B. SCIENCES DE LA VIE
Le premier vol d'un spationaute français remonte à 1982. C'était à bord de la station Salyut-7. Depuis, la France a maintenu une étroite collaboration avec l'Union Soviétique puis la Russie, dans ce domaine, qui s'est matérialisée par un important programme scientifique et technologique sur la station MIR. Le premier vol d'un français sur MIR s'est déroulé en 1988, pendant la mission ARAGATZ.
En 1989, la France a signé avec l'URSS un accord-cadre sur les vols habités pour les dix années à venir. L'objectif était alors d'une part d'assurer des opportunités de vols réguliers pour les expériences françaises que commençaient à développer différents laboratoires, et d'autre part de constituer et d'entraîner un corps français de spationautes. Cet accord fut renforcé par la signature en 1992 d'un protocole entre la France et la Russie pour réaliser quatre vols de spationautes français avant l'an 2000.
Le premier vol dans le cadre de cet accord eut lieu du 27 juillet au 10 août 1992. La mission ANTARES comportait des expériences sur l'adaptation de l'homme à l'environnement spatial, sur la radiobiologie et la radioprotection et les premières expériences sur le comportement des fluides en condition de microgravité. Ces expériences furent reprises lors de la mission ALTAÏR, du 1er au 22 juillet 1993. En outre, cette mission comportait les premières expériences de mécanique structurale.
La mission CASSIOPEE, en août 1996, suivie par la mission PEGASE, du 29 janvier au 19 février 1998, furent l'occasion d'introduire de nouveaux instruments dans le protocole expérimental de ces missions sur la physiologie humaine, la physique de la matière condensée et les technologies spatiales.
Enfin, la mission PERSEUS, avec sa durée exceptionnelle (188 jours), vint clore cette série de vols de spationautes français sur MIR.
Plusieurs laboratoires français ont pu, par ailleurs, réaliser des expériences sur MIR dans le cadre des programmes de l'ESA au cours des deux missions EUROMIR, en 1995 et 1997.
Un grand nombre d'expériences couvrant un large spectre de disciplines ont été conduites pendant ces vols. Dans le domaine des sciences de la Vie, les premières années de coopération furent marquées par les travaux de médecine spatiale portant sur l'étude de l'adaptation de la fonction cardio-vasculaire à l'absence de pesanteur et basée sur l'exploration hémodynamique centrale et périphérique en utilisant des méthodes non invasives basées sur les ultrasons, le Doppler pour les vitesses et débits et l'échographie pour les volumes.
C'est ainsi que de nouveaux mécanismes impliqués dans la régulation de la pression artérielle furent décrits pour la première fois chez l'homme, notamment sur le rôle fonctionnel du système veineux des membres inférieurs dans la dysrégulation de la pression artérielle via les muscles posturaux et la régulation neurovégétative. Ce modèle est aujourd'hui considéré comme un modèle de dysautonomie identique à ce que l'on observe chez les personnes âgées lors du processus de vieillissement normal.
Les travaux concernant l'influence de la microgravité sur le système nerveux central permirent aux équipes russes et françaises de mettre en évidence et de décrire un certain nombre de mécanismes originaux impliqués dans les phénomènes de plasticité du système nerveux :
- les relations entre le système vestibulaire, la vision et les muscles (proprioception), et surtout le rôle essentiel du système visuel par rapport aux autres capteurs neurosensoriels dans le maintien de la posture conduisant à la notion de hiérarchisation des systèmes neurosensoriels,
- le rôle de la gravité dans le contrôle des mouvements oculaires, via les connexions corticales,
- l'existence d'une dissociation entre le contrôle de l'orientation du corps et celui de la position du centre de masse,
- l'existence dans le système nerveux central de modèles internes de l'effet de la gravité sur les objets et les membres,
- le rôle de la pesanteur dans les processus de mémorisation des formes complexes,
- et enfin le rôle important des commandes motrices permettant une anticipation motrice pour le contrôle du mouvement.
L'analyse systématique, en pré et post-vol, des os porteurs et non porteurs des cosmonautes russes ayant séjourné à bord de Mir pour des périodes supérieures ou égales à 6 mois, a permis de mettre en évidence l'existence d'une perte de densité osseuse, significative au niveau des os porteurs. Cette perte osseuse varie de 1% à 10 % et ceci malgré l'importance des mesures prophylactiques (exercices quotidiens, complexes vitaminiques). Enfin, le délai de récupération de cette perte osseuse après le retour sur terre est très supérieur à la durée du vol.
Ces résultats, confrontés à ceux obtenus soit au sol en simulation, soit en vol, chez le rat ou encore sur des cultures cellulaires au cours de missions automatiques, mettent en évidence le rôle important de l'absence de contrainte mécanique dans le phénomène d'ostéoporose spatiale. Des travaux sont en cours au sol et d'autres sont prévus en vol dans les mois à venir afin d'étudier les mécanismes d'adhérence cellulaire, le rôle des canaux ioniques et de démontrer la possibilité de l'existence de récepteurs spécifiques de gravité au niveau des cellules ostéoblastiques.
L'environnement radiatif d'une station orbitale ou d'un vaisseau spatial habité mérite que l'on attache une attention particulière à l'évaluation quantitative et qualitative des rayonnements reçus par les cosmonautes. C'est pourquoi dès 1988, le CNES, l'IPSN et le CEA ont proposé à l'Institut des problèmes médico-biologiques de Moscou de collaborer sur la mise au point de systèmes de radiodosimétrie physique et biologique. C'est ainsi que deux approches successives, Circe et Nausicaa, ont permis de caractériser l'environnement radiatif de la station Mir pendant plusieurs années. Grâce à un compteur proportionnel équivalent au tissu biologique, différents paramètres radiatifs ont pu être étudiés : l'équivalent de dose ambiante, la dose absorbée, le facteur de qualité moyen du rayonnement, la fréquence d'événements et le transfert linéique d'énergie. Ces mesures ont mis en évidence l'influence des variations spatiales et temporelles du champ magnétique, et notamment l'effet des éruptions solaires.
Sur le plan radiobiologique, une augmentation significative du taux des cellules remaniées et d'aberrations chromosomiques dans les lymphocytes des cosmonautes ont été mises en évidence.
Dans le domaine de la biologie du développement, de 1996 à 1999, un certain nombre de travaux originaux ont été réalisés. Il s'agit de l'expérience FERTILE, réalisée à l'occasion des missions Cassiopée en 1996 et PEGASE en 1998, complétée par l'expérience Génésis réalisée à l'occasion de la mission Perséus en 1999. Ces expériences utilisaient comme modèle expérimental le Pleurodèle. FERTILE a permis d'observer la fécondation et les premières divisions d'un oeuf de vertébré dans l'espace. Ces expériences ont montré que les premières divisions étaient moins bien coordonnées en micropesanteur et que la cohésion des blastomères était altérée. La microscopie électronique a mis en évidence une altération des microvillosités qui recouvrent les cellules et qui assurent leur cohésion. L'expérience a également montré que toutes ces altérations se sont corrigées dans le temps. Par ailleurs, le taux de développement en microgravité apparaît identique à celui observé au sol. Il n'a pas été noté d'anomalie anatomique ou fonctionnelle et les reproductions successives ont été normales
Ces missions successives ont bien sûr constitué avant tout de remarquables occasions de vol et d'entraînement spécialisé des équipages de spationautes français et des équipes du CNES dans la préparation et le suivi des opérations en vol. Au-delà, ces vols sur MIR et les expériences scientifiques qui s'y sont déroulées ont permis la cristallisation d'une communauté scientifique spécialisée et la création des infrastructures de soutien nécessaires. Le CADMOS a été créé à Toulouse pour fournir un support technique et opérationnel aux scientifiques dans la préparation et le suivi de leurs expériences en vol. Le MEDES, Institut de médecine et de physiologie spatiale, a joué un rôle analogue dans le domaine de la recherche médicale et biologique. Le CNES enfin a su développer les compétences nécessaires pour adapter les expériences de laboratoire à l'environnement particulier de l'espace et développer les interfaces nécessaires avec nos collègues russes. C'est grâce à cet acquis que le CNES a pu s'engager aussi rapidement dans la réalisation de la mission ANDROMEDE en coopération avec la Russie sur le segment russe de la Station Spatiale Internationale.
Sur le plan scientifique, plus d'une centaine d'équipes de recherche venant de laboratoires universitaires et des établissements publics de recherche (CNRS, CEA, INSERM, INRA), dont les effectifs ont triplé au cours de ces dix ans, ont participé à ce programme. Les résultats sont très satisfaisants. La communauté française a obtenu des résultats de premier plan consignés dans des revues internationales (American Journal of Physiology, Brain Research Reviews, The Lancet,...), et couronnés par deux grand prix de l'Académie des Sciences en 1997 et en 2000.