B. UN SURSAUT NÉCESSAIRE
1. Une situation démographique encourageante
Il est
naturellement toujours hasardeux d'établir une corrélation entre
la politique familiale et la situation démographique d'un pays.
Cependant, la France connaît aujourd'hui une situation
démographique plus favorable que celle de ses principaux partenaires.
Votre rapporteur considère que ceci n'est sans doute pas sans lien avec
les efforts importants accomplis en matière de politique familiale par
notre pays.
Selon le bilan démographique de l'INSEE pour 1998
8(
*
)
, le nombre de naissances a
augmenté de nouveau en 1998 avec 740.300 nouveau-nés, soit
1,9 % de plus qu'en 1997. Ce chiffre est à peu près
égal au nombre de naissances (737.100) enregistré vingt ans plus
tôt, en 1978 et le nombre absolu des moins de 20 ans se stabilise enfin,
après 24 ans de baisse ininterrompue.
La natalité retrouve pratiquement son niveau de 1992 (avant la baisse
importante de 1993). Ainsi, après un sursaut en 1995, la natalité
est stable depuis trois ans, voire en légère hausse.
L'indicateur conjoncturel de fécondité remonte à 1,75
enfant par femme en 1998, le plus élevé de ces sept
dernières années. La France a l'un des indicateurs conjoncturels
les plus hauts de l'Union européenne. En 1997 (derniers résultats
disponibles pour l'Europe), notre pays se situait au troisième rang avec
1,71 enfant par femme, comme le Royaume-Uni et le Luxembourg, après
l'Irlande (1,92) et le Danemark et la Finlande (1,75). L'Italie et l'Espagne
avaient les indicateurs les plus faibles d'Europe, et même du
monde : respectivement 1,22 et 1,15. L'indicateur conjoncturel de
fécondité pour l'ensemble de l'Union européenne s'est
stabilisé à 1,44 enfant par femme depuis 1994.
Avec l'allongement de la durée des études, les difficultés
pour trouver un emploi stable, de plus en plus de femmes retardent
l'arrivée de leurs enfants. La fécondité des femmes de
moins de 30 ans diminue progressivement au cours des vingt dernières
années alors qu'elle augmente nettement à partir de la trentaine.
Lorsque la fécondité augmente, comme en 1995 ou 1996, c'est que
la fécondité en hausse des femmes de plus de 28 ans compense la
baisse de celle des plus jeunes. Lorsqu'elle se stabilise ou diminue, la
réduction est particulièrement prononcée chez les plus
jeunes : en 1997, la légère baisse était
entièrement redevable aux femmes de moins de 30 ans. L'âge de
la maternité augmente régulièrement : 29,2 ans en
1997 contre 26,5 ans vingt ans plus tôt. En 1977, seulement un quart des
nouveau-nés avaient une mère âgée de trente ans ou
plus ; en 1997, c'est le cas pour presque la moitié des naissances
(46 %).
Ces décalages ont eu jusqu'ici peu d'incidence sur la descendance finale
des générations. Les Françaises nées avant le
début des années soixante sont parmi les plus fécondes de
l'Union européenne, après les Irlandaises. Ainsi, les femmes de
la génération 1958 ont assuré leur remplacement bien avant
la fin de leur vie féconde en ayant eu, en moyenne, 2,08 enfants chacune
à 39 ans, soit autant que les femmes de la génération 1948
au même âge, alors qu'à 26 ans elles présentaient un
retard de 0,22 enfant. Le rattrapage reste possible pour les
générations du début des années soixante qui auront
certainement plus de deux enfants en moyenne ; pour les plus jeunes, il
est encore trop tôt pour conclure.
2. Les principes qui doivent guider notre politique familiale
Votre
rapporteur partage la conviction exprimée par le Président de la
République, lors de la remise de la médaille de la famille
française, au Palais de l'Elysée, le 31 mai dernier, que
" notre société, pour le XXI
e
siècle,
aura plus que jamais besoin de la famille, une famille forte et reconnue, une
famille unie, assurée d'elle-même, une famille capable de remplir
pleinement sa fonction irremplaçable auprès de
l'individu. "
Le Président de la République a souhaité à cette
occasion
" que la France se dote d'une nouvelle ambition familiale,
qu'elle redonne souffle et vigueur à sa politique de la famille, une
politique qui doit se traduire non par une redistribution entre familles, mais
par un accroissement régulier des ressources que la Nation leur
consacre. "
Votre rapporteur considère pour sa part, comme M. Jean-Paul Probst,
ancien Président de la CNAF, que toute politique familiale suppose
d'investir dans la durée. Elle doit reposer sur
cinq principes
permanents
:
-
la simplicité
: celle-ci est au coeur de la
prévision sûre et de l'exercice par chaque famille de ses
droits ;
-
la neutralité
vis-à-vis des choix de vie des
familles, en termes notamment de logement, d'éducation, de travail ou
non des deux parents ;
-
la responsabilité
: une politique familiale doit
aider les familles chaque famille à assumer son rôle, soutenir
celles d'entre elles qui sont les plus fragiles, veiller à leur bonne
intégration dans la vie de la cité ;
-
l'universalité
: une politique familiale doit
être ouverte à toutes les familles, avec une attention
particulière aux plus modestes d'entre elles, et non se résumer
à cette seule et dernière hypothèse ;
-
l'équité
dans la prise en charge des coûts de
l'enfant sur le cycle de vie familiale : une politique familiale doit
couvrir les coûts liés à l'éducation, à la
santé, au logement, au temps pendant lesquels les enfants sont hors de
la famille (accueil de la petite enfance, temps libre des enfants et des
adolescents), et cela de façon harmonieuse sur le cycle de vie familiale.
La définition de notre politique familiale doit prendre en compte
trois exigences
.
Tout d'abord,
l'exigence des nouvelles aspirations des femmes.
Comme l'a
souligné le Président de la République :
" Aujourd'hui, 80 % des femmes en âge de travailler exercent un
métier. C'est une aspiration très profonde. Elle n'est pas
négociable. Ce n'est pas en éloignant les femmes du monde du
travail qu'on donnera un nouvel élan à la politique familiale.
C'est au contraire en leur offrant la possibilité de continuer à
exercer, si elles le souhaitent, une activité extérieure. Pour
cela, il faut mettre en place une souplesse accrue des emplois du temps et des
facilités de garde, notamment à domicile, qui permettent de mieux
concilier travail et enfants. "
Il s'agit de permettre à toutes les femmes qui le souhaitent de
concilier vie professionnelle et vie familiale. Il s'agit également de
réfléchir aux moyens de ne pas freiner, par une
législation dissuasive, les femmes qui ont le potentiel de " faire
carrière ", c'est-à-dire d'accepter les charges liées
à des fonctions d'encadrement ou de direction. La mixité
professionnelle est à ce prix.
Ensuite,
l'exigence démographique
. Notre pays n'assure pas
aujourd'hui le renouvellement des générations. C'est à
terme une menace grave pour l'équilibre de notre société,
pour son dynamisme et pour le financement des retraites. Paradoxalement, le
désir d'enfants des familles reste important : 2,2 enfants, un taux
supérieur à celui qui permettrait le renouvellement des
générations (2,1). Aider les familles à réaliser
leur désir d'avoir un deuxième ou un troisième enfant est
donc la tâche prioritaire à laquelle notre pays doit s'atteler.
Enfin,
l'exigence de l'éducation des enfants
. Sans des familles
en mesure d'exercer leurs responsabilités, on ne réglera aucun
des problèmes majeurs auxquels notre société est
confrontée. Il faut donc aider à l'accueil de l'enfant mais sans
négliger les problèmes que posent aujourd'hui les grands enfants,
qui rentrent de plus en plus tard dans la vie active.
Il est, à cet
égard, urgent de revaloriser le rôle des pères en les
incitant, par des mesures législatives favorables, à exercer
encore davantage leur fonction éducative au sein de la famille. Votre
rapporteur souhaite également que soit pleinement reconnu à cette
occasion le rôle essentiel que jouent très souvent les
grands-parents au sein de la famille.
Votre rapporteur juge impératif de réfléchir
parallèlement aux moyens de
simplifier le système des
prestations familiales
dont chacun s'accorde à reconnaître la
complexité.
Comme le constatent MM. Thélot et Villac dans leur rapport sur la
politique familiale,
" au fil du temps, les mesures, prestations,
transferts financiers exprimant la politique familiale se sont
multipliés et diversifiés, à un point tel que, dans
certains de ses aspects, le système devient difficile, voire impossible,
à lire et à comprendre ".
La complexité des droits gérés par les CAF est
indéniable. De fait, les CAF gèrent environ 25 prestations
légales qui représentent 15.000 règles de
droit ; elles prennent en compte 250 faits générateurs de
droit, elles utilisent 270 modèles de pièces justificatives et en
traitent 70 millions par an.
Les comparaisons, qu'il est possible de
faire dans le temps, concernant ces indicateurs, montrent que la
complexité a fortement crû.
La complexité de ce droit est fortement aggravée par son
instabilité, sa mouvance dans le temps. Ainsi depuis la création
de l'APL en 1977, il y a eu environ 150 textes qui en ont modifié le
régime initial et sur les dernières années, ce sont plus
de 100 modifications de règles qui sont intervenues par an.
Pour sa part, la CNAF distingue huit raisons qui expliquent la
complexité des règles gérées par les CAF :
• la complexité et la mouvance de la réalité
sociale ;
• la volonté de nos concitoyens de règles totalement
objectives définies au niveau national, prenant en compte le moindre cas
particulier et ménageant les droits acquis ;
• la volonté politique de ciblage social et financier ;
• la multiplicité des objectifs poursuivis : les
prestations servies par les CAF vont très au-delà d'une
compensation des charges des familles et sont utilisées comme incitation
ou comme sanction dans le cadre de politiques aussi diverses que celles des
revenus, de la santé, de l'emploi, du logement, de la lutte contre la
pauvreté ;
• la volonté de prendre en compte en temps réel les
modifications des situations ; de fait un tiers du fichier des CAF est
modifié en moyenne chaque mois ;
• la poussée de trois types de prestations très
complexes : celles qui ont recours à des barèmes
extrêmement sensibles que sont les aides personnelles au logement ;
les prestations différentielles que sont les minima sociaux ;
celles qui impliquent des relations avec de multiples partenaires ; les
CAF sont en moyenne en lien avec 60 partenaires ou organismes tiers
susceptibles d'intervenir dans la gestion du système des
prestations ;
• les CAF gèrent des prestations qui ressortissent d'ordres
juridiques différents (les prestations familiales inscrites dans le code
de la sécurité sociale, l'APL inscrite dans le code de la
construction de l'habitat, le RMI) ce qui conduit à des règles
différentes en matière de contentieux, de
récupération d'indus, etc.
• le faible intérêt du " fabricant de
règles " pour sa gestion par les CAF et sa compréhension par
l'allocataire.
Il est clair que ces raisons ne sont pas toutes de mauvaises raisons et que
l'Etat se doit de répondre à la diversité et la
vitalité de la réalité sociale.
Les effets de la complexité sont redoutables :
- l'incompréhension des allocataires ;
- le ciblage social n'est pas toujours efficace ;
- le ciblage financier n'est pas toujours atteint ;
- la complexité coûte en termes de gestion.
Tous ces éléments conduisent votre rapporteur à estimer
que la simplification n'est pas un projet technique ou gestionnaire, mais un
projet politique.
Il est par conséquent nécessaire de redonner une cohérence
et une lisibilité au système de prestations familiales en
fusionnant certaines prestations afin d'en réduire le nombre et en
simplifiant leurs modalités d'octroi.
*
* *
Sous réserve de ces observations et des amendements qu'elle propose dans le tome IV du présent rapport, votre commission vous demande d'adopter le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 pour ses dispositions relatives à la famille.