II. LA RÉFORME DES RETRAITES EN ITALIE
Alors que l'Italie présente, au sein des pays de l'OCDE, les perspectives démographiques les plus défavorables, le système de retraite italien reste l'un des plus généreux au monde et son financement, assuré pour un tiers par le budget de l'Etat, s'élève d'ores et déjà à 14 % du PIB italien.
Ce constat a conduit l'Italie à engager, à l'image de la Suède, des réformes importantes de son système public de retraite. Par deux réformes successives décidées en 1992 (" réforme d'Amato ") et en 1995 (" réforme Dini " complétée par les mesures prises en 1997 par le Gouvernement Prodi), l'Italie a modifié radicalement les modalités d'acquisition, de liquidation et de revalorisation des droits à la retraite en adoptant un dispositif ayant de nombreux points communs avec la réforme suédoise.
Les entretiens qu'a pu avoir la délégation dans ce pays ont permis d'apprécier le consensus qui a caractérisé les réformes passées, comme les divergences sur les suites à leur donner.
A. UN SYSTÈME PUBLIC DE RETRAITE PARTICULIÈREMENT GÉNÉREUX
Si on la compare aux autres pays européens, l'Italie présente une double originalité :
- le poids des dépenses de protection sociale y est plus faible qu'ailleurs,
- au sein de ces dépenses, le poids des retraites est particulièrement élevé.
Le système de retraite italien a une longue histoire puisque les premiers dispositifs de retraite datent de 1863 14 ( * ) . La réforme réalisée en 1969 a conduit à la mise en place d'un système d'assurances sociales fonctionnant en répartition dont l'une des principales caractéristiques a été de créer pour les salariés du secteur privé la possibilité de départ anticipé en retraite connu sous le terme de " pension d'ancienneté ". Dans les années 1970 et 1980, diverses mesures législatives ont apporté des améliorations au système sans que soient prévues les implications financières à long terme 15 ( * ) .
Au début des années 1990, l'Italie disposait par conséquent d'un système de retraite par répartition fortement éclaté et hétérogène, offrant en matière de droits à la retraite des conditions considérées comme très avantageuses bien que disparates selon les régimes.
Plus de quarante régimes en annuités composaient ce système qui couvrait l'ensemble des professions, des activités et des statuts (régimes de salariés et de non-salariés, régimes de salariés du secteur privé et du secteur public, régimes professionnels parmi les non-salariés, régimes d'entreprises pour certaines catégories d'agents du secteur public).
L'âge de départ à la retraite et l'avantage procuré par la retraite d'ancienneté, les règles de calcul (durée d'assurance et salaire de référence) et de revalorisation des pensions concouraient à la générosité du système mais étaient des facteurs à la source de profonds déséquilibres.
1. Une multiplicité de régimes
Deux organismes pilotent le système de retraite :
• L'INPS (Institut national de sécurité sociale) gère " l'Assurance générale obligatoire " (AGO) qui affilie l'ensemble des actifs du secteur privé et de quelques entités du secteur public. Le principal régime est celui des salariés du secteur privé, " Fondo Pensione Lavoratori Dipendenti " (FPLD), avec 11.173.200 cotisants en 1998. L'INPS gère également l'assurance obligatoire des professions indépendantes (artisans, commerçants, agriculteurs et autres non-salariés agricoles, soit 5.300.000 cotisants),
• L'INPDAP (Istituto Nazionale di Previdenza Dell'Amministratrazione Pubblica) gère les régime de retraite des salariés du secteur public dont les populations les plus importantes sont les agents de l'Etat (1.850.000 cotisants) et les agents des collectivités locales (1.350.000 cotisants).
A ces deux institutions s'ajoutent les onze caisses des professions libérales qui totalisent 243.000 cotisants. La réforme de 1995 a également créé un organisme, le GIAS (Gestione Interventi Assistenziali e di Sostegno), financé par le budget de l'Etat et chargé de verser les prestations d'assistance et de solidarité.
Année 1997. Vieillesse, survie, invalidité 16 ( * )
Nombre de retraités (milliers) |
Prestations nettes (1) (milliards de lires) |
Cotisants (milliers) |
Cotisations et transferts (milliards de lires) |
Taux de cotisation d'équilibre (2) |
Taux de cotisation institutionnel (3) |
|
Secteur privé |
10.647,2 |
137.615,0 |
11.669,5 |
119.797,7 |
40,5 % |
32,4 % |
• INPS |
10.511,0 |
130.942,0 |
11.403,8 |
113.457,2 |
41,0 % |
32,7 % |
• Autres |
136,2 |
6.673,0 |
265,7 |
6.340,5 |
32,5 % |
29,0 % |
Secteur public |
2.542,5 |
73.171,5 |
3.826,7 |
53.736,6 |
45,3 % |
32,7 % |
• INDPAP |
2.184,1 |
64.514,8 |
3.529,2 |
49.300,8 |
43,6 % |
32,7 % |
• Autres |
358,3 |
8.656,8 |
297,6 |
4.435,8 |
63,4 % |
32,5 % |
Professions indépendantes affiliées à l'INPS |
4.102,7 |
24.257,2 |
4.280,0 |
18.087,2 |
20,8 % |
15,2 % |
Professions libérales |
93,6 |
1.609,5 |
372,1 |
2.064,3 |
9,2 % |
8,0 % |
Divers |
111,1 |
1.446,8 |
280,2 |
1.507,2 |
15,8 % |
16,7 % |
TOTAL |
17.497,1 |
238.100,1 |
20.428,4 |
195.193,1 |
37,0 % |
28,5 % |
(1) Il s'agit des prestations à la charge des régimes, hors prestations financées par transferts du budget de l'Etat. Le montant total des prestations invalidité, vieillesse, survie était de 277.681 milliards de lires en 1997.
(2) Le taux de cotisation d'équilibre est calculé en rapportant les prestations nettes à l'assiette des cotisations.
(3) Il s'agit des taux de cotisation institutionnels résultant des réformes de 1992 et 1995.
Comme le montre l'écart entre les taux de cotisation institutionnels et les taux de cotisation d'équilibre, les différents régimes font face à un profond déséquilibre que confirme l'évolution des soldes depuis dix ans.
Soldes du système de retraite obligatoire
(milliards de lires)
1989 |
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
|
Salariés du secteur privé |
- 5.137 |
- 7.211 |
- 7115 |
- 10.848 |
- 14.575 |
- 18.939 |
- 22.013 |
- 8.654 |
- 18.122 |
Secteur public |
- 4.103 |
- 6.386 |
-7.717 |
- 11.719 |
- 13.811 |
- 18.132 |
- 20.528 |
-14.445 |
- 17.115 |
Artisans et commerçants |
2.050 |
1.701 |
3.110 |
3.869 |
3.833 |
4.070 |
4.139 |
2.903 |
617 |
Professions agricoles |
- 5.027 |
- 5.224 |
- 4.322 |
- 4.864 |
- 6.313 |
- 6.079 |
- 5.140 |
- 6.551 |
- 6.975 |
Professions libérales |
717 |
791 |
1.086 |
871 |
246 |
587 |
547 |
547 |
515 |
TOTAL |
- 11.500 |
- 16.329 |
- 14.958 |
- 22.691 |
- 30.620 |
- 38.493 |
- 42.995 |
- 26.200 |
- 41.080 |
En 1997, les prestations totales de vieillesse, survie et invalidité représentaient 14,3 points de PIB et celles à la charge des régimes 12,3 points de PIB.
2. Des modalités très avantageuses de calcul des droits à la retraite
Avant 1992, le système de retraite italien se caractérisait par de nombreuses modalités avantageuses de calcul des droits à la retraite 17 ( * ) .
La " pension d'ancienneté " était l'un de ses avantages offerts aux salariés.
Comme dans tous les pays, chaque assuré pouvait liquider sa pension de retraite lorsqu'il atteignait l'âge légal de départ à la retraite (60 ans pour les hommes, 55 ans pour les femmes dans le secteur privé, 65 ans et 60 ans pour les non-salariés, 60 ans pour les deux sexes pour les agents des collectivités locales et 65 ans pour les agents de l'Etat).
L'Italie se démarquait de ce modèle général avec le dispositif supplémentaire de la " pension d'ancienneté " liquidée lorsque l'assuré avait rempli une condition de durée minimale de cotisation sans condition d'âge, durée fixée à 35 ans dans le secteur privé et à 20 ans dans le secteur public 18 ( * ) . Cette disposition a donné naissance à une population de " jeunes retraités ", ce qui induisait une charge financière d'autant plus lourde que le montant des pensions individuelles était élevé, en particulier dans le secteur public 19 ( * ) .
La formule de calcul de la pension de retraite permettait également d'offrir des taux de remplacement élevés, quelles que soient les circonstances de la carrière professionnelle.
La pension liquidée P était égale à P = S*N*Ta où S est le salaire de référence, N la durée de cotisation validée plafonnée à 40 ans, et Ta le taux d'annuité. Le salaire de référence S était égal au salaire moyen des cinq dernières années d'activité pour les salariés du secteur privé 20 ( * ) , au dernier mois de salaire majoré de 18 % pour les fonctionnaires d'Etat et au dernier mois de salaire pour les fonctionnaires des collectivités locales.
Les modalités de calcul des taux d'annuité conduisaient à un taux de remplacement de 80 % des derniers salaires bruts d'activité pour une durée d'assurance validée de 40 ans. Pour une carrière complète, le taux de remplacement du salaire net de cotisations sociales et après impôt sur le revenu était voisin de 90 % pour les salariés du secteur privé et supérieur à 100 % pour les salariés du secteur public.
Quel que soit le régime, les pensions étaient revalorisées en fonction d'une combinaison de l'indice des prix à la consommation et des gains de pouvoir d'achat des salaires des secteurs privé et public 21 ( * ) .
Le régime de retraite était enfin complété par un dispositif d'indemnités de fin de carrière (Trattemento di Fine Rapporto ou TFR) en faveur des salariés des secteurs privé et public. Dans le secteur privé, ce dispositif était alimenté par une cotisation fixée à un taux relativement élevé, 7,41 %. Les cotisations collectées étaient gérées au sein des entreprises et utilisées comme source de financement interne. Depuis 1982, le capital accumulé était annuellement revalorisé selon un index égal à 1,5 % plus 75 % du taux d'inflation. En période de forte inflation, le rendement de ce capital pouvait être négatif.
3. Un système déséquilibré
Comme dans la plupart des pays développés, le premier déséquilibre à court et long terme était financier en raison de la forte croissance tendancielle des prestations accentuée par le vieillissement de la population. On rappellera à cet égard que l'Italie connaît le taux de fécondité le plus bas de la planète.
Les déficits financiers apparaissent par ailleurs d'autant plus insoutenables que le poids du système de retraite en Italie exprimé en pourcentage du PIB était élevé par comparaison avec les autres pays européens et que le financement de la retraite occupait une place prépondérante dans le système de protection sociale au détriment des autres fonctions collectives 22 ( * ) .
La seconde catégorie de déséquilibres se rapportait à l'inégal traitement des individus selon leur catégorie sociale et de leur statut, en raison de la diversité des règles d'acquisition et de liquidation des droits à la retraite générant des redistributions de revenus en défaveur des individus ayant des carrières professionnelles modestes ou irrégulières. Au total, le système semblait peu solidaire avec des besoins de financement croissants mettant en péril les finances publiques et son maintien laissait apparaître des perspectives de fortes hausses des taux de cotisation.
* 14 Cf. Laurent Vernière, " La réforme du système de retraite en Italie ", dans Questions retraite, Document de travail de la Caisse des dépôts et consignations , n° 99-22, octobre 1999, p. 2 et suivantes.
* 15 Le taux d'annuité a progressivement été augmenté pour être fixé à 2 % en 1976 alors qu'il était de 1,85 % en 1969 et 1,62 % antérieurement.
* 16 A partir du 1 er janvier 1999, le taux de change franc/lire est fixé à 1.000 lires = 3,39 francs ou 1 franc = 295,18 lires.
* 17 Cf. L. Vernière, op. cit. p. 4 et suivantes.
* 18 Dans le secteur public, la durée d'assurance requise était de 15 années pour les femmes mariées.
* 19 Avec le dispositif de la pension d'ancienneté, l'âge moyen effectif de départ à la retraite était inférieur à 60 ans quel que soit le statut professionnel et le sexe.
* 20 Le salaire moyen des cinq dernières années était revalorisé selon l'indice des prix à la consommation.
* 21 Les pensions supérieurs à trois fois la pension minimum étaient toutefois revalorisées selon un index égal à 75 % du taux d'inflation plus les gains de pouvoir d'achat du salaire moyen.
* 22 En 1998, la part des retraites vieillesse et survie dans les dépenses de protection sociale à la charge des administrations publiques était de 66 %, alors qu'en France cette part (y compris les préretraites) était de 50 %.