2. La société au temps du virtuel
Le numérique envahit le quotidien. La révolution
qu'il opère sur notre société est profonde et, pour
certains, plus radicale que n'importe quelle autre technique. Car, s'il est
vrai que l'homme crée l'outil, c'est-à-dire un moyen, l'outil
façonne l'homme. Les nouvelles technologies vont contribuer à
modeler une nouvelle relation de l'homme au monde. Cette révolution, sur
laquelle tout le monde s'accorde sans trop savoir la définir, commence
par des mots. Des mots très communiquants -
cybermonde
,
cyberespace
95(
*
)
, virtuel,
intelligence artificielle- mais qui cachent souvent une certaine ignorance.
L'ignorance laisse parfois place aux fantasmes sans qu'il soit possible d'en
déterminer le bien fondé ou, si l'on préfère, sans
qu'il soit possible de déterminer le vrai du faux. C'est d'ailleurs
là toute la problématique du virtuel.
Nous sommes là dans le domaine de la prospective. Parmi les nombreux
thèmes abordés émergent quelques problématiques
majeures : les conséquences psychologiques, les conséquences
sociales. Il y a sur ces sujets, beaucoup d'incertitudes et même parfois
quelques
a priori
. Les professionnels, psychologues, sociologues
eux-mêmes sont partagés, ce qui, dans ce domaine,
n'étonnera personne. Les arguments de chacun doivent être
présentés, puis débattus.
a) Les conséquences psychologiques éventuelles96( * )
La question de la frontière entre le réel et le
virtuel s'est toujours posée aux psychologues. La problématique
est celle du rôle de l'imaginaire dans la construction d'une
personnalité, qui doit occuper
sa
place, mais pas
toute
la
place
97(
*
)
. Le virtuel est
déterminant dans notre économie psychique. Le virtuel des
rêves est une forme de réalisation de désirs inconscients,
le fantasme est une alternative au passage à l'acte. Avec l'essor du
virtuel, nous assistons à la naissance d'un phénomène
social et culturel nouveau.
Le pouvoir attractif du virtuel se fonde sur trois données. D'une part
l'image, qui peut être, ou qui sera, tôt ou tard, une copie
conforme du réel pour celui qui le souhaite. D'autre part, la sensation
du réel.
" Les techniques du virtuel nous plongent dans l'image,
nous permettent de nous déplacer, d'agir, de travailler dans cet
univers
98(
*
)
. "
Enfin,
avec l'abolition du temps et de l'espace,
" tout devient
accessible,
les autres, les machines, les loisirs, les services. "
Tout et
tout de
suite. Nous passerons de plus en plus de temps devant nos écrans puisque
ce moyen nous donne accès à tant de possibilités. Or, les
conséquences sur le plan psychologique de ces éléments
sont mal maîtrisées.
" Il faut faire attention à la
puissance que confère le fait d'être au centre de l'image, qui est
un lieu de pouvoir très fort. On n'a pas encore pris la mesure de ce qui
se produit dans notre entrelacement aux images. "
99(
*
)
Si le réel et le virtuel tendent à se mêler et, pour finir,
se confondre, il reste une différence fondamentale entre les deux : le
réel résiste, alors que le virtuel obéit. C'est ce qui
fait la force irrésistible du virtuel et aussi son danger.
" Nous serons d'autant plus tentés de les confondre si la chose
vient à manquer. La tentation sera grande de s'adresser au substitut
pour obtenir une satisfaction équivalente.
(...)
Le virtuel peut
agir comme une drogue qui répondrait artificiellement à un
manque, venant combler une frustration. Il se présentera comme une
tentation de combler le désir là où le réel
résiste. On s'expose ici à des risques de confusion
énormes entre rêve et réalité, source de
déconvenues, de désillusions, de retombées sur terre
fracassantes car le réel finira toujours par nous
rattraper. "
100(
*
)
D'ailleurs, la disparition du manque, la satisfaction totale du désir
sont elles-mêmes dangereuses et l'homme ne fonctionne pas sans
désir.
Confronté au réel qui résiste, la tentation est de rester
dans le virtuel. Le virtuel est alors à la fois une fuite et une prison.
Comme on l'a vu avec le virtuel, le spectateur devient acteur dans l'image. Le
premier peut être hypnotisé par elle et le second peut être
englué dans elle, exactement comme dans une toile, le
Web
.