C. UNE RÉFORME ENCORE INACHEVÉE
Les réformes successives ont commencé à produire leurs effets : la croissance des dépenses de retraite, qui était encore de +12,8 % par an entre 1990 et 1992, a été considérablement ralentie puisqu'elle n'a atteint que +4,4 % en 1999. A long terme, ces effets restent cependant insuffisants à assurer la pérennité du système de retraite.
1. Les limites des réformes
Le choix d'une très longue période de transition entre les deux systèmes de calcul des droits à la retraite - 40 ans ! - est un compromis destiné à rendre acceptable la réforme mais il a le principal inconvénient d'en affaiblir l'efficacité. Il repousse en outre l'ajustement sur les générations futures, sans pour autant assurer la viabilité financière à moyen terme du système des retraites.
Le débat sur la réforme du système de retraite n'est toutefois pas encore clos en Italie. Les compromis adoptés lors de la réforme " Dini " en 1995 pour rendre acceptable la transformation complète du système de retraite rendent incertaine l'efficacité de la réforme et laissent présager de nouvelles adaptations. Outre la longueur de la période de transition, les principales insuffisances portent sur le choix de certains paramètres.
Ainsi, le choix des modalités de calcul et de revalorisation des pensions, en particulier l'utilisation d'un " taux d'actualisation " fixé à 1,5 % dans le but d'offrir initialement le taux de remplacement le plus élevé possible lors de la liquidation, conduit à un niveau de pension différent selon les générations avec le risque d'un décrochage, en termes de niveaux de vie comparés, entre les " jeunes " retraités et les " vieux " retraités. Cette situation pourrait entraîner des revendications de rattrapage du pouvoir d'achat des pensions qui mettraient en péril l'équilibre financier du système.
L'âge de départ à la retraite est flexible mais sur une plage (de 57 à 65 ans) qui apparaît trop large.
La révision des coefficients de conversion tous les dix ans est l'un des maillons faibles de la réforme, sachant que l'espérance de vie après 60 ans devrait continuer à s'accroître. La longueur du délai avant révision affaiblit l'impact de la prise en compte de l'espérance de vie dans le calcul du coefficient de conversion et, en conséquence, ne permet pas de corriger automatiquement l'effet du vieillissement individuel.
En dépit d'une longue préparation de l'opinion publique et d'une intense concertation avec les partenaires sociaux, la réforme Prodi de 1997 peut donc apparaître comme insuffisante à assurer la viabilité à long terme du système de retraite.
2. Les incertitudes quant aux suites à donner aux réformes
Le Gouvernement D'Alema semblait donc à son tour contraint par les engagements européens de l'Italie de rouvrir le chantier des retraites. Les premières réactions syndicales, fortement négatives, l'ont conduit à y renoncer.
L'intention gouvernementale, exprimée par le président du conseil M. D'Alema, le 22 juin 1999, était pourtant de réaliser un nouvel ajustement sur les dépenses de retraite dès le projet de loi de finances 2000. Il s'agissait pour l'essentiel de durcir une nouvelle fois les conditions d'accès aux pensions d'ancienneté, avant la clause du rendez-vous de 2001 prévue par la réforme Prodi. L'opposition résolue des syndicats, déclinée tout au long du mois de juillet, à toute accélération des calendriers négociés en 1997, a forcé le Gouvernement à y renoncer.
L'influence majeure des confédérations syndicales, renforcée par la pratique de la concertation sociale en Italie, fait en effet de la réforme du régime des retraites une question politique particulièrement sensible. Le revers des démocrates de gauche lors des dernières élections européennes n'est pas ainsi sans lien avec l'annonce d'une réforme, faite par M. D'Alema à la veille du scrutin.
Les grandes centrales syndicales italiennes, dont la moitié des adhérents sont des retraités, disposent dans ce domaine d'une grande influence sur les propositions gouvernementales : en 1995, quelques semaines après avoir fait chuter le gouvernement Berlusconi sur son projet en matière de retraites, les syndicats ont proposé eux-mêmes ce qui allait devenir quelques mois plus tard la réforme Dini, permettant l'adoption d'un régime de retraite à base contributive.
Comme a pu le constater la délégation lors des entretiens qu'elle a eus avec leurs représentants, les syndicats s'affirment satisfaits en l'état actuel des choses : le poids des pensions dans le PIB a été stabilisé, et toute nouvelle modification du régime ne peut être, selon eux, que suspendue aux résultats de l'évaluation de la réforme prévue pour 2001.
La majorité et l'opposition restent également prudentes avant les élections de 2001, qui précéderont vraisemblablement l'évaluation, et donc toute accélération ou accentuation de la réforme. Les objectifs à court terme de la majorité sont la revalorisation des retraites minimales et la poursuite de l'harmonisation des différents régimes.
3. Le débat sur les fonds de pension
Le débat se porte aujourd'hui sur les modalités de développement des fonds de pensions, objectif qui recueille l'approbation de tous les acteurs, conscients que la baisse du montant des pensions publiques rend impératif le développement de régimes complémentaires.
Le système de retraite italien est désormais articulé autour de trois piliers :
- le système public : système par répartition, qui fournit aujourd'hui (système rétributif) une pension égale à 80 % du salaire, et devrait fournir demain (système contributif) 60 % du salaire. Le montant de la cotisation est de 32,7 % du salaire ;
- les fonds de pensions " contractuels " : négociés au niveau des branches, ils sont collectifs et redistributifs. L'abondement obligatoire est paritaire (deux fois 1,5 % du salaire), comme la gestion. Les abondements font l'objet de déductions fiscales et sociales, dans la limite d'un plafond ;
- les fonds de pensions " ouverts " : à adhésion facultative et individuelle.
Or le système italien présente une originalité qui est au centre des projets de réforme : le TFR (Trattemento di Fine Rapporto), pécule équivalent à 7 % de la rémunération totale du travailleur, qui lui est versé par son entreprise lorsqu'il la quitte.
Le Gouvernement a déposé en septembre 2000 un projet de loi visant à transférer ce TFR des caisses des entreprises vers les fonds de pension, ce qui soulève, comme a pu le constater la délégation, de nombreux débats :
- les syndicats y sont favorables, à condition que ce TFR ne puisse -du moins durant une période minimale de quatre ans- être versé qu'aux fonds contractuels, fonds collectifs à la gestion desquels ils participent, et qui conservent un objectif redistributif. Ils souhaitent également que ce développement de la prévention complémentaire ne se fasse pas au détriment du système public ;
- les entreprises d'assurance y sont également très favorables, à condition que le TFR puisse être transféré sur tous les types de supports, y compris les fonds privés à adhésion individuelle. Elles souhaiteraient en sus une baisse du niveau de cotisations et de pensions du système public, qui permette le décollage des fonds privés ;
- le patronat, s'il partage ce dernier objectif, reste en revanche réticent à l'idée d'un transfert du TFR, qui se traduirait par la perte de ce qui constitue aujourd'hui pour les entreprises une source gratuite de financement. Il réclame donc au Gouvernement des contreparties, qui pourraient prendre la forme d'une baisse massive (10 pts) des cotisations au système public.
A ce jour, le projet de loi n'a pas encore été examiné par le Parlement, ce qui confirme a posteriori le pronostic pessimiste exprimé par M. Cesare Salvi, Ministre du travail, qui avait déclaré, lors de l'entretien qu'il a accordé à la délégation : " franchement, je ne sais pas si nous arriverons à faire passer cette réforme avant les élections ".
En tout état de cause, il semble que le système de retraite italien ne subira pas de réforme profonde avant l'évaluation de la réforme en cours, prévue pour 2001, qui n'aura vraisemblablement lieu qu'au lendemain des élections législatives, compte tenu de la sensibilité politique de ce sujet en Italie.
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Par delà les différences, plusieurs traits communs ressortent de l'analyse des réformes engagées en Suède et en Italie : la volonté marquée de trouver un consensus entre les différentes forces politiques et sociales, le choix de modifier de façon profonde les fondements du système de retraite et le recours à la capitalisation comme complément de la répartition.
Il ne s'agit pas de chercher à importer des solutions toutes faites pour répondre aux problèmes auxquels notre pays est confronté. L'analyse des expériences étrangères peut toutefois contribuer à l'élaboration et à l'introduction d'innovations ou de solutions originales, correspondant à notre contexte national.
A cet égard, la France pourrait utilement s'inspirer des enseignements des réformes suédoise et italienne au moment où elle semble hésiter à s'engager dans un processus de réforme. Les réformes entreprises en Suède et en Italie ne sont certes pas exemptes de faiblesses ; elles ont cependant le courage d'innover pour contourner les difficultés de réformer les régimes par répartition sans léser les générations futures. A l'évidence, les évolutions souvent audacieuses des systèmes de retraite suédois et italiens méritent, en bien des aspects, d'être prises en considération.