu persister dans nos troupeaux sans
une utilisation probablement massive des farines animales après les
interdictions.
Je n'ai aucune preuve de cela, mais j'ai hélas la conviction que,
au-delà de notre pays, des ventes ont massivement eu lieu, en Europe
Centrale et dans le Tiers Monde, ce qu'il est assez facile de savoir.
Cependant, pour ce qui concerne la France, puisque c'était interdit, je
n'ai pas de preuve et je n'en ai pas recherché de façon
policière. Hélas, les conséquences -en tout cas sur les
troupeaux- ont été telles que, en dehors d'autres
hypothèses qui sont toujours évocables -transmission par le sol
ou verticale-, cela me paraît difficile à prouver.
Il apparaît, quand nous parlons avec des utilisateurs, que certains
paquets ne portaient même pas la mention « produit
protéinés d'origine animale ». Cependant, encore une fois,
hélas, je n'ai pas de certitude à vous apporter dans ce domaine.
M. le Président -
Merci. Je vais maintenant passer la parole
à notre rapporteur, qui va vous poser des questions.
M. Jean Bizet, Rapporteur -
Monsieur le Ministre, j'ai relevé un
certain nombre de points dans vos propos. Le premier concerne les pots pour
bébés. Vous nous avez indiqué avoir en 1991-1992
procédé à leur retrait dans les pharmacies, notamment
s'agissant de ceux dans lesquels étaient incorporées des
cervelles en provenance de Grande-Bretagne.
J'en suis ravi. Ceci étant, nous avons noté, notamment en
auditionnant M. Gérard Pascal, le Directeur du Comité
vétérinaire permanent, que la demande de retrait a
été annoncée officiellement en août 1992. Cela
voudrait dire que, antérieurement, vous aviez déjà le
sentiment qu'il fallait agir. Est-ce bien le cas ?
M. Bernard Kouchner -
Honnêtement, je ne me souviens plus si
c'était en août, mais en tout c'était en 1992. Je me
souviens très bien que nous avions été alertés
après les rapports Dormont sur les maladies à prions et l'hormone
de croissance extractive. C'est à ce moment-là que la maladie de
Creutzfeldt-Jakob est devenue une contre-indication aux dons du sang et
d'organes, le Conseil supérieur d'hygiène publique de France
ayant rendu son avis.
Nous avons alors agi avec la Direction de la sécurité sanitaire
de l'alimentation et nous avons en effet retiré des pharmacies des
aliments pour bébés, dont des petits pots qui comportaient des
abats et des cervelles.
M. le Rapporteur -
Vous avez en fait anticipé la décision
du Comité vétérinaire permanent, qui date d'août
1992.
M. Bernard Kouchner -
Je ne me souviens plus du mois. Nous avons
réagi en 1992, les médicaments ayant été en 1991
réévalués au regard du risque ESB, à travers
l'embargo sur les produits bovins d'origine britannique dans les
médicaments.
Je me souviens en particulier que cela concernait des extraits injectables avec
des doubles ampoules, sachant que la suppression des petits pots a
été un parcours difficile.
M. le Rapporteur -
Quand vous dites que cela a été un
parcours difficile, sous-entendez-vous que vous avez été
confronté à certaines réticences ?
M. Bernard Kouchner -
Oui, il fallait convaincre. Il est très
difficile de dire à des personnes -cela fait référence
à toute la pédagogie du risque que nous n'avons tenté de
mettre sur pied que plus tard- que des petits pots, qui sont
nécessairement l'aliment le plus évident pour les
bébés, afin qu'ils croissent et embellissent, sont dangereux.
M. le Rapporteur -
L'annonce de la transmission à l'homme a
officiellement été faite en 1996. Ceci étant, on savait de
par le décès d'un chat siamois anglais qu'il existait un passage
de la barrière d'espèce.
M. Bernard Kouchner -
Encore une fois, replacez-vous dans
l'atmosphère de 1991-1992 : la maladie de Creutzfeldt-Jakob, avec
l'hormone de croissance d'origine extractive, provenait de matériaux
spécifiés et en particulier des cervelles. C'est ce qui nous a
fait réagir pour les petits pots, sachant que nous n'avions pas de
certitude et que c'était une mesure de précaution, comme l'on
doit toujours en prendre.
J'ai reçu les familles et cela a été très
difficile, car l'angoisse était très grande pour les enfants qui
avaient été traités. C'est seulement longtemps
après que nous avons fait le rapprochement avec une autre infection, le
nouveau variant.
M. le Rapporteur -
Vous nous avez indiqué que vous aviez des
rapports réguliers avec vos homologues, et notamment avec les Allemands
à propos du porc. Vous pourriez d'ailleurs peut-être nous en
parler si vous avez quelques informations supplémentaires.
Vous devez également avoir sans doute des échanges de vues avec
votre homologue anglais. Or, lors de notre séjour en Angleterre la
semaine dernière, on nous a laissé entendre qu'une étude
épidémiologique était basée sur l'analyse des
coupes histologiques des amygdales des jeunes anglais depuis une dizaine
d'années. Serait-il difficile pour votre Ministère de
récupérer ces informations ? En effet, il serait important
de voir, sur dix années, si effectivement les prions sont de plus en
plus présents dans les amygdales de ces enfants. Il serait
intéressant que nous puissions faire figurer cette information dans
notre rapport.
M. Bernard Kouchner -
Je ne pense pas que ce soit impossible. Nous
pouvons très bien tenter d'obtenir ces informations auprès de mon
homologue.
J'ai parlé des endoscopes, en tous cas chez les oto-rhinos, et de la
nécessité de se méfier d'un trajet qui touche les
amygdales, parce qu'une alerte a été donnée et parce que
le test se fait en particulier au niveau de celles-ci : nous sommes
là devant un problème de santé publique
considérable, la question étant de savoir s'il faut utiliser un
endoscope à usage unique ou des procédés plus anciens qui
permettaient de ne voir qu'imparfaitement, sans endoscopie à fibre de
verre, ou s'il faut consacrer suffisamment d'argent à la protection de
l'endoscope à chaque fois. Il serait en tout cas en effet
intéressant de disposer de cette publication anglaise.
M. le Président -
Nous vous demandons officiellement de faire une
démarche auprès de votre homologue anglais. Nous jugerons du
résultat de votre efficacité, dont bien sûr nous ne doutons
pas, Monsieur le Ministre.
M. Bernard Kouchner -
Je vais essayer.
M. le Rapporteur -
Nous ne doutons pas de votre efficacité, mais
nous craignons la rétention de votre homologue. Nous sommes
interrogatifs.
Ma troisième question fait suite à l'audition de M. Deslys, qui
est intervenu dans l'heure précédente.
Concernant les tests de détection, il apparaît maintenant
très clairement que le test Biorad est beaucoup plus précis et
sensible que le test Prionics. En avez-vous eu confirmation vous-même au
sein de votre ministère ? Cela semble assez patent de la part du
spécialiste qu'est M. Dormont. Si c'est le cas, pourquoi n'est-il pas
mis beaucoup plus couramment en oeuvre sur le territoire national ?
M. Bernard Kouchner -
Le CEA et les chercheurs suisses étaient
présents lors des deux journées à l'Académie des
sciences. Je me trompe peut-être -il faudrait que mes collaborateurs me
démentent-, mais la comparaison n'a pas été faite en ma
présence.
M. le Rapporteur -
Pouvons-nous dans les jours qui viennent attendre de
votre part une recherche sur ce point confirmant ou infirmant la qualité
supérieure du test Biorad par rapport au test Prionics ?
M. Bernard Kouchner -
Oui, si la comparaison existe.
M. le Rapporteur -
Il serait important que le Ministère de la
Santé puisse nous donner son avis à ce sujet.
M. Bernard Kouchner -
Nous allons essayer.
M. le Président -
Cela ne doit pas dépendre du
Ministère de la Santé dans la mesure où ces tests sont
exclusivement réservés aux animaux. C'est la raison pour laquelle
vous ne disposez pas nécessairement d'une étude sur la
qualité et la capacité de ces tests, qui doivent être
rapportés uniquement au Ministère de l'Agriculture.
M. Bernard Kouchner -
Nous avons avec Jean Glavany la co-tutelle de
l'AFSSA. J'ai vu son Directeur hier et nous avons fait un tour d'horizon des
nouveautés, car je voulais vous présenter mes dernières
connaissances, qui sont imparfaites, mais je lui poserai la question.
Nous en avons parlé s'agissant d'une publication qui a
défrayé la chronique dans les jours qui ont suivi à partir
d'un test sanguin éventuel, mais je crois qu'il y a beaucoup de bruit
pour pas grand-chose pour le moment car, en revanche, j'ai parlé
très directement avec le responsable du Commissariat à
l'énergie atomique, qui était le chercheur en charge de ce
problème.
En tout cas, c'est une piste très importante, et nous avons, avec le
Ministre de la recherche dépensé beaucoup d'argent dans ce cadre,
ce qui débouchera peut-être sur des développements, mais
pour le moment c'est un peu prématuré. Après tout, cela
signifie non pas forcément que le champ serait contaminant, mais qu'il
existerait un marqueur.
M. le Rapporteur -
Vous avez à juste titre parlé de la
substitution des protéines animales par des protéines
végétales, qui préoccupe également M. Glavany et
M. Moscovici. Cependant, nous nous heurtons à la Commission
européenne et notamment à M. Fischler, et il n'existe aucune
ouverture sur ce point, à travers une éventuelle
renégociation des fameux accords de Blair House.
Or -cela fera partie d'une des recommandations de notre rapport-, il serait
important que nous puissions aller au-delà des demandes aimables
à l'adresse de M. Fischler, car nous ne pouvons pas accepter cela.
Enfin, je comprends mal le « silence » du Ministère de la
Santé face à ce problème, qui est depuis 1996 devenu un
problème de santé publique, par rapport aux propos de Mme Gillot,
il y a quelques mois, sur le nombre de cas futurs de nouveaux variants.
Est-ce à dire que vous ne confirmez pas les modélisations de M.
Anderson ou de Mme Alpérovitch ? Quelle est votre analyse du
degré de contamination éventuel de la population
française ?
M. Bernard Kouchner -
Concernant votre avant-dernière question,
Monsieur le rapporteur, je n'ai pas peur des OGM. En revanche, je crains
terriblement la dictature de l'incompétence.
Je pense que nous allons vers une grave crise de société si d'une
part nous ne pouvons plus manger de viande alors que d'autre part nous nous
méfions du progrès scientifique.
Je suis presque l'auteur de l'application à l'espèce humaine et
à la santé du principe de précaution et je sais qu'il faut
toujours l'appliquer, mais je sais aussi qu'il faut savoir raison garder.
La détresse paysanne est très grande, mais je n'aime pas les
sociétés sans risques, ces derniers devant être connus,
choisis et éventuellement assumés. Dans ce cadre, dire que nous
nous protégerons de tout me paraît très dommageable pour la
pensée en général et la pensée honnête en
particulier.
Je pense personnellement qu'il faudrait en effet faire pression sur
M. Fischler, que je connais puisque j'étais Président de la
commission du développement et de la coopération du Parlement
européen alors que ce digne homme était déjà
Commissaire à l'agriculture et que je lui parlais déjà de
la santé, en essayant d'éveiller son attention sans y parvenir.
Il appartient aux politiques de décider, non aux commissaires. En tout
cas, je sais qu'il faudra un jour développer les cultures de
substitution pour les protéines végétales et en
général pour les céréales.
On ne parle pas du vrai sujet dans tout cela, à savoir la
démographie mondiale. Si d'une part les individus sont beaucoup plus
nombreux et que d'autre part l'on n'arrive pas à produire, je me demande
comment ils seront nourris. En tout cas, le vieux dogme consistant à
dire qu'il y a assez à manger sur la terre pour tout le monde est faux,
d'autant plus que nous devons aujourd'hui, très légitimement,
prendre des précautions, car nous avons été assez fous
pour nourrir des ruminants avec de la viande. Nous l'avons tous accepté
et nous n'avons pas protesté, moi non plus. Peut-être ne nous en
sommes-nous pas rendu compte. De plus, c'était tellement facile, mais
nous l'avons fait et cela ne fonctionne pas, ou en tout cas moins bien qu'avant.
Il faut avoir un vrai débat à ce sujet et, si votre rapport peut
aller dans ce sens ou éveiller l'attention, vous aurez fait un travail
formidable. J'appelle cela la pédagogie du risque.
Je reviens du Kosovo, qui est un endroit différent : la maladie
concerne trois personnes, sachant que je déplore qu'elles soient
atteintes et que j'ai développé des agences pour que le principe
de précaution soit employé, ce que je ferai toujours, mais il
faut savoir raison garder.
Voyons les conséquences et les difficultés qui sont devant nous.
Quand je vois qu'en France il existe 750 000 cancéreux dont le
système de santé ne tient pas assez compte et que l'on ne peut
pas faire de prévention et de recherche suffisamment en amont, sans
attendre que les personnes soient malades, je pense qu'il faut agir dans ce
domaine et pour le reste, comme pour la maladie de Creutzfeldt-Jakob. De plus,
je trouve un peu difficile de brûler les cultures.
M. le Rapporteur -
Me permettez-vous, Monsieur le Ministre, d'être
provocateur ?
M. Bernard Kouchner -
Oui, je vous le demande.
M. le Rapporteur -
Au sein de vos collègues et du gouvernement,
j'essaie désespérément d'aborder ce sujet, qui est
fondamental, avec Mme Voynet. Comme vous l'avez souligné -nous avons
reçu l'an passé le Président de la FAO-, il existe 80
millions d'habitants et de consommateurs supplémentaires sur cette terre
chaque année. Ce n'est pas à vous, qui revenez du Kosovo, que
nous l'apprendrons. Or, il faudra bien trouver des solutions, non pas modernes,
mais équitables, rationnelles et sécurisantes pour nourrir toutes
ces personnes.
M. Bernard Kouchner -
Vous avez raison, sachant que Mme Voynet est
beaucoup plus souple que la moyenne des militants du parti Vert. Je crois
qu'elle évolue et qu'elle évoluera. Ils se méfient
terriblement, la meilleure façon de leur faire admettre
l'évolution scientifique étant d'accepter les contrôles, le
regard scientifique ainsi que l'audit et la révision permanents de nos
notions. Je pense qu'ils l'accepteraient.
M. le Rapporteur -
La loi sur la bio-vigilance, qui faisait d'ailleurs
partie de la loi d'orientation agricole, avait formidablement encadré la
problématique en question.
M. Bernard Kouchner -
C'est ce que je crois personnellement, mais je
comprends aussi que nous sommes dans une période où les dangers
qui menacent la planète sont très présents au coeur des
jeunes militants et des jeunes générations politiques. C'est sans
doute un élément dont il faut absolument tenir compte.
Je voudrais également vous parler du nucléaire. Je pense que les
risques sont dans ce domaine mal maîtrisés, mais qu'il faut
continuer.
Concernant le Kosovo, l'uranium appauvri et la crise mondiale, j'ai dit
à tout le monde de venir -y compris aux membres de Greenpeace,
même si les militaires n'étaient pas contents car ils sont leur
ennemis- pour que nous mettions nos compteurs de radiations les uns à
côté des autres afin de comptabiliser les rayons alpha.
Je ne dis pas que tout est parfait, mais aujourd'hui tous les résultats
crédibles et scientifiques à propos de l'uranium appauvri vont
dans le sens de l'absence de conséquences. C'est ainsi : il faut
contrôler et être transparent en permanence, ce que nous avons
fait, sachant qu'il n'était pas facile au début, étant
donné la culture d'un ministère et surtout celle du celui de la
Santé, de rendre publics tous les rapports. C'était absolument
révolutionnaire.
Concernant les modélisations, je sais ce que Mme Alpérovitch a
dit. Il s'agit d'une double modélisation, à savoir de celle,
éventuelle, des résultats anglais à partir de
l'étude de l'absorption supposée, rapportée au nombre de
troupeaux dans le cadre des fameuses fraudes dont je n'ai pas l'évidence
ni la certitude en France, et d'une nouvelle modélisation par rapport
à la France partant du postulat qu'il existerait -je n'étais pas
là, mais je sais à peu près ce qui s'est passé- des
dizaines de milliers de cas potentiels en Angleterre et en France. Cependant,
cela n'a été contrôlé par personne et n'a absolument
pas été validé scientifiquement ; c'est une
hypothèse.
M. Prusiner, qui est l'homme de l'art, en répondant aux questions qui
lui étaient posées -qui sont d'ailleurs en partie parues dans
« Le Monde » et que vous avez sans doute lues-, a indiqué que
personne n'était capable d'affirmer quoi que ce soit aujourd'hui dans ce
domaine, ni dans un sens ni dans l'autre, c'est-à-dire ni par
défaut ni par excès.
J'estime donc qu'il faut pour le moment continuer à appliquer la
précaution la plus stricte, en essayant d'obtenir de l'argent pour la
recherche.
Franchement, les chiffres du Ministère de la Santé
n'étaient que des hypothèses que je ne peux ni infirmer ni
confirmer.
Encore une fois, il s'agissait d'une maladie qui, en dehors de la façon
dont elle peut potentiellement toucher les hommes depuis 1996 et de quelques
cas, heureusement rares dans notre pays, concernait beaucoup les animaux et le
Ministère de l'Agriculture.
En Angleterre, d'où vous revenez, l'on dit : « Jusqu'à
l'abattoir, c'est le Ministère de l'Agriculture et ensuite celui de la
Santé ». Nous pouvons grosso modo dire de même, mais nous
sommes allés plus loin, parce que nous avons partagé les agences.
L'agence majeure, celle de la sécurité alimentaire, est
partagée entre le Ministère de l'Agriculture et celui de la
Santé.
Nous nous voyons très fréquemment et, là aussi, nous avons
décidé de rendre publics tous les rapports et toutes les
publications de l'agence. Nous trouvons parfois que c'est trop tôt,
même si elle nous prévient par décence avant, mais elle est
libre de le faire, le public devant savoir.
M. Michel Souplet -
Monsieur le Ministre, je vous ai
écouté avec beaucoup d'intérêt et je vous rejoins
sur la quasi-totalité de vos propos.
Nous sommes ici en commission non pour juger les personnes ni le passé,
mais pour connaître la vérité et pour faire des
propositions concrètes et applicables le plus rapidement possible.
Je voudrais revenir un instant sur la fiabilité des tests
évoquée par mon collègue M. Bizet. Il nous a semblé
comprendre cet après-midi, à travers les propos tenus par votre
prédécesseur à cette table, que nous pouvions aujourd'hui
disposer d'un test permettant de garantir quasiment à 100 % que la
viande qui a été testée est saine, le délai qu'il
faut pour permettre de l'affirmer étant d'environ 4 ou 5 heures.
Or, il se trouve que la viande est mise en stock pour réessuyage dans
les abattoirs pendant plus de 5 ou 6 heures.
On serait susceptible aujourd'hui, si ces tests pouvaient être
appliqués dans chaque abattoir, de dire pour tous les animaux abattus,
au moment de les sortir du frigo, s'ils ont sains ou présentent un
risque. Il serait formidable de pouvoir déjà apporter cette
garantie, sachant que ce serait apparemment possible très rapidement.
Par ailleurs, nous voulons -vous comme nous- que la traçabilité
soit la plus précise et la plus fiable possible, mais il faudra pour ce
faire être extrêmement exigeant s'agissant de celle des produits
français ainsi que de celle de ceux importés. Or, nous allons
nous trouver, dans le cadre de la liberté mondiale du commerce, face
à des personnes qui voudront nous envoyer, sous prétexte qu'une
traçabilité existe, des produits qui seront beaucoup moins
garantis que les nôtres. Comment pourrons-nous nous protéger sur
ce plan ?
M. Bernard Kouchner -
Ce n'est pas de mon ressort ; c'est
évidemment le problème des douanes et celui du Ministère
de l'Agriculture. Je comprends très bien que la
traçabilité, concernant nos produits, soit au mieux, sachant que
nous nous enorgueillissons, au Ministère de la Santé, d'avoir
commencé à la mettre en place avec nos agences de façon
très systématique depuis des années.
Concernant les contrôles aux frontières, le suivi, les
certificats, les dispositifs électroniques de lecture, etc., je sais que
beaucoup de systèmes sont étudiés, que Jean Glavany est
très sensible à la question et que le Ministère
l'Agriculture y travaille, mais je ne peux pas vous répondre, en ce qui
me concerne, s'agissant de ces contrôles, qui sont manifestement plus
douaniers que sanitaires.
Je sais qu'un test français est comparé à un test suisse,
et il m'a semblé comprendre- mais là aussi c'est du domaine de
l'agriculture, car il s'agit des animaux- que le premier serait apparemment
plus sensible.
Il est en cours d'évaluation, mais je suis tout à fait content si
cela vous a été affirmé car, si cela diminue la
durée de séjour des carcasses au frigo pendant quelques jours,
c'est évidemment très important.
M. Michel Souplet -
Cela nous permettrait d'apporter très
rapidement une garantie aux consommateurs français et de leur redonner
confiance.
M. Bernard Kouchner -
Tout à fait. Cela permettrait
également de redonner confiance aux consommateurs étrangers,
puisque nous exportions énormément, ce qui j'espère
reprendra très rapidement.
M. Paul Blanc -
Monsieur le Ministre, il semblerait qu'un rapport de
l'Académie de médecine de 1990 indique qu'une contamination de
l'ESB à l'homme ne serait pas à exclure. En avez-vous eu
connaissance au ministère ?
M. Bernard Kouchner -
Je fouille dans ma mémoire, mon cher
confrère. Je ne crois pas, mais je ne connais pas tout. Je n'ai aucune
raison de douter, si c'est ce qu'a indiqué l'Académie de
médecine, qu'une communication a été faite dans ce sens,
mais je ne m'en souviens pas ; je pourrais rechercher. Je suis
arrivé au Ministère de la Santé en 1991 ;
peut-être ceci explique-t-il cela.
M. Paul Blanc -
Vous avez insisté sur les contaminations
possibles à partir de fraudes sur les farines animales. Il semble,
d'après les enquêtes que nous avons menées,
qu'au-delà des fraudes s'est posé le problème des
croisements de farines animales de bétail, sachant que celles
destinées à l'alimentation des bovins avaient en effet
été interdites, mais qu'elles continuaient à être
utilisées. Ne pensez-vous pas qu'il aurait fallu interdire les farines
animales pour toute alimentation de bétail, quel qu'il soit ?
M. Bernard Kouchner -
Oui, mais il était très difficile de
le savoir à l'époque, car nous étions dans un domaine
extrêmement flou. Je trouvais en tant que médecin un peu
excessives les mesures, que je jugeais parfois arbitrairement administratives,
que nous prenions, en particulier pour retirer des produits
médicamenteux du circuit.
Il aurait fallu le faire -je l'ai demandé quand je suis revenu au
Ministère de la Santé- et il est évident que cela nous a
effleurés à propos des volailles, des poissons et des porcs, mais
ce n'est qu'à partir de 1996 que nous avons compris comment cela
fonctionnait. Nous étions en 1991 et 1992, hélas, un peu
bloqués dans notre raisonnement, car il n'était question que de
l'hormone extractive.
J'ai officiellement demandé en 1998 au Comité national de
sécurité sanitaire de le faire, mais nous aurions pu en effet y
penser plus tôt.
Il m'a été indiqué -je crois me répéter- que
pour les poissons cela avait très vite disparu, mais de toute
façon les farines animales ont continué à nourrir les
bovins. Sinon, il n'y a pas d'explications pour les animaux que l'on appelle
naïfs -ceux nés après l'interdiction- et super naïfs,
nés après 1996. Peut-être faut-il rechercher une autre
hypothèse, mais je pense que nous pouvons nous satisfaire partiellement
de l'explication de la consommation illicite de farines animales.
M. Paul Blanc -
Vous avez demandé l'interdiction des produits
d'origine animale dans les produits médicamenteux (extraits de foie,
etc.). Est-ce surtout par apport aux conséquences des extraits
d'hypophyse qui avaient été administrés et qui avaient
provoqué des maladies de Creutzfeldt-Jakob ou pensiez-vous
déjà à l'ESB à ce moment-là ?
M. Bernard Kouchner -
Pour être honnête, il est tout
à fait certain que c'était en rapport avec les terribles cas qui
frappaient les enfants qui étaient traités par l'hormone
extractive. Je me vanterais en indiquant que j'avais pensé à
autre chose.
M. Paul Blanc -
Oui, mais cette hormone était d'origine humaine.
M. Bernard Kouchner -
Oui. Nous pensions même à ce
moment-là qu'il s'agissait probablement également de la
façon dont les hypophyses étaient extraites et conservées
et qu'il existait un vrai trafic dont nous bénéficiions.
N'oubliez pas qu'un contrôle était exercé par un
pédiatre très fameux, etc. Nous pensions que les conditions
d'extraction (en particulier dans les pays de l'est) étaient
probablement responsables de la maladie de Creutzfeldt-Jakob iatrogène
et nous avons, en allant un peu loin, retiré les petits pots des
pharmacies.
Par rapport à la gélatine qui constitue l'enveloppe de bien des
gélules, je continue à penser qu'il faut certainement agir en
fonction du principe de précaution, mais il serait étonnant que
l'agent infectieux se retrouve, après les traitements qu'elle a subis,
dans la gélule qui entoure un antibiotique, même si c'est
aujourd'hui une règle et qu'il n'est pas question d'y déroger.
A cette époque, honnêtement, je ne me souviens pas d'avoir
pensé à un nouveau variant, puisque pour nous la maladie de
Creutzfeldt-Jakob était à incubation très longue. Or,
voilà qu'arrivent des enfants faisant l'objet d'une période
d'incubation différente, ce qui est terrible.
M. Paul Blanc -
Je suis tout à fait d'accord avec vous, de la
même façon que j'ai été choqué, lors de nos
différentes visites, par le nombre de carcasses parties à
l'équarrissage pour deux cas et demi de maladies de Creutzfeldt-Jakob
par rapport au nombre d'enfants qui meurent de faim dans le monde entier.
M. Bernard Kouchner -
Un certain nombre de pays ont demandé
à récupérer les carcasses, mais cela pose des questions
considérables.
M. le Président -
Il est vrai que quand on voit -comme cela a
été notre cas au cours de nos différentes visites dans
tous les abattoirs- des séries d'animaux manifestement sains abattus et
la viande dépecée, puis traitée avant d'être
envoyée directement à l'équarrissage, cela fait
très mal, non seulement à ceux qui les ont élevés,
mais aussi aux simples citoyens que nous sommes tous, ainsi que, comme le
disait notre collègue M. Blanc -vous le savez mieux que quiconque-, par
rapport à tous ceux qui meurent de faim dans le monde. Cependant, il est
vrai que le principe de précaution fait que si nous l'appliquons chez
nous, il doit être appliqué pour tous dans le monde entier.
M. Bernard Kouchner -
Vous avez raison, mais un de vos collègues
a posé une question sur le test qui pourrait nous permettre de savoir
rapidement si les carcasses sont saines ou pas et peut-être de les
consommer et des les exporter de façon presque complètement
sûre.
M. le Président -
Je reviens sur le problème des petits
pots. Etait-ce à l'époque une décision purement
française ou européenne ?
M. Bernard Kouchner -
A ma connaissance, cette décision a
été purement française.
M. le Président -
En fait, aucune décision
européenne n'a été prise.
M. Bernard Kouchner -
Nous étions des précurseurs.
M. le Président -
C'était bien surtout et avant tout par
rapport au problème d'hormones de croissance, plutôt que par
rapport à la maladie de Creutzfeldt-Jakob ?
M. Bernard Kouchner -
Oui.
M. le Président -
Monsieur le Ministre, merci.
M. Bernard Kouchner -
Merci beaucoup, Monsieur le Président. Je
vais tenter de retrouver pour vous les documents que vous nous avez
signalés.